samedi 10 mai 2025
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CRITIQUE, concert. AIX-EN-PROVENCE, le 15 février 2025. Concert-Anniversaire des 80 ans de William Christie. Ensemble Les Arts Florissants / William Christie (clavecin et direction)

William Christie, fondateur et chef de l’ensemble Les Arts Florissants, célèbre ses 80 ans avec une tournée internationale qui fait escale au Grand-Théâtre d’Aix-en-Provence – une ville dont il est l’invité régulier de son célèbre Festival d’Art lyrique depuis plus de 30 ans. Ces concerts marquent un retour aux sources pour Christie, fervent défenseur de la musique des XVIIe et XVIIIe siècles, dont les productions ont redonné ses lettres de noblesse à ce répertoire, à commencer par les ouvrages de Jean-Baptiste Lully. Le programme de ce soir, un florilège d’extraits d’opéras de Lully, Charpentier et Rameau, revisite des œuvres-phares comme Atys, Médée, Les Indes galantes ou Les Fêtes d’Hébé, qui ont jalonné la carrière de l’ensemble depuis sa création en 1979.

 

Dirigeant depuis son clavecin, Christie incarne le cœur de cette « famille musicale », où chaque interprète, issu du Jardin des Voix (académie qu’il a fondée pour former de jeunes chanteurs), brille par sa maîtrise et son engagement. Les solistes, comme la soprano Ana Vieira Leite, les mezzo-sopranos Rebecca Leggett et Juliette Mey, les ténors Bastien Rimondi et Richard Pittsinger, et le baryton Matthieu Walendzik, incarnent avec brio les émotions contrastées de ces œuvres, allant de la douceur à la fureur. Leur diction précise et leur théâtralité servent magnifiquement le texte, tandis que l’orchestre, réduit mais virtuose, déploie des textures raffinées et des couleurs changeantes, épousant la vocalité avec une grâce dansante.

Le concert, ponctué de moments intenses et de surprises (comme l’apparition, à l’issue du concert, de la soprano Sophie Daneman pour un air de Haendel), s’achève en apothéose avec le célèbre « Forêts paisibles » extrait des Indes galantes. Le public, conquis, salue cette union sacrée entre musique, texte et émotion, témoignant de l’héritage vivant de William Christie et de son rôle central dans le renouveau de la musique baroque française. Ces escales, entre mémoire et présent, célèbrent un art qui continue de rayonner, porté par une passion et une excellence transmises de génération en génération.

 

 

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CRITIQUE, concert. AIX-EN-PROVENCE, le 15 février 2025. Concert-Anniversaire des 80 ans de William Christie. Ensemble Les Arts Florissants / William Christie (clavecin et direction). Crédit photographique © Caroline Doutre.

CRITIQUE, danse. LUXEMBOURG (Grand Théâtre), le 14 fev 2025. THE GAME – GRAND FINALE de Jill Crovisier [création]

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Au début, l’image est forte ; elle indique la coloration globale de l’approche : le dompteur avec son fouet exprime son empire sur la scène-monde. En faisant tourner le fouet autour de sa tête, il suscite le mouvement premier qui va rayonner ensuite ; il indique tout autant le périmètre où s’exercera son pouvoir voire son emprise. Ce qui est en jeu ce soir, c’est la question du groupe et à travers lui, les ressorts de la société humaine.

 

 

Tout est une question d’équilibre, entre dominants et dominés, leader et suiveurs. Le spectacle est construit en une suite enchaînée de séquences parfaitement caractérisées. Chaque tableau collectif ici interroge avec finesse les intentions qui s’agrègent et l’action collective qui en découle… La référence aux milieux divers du casino, du cirque, du sport permet une théâtralisation souvent comique voire délirante, et qui confère à la pièce, sa dimension dramatique souvent savoureuse. Chaque situation implique un rapport de force, une exploitation, une domination, une manipulation. On verra que chaque séquence sous son masque séduisant [et ses sourires de façade] cache une réalité plus sombre… Ainsi que nous l’a confié la chorégraphe Jill Crovisier dans un entretien spécial, réalisé à l’occasion de la première [LIRE notre entretien avec Jill Crovisier à propos de la création de THE GAME – GRAND FINALE, à l’affiche du Grand Théâtre de Luxembourg, les 13 et 14 février 2025].

 

 

8 DANSEURS EN QUÊTE DE PERSONNAGES LA COULISSE DU JEU SOCIAL. Le travail de Jill Crovisier soigne chaque détail, chaque geste, chaque regard : tout signifie et dénonce en réalité l’enjeu souterrain comme il dévoile la coulisse du jeu social. Même hors scène [à la marge d’une arène carrée très éclairée] la chorégraphe imagine pour chaque danseur une incarnation très fouillée ou semblable à des créatures cybers, en mode pause [ou avec des gestes répétés sans direction], elles semblent errer, chercher l’identité qui leur correspond, en quête d’une interaction qui révèle chacun à lui-même ; il suffit que chacun rejoigne les autres sur ce terrain de jeu symbolique pour qu’une nouvelle action s’explicite.

Existentiel, sociétal aussi, le spectacle est critique et humoristique (y paraissent un Batman cascadeur, une elfe maladroite,…), jonglant non sans humour et légèreté avec une délicieuse élégance satirique ; à travers les situations de jeu et de divertissement, il questionne les conditions et le sens de chaque rapport sociaux. Quel est la signification d’un groupe ? Sa direction, ses enjeux intimes, individuels, collectifs ?

 

ANIMALITÉ DU GROUPE et LOUFOQUE SATIRIQUE… Parmi de multiples tableaux qui relèvent plus du théâtre loufoque [sans paroles, dans le sillon d’un Tati] que de la danse proprement dite, saluons le solo délirant de l’hôtesse du casino qui distribue les cartes et qui finit par s’enrayer comme une mécanique déglinguée… Comme si la séduction n’était qu’apparente, masquant un vide intérieur vertigineux, une machinerie plus perverse.
Dans une série de gags chorégraphiés avec maîtrise, Jill Crovisier capte les attitudes et les postures emblématiques ; soulignant la part primitive et instinctive qui relie l’individu au monde animal. Ainsi la saynète des footballers américains, rien que physique et hypertestosteronée [avec cris de ralliement et de cohésion]. Même entrain jazzy et pulsions animales dans le tableau inspiré de Bob fosse où le meneur de revue singe une interaction lascive et déjantée avec le public… entraînant sa joyeuse équipée, et finissant accroupi sur une malle à cour, en poussant des cris de chimpanzé (!).

 

© Lynn Theisen

 

 

Chaque scène de la vie est analysée comme une tranche réaliste, décryptée, dévoilée dans ses travers les plus significatifs. Comme une entomologiste attentive, dont le regard clinique mais si tendre offre une remarquable collection de sketchs, Jill Crovisier opère telle une orfèvre experte des comportements humains ; la chorégraphe exploite à l’infini le potentiel du jeu [et celui du divertissement / gaming] comme des révélateurs particulièrement éloquents.

Les 8 danseurs [4 femmes et 4 danseurs] sont remarquables en souplesse, expression, incarnation, d’autant plus convaincants qu’ils jouent comme acteurs autant qu’ils dansent, et savent tirer profit de la bande sonore dont les transitions et la caractérisation immergent immédiatement dans le milieu et la situation concernée. Nous tenons là une chorégraphie intense et rythmée ou le délire, l’absurde, l’humour s’équilibrent avec l’esprit de contrastes et le mordant, nécessaires.

Seule réserve la danse dont il s’agit ici se limite au théâtre, à la pantomime, à une série de séquences narratives certes toujours très justes mais il manque le vertige purement onirique d’un tableau dansé où se déploierait la magie d’un groupe dansant unifié qui exprimerait comme une synthèse de ce qui a été jusque là vécu et dévoilé. D’autant que les 8 danseurs ont révélé au début leurs talents synchronisés dans une lente traversée du plateau, en gestes ralentis, totalement hypnotiques.

 

Saluons Tom Leick-Burns, directeur du Grand Théâtre de Luxembourg, de poursuivre ce compagnonnage avec la chorégraphe Luxembourgeoise née en 1987 ; tout l’esprit et l’activité du Grand Théâtre de Luxembourg en tant que laboratoire artistique se trouve ainsi justifié par de si féconds apports. THE GAME – GRAND FINALE est assurément le point majeur d’un regard chorégraphique qui mêle de façon originale théâtre et danse [danse théâtrale] dans l’esprit d’une performance aussi délirante que poétique. Vite à quand une prochaine reprise en France ?

 

 

Jill Crosier et les 8 danseurs de THE GAME – GRAND FINALE © classiquenews 25

 

 

 

 

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CRITIQUE, danse. Luxembourg (Grand Théâtre) le 14 fev 2025. THE GAME – GRAND FINALE de Jill Crovisier [création] – toutes les photos © Lynn Theisen
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distribution

Direction artistique, chorégraphie, création sonore et costumes : Jill Crovisier.

Interprétation [8 danseurs]
Djamila Polo, Jan Möllmer, Jaeger Wilkinson, Serge Daniel Kaboré, Minouche van de Ven, Apollo Anastasiades, Jeanna Serikbayeva, Bettina Rose Jurák

 

Musique
Jill Crovisier, Camille Kerger, Pol Belardi, Damiano Picci, Irving Berlin, Jake Angel, Michael Hunter, Carlos Gardel

 

Création lumière
Jill Crovisier, Patrick Winandy (Grand Théâtre Luxembourg)

 

Prochaine date au Luxembourg : ECHTERNACH (Trifolion), le 26 juin 2025 :
https://www.visitechternach.lu/fr/agenda/evenement/2025/06/26/the-game-grand-finale-1

 

LIRE aussi notre annonce / présentation du nouveau spectacle THE GAME – GRAND FINALE : https://www.classiquenews.com/grand-theatre-de-luxembourg-jill-crovisier-the-game-grand-finale-nouveau-ballet-les-13-et-14-fevrier-2025/

 

GRAND THEÂTRE DE LUXEMBOURG. Jill Crovisier : The Game – Grand Finale (nouveau spectacle), les 13 et 14 février 2025 – ENTRETIEN spécial

 

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 13 février 2025. HAENDEL : Semele. P. Yende, A. Coote, B. Sherratt, C. Vistoli… Oliver Mears / Emmanuelle Haïm

Les histoires des maîtresses et favorites sont intrinsèquement liées au destin des puissants. De Messaline et Poppée à Stormy Daniels, en passant par la Sémélé devenue Junon, ou encore Camilla Parker-Bowles. Même les présidents de la vertueuse République française ont eu leurs déboires d’antichambre, le plus célèbre étant l’intransigeant Félix Faure mort dans les bras de sa maîtresse au coeur du Palais de l’Elysée. L’opéra n’a pas cessé de s’inspirer des plus « royales » amours indélicates du coureur Zeus, ses innombrables amours et leur châtiment par la jalousie d’Héra, la gardienne de l’hyménée et des vertus conjugales. Dans une optique plus contemporaine, ces livrets ont quelque chose du tabloïd de La Calisto à Powder her face. Une succession de drames des moeurs aux entrefilets sensationnalistes et scandaleux. 

 

« À quoi m’ont servi toutes ces scènes? » (Ovide, Les Métamorphoses, L. I, III, Junon et Sémélé)

 

Sémélé est la maîtresse la plus proche d’une bimbo aux ambitions démesurées, une arriviste châtiée par ses désirs et ses excès. Sémélé n’est pas une victime, elle consent absolument et cherche à s’embraser dans les affres de la passion. Sémélé est la figure même de la favorite en quête de pouvoir par la séduction. A aucun moment dans les livrets ou les adaptations, Sémélé est une victime : elle n’aime que son reflet et ce qu’elle représenterait en tant qu’immortelle. Le livret que Georg Frederic Haendel met en musique est l’un des meilleurs écrits de toute sa production. Conçu en 1706 pour l’opéra éponyme de John Eccles, Semele a été écrit par l’excellent dramaturge William Congreve. Roué et romanesque, Congreve a la plume aiguisée et précise d’un Molière et brocarde sans ambages les puissants et les mortels. Dans Semele, encore plus avec la musique sensuelle de Eccles, Congreve n’en fait pas un personnage positif mais une sorte d’hétaïre capricieuse, égoïste et affreusement ambitieuse, à l’image de Lady Castlemaine, maîtresse du roi Charles II, encore dans toutes les mémoires en 1706. Absent de l’adaptation de Haendel, mais sublimement mis en musique par Eccles, l’air « I love an I am loved » exprime les véritables intentions de Semele : « Tho’ daily I prove the pleasures of Love, I die for the joys of ambition« . C’est clair, Semele est victime de sa propre folie, une sorte d’influenceuse pathétique.

 

Coproduction entre le Théâtre des Champs-Elysées et la Royal Opera House Covent Garden de Londres, quelle idée absurde est passée par la tête au metteur en scène Oliver Mears de tordre le mythe et le livret de Congreve pour en faire une fable passablement ridicule sur le « patriarcat » ponctuée de tableaux à la teneur plus que douteuse. Oliver Mears fait de Semele une victime des privautés de Jupiter, une sorte de Tom Selleck sans charme. Conspirant à découvert la Junon dans la « vision » du metteur en scène est une « desperate housewife » pataude à la choucroute capillaire digne de Claudia Islas. Les autres personnages sont des images de carton pâte sans fond, comme si Oliver Mears refusait obstinément de s’y intéresser pour faire des « blagues » de peur que le public s’ennuie ou ne comprennent pas. Oliver Mears montre ici une arrogance doublée d’un irrespect total de l’oeuvre qu’il adapte. Il serait temps que les metteuses et metteurs en scène prennent conscience que leurs visions détruisent le véritable message d’un objet de sensibilité du passé. Malheureux Haendel qui voit en quelques semaines sur des scènes parisiennes deux de ses chefs d’oeuvre diffractés dans des images abstruses pour coller aux combats de notre époque insensée. Cette mise en scène rappelle un mot de Sacha Guitry, repris à l’envi: « l’art cesse d’être de l’art dès lors qu’il est couvert par l’ordure. »

Ce qui nous a totalement révolté dans la réalisation scénique nous a ravi musicalement. Pretty Yende a la voix de ce rôle conçu pour Elisabeth Duparc. Avec un timbre riche et une belle agilité ; Pretty Yende permet à sa Semele de nous charmer encore et toujours malgré parfois une maladresse théâtrale sans doute liée à l’atroce mise en scène. Ben Bliss se distingue de son Tom Rakewell a l’Opéra de Paris par une belle couleur et une présence bien plus aguerrie, mais encore un manque d’engagement dramatique manifeste. En Junon délaissée, Alice Coote peine à atteindre les exigences vocales du rôle, un manque de soutien constant, un souffle erratique et des couleurs assez fades ont épousé le manque d’imagination de la mise en scène d’Oliver Mears. En revanche l’Ino sublime de Niamh O’Sullivan nous a ravi et a donné au rôle d’Ino toute son épaisseur avec un timbre riche et débordant de nuances. L’Athamas de Carlo Vistoli explose dans son air à la fin de l’opéra avec toute l’immense talent que l’on connait à cet extraordinaire soliste. Marianna Hovanisyan est une Iris truculente mais d’une très belle aisance. Brindley Sherratt a un talent comique sans doute mais un timbre sans nuances ni agilité en Somnus et Cadmus.

Superbes choristes, musiciennes et musiciens du Concert d’Astrée qui ont un talent rare pour rendre à Haendel toute sa magnificence. Emmanuelle Haïm a su mener l’intégralité de cette partition vers l’Olympe et nous faire découvrir des nouveaux joyaux dans cette mer de merveilles. A l’égal que l‘Orlando du Châtelet, c’est musicalement que cette production a atteint des hauteurs céruléennes.

Gageons que le Théâtre des Champs-Elysées, dans sa tradition de scène baroque et Haendélienne saura à l’avenir choisir les mises en scène dans le respect de l’oeuvre plutôt qu’avec l’adaptation égocentrique des débats hystériques de notre époque. La terrible jalousie de Junon saura sans doute garder le mariage de la fosse et du plateau.

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 13 février 2025. HAENDEL : Semele. P. Yende, A. Coote, B. Sherratt, C. Vistoli… Oliver Mears / Emmanuelle Haïm. Crédit photo © Vincent Pontet

CRITIQUE, concert. LILLE, Nouveau Siècle, le 12 février 2025. MENDELSSOHN : Les Hébrides, Concerto pour violon, Symphonie n°4 « italienne ». Orchestre national de Lille, DAVID GRIMAL (violon)

Un concert conçu comme un laboratoire musical hors limites… L’ON Lille / Orchestre National de Lille s’ouvre ce soir à d’autres manières de jouer les œuvres. Le propos questionne les conditions du travail préparatoire et la nature des répétitions… Son sujet est, sans chef désigné, comment jouer ensemble dans le sens d’une intelligence collective ?

 

Précisément le dispositif habituel et la place du maestro sont-ils les seules conditions possibles et efficaces ? Voilà ce soir la preuve éloquente qu’il existe d’autres pistes de travail et des configurations alternatives pour réaliser, vivre [et partager] l’expérience orchestrale… Promoteur de ce process nouveau : le violoniste David Grimal qui a depuis plusieurs années développé cette pratique orchestrale sans chef, au sein de son propre ensemble Les Dissonances, malheureusement dissout en 2024…

 

En choisissant un programme essentiellement dédié à Mendelssohn, l’Orchestre National de Lille expose ainsi une quarantaine d’instrumentistes, soit une formation de taille moyenne, idéalement apte à réussir l’expérience innovante, fondée, dans un esprit hautement chambriste, sur l’écoute et les interactions collectives.

 

 

JOUER SANS CHEF
La première œuvre [Les Hébrides] est jouée sans chef, son activité portée par la seule écoute partagée ; la seconde œuvre est réalisée de la même façon, avec le soliste au centre face au public [Concerto pour violon] ; enfin la 3ème œuvre (Symphonie n°4) est la plus spectaculaire dans ce sens, et ses apports, indiscutables.

La semaine qu’ont partagé ainsi David Grimal et les instrumentistes lillois a évidemment porté ses fruits ; des fruits savoureux et délectables que l’on entend et déguste ainsi dans la symphonie n°4…, ultime partition et indiscutable accomplissement d’un programme captivant.

En ouverture, les instrumentistes offrent une lecture de La Grotte de Fingal (Les Hébrides), soignée, scrupuleuse, encore en manque de flexibilité et avec quelques déséquilibres sonores comme les cors qui jouent trop fort (ce point revient dans le finale du Concerto pour violon…). Il aurait été immédiatement corrigé par un chef depuis son podium. Mais le principe d’un groupe qui s’écoute s’affirme progressivement, dans de superbes respirations, une motricité globale qui renforce l’intensité du geste comme de la caractérisation.

 

L’ORCHESTRE LILLOIS À L’ÉCOLE DE L’ÉCOUTE COLLECTIVE
Le Concerto pour violon permet d’affiner encore les équilibres entre pupitres, soulignant aux côtés du violoniste, des cordes [violon l) particulièrement flexibles, aux phrasés élégantissimes, attentives au caractère de chaque mouvement. L’accord soliste / orchestre est réellement atteint dans le 3ème mouvement où l’urgence et ce caractère d’incandescence passionnelle, se réalisent avec franchise et équilibre.

Enfin la 3ème partition (Symphonie n°4 « Italienne ») concrétise l’apothéose de la soirée ; la réalisation des œuvres précédentes ayant permis d’acquérir flexibilité et finesse du son.  Sans chef mais comme stimulé par la suractivité du premier violon [David Grimal] assis comme ses partenaires, les musiciens affirment une qualité de nuances et de phrasés, des respirations superlatives qui avec autant de précision [et de naturel], clarifient la texture sonore globale, permettant de capter chaque intervention entre les pupitres des cordes [violons I et II, altos, violoncelle, contrebasses], dans une caractérisation superlative.

Ce Mendelssohn sonne comme du Bach dont le génie de l’architecture contrapuntique, se dévoile comme jamais dans l’écriture du Romantique (on sait l’admiration de Mendelssohn pour son prédécesseur baroque à Leipzig), en particulier dans la fugue du dernier mouvement ; les étagements demeurent perceptibles ; chaque plan instrumental reste idéalement individualisé… Les cordes façonnent un tapis soyeux, constamment souple et clairement dessiné, véritable entité motorique qui porte et entraîne tous les autres pupitres.

 

ENTRE JAILLISSEMENT ET EMBRASEMENT
Il en ressort spécifiquement dans cette 4 ème « italienne », une finesse expressive, des respirations justes, une ivresse sonore à la fois active et aérienne, exaltée, joyeuse, impérieuse, qui galvanise l’effectif entier et qui, chez l’auditeur lui permet de vivre enfin ce jaillissement premier donnant l’impression d’écouter l’œuvre dans la plénitude esthétique et poétique, comme s’il s’agissait de sa création au moment du concert. La 4ème regorge ainsi de lumière latine, de cette italianité souveraine et rayonnante qui électrise littéralement chaque instrumentiste et chaque pupitre.

Rares les sentiments de ce type ; exceptionnelle reste cette formidable expérience orchestrale. Une telle subtilité à la fois claire, transparente, détaillée, comme portée par l’urgence et une vitalité libérés, ne s’écoute habituellement qu’en présence d’un orchestre sur instruments d’époque. C’est en plus du tempérament du violoniste invité, l’indiscutable adaptabilité des musiciens de l’Orchestre National de Lille qui se révèle ainsi, déployant d’indiscutables qualités interprétatives. Accomplissement d’autant mieux partagé que l’audience réunie ce soir, accueille pas moins de 700 jeunes. Belle exemple de sensibilisation du classique. Gageons qu’à l’écoute d’une telle Italienne, nombre d’entre eux auront succombé à la magie orchestrale.

 

 

 

 

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CRITIQUE, concert. LILLE, le 12 février 2025. MENDELSSOHN : Les Hébrides, Concerto pour violon, Symphonie n°4 « italienne », Orchestre National de Lille. DAVID GRIMAL, violon / Toutes les photos © Ugo Ponte / ONL Orchestre National de Lille 2025.

CRITIQUE, concert. BESANCON, Théâtre Ledoux, le 13 février 2025. ADAMS / HAYDN. Quatuor Akos, Orchestre Victor Hugo Franche-Comté, Catherine Larsen-Maguire (direction)

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Jeudi 13 février, l’Orchestre Victor Hugo Franche-Comté rendait hommage au Doubs, berceau du savoir-faire horloger français, avec un programme où le temps s’invite en musique. Sous la direction inspirée de Catherine Larsen-Maguire, l’ensemble a exploré le tic-tac des horloges et le dialogue entre passé et présent.

 

Dès les premières mesures de Tromba Lontana de John Adams, le concert s’ouvre sur un jeu subtil entre les percussions et le piano, où chaque note semble marquer un battement d’horloge. Loin d’être figée, la mécanique musicale se déploie avec fluidité, comme un engrenage bien huilé. La cheffe insuffle un souffle organique à l’œuvre, évitant l’écueil d’une interprétation trop rigide, les trompettes de Florent Sauvageot et Patrick Marzullo placées en arrière-scène comme demandé par le compositeur ajoutant des éclats lumineux à l’ensemble, tout en soulignant l’aspect presque mécanique de cette partition.

 

Avec Absolute Jest, Adams joue un jeu plus nerveux sur le rythme, empruntant un tic-tac effréné à Beethoven et intégrant des fragments de symphonies et de quatuors du compositeur. L’œuvre repose sur un jeu perpétuel de boucles rythmiques, créant une tension vibrante et nerveuse. Les motifs beethovéniens, démultipliés et transformés, deviennent les rouages d’une machine musicale complexe. Cette fusion audacieuse entre héritage classique et modernité offre une expérience sonore captivante et immersive. Absolute Jest fait partie des rares œuvres conçues spécifiquement comme un concerto pour quatuor à cordes et orchestre, s’inscrivant dans une lignée peu explorée depuis les Concerti Grossi. Le Quatuor Akos (Alexis Gomez, Aya Murakami, Katya Polin et Cyrielle Golin), qui célèbre cette année ses 10 ans d’existence, s’empare de la partie soliste de cette œuvre avec une énergie jubilatoire, rendant hommage à Beethoven dans un dialogue tendu et fascinant avec l’orchestre. Ce scherzo des temps moderne ne leur donne aucun répit et c’est ensemble qu’ils franchissent la ligne d’arrivée sous les bravos d’un public en haleine. En bis, le quatuor offre une interprétation lumineuse du troisième mouvement du 16e quatuor de Beethoven, un moment suspendu où le fil mélodique se tend et se détend dans une expressivité magnifique – ce qui nous réjouit, apprenant que le prochain disque du Quatuor sera consacré à Absolut Jest et au dernier quatuor de Beethoven !

 

Pour conclure le programme, l’orchestre suspend le temps avec la Symphonie n°101 de Josef Haydn, surnommée « L’Horloge« , pour son célèbre tic-tac du deuxième mouvement. La phalange franc-comtoise, précise et nuancée, fait ressortir avec délicatesse ce battement régulier, donnant à l’œuvre une respiration vivante et enjouée. Le concert, oscillant entre la rigueur mécanique et la liberté d’interprétation, a été sublimé par la précision et l’énergie de l’orchestre. Chaque œuvre a illustré à sa manière l’inexorable avancée du temps et la beauté des rouages musicaux en mouvement. Un hommage aussi poétique que précis au savoir-faire horloger du Doubs, salué par un public conquis !

 

 

 

 

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CRITIQUE, concert. BESANCON, Théâtre Ledoux, le 13 février 2025. ADAMS / HAYDN. Quatuor Akos, Orchestre Victor Hugo Franche-Comté, Catherine Larsen-Maguire (direction). Crédit photographique © droits réservés

RADIO CLASSIQUE, le 22 fév 2025, 20h : récital de JAEDEN IZIK-DZURKO, piano. MEDTNER, RAVEL [Miroirs]…

Distingué en ce DÉBUT D’ANNÉE 2025, le pianiste canadien Jaeden Izik-Dzurko est à l’affiche de l’Auditorium de la Fondation Louis Vuitton, samedi 22 février à 20h – le concert [réalisé le 30 janvier dernier] est diffusé sur Radio Classique.

 

Dans le cadre des récitals Piano nouvelle génération de la Fondation Louis Vuitton, le pianiste canadien Jaeden Izik-Dzurko défendait le 30 janvier 2025, son premier grand concert publique en France. Agé de 26 ans, auréolé de plusieurs prix internationaux, Jaeden Izik-Dzurko interprète la Sonata Minacciosa du compositeur russe Nikolaï Medtner. Sous-titrée Orageuse, la Sonate a été écrite au début des années 1930.

 

Puis le pianiste joue Miroirs de Ravel [dont le fameux Alborada del gracioso…]. Achevée en 1906, la suite comprend cinq pièces, particulièrement inventives sur le plan harmonique, chacune dédiée à l’un des membres du Groupe des Apaches auxquels appartenait l’inclassable Ravel…

 

 

Enfin le récital événement s’achevait avec la redoutable Sonate n°1 de RACHMANINOV, créée à Moscou en 1908. L’ auteur, lui-même pianiste exceptionnel, en parlait comme d’une œuvre « absolument sauvage et indiciblement longue. » A l’instar de la Sonate en si mineur de Liszt, ses trois mouvements, Allegro moderato, Lento et Allegro molto, rendent directement hommage au Faust de Goethe. Chacun des 3 mouvement évoque respectivement Faust, Marguerite et Méphistophélès.

 

 

 

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RADIO CLASSIQUE, le 22 fév 2025, 20h : récital de JAEDEN IZIK-DZURKO, piano. MEDTNER, RAVEL [Miroirs]…

Le plus : l’écoute en numérique, grâce au DAB+, est possible à Paris et dans de nombreuses autres villes de France.

Plus d’infos / écouter la diffusion : https://www.radioclassique.fr/

 

 

LIRE AUSSI notre présentation annonce du récital du pianiste canadien Jaeden Izik-Dzurko à la Fondation L. VUITTON [30 janvier 2025] : https://www.classiquenews.com/fondation-louis-vuitton-recital-de-piano-sophia-shuya-liu-16-janvier-2025-chopin-liszt/

 

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Conservatoires NSMD de Paris et de Lyon. Grève des accompagnateurs pour la revalorisation de leur salaire

Les enseignants des Conservatoires nationaux supérieurs de Paris et Lyon se mobilisent autour du statut et de la rémunération des accompagnateurs dont les salaires sont endeça de leur rôle crucial dans le fonctionnement pédagogique

 

Dans un communiqué daté de février 2025, la représentation des accompagnateurs mobilisés expose la situation et identifie les nombreux points à améliorer et à résoudre : Grille de salaire remontant à 2009, heures de travail non prise en compte, sous valorisation de la fonction d’accompagnateur,…

 

Communiqué des accompagnateurs mobilisés

Les Conservatoires Nationaux Supérieurs de Musique et de Danse (CNSMD) de Paris et Lyon, dont l’excellence est mondialement reconnue, attendent depuis 2009 un arrêté ministériel fixant leurs conditions de recrutement et de rémunération. Les grilles de salaire de ces enseignants datent de 2003 et ne reflètent absolument pas le niveau de qualification et d’expérience artistique exigés pour exercer dans un établissement supérieur.

A titre d’illustration, la situation des enseignants accompagnateurs est particulièrement scandaleuse. Engagés à un niveau de Master, leur grille de rémunération est composée de 4 niveaux, les deux premiers n’étant plus utilisés car ils sont inférieurs au SMIC !
Ainsi, le salaire inscrit dans leur grille pour un temps complet (18 heures hebdomadaires devant étudiants) à l’entrée en fonction, est d’environ 1331€ net ; la fin de la grille est atteinte en 7 ans pour un salaire d’environ 1650€ net.

Conséquence honteuse de ce blocage salarial : les enseignants accompagnateurs de ces deux grandes écoles françaises sont les moins bien payés de France !
Pourtant, en vertu de l’article 2 du décret n°2009-201 du 18 février 2009, un enseignant accompagnateur est chargé de dispenser, dans un CNSMD, un enseignement de haut niveau spécialisé en musique ou en danse.

Les missions qui lui sont confiées exigent de lui qu’il remplisse deux fonctions : expert et enseignant. Expert de son instrument (le plus souvent le piano), il enseigne l’interprétation des œuvres à des étudiants non-pianistes (chanteurs, instrumentistes ou danseurs). Il joue avec et forme des étudiants de grade master et dispose lui-même d’un niveau de qualification Bac+5. Les enseignants accompagnateurs des CNSMD incarnent, comme leurs autres collègues enseignants, l’excellence et l’exigence portées par ces établissements. Ils en sont chaque jour les garants, dans le travail au quotidien, pendant les cours, mais également les ambassadeurs lors des nombreuses manifestations publiques (concours, auditions, séances d’enregistrement parfois filmées).

Ils accompagnent les pièces les plus difficiles du répertoire (sonates, concertos, airs d’opéra, ensembles vocaux…), déchiffrent à vue et transposent les partitions de leurs élèves, enseignent à des étudiants de très haut niveau dans les deux écoles les plus prestigieuses de France, s’exposent régulièrement lors d’auditions, concerts et examens, au prix d’un engagement physique et mental conséquent et d’un temps de préparation qui excède de très loin les heures prévues pour un temps complet, le tout au terme de très longues études (souvent jusqu’à 10 ans).

A l’heure où nous écrivons, 16 ans après la publication du décret portant statut des conservatoires et l’obligation légale de créer pour les enseignants un cadre d’emploi en lien avec l’enseignement supérieur, une négociation s’est enfin ouverte au ministère de la culture afin de produire des grilles de salaire et des déroulés de carrière adaptés.
Cependant, non content de proposer une grille de rémunération insuffisante au vu des qualifications et des missions des enseignants en conservatoire supérieur, le ministère ne propose de reprendre leur ancienneté que de quatre ans.

Ainsi, un enseignant accompagnateur exerçant au CNSMD depuis 30 ans (c’est à dire arrivé au dernier échelon de sa grille au bout de sept années, et gagnant par conséquent 1650€ net depuis… 23 ans !), se voit, avec une si faible reprise d’ancienneté, reclassé presque au même titre qu’un nouvel arrivant, dans les premiers échelons de la nouvelle grille. Il aura une augmentation insignifiante et devra attendre de longues années pour accéder au salaire qu’il devrait légitimement gagner dès 2025… à condition bien sûr qu’il lui reste assez d’années à travailler avant la retraite ! Ce qui est inenvisageable au vu de la durée de 30 ans des nouvelles grilles proposées par le ministère.

Pour tous ceux d’entre nous qui travaillent depuis 10, 20 ou 30 au CNSMD (nous sommes nombreux dans ce cas), cette proposition de reprise d’ancienneté inacceptable implique que notre expérience, notre engagement et notre fidélité à l’établissement ne valent rien aux yeux de notre tutelle. Comment mieux signifier aux enseignants accompagnateurs qu’on les considère comme une sous-catégorie de travailleurs que l’on peut exploiter à volonté ? La situation est en train de se durcir sérieusement : un préavis de grève a été déposé ce mercredi 5 février 2025.

Fin du communiqué

 

À suivre

Plus d’infos : https://www.facebook.com/p/Musiciens-accompagnateurs-des-Cnsmdp-et-Cnsmdl-61572917675606/

STREAMING OPÉRA, ce soir 14 février (à 19h). VON EINEM : Le procès [1953] d’après « Le Procès » de Franz Kafka [Vienne, Kammeroper]

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Ce soir, OperaVision est à Vienne pour Der Prozess, opéra de chambre d’après Le Procès de Franz Kafka, composé par Gottfried von Einem en 1953. Intégrant échos de jazz et dodécaphonisme, la partition décrit subtilement le climat de terreur qui innerve le roman de Kafka. La nouvelle production du MusikTheater an der Wien est dirigée par Walter Kobéra et mise en scène par Stefan Herheim.

 

Quelqu’un avait bien dû calomnier Josef K., car un matin, sans qu’il n’ait rien fait de mal, il fut arrêté. » C’est ainsi que s’ouvre le célèbre roman de Franz Kafka, Le Procès. L’opéra éponyme de Gottfried von Einem commence de la même façon, par cette mystérieuse arrestation. Josef K. se retrouve soudain dans un monde qu’il ne comprend pas, confronté à une accusation dont il ne sait rien mais qui est évidente à tous les autre ; S’en suit un procès absurde qui est régi par des règles strictes ; une arrestation qui semble n’avoir aucun effet sur sa vie et qui pourtant le conduit à la mort. Qu’a donc fait Josef K.? Est-il victime d’une conspiration ou sa croyance en une conspiration est-elle la seule explication d’un monde INCOMPRÉHENSIBLE ? Fidèle aux thèmes qui traversent toute son œuvre, Kawka imagine le basculement et la chute du héros dans un monde cauchemardesque sur lequel il n’a aucun contrôle.

 

L’opéra de Gottfried von Einem a été créé en 1953, alors que la popularité de l’œuvre de Kafka atteignait son premier sommet. Sa musique se caractérise par des pulsations rythmiques, des structures récurrentes, des échos de jazz et de dodécaphonisme : elle exprime le sentiment d’angoisse et la terreur qui règne dans le roman, tout en intégrant aussi l’humour grotesque, délirant, absurde du texte kafkaien.

 

 

 

 

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OperaVision
Vendredi 14 février 2025, 19h
MUSIKTHEATER AN DER WIEN, KAMMEROPER WIEN

Der PROZESS / Le PROCÈS
GOTTFRIED VON EINEM

Voir Le Procès de Gottfried von Einem : https://operavision.eu/fr/performance/der-prozess

 

 

Représentation enregistrée le 12 déc 2024

CRITIQUE, opéra. BRUXELLES, Théâtre Royal de la Monnaie (du 4 février au 2 mars 2025). WAGNER : Le Crépuscule des Dieux. I. Brimberg, B. Register, A. Ainger… Pierre Audi / Alain Altinoglu

La Tétralogie de Richard Wagner présentée par La Monnaie de Bruxelles a suscité de vives réactions, notamment en raison des choix audacieux et du départ précipité du metteur en scène Romeo Castellucci après La Walkyrie. Les raisons de son retrait restent floues, alimentant les discussions pour les années à venir. Pierre Audi a été appelé en urgence pour reprendre les rênes, décidant de s’éloigner du travail de son prédécesseur. Après un Siegfried réussi malgré les contraintes de temps, l’attente était grande pour ce Crépuscule des dieux.

 

Pierre Audi a brillé en optant pour une approche à la fois stylisée et fidèle à l’œuvre originale, respectant scrupuleusement les indications de Wagner. Les personnages sont incarnés avec justesse : Siegfried en héros intrépide, Brünnhilde en walkyrie déchue, les Gibichungen en ambitieux manipulateurs, et Hagen en figure de haine pure. La direction d’acteurs, précise et nuancée, permet une immersion totale dans l’histoire, évitant les écueils d’un réalisme simpliste. La stylisation est l’autre pilier de cette production. Des formes géométriques, des éclairages somptueux et des costumes intemporels évoquent les mises en scène épurées de Wieland Wagner. Certaines images marquent durablement : les Nornes enveloppées dans des cocons métalliques, le dialogue halluciné entre Hagen et Alberich, ou encore les Filles du Rhin drapées dans des vagues lumineuses. Seul bémol : la fin, où l’embrasement du Walhalla manque un peu de grandeur. Cependant, le retour des Filles du Rhin, souvent sacrifié dans d’autres productions, est une touche appréciée. Certains ont regretté l’absence de « déconstruction » ou de « distance critique », mais cette version, à la fois traditionnelle et rafraîchie, offre une beauté naïve et envoûtante.

Les chanteurs réunis à Bruxelles s’avèrent à la hauteur. Bryan Register incarne un Siegfried lyrique et touchant, bien que parfois limité en puissance. Ingela Brimberg, en Brünnhilde, déploie une voix puissante et expressive, malgré une fatigue perceptible dans l’immolation finale. Ain Anger, en Hagen, est une révélation, avec une présence scénique et une voix sombre qui captivent. Les Gibichungen, interprétés par Andrew Foster-Williams et Anett Fritsch, sont tout aussi convaincants, tout comme Nora Gubisch en Waltraute, ainsi que les 3 Nornes et les 3 Filles du Rhin, toutes impeccables dans leurs rôles respectifs.

La direction musicale d’Alain Altinoglu est un autre point fort. L’Orchestre symphonique de La Monnaie livre une performance d’une richesse et d’une précision remarquables, rappelant la tradition bayreuthienne. Altinoglu sait équilibrer les forces orchestrales avec les voix sur scène, créant des moments de poésie pure, comme le prologue avec les Nornes, ou des envolées lyriques, comme la scène des Filles du Rhin. 

Malgré quelques imperfections, cette production s’impose comme l’une des plus belles des dernières années au Théâtre Royal de la Monnaie. La mise en scène de Pierre Audi, bien que moins audacieuse que celle de Castellucci, reste cohérente et efficace, servie par une distribution et une direction musicale de haut vol. Le public, debout à la fin, a salué chaleureusement cette réussite, marquant ainsi la fin d’une aventure artistique mémorable.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. BRUXELLES, Théâtre Royal de la Monnaie (du 4 février au 3 mars). WAGNER : Le Crépuscule des Dieux. I. Brimberg, B. Register, A. Ainger… Pierre Audi / Alain Altinoglu. Toutes les photos © Monika Rittershaus

 

32èmes VICTOIRES DE LA MUSIQUE, mer 5 mars 2025, en direct de l’Opéra de Rouen. Révélations, Victoire d’honneur (Natalie Dessay).…

Accompagnés par toutes les équipes de l’Opéra de Rouen qui accueille en direct la cérémonie, quels sont les artistes d’exception, stars du classique ou en devenir au sein de la jeune génération, prochainement distingués par le trophée d’une Victoire ? Réponse ce mercredi 5 mars 2025 à partir de 21h10, pour les 32èmes Victoires de la musique classique, en direct sur France 3 et France Musique.

 

Chaque édition des Victoires de la Musique Classique promet une grande fête, diverse, mêlant émotions et célébrations. Cette cérémonie 2025 devrait s’ouvrir avec une séquence dansée, chorégraphiée par Mehdi KERKOUCHE, avec les danseurs de sa compagnie [et des enfants du Conservatoire de Rouen, Grand-Couronne et Petit-Couronne] . Ex diva assoluta, Natalie DESSAY, – artiste la plus récompensée des Victoires de la Musique Classique-, recevra une Victoire d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, tandis que le ténor Benjamin BERNHEIM, lauréat 2020 et 2024, renouvelle sa présence cette année. A l’honneur en particulier aussi, les 3 Victoires  « Révélations » (instrumentiste, chanteur, chef d’orchestre), véritable ADN de l’événement, ainsi qu’un focus réservé au jeune prodige, Lucas CHICHE (13 ans).

 

Anciennes Révélations, les pianistes Ismaël MARGAIN et Guillaume BELLOM interprètent un extrait du concerto pour deux pianos de POULENC sous la direction de Victor JACOB (Révélation Chef d’Orchestre 2023). Sont aussi annoncés : la harpiste Anja LINDER, aux côtés de la flûtiste Juliette HUREL, les pianistes Lydia JARDON et Alexandra MATVIESKAYA (dans un extrait du Chant du Soleil pour piano à quatre mains, de la compositrice Florentine MULSANT, lauréate dans la catégorie Compositeur.trice l’an dernier).

 

Cette 32ᵉ édition célèbrera également plusieurs anniversaires majeurs : les 300 ans des Quatre Saisons, les 150 ans de la disparition de BIZET et de la création de Carmen, ainsi que les 10 ans de la disparition de Pierre BOULEZ, sans oublier un hommage à la soprano Jodie DEVOS, fauchée tragiquement l’an dernier.

 

La cérémonie sera présentée en duo par Stéphane BERN et Clément ROCHEFORT. Avec l’Orchestre de l’Opéra Normandie Rouen sous les baguettes de Ben GLASSBERG et Victor JACOB.

 

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Les Victoires de la Musique classique 2025
Opéra de Rouen
Mercredi 5 mars 2025 à 21h10
En direct sur France 3, france.tv et France Musique

 

PLUS d’INFOS sur le site des Victoires de la musique classique 2025 : https://www.lesvictoiresdelamusique.fr/victoires-classique.php

 

Nominations des 32ème Victoires de la musique classique

 

Soliste instrumental

Lucile Boulanger, viole de gambe
Nemanja Radulovic, violon
Justin Taylor, clavecin

 

Artiste lyrique
Adèle Charvet, mezzo-soprano
Stéphane Degout, baryton
Lucille Richardot, mezzo-soprano

 

Rélévation, soliste instrumental
Lorraine Campet, contrebasse
Iris Scialom, violon
Paul Zientata, alto

 

Révélation, artiste lyrique
Floriane Hasler, mezzo-soprano
Julien Henric, ténor
Julie Roset, soprano

 

Révélation, chef d’orchestre
Simon Proust

 

Compositeur
Régis Campo / Dance floor with Pulsing
Francesco Filidei / Squeak boum !
Benoît Menut / La Nuit obscure

 

Enregistrement
La messagère, un portrait de la viole de gambe (Lucile Boulanger, alpha classics)
Offenbach : La vie parisienne / Bru Zane
Geroge Benjamin « Picture a day like this / Nimbus records

 

 

PLUS d’infos sur les nominations 2025 : ici https://www.lesvictoiresdelamusique.fr/docs/Nominations_des_32mes_Classique_2025.pdf

 

 

 

 

Palmarès 2025

 

Artiste lyrique
Lucile Riccardo

Révélation Artiste lyrique :
Julie Roset

Soliste instrumental :
Lucile Bulanger, viole de gambe

Révélation Soliste instrumental :
Lorraine Campet, violoncelle

Révélation Chef d’orchestre
Simon Proust

Compositeur
Régis Campo pour Dancefloor with pulsing

Enregistrement de l’année
GEORG BENJAMIN pour A Picture like this (Nimbus records)

OPÉRA NATIONAL DU CAPITOLE DE TOULOUSE, jeudi 6 mars 2025, récital Michael Volle, baryton : Lieder de Schubert et Liszt

Baryton vedette, Michael Volle vient enfin à Toulouse ! Ce jeudi 6 mars 2025 (20h) au Théâtre du Capitole ; il est aussi recherché sur les scènes lyriques que trop rare en France… Absence réparée grâce au récital exceptionnel à l’affiche du Capitole de Toulouse.

 

Puissance, couleur, richesse harmonique, diseur exigeant, acteur convaincant, Michael Volle ne cesse de marquer les grands rôles wagnériens et straussiens, mais aussi le
répertoire italien et français. Le champion de l’opéra est aussi, un diseur qui impressionne tout autant dans l’art du lied (équivalent de la mélodie française) : style, nuances, intelligibilité, le chanteur ne manque pas de qualités dans ce genre particulièrement exigeant. Le programme comprend autour des lieder de Franz Schubert, les mélodies de Franz Liszt. Michael Volle a bâti son récital toulousain comme une traversée dans les replis les plus profonds de l’âme romantique dont l’orfèvre du chant sait exprimer troubles et vertiges émotionnels.

 

L’actualité lyrique du baryton est cette année encore particulièrement riche. Pendant la saison 2024 – 2025, chez Wagner, Michael Volle se produit notamment dans le rôle du
Hollandais volant à Dresde, de Wotan et du Wanderer (L’Anneau du Nibelung) à Milan ; chez Richard Strauss, il incarne Barak (La Femme sans ombre) à New York, Mandryka (Arabella) à Vienne et Jochanaan (Salomé) à Londres. Cet été, il retournera à Bayreuth dans le rôle sublime du souverain damné, langoureux Amfortas (Parsifal). Parmi ses autres rôles figurent aussi Hans Sachs (Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg de Wagner) ; chez Puccini : Scarpia (Tosca), Jack Rance (La Fanciulla del West), sans omettre Falstaff de Verdi et Don Giovanni (Mozart).

Photo : portrait Michael Volle © Carsten Sand

 

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THÉÂTRE DU CAPITOLE
Récital Michael Volle, baryton
Sarah Tysman, piano
JEUDI 6 MARS 2025, 20h
RÉSERVEZ vos places directement sur le site du Théâtre du Capitole de Toulouse : https://opera.toulouse.fr/michael-volle/
Tarif unique : 20 €

opera.toulouse.fr
+33 (0)5 61 63 13 13

 

 

Programme :

SCHUBERT
Der Taucher, D. 77
Trois Lieder sur des poèmes de Métastase, D. 902
L’incanto degli occhi –
Il traditor deluso –
Il modo di prender moglie

LISZT
Trois Sonnets de Pétrarque, S. 270
Benedetto sia’l giorno –
Pace non trovo –
I’ vidi in terra angelici costumi
Im Rhein, im schönen Strome, S. 272
Vergiftet sind meine Lieder, S. 289
Der du von dem Himmel bist, S. 279/3
Es rauschen die Winde, S. 294
Freudvoll und leidvoll, S. 280
Ihr Glocken von Marling, S. 328
Die drei Zigeuner, S. 320

 

 

Michael Volle sur CLASSIQUENEWS : nous y étions (Arabella, Opéra Bastille, juin 2012 / La Femme sans ombre, TCE, fev 2020) – au CD : Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, Bayreuth 2008)… En lire plus : https://www.classiquenews.com/?s=michael+volle

 

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CRITIQUE, opéra. TRONDHEIM, Salle de concert de la Loge, le 30 janvier 2025. ORLANDINI : Arsace. A. Hallenberg, L. Garcia, G. Bridelli, L. Johnson, A. Yvoz… Orkester Nord, Martin Wahlberg (direction)

Au cœur des frimas sillonner les airs vers la demeure de l’hiver n’est pas une tâche aisée, mais elle demeure envoûtante. Par-delà les cols engourdis dans leur rêve de glace des montagnes norvégiennes, le soleil de Munch explose en mille feux orangés. Au large, les montagnes croisent leurs avant-bras puissants face aux tempêtes pour bercer dans la quiétude du fjord, le bijou serti de glace de la ville de Trondheim.

L’ancestrale cité portuaire flottant dans l’azur profond de sa baie recueillie lance aux lumières boréales son clocher vert-de-gris comme un doigt pointé vers les étoiles polaires.

 

 

Telle est le lieu où chaque année se déroule le fabuleux Festival baroque de Trondheim sous la lumière dorée et blanche de fin janvier. Outre la ville qui est un trésor de patrimoine bâti et d’un grand dynamisme, la manifestation baroque dirigée par le chef d’orchestre et directeur artistique Martin Wahlberg, est un des rares festivals scandinaves à s’engager dans la redécouverte et le renouvellement du répertoire. Après avoir enregistré des magnifiques opéras comiques de Grétry et de Duni, Martin Wahlberg et son magistral Orkester Nord se sont lancés dans une aventure formidable, la recréation en première mondiale de l’Arsace de Giuseppe Maria Orlandini. 

 

Orlandini est passablement oublié au XXIème siècle et c’est dommage, c’en est même une faute. De son vivant Orlandini a été l’un des compositeurs les plus estimés et célébrés par ses contemporains. Händel, Mattheson, Vivaldi, Porpora et même des esprits tels que Burney lui reconnaissaient à la fois du génie mélodique et une inventivité sans limites. Laborde en parlait en termes élogieux « très habile Professeur, d’un mérite reconnu par tous les connaisseurs. » Giuseppe Maria Orlandini a composé des opéras et des intermezzi repris partout en Europe et même en France, en pleine révolution ramiste. 

 

En 1715, Orlandini met en musique le livret d’Antonio Salvi, Amore e maestà, inspiré directement d’une tragédie de Thomas Corneille, Le comte d’Essex (1678). Cette tragédie conte les amours malheureuses d’Elizabeth Ière d’Angleterre et Robert Devereux. Sujet opératique par excellence notamment repris par Gaetano Donizetti de la pièce d’Ancelot en 1837 dans son Roberto Devereux qui revient de temps en temps sur les plateaux de diverses maisons en Europe et aux Amériques.

Pour sa reprise à Londres en 1721, sous l’impulsion de Händel, cet opéra sera adapté par Paolo Rolli dans la Perse Achéménide sous le nom d’Arsace. Libérée par diplomatie de toute allusion à la grande Elizabeth et ses amours automnales, Arsace a rencontré un certain succès, c’est cette version que Johann Mattheson adaptera à Hambourg en 1722. Malgré tout le travail de Rolli, on reconnaît tout de même le destin funeste du comte d’Essex avec la même intensité que dans l’opéra de Donizetti ou l’iconique film de Michael Curtiz avec Bette Davis et Errol Flynn.  

Arsace est une des ces œuvres qui peuplent les rayons des bibliothèques et qui sont injustement ignorées au profit des sempiternelles reprises des mêmes titres. Ce fichu quart d’heure que subissent de tels trésors de l’intelligence humaine n’a rien à voir avec la qualité qui leur est propre mais avec une indifférence qui raye dans la sottise et la béotie. Heureusement que des artistes tels que Martin Wahlberg et son équipe se sont emparés de cet Arsace pour le faire revenir en version concert et le rendre à la postérité. A l’écoute de cette œuvre on comprend aisément les raisons de son succès et l’admiration sincère que suscitait Orlandini à son époque. En plus de la richesse de l’orchestration, l’inventivité innovante des mélodies, cet Arsace se finit avec un immense récit accompagné sublime de dramatisme digne du « Quel sangue versato » de la version donizettienne et du close-up final du film de Curtiz. Cet Arsace devrait figurer dans toutes les saisons face à la trilogie des reines ou au Gloriana de Britten. Nous saluons l’audace enthousiasmante de Martin Wahlberg, ses musiciennes et musiciens et le staff du Festival baroque de Trondheim. 

 

« Robert, I don’t know which I hate the most, you for making me love you or myself for needing you so much » (Michael Curtiz – The Private lives of Elizabeth and Essex : Warner Bros, 1939)

 

Ce drame aux dimensions épiques a été porté par une distribution de grand talent. Dans le rôle de Statira, avatar d’Elizabeth Ière, c’est la reine incontestée du baroque Ann Hallenberg qui a incarné le rôle le plus exigeant de la partition. Digne de Bette Davis ou de Beverly Sills, Ann Hallenberg a su donner une interprétation musicalement extraordinaire et dramatique qui s’est parachevée dans la grande scène de remords à la conclusion de l’opéra. Face à elle, l’Arsace/Devereux est la mezzo-soprano Lorrie Garcia à la voix profonde, le timbre riche et agile qui a su capter le rôle pathétique de l’amant jeune proie de son destin et de ses amours funestes. Objet de la convoitise d’Arsace, Rosmiri est interprétée par la sublime soprano Lina Johnson. Avec une tessiture parfaite pour le rôle, une ligne vocale d’une pureté éclatante et un sens parfait de l’ornementation et de la déclamation, Lina Johnson a porté Rosmiri a des hauteurs dignes des plus grandes soprani de tous les temps. Dans le rôle de Megabise, la fantastique Giuseppina Bridelli a fait des merveilles tant vocales que dramatiques, elle montre dans tous les rôles qu’elle s’approprie un sens du théâtre qui sait toucher exactement et transmet l’émotion juste, une qualité des plus grands artistes. Anaïs Yvoz est un nom à retenir avec un timbre riche de contrastes dans le rôle de Mitrane, espérons l’entendre encore bientôt. Dans le rôle extrêmement exigeant d’Artabano, le ténor italien Valentino Buzza a déployé une bravoure renversante dans les airs qu’Orlandini a réservé à un rôle héroïque probablement conçu pour le ténor Alexander Gordon qui maîtrisait le canto di sbalzo

Martin Wahlberg et son Orkester Nord ont donné à cette recréation une richesse de timbres, une précision hors pair et une énergie formidable. Cet orchestre aux talents multiples mérite une tournée en France et en Europe, vivement qu’on les entende avec cet Orlandini dans les plus belles scènes. Oui, interpréter et défendre des œuvres rares comporte plusieurs risques dans notre monde soumis à la barbare divinité économique, mais l’audace paiera toujours davantage que la lâcheté. Bravo alors à Martin Wahlberg et son orchestre dans cette envie de battre en brèche les présupposés et de rendre à Orlandini la voix que le destin lui avait enlevée. 

A la fin du séjour à Trondheim, alors que les flocons d’une neige couvrit de silence les toitures heureuses de la ville, sur les bords du fjord des cygnes de Berwick s’ébrouaient et les eaux berçaient les nuées chargées de doux coton dans un clapotis ineffable. Au loin, par delà les remparts escarpés l’océan infini semblait prendre la voix de Victor Hugo dans sa Légende des Siècles :

« Ma plaine est la grande plaine ;

Mon souffle est la grande haleine

Je suis terreur ; J’ai tous les vents de la terre pour passants

Et le mystère pour laboureur”

 

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. TRONDHEIM, Salle de concert de la Loge, le 30 janvier 2025. ORLANDINI : Arsace. A. Hallenberg, L. Garcia, G. Bridelli, L. Johnson, A. Yvoz… Orkester Nord, Martin Wahlberg (direction). Crédit photo © Droits réservés

CRITIQUE, concert. STRASBOURG, Salle Erasme, le 6 février 2025. MENDELSSOHN / BRUCKNER. Orchestre philharmonique de Strasbourg, Liya Petrova (violon), Michael Sanderling (direction)

Pour ce concert du 6 février, à la Salle Erasme du Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg, ce sont Felix Mendelssohn (Concerto pour violon N°2) et Anton Bruckner (Symphonie N°4) qui sont mis en miroir, avec la délicieuse violoniste bulgare Liya Petrova et la grand chef allemand Michael Sanderling.

 

Extrêmement à l’aise avec la partition, Liya Petrova joue de façon brillante et enlevée ce Concerto parmi les plus joués de la littérature violonistique. Rien ne lui résiste, et elle avale les mesures, bondit de trilles en trilles, offrant ce qu’il faut de vibrato, tout en sculptant de son archet frétillant – aussi prompt à la caresse qu’aux puissantes attaques de cordes – une interprétation qui restera dans les mémoires. Le magnifique Orchestre Philharmonique de Strasbourg, sous la battue aussi attentive qu’énergique du maestro berlinois, accompagne merveilleusement le soliste, et veille à une cohésion et une rigueur rythmique remarquables tout au long de la pièce. En bis, la violoniste étant très amis avec la violoniste solo et le violoncelliste solo de la phalange alsacienne, elle donne tour à tour en leur compagnie deux courtes pièces de Bartok.

Après l’entracte, place à la fameuse 4ème Symphonie d’Anton Bruckner, dite “Romantique”, la seule de ses 9 opus symphoniques à posséder un titre, et qui est peut être l’une des raisons de son succès dans les programmations symphoniques. Dès le début du frémissement subtil des cordes et le chant du cor solo, la magie opère. Cette œuvre si complexe et longue nous entraîne dans un voyage à la fois dans la nature, le temps, et l’espace. La manière dont la direction de Sanderling déroule une sorte de dramaturgie évidente, semble emporter les musiciens et le public à voir large et grand. Regard intérieur poétique également, sur la beauté de musique pure, même si des images naissent à chaque instant. L’entente entre le chef et l’orchestre est entier, et c’est donc comme d’un grand instrument que le chef peut jouer pour obtenir la subtile alchimie brucknérienne. Les superbes instrumentistes de l’OPS sont parfaitement équilibrés, sans rien céder à une qualité de jeu personnel ; c’est la manière de s’écouter et de se renforcer qui procure cette sécurité d’écoute de chaque instant : les violons 2 savent répondre aux sollicitations du chef, obtenant un parfait équilibre avec les violons 1, tandis que toutes les contrebasses créent, de leur côté, une pulsion matricielle d’une force incroyable, dont l’orchestre tout entier bénéficie. Enfin, les bois solo émeuvent, les cuivres impressionnent, et le drapé des cordes, d’un épais velours ou d’un tulle arachnéen, est un vrai régal. Le public alsacien ne s’y trompe pas et fait un triomphe tant au chef qu’aux merveilleux instrumentistes de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg !…

 

 

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CRITIQUE, concert. STRASBOURG, Salle Erasme, le 6 février 2025. MENDELSSOHN / BRUCKNER. Orchestre philharmonique de Strasbourg, Liya Petrova (violon), Michael Sanderling (direction). Toutes les photos © Grégory Massat

 

agenda

 

PROCHAIN CONCERT événement de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, le 7 mars 2025 :
www.classiquenews.com/orchestre-philharmonique-de-strasbourg-ven-7-mars-2025-wagner-sibelius-r-schumann-symphonie-n2-oksanna-lyniv-direction/

 

OPÉRA NATIONAL DU CAPITOLE DE TOULOUSE, mercredi 26 fév 2025. POULENC / COCTEAU : La Voix Humaine. Véronique Gens, soprano / Christophe Manien, piano

Récital piano / voix événement au Capitole de Toulouse. La voix humaine n’a pas d’équivalent dans le répertoire lyrique. Inspiré ou non de la figure de Callas, la partition interroge sur le plan formel les possibilités et le sens d’une voix seule ; elle pose un vrai défi pour les interprètes : autant pour la soliste qui doit, sur la durée, canaliser l’énergie, suivre la trame dramatique -, que pour l’orchestre, invité à structurer et rythmer, suivre et expliciter les méandres de ce labyrinthe émotionnel qui peu à peu, bascule vers le cauchemar et tourne aux pulsions suicidaires voire à la folie destructrice.

 

Monologue avec orchestre, ce « seule en scène » est construit avec une intelligence et une efficacité, affûtées au scalpel. « Elle », d’abord, affronte la réalité dans le mensonge : elle a dîné avec Marthe ; elle porte son chapeau noir et sa robe rose… ; puis confesse que c’est sa « faute » ; enfin s’écroule littéralement, en une mise à nu, et un effondrement psychique irréversible… La vérité déchire ce qui avait été maîtrisé jusque là : « Elle » avoue qu’elle s’est vue morte [les 12 cachets avalés avec un verre d’eau chaude] ; puis il y a la vision du chien qui lui fait peur… à torts évidemment. Toute la dernière partie est une descente aux enfers. Digne mais détruite,  » elle » accepte en une longue et lente agonie sa mise à mort. Ample lamento, La voix humaine est un vaste récitatif tragique et dépouillé dont l’orchestre scande la progressive déchéance sentimentale.

 

Véronique Gens l’a déjà chanté (entre autres avec l’Orchestre national de Lille / Lire notre critique ici La Voix Humaine de Cocteau par Véronique Gens, le 25 janv 2023 : https://www.classiquenews.com/critique-concert-lille-le-25-janvier-2023-poulenc-sinfonietta-la-voix-humaine-veronique-gens-orchestre-national-de-lille-alexandre-bloch-direction/ ). A Toulouse, la soprano aborde le mélodrame lyrique en format intimiste, accompagnée par le seul piano ( Christophe Manien). Cocteau exprime au plus près le désarroi d’une femme seule dans sa chambre, dont le parcours a voce solo la conduit à prendre conscience qu’elle doit renoncer à celui qu’elle aime encore. « Elle » murmure, supplie, comprend, accepte, résiste, espère… Lui reste muet de l’autre côté de la ligne.
Seule en scène, la cantatrice exprime toute en finesse et intelligibilité, les mille nuances d’un monologue dont elle incarne chaque jalon émotionnel, du sentiment d’abandon au recul de l’acceptation.

 

 

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Mardi 26 fév 2025, 20h
Opéra National du Capitole de Toulouse
Récital Véronique Gens
POULENC : La VOIX HUMAINE
RÉSERVEZ vos places directement sur le site du Théâtre National du Capitole de Toulouse : https://opera.toulouse.fr/veronique-gens-2496/
TARIF UNIQUE : 20 euros – Tout public
Véronique Gens, soprano
Christophe Manien, piano

 

 

 

approfondir

 

Véronique Gens a enregistré le chef d’œuvre de Poulenc et Cocteau – Critique sur CLASSIQUENEWS : Diseuse nuancée, Véronique Gens a la blessure requise et la couleur idéale, la maîtrise des respirations ténues, canalisées dans un murmure ou un sanglot, autant de signes d’une douleur incommensurable qui se réalise en éternels soupirs.  » Elle » requiert un parlando ciselé et une voix lyrique capable d’affronter l’orchestre. Présence, finesse, intensité… La diva française convainc de bout en bout et retrouve sur scène la cohérence comme la justesse de l’enregistrement paru le 13 janvier dernier. Son humanité qui respire et qui souffre sans fard renouvelle l’interprétation depuis la créatrice, muse de Poulenc, Denise Duval en 1959.  [CLIC de classiquenews]. Photo : © Ugo Ponte / ON LILLE Orchestre National de Lille 2023

 

CRITIQUE, concert. LILLE, le 25 janvier 2023. POULENC: Sinfonietta, La Voix humaine. Véronique Gens / Orchestre National de Lille, Alexandre Bloch (direction).

ENTRETIEN avec DANIEL KAWKA, chef d’orchestre à propos de son essai : « OSE, une poétique de l’orchestre « (livre à paraître chez EST Samuel Tastet Éditeur en avril 2025)

Fondateur de son propre orchestre « OSE », le chef Daniel Kawka publie un livre remarquable sur l’aventure orchestrale, nourri de sa propre expérience « OSE, une poétique orchestrale ». Odyssée sans précédents dans l’histoire symphonique hexagonale, OSE a réalisé un rêve musical, artistique et humain qui impressionne et inspire… Au moment où l’épopée se referme, l’heure est au bilan. Le maestro évoque ce qui l’a animé et porté ses années durant ; l’idéal ciblé, les rencontres stimulantes et fécondes, les programmes dont la plupart auront été source d’originalité et de refondation. En prélude à la parution de son livre événement, Daniel Kawka en répondant à nos questions, nous fait pénétrer dans les coulisses de la grande forge symphonique… Photo ci-dessus : grand portrait de Daniel Kawka © Felix Ledru

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CLASSIQUENEWS : De quelle « poétique » parlez-vous ? Qu’est ce qui est en jeu dans l’énoncé de ce titre ? 

DANIEL KAWKA : Une poiesis, où l’art d’émouvoir, de toucher au cœur du sensible, de parcourir des mondes d’évocations, de beauté, se décline, de la musique pure et abstraite à la grande forme narrative, à travers l’art des sons. La « Lyrique », aux sources de nos imaginaires s’invite comme matrice musicale et sonore de cette poétique de l’orchestre.

L’énoncé du titre invite à parcourir un récit retraçant les grandes lignes de forces d’une aventure artistique « extra-ordinaire », celle d’un dessein, où l’orchestre symphonique, comme entité structurée, se fond dans une relation intime et généreuse, entre artistes, œuvres, publics, lieux. Chaque programme de concert tisse un lien sensible entre les œuvres, l’acte d’interprétation sublime le geste instrumental, engage chaque musicien /poète à explorer la quintessence du son. L’expérience même de « Ose ! »s’est engagée sur une redéfinition de l’orchestre, de la pratique en orchestre, d’une respiration collective où l’audace et la créativité, l’esprit, ont présidé et participé à son succès. Il semblerait qu’il existe une autre voie, un autre champ et chant symphonique, une autre poétique sonore, ceux-là même explorés et décrits dans cet ouvrage.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Vous retracez une aventure orchestrale qui est à la fois humaine et artistique… Quels ont été les 2 ou 3 projets / programmes les plus exaltants / formateurs, avec le recul ?

DANIEL KAWKA : Nombreux sont les projets / programmes que vous découvrirez à travers la lecture du livre. Les plus exaltants mettent en perspective une œuvre connue, lui apportant de nouveaux éclairages, de nouvelles clés d’interprétation en la recontextualisant. Le programme « Miroir Ravel » donnait à entendre deux versions du Concerto en sol de Ravel. La première pour accordéon et orchestre. Insolite idée à priori, pour un résultat inouï ! l’accordéoniste Arnaud Methivier interprétait la partie de soliste, celle du piano originel, obligeant (en raison du timbre singulier d’un instrument plus intimiste) les instrumentistes à adapter leur jeu à un nuancier dynamique inhabituel, déclinant des trésors d’imagination pour trouver les couleurs sonores et les équilibres adéquats, à travers une écoute plus chambriste. Entresol, une création/commande de Laurent Mariusse servait, comme son titre l’indique, de pièce de concert intermédiaire réutilisant les thèmes du concerto dans une forme où l’improvisation permettait à chacun-e d’explorer l’univers mélodique et harmonique du compositeur, selon son imaginaire et sa fantaisie. Arrivant à l’original, toute une poétique du concerto, gourmande, audacieuse, s’engageait, fort d’une expérience collective qui avait, dirions-nous « chauffé à blanc » le désir de revenir à la source, ivre d’une expérience sensible et digitale, créatrice, dont l’œuvre bénéficia au centuple. Sous les doigts inspirants de Vincent Larderet : avec des pianissimi de rêve, un jeu flexible, sensible, félin, où l’exaltation des deux premières pièces, l’esprit de l’œuvre entrevus sous d’autres dimensions ouvraient l’espace d’une poétique ravélienne autre, sublime.
Pour conclure le concert fût donné dans une friche industrielle. Ce lieu insolite rajoutait une part d’incongruité et de mystère. Comme si, hors de la salle de concert qui calibre psychologiquement les œuvres comme objets esthétiques, les œuvres changeant d’espace, de destination, de public, se donnaient le droit d’exister et de sonner autrement.

Dans la même veine je citerais Ring ohne worte. Un Ring sans paroles que l’on doit à Lorin Maazel où l’œuvre trétalogique monumentale se déroule en une heure trente, au cours de laquelle nous avons réintégré un texte, parlé cette fois : celui de Siegfried, Nocturne, œuvre en prose d’Olivier Py, où UN poète de notre temps repense avec ses mots la tragédie de Siegfried, un Siegfried moderne, et avec lui de l’Allemagne de 1945. Les mots s’invitent, déclamés par le comédien Alain Carré, dans les interstices de la musique, et le Ring prend une autre coloration toute autre , il s’agit bien là d’une réécriture poétique, temps fort de la première édition du Léman Lyriques Festival consacré aux grandes pages wagnériennes.

Enfin selon le même principe Take a walk on the Wilde side, pour reprendre le célèbre titre de Lou Reed, avec wild (sauvage) revu en Wilde (Oscar le poète). Le plasticien Robert Nortik a créé un univers d’images et de mouvements chorégraphiques autour de Salomé. L’œuvre, la Tragédie de Salomé de Florent Schmitt ouvre la soirée. Toute l’histoire en est narrée en 25 mn, durée de l’œuvre, un ballet à l’origine. Puis à travers un subtil fondu enchainé de percussions, débute la danse des 7 voiles, célèbre page d’une autre Salomé, celle de Richard Strauss, et le drame se resserre alors sur la dernière partie de l’ouvrage, danse, trio, monologue de Salomé sur un continuum d’images diffusée en arrière-scène sur grand écran. Tout y est : la danse, le mouvement, l’image, l’histoire, l’opéra, le drame, l’orchestre vertigineux, le chant, le tout s’achevant sur ces accords d’orchestre terrifiants. Tout est dit.

Je ne peux omettre le spectacle Symbiose. Spectacle co-écrit avec Abdel Sefsaf. Le drame de la Méditerranée, relu sur fond de grève, vague légère heurtant le sable, comme une incantation, projetée en arrière-scène. Les musiques savantes de la Méditerranée (œuvres de compositeurs kabyle, libanais, palestinien, égyptien, grec), les textes lus de Darwich, De Luca, déclamés en arabe, français, se tissent avec le chant, la voix parlée du narrateur ; les styles se heurtent, entre musiques actuelles, instrumentarium au centre, avec la présence du groupe Aligator, l’orchestre disposé en V inversé. Le tout orchestré par Alexandros Markeas dont la création Mer / amère constitue l’acmée du spectacle. Bouleversant.

 

Festival Léman Lyrique © Lepresle

 

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Quel serait le fonctionnement idéal pour un orchestre ?

DANIEL KAWKA : Nous avons touché du doigt ce fonctionnement : répéter ! répéter encore et encore. Notre temps économique, économe, consumériste oblige à monter les programmes de concerts en un nombre réduit de répétitions. Nous avons tenté l’impossible : se donner les moyens de répéter d’avantage pour que l’esprit des œuvres, la conscience collective du son « cristallise », que l’oreille de l’orchestre soit une grande caisse de résonance où chacun-e a porté son attention aux quatre points cardinaux de l’orchestre, s’y ajuste et y love sa propre sonorité, au-delà de la médiation du geste du chef d’orchestre, tel un grand orchestre de chambre.
L’idéal, s’emparer collectivement des interprétations historiques des œuvres, travailler ainsi en pleine conscience sur les options, choix, intentions interprétatives. Enorme est le gain de temps, l’efficacité, l’acuité, l’esprit de recherche collective d’un son.
L’idéal c’est le café et les croissants le matin à la pause, le salaire du chef ajusté sur celui des musiciens, ou mieux encore ! le salaire des musiciens ajustés sur celui de chef !
Les répétitions en une salle de haute tenue acoustiquement, alternant avec des répétitions en des lieux divers, cette épreuve de jeu à l’aune des acoustiques change les angles d’écoute, modifie les modes de jeu, enrichissent l’œuvre à travers des « entrées » différentes. De plus ces salles (l’orchestre Ose ! a ainsi œuvré dans un pôle de théâtres en Rhône-Alpes) accueillent des publics variés, publics présents à chaque répétition. Grande est l’émulation des répétitions publiques, commentées, partagées, fort le rayonnement territorial et la mission culturelle de l’orchestre conséquemment.

 

Daniel Kawka © Christian Ganet

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Quels sont les qualités d’un bon chef ? Idem pour un bon orchestre / de bons instrumentistes ?

DANIEL KAWKA : Un imaginaire du son. Le son conditionne le phrasé, l’articulation, le tempo, le caractère, l’expressivité. Pour le reste, connaissance, conception, oreille, bras (la gestuelle résumée par l’expression « avoir un bras »), psychologie etc… doivent constituer en effet les fondements du métier et de la pratique du chef d’orchestre. Elan, énergie, vision.
Les qualités d’un bon orchestre ? L’homogénéité, la connaissance préalable des œuvres, le haut niveau de préparation, l’âme poétique qui préside à toute intention sonore, l’écoute interne, l’engagement physique dans le jeu, l’amitié et le respect. Je suis toujours admiratif de cette houle sonore et visuelle qui jaillit au cœur de l’orchestre quand les musiciens s’engagent collectivement dans cette quête d’unité au service de l’objet qu’est l’œuvre. Je pense aux Philharmoniker de Vienne, de Berlin notamment, à l’orchestre du Festival de Lucerne quand Abbado dirige Mahler. Un embarquement pour Cythère, dans les plus hautes sphères de l’émotion, de l’ineffable. Le corps physique et sonore projeté, au service de l’Immanence. Quelle rencontre souveraine entre la matière et l’esprit, dans le vif de la sensation, le partage à fleur d’émotion, l’unité organique entre tous les acteurs et formants du Musical.

De bons instrumentistes ? Le goût, le désir, le plaisir de faire de la musique ensemble. Une haute technicité assurément pour que la virtuosité requise ne soit pas un obstacle à la transmission du message poétique, un engagement de tous les instants. Une liberté d’esprit pour accepter l’expérimentation. Le respect. Une haute conscience et une humilité à la fois. « Mesdames Messieurs, en Art nous sommes des aristocrates, dans la vie nous ne sommes que des femmes et des hommes ». Charles Münch
Voilà parfaitement résumée la nature artistique et humaine de l’instrumentiste d’orchestre à mes yeux. Au service des chefs d’œuvre, avec le recul et l’humilité nécessaires à l’artisan-artiste pour mieux « tailler la pierre brute ». Nous sommes des cocréateurs, des talents, au service d’une vision poétique du monde que des génies nous ont léguée, dont notre mission est de transmettre.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Sur la période vécue, avez-vous noté des phénomènes nouveaux, des points d’évolution qui ont marqué le métier ?

DANIEL KAWKA : La venue sur le marché de jeunes instrumentistes, souvent formés aux arts d’interprétation baroque, classique, contemporain, curieux, ouverts, à la pointe. Connaissance et capacité d’adaptation, culture polyvalente vers des musiques non classiques constituent une grande richesse, avec de fortes propositions en matière de sonorités, mus par une curiosité et un esprit de recherche insatiable. Une grande émulation a présidé au travail d’ensemble.
Les autres points portent sur un plan sociétal. La musique d’orchestre dans sa forme de diffusion conventionnelle, ses répertoires touchent un public averti. Celui-ci inévitablement se raréfie, aussi les orchestres aujourd’hui font ils preuve d’imagination en termes de répertoires, de conventions réévaluées, de forme de concerts, de diversification des publics pour assumer pleinement leur mission culturelle et sociale.
Du fait d’un renouvellement des publics, plus jeunes, l’absence d’a priori stylistique permet de faire entendre des œuvres de notre temps qui ne sont plus perçues comme pièce d’ajustement devant répondre à un cahier des charges en termes de programmation dite contemporaine, mais font preuve d’engouement, d’enthousiasme. Plusieurs expériences réalisées avec des œuvres de commandes auprès de publics transgénérationnels, présentées, analysées, commentées préalablement, ont connu un très vif succès, générant une véritable demande, attente.
Cette problématique a été l’ADN de Ose ! où forme et fond, contenu, destination, finalité, valeurs ont été pensées et évaluées préalablement par Thierry Kawka, directeur de l’orchestre et moi-même, avec un comité de musicien-nes, en vue de créer un organisme vivant, souple, adaptable, créatif, répondant aux goûts du temps, sans concession commerciale. En effet les exemples de concerts cités plus hauts connurent un succès public immense, via un renouvellement générationnel.
L’orchestre symphonique tel que pratiqué à travers Ose ! et dont le fonctionnement est décrit dans le livre, a de longues heures devant lui. L’exemplarité décrite à travers cette expérience peut être un lieu de réflexion, d’émulation, d’idées pour penser l’orchestre aujourd’hui. En aucun cas un état des lieux clos sur une expérience. Ose ! fût un work in progress, d’où l’édition de ce livre.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Y a t il des partitions qui exigent davantage ? Et dans quelles mesures ?

DANIEL KAWKA : Toute partition exige. Dans l’ouvrage co-écrit avec le metteur en scène Krystian Fredric, La chevauchée des étoiles, paru chez ce même éditeur, Samuel Tastet, qui a le courage de s’engager sur l’édition d’ouvrages d’art, de poésies et de musique, à une époque saturée de fictions, j’évoque cette question de l’exigence.
Il ne s’agit pas de l’exigence qualitative, technique, elle est omniprésente bien sûr, d’une symphonie de Brahms au Sacre du printemps, d’un poème symphonique de Strauss à une grand œuvre d’orchestre de Messiaen, mais de l’exigence d’une conscience des origines. Il s’agit de revenir à la source de chaque œuvre, de défier l’héritage que l’on appelle tradition et dont Mahler se méfiait tant. Chacun répond à sa manière, en travaillant sur les traités historiques, instruments d’époque etc…Toute voie est bonne dès lors qu’elle se place dans l’Urtext.
L’exigence nait d’un style à retrouver, par-delà les questions organologiques, intéressant l’instrumentarium, etc…dans cette recherche du son, cette singularité d’un son propre à chaque oeuvre chaque style, une force vive que j’appelle l’énergie du son. Les grandes œuvres jouées au concert se sont polies, policées. Elles ont souvent perdu leur caractère vernaculaire, leur origine de terroir. Un tel propos prête à sourire mais écoutons la symphonie pathétique jouée par un orchestre russe des années 50, avec Mravinsky à sa tête. Cette musique frissonne de cette culture des grandes steppes, l’espace y est palpable et le drame se respire ainsi, à l’Est, et exalte «’l’âme russe ».
Joué par ailleurs, avec, dans le même programme deux œuvres de styles différents, la singularité s’étiole. La sonorité d’une des œuvres se confond avec la sonorité de l’autre, du fait aussi de la standardisation du son d’orchestre. Le caractère s’émousse et l’œuvre devient ainsi une pièce de concert, sublime certes, magnifiquement jouée, mais dont les singularités des origines, la sonorité, la puissance d’une musique de la terre s’est lissée. Ecoutons encore le Concerto pour violon de Tchaïkovski pour voir combien l’œuvre est virtuose, enchâssée dans un habit souvent trop rigide, trop confortable pour elle. Confiez-le à Patrizia Kopatchinskaja. La musique sort alors de ses habits de concert, du musée, pour embrasser l’étoffe souple de costumes traditionnels. Il s’agit donc de retrouver une sonorité propre, une poétique de l’œuvre, un souffle. Elle doit se distinguer fondamentalement ainsi, dans l’énergie du son, d’une autre pièce au programme. Ouvrir la porte d’un monde à chaque œuvre, et la refermer à la dernière note. Cet exemple vaut pour toutes les œuvres ; La partition exige, en effet.

 

Daniel Kawka © Felix Ledru

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Si on vous proposait de lancer un nouvel orchestre, quels programmes quelles œuvres choisiriez-vous illico afin de réaliser ce que vous n’avez pas eu le temps / l’opportunité de partager ?

DANIEL KAWKA : Je ferais un concert complet des scherzi des symphonies de Mahler. L’idée parait saugrenue j’en conviens dans un premier temps. Un concert des mouvements lents ensuite. Puis un cycle avec les symphonies complètes. Le tout présenté au même public. Incroyable en serait l’efficacité pour les musiciens qui, jouant les scherzi consécutivement, en sentiraient de l’un l’un à l’autre l’infinitésimale différence de caractère, de tempo, d’intention qui échappe totalement à la lecture et l’interprétation séparée. Quel gain pour l’interprète et le subtil nuancier déployé, quelle expérience d’écoute sensible pour l’auditeur plongé dans des immersions multiples puis unitaires où l’oreille aurait plaisir à découvrir les pièces autrement.
En second lieu, je rendrais hommage à Rostropovitch en programmant les concertos qu’il a créé, en invitant une myriade de violoncellistes de renom, de jeunes artistes, autour d’une grande fête de l’instrument.
Je continuerais d’explorer les opéras en version de concerts dans une forme que je suis entrain d’expérimenter, autour de Parsifal, dont la réalisation aura lieu à Lucerne en 2026 et qui révolutionne le travail de préparation, dans une approche holistique de l’œuvre. Les quatre éditions du Léman Lyriques Festival en furent une préfiguration.
Je redonnerais corps à l’Académie internationale de création symphonique qui connut deux éditions à Genève. Il est essentiel de redonner corps à un tel évènement mis au service de la jeune création mondiale. Sous la forme d’une académie d’une durée longue, entre huit et dix jours, le temps d’un approfondissement, la présence de maîtres, la programmation des œuvres ensuite à travers un panel d’orchestres partenaires ! Ce modèle n’existe pas. Et tant d’autres idées encore.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : À un jeune chef en début de carrière quels conseils lui donneriez-vous pour vivre pleinement son métier ?

DANIEL KAWKA : Faire ses humanités avant tout. La carrière du chef est comme celle d’un chanteur. Les rôles doivent arriver au bon moment, exigent maturité, ils se méritent. Comment diriger Tristan dans toute sa puissance expressive sans avoir une expérience de la vie, côtoyé l’amour et la mort ? Il s’établit une relation mystérieuse avec les œuvres. Qui de l’un ou de l’une appelle l’autre ? Une œuvre se mérite. Il faut donc travailler, travailler encore, approfondir. Savoir attendre : « Quand les œuvres auront besoin de vous, elles viendront frapper à votre porte ». Écrivait C.M. Giulini. Voilà exactement ce qu’est une pratique éveillée, juste, épanouissante. Être prêt et l’œuvre arrive.
Je prône une maîtrise de l’écriture, une maîtrise de l’harmonie, du contrepoint, de la fugue, de la composition, une pratique instrumentale, doublée de réelles connaissances esthétiques et historiques.
Regardez attentivement : les grands orchestres jouent tout seuls. Notre système économique privilégie le spectacle, la carrière rapide. Il est tentant de s’engager sur une voie médiatique que le système favorise. Le résultat sera toujours bon dans l’effervescence du concert et l’excellence de l’orchestre. Ce n’est pas un concert qu’il faut diriger mais une vision poétique des œuvres à partager, qu’il faut acquérir, entre haute conscience et humilité, comme nous le disions.
Et bien sûr, un engagement total au service des musique de notre temps. Beethoven a-t-il besoin d’un interprète supplémentaire ? Oui si une intention, une conception, une vision président à la direction d’une de ses œuvres, autrement non, la musique de notre temps assurément.
Je lui conseillerai enfin de ne pas se spécialiser. Quel paradoxe me direz-vous, mais la pratique du grand répertoire assouplit l’exécution des musiques de notre temps, souvent complexes. La pratique des grandes œuvres d’aujourd’hui donne quant à elle des réponses, des clés d’interprétation des musiques du passé, en termes d’imaginaires du son, de conscience temporelle, de fantaisie aussi. Ce va et vient construit un son, une « personnalité d’orchestre », tout comme la pratique de la scène de concert et de la fosse d’orchestre.

 

Propos recueillis en février 2025

 

 

 

 

L’Orchestre OSE – Sisteron © OSE

 

 

 

 

 

 

LIVRE événement

 

LIVRE événement. Daniel KAWKA : OSE, une poétique de l’orchestre (éditions EST – souscription – parution : avril 2025)

Dans une édition originale éditée par EST – Samuel Tastet éditeur, et dans un premier temps publié à 700 exemplaires, le livre événement que signe le chef Daniel Kawka est une pépite rare, dévoilant à travers son expérience de la direction et l’aventure de son propre orchestre « OSE », le fonctionnement et les enjeux esthétiques, humains, artistiques et politique aussi que suscite le fonctionnement d’un collectif de musiciens. A la fois plongée verticale dans le mystère (qui appartient définitivement à l’ineffable), mais aussi à l‘horizontal, formidable élargissement du temps et de l’espace, l’interprétation des œuvres engage chaque musicien, chef et instrumentistes. C’est à chaque programme une expérience musicale et humaine qui s’efforce d’exprimer partie du langage de l’âme, dont il n’existe comme le dit la chorégraphe Carolyn Carlson avec justesse, aucun alphabet connu. C’est pourtant dans l’alchimie magique des sons, produit par la forge orchestrale que se libère la puissance irrésistible du faire symphonique dont l’intensité et l’intelligibilité découlent d’une entente préalable, celle des musiciens.
Daniel Kawka témoigne dans un texte fin et argumenté : « Il a fallu pour cela se défaire des héritages, penser de nouvelles formes, faire se rencontrer utopie, idéal et vision, et parcourir ensemble, avec tous les acteurs, actrices, artistes engagés dans cette grande aventure, ce chemin, de la matérialité à la transcendance » ; « Habiter les œuvres à travers une présence sonore « incarnée » mue par un indicible désir de musique. Ose ! aura ainsi cherché sens au passé, donné voix au futur. »
Mais comme un miroir éloquent qui sait dévoiler ce qui advient essentiellement, l’expérience que transmet l’orchestre quand il joue, éclaire la vie, offre un surcroît de conscience où la poésie infinie rejoint la réalité imparfaite, où passé et futur fusionnent, constituant une clé de compréhension inédite sur le monde. Ce que réalise l’orchestre dans l’immanence partagée des musiciens complices, relève d’une sorte de miracle qui dément la fatalité du réel et son prosaïque terrestre.
Le chef analyse et mesure les avancées et les découvertes partagées ; il raconte le parcours de son orchestre, à travers les concerts et les programmes (originaux) présentés, à travers aussi le défi que le Léman Lyrique Festival a constitué. Le geste du maestro, l’intelligence collective de la phalange en répétition et au concert, la mécanique de la transcendance, le feu et la libération qui submergent le public, tout est dit dans un texte à la fois concret et symbolique qui souligne combien l’orchestre en plein jeu est en soi un miracle sociétal : jouer, rêver, partager, exprimer ENSEMBLE. Captivant.

 

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LIVRE événement – Daniel Kawka : OSE ! Une poétique de l’Orchestre / CLIC de CLASSIQUENEWS – 224 pages dont un cahier photographique central de 16 pages – parution : avril 2025 chez EST Samuel Tastet Éditeur  – Offre de souscription : 20 euros l’exemplaire à partir de deux exemplaires commandés. Par courrier à : [email protected]

 

 

 

 

 

approfondir

Visitez aussi les sites :

le site du chef DANIEL KAWKA : https://danielkawka.art/

ose-lorchestre.com
https://www.orchestre-ose.com/

lemanlyriquesfestival.com
https://www.lemanlyriquesfestival.com/

 

 

 

PLUS d’ARTICLES Daniel Kawka sur CLASSIQUENEWS : https://www.classiquenews.com/?s=daniel+kawka

 

 

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CRITIQUE, récital lyrique. MONACO, Salle Garnier, le 9 février 2025. CHAUSSON, HAHN, DUPARC, PUCCINI, KOSMA… Benjamin Bernheim (ténor) / Carrie-Ann Matheson (piano)

Un total régal, le récital de Benjamin Bernheim, à la Salle Garnier de Monte-Carlo ! Son concert restera l’un des joyaux de la saison monégasque. Cet artiste au timbre doré, à l’émission parfaite, à la justesse absolue, à la musicalité exemplaire, nous a transportés sur un petit nuage. Il est de ces artistes qui vous font naître le printemps en hiver. Ah si, usant sur sa notoriété, Benjamin Bernheim pouvait relancer la mode de la Mélodie française ! Il y a tant de bijoux à découvrir ou redécouvrir dans le répertoire de Fauré, Debussy, Duparc, Chausson ! D’autant qu’il en est un interprète idéal.

 

C’est en effet ce répertoire-là que Benjamin Bernheim nous a chanté et avec lequel il nous a enchantés. De Chausson, ce fut le Poème de l’amour et de la mer, dont la musique subtile, frémissante, enchanteresse s’achève par l’émouvant Temps des lilas. De Reynaldo Hahn, L’Heure exquise – dont le titre veut tout dire. De Duparc, L’Invitation au voyage sur le sublime poème de Baudelaire (« Mon enfant, ma sœur / Songe à la douceur / D’aller là-bas vivre ensemble ! ») Mais il y eut aussi des chansons de Joseph Kosma (Les Feuilles mortes), de Charles Trénet (Douce France) ou de Jacques Brel (Quand on n’a que l’amour) que, par sa voix, Benjamin Bernheim hissa au rang de chef d’oeuvre. D’ailleurs, ce sont des chefs d’oeuvre !

 

Il fallait voir Bernheim, tout simple, enjoué, fringant, s’avançant sur le devant de la scène, s’adressant au public comme s’il chantait pour des amis, sans pupitre (Il ne prit un pupitre que pour une série de mélodies espagnoles de Mompou, Turina, Ginastera). Ah, il y eut encore quelques Mélodies de Puccini qui étaient de vrais airs d’opéra et une Romance de Nadir extrait des Pêcheurs de perles et un « Pourquoi me réveiller » tiré de Werther qu’on n’oubliera pas. Et, cerise sur le gâteau, le récital fut idéalement accompagné par la pianiste Carrie-Ann Matheson

Un joyau de la saison monégasque, on vous dit !

 

 

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CRITIQUE, récital lyrique. MONACO, Salle Garnier, le 9 février 2025. CHAUSSON, HAHN, DUPARC, PUCCINI, KOSMA… Benjamin Bernheim (ténor) / Carrie-Ann Matheson (piano). Crédit photo © Marco Borelli

CRITIQUE, concert. ORLÉANS, le 8 février 2025. PÉPIN, LISZT, JOUBERT, WAGNER… Orchestre symphonique d’Orléans. Marius Stieghorst, direction

L’écoute de œuvres de la compositrice contemporaine CAMILLE PÉPIN continue de produire ses indiscutables délices ; preuve est faite si l’on en doutait encore que partitions contemporaines et plaisir auditif sont compatibles ; « les eaux célestes » (2023) relèvent le défi de leur titre en forme d’oxymore…

 

L’immatérialité céleste (justifiée par la légende chinoise qui est le prétexte littéraire de la partition) fusionne ici avec la texture liquide en un précipité alchimique, orchestralement passionnant à suivre ; c’est un scintillement ravélien dont l’hypersensibilité de l’écriture s’inscrit dans le sillon de la grande école française, celle que l’on aime absolument : créative, vibratoire, hautement suggestive ; filigranée et subtile, pointillisme et impressionniste… Le chef soigne chaque phrase de cette parure instrumentale qui joue sur la transparence ; il déduit de la matière des nuages en question, ce chant tout en ondes et vibrations particulières dont les apports les plus significatifs sont produits par les nombreuses percussions dans le sens d’un ruissellement et d’un scintillement continus [les claviers : célesta, marimba, vibraphone,…], sans omettre l’éclat tout aussi ciselé des teintes métalliques [cloches, gongs,…]. L’orchestre de Camille Pépin qui s’éveille ainsi et murmure, exprimant l’impérieuse activité de l’intime, produit le meilleur lever de rideau d’un programme très habilement conçu. Et qui va crescendo pour le plus grand plaisir du public.

 

Avec LISZT, l’Orchestre symphonique d’Orléans montre combien il est chauffé à blanc pour Promethée [poème symphonique de 1855], évocation spectaculaire et vertigineuse de la geste du titan audacieux, traître aux dieux, qui déroba donc le feu divin pour l’offrir aux hommes) … Les instrumentistes façonnent en tensions et coups de force, cette montagne symphonique, âpre et convulsive dont les secousses expriment la lutte effrénée, radicale, l’endurance de Prométhée. Cordes acérées, cuivres rageuses, bois électriques…L’élévation espérée de Promothée, jamais réalisée est refusée par Zeus lui-même. Et le déroulement qui se referme et se répète traduit le supplice qu’inflige pour l’éternité le dieu juge, au demi dieu rebelle. Précis et véhément, l’Orchestre rugit en vagues denses, vives ; chef et instrumentistes soulignent tous les accents de la palette lisztéenne, sa furieuse efficacité dramatique, sachant aussi éclairer d’étonnantes couleurs wagnériennes ; comme des harmonies proprement Franckistes…

S’y condensent la forge éruptive et volcanique, toutes les secousses liés à la colère jupitérienne et aux morsures infligées à celui qui a fait le choix des hommes plutôt que des dieux : haine et souffrance composent un tableau orchestral des plus tendus et contrastés avec cependant des séquences de pur hédonisme instrumental ; Liszt ciselant la couleur pour davantage d’expressivité. Dans ce combat de tous les diables, l’espoir et la résilience de Promethée sont les vrais sujets. Les instrumentistes réussissent plusieurs séquences dont la somptueuse partie née de l’alliance cor de basset / violoncelles, et ensuite la réitération du motif de Prométhée, exposé par le cor solo.

 

En seconde partie place à la création de JULIEN JOUBERT [orléanais né en 1973], « La boîte de Pandore » jouée en création. C’est une musique très séduisante et efficace dont l’orchestration [Clément Joubert] sert idéalement le sujet de Promethée [introduit par Liszt auparavant] puis de Pandore grâce à l’appui d’un très bon texte dit [et écrit] par le récitant [ Hugo Zermati] et une enfant (Emma Benseddik, élève du CRD d’Orléans). Malgré un problème d’équilibrage du son car les tutti de l’Orchestre couvrent systématiquement les deux acteurs récitants [au point de rendre inaudible alors leur dialogue], saluons la qualité du texte et l’articulation du récitant, apte à raconter le duel Jupiter / Prométhée, la sanction du Dieu surpuissant qui s’appuyant sur le désir et la curiosité, parvient sans mal à punir l’humanité en présentant à Prométhée et son frère, Epiméthée, la sublime Pandore, l’agent de tous les maux de la terre.

L’espérance qu’elle fait surgir de la jarre promet une échappée à la fatalité, ce qui permet ensuite d’enchaîner avec le sublime poème de Victor Hugo [L’avenir / L’année terrible écrit en 1872], dit depuis le praticable du chef : où de la barbarie générale surgit dans la gueule du lion de la guerre, le chant divin d’un rouge-gorge, porteur d’espoir.
La partition développe en particulier le désarroi et la souffrance de Promothée, puis dans un tango séducteur fait surgir la beauté fatale de Pandore, enfin dans un ultime élan mélodique, la puissante image de l’espoir qui structure le rayonnant final :  » par l’art, l’intelligence peut vaincre. Un espoir est possible » ainsi que le texte le précise [par la voix de l’enfant].

Le programme symphonique tenait la promesse d’une gradation à la fois spectaculaire et poétique… La conception programmatique, exemplaire, a produit ses fruits : Pépin, Liszt, puis Joubert ; et enfin, apothéose attendue [et dessert délectable] WAGNER, le plus suggestif et le mieux conçu, l’ultime scène de son opéra parmi les plus subtils sur le plan orchestral : La Walkyrie. L’Orchestre Symphonique d’Orléans relève les défis multiples d’une séquence redoutable dont le sujet est le mur de flammes suscité par Wotan, père aimant qui exile sa fille, mais en lui garantissant une protection flamboyante (au sens strict) ; aux instrumentistes revient le défi d’exprimer la muraille de flammes dansantes et crépitantes, mais aussi les déchirants adieux du père à sa fille chérie, la Walkyrie trop compatissante, et qui s’éveillera à l’amour [de Siegfried] devenue désormais Brünnhilde la mortelle. Marius Stieghorst se saisit de la partition avec une énergie redoublée… défendant une conception expressive et dramatique qui recrée pour les spectateurs d’Orléans, la forge primitive, ce flamboiement à la fois soyeux et scintillant dont Wagner a le secret (et l’éloquente maîtrise) pour chaque final de ses opéras : puissance et vitalité des cuivres, bois souverains en totale fusion avec la soie voluptueuse des cordes, le grand sorcier Wagner s’impose en fin de soirée, déversant des torrents de prodiges instrumentaux. Superbe soirée symphonique à Orléans.

 

L’Orchestre Symphonique d’Orléans crée La Boîte de Pandore de Julien Joubert, création, commande de l’Orchestre © classiquenews 2025

 

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CRITIQUE, concert. ORLÉANS, le 8 février 2025. PÉPIN, LISZT, JOUBERT, WAGNER… Orchestre symphonique d’Orléans. Marius Stieghorst, direction

 

agenda

PROCHAIN CONCERT événement de l’orchestre symphonique d’Orléans : les Sam 26 et Dim 27 avril : latin-jazz Symphonic, ou la fusion heureuse, réjouissante des rythmes et mélodies Latino jazz au format Symphonique, avec le trio de jazz mené par le pianiste Dominique Fillon et les instrumentistes de l’Orchestre symphonique d’Orléans – PLUS D’INFOS et réservations directement sur le site de l’orchestre symphonique d’Orléans : https://www.orchestre-orleans.com/concert/latin-jazz-symphonic/

CRITIQUE, concert. MONACO, Auditorium Rainier III, le 9 février 2025. RAVEL / DEBUSSY. Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Martha Argerich (piano), Charles Dutoit (direction)

Martha Argerich et le Concerto en sol de Maurice Ravel, c’est l’histoire d’une identification exceptionnelle entre une artiste et une œuvre. Depuis son enregistrement de studio légendaire avec la Philharmonie de Berlin dirigée par Claudio Abbado en 1967, remis sur le métier dès 1984 avec le même chef et le LSO, la pianiste argentine a interprété le concerto sur toutes les scènes un nombre incalculable de fois, sans pourtant se répéter. En témoignent de nombreux live, qui permettent comme rarement d’approcher le mystère de ce compagnonnage long de plus de 65 ans (le premier connu, publié par Doremi, date de 1959, déjà avec Charles Dutoit !).

 

Autant dire qu’assister aujourd’hui à une nouvelle interprétation du concerto par la pianiste de 83 ans, ce n’est pas simplement écouter les yeux fermés une interprétation du chef-d’œuvre : c’est participer à une expérience humaine singulière, qui rend assez vaine toute comparaison (y compris avec elle-même), où l’émotion n’est pas seulement musicale. Voir la pianiste entrer en scène, lentement, au bras de son ancien compagnon, père de sa deuxième fille, le chef suisse Charles Dutoit, 88 ans lui-même, c’est aussi méditer sur le passage du temps – comme le font les deux concertos pour piano de Ravel, l’un tragique, l’autre d’une joie tantôt exubérante ou mélancolique, composés et créés en même temps, juste avant que le compositeur ne s’éteigne à petit feu en raison d’une maladie cérébrale qui le condamna au silence.

 

Qu’on ne se méprenne pas : pour Martha Argerich, le crépuscule de l’idole n’est certes pas pour aujourd’hui – et on lui souhaite de garder son généreux soleil jusqu’au dernier rayon. Si la pianiste ne file plus aussi droit que jadis dans le premier mouvement, c’est qu’elle prend le temps de charmer davantage et d’écouter les résonances du piano se mêler aux instruments de l’orchestre. L’attention au moment présent, à l’acoustique, et au jeu des musiciens d’orchestre, la connivence avec le chef sont sans doute autant de facteurs qui lui permettent de conjurer la routine. Le premier thème en devient presque capricieux, mais le reste du mouvement bouillonne, jusqu’à son étreignante cadence, qui suspend brièvement le temps, avant la conclusion échevelée, où la pianiste, l’orchestre et le chef ouvrent tout grand les portes de la volière.

 

Dans le deuxième mouvement, la pianiste chante éperdument, écartant les barreaux des mesures et étirant jusqu’aux confins la mélopée ininterrompue, dont Ravel disait qu’elle lui avait tant coûté : le timbre est toujours aussi beau, et on croirait parfois entendre la voix trembler. Les micro-décalages dont elle joue ne donnent pas l’impression de l’artifice, mais bien plutôt le sentiment contraire, celui d’une liberté absolue. Les musiciens soutiennent sa solitude de toute la chaleur dont ils sont capables, imitant presque les idiosyncrasies argerichiennes – notamment le touchant cor anglais de Martin Lefèvre, qui musarde avec mélancolie. Le dernier mouvement claque toujours au visage : fidèle à la légende, le jeu de la pianiste y demeure d’une urgence inentamée, qui la mène au triomphe attendu. Après les rappels, sous l’amicale pression de Charles Dutoit, Martha Argerich offre deux des bis de son trousseau : les deux gavottes de la troisième suite anglaise de Bach, qui sonnent comme un écho des archaïsmes délicieux du Tombeau de Couperin interprété juste avant, et les « Traumes Wirren » de Schumann, des « songes troubles » qui se moquent de la perfection et regardent la folie en face. Quelle pianiste !

 

 

Pour ce concerto-joyau, l’écrin choisi par le chef était mi-ravélien, mi-debussyste. Ravélien car, comme je le suggérais à l’instant, l’orchestre avait ouvert le concert par un Tombeau de Couperin de bon aloi, où j’ai toutefois senti les musiciens comme en pilotage automatique. « Prélude » de plein air, mais un peu démonstratif, « Forlane » qui semblait danser à angles droits, « Menuet » charmeur et « Rigaudon » d’une joie sans détour, peut-être un peu extérieure. Était-ce moi qui ne m’étais pas encore mis en disposition d’écouter ? Peu importe, dans la deuxième partie du concert, toute consacrée à Debussy, les qualités de l’orchestre et du chef ne faisaient plus de doute, et ce dès un Prélude à l’Après-midi d’un Faune capiteux, d’un érotisme rêveur, magnifiquement introduit par la flûte à voix basse de Raphaëlle Truchot Barraya, et patiemment conduit jusqu’à l’extase par Charles Dutoit. La Mer était aussi de belle allure, quoiqu’elle m’ait paru moins mobile et chatoyante que d’autres, notamment dans le deuxième mouvement. Dès « De l’aube à midi sur la mer », le chef cultive une certaine lenteur et des miroitements plutôt sombres, parfois au risque du monumental – notamment « vers midi moins le quart » (comme aurait dit Satie), juste avant les cuivres et les cymbales finales : on croirait plutôt sentir les eaux glauques des souterrains d’Allemonde que l’océan et ses embruns. Le dernier mouvement n’a pourtant rien d’un moment de torpeur et la fin majestueuse emporte l’adhésion, tout en faisant plus penser à une gravure expressionniste qu’à une estampe japonaise.

Devant un public conquis, Charles Dutoit et les musiciens offrent un dernier bis pour célébrer l’anniversaire des 150 ans de la naissance de Ravel : la Pavane pour une infante défunte, superbement lancée par le cor solo de Patrick Peignier, véritable tenore di grazia, qui s’autorise même un son très légèrement vibré, propre à réveiller les mânes des cornistes français d’antan.

 

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CRITIQUE, concert. MONACO, Auditorium Rainier III, le 9 février 2025. RAVEL et DEBUSSY. ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE MONTE-CARLO / Charles Dutoit (direction), Martha Argerich (piano). Toutes les photos © Stephane Danna

CRITIQUE, concert. PARIS. INVALIDES, Cathédrale Saint-Louis, le 6 février 2025. Elsa BARRAINE : Symphonie n°2. Henri TOMASI : Requiem pour la paix. Choeur universitaire de l’OCUP (Guillaume Connesson, chef de choeur), Orchestre de la Garde Républicaine, Sébastien Billard (direction)

En complément des expositions présentées par le musée de l’Armée [actuellement « Une certaine idée de la France »], la saison musicale des Invalides bat son plein, affirmant la pertinence et l’esprit d’exploration que nous apprécions désormais. Deux œuvres aussi méconnues que passionnantes sont ainsi révélées ce soir sous la haute nef de la Cathédrale Saint-Louis, avec d’autant plus de conviction que les interprètes [en nombre] se montrent particulièrement impliqués et justes.

 

On connaît d’Elsa Barraine son 1er Prix de Rome [comme Lili Boulanger] et aussi son engagement comme résistante, puis son ralliement au parti communiste… Avec Lili Boulanger, Elsa Barraine partage aussi un tempérament puissant dont sa Symphonie n°2 (1938) témoigne. Son écriture est d’une rare subtilité et son développement répond à un sens de la concision comme de l’intensité et de la nécessité formelle que n’aurait pas renié… Sibelius. Mais comme une ligne de force du programme, c’est la destinée de l’homme qui est au centre de la symphonie : l’homme combattant, l’homme résistant car c’est bien la guerre qui inspire ce massif en 3 parties [d’où son titre  » Voïna  » / guerre en russe]. L’ennemi est alors allemand et nazi, et les russes sont un rempart actif qui galvanise le moral des Alliés. Tout cela s’entend dès le premier mouvement (Allegro) qui exprime la marche pleine d’entrain du soldat confiant, ardent, déterminé (mais aussi préoccupé comme l’exprime clairement la partie de la flûte, trouble, ambivalente). Somptueuse fanfare qui exalte et entraîne, les cuivres [et les percussions] sont constamment sollicités avec le panache et la vitalité, avec la rondeur et l’éclat, requis.

 

Le second mouvement (Marche funèbre) intensifie encore la texture instrumentale mais avec cette verve continue qui marque une activité et une conscience toujours aiguisée, ici dans le regret médité des pertes, dans le deuil des victimes fauchées par les feux croisés ; là encore l’écriture suggère, avance sans aucune dilution [la leçon du maître Dukas qui fut professeur de Barraine a été totalement absorbée]. Enfin comme une célébration heureuse et presque insouciante, la Finale est lumineux, d’un contraste saisissant avec ce qui précède. La musique dit essentiellement cette joie retrouvée, celle d’un monde enfin pacifié, qui a vaincu, restaurant harmonie et fraternité.

 

 

La seconde œuvre enchaînée sans pause, sollicite la collaboration d’un grand chœur et d’un quatuor de solistes, formation habituelle pour un Requiem. Saluons d’emblée l’exceptionnelle lecture qui en est faite ce soir : tant le chef Sébastien Billard, soignant la clarté et l’équilibre des étagements, éclaire l’humanité fraternelle qui est au cœur de la partition d’Henri Tomasi. Chef et musiciens en délivrent une compréhension directe, profondément touchante, au plus proche des préoccupations de l’auteur qui l’a composé, alors démobilisé (depuis juillet 1940), à partir de 1943, au Monastère de la Sainte-Baume (non loin de Marseille, sa ville natale), dans un recueillement inquiet, doutant des hommes comme de l’humanité.

Comme une œuvre testament mais aussi un jalon exutoire dans son cheminement intime, le Requiem de Tomasi place l’homme éprouvé face aux doutes, confronté au sens même de la vie, face à la mort. L’inquiétude qui terrasse (éprouvée par le chœur dès le début) puis à divers moments du cycle de déploration, l’intercession des solistes, tous forces tranquilles, rassérénantes (dès l’Absolve pour la voix du baryton, paternel, humble et compatissant tel un thuriféraire apaisant) éclairent comme un rite spirituel dont le cheminement délivre : la structure de l’œuvre convainc par sa logique et sa grande cohésion formelle, d’autant que Tomasi ne s’éparpille pas et se concentre sur son sujet : la question du sens de la vie terrestre et de la destinée humaine. Photo ci-dessus : Sébastien Billard et les solistes du Requiem de Tomasi aux saluts (© classiquenews 2025).

L’orchestre surpuissant (splendides cuivres) expriment le chaos d’un monde menaçant ; le chef lui insuffle sa dimension implacable, sa force de perturbation ; les choeurs excellemment préparés par le compositeur Guillaume Connesson, incarnent idéalement l’angoisse d’une humanité toujours ardente et démunie… Cependant que les solistes expriment à leur façon l’engagement de l’être à résister, faire face, espérer. Dans ce sens, se détachent l’Hostias où rayonne le chant lyrique et protecteur de la mezzo avec violon solo ; l’Agnus dei pour soprano et le chœur de femmes que prolonge ensuite l’aria solo de la trompette, sublime instant suspendu, qui peut être compris comme la méditation de ce qui a été dit jusque là et l’affirmation qu’un espoir est possible.

A notre avis, le Libera me est particulièrement intéressant, dans ses harmonies raffinées et le scintillement de sa parure orchestrale, alors conçue comme une traversée hallucinée, initiée par les 2 voix masculines. Y captivent ses vagues fauréennes d’une absolue sincérité, appel à une sérénité intérieure enfin éprouvée. Tout cela prépare l’élévation espérée qui porte l’homme terrestre vers son salut ; lui seul peut réussir dans ce chemin intranquille, incertain. C’est pourquoi le Requiem de Tomasi demeure à hauteur d’homme, sans l’in paradisium traditionnel.

La partition est une acquisition récente, exhumée par le musicologue Frédéric Ducros Malmazet qui retrouve le manuscrit, ce qui permet sa reprise par Michel Piquemal en 1996, 50 ans après la création par l’auteur lui-même (Palais de Chaillot, avril 1946, avec l’Orchestre Pasdeloup). Tomasi semble l’avoir reléguée et comme enfouie comme s’il ne l’estimait pas parmi son corpus essentiel… Ce soir, son écoute laisse un sentiment absolument inverse : foudroyante et sincère, précise et économe. Tomasi comme Barraine écoutée précédemment, laisse une œuvre franche et personnelle, formellement très aboutie et cohérente dont le sujet central est l’homme et le sens de son passage terrestre. Programme des plus cohérents. Saisissant.

 

 

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Invalides, le 6 février 2025. Elsa BARRAINE : Symphonie n°2 / Henri TOMASI : Requiem pour le paix. Audrey Maignan, soprano / Madeleine Bazola-Minori, mezzo-soprano / Boris Mvuezolo, ténor / Shoya Kono, baryton, Choeur universitaire des Universités de Paris / OCUP,
Guillaume Connesson, chef de choeur / Orchestre de la Garde Républicaine. Sébastien Billard, direction

 

 

 

approfondir

LIRE aussi notre présentation annonce du concert aux INVALIDES : Elsa BARRAINE (Symphonie n°2) / Henri TOMASI (Requiem pour la Paix) : https://www.classiquenews.com/invalides-jeu-6-fev-2025-requiem-de-tomasi-symphonie-n2-voina-delsa-barraine-orchestre-de-la-garde-republicaine-pascal-billard-direction/

 

 

prochain concert aux Invalides

Jeudi 13 mars 2025 : « En exil aux USA » : Bartok, Stravinsky, Honegger, Milhaud. Aurélien Pascal, violoncelle, Orchestre symphonique de la Garde Républicaine, Sébastien Billard (direction) – Infos et billetterie : https://www.musee-armee.fr/au-programme/cette-semaine-au-musee/detail/en-exil-aux-usa.html

Entre 1933 et 1944, environ 1 500 musiciens fuient l’Europe et émigrent aux États-Unis, tels Bartók, Milhaud et aussi Stravinski dont le « Dumbarton Oaks Concerto », commande de riches mécènes américains, y est créé sous la direction de Nadia Boulanger.

CHÂTEAU DE VERSAILLES SPECTACLES. Lundi 3 mars 2025. FRANCESCA CACCINI : Alcina (1625). I Gemelli. Emiliano Gonzalez Toro et Mathilde Etienne (direction)

Château de Versailles Spectacles nous régale début mars en remontant aux origines de l’opéra italien en particulier toscan et Florentin, quand une femme compositrice, FRANCESCA CACCINI participait activement à l’élaboration et au perfectionnement de la langue lyrique où l’articulation et l’intelligibilité du texte sont prioritaires. La musique étant servante d’une déclamation spécifique alors, ce parlar cantando ou cantar parlando emblématique des débuts lyriques dans les cénacle à Florence.

 

Avant Haendel, ALCINA est le premier opéra composé par une femme ! La Liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina est aussi le premier à évoquer le personnage de la vénéneuse magicienne Alcina et ses sortilèges. Le poète de cour Ferdinando Saracinelli utilise les poèmes célèbres de L’Arioste (Orlando Furioso), de Boiardo et du Tasse, mêlant chevaleresque et merveilleux, autant de registres qui éclairent jusqu’à l’envoûtement, ce labyrinthe halluciné et vertigineux où les cœurs possédés, perdent pied et renoncent à toute raison. L’amour est une folie et un cheminement qui aveugle et rend fou. Sur l’île enchantée d’Alcina, règnent des illusions trompeuses : le chevalier Ruggiero est tiraillé entre deux puissantes femmes, deux magiciennes. La belle et dangereuse Alcina et la bonne fée Mélissa. Cette dernière incarne ici la sage Marie-Madeleine d’Autriche, grande-duchesse de Toscane, commanditaire de l’opéra, en 1625, à l’occasion de la visite du prince héritier de Pologne auquel elle désire marier sa fille.

 

Francesca Caccini contribue activement à l’essor musical italien de la première moitié du XVIIe. Son art s’épanouit à la cour des Médicis à Florence, où elle enchante comme compositrice et comme chanteuse, s’accompagnant au luth. Son écriture raffinée ressuscite ainsi les amours de Roger sous l’emprise d’Alcina ; sa trajectoire incertaine et inquiète, à la tonalité surnaturelle, entre airs mélodieux, récitatifs, chœurs de monstres et de plantes enchantées… Avec leur ensemble I Gemelli, Emiliano Gonzalez Toro et Mathilde Etienne dirigent une distribution et des musiciens spécialistes de ce répertoire.

 

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Opéra en version concert
FRANCESCA CACCINI : ALCINA
Opéra en version concert
Lundi 3 mars 2025
Salon d’Hercule
20h | 1h45 sans entracte

RÉSERVEZ vos places directement sur le site de Château de Versailles Spectacles :
https://www.operaroyal-versailles.fr/event/francesca-caccini-alcina/

La liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina
Opéra-comique en quatre scènes et prologue sur un livret de Ferdinando Saracinelli, créé à Florence en 1625.

Distribution
Alix Le Saux, Alcina
Lorrie Garcia, Melissa
Emiliano Gonzalez Toro, Ruggiero
Mathias Vidal Neptune, Astolfo
Nicolas Brooymans, Un monstre
Jordan Mouaïssia Un berger, La Vistule
Natalie Pérez, Une demoiselle, une messagère
Mathilde Etienne, Une demoiselle, une sirène
Pauline Sabatier, Une demoiselle, une sirène
Cristina Fanelli, Une demoiselle, une sirène
Amandine Sanchez, Une demoiselle, une sirène
Ensemble I Gemelli
Emiliano Gonzalez Toro et Mathilde Etienne, direction

 

Le concert sera enregistré en CD à paraître au label Château de Versailles Spectacles

 

Le Salon d’Hercule du Château de Versailles où se passe le concert

 

TARIF RÉDUIT : accordé pour les moins de 26 ans, les porteurs de la carte Château de Versailles Spectacles et les groupes de plus de 10 personnes (hors formule Entreprise).
TARIF GROUPE : pour plus de renseignements, veuillez consulter notre page dédiée aux comités d’entreprise et groupes.
L’équipe BILLETTERIE est joignable par téléphone au 01 30 83 78 89 (du lundi au vendredi de 11h à 18h) ou sur place dans notre billetterie-boutique (3 bis rue des Réservoirs, 78000 Versailles ; du lundi au vendredi de 11h à 18h, ainsi que les samedis de spectacles hors Grandes Eaux Musicales de 14h à 17h).

CRITIQUE, concert. LYON, Auditorium Maurice Ravel, Samedi 8 février 2025. Cycle America : Florence Price. Orchestre National de Lyon / Jeneba Kanneh-Mason (piano), Clelia Cafiero (direction)

Voici une association des plus séduisantes entre une jeune cheffe montante, Clélia Cafiero, que l’on ne présente plus désormais, et la pianiste prometteuse Jeneba Kanneh-Mason issue d’une famille de musiciens émérites dont nous connaissons surtout Sheku, le frère violoncelliste. Mais qu’à cela ne tienne. Voilà la jeune pianiste arrimée en terre lyonnaise, dans un environnement idéal, avec une direction de premier rang et un orchestre de premier plan, pour mettre en exergue son talent. Et de surcroît dans la musique de Florence Price, dont elle a fait un cheval de bataille, pourrait-on dire, la défendant partout aux Etats-Unis. Mais au-delà de la compositrice emblématique, c’est l’Amérique qui est ici mise en lumière avec également Ives et Barber, le tout dans un programme magnifiquement équilibré.

 

 

Le concert s’ouvre avec la Symphonie n° 3 « The Camp meeting » de Charles Ives, qui n’est pas la plus prisée des œuvres symphoniques du compositeur, les programmes lui préférant largement la belle Symphonie n°2, à la fois conquérant et poétique, avec ses thèmes pastoraux qui sonnent de manière idéale. Ici, le choix de la 3ème symphonie permet de la redécouvrir sous un éclairage nouveau. Clélia Cafiero maîtrise en effet son sujet et nous livre une lecture à la fois didactique et lumineuse d’une œuvre en clair-obscur. Elle s’appuie sur un Orchestre National de Lyon de très haut niveau, qu’elle tient ici éloigné de l’écueil de l’académisme. Elle relance, en effet, sans cesse le mouvement afin que la phalange sorte des sentiers battus et épouse au mieux le tissu dissonant de cette œuvre baignant dans un lyrisme assez austère avec une saisissante conclusion où interviennent des cloches. Et cette énergie centrifuge diffusée du pupitre fait merveille pour réentendre cette symphonie méconnue.

 

Autre pièce méconnue interprétée ce soir : le Concerto pour piano de Florence Price. Originaire de l’Arkansas, à une époque où il n’était guère aisé d’être noire, femme et compositrice, Florence Price s’est fait un nom contre vent et marée. Extirpée de l’ombre depuis quelques années grâce à l’édition de l’intégrale de ses symphonies, elle est ici de nouveau mise au premier plan. Dans sa musique, Florence Price narre l’Amérique et ses paradoxes, ses accents épiques, ses racines bigarrées, ses pulsations ethniques. Le concerto présenté ce soir est dit d’un seul mouvement, mais en réalité constitué en trois parties distinctes et autonomes : vivace / lento / vivace. On y retrouve toutes les connotations de jazz du Nouveau Monde et en même temps le ton est profondément romantique dans une texture orchestrale et pianistique presque mozartienne, agrémentée de quelques touches de blues à la Gershwin. Les moments inoubliables ne manquent évidemment pas dans cette œuvre, de la couleur moirée de ses accords épiques à son ragtime aux rythmes syncopés et endiablés dominés par les percussions et les cuivres. Au pupitre, Clelia Cafiero se démène et se démultiplie, et ce à bon escient, obtenant des tutti décoiffants, des sonneries de cuivres formidables et une intensité de jeu dans les cordes comme on en a rarement entendu avec, qui plus est, une justesse collective évidente. Il faut d’autant plus saluer l’endurance des musiciens de l’ON Lyon qu’ils parviennent à sauvegarder de bout en bout une vraie qualité de jeu. Quant à la pianiste Jeneba Kanneh-Mason, elle est hélas inaudible dans le ragtime débridé, son jeu fluet ne résistant pas au feu de l’orchestre. En revanche, elle se distingue avec brio par sa fluidité, son toucher délicat, et sa profonde musicalité dans les passages lents et lyriques. Mais si la pianiste a pu, en ces moments, facilement se glisser dans le son de la phalange, il faut objectivement le mettre au crédit de la cheffe, qui a su tisser, avec sa section cordes, un écrin chaleureux, à l’écoute du piano, favorisant une expressivité commune. 

 

Après l’entracte, la seconde partie du programme s’ouvre sur L’Adagio de Samuel Barber, musique émouvante à souhait, empreinte d’une profonde nostalgie. Il est dès lors aisé de tomber dans l’écueil de la guimauve extatique dans l’interprétation de cette œuvre. Mais optant ici pour une lecture rapide, Clélia Cafiero évite soigneusement ce piège. L’esthétique proposée par la cheffe est à l’évidence caractérisée par un refus du pathos et du sentimentalisme. Son phrasé porte, en effet, un côté méditatif mais sans aucune dramaturgie outrancière. Les cordes, limpides, se développent plan par plan, des élans recueillis, sans emphase. Sa lecture n’en suscite pas moins l’émotion mais donnée ici avec une rare hauteur de vue, l’orchestre sous sa direction se faisant davantage conteur qu’interprète.

 

Le programme se poursuit et se conclut avec Pulcinella, dans sa version Suite pour orchestre. Pour la plus baroque des compositions d’Igor Stravinsky, aux accents Pergolésiens, Clelia Cafiero s’appuie là encore sur un orchestre de haut niveau, le soyeux orchestral de la partition étant parfaitement. En fine musicienne, la cheffe italienne cultive le souci du détail et ne manque pas de transmettre toutes les singularités instrumentales qui font tout le charme du langage musical de Stravinsky. Elle nous démontre surtout sa capacité à se hisser au premier rang des chefs internationaux. Du bel ouvrage mené de main de maître !

 

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CRITIQUE, concert. LYON, Auditorium Maurice Ravel, Samedi 8 février 2025. Cycle America : Florence Price. Orchestre National de Lyon /Jeneba Kanneh-Mason (piano), Clelia Cafiero (direction). Photo © Brigitte Maroillat

CRITIQUE, concert lyrique. MONTPELLIER, Opéra Comédie, 7 février 2025. WEILL / STRAVINSKY / GOUBAIDOULINA / SCHOENBERG / SILVERSTROV. N. Ruda, F. Hyon, J. Arsenault, Orchestre national de Montpellier Occitanie, George Jackson (direction)

En synergie avec l’actualité mondiale, le spectacle Exils est un hommage aux compositeurs et personnalités contraints à l’exil. Ce 7 février 2025, il ouvre le cycle « Exils » de l’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie, faisant résonner les œuvres d’artistes qui portent ces stigmates. Pour ce premier opus, la mise en espace de Mathilda du Tilleul McNicol s’appuie sur une trame conjointement textuelle (Rosa Luxembourg) et musicale autour du Berliner Requiem de Kurt Weill.

 

Côté théâtre musical, l’ossature s’appuie sur les Lettres de prison de Rosa Luxembourg, poétesse et théoricienne marxiste. Exilée en Allemagne, elle fut assassinée par les corps francs à Berlin en 1919 pour son activisme politique au sein du mouvement Spartakiste. En conséquence, en début de spectacle, la mise en espace s’organise autour de la comédienne Lise-Delhia Chemsseddoha (Rosa), depuis les sièges de l’Opéra-Comédie jusqu’au plateau de scène. Elle y figure Rosa en captivité : une cage en treillis de fer fait office de cellule, progressivement envahie par les végétaux que chante la prisonnière. Déclamés ou sobrement affichés sur des panneaux noirs, ses textes stigmatisent les horreurs de la Grande Guerre qui motivent son pacifisme (incompris). Issus de cette strate narrative, une dizaine de « tableaux » vont se succéder, en concomitance de lumières diverses (Mathieu Cabanes), de bruitages chaotiques et d’œuvres musicales désignées dans le programme de salle (dramaturgie de Sonia Hossein-Pour). Ces tableaux font alterner le chœur avec le (ou les) soliste(s), devenus de véhéments protagonistes des drames de la guerre au vu des textes chantés. Les grillages délimitent les espaces quasiment nus (à l’exception d’un modeste bassin d’eau), esquissant le dénuement des camps de réfugiés.

 

Nous retenons la performance du baryton Julian Arsenault,timbre clair et tempérament ardent, sur des poèmes persans (Rubayat) et celle du ténor Fabien Hyon, accusateur public engagé sur les poèmes Brechtiens. Quant à l’alto ukrainienne Natalia Ruda, sorte d’Erda expressionniste, sa prestation devant l’écran d’atroces photos et vidéos de presse (Jelle Krings) secoue gravement le public. Le rapide défilement des photos symboliserait-il la banalisation des faits de guerre et d’exils sur nos espaces médiatiques ? Quoiqu’il en soit, la permanence de la guerre meurtrière demeure une dénonciation jusqu’au rideau final : 110 conflits armés y sont répertoriés.

 

Du côté musical, lorsque les six mouvements du Berliner Requiem de Kurt Weill (1928) forment la colonne vertébrale du spectacle, quatre autres œuvres s’y entrelacent d’une manière intelligente. Car le montage musical est d’une cohérence aboutie et fait résonner la puissance dramatique de la partition de Weill voulue accessible pour tout public (transmise par la Radio de Francfort) à l’occasion des dix ans de la fin de 14-18  Et la direction musicale de George Jackson, éminemment attentive, permet au public d’accrocher son attention au fil de 90 minutes de spectacle. La Symphonie pour instruments à vents d’Igor Stravinski (1921) s’incruste adroitement dans les séquences de Weill, tant le traitement idiomatique des bois et des cuivres y sonnent avec une modernité analogue. En sus, son originalité rythmique et ses répétitions incantatoires sont superbement interprétées par les pupitres de l’OnMO.

 

 

Le post-modernisme de l’Ode à un Rossignol de Valentin Silvestrov (1983 ), exécuté avec de brillants scintillements (harpe, claviers sur un ostinato de quarte descendante) n’est pas le plus captivant de la sélection. En revanche, l’univers inédit de Rubayat (1976) de la compositrice russe Sofia Goubaïdoulina, exilée à Hambourg, opère une grande séduction orchestrale par les incessantes transformations de la matière sonore (timbales, bois) associées à la poésie d’un « ailleurs » persan avec le baryton Julian Arsenault. La clôture d’Exils mise toutefois sur l’apaisement collectif : la performance du Chœur de l’Opéra national de Montpellier (préparé par Noëlle Gény) fait vibrer l’ode Frieden auf Erden d’Arnold Schönberg (1911). La vigueur des huit pupitres vocaux et la précision des intonations contrapuntiques distillent une énergie de l’espoir qui parcourt la salle de spectacle : « Un royaume va se construire Qui cherche la paix sur la terre » !

Avec ce sublime chœur de Schönberg, le premier opus du cycle Exils pourrait s’intituler « Guerre et (appel à la) paix ». Au terme d’un spectacle coup de poing, le public montpelliérain acclame longuement les artistes. De notre côté, nous pointons le courage de la programmation de Valérie Chevalier, directrice de l’OONM Occitanie, favorisant les nouveaux récits d’une maison d’opéra au XXIe siècle. 

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CRITIQUE, concert lyrique. MONTPELLIER, Opéra Berlioz, 7 février 2025. WEILL /STRAVINSKY /GOUBAIDOULINA /SCHOENBERG / SILVERSTROV. N. Ruda, F. Hyon, J. Arsenault, Orchestre national de Montpellier Occitanie, George Jackson (direction). Toutes les photos © Marc Ginot

 

CRITIQUE, concert. METZ, Cité Musicale de Metz / Salle de l’Arsenal, le 7 février 2024. CAMPRA : Requiem (et oeuvres d’autres Maîtres de Notre-Dame de Paris). Ensemble Correspondances, Sébastien Daucé (direction)

A la Cité Musicale de Metz, Sébastien Daucé et son ensemble Correspondances soulignent la vitalité des compositeurs de Notre-Dame de Paris, entendue comme l’épicentre de la musique sacrée depuis la fondation de la cathédrale, en particulier au 17ème siècle, quand la Chapelle Royale y puise ses talents les mieux inspirés. Avec, au cœur de ce programme, le Requiem d’André Campra, chef-d’œuvre de la musique sacrée du Grand Siècle.

 

NOTRE-DAME de PARIS affirme une activité continue dont le XVIIème profite : cet essor de la musique sacrée et liturgique est le sujet de ce concert. Artisans de ce patrimoine musical dont on mesure grâce aux interprètes, la diversité comme l’ampleur : Pierre Robert, Jean Veillot, François Cosset ainsi réhabilités. Leurs Motets inédits constituent comme un préambule hautement inspiré au Requiem d’André Campra (1660-1744), l’une des partitions à la fois les plus abouties et populaires de son auteur, car elle envisage la mort sous un angle pacifié et serein, non pas l’épreuve doloriste et endeuillée, mais un passage menant vers une libération enviable…

 

L’implication des musiciens dans la Grande Salle de l’Arsenal de Metz est totale, produisant une sonorité cohérente, qui éclaire la force et la ferveur intérieure des différentes partitions. Jouer les « précurseurs » de Campra, surtout Robert et Cosset, dévoile le niveau musical parisien à la fin du XVIIème siècle. Un creuset artistique qui fera l’admiration d’un J.S. Bach… Et la place de Campra est d’autant plus légitime ici, qu’à son arrivé à Paris dès 1694 depuis son Aix-en-Provence natale, il compose de la musique sacrée comme Maître de musique à Notre-Dame (1698), bien avant d’écrire son singulier Requiem (1722)… Composé probablement pour un service à la mémoire de l’archevêque de Paris, François de Harlay, le Requiem est une partition pleinement aboutie. La complexité de sa polyphonie y est aussi expressive que les airs des solistes, préfigurant le goût de Campra pour l’opéra et la dramatisation. Campra commence alors l’écriture de L’Europe galante, fleuron lyrique avant les opus de Rameau.

 

Ici manquent le Dies irae et le Libera me, sections certainement destinées au plain chant. Dès l’Introït se dévoile le charme du compositeur provençal, auteur galant, amoureux de la couleur, qui sait tisser une écriture émouvante. Sous la battue de son chef Sébastien Daucé, l’Ensemble Correspondances s’ingénie avec conviction à caractériser chaque épisode de la Messe des Morts : gravité du Kyrie, énergie rythmique du Graduel marqué par le jaillissement final de la lumière céleste, l’opéra n’est jamais loin comme en témoigne dans l’Offertoire, après le recueillement endeuillé de son début, l’évocation très dramatique des enfers (sur les mots « Ne absorbeat ») à laquelle succède la claire référence au salut tant espéré. Optimiste et de plus en plus léger, le caractère du Sanctus s’impose dans un très beau dialogue entre le petit chœur des voix aiguës et le grand chœur plus dramatique ; et après l’Agnus Dei, aimable lui aussi (solo du dessus), s’affirmant comme la conclusion ultime, la majesté de la Communion où rayonne le chant de la basse bien timbrée, joyeuse et lumineuse, qui exulte à l’énoncé de l’éternité promise.

 

 

Dans ce raffinement qui mêle sentiment et caractère, prière et théâtre, chef et musiciens montrent combien Campra s’affirme ici comme un auteur majeur du Baroque français, bientôt nommé par le Régent à la Chapelle Royale à Versailles (en 1723) où il composera encore plus de quarante Grands Motets, dans la tradition spectaculaire et fervente du fondateur du genre.. Jean-Baptiste Lully. A la fois dansant, mystique et subtilement virtuose (dans la vocalité toute opératique des solos des chanteurs), le Requiem édifie une manière de chorégraphie sublimée où sentiment d’impuissance, de perte ou de crainte, est définitivement abolie…

 

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CRITIQUE, concert. METZ, Cité Musicale de Metz / Salle de l’Arsenal, le 7 février 2024. CAMPRA : Requiem (et oeuvres d’autres Maîtres de Notre-Dame de Paris). Ensemble Correspondances, Sébastien Daucé (direction). Toutes les photos © Michel Aguilar

CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 6 février 2025. BELLINI : I Puritani. L. Oropesa, L. Brownlee, A. Kymach, R. Tagliavini… Laurent Pelly / Corrado Rovaris

Succès triomphal amplement mérité pour cette production mémorable de I Puritani de Vincenzo Bellini par Laurent Pelly, créée en 2013 et reprise il y a six ans, servie par un casting totalement renouvelé – écho d’un récent enregistrement – qui frôle la perfection.

 

Sur scène, un décor dépouillé et non moins suggestif qui nous plonge dans l’Angleterre de Cromwell : l’armature constituée de tiges métalliques suggère un château, une simple cellule éclairée par la tache blanche d’un lit, puis au 3ème acte, une simple tour. L’austère et ingénieuse scénographie de Chantal Thomas, complice de longue date du metteur en scène, fait efficacement écho à celle des costumes déclinant des teintes de gris, marron et noir et contrastant avec la blancheur éclatante de la robe d’Elvira. Les lumières de Joël Adam renforcent l’impression d’austérité du monde puritain en dessinant tour à tour des ombres chinoises et des gravures de conte, et nous plongent d’emblée dans l’univers onirique qui traverse le tissu narratif. Dans sa note d’intention, Laurent Pelly a précisé vouloir surtout partir du point de vue d’Elvira, l’histoire n’étant qu’un prétexte au trouble et au délire qui gagne l’héroïne. La direction d’acteur, millimétrée sans être virtuose, souligne admirablement ce contraste entre le hiératisme des autres personnages, surtout féminins, dont les robes ne laissent transparaître aucun pli, et la fluidité animale d’Elvira, bientôt gagnée par l’hystérie – thème qui fit florès dans l’opéra du XIXe siècle. Hiératisme qui transparaît également dans les chœurs (toujours aussi excellemment dirigés par Ching-Lien Wu) ou dans le célèbre duo baryton-basse du deuxième acte. 

 

Dans le rôle d’Elvira, Lisette Oropea est époustouflante de naturel ; sa voix brillante sans être désincarnée, doublée d’une remarquable présence scénique, n’escamote jamais une diction toujours très claire, y compris dans les passages les plus virtuoses (impressionnante variation sur « Vieni al tempio ! »). Quant à sa scène d’égarement, elle est d’anthologie. Lawrence Brownlee, coutumier du rôle, campe un Arturo au timbre toujours séduisant, mais au souffle un peu court dans son air d’entrée. Les choses s’arrangent au cours de la soirée, notamment au 3e acte, et ces quelques « ratés » sont largement compensés par une technique vocale hors pair. Le Giorgio de Roberto Tagliavini mérite tous les éloges : timbre généreux, rond et profond, malgré une certaine raideur dans le médium. Il rend parfaitement justice à la générosité de son personnage, magnifiée par une intelligibilité du texte sans faille. Le Riccardo de Andrii Kymach ne manque pas de qualités : sa noirceur efficace et ses aigus tranchants ne manquent pas d’impressionner, malgré un timbre par trop engorgé. Le reste de la distribution est complétée par trois voix issues de la Troupe de l’Opéra, toutes très prometteuses : le Bruno de Manase Latu est un ténor clair au timbre velouté, Maria Warenberg insuffle à Enrichetta une jeunesse bienvenue, malgré la difficulté de la tessiture du rôle, tandis que Vartan Gabrielian incarne un Gualtiero convaincant, malgré un timbre encore un peu vert.

Dans la fosse, Corrado Rovaris dirige les forces de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris avec précision et un sens aigu du théâtre, toujours attentif au jeu des chanteurs, malgré ça et là quelques légers décalages. Une soirée mémorable.

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 6 février 2025. BELLINI : I Puritani. L. Oropesa, L. Brownlee, A. Kymach, R. Tagliavini… Laurent Pelly / Corrado Rovaris. Crédit photo © Sébastien Mathe

CHÂTEAU DE VERSAILLES SPECTACLES, BALLET, les 6, 7, 8 et 9 mars 202. MARIE-ANTOINETTE. Malandain Ballet Biarritz. Reprise événement

Reprise événement… La saison dernière son ballet Les Saisons, sur les musiques des Quatre Saisons de … Vivaldi et Guido, dans une savante et réjouissante alternance entre les deux compositeurs contemporains (on dit même que Guido aurait inspiré Vivaldi !… / LIRE ici notre critique du ballet Les Saisons de Malandain Ballet Biarritz, déc 2023), avait confirmé les affinités entre la compagnie biarrote et les ors versaillais.

 

A partir du 6 mars 2025, le Château affiche l’un des fleurons de sa saison chorégraphique, – le bien nommé ballet « MARIE-ANTOINETTE », déjà présenté in loco, et indiscutable accomplissement adapté à l’écrin de l’Opéra Royal. Le ballet y fut même créé en 2019. Les 22 danseurs évoluent sur les musiques qu’affectionna en son temps la princesse autrichienne, éduquée à Vienne, y recevant les leçons de musique de Salieri et Gluck, et devenue Reine de France… Joseph Haydn, Christoph Willibald Gluck… Argument complémentaire : en fosse, l’Orchestre de l’Opéra Royal sur instruments anciens, ressuscitent la vitalité et la noblesse des partitions, sous la direction fougueuse, impétueuse et toujours très contrastée du violoniste et chef, Stefan Plewniak.

 

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Ballet « Marie-Antoinette »
Malandain Ballet Biarritz
4 représentations événements
Jeu 6 mars 2025, 20h (+ rencontre à 19h30)
Ven 7 mars 2025, 20h
Sam 8 mars 2025, 19h
Dim 9 mars 2025, 15h

RÉSERVEZ vos places directement sur le site de Château de Versailles Spectacles : https://www.operaroyal-versailles.fr/event/malandain-ballet-biarritz-marie-antoinette/

Opéra Royal de Versailles – 1h30

 

BONUS
15 mn pour comprendre … Jeudi 6 mars à 19h30, partagez un moment d’échange exclusif avec un ou plusieurs artistes du spectacle (sous réserve) / Sur présentation de votre billet pour le soir-même et dans la limite des places disponibles.

 

TEASER VIDÉO Ballet Marie-Antoinette / Malandain Ballet Biarritz

 

 

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Icône Fashion, tragique, toujours digne et raffinée, la dernière Reine de France, inspire au chorégraphe Thierry Malandain l’une de ses meilleures chorégraphies, idéalement adaptée à l’écrin de l’Opéra Royal de Versailles.
Aimée du peuple, puis détestée par tous, Marie-Antoinette demeure la figure emblématique de la royauté parvenue à son apogée dans les années 1780, à quelques années de la fin de la monarchie… les derniers feux royaux sont les plus éblouissants. Adepte d’une danse classique collective sans tutu ni pointes, Thierry Malandain démontre à l’envi sa grande maîtrise des tableaux synchronisés où se déploient l’énergie des corps et le dessin mouvant produit par le groupe. Le chorégraphe retrace le parcours de Marie-Antoinette à Versailles : son arrivée à la cour, le jour de son mariage (et de l’inauguration de l’Opéra Royal), son départ en octobre 1789, qui la conduit de la Conciergerie à l’échafaud… Le spectacle coloré, juste, onirique, créé en 2019 à l’Opéra Royal de Versailles n’a rien perdu de sa force ni de sa magie. Reprise événement.
DVD : Château de Versailles Spectacles a édité le DVD du ballet (n°14 de sa collection « Ballet » / PLUS D’INFOS ici : https://www.operaroyal-versailles.fr/boutique/

COFFRET CD événement, annonce. The Berliner Philharmoniker and Herbert von Karajan : 1953–1969 live in Berlin (24 Hybrid SACD/CD)

Les concerts des Berliner Philharmoniker ont été régulièrement enregistrés par les stations radio telles RIAS et SFB. Destinés à la diffusion radiophonique, la plupart sont demeurés inédits, absents des éditions discographiques. Et donc méconnus du public. Le studio des Berliner Philharmoniker (Berliner Philharmoniker Recordings) a sélectionné chaque archive radiophonique, a numérisé les enregistrements originaux en haute résolution.

 

Le répertoire concerné dévoile les coulisses du travail interprétatif défendu par le chef: … œuvres, périodes et genres des les plus divers : des concertos baroques, du classicisme et du romantisme germano-autrichien à l’impressionnisme et au modernisme.
Le chef d’orchestre vedette Herbert von Karajan est surtout connu pour ses enregistrements en studio. Cependant, si le maestro, pionnier des relations médias, a reconnu les qualités techniques de l’enregistrement, il a toujours considéré le concert live comme un idéal. Rien ne pourrait remplacer le souffle et la magie de la musique au moment où elle est réalisée. Les enregistrements radio, en majorité live, avec les Berliner Philharmoniker, réalisés à Berlin entre 1953 et 1969 composent l’essentiel du coffret des 24 cd / sacd. Chaque enregistrement capture la spontanéité de la performance live, la magie du moment musical comme une expérience vivante unique. La présente édition complète permet de mesurer l’engagement et la complicité à l’œuvre entre le chef charismatique et les instrumentistes du Philharmonique de Berlin.

La boîte miraculeuse, conçue par le peintre et sculpteur Thomas Scheibitz, comprend 24 CD / SACD (hybride) et un livre d’accompagnement (128 pages) avec de nombreuses photos et des essais approfondis rédigés par le biographe de Karajan, Peter Uehlung, du publicitaire James Jolly … Après la parution des enregistrements radio de Wilhelm Furtwängler de 1939-1945, voici la deuxième édition historique majeure des Berliner Philharmoniker Recordings et d’un nouveau jalon pour notre meilleure connaissance de l’histoire de l’orchestre.

 

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PLUS D’INFOS sur le site du Berliner Philharmoniker, boutique :
https://www.berliner-philharmoniker-recordings.com/karajan-edition.html

 

 

 

CRITIQUE, opéra. AVIGNON, Opéra Grand Avignon, le 1er février 2025. CASTIL-BLAZE : Les Folies amoureuses. Benjamin Laurent (piano) / Chloé Lechat (mise en scène)

Grand poète baroque oublié, mais le plus méritant après Molière, Jean-François Régnard conçoit, en 1700, ses « Folies amoureuses » dont Castil-Blaze fait son miel dans une nouvelle partition révisée, créée en 1823 au Grand-Théâtre de Lyon, et reprise lors de la première saison de l’Opéra d’Avignon (fraîchement construit), en 1826. Castil-Blaze situe au centre du drame le couple nouvellement nommé Léonore et Valcour, et une intrigue qui – comme dans Le Barbier de Séville de Beaumarchais – envisage un vieux barbon désireux d’épouser sa jeune et fraîche pupille ; abus de pouvoir, désir déplacé mais omnipotence phallocrate…

 

Heureusement, chose propre à la comédie populaire, le bon sens veille et les serviteurs du potentat domestique aident le jeune amoureux de la donzelle à la libérer et la sauver d’une emprise non consentie. L’opéra en trois actes de Castil-Blaze fut joué à Avignon lors de la première saison de son Théâtre, sa saison 1825 / 1826, et Frédéric Roels avait toute légitimité de programmer cet ouvrage pour fêter le 200ème anniversaire de l’Opéra Grand Avignon, dont il est le directeur, une comédie qui a pour originalité de ré-utiliser nombre d’airs d’opéras de Rossini – mais aussi plusieurs raretés signées Cimarosa, Pavesi, Paer… sans omettre un tube de l’époque, le Concerto « L’orage » de Steibelt.

 

De la verve à revendre dont se pare avec délices Castil-Blaze qui assemble et ré-assemble les airs dans l’esprit d’un savant pastiche, selon l’intelligence et la cohérence dramatique, où surgit une action qui s’inscrit dans la veine triomphante applaudie au Théâtre Italien de Paris. Mais si, depuis la Restauration et même déjà sous l’Empire, le public se délecte des situations cocasses et comiques alors d’usage, rien de tel ici. Selon l’art du décalage et fruit d’une minutieuse mais cohérente sélection, les airs choisis illustrent les situations et les sentiments de femmes sacrifiées et victimisées…

 

Tout en servant son sujet : dénoncer l’oppression dont les femmes sont (encore) l’objet, le spectacle s’inscrit parfaitement dans la thématique de la saison 2024 – 2025 de l’Opéra Grand Avignon, dédiée aux « FEMMES ! ». L’opéra n’est pas un divertissement bourgeois ; il a perdu cette fonction depuis des mises en scène de plus en plus engagées, militantes, dénonciatrices. Ici, c’est moins le jeu des interprètes que le choix des airs et des situations évoquées qui sensibilisent sur l’offense permanente faite aux femmes pendant ce XIXème siècle si puritain et si violent, animé par une misogynie ordinaire générale. De ce point de vue, l’intention de la metteure en scène Chloé Lechat (qui a précédemment signé une Traviata toute aussi ardente in loco…).

 

Les textes s’enchaînent en dévoilant les brûlures et l’âpreté choquante de scènes aujourd’hui condamnables, dans un dépouillement théâtral qui expose d’autant mieux le relief des airs et leur portée. Dès l’Ouverture de Tancredi (de Rossini), le pianiste Benjamin Laurent assure idéalement sa partie, dramatique, très vivante, affûtée, en complicité étroite avec les chanteurs (chœur et solistes). Parmi les chanteurs saluons l’excellente Eduarda Melo, rossinienne engagée, fine, de surcroît intelligible : la soprano portugaise incarne une Leonore plus que convaincante. Même enthousiasme pour le Valcour du jeune ténor français Fabien Hyon, comme le Crispin du baryton Aimery Lefèvre, aussi astucieux qu’impliqué ; autant de qualités que partage aussi l’Albert de Yuri Kissin. Enfin, la Lisette de Fionna McGown offre une voix fraîche et pure, tandis que Laura Darmon Podevin ne démérite pas en Berthe.

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CRITIQUE, opéra. AVIGNON, Opéra Grand Avignon, le 1er février 2025. CASTIL-BLAZE : Les Folies amoureuses. Benjamin Laurent (piano) / Chloé Lechat (mise en scène). Toutes les photos © Droits réservés

Agenda

CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 5 février 2025. WAGNER : L’Or du Rhin. Calixto Bieito / Pablo Heras-Casado

Le metteur en scène espagnol Calixto Bieito monte à l’Opéra national de Paris son tout premier Ring, échelonné sur plusieurs années, en présentant le prologue L’Or du Rhin (1854) de Richard Wagner : toujours aussi fascinant d’efficacité dramatique, ce volet initial bénéficie de l’imagination délirante de Bieito, qui plonge les protagonistes dans un cauchemar cybernétique, en évacuant Dieux, géants et nains. Une lecture peu consensuelle et visuellement marquante, rehaussée d’un plateau vocal de tout premier plan.

 

On ne peut guère s’attendre de Calixto Bieito une certaine tiédeur, lui qui a passé une grande partie de sa carrière à provoquer des scandales retentissants, à l’instar de sa production emblématique de Carmen, désormais devenue un classique – voir notamment en 2017 à Bastille. Il est certes encore trop tôt pour attribuer ce qualificatif à ce nouveau Ring qu’il faudra mettre en perspective dans sa globalité, mais toujours est-il que cette introduction commence fort, en transposant l’action dans une réalité contemporaine sordide, en prise avec les manipulations des nouvelles technologies. D’emblée, la mise en scène place les interprètes au plus près des spectateurs, en laissant entrevoir une vaste structure métallique en arrière-scène – évocation quasi-carcérale du château construit par les géants pour les Dieux. Toute la mythologie évoquée avec force par Wagner est ici rejetée pour centrer les enjeux autour des rapports de force, en insistant sur le statut social et les motivations des protagonistes. On aime ainsi l’idée de figurer le nain Alberich, devenu surpuissant avec le pouvoir de l’anneau, comme une sorte de Docteur Frankenstein, occupé à créer un robot féminin tout acquis à ses fantasmes. Le tableau de son antre est sans doute le plus réussi, avec moult détails réalisés avec brio par la scénographe Rebecca Ringts. On aurait toutefois aimé une caractérisation plus élaborée du personnage de Loge (Loki dans la mythologie nordique) pour figurer ses ambiguïtés : seule la scène finale le voit menacer Freia et mettre à mal le triomphe apparent de Wotan et Fricka qui pénètrent au Valhalla.

 

On le sait, aucune réussite d’un opéra de Wagner ne peut se faire sans un chef digne de relever le pari d’une musique omniprésente et envoûtante, en véritable acteur du drame. Pablo Heras-Casado fait bien davantage que convaincre dans un répertoire où on ne l’attendait pas, en donnant le meilleur de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, manifestement très investi sous sa battue. La souplesse des transitions et l’allègement des textures donnent un climat de transparence aux teintes lumineuses, faisant la part belle à l’expression des couleurs.

 

Idéale pour les chanteurs, cette battue n’est pas pour rien dans la réussite de la soirée, de même que le plateau vocal réuni, dominé par un superlatif Nicholas Brownlee (Wotan), en remplaçant de luxe du chevronné Iain Paterson, annoncé souffrant. Le baryton-basse fait là des débuts éclatants à l’Opéra de Paris, en faisant valoir un timbre rayonnant de jeunesse, autour de phrasés harmonieux et admirablement projetés. Seuls quelques graves manquent dans la scène finale, mais ça n’est là qu’un détail à ce niveau. On aime aussi toute la morgue poisseuse de Brian Mulligan (Alberich), qui s’impose une nouvelle fois dans un rôle wagnérien de premier plan, après avoir interprété… Wotan, l’an passé au Théâtre des Champs-Elysées, dans le deuxième volet de la Tétralogie. Que dire aussi du Loge de Simon O’Neill, à l’éloquence agile et parfaitement articulée, passant la rampe sans efforts ? On aime tout autant les seconds rôles de caractère parfaitement distribués, à l’instar du toujours impérial Gerhard Siegel (Mime), de même que le solide Kwangchul Youn (Fasolt). A leurs côtés, Eve-Maud Hubeaux donne une présence saisissante à sa Fricka, faisant valoir son tempérament volcanique, aux duretés parfaitement adaptées au rôle.

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 5 février 2025. WAGNER : L’Or du Rhin. Iain Paterson/Nicholas Brownlee (Wotan), Florent Mbia (Donner), Matthew Cairns (Froh), Simon O’Neill (Loge), Brian Mulligan (Alberich), Gerhard Siegel (Mime), Kwangchul Youn (Fasolt), Mika Kares (Fafner), Eve-Maud Hubeaux (Fricka), Eliza Boom (Freia), Marie-Nicole Lemieux (Erda), Margarita Polonskaya (Woglinde), Isabel Signoret (Wellgunde), Katharina Magiera (Flosshilde). Orchestre de l’Opéra national de Paris, Calixto Bieito (mise en scène) / Pablo Heras-Casado (direction musicale). A l’affiche de l’Opéra Bastille jusqu’au 19 février 2025. Photo : Herwig Prammer

 

 

VIDÉO : Entretien avec CALIXTO BIEITO

 

 

 

 

 

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LE RING DE WAGNER à l’Opéra de PARIS…. Le RING de Wagner à l’Opéra de Paris relève d’un feuilleton passionnant. La premier RING version Jordan était signée – avec cohésion et puissance par Gunther Krämer. (2013).. Puis covid oblige courant 2020, la production à laquelle tenait Philippe Jordan alors directeur musical, – celle qui était déjà mise en scène par le metteur en scène catalan Calixto Bieito, et qui devait marquer la fin de son mandat dans la Maison parisienne -, était cependant à l’affiche en octobre et nov 2020 ( » ENTREZ DANS LE RING  » : Siegfried et Le Crépuscule des Dieux… avec mesures sanitaires préservées). LIRE ici notre présentation des deux dernières Journées à l’Opéra de Paris / oct et nov 2020 : https://www.classiquenews.com/ring-siegfried-le-crepuscule-des-dieux-jordan-bieito/

 

ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG. Ven 7 mars 2025. Wagner, Sibelius (Concerto pour violon), R. Schumann (Symphonie n°2), Oksanna Lyniv (direction)

Après avoir réformé et même révolutionné l’opéra romantique (et le genre lyrique tout court), dans son fabuleux RING ou l’Anneau des Niebelungen – vaste cycle lyrique en 4 « journées » (Un prologue et 3 drames : L’Or du Rhin, La Walkyrie, Siegfried, Le Crépuscule des Dieux – « Tétralogie » créée en totalité à Bayreuth pour l’inauguration du Théâtre en 1875), Richard Wagner compose son dernier opéra en s’inspirant de la fable médiévale, soit la geste du simple guerrier non initié, Perceval qui dans la confrontation avec plusieurs situations radicales, détermine son propre destin…

 

L’étranger suit son cœur et prend les bonnes décisions, en sauvant le monde (la vieille société des chevaliers réunis autour de leur roi Amfortas, souverain corrompu…) ; Parsifal devient non seulement un preux mais il incarne un nouvel idéal humaniste, habité par l’essence de la fraternité et de la compassion… il rencontre et comprend et Amfortas et le pécheresses en quête de salut, Kundry… Il sauve un monde perdu et condamné. Le programme défendu par Oksana Lyniv collectionne les défis ; si le Prélude de Parsifal exprime les méandres du cheminement spirituel du héros, et aussi dévoile le mystère de celui qui est l’élu, le Concerto pour violon de Sibelius transporte dans d’autres mondes ; la sensibilité du compositeur finlandais célèbre le miracle transcendant de la Nature dont le violon et l’orchestre semblent capter les moindres vibrations…

 

Psychiquement condamné, Robert Schumann libère son génie musical dans le genre symphonique : sa Symphonie n°2, composé à l’âge de 36 ans, est un sommet du genre, dans la lignée de Beethoven et avant l’accomplissement de son jeune protégé, Johannes Brahms.  Le programme du concert véritable bain symphonique, à travers d’immenses défis, va dévoiler sous la direction de la maestra Oksanna Lyniv,  la profonde cohésion comme l’adaptabilité réjouissante du Philharmonique de Strasbourg. Incontournable.

 

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STRASBOURG, Palais de la Musique et des Congrès
vend 7 mars 2025, 20h

RÉSERVEZ vos places directement sur l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg : https://philharmonique.strasbourg.eu/detail-evenement/-/entity/id/484293091/oksana-lyniv

 

 

 

Programme

Richard Wagner : Prélude de Parsifal
Jean Sibelius : Concerto pour violon en ré mineur
Robert Schumann : Symphonie n°2 en do majeur

 

Distribution
Oksana LYNIV, direction,
Simone LAMSMA, violon

 

Conférence d’avant-concert
Vendredi 7 mars 19h – Salle Marie Jaëll, entrée Érasme
 – Accès libre et gratuit, dans la limite des places disponibles ;  » Entre ombre et crépuscule  » : textures et sensations musicales, par Cyril Pallaud

 

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La Symphonie n°2 de Robert Schumann
C’est l’opus symphonique où Robert Schumann affirme sa solidité psychique, sa pleine possession psychologique, une clairvoyance affirmée, proclamée. Admirateur du Beethoven combatif lui aussi, atteint, saisi au plus profond de lui-même, Schumann veut dire sa victoire contre la fatalité et l’adversité. La Symphonie n°2 porte et cultive ce sentiment héroïque et impérieux. Robert semble nous dire : non je ne suis pas fou ! … toujours éperdu, enivré par les beautés de ce monde et les forces mises à disposition pour vaincre les épreuves. L’opus est créé à Leipzig le 6 novembre 1846 — durée indicative : 44 mn.

Le Premier mouvement énergique requiert nerf et vivacité, flux organique impétueux d’où peu à peu émerge la force primitive d’un esprit de conquête d’une irrésistible détermination : c’est un feu volcanique presque dansant que l’orchestre saisit avec une impatience candide échevelée : toute la force de vie d’un Schumann pourtant atteint s’exprime dans ce formidable portique d’ouverture.
 Le Scherzo regorge lui aussi de belle vitalité mais ici de nature chorégraphique: à la fois dionysiaque et prométhéen. Où le feu de Prométhée est transmis irradiant aux hommes. Même accomplissement total pour l’Adagio expressivo : plus intérieurs, recueillis, au bord du gouffre, bois et cordes en fusion émotionnelle, s’épanchent par contraste. L’énoncé à la clarinette, flûte/basson, hautbois… accorde pudeur et sensibilité… puis l’alliance cordes/cor dit l’ascension et ce désir des cimes, d’oubli et d’anéantissement. C’est le retour rêvé à l’innocence simultanément à des blessures secrètes.
 Enfin dans le Finale s’impose la victoire de l’esprit ; la reprise d’une conscience recouvrée reconstruit dans l’instant une prodigieuse vitalité conquérante : l’ivresse d’un crescendo progressif d’une irrésistible effervescence affirme l’équilibre et la pleine clairvoyance du héros.

 

 

CRITIQUE CD événement. TOMBEAU POUR ALIÉNOR : Thierry Escaich, Olivier Py. Patricia Petibon, Amarillis, Héloïse Gaillard (direction) – 1 cd evidence (enregistré en juin 2024)

Aliénor d’Aquitaine (1122-1204) incarne à la fin du XIIè, un mythe intemporel : femme de pouvoir, mère aimante, patronne des arts. La figure puissante et lettrée que le gisant en tuffeau sculpté (et peint)  représente livre ouvert dans les mains, inspire la cantate contemporaine de Thierry Escaich et l’excellent texte d’Olivier Py, dans une œuvre poétique et incantatoire créé à Fontevraud (où se trouve le gisant d’Aliénor) en mai 2023, puis joué à nouveau en avril 2024, toujours en liaison avec l’Académie des Chants d’Ulysse, cycle inédit de concerts, de conférences, – et de cours pour les jeunes musiciens (chanteurs et instrumentistes) qu’ont fondé Héloïse Gaillard et Patricia Petibon, avec Thierry Escaich et Olivier Py. Voilà un enregistrement qui scelle l’entente et la complicité créative de ce formidable quatuor.

 

Le Tombeau en 7 tableaux conçu par Thierry Escaich relève les défis multiples d’un sujet très inspirant voire impressionnant, sur une femme légendaire, à partir d’un instrumentarium baroque (les instrumentistes de l’ensemble Amarillis qu’a fondé Héloïse Gaillard, commanditaire de la partition), dialoguant avec le texte intense, vif, lyrique et poétique d’Olivier Py. Le compositeur s’inspire de l’écriture et des danses purcelliennes (dont une pavane et une chaconne). La noblesse nostalgique des œuvres du XVIIè anglais nourrissent l’imaginaire contemporain de Thierry Escaich ; ils réactivent surtout la charge émotionnelle d’un texte qui a valeur de momento mori, à la fois célébration de la grandeur et …vanité pétrifiée, réduite à la froideur d’un marbre éteint. Inertie apparente car chaque strophe du texte permet aux musiciens baroques de ciseler en contrastes les mille accents poétiques dont le scintillement continu est porté par les instruments solistes alternés (flûtes à bec, hautbois, violon…).

 

Le souvenir de l’être décédé ressuscite avec une ferveur péremptoire, électrique, incandescente, de sorte que sous l’épiderme de la pierre inerte semble frémir une bouillonnante énergie ; l’image vivante de la Reine Aliénor. Pythie et prophétesse aux nuances chamaniques, la soprano Patricia Petibon réalise ce lien entre vivants et morts, gisants de pierre (Alienor git à Fontevraud aux côtés de ses fils Richard cœur de lion et Jean sans terre…) et étoiles de légende. Entre traces baroques et éclairs contemporains. Le chant proclame, s’intensifie, murmure à la façon d’un rituel païen et magique. Ce pourrait être aussi grâce à la voix chantée, parlée, déclamée de la cantatrice hallucinée, diseuse et actrice, tragédienne et fraternelle, un cheminement du terrestre au céleste, un voyage des morts pour une renaissance toujours renouvelée, comme si l’âme errante, parfois perdue, en quête (« Soupir », « Théâtre ») souvent inquiète, trouvait (« Azur ») enfin l’équilibre du début (dans un silence qui écoute et apostrophe : » Dans le silence, entendez-vous ma voix de marbre? »).

 

Ce caractère fantastique et onirique se retrouve d’autant plus légitime dans le choix des pièces complémentaires empruntées à l’opéra The Fairy queen (1692), où avec une maîtrise égale à celle de Didon et Énée, Purcell évoque le pouvoir de la souveraine, puissante et magicienne (avec comme séquence très active la fameuse « danse des fées / Dance for fairies »). Une fantasmagorie enchantée est à l’œuvre dans ce cycle musical et lyrique dont la puissance poétique s’affiche aussi dans le visuel de couverture du cd, somptueux portrait imaginaire (et couronné donc royal) dessiné par Patricia Petibon elle-même. Captivant.

 

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CRITQUE CD événement. TOMBEAU POUR ALIÉNOR : Thierry Escaich, Olivier Py. Paticia Petibon, Amarillis, Héloïse Gaillard (direction) – 1 cd evidence (enregistré en juin 2024) – Parution : 7 février 2025 – CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2025

 

 

 

agenda / tournée

Le programme de ce disque (« Destins de Reine ») est le sujet d’une tournée hexagonale (4 dates événements) :

Le 6 mars 2025 : Opéra Théâtre Graslin, Nantes
Le 9 mars 2025 : Opéra Grand Avignon, Avignon
Le 24 mars 2025 : Théâtre du Châtelet, Paris
Le 1er avril 2025 : Toulouse, Auditorium Saint-Pierre des cuisines

Toutes les infos et la billetterie sur le site de l’Ensemble AMARILLIS : https://amarillis.fr/agenda/

 

 

 

 

 

 

critique de la création (mai 2023)

LIRE aussi notre critique de la création de la Cantate Tombeau pour Aliénor, Fontevraud, mai 2023 : https://www.classiquenews.com/critique-concert-fontevraud-le-14-avril-2023-destins-de-reine-creation-de-tombeau-pour-alienor-thierry-escaich-olivier-py-patricia-petibon-heloise-gaillard-amarillis/

Photo © classiquenews 2023

 

 

CRITIQUE, concert. FONTEVRAUD, le 14 avril 2023. « Destins de Reine ». Création de  » Tombeau pour Aliénor « (Thierry Escaich / Olivier Py). Patricia Petibon, Héloïse Gaillard (Amarillis)

 

CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, les 11 et 12 janvier 2025. MAHLER : Symphonie n°3… Orchestre Symphonique Simón Bolívar, Gustavo Dudamel.

Les 11 et 12 janvier derniers, la Philharmonie de Paris célébrait son dixième anniversaire. Une décennie au cours de laquelle ce lieu est devenu un symbole incontournable de la scène culturelle mondiale, accueillant les plus grandes formations et les artistes les plus captivants, tout en restant fidèle à sa mission publique pour la démocratisation musicale. Saluons également les concerts au sein du Musée de la Musique, où le niveau a été de tout premier plan. Pour commémorer cette première décennie, la plus emblématique des formations latino-américaines, l’Orchestre Symphonique Simón Bolívar, était l’invité d’honneur sous la baguette de Gustavo Dudamel, son maestro vedette. Photos : Gustavo Dudamel © C. Herouville

 

 

Sa venue à la Philharmonie était particulièrement chargée de symboles, dans un moment où le contexte politique et social du Venezuela reste délicat. Pourtant, loin du tumulte, ce qui s’est déroulé sur le plateau a été une démonstration magistrale d’engagement artistique et humain. Dès l’entrée des musiciens – plus de cent, en une formation imposante –, une énergie rare et palpable envahit la salle. Le programme s’ouvrait avec une œuvre chorale du regretté maestro José Antonio Abreu, fondateur du « Sistema », ce projet visionnaire qui a changé des milliers de vies par la musique.

 

L’exécution, partagée avec le Choeur et les jeunes chanteurs de l’Orchestre de Paris, était d’une justesse et d’une maîtrise à couper le souffle. Puis, l’immense Symphonie n°3 de Mahler a pris le relais, monument du répertoire où l’Orchestre Simón Bolívar déploie toute sa palette expressive. Un bel hommage au fondateur du Sistema, connu pour sa passion pour la musique de Mahler. Sous la baguette de Gustavo Dudamel, précédé par l’immense travail de préparation au sein du Sistema, du brillant maestro Andrés David Ascanio, l’orchestre a su cultiver une énergie flamboyante, très communicative.

 

Les 10 ans de la Philharmonie de Paris
la leçon de musique, venue de Caracas

 

 

Le public français, éloigné de la réalité de Caracas, ne peut probablement mesurer à quel point la musique représente pour ces jeunes artistes une arme de résilience. Cette compréhension du contexte extra-musical nous aide à apprécier le concert à sa juste valeur.

Parmi les moments les plus saisissants, le pupitre de trombones s’est démarqué par sa profondeur sonore et une précision époustouflantes. Le soliste, envoûtant, expressif, a littéralement transcendé son instrument, à tel point que chaque phrase musicale semblait suspendre le temps et transformer une grande partie de cette symphonie en un concerto pour l’instrument. De son côté, la clarinette solo était tout aussi remarquable : phrasé naturel, souplesse et articulation d’une délicatesse infinie ont magnifié les passages mahlériens, rendant l’émotion palpable.

Chaque phrasé était sculpté avec souplesse et variété, et les emprunts folkloriques intégrés par Mahler dans son orchestration prenaient une dimension plus rythmique et dansante que d’ordinaire. La texture créée par les instruments d’accompagnement, notamment les altos, donnait à chaque mesure de la monumentale symphonie une importance particulière, les élevant presque au rang de pièce maîtresse du discours musical.

Mais au-delà de la technique, c’est l’âme collective du Bolívar qui rayonnait : une passion et une intensité capables d’emporter l’auditoire dans une expérience sensorielle inoubliable.

Cela aurait été largement suffisant pour rendre cette soirée mémorable, mais quelque chose d’autre, bien plus sensoriel happait et exposait à une réalité sonore qui ne peut être perceptible que lorsque les musiciens ont un engagement total. Les Boss de Caracas, ces jeunes musiciens, savent condenser dans leur musique des valeurs universelles telles que le partage, le dépassement de soi, la réussite par le collectif, et la sublimation de toutes les difficultés par le beau.

Cette soirée a été une leçon de musique et de vie. Dans une période où les politiques culturelles sont guidées par des logiques économiques, l’exemple du « Sistema » montre que la culture n’est pas un luxe, mais une nécessité. Elle est un moteur de résilience, de cohésion sociale, un levier d’éducation. Ces jeunes musiciens prouvent que la musique peut transcender les difficultés, devenant un vecteur de transformation et d’espoir. Une émotion universelle nous rappelle pourquoi l’humain doit prévaloir.

Cette expérience a montré que nous vivons une période où les subventions culturelles sont souvent supprimées, réduisant notre société à une logique de rentabilité et de maîtrise budgétaire. Une telle approche risque d’être néfaste. Ne serait-il pas temps, à l’exemple de ces jeunes du Sistema, de promouvoir une vision forte et réfléchie sur le rôle de la musique dans la société et les moyens d’assurer son rayonnement ?

 

Critique rédigée par Bruno Procopio, claveciniste & chef d’orchestre.

CRITIQUE, concert. TOURS, Grand-Théâtre, le 2 février 2025. RACHMANINOV / BRAHMS. Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire / Tours, Sergei Babayan (Piano), Alexander Briger (direction)

On ne louera jamais assez la vitalité bienheureuse des concerts symphoniques présentés dans le cadre de la saison de l’Opéra de Tours : la tradition orchestrale s’y déploie en liberté et en qualité comme en témoigne, ce dimanche 2 février sur la scène du Grand-Théâtre de Tours, le concert donné par le pianiste américano-arménien Sergei Babayan, en présence des forces symphoniques de la maison tourangelle, placées sous la battue du chef australien Alexander Briger.

 

En première partie, place au Concerto pour piano n°3 de Sergueï Rachmaninov, composé pour mettre en valeur le compositeur lui-même dans sa tournée aux USA,  et qui ne comporte pas moins de trois cadences fulgurantes. Le début du concerto expose pianissimo le magnifique thème qui inonde ensuite toute la partition, et il est ici superbement interprété par un chef attentif aux nuances et aux couleurs, par un orchestre aux fières sonorités, et un pianiste sensible ; c’est d’ailleurs dans les moments chambristes que l’entente entre chef, soliste et orchestre est la plus aboutie. La mise en place limpide, la précision de la battue et l’attention portée à son soliste font du chef australien une baguette intéressante par sa belle musicalité. Mais le brillant, pour ne pas dire la folie, contenu dans ce concerto n’en est pas moins négocié avec maestria par Serguei Babayan, les moments symphoniques plus larges et les cadences écrites par et pour les mains gigantesques de Rachmaninov, ne lui posant aucune espèce de problème. Particulièrement acclamé, il livre un court bis tout en arpèges délicates et aériennes (que nous n’avons cependant pas reconnu).

 

Après l’entracte, le public tourangeau a la chance d’entendre la magnifique Deuxième Symphonie de Johannes Brahms. Le chant des violoncelles, d’une suave profondeur exposé avec une lumineuse simplicité, indique dès le début du premier mouvement ce geste privilégiant le chant intérieur plutôt que l’affirmation à tout va : le maestro se fait économe, d’une conduite claire et musclée à la fois. Il se montre capable de pianissimi murmurés d’une exceptionnelle tension. On retrouve l’excellence des instrumentistes de la formation tourangelle, véritables solistes assumant parfaitement leurs parties respectives : flûte, hautbois, basson et surtout cor en majesté d’une idéale extase sereine. Cette effusion librement et immédiatement atteinte indique une maîtrise pleine et entière de chaque instrument. Comprises avec un tel engagement, les Symphonies de Brahms ont encore bien des choses à nous apprendre, et déjà, au cœur de leur développement, ce mystère jamais vraiment élucidé qui offre surtout ce bain symphonique prodigieux qui ne manque pas de fasciner. L’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire / Tours  confirme sa pleine maturité expressive et offre une preuve nouvelle de la haute tenue orchestrale de Tours à l’échelle hexagonale !

 

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CRITIQUE, concert. TOURS, Grand-Théâtre, le 2 février 2025. RACHMANINOV / BRAHMS. Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire / Tours, Sergei Babayan (Piano), Alexander Briger (direction). Crédit photographique © Marie Pétry

CRITIQUE, concert. PARIS, Salle Gaveau, le 4 février 2025. Récital de Nadine SIERRA. Orchestre Lamoureux, Adrien Perruchon (direction)

Nadine Sierra court d’une scène prestigieuse à une autre, et est acclamée partout où elle passe, aucune fausse note dans sa progression. Tout est parfaitement maîtrisé. Sage sur toute la ligne, Nadine n’a jamais mis en péril son précieux instrument. Force est de le constater au vu de la galerie d’héroïnes qu’elle a incarnées, passant avec prudence, par gradation successive, des Musetta, Norina, Gilda, Zerlina, aux Juliette, Violetta et Lucia. La soprano américaine est revenue hier soir sur la scène de la Salle Gaveau dans un programme transversal, assez proche de l’esprit de son premier album There’s A place for us. Devant une salle comble et un public chauffé à blanc, Nadine Sierra a de nouveau tutoyé les cimes, nous offrant en prime un florilège de Encores.

 

Rayonnante dans une robe Dior rose aux motifs coquillages, Nadine Sierra se jette, comme toujours, sans se poser de questions, dans les flammes de son art, déployant une énergie virtuose, un aigu et un suraigu impériaux, un souffle long qui soutient un legato parfait. Elle fait une démonstration éclatante de toutes ces qualités, dès l’ouverture du programme, nous faisant l’offrande de moment de pure émotion, avec les airs de La Rondine de Puccini, « Chi il bel sogno di Doretta », et « Depuis le jour » de Louise de Gustave Charpentier. Elle enchaîne ensuite avec une Juliette, toujours aussi impériale. La valse « Ah, je veux vivre », écrite dans un registre central, permet ici d’entendre un timbre sensuel et chaud de vrai soprano lirico, capable toutefois de colorature étourdissantes. Dans le tragique « Dieu, quel frisson court dans mes veines » qu’elle nous livre en seconde partie de concert, elle n’ajoute aucun pathos superflu, aucun expressionnisme exagéré, son chant y reste parfaitement belcantiste. Et que dire de sa Violetta sur laquelle on a déjà tant écrit. Le succès paraît assuré avant même que la soprano ait émis une seule note. Avec une technique sans faille, elle aborde « E strano… sempre libera », comme si elle se promenait en toute décontraction dans un jardin entièrement familier. Elle enchaîne trilles et vocalises avec une agilité confondante. Le registre aigu est électrisant. Malgré son aisance évidente, Nadine Sierra démontre qu’elle sait doser ses effets, loin de la pyrotechnie vocale. Elle compose, par toute une palette de variations et de nuances, un portrait remarquable de Violetta. Elle donne ici libre court à la frivolité de la courtisane tout en laissant entrevoir déjà, par ses accents et couleurs, les affres de l’héroïne déchue. Elle sait désormais, bien mieux que jadis d’ailleurs, donner essence humaine à un personnage au-delà des perles vocales. Cette texture de chair et de sang, on l’entend ici dans La Traviata, et on l’entendra également dans l’air de la folie de Lucia di Lammermoor en toute fin de programme.

 

Dans la seconde partie, l’artiste parée d’une robe fourreau noire, sertie de perles diamantées, nous amène hors des sentiers battus de l’opéra, en offrant une somptueuse interprétation de Summertime, mettant en lumière un registre grave qui ne manque pas de séduction. En forme de conclusion, Nadine Sierra nous livre un scoop : ce soir, c’est le dernier soir de sa Lucia« Why » ? lui lance alors en chœur le public chamboulé par cette annonce. Parce qu’explique-t-elle, elle estime aujourd’hui devoir s’arrimer à un autre horizon, et laisser le personnage à d’autres, ce qui dénote la grande humilité de la chanteuse, mais aussi la conscience que son expérience est aussi un passage de relais… Mais à quel rôle rêve-t-elle désormais, elle qui a mis un point d’honneur de passer à pas feutrés, des légers aux lyriques ? Le florilège des Encores qui va suivre, semble nous tendre un début de réponse…

 

Comme à son habitude, avec la générosité qu’on lui connaît, Nadine Sierra nous offre une avalanche de bonus. En hommage à ses racines (et sans nul doute, à sa maman, comme à chacun de ses concerts) elle nous livre une relecture envoûtante de Besame mucho en duo avec un contrebassiste. Dans ce registre la soprano américaine use une fois de plus de l’alliage ensorcelant d’un grave moiré et d’un aigu étincelant pour nous mettre à genoux. Elle poursuit ces Encores par deux air d’opéra : l’un qu’elle porte avec le cœur et l’âme de concert en concert, « O mio  babbino caro » extrait de Gianni Schicchi, et l’autre, le monologue d’une diva prénommée Floria. Et c’est donc « Vissi d’arte » que Nadine Sierra nous tend en bouquet-surprise. Le timbre, le grave, tiennent ici toute leur place dans cette interprétation qui manque toutefois un tantinet de corps pour être pleinement convaincant. Mais déjà la nuance est de mise : nullement hystérique, cette diva-là est toute en frémissement d’amour et lumineuse douleur. Insatiable, Nadine Sierra ne quittera la scène qu’à 23 heures, après deux heures et demie d’un one-woman-show éblouissant. En maîtresse de cérémonie, elle a dispensé une leçon de chant qui a, comme toujours, fait chavirer le public et conduit l’Orchestre Lamoureux, sous la direction d’Adrien Perruchon, à donner le meilleur de lui-même.   

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Salle Gaveau, le 4 février 2025. Récital de Nadine SIERRA. Orchestre Lamoureux, Adrien Perruchon (direction). Toutes les photos © Jean-Yves Grandin

 

VIDEO : Nadine Sierra interprète l’air « Ah, je veux vivre » extrait de « Roméo et Juliette » de Charles Gounod

 

ENTRETIEN avec François BOU, à propos de sa nomination à la direction artistique de la Casa da Música à Porto (Portugal)

Directeur de l’Orchestre National de Lille jusqu’en janvier 2025, François Bou inaugure en février une nouvelle page de sa formidable trajectoire, comme directeur artistique de la CASA DA MÚSICA à PORTO. L’occasion est belle de lui demander ce qu’il retient de son travail au sein de l’ON LILLE et aussi ce qu’il souhaite développer au Portugal… à l’aube de nouveaux défis prometteurs (portrait de François Bou © S. Pruvost)
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CLASSIQUENEWS :  Avec le recul quel est votre regard sur vos années passées au sein de l’ONLILLE / Orchestre National de Lille ? Quel est votre bilan ?

François BOU : Évidemment tout cela a pu se réaliser grâce à un formidable travail d’équipe, avec l’ensemble des équipes de direction, artistique, technique et administrative. Avec le recul, je dirai que nous avons réussi à accompagner l’après Jean-Claude Casadesus. Ce fut une période de transition délicate.

En ce sens je suis très heureux d’avoir pu recommander et faire choisir à sa succession Alexandre Bloch ; puis 8 années après, Joshua Weilerstein qui vient de prendre ses fonctions depuis septembre 2024. J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec Alexandre ; nous avons innové en termes d’offres et de formats, comme le nouveau festival d’opéra, « Les Nuits d’été » chaque juillet ; en termes de communication avec les publics aussi, à l’attention desquels nous avons multiplié des propositions de plus en plus créatives… Joshua ira encore plus loin probablement en relation avec sa personnalité.

L’autre point important de notre travail à Lille demeure le développement de l’audiovisuel et de la politique d’enregistrement. Nous avons investi dans un studio numérique autonome qui a permis d’enregistrer nos propres programmes. Cela a permis de créer des partenariats avec les labels, en particulier Alpha classics. En 10 ans, l’Orchestre a enregistré  20 cd, en majorité réalisés sous la direction d’Alexandre Bloch. Nous avons aussi développé des partenariats avec les chaînes de télévision telles que Mezzo, Arte, France Télévisions…

Cela a permis également le développement de notre propre chaîne youtube, avec « l’Audio 2.0 » en particulier pendant la pandémie ; l’Orchestre a pu ainsi proposer un cycle ininterrompu de streamings, maintenir son activité, préserver sa pratique, jouer de façon ininterrompue, partager avec son public, malgré le confinement.
Dans le contexte actuel, c’est à dire aujourd’hui plus qu’hier, il faut préserver coûte que coûte la visibilité, l’adaptabilité, la réactivité. Avec comme corollaire essentiel et non négociable, l’exigence artistique la plus haute. Comme d’ailleurs aussi, d’une façon générale, il ne faut jamais sacrifier l’ambition artistique, en interne et vis-à-vis des partenaires

Un autre point important concerne les ressources propres que sont la billetterie et le mécénat. Ils n’ont cessé de se développer jusqu’à la pandémie ; et cela repart aujourd’hui. L’image de l’Orchestre comme entité collective forte a permis de tracer un autre sillon après ses 40 premières années sous la direction de son fondateur Jean-Claude Casadesus. L’Orchestre s’est construit une identité propre, comme acteur important du territoire. Ainsi nos mécènes et tous nos partenaires nous ont suivis. Tout cela a profité à son image hexagonale comme internationale.

 

CLASSIQUENEWS :  Quelles sont les spécificités de la Casa da Música à Porto ?

François BOU : Officiellement je prendrai mes fonctions au fur et à mesure de l’année 2025 et signerai ma première saison en 2026. Au Portugal, chaque saison musicale suit l’année civile. La Casa da Música est d’abord un extraordinaire objet architectural qui attire les visiteurs du monde entier. Son auteur Rem Koolhaas qui a conçu aussi le Palais des congrès de Lille, signe à Porto, un écrin qui s’inscrit dans la modernité la plus créative. Son architecture appelle une programmation spécifique ; elle est déjà une déclaration d’intention. Y inscrire une programmation routinière serait impensable. Par ailleurs, la Casa da Música est l’une des rares institutions culturelles en Europe à intégrer plusieurs phalanges, complémentaires les unes aux autres : un orchestre symphonique, un orchestre baroque, un orchestre dédié au contemporain (« Remix »), un chœur professionnel, un chœur d’enfants. Elle est également dotée d’un important service éducatif. La programmation est large et particulièrement diversifiée : songez que les musiques populaires : jazz, musiques du monde, fado, variété représentent près de 30% de la programmation globale. Prenant la suite d’Antonio Pacheco, mon rôle principal sera de coordonner tout cela, d’insuffler une énergie, de tracer des perspectives, en particulier dans le sens de la transversalité entre les différentes phalanges. Il s’agira aussi de renforcer l’image de la Casa comme institution musicale de premier plan, sur le plan national et international, en s’appuyant entre autres sur le réseau européen des grandes institutions de musique (ECHO). Je souhaite imprimer ma pâte en particulier en prenant appui sur les ensembles en résidence, en renforçant aussi l’ouverture de la programmation vers la modernité (ce qui est l’ADN de la Casa da Música, en liaison avec sa très forte identité architecturale), en privilégiant aussi les artistes portugais, la création et les musiques contemporaines, la diversité des esthétiques ; certes en confirmant la place du répertoire mais aussi en invitant des chefs.fes d’orchestre au tempérament réellement captivant ; une nouvelle génération se révèle actuellement et promet bien des découvertes. L’offre au public sera aussi étoffée, diversifiée, renforcée ; comme les actions éducatives… (La Casa de Música à Porto – DR).

 

CLASSIQUENEWS :  Quels sont les équipements propres à la Casa et de quelle façon peuvent-elles aussi interférer dans la conception de l’offre musicale ?

François BOU : La Casa da Música met à disposition une multiplicité de salles et de lieux événementiels en plus des lieux conçus pour la musique : la grande salle de concert, la plus petite, sans omettre les espaces investis par les nombreuses actions du service éducatif. Mon ambition est de créer ici une activité continue dans l’esprit d’une « ruche » afin que les visiteurs venus d’abord voir l’objet architectural dessiné par Rem Koolhaas, découvrent aussi tous les lieux de musique et la très riche offre artistique qu’il contient.

 

CLASSIQUENEWS : Quelle serait pour vous, selon vos goûts personnels, une programmation idéale ?

François BOU : C’est une question d’équilibre. Entre les piliers du grand répertoire symphonique évidemment, la création, les découvertes. J’ai dans la tête plusieurs pistes ; favoriser la redécouverte des compositeurs portugais ; mais aussi développer la transversalité comme je l’ai dit précédemment. A travers des thématiques non pas trop intellectuelles mais larges, ouvertes, compréhensibles qui encouragent la circulation des idées et expriment le mouvement des influences au delà des questions de styles. Je pense par exemple à Villa-Lobos qui s’est beaucoup intéressé aux musiques populaires et les a intégrées dans ses propres partitions. Ce ne sont que quelques pistes car il y en a tellement …

 

Propos recueillis en janvier 2025

 

 

Visitez le site de La Casa de Música à PORTO : https://casadamusica.com/

Visitez le site de l’Orchestre National de Lille / ON LILLE : https://onlille.com/

GRAND THÉÂTRE DE GENEVE. PURCELL : Didon et Énée, les 20, 22, 23, 25 et 26 février 2025. Peeping Tom / Le Concert d’Astrée / Emmanuelle Haïm (direction)

L’opéra Didon & Énée, joyau du théâtre lyrique anglais, fut créé dans un orphelinat de jeunes filles, par des jeunes filles. Le regard de Purcell, sur le thème des amours entre la reine Didon et le héros troyen Énée privilégie la perception de la Reine Didon, à laquele est réservée le plus beau lamento jamais écrit depuis Monteverdi, alors que la partie du héros troyen est réduite à l’essentiel.

 

La langueur tragique de Didon permet à Purcell d’explorer la psyché féminine comme jamais jusque là, avec une exceptionnelle acuité musicale. Contrairement à son « Roi Lear » qui s’achevait avec une fin heureuse, Dido & Eneas est le fruit du poète Nahum Tate qui s’autorise quelques libertés avec l’Énéide de Virgile et inscrit le mythe carthaginois dans les ténèbres. Didon est ici, la reine veuve de Carthage, qui reçoit le prince troyen Énée, en route pour l’Italie où il doit fonder une nouvelle Troie. Malgré ses réticences, Didon cède aux avances amoureuses d’Énée. Pendant que le couple royal est à la chasse, un orage éclate. Une sorcière, et ses acolytes toutes possédées pour entraîner la chute de la Reine, se travestit en Mercure ; et dit à Énée qu’il doit abandonner Didon et partir pour l’Italie, accomplir son devoir. Énée quitte Didon, qui se donne la mort devant sa compagne Belinda (lamento final).

 

La production, présentée par le GTG pendant la pandémie de Covid et couronnée meilleur streaming de l’année 2021, est l’arène où se déploie entre poésie et verve délirante, l’imagination hors norme de la troupe de théâtre belge PEEPING TOM. Les acteurs et danseurs de la compagnie réalisent la fusion entre danse et opéra, équation qui a déjà produit de précédentes productions à Genève, dont Les Indes galantes, Atys et Idoménée.
Peeping Tom imagine tout un monde parallèle dont l’action se mêle peu à peu à l’intrigue finalement courte et rapide de l’opéra de Purcell. Comme souvent chez eux, des séquences décalées, empruntant au surréalisme, font surgir des éléments intranquilles et fantastiques. Peu à peu s’invite sur les planches un dérèglement cauchemardesque au diapason de la passion tempétueuse de Didon et Énée ; les éléments s’emparent de la scène (la dune de sable qui, débordant des fenêtres, semble vouloir ensevelir les protagonistes ni plus ni moins) sans compter des séquences et des situations au burlesque assumé (comme la cérémonie du thé aux attitudes aussi décalées qu’humoristiques).

 

Selon l’imaginaire délirant de PEEPING TOM, « Didi, fictive femme de pouvoir thatchérienne sur le retour, pleure sa solitude avec des pics d’autoritarisme plus ou moins cruels. Ses serviteurs évoluent au gré de ses humeurs ; d’ailleurs, empreinte de bovarysme, Didi exige que l’œuvre de Purcell lui soit jouée tous les jours… L’enfermement devient le reflet de la psyché de la reine, d’autant plus que ce palais intime est surplombé par une Chambre des Parlementaires, symbole de ses obligations politiques et de son pouvoir. »
Musicalement, Emmanuelle Haïm dirige son Concert d’Astrée dont les instrumentistes réalisent aussi dans ce dédale théâtral et musical parfois imprévisible, quelques exercices périlleux d’improvisation musicale évoluant d’une réalité à l’autre de la scène, des interludes d’Atsushi Sakai, compositeur et violoncelliste de l’ensemble, inspirés entre autres du fameux air final « When I am laid in Earth ». Dans le rôle de cette Didon tantôt capricieuse tantôt bouleversante, la magistrale mezzo suisse Marie-Claude Chappuis chante les vertiges émotionnels de la Reine tragique

 

 

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Grand Théâtre de Genève / GTG
PURCELL : Didon et Énée / Peeping Tom
5 représentations événements
jeudi 20 février 2025, 20h
Sam 22 février 2025, 20h
Dim 23 février 2025, 15h
Mar 25 février 2025, 19h
mer 26 février 2025, 19h30

RÉSERVEZ vos places directement sur le site du Grand Théâtre de Genève : https://www.gtg.ch/saison-24-25/didon-enee/

 

Henry Purcell : Dido and Æneas
 – Livret de Nahum Tate d’après l’Énéide de Virgile – 
Créé en décembre 1689 à Chelsea
 – Dernière fois au Grand Théâtre en 2001-2002
Chanté en anglais avec surtitres en français et anglais- 
Durée : environ 1h50 sans entracte
Reprise de la production de 2020-2021 (en streaming)
 – Coproduction avec l’Opéra de Lille et les Théâtres de la Ville de Luxembourg

 

DISTRIBUTION

Direction musicale : Emmanuelle Haïm & Atsushi Sakai
Mise en scène et chorégraphie: Franck Chartier (Peeping Tom)
Composition et conception musicale : Atsushi Sakai
Dido, reine de Carthage / Magicienne / L’Esprit : Marie-Claude Chappuis
Æneas, prince troyen / Un marin : Jarrett Ott
Belinda, dame d’honneur / Deuxième sorcière : Francesca Aspromonte
Première sorcière / Deuxième dame : Yuliia Zasimova
Artistes de la compagnie Peeping Tom
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Le Concert d’Astrée

 

 

20 et 22* février 2025 – 20h
23 février 2025 – 15h | représentation disponible en audiodescription,
pour en bénéficier, s’inscrire auprès de [email protected]
ou par téléphone au 079 893 26 15**
25 février 2025 – 19h
26 février 2025 – 19h30
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Représentation « Glam Night »

RÉSERVEZ vos places directement sur le site du Grand Théâtre de Genève : https://www.gtg.ch/saison-24-25/didon-enee/

ORCHESTRE NATIONAL DU CAPITOLE DE TOULOUSE. Jeudi 20 fév 2025. Concert Mozart, Richard Strauss… Tarmo Peltokoski, direction

Le jeune directeur musical de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, Tarmo Peltokoski, montre dans ce nouveau concert événement, combien il est passionné par l’opéra et les deux compositeurs choisis, Richard Strauss et Mozart. Le maestro de plus en plus engagé et pertinent, se fait ici le metteur en scène d’un passionnant florilège, en complicité avec la soprano australienne Siobhan Stagg.

 

 

L’élégance mozartienne, le génie dramatique et flamboyant du grand Strauss fondent le très haut intérêt du programme qui reflète aussi, sur le plan théâtral, l’entente miraculeuse entre compositeurs et librettistes : Mozart et Da Ponte au XVIIIè, puis Richard Strauss et Hugo Von Hofmannsthal, aux XIXè / XXè. Deux duos inestimables qui ont marqué l’histoire de l’opéra.  L’Opéra de Vienne ouvre ses portes avec Don Giovanni en 1869 : hommage inaugural qui rend justice au compositeur de Lumières que les Viennois eurent cependant du mal à comprendre et célébré, a contrario des praguois ; pourtant, Mozart créait dans la capitale des Habsbourg, ses plus grands chefs-d’œuvre : Les Noces de Figaro, La Flûte enchantée.

 

 

Grâce à sa collaboration fructueuse avec le librettiste viennois von Hoffmansthal, Richard Strauss compose plusieurs opéras non moins passionnants, qui fusionnent l’esprit de Mozart, l’orchestre de Wagner ; ils sont peuplés d’héroïnes à la psychologie complexe : L’impératrice et la femme du Teinturier dans La Femme sans ombre, composée en pleine première guerre mondiale ; Elektra dévorée par la vengeance, ou Salomé, habitée par un désir sanguinaire et honteux… Vienne est le théâtre de leur Chevalier à la rose, (autre vibrant hommage musical à Mozart et aux valses de Johann Strauss)…

 

 

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ORCHESTRE NATIONAL DU CAPITOLE DE TOULOUSE
TOULOUSE, Halle aux grains
Grand concert symphonique / Jeu. 20 février 2025 – 20h
RÉSERVEZ vos places directement sur le site de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse : https://onct.toulouse.fr/agenda/tarmo-peltokoski-8665381/

 

 

 

 

ORCHESTRE NATIONAL DU CAPITOLE DE TOULOUSE
Tarmo Peltokoski, direction
Siobhan Stagg, soprano

Wolfgang Amadeus Mozart
Les Noces de Figaro, ouverture
Les Noces de Figaro, Air de la Comtesse « Porgi Amor »
Les Noces de Figaro, Récitatif et Air de la Comtesse « E Susanna non vien… » « Dove Sono »

Richard Strauss
Le Chevalier à la rose, suite

Wolfgang Amadeus Mozart
La Flûte enchantée, ouverture
La Flûte enchantée, Air de Pamina « Ach ich fühl’s »
Così fan tutte, Récitatif et Air de Fiordiligi « Temerari » « Come scoglio »

Richard Strauss
La Femme sans ombre, Fantaisie symphonique

 

ARTE, ARTE.TV. RAVEL 2025 : « Ravel en mille éclats », les 23 fev puis 2 mars 2025. 150ème anniversaire de Maurice Ravel

Pour célébrer le 150ème anniversaire du plus grand compositeur français du XXè, ARTE diffuse le film musical « Ravel en mille éclats », d’abord sur ARTE.TV (23 février) puis à l’antenne d’ARTE (le 2 mars 2025, 18h05).

 

La fiction inédite évoque la vie de Maurice Ravel sous la forme d’un parcours musical comprenant ses plus grands chefs-d’œuvre ;le film invite aussi à découvrir des œuvres méconnues, ou trop peu jouées en concert, plus secrètes et intimes, en variant les lieux, les formations musicales, les dispositifs scéniques.

 

Qui était Maurice Ravel ? Les avis et témoignages divergent… dandy timide et élégant, tiré à 4 épingles, consciencieux et solitaire, secret et trop pudique ? Sa sensibilité le porte vers l’ineffable et l’invisible qu’il parvient cependant à exprimer dans sa musique.
Né en 1875 et mort en 1937, le compositeur « répugnait à parler de lui-même », écrivait le musicologue Roland-Manuel en introduction de l’Esquisse autobiographique que le compositeur accepta de lui dicter en 1928, à défaut d’un entretien. De fait, l’auteur du Boléro n’a laissé pour tout témoignage que les quelques écrits, photos et courts films où il apparaît…


Le duo de réalisateurs François-René Martin et Gordon a imaginé une évocation purement musicale du père du Boléro. Protagonistes sans paroles, l’Orchestre de Paris et le maestro Klaus Mäkelä, le pianiste Bertrand Chamayou, la soprano colorature Sabine Devieilhe, le quatuor Modigliani, le chœur Accentus et sa cheffe Laurence Equilbey, la soprano Marie-Laure Garnier, la violoniste Raphaëlle Moreau et la pianiste Célia Oneto Bensaid interprètent chefs-d’œuvre et autres joyeux moins connus

Chacun des chapitres du film met en avant une partition jouée éclairant un aspect particulier de sa vie et de sa personnalité. Tourné dans la maison-musée de Montfort-l’Amaury (« le Belvédère » conçu dans un style tout à fait Art déco / art nouveau) où Ravel vécut jusqu’à sa mort), à l’Église de Ciboure (où il fut baptisé), au couvent Sainte-Marie de la Tourette, construit par Le Corbusier à Évreux, et à la Philharmonie de Paris, le film biographique inscrit chaque œuvre dans son propre univers esthétique et miroitant, riche en jeux de lumières et de couleurs, « singulier palimpseste où se superposent images du passé et du présent ». Immensément cultivé, expert des nuances et des filiations les plus ténues, Ravel est ce grand sorcier des sons et des harmonies célestes dont le chant ouvre grandes les portes d’un paradis musical, jusque là jamais écouté. Dire que Ravel est le plus grand orchestrateur est une évidence qui rend hommage à son génie inclassable.

 

 

 

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ARTE / ARTE.TV – Ravel en mille éclats
Film musical de François-René Martin et Gordon – Avec Klaus Mäkelä, Sabine Devieilhe, Bertrand Chamayou, Marie-Laure Garnier, Raphaëlle Moreau, Célia Oneto Bensaid, le Quatuor Modigliani, le choeur de chambre Accentus et l’Orchestre de Paris. Durée : 1h20

Diffusion le 2 mars à 18h05 sur ARTE – 
Disponible sur arte.tv dès le 23 février
PLUS D’INFOS sur le site ARTE : https://www.arte.tv/fr/

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-grains, le 31 janvier 2025. K. WEILL. Lambert Wilson / Bruno Fontaine (piano) / Alexandra Cravero (direction)

Lambert Wilson et l’Orchestre national du Capitole de Toulouse ont programmé deux concerts pour rendre hommage à Kurt Weill. Ce spectacle mêlant théâtre, chant et musique symphonique est très original. Lambert Wilson joue plusieurs personnages dont Kurt Weill. Il se change et se maquille à vue. Très peu d’accessoires lui permettent de donner vie à ses personnages. Sa diction parlée comme chantée est impeccable dans toutes les langues.

 

De manière chronologique le public est amené à suivre les voyages de Kurt Weill. Bien sûr, au début en Allemagne, son association avec Berthold Brecht est fructueuse. L’Opéra de quatre sous, Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny et de nombreuses chansons en témoignent ce soir avec de larges extraits, ce début assez sombre ne cachant pas les affres de la misère de la fin des années 20. Fuyant en 1933 les persécutions nazies, Kurt Weill se réfugie ensuite à Paris. Le Grand Lustucru, Je ne t’aime pas et Youkali illustrent cette période heureuse. Sa musique change et devient plus lumineuse. L’humour y est moins grinçant. En 1935 Weill part aux USA. Il conquiert rapidement Broadway avec des œuvres brillantes et heureuses. Sa musique permet de comprendre combien il se sent bien dans ce pays. Les extraits choisis sont plein d’esprit, de fantaisie et de joie de vivre ; ils sont un vrai bonheur.

 

Lambert Wilson esquisse des pas de danses, l’orchestre se pare de mille couleurs. L’évolution stylistique de Kurt Weill est assez spectaculaire. C’est un peu un grand écart entre sa période allemande et américaine. Les musiciens de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse semblent se régaler. Chaque pupitre à son moment de gloire : cuivres et percussions en particulier. Au centre de l’orchestre, juste devant la cheffe, le piano de Bruno Fontaine est roi. Le jeu subtil et incroyablement varié du pianiste est ensorcelant. La direction d’Alexandra Cravero, parfois avec les poings, choisit la précision et la rigueur. La manque de souplesse se ressent dans la musique écrite en France et surtout celle pour Broadway. Le chanteur et le pianiste épousent parfaitement les changements stylistiques. Les extraits des comédies musicales ont tous les saveurs attendues. Ce spectacle est sonorisé subtilement. Les jeux de lumière discrets sont très suggestifs et proposent des ambiances diverses. Kurt Weill est bien un musicien inclassable tant il excelle dans tous les genres. Ce spectacle très original avec des artistes de haut vol en fait la belle démonstration.

 

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CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-grains, le 31 janvier 2025. K. WEILL. Lambert Wilson / Bruno Fontaine (piano) / Alexandra Cravero (direction). Crédit photographique © Hubert Stoecklin

CRITIQUE, cinéma. « Maria » de Pablo Larraín (avec Angelina Jolie)

Salué à la Mostra de Venise, le biopic consacré aux derniers jours de Maria Callas s’affiche sur nos écrans ce mercredi 5 février. Dans le rôle-titre, Angelina Jolie fait ce qu’elle peut mais reste prisonnière d’une réalisation mièvre et convenue.

 

Le film s’ouvre avec la mort de la diva, allongée sur le parquet d’un vaste salon, entourée de quelques personnes figées. Des brancardiers surgissent, silencieux plus que discrets. Suivent des images d’archives reconstituées (en noir et blanc pour nous aider à comprendre que c’était avant) tandis qu’Angelina Jolie prête le mouvement de ses lèvres à l’Ave Maria d’Otello (sous la direction de Nicola Rescigno), pour nous aider à comprendre que c’est triste… Flash-back de quelques jours. Voici la Callas qui parle avec ses domestiques, se préoccupant faussement du mal de dos de l’un (Ferruccio Mezzadri), à qui elle impose les incessants déplacements de son piano à queue, narrant ses insomnies à l’autre, qui cuisine, entourée de deux caniches frisés (hideux). Puis, tandis que Bruna Lupoli fait frire une omelette, elle chante Casta Diva a capella. Un caniche gémit pour nous aider à comprendre que Callas peut mieux faire. C’est confortable, on est bien.

 

Elle fume trop, se nourrit peu, avale des cachetons : à ce moment du film, on est en droit de se demander si elle est bien dans sa peau. Heureusement, les dialogues sont ciselés : « What did you take ? », « I took liberties, all my life. And the world took liberties with me ». On observera que cette blague avait déjà été utilisée dans un film de John Ford (« Liberty Valance taking liberties with the liberty of the press »), rendons au moins grâce aux dialoguistes de Maria qu’ils sont cultivés. La voici qui se promène au Trocadéro. Surprise : les touristes sont en fait des choristes et l’on entend le Trouvère. Pour Callas, on comprend que la musique est partout. Au moindre bruit de klaxon, on se surprend à s’interroger : serait-ce du Gershwin ? Du Varese ? L’hallu se poursuit. Devant une église, avec des musiciens et des choristes stoïques sous la pluie (mais pourquoi ?), le chœur à bouche fermée de Madama Butterfly se fait entendre. Les choristes sont en tenue traditionnelle, elles tiennent des lampions, sans doute parce que c’est joli, et Maria, grimée, penche la tête à gauche puis à droite. « Rain and tears are the same », elle pleure. EMOTION.


Interviewée par un journaliste qui arbore un col de chemise pelle à tarte (so 70s), elle sourit tandis qu’au-dessus d’elle un métro aérien surgit, dans sa belle livrée verte et blanche pas du tout 70s, allô la post-prod ? A une terrasse de café, elle engueule un fan, elle est irascible, puis, à l’intérieur du café, engueule le serveur (on a tous rêvé de faire ça un jour…). Entretemps, elle prend des cachets, n’en prend plus, balance quelques anecdotes, essaye de chanter à nouveau mais quand ça veut pas hein… On a un plan appuyé sur son stock de médocs. Le docteur Fontainebleau (oui, comme dans Don Carlo) est incarné par Vincent Macaigne, c’est drôle). Il énonce : sédatifs, tranquillisants, stéroïdes… De quoi gagner plusieurs fois le Tour de France. On est tristes tout de même, on se dit que ça va mal finir, surtout que Vincent Macaigne est tout tristounet.

 

Un peu d’Onassis, quelques reconstitutions scéniques (très très brèves), un piano qu’on déplace, John Kennedy renvoyé dans ses 22 mètres et des caniches, le film poursuit son travail mémoriel gnan gnan, avec application. Dans le vaste appartement de l’avenue Georges Mandel, Pablo Larraín multiplie les mouvements de caméra, tous d’une lenteur millimétrée. Mais il ne suffit pas d’une lumière sépia (esthétique du moment pour les années 1970, comme si cette décennie s’était déroulée dans un nuage de soufre) et de gros lustres à la lumière faiblarde pour être Visconti. On sait que Wim Wenders a utilisé des films en super 8 pour donner plus de véracité à son Paris Texas (1984). En bon élève, Pablo Larraín fabrique donc des faux films super 8 (une image dégueu, ça suffit) pour faire vrai. C’est cheap et toc.

Noyé dans les anecdotes, le film s’avère incapable d’aborder son véritable sujet : une cantatrice qui n’a plus sa voix. Le réalisateur se contente de deux ou trois séances d’essais au piano. Rien de plus. Pourquoi ? Parce qu’il répugne à montrer ce sujet si peu cinématographique (sauf à avoir du talent) qu’est le travail, la répétition. Dans la plupart des biopics de chanteurs ou de compositeurs, la musique doit tenir lieu de miracle : une inspiration soudaine, géniale. Cette vision, certes cinématographique, est fausse car elle néglige l’aridité de l’effort répété. C’est ce travail qui est résolument absent de Maria. Les effets sont donc lourdement appuyés : Callas cherchant à retrouver sa voix chante comme une casserole et se noie dans le pathos (sa maman ne l’aimait pas). Pablo Larraín restitue une fragilité de pacotille.

Au moment de mourir, elle retrouve sa voix et son Vissi d’Arte (direction : Georges Prêtre) s’entend… depuis la rue. Probablement qu’elle n’avait pas de double vitrage, je vous parle d’un temps que les DPE ne peuvent pas connaître. Elle tousse, Tosca a rejoint Violetta. Puis c’est fini. Un de ses caniches gémit dans l’appartement, toujours aussi mal éclairé. Quelques vraies images d’archives et ce biopic parfaitement inutile s’achève. Deux heures, misère…

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Maria (2024) de Pablo Larraín, 124 minutes, sortie France : 5 février 2025

Avec Angelina Jolie (Maria Callas), Haluk Bilginer (Aristote Onassis), Alba Rohrwacher (Bruna Lupoli), Pierfrancesco Favino (Ferruccio Mezzadri), Vincent Macaigne (docteur Fontainebleau)

OPÉRA DE RENNES. VERDI : La Traviata. 25, 27, 28 fév, 2 et 4 mars 2025. Silvia Paoli (mise en scène) / Laurent Campellone (direction musicale)

Adaptation opératique de La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils, La Traviata (littéralement « La Dévoyée ») concentre les plus beaux airs de Verdi, voire de tout le répertoire lyrique. Le compositeur brosse un portrait éloquent d’une jeune femme (Violetta Valéry), victime expiatoire de la société moralisatrice et parfaitement hypocrite du Second Empire. Violetta  inspire autant la convoitise qu’une haine collective, comme si elle devait expier le désir qu’elle faisait naître…

 

Plusieurs mélodies et airs sont devenus inoubliables, par leur charme, par leur justesse dramatique : évidemment le Brindisi pour chœur et solistes – entonné par la Courtisane triomphale au premier acte, en présence de tous ses invités (et du jeune Rodolfo qui lui fait une cour alors insistante voire irrésistible…) ; « è strano / follie ! Follie delirio vano è questo », air flamboyant où Violetta exprime le trouble infini que suscite le jeune homme dans son cœur (fin de l’acte I) ; puis le duo entre Germont père et la jeune femme qui doit renoncer ; enfin le déchirant « Addio del passato » à l’acte III, où malade et abandonnée à Paris, la dévoyée implore le destin tout en acceptant le sacrifice qui lui est imposé… sans omettre l’air fameux des gitanes au début de l’acte III qui introduit un parfum sensuel et hispanisant à ce moment de la partition…

 

Déjà présenté à Angers Nantes Opéra, la production captive par son fini visuel, l’enchaînement et la cohérence des tableaux collectifs qui exploite avec justesse et rythme, le fabuleux chœur (d’Angers Nantes Opéra). Ici Violetta est une actrice (qui joue et apparaît sur la scène d’un théâtre dans le théâtre) ; en elle, s’incarne la résistance et la dignité d’une femme trahie et sacrifiée, proie de la lâcheté des hommes. Ceux là d’autant plus méprisable qu’il s’agisse de Germont père que Germont fils : Rodolfo n’hésite pas à humilier publiquement celle qu’il disait aimer (acte II, le second bal à Paris chez Flora)…
LIRE ici notre critique de La Traviata par Silvia Paoli (Nantes, le 21 janvier 2025 : https://www.classiquenews.com/critique-opera-nantes-opera-graslin-le-21-janv-2025-verdi-la-traviata-maria-novella-malfatti-dyonisos-sourbis-choeur-dangers-nantes-opera-onpl-laurent-campellone-direct/).

 

Pour la metteuse en scène Silvia Paoli, (après une mémorable Tosca la saison dernière), le destin de Violetta est moins scellé par la maladie que par une société impitoyable et hypocrite qui ne lui laisse d’autre choix que de se sacrifier. En témoigne d’ailleurs, la droiture inflexible de sa vision de Germont Père, bras armé de la fameuse morale bourgeoise…

Photos : La Traviata de Silvia Paoli © Delphine Perrin (pour Angers Nantes Opéra)

 

 

 

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Opéra de RENNES / VERDI : La Traviata
Nouvelle production : 5 représentations événements
Mardi 25 février 2025 à 20h
Jeudi 27 février 2025 à 20h
Vendredi 28 février 2025 à 20h
Dimanche 2 mars 2025 à 16h
Mardi 4 mars 2025 à 20h
RÉSERVEZ vos places directement sur le site de l’Opéra de RENNES : https://www.opera-rennes.fr/fr/evenement/la-traviata

 

France, Angers, 2025-01-11. Repetition de La Traviata, Theatre Graslin, Nantes.  Production 2025. Photographie de Delphine Perrin / Hans Lucas.

Opéra chanté en italien et surtitré en français
Durée 2h45 entracte compris – spectacle dès 12 ans

 

 

distribution

Maria Novella Malfatti, Darija Auguštan (en alternance)
Violetta Valery

Aurore Ugolin : Flora Bervoix

Marie-Bénédicte Souque :
Annina

Giulio Pelligra, Francesco Castoro (en alternance)
Alfredo Germont

Dionysios Sourbis : Giorgio Germont

Carlos Natale Gastone, vicomte de Létorières
Gagik Vardanyan, Baron Douphol
Stavros Mantis, Marquis d’Obigny
Jean-Vincent Blot, Docteur Grenvil

Orchestre national des Pays de la Loire
(direction : Sascha Goetzel)

Chœur d’Angers Nantes Opéra
(direction, Xavier Ribes)

Laurent Campellone, direction musicale
Silvia Paoli, mise en scène

Lisetta Buccelatto, Scénographie
Valeria Donata Bettella, Costumes
Fiammetta Baldisseri, Lumières
Emanuele Rosa, Chorégraphie
Silvia Paoli en collaboration avec Baudouin Woehl, Dramaturgie

 

 

TEASER VIDÉO : La Traviata de Silvia Paoli