lundi 24 mars 2025

CRITIQUE, concert lyrique. MONTPELLIER, Opéra Comédie, 7 février 2025. WEILL / STRAVINSKY / GOUBAIDOULINA / SCHOENBERG / SILVERSTROV. N. Ruda, F. Hyon, J. Arsenault, Orchestre national de Montpellier Occitanie, George Jackson (direction)

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Sabine Teulon-Lardic
Sabine Teulon-Lardic
Critique et Musicologue : l'un nourrit l'autre et vice versa ! Sabine a écrit une Thèse sur l'opéra-comique au XIXe siècle.

En synergie avec l’actualité mondiale, le spectacle Exils est un hommage aux compositeurs et personnalités contraints à l’exil. Ce 7 février 2025, il ouvre le cycle « Exils » de l’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie, faisant résonner les œuvres d’artistes qui portent ces stigmates. Pour ce premier opus, la mise en espace de Mathilda du Tilleul McNicol s’appuie sur une trame conjointement textuelle (Rosa Luxembourg) et musicale autour du Berliner Requiem de Kurt Weill.

 

Côté théâtre musical, l’ossature s’appuie sur les Lettres de prison de Rosa Luxembourg, poétesse et théoricienne marxiste. Exilée en Allemagne, elle fut assassinée par les corps francs à Berlin en 1919 pour son activisme politique au sein du mouvement Spartakiste. En conséquence, en début de spectacle, la mise en espace s’organise autour de la comédienne Lise-Delhia Chemsseddoha (Rosa), depuis les sièges de l’Opéra-Comédie jusqu’au plateau de scène. Elle y figure Rosa en captivité : une cage en treillis de fer fait office de cellule, progressivement envahie par les végétaux que chante la prisonnière. Déclamés ou sobrement affichés sur des panneaux noirs, ses textes stigmatisent les horreurs de la Grande Guerre qui motivent son pacifisme (incompris). Issus de cette strate narrative, une dizaine de « tableaux » vont se succéder, en concomitance de lumières diverses (Mathieu Cabanes), de bruitages chaotiques et d’œuvres musicales désignées dans le programme de salle (dramaturgie de Sonia Hossein-Pour). Ces tableaux font alterner le chœur avec le (ou les) soliste(s), devenus de véhéments protagonistes des drames de la guerre au vu des textes chantés. Les grillages délimitent les espaces quasiment nus (à l’exception d’un modeste bassin d’eau), esquissant le dénuement des camps de réfugiés.

 

Nous retenons la performance du baryton Julian Arsenault,timbre clair et tempérament ardent, sur des poèmes persans (Rubayat) et celle du ténor Fabien Hyon, accusateur public engagé sur les poèmes Brechtiens. Quant à l’alto ukrainienne Natalia Ruda, sorte d’Erda expressionniste, sa prestation devant l’écran d’atroces photos et vidéos de presse (Jelle Krings) secoue gravement le public. Le rapide défilement des photos symboliserait-il la banalisation des faits de guerre et d’exils sur nos espaces médiatiques ? Quoiqu’il en soit, la permanence de la guerre meurtrière demeure une dénonciation jusqu’au rideau final : 110 conflits armés y sont répertoriés.

 

Du côté musical, lorsque les six mouvements du Berliner Requiem de Kurt Weill (1928) forment la colonne vertébrale du spectacle, quatre autres œuvres s’y entrelacent d’une manière intelligente. Car le montage musical est d’une cohérence aboutie et fait résonner la puissance dramatique de la partition de Weill voulue accessible pour tout public (transmise par la Radio de Francfort) à l’occasion des dix ans de la fin de 14-18  Et la direction musicale de George Jackson, éminemment attentive, permet au public d’accrocher son attention au fil de 90 minutes de spectacle. La Symphonie pour instruments à vents d’Igor Stravinski (1921) s’incruste adroitement dans les séquences de Weill, tant le traitement idiomatique des bois et des cuivres y sonnent avec une modernité analogue. En sus, son originalité rythmique et ses répétitions incantatoires sont superbement interprétées par les pupitres de l’OnMO.

 

 

Le post-modernisme de l’Ode à un Rossignol de Valentin Silvestrov (1983 ), exécuté avec de brillants scintillements (harpe, claviers sur un ostinato de quarte descendante) n’est pas le plus captivant de la sélection. En revanche, l’univers inédit de Rubayat (1976) de la compositrice russe Sofia Goubaïdoulina, exilée à Hambourg, opère une grande séduction orchestrale par les incessantes transformations de la matière sonore (timbales, bois) associées à la poésie d’un « ailleurs » persan avec le baryton Julian Arsenault. La clôture d’Exils mise toutefois sur l’apaisement collectif : la performance du Chœur de l’Opéra national de Montpellier (préparé par Noëlle Gény) fait vibrer l’ode Frieden auf Erden d’Arnold Schönberg (1911). La vigueur des huit pupitres vocaux et la précision des intonations contrapuntiques distillent une énergie de l’espoir qui parcourt la salle de spectacle : « Un royaume va se construire Qui cherche la paix sur la terre » !

Avec ce sublime chœur de Schönberg, le premier opus du cycle Exils pourrait s’intituler « Guerre et (appel à la) paix ». Au terme d’un spectacle coup de poing, le public montpelliérain acclame longuement les artistes. De notre côté, nous pointons le courage de la programmation de Valérie Chevalier, directrice de l’OONM Occitanie, favorisant les nouveaux récits d’une maison d’opéra au XXIe siècle. 

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CRITIQUE, concert lyrique. MONTPELLIER, Opéra Berlioz, 7 février 2025. WEILL /STRAVINSKY /GOUBAIDOULINA /SCHOENBERG / SILVERSTROV. N. Ruda, F. Hyon, J. Arsenault, Orchestre national de Montpellier Occitanie, George Jackson (direction). Toutes les photos © Marc Ginot

 

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