Un concert conçu comme un laboratoire musical hors limites… L’ON Lille / Orchestre National de Lille s’ouvre ce soir à d’autres manières de jouer les œuvres. Le propos questionne les conditions du travail préparatoire et la nature des répétitions… Son sujet est, sans chef désigné, comment jouer ensemble dans le sens d’une intelligence collective ?
Précisément le dispositif habituel et la place du maestro sont-ils les seules conditions possibles et efficaces ? Voilà ce soir la preuve éloquente qu’il existe d’autres pistes de travail et des configurations alternatives pour réaliser, vivre [et partager] l’expérience orchestrale… Promoteur de ce process nouveau : le violoniste David Grimal qui a depuis plusieurs années développé cette pratique orchestrale sans chef, au sein de son propre ensemble Les Dissonances, malheureusement dissout en 2024…
En choisissant un programme essentiellement dédié à Mendelssohn, l’Orchestre National de Lille expose ainsi une quarantaine d’instrumentistes, soit une formation de taille moyenne, idéalement apte à réussir l’expérience innovante, fondée, dans un esprit hautement chambriste, sur l’écoute et les interactions collectives.
JOUER SANS CHEF
La première œuvre [Les Hébrides] est jouée sans chef, son activité portée par la seule écoute partagée ; la seconde œuvre est réalisée de la même façon, avec le soliste au centre face au public [Concerto pour violon] ; enfin la 3ème œuvre (Symphonie n°4) est la plus spectaculaire dans ce sens, et ses apports, indiscutables.
La semaine qu’ont partagé ainsi David Grimal et les instrumentistes lillois a évidemment porté ses fruits ; des fruits savoureux et délectables que l’on entend et déguste ainsi dans la symphonie n°4…, ultime partition et indiscutable accomplissement d’un programme captivant.
En ouverture, les instrumentistes offrent une lecture de La Grotte de Fingal (Les Hébrides), soignée, scrupuleuse, encore en manque de flexibilité et avec quelques déséquilibres sonores comme les cors qui jouent trop fort (ce point revient dans le finale du Concerto pour violon…). Il aurait été immédiatement corrigé par un chef depuis son podium. Mais le principe d’un groupe qui s’écoute s’affirme progressivement, dans de superbes respirations, une motricité globale qui renforce l’intensité du geste comme de la caractérisation.
L’ORCHESTRE LILLOIS À L’ÉCOLE DE L’ÉCOUTE COLLECTIVE
Le Concerto pour violon permet d’affiner encore les équilibres entre pupitres, soulignant aux côtés du violoniste, des cordes [violon l) particulièrement flexibles, aux phrasés élégantissimes, attentives au caractère de chaque mouvement. L’accord soliste / orchestre est réellement atteint dans le 3ème mouvement où l’urgence et ce caractère d’incandescence passionnelle, se réalisent avec franchise et équilibre.
Enfin la 3ème partition (Symphonie n°4 « Italienne ») concrétise l’apothéose de la soirée ; la réalisation des œuvres précédentes ayant permis d’acquérir flexibilité et finesse du son. Sans chef mais comme stimulé par la suractivité du premier violon [David Grimal] assis comme ses partenaires, les musiciens affirment une qualité de nuances et de phrasés, des respirations superlatives qui avec autant de précision [et de naturel], clarifient la texture sonore globale, permettant de capter chaque intervention entre les pupitres des cordes [violons I et II, altos, violoncelle, contrebasses], dans une caractérisation superlative.
Ce Mendelssohn sonne comme du Bach dont le génie de l’architecture contrapuntique, se dévoile comme jamais dans l’écriture du Romantique (on sait l’admiration de Mendelssohn pour son prédécesseur baroque à Leipzig), en particulier dans la fugue du dernier mouvement ; les étagements demeurent perceptibles ; chaque plan instrumental reste idéalement individualisé… Les cordes façonnent un tapis soyeux, constamment souple et clairement dessiné, véritable entité motorique qui porte et entraîne tous les autres pupitres.
ENTRE JAILLISSEMENT ET EMBRASEMENT
Il en ressort spécifiquement dans cette 4 ème « italienne », une finesse expressive, des respirations justes, une ivresse sonore à la fois active et aérienne, exaltée, joyeuse, impérieuse, qui galvanise l’effectif entier et qui, chez l’auditeur lui permet de vivre enfin ce jaillissement premier donnant l’impression d’écouter l’œuvre dans la plénitude esthétique et poétique, comme s’il s’agissait de sa création au moment du concert. La 4ème regorge ainsi de lumière latine, de cette italianité souveraine et rayonnante qui électrise littéralement chaque instrumentiste et chaque pupitre.
Rares les sentiments de ce type ; exceptionnelle reste cette formidable expérience orchestrale. Une telle subtilité à la fois claire, transparente, détaillée, comme portée par l’urgence et une vitalité libérés, ne s’écoute habituellement qu’en présence d’un orchestre sur instruments d’époque. C’est en plus du tempérament du violoniste invité, l’indiscutable adaptabilité des musiciens de l’Orchestre National de Lille qui se révèle ainsi, déployant d’indiscutables qualités interprétatives. Accomplissement d’autant mieux partagé que l’audience réunie ce soir, accueille pas moins de 700 jeunes. Belle exemple de sensibilisation du classique. Gageons qu’à l’écoute d’une telle Italienne, nombre d’entre eux auront succombé à la magie orchestrale.
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CRITIQUE, concert. LILLE, le 12 février 2025. MENDELSSOHN : Les Hébrides, Concerto pour violon, Symphonie n°4 « italienne », Orchestre National de Lille. DAVID GRIMAL, violon / Toutes les photos © Ugo Ponte / ONL Orchestre National de Lille 2025.