lundi 24 mars 2025

CRITIQUE, concert. PARIS. INVALIDES, Cathédrale Saint-Louis, le 6 février 2025. Elsa BARRAINE : Symphonie n°2. Henri TOMASI : Requiem pour la paix. Choeur universitaire de l’OCUP (Guillaume Connesson, chef de choeur), Orchestre de la Garde Républicaine, Sébastien Billard (direction)

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En complément des expositions présentées par le musée de l’Armée [actuellement « Une certaine idée de la France »], la saison musicale des Invalides bat son plein, affirmant la pertinence et l’esprit d’exploration que nous apprécions désormais. Deux œuvres aussi méconnues que passionnantes sont ainsi révélées ce soir sous la haute nef de la Cathédrale Saint-Louis, avec d’autant plus de conviction que les interprètes [en nombre] se montrent particulièrement impliqués et justes.

 

On connaît d’Elsa Barraine son 1er Prix de Rome [comme Lili Boulanger] et aussi son engagement comme résistante, puis son ralliement au parti communiste… Avec Lili Boulanger, Elsa Barraine partage aussi un tempérament puissant dont sa Symphonie n°2 (1938) témoigne. Son écriture est d’une rare subtilité et son développement répond à un sens de la concision comme de l’intensité et de la nécessité formelle que n’aurait pas renié… Sibelius. Mais comme une ligne de force du programme, c’est la destinée de l’homme qui est au centre de la symphonie : l’homme combattant, l’homme résistant car c’est bien la guerre qui inspire ce massif en 3 parties [d’où son titre  » Voïna  » / guerre en russe]. L’ennemi est alors allemand et nazi, et les russes sont un rempart actif qui galvanise le moral des Alliés. Tout cela s’entend dès le premier mouvement (Allegro) qui exprime la marche pleine d’entrain du soldat confiant, ardent, déterminé (mais aussi préoccupé comme l’exprime clairement la partie de la flûte, trouble, ambivalente). Somptueuse fanfare qui exalte et entraîne, les cuivres [et les percussions] sont constamment sollicités avec le panache et la vitalité, avec la rondeur et l’éclat, requis.

 

Le second mouvement (Marche funèbre) intensifie encore la texture instrumentale mais avec cette verve continue qui marque une activité et une conscience toujours aiguisée, ici dans le regret médité des pertes, dans le deuil des victimes fauchées par les feux croisés ; là encore l’écriture suggère, avance sans aucune dilution [la leçon du maître Dukas qui fut professeur de Barraine a été totalement absorbée]. Enfin comme une célébration heureuse et presque insouciante, la Finale est lumineux, d’un contraste saisissant avec ce qui précède. La musique dit essentiellement cette joie retrouvée, celle d’un monde enfin pacifié, qui a vaincu, restaurant harmonie et fraternité.

 

 

La seconde œuvre enchaînée sans pause, sollicite la collaboration d’un grand chœur et d’un quatuor de solistes, formation habituelle pour un Requiem. Saluons d’emblée l’exceptionnelle lecture qui en est faite ce soir : tant le chef Sébastien Billard, soignant la clarté et l’équilibre des étagements, éclaire l’humanité fraternelle qui est au cœur de la partition d’Henri Tomasi. Chef et musiciens en délivrent une compréhension directe, profondément touchante, au plus proche des préoccupations de l’auteur qui l’a composé, alors démobilisé (depuis juillet 1940), à partir de 1943, au Monastère de la Sainte-Baume (non loin de Marseille, sa ville natale), dans un recueillement inquiet, doutant des hommes comme de l’humanité.

Comme une œuvre testament mais aussi un jalon exutoire dans son cheminement intime, le Requiem de Tomasi place l’homme éprouvé face aux doutes, confronté au sens même de la vie, face à la mort. L’inquiétude qui terrasse (éprouvée par le chœur dès le début) puis à divers moments du cycle de déploration, l’intercession des solistes, tous forces tranquilles, rassérénantes (dès l’Absolve pour la voix du baryton, paternel, humble et compatissant tel un thuriféraire apaisant) éclairent comme un rite spirituel dont le cheminement délivre : la structure de l’œuvre convainc par sa logique et sa grande cohésion formelle, d’autant que Tomasi ne s’éparpille pas et se concentre sur son sujet : la question du sens de la vie terrestre et de la destinée humaine. Photo ci-dessus : Sébastien Billard et les solistes du Requiem de Tomasi aux saluts (© classiquenews 2025).

L’orchestre surpuissant (splendides cuivres) expriment le chaos d’un monde menaçant ; le chef lui insuffle sa dimension implacable, sa force de perturbation ; les choeurs excellemment préparés par le compositeur Guillaume Connesson, incarnent idéalement l’angoisse d’une humanité toujours ardente et démunie… Cependant que les solistes expriment à leur façon l’engagement de l’être à résister, faire face, espérer. Dans ce sens, se détachent l’Hostias où rayonne le chant lyrique et protecteur de la mezzo avec violon solo ; l’Agnus dei pour soprano et le chœur de femmes que prolonge ensuite l’aria solo de la trompette, sublime instant suspendu, qui peut être compris comme la méditation de ce qui a été dit jusque là et l’affirmation qu’un espoir est possible.

A notre avis, le Libera me est particulièrement intéressant, dans ses harmonies raffinées et le scintillement de sa parure orchestrale, alors conçue comme une traversée hallucinée, initiée par les 2 voix masculines. Y captivent ses vagues fauréennes d’une absolue sincérité, appel à une sérénité intérieure enfin éprouvée. Tout cela prépare l’élévation espérée qui porte l’homme terrestre vers son salut ; lui seul peut réussir dans ce chemin intranquille, incertain. C’est pourquoi le Requiem de Tomasi demeure à hauteur d’homme, sans l’in paradisium traditionnel.

La partition est une acquisition récente, exhumée par le musicologue Frédéric Ducros Malmazet qui retrouve le manuscrit, ce qui permet sa reprise par Michel Piquemal en 1996, 50 ans après la création par l’auteur lui-même (Palais de Chaillot, avril 1946, avec l’Orchestre Pasdeloup). Tomasi semble l’avoir reléguée et comme enfouie comme s’il ne l’estimait pas parmi son corpus essentiel… Ce soir, son écoute laisse un sentiment absolument inverse : foudroyante et sincère, précise et économe. Tomasi comme Barraine écoutée précédemment, laisse une œuvre franche et personnelle, formellement très aboutie et cohérente dont le sujet central est l’homme et le sens de son passage terrestre. Programme des plus cohérents. Saisissant.

 

 

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Invalides, le 6 février 2025. Elsa BARRAINE : Symphonie n°2 / Henri TOMASI : Requiem pour le paix. Audrey Maignan, soprano / Madeleine Bazola-Minori, mezzo-soprano / Boris Mvuezolo, ténor / Shoya Kono, baryton, Choeur universitaire des Universités de Paris / OCUP,
Guillaume Connesson, chef de choeur / Orchestre de la Garde Républicaine. Sébastien Billard, direction

 

 

 

approfondir

LIRE aussi notre présentation annonce du concert aux INVALIDES : Elsa BARRAINE (Symphonie n°2) / Henri TOMASI (Requiem pour la Paix) : https://www.classiquenews.com/invalides-jeu-6-fev-2025-requiem-de-tomasi-symphonie-n2-voina-delsa-barraine-orchestre-de-la-garde-republicaine-pascal-billard-direction/

 

 

prochain concert aux Invalides

Jeudi 13 mars 2025 : « En exil aux USA » : Bartok, Stravinsky, Honegger, Milhaud. Aurélien Pascal, violoncelle, Orchestre symphonique de la Garde Républicaine, Sébastien Billard (direction) – Infos et billetterie : https://www.musee-armee.fr/au-programme/cette-semaine-au-musee/detail/en-exil-aux-usa.html

Entre 1933 et 1944, environ 1 500 musiciens fuient l’Europe et émigrent aux États-Unis, tels Bartók, Milhaud et aussi Stravinski dont le « Dumbarton Oaks Concerto », commande de riches mécènes américains, y est créé sous la direction de Nadia Boulanger.

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