lundi 24 mars 2025

CRITIQUE, opéra. TRONDHEIM, Salle de concert de la Loge, le 30 janvier 2025. ORLANDINI : Arsace. A. Hallenberg, L. Garcia, G. Bridelli, L. Johnson, A. Yvoz… Orkester Nord, Martin Wahlberg (direction)

A lire aussi

Au cœur des frimas sillonner les airs vers la demeure de l’hiver n’est pas une tâche aisée, mais elle demeure envoûtante. Par-delà les cols engourdis dans leur rêve de glace des montagnes norvégiennes, le soleil de Munch explose en mille feux orangés. Au large, les montagnes croisent leurs avant-bras puissants face aux tempêtes pour bercer dans la quiétude du fjord, le bijou serti de glace de la ville de Trondheim.

L’ancestrale cité portuaire flottant dans l’azur profond de sa baie recueillie lance aux lumières boréales son clocher vert-de-gris comme un doigt pointé vers les étoiles polaires.

 

 

Telle est le lieu où chaque année se déroule le fabuleux Festival baroque de Trondheim sous la lumière dorée et blanche de fin janvier. Outre la ville qui est un trésor de patrimoine bâti et d’un grand dynamisme, la manifestation baroque dirigée par le chef d’orchestre et directeur artistique Martin Wahlberg, est un des rares festivals scandinaves à s’engager dans la redécouverte et le renouvellement du répertoire. Après avoir enregistré des magnifiques opéras comiques de Grétry et de Duni, Martin Wahlberg et son magistral Orkester Nord se sont lancés dans une aventure formidable, la recréation en première mondiale de l’Arsace de Giuseppe Maria Orlandini. 

 

Orlandini est passablement oublié au XXIème siècle et c’est dommage, c’en est même une faute. De son vivant Orlandini a été l’un des compositeurs les plus estimés et célébrés par ses contemporains. Händel, Mattheson, Vivaldi, Porpora et même des esprits tels que Burney lui reconnaissaient à la fois du génie mélodique et une inventivité sans limites. Laborde en parlait en termes élogieux « très habile Professeur, d’un mérite reconnu par tous les connaisseurs. » Giuseppe Maria Orlandini a composé des opéras et des intermezzi repris partout en Europe et même en France, en pleine révolution ramiste. 

 

En 1715, Orlandini met en musique le livret d’Antonio Salvi, Amore e maestà, inspiré directement d’une tragédie de Thomas Corneille, Le comte d’Essex (1678). Cette tragédie conte les amours malheureuses d’Elizabeth Ière d’Angleterre et Robert Devereux. Sujet opératique par excellence notamment repris par Gaetano Donizetti de la pièce d’Ancelot en 1837 dans son Roberto Devereux qui revient de temps en temps sur les plateaux de diverses maisons en Europe et aux Amériques.

Pour sa reprise à Londres en 1721, sous l’impulsion de Händel, cet opéra sera adapté par Paolo Rolli dans la Perse Achéménide sous le nom d’Arsace. Libérée par diplomatie de toute allusion à la grande Elizabeth et ses amours automnales, Arsace a rencontré un certain succès, c’est cette version que Johann Mattheson adaptera à Hambourg en 1722. Malgré tout le travail de Rolli, on reconnaît tout de même le destin funeste du comte d’Essex avec la même intensité que dans l’opéra de Donizetti ou l’iconique film de Michael Curtiz avec Bette Davis et Errol Flynn.  

Arsace est une des ces œuvres qui peuplent les rayons des bibliothèques et qui sont injustement ignorées au profit des sempiternelles reprises des mêmes titres. Ce fichu quart d’heure que subissent de tels trésors de l’intelligence humaine n’a rien à voir avec la qualité qui leur est propre mais avec une indifférence qui raye dans la sottise et la béotie. Heureusement que des artistes tels que Martin Wahlberg et son équipe se sont emparés de cet Arsace pour le faire revenir en version concert et le rendre à la postérité. A l’écoute de cette œuvre on comprend aisément les raisons de son succès et l’admiration sincère que suscitait Orlandini à son époque. En plus de la richesse de l’orchestration, l’inventivité innovante des mélodies, cet Arsace se finit avec un immense récit accompagné sublime de dramatisme digne du « Quel sangue versato » de la version donizettienne et du close-up final du film de Curtiz. Cet Arsace devrait figurer dans toutes les saisons face à la trilogie des reines ou au Gloriana de Britten. Nous saluons l’audace enthousiasmante de Martin Wahlberg, ses musiciennes et musiciens et le staff du Festival baroque de Trondheim. 

 

« Robert, I don’t know which I hate the most, you for making me love you or myself for needing you so much » (Michael Curtiz – The Private lives of Elizabeth and Essex : Warner Bros, 1939)

 

Ce drame aux dimensions épiques a été porté par une distribution de grand talent. Dans le rôle de Statira, avatar d’Elizabeth Ière, c’est la reine incontestée du baroque Ann Hallenberg qui a incarné le rôle le plus exigeant de la partition. Digne de Bette Davis ou de Beverly Sills, Ann Hallenberg a su donner une interprétation musicalement extraordinaire et dramatique qui s’est parachevée dans la grande scène de remords à la conclusion de l’opéra. Face à elle, l’Arsace/Devereux est la mezzo-soprano Lorrie Garcia à la voix profonde, le timbre riche et agile qui a su capter le rôle pathétique de l’amant jeune proie de son destin et de ses amours funestes. Objet de la convoitise d’Arsace, Rosmiri est interprétée par la sublime soprano Lina Johnson. Avec une tessiture parfaite pour le rôle, une ligne vocale d’une pureté éclatante et un sens parfait de l’ornementation et de la déclamation, Lina Johnson a porté Rosmiri a des hauteurs dignes des plus grandes soprani de tous les temps. Dans le rôle de Megabise, la fantastique Giuseppina Bridelli a fait des merveilles tant vocales que dramatiques, elle montre dans tous les rôles qu’elle s’approprie un sens du théâtre qui sait toucher exactement et transmet l’émotion juste, une qualité des plus grands artistes. Anaïs Yvoz est un nom à retenir avec un timbre riche de contrastes dans le rôle de Mitrane, espérons l’entendre encore bientôt. Dans le rôle extrêmement exigeant d’Artabano, le ténor italien Valentino Buzza a déployé une bravoure renversante dans les airs qu’Orlandini a réservé à un rôle héroïque probablement conçu pour le ténor Alexander Gordon qui maîtrisait le canto di sbalzo

Martin Wahlberg et son Orkester Nord ont donné à cette recréation une richesse de timbres, une précision hors pair et une énergie formidable. Cet orchestre aux talents multiples mérite une tournée en France et en Europe, vivement qu’on les entende avec cet Orlandini dans les plus belles scènes. Oui, interpréter et défendre des œuvres rares comporte plusieurs risques dans notre monde soumis à la barbare divinité économique, mais l’audace paiera toujours davantage que la lâcheté. Bravo alors à Martin Wahlberg et son orchestre dans cette envie de battre en brèche les présupposés et de rendre à Orlandini la voix que le destin lui avait enlevée. 

A la fin du séjour à Trondheim, alors que les flocons d’une neige couvrit de silence les toitures heureuses de la ville, sur les bords du fjord des cygnes de Berwick s’ébrouaient et les eaux berçaient les nuées chargées de doux coton dans un clapotis ineffable. Au loin, par delà les remparts escarpés l’océan infini semblait prendre la voix de Victor Hugo dans sa Légende des Siècles :

« Ma plaine est la grande plaine ;

Mon souffle est la grande haleine

Je suis terreur ; J’ai tous les vents de la terre pour passants

Et le mystère pour laboureur”

 

 

 

 

_________________________________________________

CRITIQUE, opéra. TRONDHEIM, Salle de concert de la Loge, le 30 janvier 2025. ORLANDINI : Arsace. A. Hallenberg, L. Garcia, G. Bridelli, L. Johnson, A. Yvoz… Orkester Nord, Martin Wahlberg (direction). Crédit photo © Droits réservés

Derniers articles

ORCHESTRE SYMPHONIQUE D’ORLÉANS. LATIN JAZZ SYMPHONIC, les 26 et 27 avril 2025. Fillon Trio, Marius Stieghorst, direction

C’est désormais devenu un rituel : l’OSO affiche un concert qui sort de l’ordinaire. Chaque saison de l’Orchestre Symphonique...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img