Succès triomphal amplement mérité pour cette production mémorable de I Puritani de Vincenzo Bellini par Laurent Pelly, créée en 2013 et reprise il y a six ans, servie par un casting totalement renouvelé – écho d’un récent enregistrement – qui frôle la perfection.
Sur scène, un décor dépouillé et non moins suggestif qui nous plonge dans l’Angleterre de Cromwell : l’armature constituée de tiges métalliques suggère un château, une simple cellule éclairée par la tache blanche d’un lit, puis au 3ème acte, une simple tour. L’austère et ingénieuse scénographie de Chantal Thomas, complice de longue date du metteur en scène, fait efficacement écho à celle des costumes déclinant des teintes de gris, marron et noir et contrastant avec la blancheur éclatante de la robe d’Elvira. Les lumières de Joël Adam renforcent l’impression d’austérité du monde puritain en dessinant tour à tour des ombres chinoises et des gravures de conte, et nous plongent d’emblée dans l’univers onirique qui traverse le tissu narratif. Dans sa note d’intention, Laurent Pelly a précisé vouloir surtout partir du point de vue d’Elvira, l’histoire n’étant qu’un prétexte au trouble et au délire qui gagne l’héroïne. La direction d’acteur, millimétrée sans être virtuose, souligne admirablement ce contraste entre le hiératisme des autres personnages, surtout féminins, dont les robes ne laissent transparaître aucun pli, et la fluidité animale d’Elvira, bientôt gagnée par l’hystérie – thème qui fit florès dans l’opéra du XIXe siècle. Hiératisme qui transparaît également dans les chœurs (toujours aussi excellemment dirigés par Ching-Lien Wu) ou dans le célèbre duo baryton-basse du deuxième acte.
Dans le rôle d’Elvira, Lisette Oropea est époustouflante de naturel ; sa voix brillante sans être désincarnée, doublée d’une remarquable présence scénique, n’escamote jamais une diction toujours très claire, y compris dans les passages les plus virtuoses (impressionnante variation sur « Vieni al tempio ! »). Quant à sa scène d’égarement, elle est d’anthologie. Lawrence Brownlee, coutumier du rôle, campe un Arturo au timbre toujours séduisant, mais au souffle un peu court dans son air d’entrée. Les choses s’arrangent au cours de la soirée, notamment au 3e acte, et ces quelques « ratés » sont largement compensés par une technique vocale hors pair. Le Giorgio de Roberto Tagliavini mérite tous les éloges : timbre généreux, rond et profond, malgré une certaine raideur dans le médium. Il rend parfaitement justice à la générosité de son personnage, magnifiée par une intelligibilité du texte sans faille. Le Riccardo de Andrii Kymach ne manque pas de qualités : sa noirceur efficace et ses aigus tranchants ne manquent pas d’impressionner, malgré un timbre par trop engorgé. Le reste de la distribution est complétée par trois voix issues de la Troupe de l’Opéra, toutes très prometteuses : le Bruno de Manase Latu est un ténor clair au timbre velouté, Maria Warenberg insuffle à Enrichetta une jeunesse bienvenue, malgré la difficulté de la tessiture du rôle, tandis que Vartan Gabrielian incarne un Gualtiero convaincant, malgré un timbre encore un peu vert.
Dans la fosse, Corrado Rovaris dirige les forces de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris avec précision et un sens aigu du théâtre, toujours attentif au jeu des chanteurs, malgré ça et là quelques légers décalages. Une soirée mémorable.
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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 6 février 2025. BELLINI : I Puritani. L. Oropesa, L. Brownlee, A. Kymach, R. Tagliavini… Laurent Pelly / Corrado Rovaris. Crédit photo © Sébastien Mathe