lundi 24 mars 2025

ENTRETIEN avec DANIEL KAWKA, chef d’orchestre à propos de son essai : « OSE, une poétique de l’orchestre « (livre à paraître chez EST Samuel Tastet Éditeur en avril 2025)

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Fondateur de son propre orchestre « OSE », le chef Daniel Kawka publie un livre remarquable sur l’aventure orchestrale, nourri de sa propre expérience « OSE, une poétique orchestrale ». Odyssée sans précédents dans l’histoire symphonique hexagonale, OSE a réalisé un rêve musical, artistique et humain qui impressionne et inspire… Au moment où l’épopée se referme, l’heure est au bilan. Le maestro évoque ce qui l’a animé et porté ses années durant ; l’idéal ciblé, les rencontres stimulantes et fécondes, les programmes dont la plupart auront été source d’originalité et de refondation. En prélude à la parution de son livre événement, Daniel Kawka en répondant à nos questions, nous fait pénétrer dans les coulisses de la grande forge symphonique… Photo ci-dessus : grand portrait de Daniel Kawka © Felix Ledru

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CLASSIQUENEWS : De quelle « poétique » parlez-vous ? Qu’est ce qui est en jeu dans l’énoncé de ce titre ? 

DANIEL KAWKA : Une poiesis, où l’art d’émouvoir, de toucher au cœur du sensible, de parcourir des mondes d’évocations, de beauté, se décline, de la musique pure et abstraite à la grande forme narrative, à travers l’art des sons. La « Lyrique », aux sources de nos imaginaires s’invite comme matrice musicale et sonore de cette poétique de l’orchestre.

L’énoncé du titre invite à parcourir un récit retraçant les grandes lignes de forces d’une aventure artistique « extra-ordinaire », celle d’un dessein, où l’orchestre symphonique, comme entité structurée, se fond dans une relation intime et généreuse, entre artistes, œuvres, publics, lieux. Chaque programme de concert tisse un lien sensible entre les œuvres, l’acte d’interprétation sublime le geste instrumental, engage chaque musicien /poète à explorer la quintessence du son. L’expérience même de « Ose ! »s’est engagée sur une redéfinition de l’orchestre, de la pratique en orchestre, d’une respiration collective où l’audace et la créativité, l’esprit, ont présidé et participé à son succès. Il semblerait qu’il existe une autre voie, un autre champ et chant symphonique, une autre poétique sonore, ceux-là même explorés et décrits dans cet ouvrage.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Vous retracez une aventure orchestrale qui est à la fois humaine et artistique… Quels ont été les 2 ou 3 projets / programmes les plus exaltants / formateurs, avec le recul ?

DANIEL KAWKA : Nombreux sont les projets / programmes que vous découvrirez à travers la lecture du livre. Les plus exaltants mettent en perspective une œuvre connue, lui apportant de nouveaux éclairages, de nouvelles clés d’interprétation en la recontextualisant. Le programme « Miroir Ravel » donnait à entendre deux versions du Concerto en sol de Ravel. La première pour accordéon et orchestre. Insolite idée à priori, pour un résultat inouï ! l’accordéoniste Arnaud Methivier interprétait la partie de soliste, celle du piano originel, obligeant (en raison du timbre singulier d’un instrument plus intimiste) les instrumentistes à adapter leur jeu à un nuancier dynamique inhabituel, déclinant des trésors d’imagination pour trouver les couleurs sonores et les équilibres adéquats, à travers une écoute plus chambriste. Entresol, une création/commande de Laurent Mariusse servait, comme son titre l’indique, de pièce de concert intermédiaire réutilisant les thèmes du concerto dans une forme où l’improvisation permettait à chacun-e d’explorer l’univers mélodique et harmonique du compositeur, selon son imaginaire et sa fantaisie. Arrivant à l’original, toute une poétique du concerto, gourmande, audacieuse, s’engageait, fort d’une expérience collective qui avait, dirions-nous « chauffé à blanc » le désir de revenir à la source, ivre d’une expérience sensible et digitale, créatrice, dont l’œuvre bénéficia au centuple. Sous les doigts inspirants de Vincent Larderet : avec des pianissimi de rêve, un jeu flexible, sensible, félin, où l’exaltation des deux premières pièces, l’esprit de l’œuvre entrevus sous d’autres dimensions ouvraient l’espace d’une poétique ravélienne autre, sublime.
Pour conclure le concert fût donné dans une friche industrielle. Ce lieu insolite rajoutait une part d’incongruité et de mystère. Comme si, hors de la salle de concert qui calibre psychologiquement les œuvres comme objets esthétiques, les œuvres changeant d’espace, de destination, de public, se donnaient le droit d’exister et de sonner autrement.

Dans la même veine je citerais Ring ohne worte. Un Ring sans paroles que l’on doit à Lorin Maazel où l’œuvre trétalogique monumentale se déroule en une heure trente, au cours de laquelle nous avons réintégré un texte, parlé cette fois : celui de Siegfried, Nocturne, œuvre en prose d’Olivier Py, où UN poète de notre temps repense avec ses mots la tragédie de Siegfried, un Siegfried moderne, et avec lui de l’Allemagne de 1945. Les mots s’invitent, déclamés par le comédien Alain Carré, dans les interstices de la musique, et le Ring prend une autre coloration toute autre , il s’agit bien là d’une réécriture poétique, temps fort de la première édition du Léman Lyriques Festival consacré aux grandes pages wagnériennes.

Enfin selon le même principe Take a walk on the Wilde side, pour reprendre le célèbre titre de Lou Reed, avec wild (sauvage) revu en Wilde (Oscar le poète). Le plasticien Robert Nortik a créé un univers d’images et de mouvements chorégraphiques autour de Salomé. L’œuvre, la Tragédie de Salomé de Florent Schmitt ouvre la soirée. Toute l’histoire en est narrée en 25 mn, durée de l’œuvre, un ballet à l’origine. Puis à travers un subtil fondu enchainé de percussions, débute la danse des 7 voiles, célèbre page d’une autre Salomé, celle de Richard Strauss, et le drame se resserre alors sur la dernière partie de l’ouvrage, danse, trio, monologue de Salomé sur un continuum d’images diffusée en arrière-scène sur grand écran. Tout y est : la danse, le mouvement, l’image, l’histoire, l’opéra, le drame, l’orchestre vertigineux, le chant, le tout s’achevant sur ces accords d’orchestre terrifiants. Tout est dit.

Je ne peux omettre le spectacle Symbiose. Spectacle co-écrit avec Abdel Sefsaf. Le drame de la Méditerranée, relu sur fond de grève, vague légère heurtant le sable, comme une incantation, projetée en arrière-scène. Les musiques savantes de la Méditerranée (œuvres de compositeurs kabyle, libanais, palestinien, égyptien, grec), les textes lus de Darwich, De Luca, déclamés en arabe, français, se tissent avec le chant, la voix parlée du narrateur ; les styles se heurtent, entre musiques actuelles, instrumentarium au centre, avec la présence du groupe Aligator, l’orchestre disposé en V inversé. Le tout orchestré par Alexandros Markeas dont la création Mer / amère constitue l’acmée du spectacle. Bouleversant.

 

Festival Léman Lyrique © Lepresle

 

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Quel serait le fonctionnement idéal pour un orchestre ?

DANIEL KAWKA : Nous avons touché du doigt ce fonctionnement : répéter ! répéter encore et encore. Notre temps économique, économe, consumériste oblige à monter les programmes de concerts en un nombre réduit de répétitions. Nous avons tenté l’impossible : se donner les moyens de répéter d’avantage pour que l’esprit des œuvres, la conscience collective du son « cristallise », que l’oreille de l’orchestre soit une grande caisse de résonance où chacun-e a porté son attention aux quatre points cardinaux de l’orchestre, s’y ajuste et y love sa propre sonorité, au-delà de la médiation du geste du chef d’orchestre, tel un grand orchestre de chambre.
L’idéal, s’emparer collectivement des interprétations historiques des œuvres, travailler ainsi en pleine conscience sur les options, choix, intentions interprétatives. Enorme est le gain de temps, l’efficacité, l’acuité, l’esprit de recherche collective d’un son.
L’idéal c’est le café et les croissants le matin à la pause, le salaire du chef ajusté sur celui des musiciens, ou mieux encore ! le salaire des musiciens ajustés sur celui de chef !
Les répétitions en une salle de haute tenue acoustiquement, alternant avec des répétitions en des lieux divers, cette épreuve de jeu à l’aune des acoustiques change les angles d’écoute, modifie les modes de jeu, enrichissent l’œuvre à travers des « entrées » différentes. De plus ces salles (l’orchestre Ose ! a ainsi œuvré dans un pôle de théâtres en Rhône-Alpes) accueillent des publics variés, publics présents à chaque répétition. Grande est l’émulation des répétitions publiques, commentées, partagées, fort le rayonnement territorial et la mission culturelle de l’orchestre conséquemment.

 

Daniel Kawka © Christian Ganet

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Quels sont les qualités d’un bon chef ? Idem pour un bon orchestre / de bons instrumentistes ?

DANIEL KAWKA : Un imaginaire du son. Le son conditionne le phrasé, l’articulation, le tempo, le caractère, l’expressivité. Pour le reste, connaissance, conception, oreille, bras (la gestuelle résumée par l’expression « avoir un bras »), psychologie etc… doivent constituer en effet les fondements du métier et de la pratique du chef d’orchestre. Elan, énergie, vision.
Les qualités d’un bon orchestre ? L’homogénéité, la connaissance préalable des œuvres, le haut niveau de préparation, l’âme poétique qui préside à toute intention sonore, l’écoute interne, l’engagement physique dans le jeu, l’amitié et le respect. Je suis toujours admiratif de cette houle sonore et visuelle qui jaillit au cœur de l’orchestre quand les musiciens s’engagent collectivement dans cette quête d’unité au service de l’objet qu’est l’œuvre. Je pense aux Philharmoniker de Vienne, de Berlin notamment, à l’orchestre du Festival de Lucerne quand Abbado dirige Mahler. Un embarquement pour Cythère, dans les plus hautes sphères de l’émotion, de l’ineffable. Le corps physique et sonore projeté, au service de l’Immanence. Quelle rencontre souveraine entre la matière et l’esprit, dans le vif de la sensation, le partage à fleur d’émotion, l’unité organique entre tous les acteurs et formants du Musical.

De bons instrumentistes ? Le goût, le désir, le plaisir de faire de la musique ensemble. Une haute technicité assurément pour que la virtuosité requise ne soit pas un obstacle à la transmission du message poétique, un engagement de tous les instants. Une liberté d’esprit pour accepter l’expérimentation. Le respect. Une haute conscience et une humilité à la fois. « Mesdames Messieurs, en Art nous sommes des aristocrates, dans la vie nous ne sommes que des femmes et des hommes ». Charles Münch
Voilà parfaitement résumée la nature artistique et humaine de l’instrumentiste d’orchestre à mes yeux. Au service des chefs d’œuvre, avec le recul et l’humilité nécessaires à l’artisan-artiste pour mieux « tailler la pierre brute ». Nous sommes des cocréateurs, des talents, au service d’une vision poétique du monde que des génies nous ont léguée, dont notre mission est de transmettre.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Sur la période vécue, avez-vous noté des phénomènes nouveaux, des points d’évolution qui ont marqué le métier ?

DANIEL KAWKA : La venue sur le marché de jeunes instrumentistes, souvent formés aux arts d’interprétation baroque, classique, contemporain, curieux, ouverts, à la pointe. Connaissance et capacité d’adaptation, culture polyvalente vers des musiques non classiques constituent une grande richesse, avec de fortes propositions en matière de sonorités, mus par une curiosité et un esprit de recherche insatiable. Une grande émulation a présidé au travail d’ensemble.
Les autres points portent sur un plan sociétal. La musique d’orchestre dans sa forme de diffusion conventionnelle, ses répertoires touchent un public averti. Celui-ci inévitablement se raréfie, aussi les orchestres aujourd’hui font ils preuve d’imagination en termes de répertoires, de conventions réévaluées, de forme de concerts, de diversification des publics pour assumer pleinement leur mission culturelle et sociale.
Du fait d’un renouvellement des publics, plus jeunes, l’absence d’a priori stylistique permet de faire entendre des œuvres de notre temps qui ne sont plus perçues comme pièce d’ajustement devant répondre à un cahier des charges en termes de programmation dite contemporaine, mais font preuve d’engouement, d’enthousiasme. Plusieurs expériences réalisées avec des œuvres de commandes auprès de publics transgénérationnels, présentées, analysées, commentées préalablement, ont connu un très vif succès, générant une véritable demande, attente.
Cette problématique a été l’ADN de Ose ! où forme et fond, contenu, destination, finalité, valeurs ont été pensées et évaluées préalablement par Thierry Kawka, directeur de l’orchestre et moi-même, avec un comité de musicien-nes, en vue de créer un organisme vivant, souple, adaptable, créatif, répondant aux goûts du temps, sans concession commerciale. En effet les exemples de concerts cités plus hauts connurent un succès public immense, via un renouvellement générationnel.
L’orchestre symphonique tel que pratiqué à travers Ose ! et dont le fonctionnement est décrit dans le livre, a de longues heures devant lui. L’exemplarité décrite à travers cette expérience peut être un lieu de réflexion, d’émulation, d’idées pour penser l’orchestre aujourd’hui. En aucun cas un état des lieux clos sur une expérience. Ose ! fût un work in progress, d’où l’édition de ce livre.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Y a t il des partitions qui exigent davantage ? Et dans quelles mesures ?

DANIEL KAWKA : Toute partition exige. Dans l’ouvrage co-écrit avec le metteur en scène Krystian Fredric, La chevauchée des étoiles, paru chez ce même éditeur, Samuel Tastet, qui a le courage de s’engager sur l’édition d’ouvrages d’art, de poésies et de musique, à une époque saturée de fictions, j’évoque cette question de l’exigence.
Il ne s’agit pas de l’exigence qualitative, technique, elle est omniprésente bien sûr, d’une symphonie de Brahms au Sacre du printemps, d’un poème symphonique de Strauss à une grand œuvre d’orchestre de Messiaen, mais de l’exigence d’une conscience des origines. Il s’agit de revenir à la source de chaque œuvre, de défier l’héritage que l’on appelle tradition et dont Mahler se méfiait tant. Chacun répond à sa manière, en travaillant sur les traités historiques, instruments d’époque etc…Toute voie est bonne dès lors qu’elle se place dans l’Urtext.
L’exigence nait d’un style à retrouver, par-delà les questions organologiques, intéressant l’instrumentarium, etc…dans cette recherche du son, cette singularité d’un son propre à chaque oeuvre chaque style, une force vive que j’appelle l’énergie du son. Les grandes œuvres jouées au concert se sont polies, policées. Elles ont souvent perdu leur caractère vernaculaire, leur origine de terroir. Un tel propos prête à sourire mais écoutons la symphonie pathétique jouée par un orchestre russe des années 50, avec Mravinsky à sa tête. Cette musique frissonne de cette culture des grandes steppes, l’espace y est palpable et le drame se respire ainsi, à l’Est, et exalte «’l’âme russe ».
Joué par ailleurs, avec, dans le même programme deux œuvres de styles différents, la singularité s’étiole. La sonorité d’une des œuvres se confond avec la sonorité de l’autre, du fait aussi de la standardisation du son d’orchestre. Le caractère s’émousse et l’œuvre devient ainsi une pièce de concert, sublime certes, magnifiquement jouée, mais dont les singularités des origines, la sonorité, la puissance d’une musique de la terre s’est lissée. Ecoutons encore le Concerto pour violon de Tchaïkovski pour voir combien l’œuvre est virtuose, enchâssée dans un habit souvent trop rigide, trop confortable pour elle. Confiez-le à Patrizia Kopatchinskaja. La musique sort alors de ses habits de concert, du musée, pour embrasser l’étoffe souple de costumes traditionnels. Il s’agit donc de retrouver une sonorité propre, une poétique de l’œuvre, un souffle. Elle doit se distinguer fondamentalement ainsi, dans l’énergie du son, d’une autre pièce au programme. Ouvrir la porte d’un monde à chaque œuvre, et la refermer à la dernière note. Cet exemple vaut pour toutes les œuvres ; La partition exige, en effet.

 

Daniel Kawka © Felix Ledru

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Si on vous proposait de lancer un nouvel orchestre, quels programmes quelles œuvres choisiriez-vous illico afin de réaliser ce que vous n’avez pas eu le temps / l’opportunité de partager ?

DANIEL KAWKA : Je ferais un concert complet des scherzi des symphonies de Mahler. L’idée parait saugrenue j’en conviens dans un premier temps. Un concert des mouvements lents ensuite. Puis un cycle avec les symphonies complètes. Le tout présenté au même public. Incroyable en serait l’efficacité pour les musiciens qui, jouant les scherzi consécutivement, en sentiraient de l’un l’un à l’autre l’infinitésimale différence de caractère, de tempo, d’intention qui échappe totalement à la lecture et l’interprétation séparée. Quel gain pour l’interprète et le subtil nuancier déployé, quelle expérience d’écoute sensible pour l’auditeur plongé dans des immersions multiples puis unitaires où l’oreille aurait plaisir à découvrir les pièces autrement.
En second lieu, je rendrais hommage à Rostropovitch en programmant les concertos qu’il a créé, en invitant une myriade de violoncellistes de renom, de jeunes artistes, autour d’une grande fête de l’instrument.
Je continuerais d’explorer les opéras en version de concerts dans une forme que je suis entrain d’expérimenter, autour de Parsifal, dont la réalisation aura lieu à Lucerne en 2026 et qui révolutionne le travail de préparation, dans une approche holistique de l’œuvre. Les quatre éditions du Léman Lyriques Festival en furent une préfiguration.
Je redonnerais corps à l’Académie internationale de création symphonique qui connut deux éditions à Genève. Il est essentiel de redonner corps à un tel évènement mis au service de la jeune création mondiale. Sous la forme d’une académie d’une durée longue, entre huit et dix jours, le temps d’un approfondissement, la présence de maîtres, la programmation des œuvres ensuite à travers un panel d’orchestres partenaires ! Ce modèle n’existe pas. Et tant d’autres idées encore.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : À un jeune chef en début de carrière quels conseils lui donneriez-vous pour vivre pleinement son métier ?

DANIEL KAWKA : Faire ses humanités avant tout. La carrière du chef est comme celle d’un chanteur. Les rôles doivent arriver au bon moment, exigent maturité, ils se méritent. Comment diriger Tristan dans toute sa puissance expressive sans avoir une expérience de la vie, côtoyé l’amour et la mort ? Il s’établit une relation mystérieuse avec les œuvres. Qui de l’un ou de l’une appelle l’autre ? Une œuvre se mérite. Il faut donc travailler, travailler encore, approfondir. Savoir attendre : « Quand les œuvres auront besoin de vous, elles viendront frapper à votre porte ». Écrivait C.M. Giulini. Voilà exactement ce qu’est une pratique éveillée, juste, épanouissante. Être prêt et l’œuvre arrive.
Je prône une maîtrise de l’écriture, une maîtrise de l’harmonie, du contrepoint, de la fugue, de la composition, une pratique instrumentale, doublée de réelles connaissances esthétiques et historiques.
Regardez attentivement : les grands orchestres jouent tout seuls. Notre système économique privilégie le spectacle, la carrière rapide. Il est tentant de s’engager sur une voie médiatique que le système favorise. Le résultat sera toujours bon dans l’effervescence du concert et l’excellence de l’orchestre. Ce n’est pas un concert qu’il faut diriger mais une vision poétique des œuvres à partager, qu’il faut acquérir, entre haute conscience et humilité, comme nous le disions.
Et bien sûr, un engagement total au service des musique de notre temps. Beethoven a-t-il besoin d’un interprète supplémentaire ? Oui si une intention, une conception, une vision président à la direction d’une de ses œuvres, autrement non, la musique de notre temps assurément.
Je lui conseillerai enfin de ne pas se spécialiser. Quel paradoxe me direz-vous, mais la pratique du grand répertoire assouplit l’exécution des musiques de notre temps, souvent complexes. La pratique des grandes œuvres d’aujourd’hui donne quant à elle des réponses, des clés d’interprétation des musiques du passé, en termes d’imaginaires du son, de conscience temporelle, de fantaisie aussi. Ce va et vient construit un son, une « personnalité d’orchestre », tout comme la pratique de la scène de concert et de la fosse d’orchestre.

 

Propos recueillis en février 2025

 

 

 

 

L’Orchestre OSE – Sisteron © OSE

 

 

 

 

 

 

LIVRE événement

 

LIVRE événement. Daniel KAWKA : OSE, une poétique de l’orchestre (éditions EST – souscription – parution : avril 2025)

Dans une édition originale éditée par EST – Samuel Tastet éditeur, et dans un premier temps publié à 700 exemplaires, le livre événement que signe le chef Daniel Kawka est une pépite rare, dévoilant à travers son expérience de la direction et l’aventure de son propre orchestre « OSE », le fonctionnement et les enjeux esthétiques, humains, artistiques et politique aussi que suscite le fonctionnement d’un collectif de musiciens. A la fois plongée verticale dans le mystère (qui appartient définitivement à l’ineffable), mais aussi à l‘horizontal, formidable élargissement du temps et de l’espace, l’interprétation des œuvres engage chaque musicien, chef et instrumentistes. C’est à chaque programme une expérience musicale et humaine qui s’efforce d’exprimer partie du langage de l’âme, dont il n’existe comme le dit la chorégraphe Carolyn Carlson avec justesse, aucun alphabet connu. C’est pourtant dans l’alchimie magique des sons, produit par la forge orchestrale que se libère la puissance irrésistible du faire symphonique dont l’intensité et l’intelligibilité découlent d’une entente préalable, celle des musiciens.
Daniel Kawka témoigne dans un texte fin et argumenté : « Il a fallu pour cela se défaire des héritages, penser de nouvelles formes, faire se rencontrer utopie, idéal et vision, et parcourir ensemble, avec tous les acteurs, actrices, artistes engagés dans cette grande aventure, ce chemin, de la matérialité à la transcendance » ; « Habiter les œuvres à travers une présence sonore « incarnée » mue par un indicible désir de musique. Ose ! aura ainsi cherché sens au passé, donné voix au futur. »
Mais comme un miroir éloquent qui sait dévoiler ce qui advient essentiellement, l’expérience que transmet l’orchestre quand il joue, éclaire la vie, offre un surcroît de conscience où la poésie infinie rejoint la réalité imparfaite, où passé et futur fusionnent, constituant une clé de compréhension inédite sur le monde. Ce que réalise l’orchestre dans l’immanence partagée des musiciens complices, relève d’une sorte de miracle qui dément la fatalité du réel et son prosaïque terrestre.
Le chef analyse et mesure les avancées et les découvertes partagées ; il raconte le parcours de son orchestre, à travers les concerts et les programmes (originaux) présentés, à travers aussi le défi que le Léman Lyrique Festival a constitué. Le geste du maestro, l’intelligence collective de la phalange en répétition et au concert, la mécanique de la transcendance, le feu et la libération qui submergent le public, tout est dit dans un texte à la fois concret et symbolique qui souligne combien l’orchestre en plein jeu est en soi un miracle sociétal : jouer, rêver, partager, exprimer ENSEMBLE. Captivant.

 

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LIVRE événement – Daniel Kawka : OSE ! Une poétique de l’Orchestre / CLIC de CLASSIQUENEWS – 224 pages dont un cahier photographique central de 16 pages – parution : avril 2025 chez EST Samuel Tastet Éditeur  – Offre de souscription : 20 euros l’exemplaire à partir de deux exemplaires commandés. Par courrier à : [email protected]

 

 

 

 

 

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Visitez aussi les sites :

le site du chef DANIEL KAWKA : https://danielkawka.art/

ose-lorchestre.com
https://www.orchestre-ose.com/

lemanlyriquesfestival.com
https://www.lemanlyriquesfestival.com/

 

 

 

PLUS d’ARTICLES Daniel Kawka sur CLASSIQUENEWS : https://www.classiquenews.com/?s=daniel+kawka

 

 

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