Créé en novembre 2023 au Festival de danse de Cannes, le nouveau ballet de Thierry Malandain, » Les Saisons « , trouve un écho particulier, idéal, dans l’écrin de l’Opéra royal de Versailles ; le directeur des lieux Laurent Brunner est à l’initiative du spectacle ; il a transmis l’idée au chorégraphe biarrot en associant dès le départ les musiques combinées de Vivaldi et de son contemporain Guido, – tous deux inspirés par le thème des Saisons, servies en l’occurrence par le fleuron orchestral maison, l’Orchestre de l’Opéra royal de Versailles. Une phalange créée ad hoc d’autant plus impliquée ce soir sous la direction du frénétique violoniste Stefan Plewniak : l’archet incandescent emporte instrumentistes et danseurs sur un rythme trépidant qui sait exalter la force narrative des deux compositeurs baroques ainsi associés.
Au génie inclassable, irrésistible et légitimement célébré de Vivaldi sur le thème des Quatre Saisons, répond en dialogue, les pièces tout autant expressives de son confrère Guido : enchâssées les unes dans les autres, les deux écritures se répondent ; Guido fait mieux qu’un faire valoir ; ses Saisons produisent comme un résonance du modèle vivaldien, avec une facétie plus franche et une énergie égale.
L’équilibre idéal entre volume sonore et énergie du corps de ballet souligne à quel point l’Opéra royal de Versailles, de justes proportions, est d’un format parfait pour le spectacle chorégraphique comme lyrique. La profondeur de la scène que l’on (re)découvre encore ce soir, nous le prouve sans réserve.
L’Orchestre de l’Opéra royal,
trépidant, souple, nerveux…
Dans la fosse, chaque timbre de l’orchestre, et chaque couleur (évidemment une majorité de cordes à laquelle le cor naturel, la flûte et le basson apportent une nuance délectable) reste perceptible ; l’individualisation et la forte caractérisation des instruments apportent ce contrepoint semblable sur la scène, où le chorégraphe joue des contrastes entre somptueux tableaux collectifs et séquences intimistes ; là brillent le tempérament et la silhouette spécifiques de plusieurs danseurs solistes. La présence de l’orchestre baroque, sa vibration particulière renforcent la tension globale du ballet.
Thierry Malandain s’est expliqué sur l’engagement écologique du spectacle ; on ne peut guère aborder le thème des Saisons sans évoquer la Nature, ses miracles cycliques à travers la succession infinie des saisons ; miracle d’autant plus fragile et menacé aujourd’hui qu’il inspire un spectacle hautement esthétique qui constitue le manifeste d’une harmonie aussi somptueuse que menacée. « Et plus encore dans le climat désenchanté et corrompu d’aujourd’hui, où la dégradation de la nature constitue une menace existentielle », précise le chorégraphe impliqué. Alors ces pétales noirs qui s’exposent sur les murs, qui sont portés comme des flambeaux funestes ne sont-ils pas l’emblème glaçant et discret de l’extinction en cours ? Chez Malandain la dénonciation s’énonce avec une rare élégance.
Déjà enregistré sous le label du Château de Versailles Spectacles, le Vivaldi de l’Orchestre de l’Opéra royal regorge de vitalité expressive, d’audaces, de force recréative, portée par une énergie collective saisissante que rehausse encore la très haute virtuosité du chef violoniste : la lecture a démontré cette alliance spécifique de la précision chirurgicale, doublée d’une motricité rythmique affûtée, suractive, et tout autant sensible aux harmonies picturales, quasi suspendues. Tel geste individuel, telle flamboyante cohésion orchestrale se déploient ce soir au service du ballet dont les danseurs savent suivre les tempi parfois hallucinants du chef violoniste en cours d’action.
Sublime énergie collective
du Malandain Biarritz ballet
Le décor reste identique du début à la fin, mais par un savant dispositif de lumières et d’éclairages, la boîte couverte de grande feuilles noires aux nervures dessinées, se détache soit sur un fond clair, aérien, lumineux, plein airiste ; soit au moment des séquences intimistes sur un fond mat et noir qui l’assimile à un vaste cabinet fermé ; de quoi mieux détacher la silhouette cursive des corps en solo ou en pas de deux, affublés d’une immense palme / nageoire qui prolonge le bras et dessine de formidables arabesques texturées aériennes.
Se détache en particulier ce soir la silhouette élastique du danseur Hugo Layer, d’une élégance souple continue, au corps fluide comme touché par la grâce (dans un éblouissant premier solo avec la longue palme noire / Printemps de Guido) ; il est rejoint ensuite dans une nouvelle variation de ce costume, dans l’Automne du même Guido, aux côtés de Patricia Velasquez et de Raphaël Canet. Le trio ainsi constitué est la clé de ce ballet fascinant.
Ailleurs, le travail de Thierry Malandain se dévoile pertinent dans le traitement du corps de ballet, dont le nombre jusqu’à 22 danseurs sur scène, permet de multiples combinaisons formelles : groupes en miroir, rondes ritualisées qui s’accordent entre autres aux convulsions rythmiques de la partition vivaldienne.
En fusionnant écriture contemporaine et vocabulaire classique (nombreux portés), Thierry Malandain montre combien le thème du groupe en mouvement l’inspire ; et ce n’’est pas la rythmique continue de Vivaldi qui l’arrête, bien au contraire. Le chorégraphe biarrot démontre une évidente maîtrise du ballet, comme intelligence collective, éclatée, synchronisée, dont il déduit plusieurs tableaux impressionnants.
Aux Saisons de Guido, ainsi alternées, le chorégraphe réserve aussi des pas à quatre qui s’apparentent chacun à une conversation courtoise, parfaitement symétrique. On aurait ainsi tort de minimiser l’œuvre de Giovanni Antonio Guido ainsi outrageusement (pour certains) confronté au génie Vivaldien : en réalité, les Saisons de Guido, Suite de danses subtilement contrastées, pourraient bien être antérieures à celles du Pretre Rosso, créées dès 1716 pour l’inauguration de l’ensemble décoratif sur le même thème peint par Watteau, pour l’hôtel parisien du sieur Pierre Crozat, trésorier de France et grand mécène.
Thierry Malandain produit un ballet qui touche et captive par sa fabuleuse énergie, son esthétisme aigu et affûté… jusqu’au finale, où toute la troupe arbore ces palmes noires virevoltantes, animées, en une nuée évanescente qui semble flotter au dessus des corps en rotation : claire évocation du grondement des vents, tels qu’ils sont alors suggérés par Guido dans la séquence finale de l’Hiver. Virtuose, raffiné, sensible autant que spectaculaire. Ballet incontournable.
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CRITIQUE, danse. VERSAILLES, Opéra royal, le 15 décembre 2023. Thierry Malandain : Les Saisons, nouvelle production. Danseurs du Malandain Ballet Biarritz. Orchestre de l’Opéra royal de Versailles. Stefan Plewniak, direction. Photos © Olivier Houeix
A L’AFFICHE encore demain à l’Opéra royal de Versailles, dim 17 déc 2023 : https://www.chateauversailles-spectacles.fr/programmation/vivaldi-guido-les-quatre-saisons_e2408
Le dvd du ballet est annoncé sous le label Château de Versailles Spectacles. Compagnie de danseurs et orchestre sont programmés lors d’une tournée internationale qui entre autres, ira jusqu’au Viet-Nam (Ho Guom Opéra Hanoï), la saison prochaine 2024 – 2025… A suivre.
LIRE aussi notre présentation du Ballet Les Saisons, nouvelle chorégraphie de Thierry Malandrin, à l’affiche de l’Opéra royal de Versailles, avec l’Orchestre de l’Opéra royal de Versailles : https://www.classiquenews.com/opera-royal-de-versailles-thierry-mallandain-les-saisons-orchestre-de-lopera-royal-de-versailles-14-17-decembre-2023/