samedi 26 avril 2025
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OPÉRA NATIONAL DU CAPITOLE DE TOULOUSE – saison 2025 – 2026. Temps forts, nouvelles productions : Thaïs, Theodora, Armide, Les Boréades, Salomé, Don Giovanni, La Passagère de Weinberg…

Le Capitole séduit de plus en plus de spectateurs : chaque nouvelle saison permet de le constater. A l’appui de chiffres des plus encourageants, comme une formidable machine de rêves, un laboratoire d’expérimentations spectaculaires et oniriques, l’Opéra national du Capitole de Toulouse annonce en 2025 et 2026, une nouvelle saison féerique… Fort de son succès, le Capitole annonce clairement la couleur ; il permet « pour chacun d’entre nous de s’échapper du quotidien pour respirer l’air des cimes. Saison après saison, l’Opéra national du Capitole essaie de rendre l’air plus respirable, et même enivrant ! ». Ce n’est pas la programmation à présent accessible (ouverture de la billetterie à l’unité et par abonnements) qui le démentira. Diversité, accessibilité, exigence… tout converge à nouveau pour une programmation particulièrement séduisante.

 

 

Avec pas moins de 10 ouvrages lyriques, le Capitole de Toulouse confirme bien, malgré le contexte géopolitique et les tensions budgétaires de plus en plus contraignantes, une santé exemplaire, affichant une activité sans égale dans l’Hexagone, entre opéra en version de concert, reprises et nouvelles productions. Notons la place enfin « normale » accordée aux ouvrages BAROQUES, période du répertoire souvent boudée par les Théâtres qui lui préfèrent les piliers romantiques et véristes. Toulouse fait là encore figure de modèle, affichant pour la saison prochaine pas moins de 3 productions d’opéras baroques : Theodora, Armide, Les Boréades… Un feu d’artifice prometteur qui inscrit toujours la magie lyrique au centre de la création toulousaine.

D’ailleurs, le nouveau visuel de la saison à venir, l’illustre bien : figure de l’enchantement et de la force poétique de la musique accordée au théâtre, Orphée, le chantre de Thrace, le poète chanteur qui déclame et enchante avec sa lyre magicienne, semble rêver et créer … au contact d’un oiseau inspirant (voir illustration ci contre).

Côté NOUVELLES PRODUCTIONS, saluons l’inventivité et le renouvellement de l’offre lyrique et musicale avec parmi les 4 nouveaux spectacles, les très attendus Don Giovanni par Tarmo Peltokoski (dans la mise en scène d’Agnès Jaoui), la création française de La Passagère de Weinberg, une nouvelle Salomé de Strauss sous la direction de Franck Beermann (et dans la mise en scène – première – du baryton Matthias Goerne)…

La DANSE poursuit son exploration des écritures les plus sensibles avec entre autres points forts de cette saison : l’Hommage à Ravel (Thierry Malandain / Johan Inger), le cycle de 3 créations intitulé « 3 Cygnes » (Nicolas Blanc, Jann Gallois, Iratxe Ansa et Igor Bacovich), le nouveau ballet de Carolyne Carlson (avec la musique de Pierre Le Bourgeois pour les musiciens de l’Orchestre du Capitole – ultime spectacle de danse présenté à partir du 12 juin 2026), et bien sûr, rêveries de fin d’année oblige, l’inusable Casse-Noisette pour décembre 2025 (chorégraphie de Michel Rahn)…

 

 

 

 

Nos coups de coeur / saison 2025 – 2026
Opéra / récitals / Danse
Théâtre National du Capitole de Toulouse

 

 

 

2 oct 2025
HAENDEL : Theodora – Dunford / Desandre, Gens, le 2 oct 2025 :
https://opera.toulouse.fr/theodora-1431556/ – en version de concert

26 sept – 5 oct 2025
MASSENET : Thaïs – Niquet, Poda / Willis-Sørensen, Christoyannis, Borras (du 26 sept au 5 oct 2026) : https://opera.toulouse.fr/thais-7802939/nouvelle production
Avec Rachel Willis-Sørensen et Tassis Christoyannis, dans la mise en scène du magicien Stefano Poda et sous la baguette d’Hervé Niquet

18 – 26 oct 2025
DANSE : Hommage à Ravel (du 18 au 26 octobre 2025) : https://opera.toulouse.fr/hommage-a-ravel/
Maurice Ravel (1875-1937) / Arvo Pärt (1935-) Johan Inger / Thierry Malandain / Cet hommage à Maurice Ravel, né il y a 150 ans, associe deux œuvres exceptionnelles du compositeur : Daphnis et Chloé et le Boléro.

20 – 30 nov 2025
MOZART : Don Giovanni – Peltokoski, Jaoui / Courjal, Deshayes (Du 20 au 30 nov 2025) : https://opera.toulouse.fr/don-giovanni-1598321/Nouvelle production
Le Don Juan de Mozart est un chef-d’œuvre absolu de l’histoire de l’opéra. Pour nous entraîner dans la vertigineuse course à l’abîme du célèbre séducteur, deux débuts de prestige au Théâtre du Capitole : Agnès Jaoui à la mise en scène et Tarmo Peltokoski à la direction ! Une double distribution étincelante pour porter cette nouvelle coproduction exceptionnelle, qui réunit pas moins de cinq maisons d’opéra françaises.

2 déc 2025
Récitals Annick Massis (le 2 déc 2025) : https://opera.toulouse.fr/annick-massis/

 

 

19 – 31 déc 2025
DANSE. Casse-Noisette (du 19 au 31 déc 2025) : https://opera.toulouse.fr/casse-noisette-6194660/
Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) / Michel Rahn / Le mythique ballet de Noël, Casse-Noisette, est de retour sur la scène du Capitole dans une chorégraphie de Michel Rahn. Tout commence le soir de Noël dans le salon de la famille Stahlbaum. Grâce au cadeau de son oncle Drosselmeier, un casse-noisette, Clara entreprend un voyage dans des mondes oniriques. Elle rencontre des personnages fantastiques, magiques et inconnus, qui dansent tous dans le monde merveilleux du ballet classique

 

 

 

2026

23 – 29 janvier 2026
WEINBERG : La Passagère – Angelico, Reitmeier / Morel, Hernandez (du 23 au 29 janvier 2026) : https://opera.toulouse.fr/la-passagere-7818117/ – création française, nouvelle production
La rencontre fortuite, lors d’une croisière, d’une survivante d’Auschwitz et d’une ancienne gardienne du camp, va ouvrir un monde de réminiscences où luttent l’oubli et la mémoire. À partir d’un récit autobiographique de la romancière polonaise Zofia Posmysz et à l’instigation de Chostakovitch, le compositeur Mieczysław Weinberg signe un opéra majeur du XXe siècle, empreint d’un lyrisme puissant, entre ironie cruelle et tragique radical. La Passagère est donnée pour la première fois en France. La production d’Innsbruck que nous accueillons a été sacrée « meilleure production d’opéra » par le Prix autrichien du Théâtre musical 2023.

 

20 fév – 1er mars 2026
DONIZETTI : Lucia di Lammermoor – Pérez Sierra, Joël / Pratt, Pati, Lhote (du 20 fév au 1er mars 2026) : https://opera.toulouse.fr/lucia-di-lammermoor-7295517/
Dans l’Écosse du XVIIe siècle, où s’opposent des clans irréconciliables, une jeune femme est victime de sa propre famille : un mariage forcé la conduira au meurtre et à la folie. C’est toute la fièvre du Bel Canto romantique qui embrase ce sombre chef-d’œuvre de Donizetti, sublimé par la production emblématique de Nicolas Joel, Ezio Frigerio et Franca Squarciapino. Une double distribution où alternent un plateau de stars et les plus brillants interprètes de la jeune génération.

 

13 – 19 mars 2026
DANSE. Les 3 cygnes (du 13 au 19 mars 2026) : https://opera.toulouse.fr/trois-cygnes/
Nicolas Blanc, Jann Gallois, Iratxe Ansa et Igor Bacovich / 3 créations
Le point de départ de ces trois créations est le grand ballet du répertoire classique, Le Lac des cygnes. Des chorégraphes de langues et d’horizons différents explorent cette œuvre immortelle, basée à l’origine sur des légendes médiévales allemandes et scandinaves. Nicolas Blanc pour Cantus Cygnus, Iratxe Ansa et Igor Bacovich pour Black Bird et Jann Gallois pour Incantation développeront chacun un aspect ou un thème différent : la transcendance, le cygne et sa relation avec l’être humain, le cygne dans le ballet aujourd’hui, etc. La scénographe et costumière Silke Fischer et l’éclairagiste Johannes Schadl donneront à ces pièces l’harmonie et l’individualité essentielles à trois créations basées sur le ballet légendaire de Tchaïkovski. Trois visions et interprétations de l’éternel et fascinant Lac des cygnes.

 

22 mars 2026
LULLY : ArmideDumestre / D’Oustrac (le 22 mars 2026)
https://opera.toulouse.fr/armide/ – opéra en version de concert
Au temps des croisades, le chevalier chrétien Renaud est retenu captif par la princesse de Damas, la magicienne Armide. C’est par un sortilège qu’il est tombé amoureux d’elle. Le charme rompu, la princesse ne sèmera que destruction autour d’elle. Armide est le dernier opéra de Lully, et le parangon de la tragédie lyrique. Entourée par la fine fleur du chant français et le prestigieux Poème harmonique, la grande Stéphanie d’Oustrac incarne la passion et la fureur de la magicienne avec un art supérieur du style baroque.

 

14 – 26 avril 2026
VERDI : Otello – Montanaro, Joël / Fabiano, Gonzalez (du 14 au 26 avril 2026) : https://opera.toulouse.fr/otello/
Giuseppe Verdi (1813-1901) : Le maure Otello, général vénitien, rentre victorieux auprès de son épouse Desdemona. Mais son capitaine, le funeste Iago, est prêt à tout pour nuire à son maître. Instillant dans le cœur de l’époux le poison de la jalousie, il le poussera à une folie meurtrière. Avant-dernier chef-d’œuvre d’un Verdi septuagénaire qui sut encore emprunter des chemins nouveaux, porté par le génie sauvage de Shakespeare et la plume inspirée de Boito, Otello est une tempête musicale qui emporte tout sur son passage. Dans la mythique production de Nicolas Joel, le ténor star Michael Fabiano dans le rôle-titre et la magnifique Adriana Gonzalez en Desdemona feront des débuts attendus.

 

27 mai 2026
RAMEAU : Les Boréades – Reinoud Van Mechelen / Van Mechelen, Blondeel (mer 27 mai 2026) : https://opera.toulouse.fr/les-boreades-4131547/ – opéra en version de concert
Rameau a dominé la tragédie lyrique du XVIIIe siècle. En signant, à 80 ans, son ultime chef-d’œuvre, jamais créé de son vivant, le génial compositeur nous plonge dans un monde onirique où surgissent ses plus poétiques audaces. Les Boréades évoquent, comme une parabole, l’histoire d’une reine qui, refusant de choisir un époux parmi les deux fils de Borée – déchaînant la colère de ce terrible dieu des vents –, leur préfère un prince inconnu qui se révélera le fils d’un dieu plus puissant encore… Pour sa première exécution toulousaine, ce chef-d’œuvre est confié au ténor belge Reinoud Van Mechelen, grande haute-contre à la française : pour cette version de concert, il interprète le prince inconnu et dirige son ensemble a nocte temporis.

 

 

22 – 31 mai 2026
RICHARD STRAUSS : Salomé – Beermann, Goerne / Henry, Boutillier
(Du 22 au 31 mai 2026) : https://opera.toulouse.fr/salome-5041647/
Nouvelle production
Belle-fille d’Hérode, la sulfureuse Salomé se prend de passion pour un fascinant prisonnier : le prophète Jochanaan (Jean le Baptiste). Un trouble désir la conduira à réclamer sa tête. Inspiré d’Oscar Wilde, ce chef-d’œuvre de subversion tisse génialement Éros et Thanatos, orientalisme et modernité. Le baryton Matthias Goerne signe sa première mise en scène. Autour des débuts, dans le rôle-titre, de Marie-Adeline Henry (inoubliable Jenůfa), une distribution de prestige placée sous la direction de Frank Beermann, éminent straussien. Après Ariane à Naxos, Elektra et La Femme sans ombre, l’Opéra national du Capitole, soutenu par un Orchestre inégalable dans cette musique, continue d’œuvrer en France à la trop rare présence de Strauss au répertoire.

 

4 juin 2026
Récital Franco Fagioli, contre-ténor. Hommage au castrat VELLUTI (jeu 4 juin 2026) : https://opera.toulouse.fr/hommage-au-castrat-velluti-franco-fagioli/
Airs d’opéra de Rossini, Meyerbeer, Mercadante, Morlacchi et Nicolini

 

12 – 17 juin 2026
DANSE. Un saut dans le bleu : du 12 au 17 juin 2026 – Carolyne Carlson, création : https://opera.toulouse.fr/un-saut-dans-le-bleu-carolyn-carlson/
Carolyn Carlson – création – En 1974, Rolf Liebermann invite Carolyn Carlson à l’Opéra de Paris et la nomme Étoile-Chorégraphe. Depuis plus de cinquante ans, cette artiste unique a révolutionné le monde de la danse et surtout l’a enrichi de manière fascinante. Bien que la danseuse et chorégraphe américaine ait déjà confié certaines de ses œuvres au Ballet du Capitole, elle va maintenant créer pour la première fois une pièce majeure pour celui-ci. À sa demande, Pierre Le Bourgeois composera une partition pour les musiciens de l’Orchestre du Capitole. La création exceptionnelle de Carolyn Carlson crée une symbiose entre la danse et la musique, transposant visuellement la partition avec son langage chorégraphique unique, hautement graphique et abstraitement lyrique, mais surtout empreint de spiritualité et d’une poésie infinie.

 

26 juin – 5 juillet 2026
BIZET : Carmen – Hussain, Grinda / Lemieux / Charvet, Hernandez / Hyon (du 26 juin au 5 juillet 2026) : https://opera.toulouse.fr/carmen-4409511/
Georges Bizet (1838-1875) : Carmen est l’opéra le plus populaire au monde, et l’un des plus bouleversants – tragédie incandescente d’une femme qui affronte son destin pour affirmer jusqu’au bout sa liberté. En 2022, Marie-Nicole Lemieux faisait des débuts historiques dans le rôle-titre, malgré le contexte difficile de la crise sanitaire. Pour conjurer cette époque et vous offrir à nouveau, dans les meilleures conditions, la belle production de Jean-Louis Grinda, une reprise rapide s’imposait : elle sera éclatante, avec une double distribution de rêve, sous la baguette de Leo Hussain, idéal dans le répertoire français.

 

 

 

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VISITEZ le site du l’Opéra national du CAPITOLE de TOULOUSE, voir en détail productions, récitals, ballets, concerts à l’affiche de la saison 2025 – 2026 :
https://opera.toulouse.fr/agenda/

ABONNEMENTS LIBRES
Opéra / Ballet / Récitals / Concerts
Abonnement 3+ (-10%) : 3, 4 ou 5 spectacles
Découvrir l’offre et réservez ici : https://billetterie.theatreorchestre.toulouse-metropole.fr/list/seasonTickets

ABONNEMENTS BALLETS
4 ballets de la saison : -20 %
Découvrir l’offre et réservez ici : https://billetterie.theatreorchestre.toulouse-metropole.fr/list/seasonTickets

 

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STREAMING OPÉRA. BARTOK : Le château de Barbe Bleue, vendredi 9 mai 2025, 19h [Opéra Zuid]. Thomas Oliemans, Deirdre Angenent, … Kenza Koutchoukali (mise en scène) / Duncan Ward (direction)

Judith arrive dans la demeure de Barbe-Bleue, dont elle est la quatrième épouse. Malgré la réticence et les supplications de son mari, elle insiste pour faire entrer la lumière dans chaque pièce du château. Une par une, Judith, prête à révéler l’ineffable et le secret, ouvre les portes et découvre derrière chacune, les sombres secrets de celui qu’elle aime…

 

 

 

En composant Le Château de Barbe-Bleue, Bartók rompt avec la tradition et concentre le drame en un acte unique d’une heure à peine. Dans cette partition puissante et troublante, chaque porte ouverte par Judith révèle de nouveaux mondes sonores, tantôt harmonies luxuriantes, tantôt dissonances inquiétantes. À l’Opera Zuid, Kenza Koutchoukali et Yannick Verweij mettent en scène le malaise qui plane sur l’oeuvre et transforment le château en un appartement moderne, nous confrontant au désir d’intimité du couple et à l’infranchissable distance émotionnelle qui les sépare. Le baryton Thomas Oliemans fait ses débuts dans le rôle du duc et campe un Barbe-Bleue, oscillant entre intensité et vulnérabilité. À ses côtés, la mezzo-soprano Deirdre Angenent, qui a déjà chanté le rôle de Judith, dépeint une femme sûr d’elle qui, jusqu’au bout, croit fermement au pouvoir de son amour.
Sur scène aux côtés des solistes, l’orchestre Philzuid dirigé par Duncan Ward est ce troisième personnage qui fait la lumière sur ce que les mots ne peuvent exprimer.
Plus que jamais, l’œuvre cultivé et explore l’intimité profonde – quelles parts obscures gardons-nous fermées à nos amis, à nos amours… à nous-même ?

 

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VOIR Le château de Barbe Bleue de Béla Bartok à l’Opéra Zuid : https://operavision.eu/fr/performance/le-chateau-de-barbe-bleue
Joost Milde / Opera Zuid
BARTÓK : Le Château de Barbe-Bleue
Diffusé le 9 mai 2025 à 19h CET
Disponible jusqu’au 9 nov 2025 à 12h CET
Enregistré le 30.10.2024
Chanté en hongrois
Sous-titres en hongrois, anglais, néerlandais

 

 

 

DISTRIBUTION
Duke Bluebeard : Thomas Oliemans
Judith : Deirdre Angenent
Philzuid Symphony Orchestra
Musique de Béla Bartók
Texte de Béla Balázs
Direction musicale : Duncan Ward
Mise en scène : Kenza Koutchoukali
Sets, Costumes and Lights : Yannick Verweij
Dramaturgie : Wout van Tongeren

 

 

L’HISTOIRE

DU SANG PARTOUT….

Judith est fascinée par son nouvel amant, Barbe-Bleue, malgré les rumeurs terrifiantes à son sujet. Lorsqu’elle pénètre pour la première fois dans son froid et sombre château, elle découvre sept portes closes. Barbe-Bleue met en garde Judith : il est préférable que certaines choses restent cachées. Mais Judith est résolue à connaître véritablement son amant et à faire toute la lumière sur l’obscurité. Judith ouvre les portes, une à une…

Derrière la première porte se trouvent une chambre des horreurs et des instruments de torture tachés de sang. Derrière la deuxième porte se trouve une armurerie, également maculée de sang. La troisième porte dissimule un trésor, de l’or, de magnifiques bijoux… ensanglantés. Malgré ces découvertes terrifiantes, Judith insiste pour continuer, convaincue qu’en découvrant l’âme de Barbe-Bleue et en sachant tout de lui, elle pourrait le sauver.

La quatrième porte donne sur un jardin magnifique, un lieu de beauté radieuse au cœur de l’obscurité. Mais même ce jardin n’est pas sans tache ; les roses blanches ne tardent pas à devenir rouges sang.
Derrière la cinquième porte, Judith découvre un paysage majestueux, mais parsemé de nuages qui projettent une ombre rouge sang sur un abîme insondable. Judith ouvre la sixième porte et dévoile un lac de larmes. L’eau calme et blanche fait office de miroir à la tristesse et à la douleur de Barbe-Bleue, enfouies dans le passé.

Barbe-Bleue la supplie d’arrêter et de laisser la dernière porte fermée, mais la détermination de Judith l’emporte et elle ouvre la septième porte. Judith découvre alors les trois anciennes épouses de Barbe-Bleue. Elles sont vivantes mais prisonnières d’une obscurité éternelle. Judith prend conscience de la réalité.

Barbe-Bleue reste en arrière, prisonnier de ses propres secrets et d’une solitude insondable.

GRAND THEATRE DE GENEVE. MIRAGE, ballet création mondiale : 6 – 11 mai 2025. Damien Jalet & Kohei Nawa

Avec Mirage, Damien Jalet propose sa toute première création pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève dont il est artiste associé depuis 2022. Mirage constitue également le quatrième chapitre de sa collaboration avec l’artiste visuel japonais Kohei Nawa. Après VESSEL (2016), Mist (2022) et Planet [wanderer] (2021, en 2023 au GTG), le duo explore et questionne la nature en perpétuelle métamorphose du vivant, en fusionnant leurs disciplines respectives et en confrontant le corps humain à différents matériaux.

 

 

Leur imaginaire visuel s’inspire du phénomène des mirages et de la fata morgana, ces illusions d’optique liées à des conditions météorologiques spécifiques, provoquées par une déformation de la lumière lorsqu’elle passe à travers des couches d’air de températures différentes, Damien Jalet et Kohei Nawa dépeignent une humanité à la recherche d’elle-même, errant dans un désert métaphorique.

À travers une série de transformations inspirées de différentes mythologies, de la climatologie, de la botanique, de l’entomologie ainsi que du Hayagawari, une technique du théâtre japonais kabuki dans laquelle les interprètes se transforment soudainement au cours d’une représentation, la pièce épluche les interprètes couche après couche, explorant une variété infinie d’états physiques et émotionnels.

Évoquant tantôt les spectres d’une civilisation au bord d’un puits sec, tantôt traversé par la sensualité et les couleurs éclatantes d’une nature tropicale, Mirage se fait rêve éveillé, fluctuant et mouvant, à l’instar des phénomènes atmosphériques.

Damien Jalet et Kohei Nawa proposent une quête hallucinatoire, sensuelle, méditative et viscérale de l’essence humaine, au-delà du voile des apparences. Ils captent l’essence même de l’humanité dans le rapport des hommes à la souveraine nature

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GRAND THEATRE DE GENEVE : Mirage
Création mondiale pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève
Damien Jalet & Kohei Nawa
Création 4 représentations
mar. 6 mai 2025, 20h
mer. 7 mai 2025 – 20h
ven. 9 mai 2025 – 20h
dim. 11 mai 2025 – 15h
RÉSERVEZ VOS PLACES directement sur le site du Grand Théâtre de Genève :
https://www.gtg.ch/saison-24-25/mirage/

 

Tarifs : dès CHF 17.-

« La nature agit, l’homme fait » : Emmanuel Kant

Mirage
Création mondiale pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève

DISTRIBUTION
Concept et chorégraphie : Damien Jalet
Concept et scénographie : Kohei Nawa
Musique : Thomas Bangalter
Lumières : Yukiko Yoshimoto
Costumes : Kunihiko Morinaga (Anrealage)
Assistante costumes : Anna Sato
Conseiller à la chorégraphie : Aimilios Arapoglou
Assistante à la chorégraphie : Kehua Li
Assistant à la scénographie : Nikolai Korypaev
Productrice à la création pour Damien Jalet : Jamila Hessaïne

Ballet du Grand Théâtre de Genève

Mirage est une création basée sur le projet Mirage [transitory], présenté à Fukuoka (Japon) en septembre 2024.

TEASER VIDÉO Mirage

CRITIQUE livre. Jean-François Phelizon : Wolfgang Amadeus Mozart [2 volumes, E & N édition]

Plus de 1300 pages (en deux volumes), dédiées à la vie et l’œuvre de Mozart le fils composent une entreprise majeure dont il faut saluer l’ambition autant que l’érudition sérieuse. Certes incomplète mais maîtrisée.

 

 

3 ans après la publication d’un essai critique sur le dernier opéra de Mozart, La flûte enchantée, l’auteur, Jean-François Phelizon, récidive en restituant l’œuvre et la vie de Wolfgang dans son contexte. Le texte démêle ce qui a été tissé parfois dans la fiction par sa veuve Constanze.

Chaque ouvrage important dont surtout [essentiellement] les opéras,… est le sujet d’une présentation [avec citations généreuses de la correspondance…] et d’une mise en contexte [genèse, enjeux personnels, réception…]. L’auteur qui ne revendique aucune exhaustivité, passe à la trappe nombre de partitions objectivement décisives voire majeures dont parmi les Symphonies, les 3 ultimes : trop vite expédiées. De nombreux aspects de la vie de Mozart sont à l’inverse bien documentés comme ses dettes, son train de vie dispendieux [en témoignent les difficultés propres aux années 1788-1789],…

La somme reste néanmoins passionnante si l’on s’en tient à savourer ce qu’elle est : la vision d’un mélomane passionné qui opère des choix dans une masse de documents d’événements en réalité infinis…

Pour les habitués de textes et biographies musicologiques, le compte n’y sera pas. Mais l’approche, piloté par un goût clairement assumé, donc subjectif, fait valoir son intérêt en particulier dans le choix thématiques des annexes qui bien maîtrisées, éclairent sur les thèmes complémentaires, importants dans la vie de Mozart : la situation de l’Autriche impériale au XVIIIème, la place et la situation de la franc-maçonnerie du vivant de Mozart, lequel en fut un membre plutôt… déçu. Et aussi fondatrice pour la personnalité du génie musicien, ses 17 premières années marquées par l’esprit du voyage et de l’exploration des divers pays européens … Une certaine idée de liberté mise en pratique dès l’enfance et à l’adolescence, qui a résolument structuré celui qui de valet de l’archevêque de Salzbourg, fut le premier à le quitter, assumant clairement son indépendance.
Farouche défenseur de sa propre liberté, figure d’une singularité qui ne sut jamais se positionner [par manque d’entregent], Mozart se dévoile ici avec d’autant plus de relief et de caractère, tel un homme moderne, indépendant et mûr, dont la profondeur et même la gravité le rendent définitivement indépassable.

 

 

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CRITIQUE, livre. Jean-François Phelizon : Wolfgang Amadeus Mozart, 649 p. (tome I) et 726 p. (tome II), 29 € chaque. E & N éditions – Plus d’infos su le site de Galimard : https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782363671967-wolfgang-amadeus-mozart-tome-1-1756-1781-jean-francois-phelizon/

 

 

 

 

 

 

 

 

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CRITIQUE, concert. ANGERS, le 23 avril 2025. Programme « En Bohême » : Smetana, Suk, Tchaikovski… ORCHESTRE NATIONAL DES PAYS DE LA LOIRE, Tomáš Netopil, direction / Jan Mráček,violon

Pour 3 dates, L’ONPL Orchestre des Pays de la Loire propose une superbe affiche en invitant deux artistes tchèques parmi les plus convaincants : le violoniste Jan Mráček et le chef d’orchestre Tomáš Netopil. Depuis plusieurs saisons déjà, l’Orchestre ligérien réussit de somptueux programmes à la fois denses et percutants. Celui-ci intitulé « En Bohême » s’inscrit dans une histoire faite d’accomplissements indiscutables, proposant aux nantais et aux angevins, l’expérience indépassable des grands vertiges symphoniques.
Tout d’abord, feu et éclat s’invitent et s’affichent sans réserve dans l’ouverture de La fiancée vendue de Smetana, avec une précision motorique des cordes absolument impeccable. Voilà qui fait un lever de rideau percutant et jubilatoire, qui n’oublie pas, dans cette trépidation rythmique, la couleur spécifique des bois propre aux compositeurs tchèques.

 

 

La partition qui suit, signée Josef Suk est son Concerto pour violon [créé en 1904] qui semble taillé d’une seule pièce (les 3 mouvements sont enchainés) avec des dialogues concertant entre le violon et le cor, la clarinette, le hautbois. Suk maîtrise quantité de séquences hautement dramatiques aux effets pastoraux ; l’œuvre traverse de nombreux passages purement instrumentaux dont le sens de la couleur et le scintillement orchestral relèvent des paysages de son maître Dvorak [dont il rejoint la classe de composition à Prague en 1891]… Ainsi l’arche aux violoncelles qui prépare le mouvement central [Andante] d’un wagnérisme assumé ; cependant que la cadence finale où perce le chant aérien des flûtes, convoque l’énergie facétieuse et lumineuse d’un Mendelssohn.
Le violon du soliste invité, le Tchèque Jan Mráček, produit d’un bout à l’autre de cette partition dense et contrastée, une sonorité fine et même élégantissime. La subtilité de l’archet comme de la main gauche réalise une invitation constante à l’épopée et à la féerie, proposant de la partition une lecture passionnée et sensible comme s’il s’agissait d’un poème symphonique où le violon serait le héros privilégié.

 

 

De l’éclat solaire de Smetana
au dernier Tchaikovski, lugubre et funèbre

L‘ultime Symphonie de Tchaikovsky (n°6 dite « Pathétique », créée en oct 1893 sous la direction du compositeur) est la pièce maîtresse du programme, véritable morceau de bravoure, inscrite en seconde partie. La direction toute en souplesse et en profondeur du chef d’orchestre Tomáš Netopil réalise un prodige de direction à la fois juste, économe, intérieure, à l’inexorable approfondissement introspectif.

Tout le travail sur la sonorité et l’expressionnisme rentré de la direction de Tomas Netopil se révèle ici. Après le lugubre des bassons initiaux puis de la clarinette (premier mouvement), le chef tchèque fait surgir de l’ombre, une qualité de son des cordes idéalement hallucinante, qui immerge l’auditeur sans fard et directement dans la psyché la plus intime du compositeur. Tomáš Netopil sculpte avec une précision rageuse les contrastes extrêmes et le choc violent qui suit, porté par des cuivres souverains (cors et trombones aussi lugubres et caverneux que l’enfer…). Un tel travail qui rompt définitivement avec l’éclat brillantissime du Smetana d’ouverture, s’inscrit dans la tradition propre aux orchestres de l’Europe centrale ; Tomáš Netopil, nouveau directeur du Symphonique de Prague se montre digne héritier d’une tradition exceptionnelle et qui musicalement s’entend dans la flexibilité intense des cordes et ce fruité pastoral des bois… Ce bagage esthétique fait merveille dans son approche de Tchaikovski, dans la profondeur et l’introspection de plus en plus prenants, au fur et à mesure que les mouvements se succèdent. La valse (allegro con grazia) et ses 5 temps dans sa légèreté fluide, n’écarte pas des rappels à la couleur tragique (et très pessimiste) du début (séquence centrale). Le chef maîtrise totalement l’ambivalence qui règne dans chaque épisode, entre révélation du fatum et élan vital éperdu et désespéré : ainsi l’Allegro qui suit et serait un scherzo conquérant, n’a qu’un brio de façade : dans chaque reprise de cette éruption orchestrale parfaitement organisée, où chaque pupitre en se répondant semble défiler comme une parade militaire, le chef cherche et trouve une exaspération sonore admirablement graduée. A la fois solennel et jubilatoire, le regard du chef réalise une marche d’une énergie rythmique irrésistible dont la force dyonisiaque, destructrice, est très justement prête à imploser. Pris par la violence progressive du mouvement, le public ne peut s’empêcher d’applaudir confronté à une telle libération sonore.
Enfin c’est le dernier mouvement, sépulcral et parfaitement désenchanté, l’Adagio (lamentoso), bouleversant final qui nous conduit aux portes de la résignation et de l’anéantissement consenti, assumé, total. Le chef cisèle chaque séquence comme un paysage de plus en plus dépouillé, plongeant inéluctablement dans le grave le plus ténébreux (contrebasses), jusqu’aux infimes vibrations, délivrant une qualité de silence, enveloppant comme un linceul. Réussite totale pour les musiciens de l’Orchestre National des Pays de la Loire ce soir. Nouvelle séance de ce programme enthousiasmant, ce soir jeudi 24 avril 2025 à 20h, au Centre de congrès d’Angers.

 

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CRITIQUE, concert. ANGERS, le 23 avril 2025. Programme « En Bohême » : Smetana, Suk, Tchaikovski… ORCHESTRE NATIONAL DES PAYS DE LA LOIRE, Tomáš Netopil, direction / Jan Mráček,violon

 

 

 

PLUS D’INFOS sur le site de l’Orchestre National des Pays de la Loire : programme « en Bohême » : https://onpl.fr/concert/en-boheme-un-voyage-inoubliable-en-compagnie-du-chef-tomas-netopil/
LIRE aussi notre présentation du programme « En Bohême » : les 22, 23 et 24 avril 2025 : https://www.classiquenews.com/onpl-orchestrenational-des-pays-de-la-loire-en-boheme-les-22-23-24-avril-2025-nantes-puis-angers-tomas-netopil-direction-jan-mracekviolon/

 

 

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ENTRETIEN avec LÉO MARILLIER, directeur artistique du Festival INVENTIO, à propos de l’édition 2025 : celle des 10 ans / Les 29 avril, 5, 17 mai, 1er, 15, 22, 29 juin puis 7, 12, 20 septembre 2025

On ne saurait mieux dire : pour Léo Marillier, directeur aristique du Festival INVENTIO, « l’ADN du Festival INVENTIO : Enrichir une programmation classique, faire des pas de côtés. Mais comment muscler le public pour s’ouvrir à l’inconnu ? »… Rien de mieux en conséquence, qu’un fonctionnement démocratique où chaque artiste invité exprime et transmet le mieux qu’il le peut, explore toujours en connivence, enrichit le répertoire, et écoute la partie de l’autre pour mieux comprendre la sienne. Heureux festivaliers en Seine-et-Marne, ayant à disposition ainsi de mai à septembre, une offre artistique aussi brillamment conçue, chaque été. Voilà 10 ans déjà que le Festival INVENTIO surprend et captive. Explications, présentation d’un Festival estival hors normes, sans équivalent dans l’Hexagone

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Photos Léo Marillier © Franck Jaillard

 

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Pour ses 10 ans, le Festival INVENTIO, cru 2025 « A suivre », propose deux séries d’évènements qui s’entremêlent et se complètent : que permettent-elles de proposer artistiquement ? 

LÉO MARILLIER : J’adore la musique qui parle du monde, de notre expérience, de nos vies informulées et secrètes : rien de tel qu’une voix amie pour nous rassurer, nous montrer la voie. Un aspect important de cette édition est quand l’instrument se mue en voix, imite le chant, la parole, le bruit de la plume. « Du bruit qui pense » (Victor Hugo) pourrait être la devise de cette année. En miroir l’une de l’autre, les deux séries explorent les relations complexes – connivence ou rivalité – entre musique et mots.
A portée de mots : Six événements pour illustrer six dimensions, sortes de parois entre l’expérience musicale et l’écrit : Pourquoi et comment s’emparer et parer de mots l’expérience si subjective, si émotionnellement personnelle du concert ? De lire et écouter – une même volonté – élargir l’imagination, l’expérience.
Le conte : comment dire « il était une fois » en musique ? Quand l’humour du conteur Jacques Sternberg se glisse entre des œuvres de Schubert, Berio et Haendel, le tout porté par un trio excentrique et complice : Alexa Ciciretti au violoncelle, Quentin Rey à l’accordéon et moi-même au violon.
La signature musicale : Le jeune prodige organiste, Edmond Reuzé, nous livrera les dessous du motif musical avec des œuvres de Bach, Lully, Schubert…pour faire résonner le magnifique orgue récemment restauré de l’église de Bray-sur-Seine.
La fiction : Peut-on suggérer un récit avec les moyens descriptifs de la musique ? Les compositeurs inspirés par Don Quichotte, maître de l’illusion, de l’humanité, du courage, nous affirment que oui.
La critique musicale : Depuis le XIXème siècle, le volatile sublime de la musique est si souvent immédiatement commenté, tentant de saisir l’innovation au pied levé ce dont David Le Marrec se fera l’écho au cours du concert interprété par un formidable trio de jeunes talents : Yuiko Hasegawa au piano, Camille Théveneau au violon, Iris Guemy au violoncelle. Cas de « double-casquette » : le compositeur Debussy et son alias, le critique Monsieur Croche au cœur du programme de ce concert rejoint par Schönberg et Ravel.
La correspondance des compositeurs nous apprend que l’acte créateur se situe entre solitude et immersion sociale. Ainsi, le pianiste Orlando Bass et moi-même éclaireront les œuvres de Beethoven et Bartok et l’une de mes créations pour piano seul d’un partage de courriers, témoins de l’influence de l’amitié et des liens entretenus avec les contemporains sur la création.
Et enfin, le sacré : Véritable contrepoint à la parole sacrée, l’’événement des « Sept dernières paroles du Christ », chef d’œuvre de Haydn interprété par le magnifique Quatuor Kandinsky et mis en espace entre déclamations et notes, presque transposée en sept « premières paroles de l’Homme », véritable invitation à la liberté.

La seconde série fait la part belle au chant : ouvrir la voix. Elle explore les pratiques vocales, ce en quoi la voix unit, joue avec le sens proposé par un texte, et l’ivresse sensorielle d’une vocalise. La voix, c’est à la fois l’instrument que nous avons toutes et tous, mais aussi une immense discipline dont la centaine d’enfants, auteurs/choristes du spectacle d’ouverture du festival témoigneront en livrant un spectacle original sous la houlette de la cheffe de chœur, Angélique Niclas.
C’est aussi un honneur que d’avoir pu écrire et composer le conte musical « une invention féérique ou la parabole du professeur Tourbillon » pour la chanteuse Clara Barbier Serrano. Commande du festival, les thématiques mentionnées précédemment s’ y incarnent. Ce spectacle opératique, mis en scène par Vincent Morieux, regorge – j’espère – d’humour et de fantaisie – dans la tradition des contes d’initiation à l’orchestre et sera défendu par un orchestre « de poche » naissant, résultant de la collaboration et de l’engagement de Emma Derivière à la contrebasse, François Vallet aux percussions, Guillaume Retail au hautbois, Geoffray Proye au trombone, Charlotte Scohy à la flûte, Camille Coello à l’alto, Helena Ortuno au basson et Emmanuel Acurero au violoncelle et moi-même au violon dialoguant avec le chœur de Passy…
Nous nous séparerons sur une initiative de concert participatif, point d’orgue de l’édition 2025 où le public sera invité à devenir acteur lors du final partagé avec l’Ensemble baroque La Badaude qui nous propose un très beau programme où le chant de la harpe, du théorbe, de la flûte, de la voix se mettent au diapason des passions et de la spiritualité humaine de l’Espagne musicale du 17ème siècle.

 

 

CLASSIQUENEWS : Les 10 ans d’INVENTIO donnent l’occasion d’établir un bilan. Sur cette période comment ont évolué l’esprit et le fonctionnement du Festival ?

LÉO MARILLIER : Au départ, INVENTIO a été dicté par le projet de tournée au profit de musiciens collègues américains, partenaires avec lesquels j’avais noué une amitié musicale forte lors de mes études à Boston. La tournée initiale s’est muée dès la seconde année en série de concerts pendant l’été ; en 2025, une dizaine d’événements et une bonne trentaine d’artistes invités. Le calendrier a également évolué : au départ circonscrit au mois de juin, aujourd’hui le cycle d’événements s’étend de mai à septembre. Ces dernières années ont été marquées par la venue et la découverte pour le public de formations de musique de chambre variées, et parfois inédites, de musiciens à la sensibilité aiguisée, traçant toutes et tous une route artistique singulière marquée par un goût indélébile pour l’exploration.
L’esprit du festival est celui qui règne en musique de chambre : le partage d’un artisanat musical très fort, le privilège d’explorer un répertoire infini, le principe démocratique. En effet, peu importe le nombre de notes à défendre chaque musicien a la même capacité de changer en dialoguant, argumentant, en jouant la direction de la pièce. C’est en connaissant les autres parties que le musicien de chambre comprend la sienne … ainsi il va dans l’organisation du Festival INVENTIO.
Explorer les ressources créatives et vertueuses suscitées par la contribution de formations inusitées, guider vers des lieux intimes, parfois ignorés du patrimoine seine-et-marnais, provoquer les chefs-d’œuvre en les faisant voisiner avec les trouvailles musicales, articuler le répertoire de chaque rencontre musicale autour d’un fil rouge. L’ensemble des fils rouges tisse le thème adopté à chaque édition, s’essayant à approcher l’un des rapports que la musique entretient avec le monde….
ADN du Festival INVENTIO : Enrichir une programmation classique, faire des pas de côtés. Mais comment muscler le public pour s’ouvrir à l’inconnu ? Pour s’étonner et s’enchanter des chants andalous du 17e siècle et de l’aujourd’hui le plus vif avec Luciano Berio, un entraînement, une fréquentation dénuée de préjugés d’avec le singulier s’impose. Le dialogue avec le public est crucial ; échanger, donner envie, fournir des pistes, démystifier, rire, c’est ce que la parole autour du concert, autour de la musique permet. Mais pas que…
La transhumance des champs artistiques constitue une autre clé facilitant l’appétit de découverte… Les précédentes éditions ont ainsi mis en résonnance et en dialectique, la musique et le cinéma, la musique et la peinture ; la porosité des arts est une réalité. C’est pour moi une expérience quotidienne que je cherche à partager. Mais pas que…
S’ouvrir à l’environnement – les mini-rando guidées, les causeries préalables à propos de l’histoire du lieu-hôte, les ateliers où sont célébrés le mouvement : taï-chi, chant… – pratiques en amont des concerts offertes aux festivaliers – facilitent le dépaysement, le choc émotionnel, la curiosité salutaire avant d’entrer en plain-pied dans l’expérience toujours neuve du concert, offrant en quelque sorte une antichambre à l’expérience musicale…Celle-ci reste bien entendu subjective et de toute façon reliée au chemin personnel que chacun conduit dans le monde sensible. En tant que directeur artistique, je reste modestement un interprète qui propose un projet conjuguant proposition artistique et pédagogie, toujours habité par le fait que la meilleure pédagogie s’arrête aux confins de la liberté de l’auditeur nourrie des questions et dialectiques intérieures qui l’auront traversé… Il s’agit simplement pour moi de fournir un terrain où ces questions prendront racines a priori plus facilement.
Pour finir, le concert est un lieu de vie ; dans l’univers rural où se déploient nos concerts, il est capital de tout mettre en œuvre pour que l’hospitalité règne et la chaleur relationnelle puisse prolonger, autour de goûters gourmands, le partage des opinions et ressentis… Faciliter l’accès aux événements en organisant du co-voiturage et des navettes dans une région peu irriguée sur le plan des transports en commun, est rendu possible grâce au concours des bénévoles et sympathisants, socle essentiel du festival… Ce sont eux qui forgent la réalité du festival.
Cela étant, la fragilité d’une entreprise associative fondée sur des soutiens financiers qui chaque année doivent être reconquis ne peut être tue mais stimule également notre combattivité. Cette 10ème édition « A suivre » porte notre confiance de voir perdurer le Festival INVENTIO…

 

 

CLASSIQUENEWS : Sur le plan artistique comment avez vous diversifié et renouvelé l’offre et la forme des concerts / des événements musicaux? 

LÉO MARILLIER : L’expérience auditive, imaginative, visuelle du public métisse l’intellect, la perception et la sensibilité, et constitue l’enjeu au cœur du concert, où le savoir et l’inattendu s’embrassent. Les modalités de mise en œuvre du concert sont des leviers forts de l’orientation que l’événement prendra pour chaque auditeur… Ainsi l’écrin, parfois quelque peu anonyme ou aseptisé des salles de concert, peut araser l’effet que la musique produit, et au contraire avec l’aventure INVENTIO, nous avons le privilège de teinter en quelque sorte la musique de l’environnement fantasque dans lequel elle est jouée. Ainsi en 10 ans, le patrimoine architectural – églises ou chapelles peu sollicitées sur le plan cultuel donc menacées par l’oubli, domaines privés : châteaux ou abbaye par essence rarement offertes au regard du grand public, site-témoin de l’industrie papetière locale désormais écrin d’expositions contemporaines exceptionnel, musée vivant du chemin-de-fer ou parcs naturels nous ont conduits à examiner sous un angle sans cesse rafraichi l’offre musicale. Les contraintes ou opportunités acoustiques, les singularités spatiales, tout concourt à s’interroger, à procurer des défis à la réflexion sur le meilleur parti à tirer de la scène éphémère pour que le programme y soit honoré. Je n’exagère pas en affirmant que chaque œuvre bénéficie ainsi d’une « première » ; nous avons eu des révélations acoustiques extrêmement intéressantes tant pour les musiciens – qui se prêtent généreusement à cet exercice hors de leur zone de confort – que pour le public.
La succession des thématiques d’édition, toutes dominées par une vision dynamique du rapport à l’art cherche à affranchir du concert-musée où des objets statiques issus du passé défileraient… Au contraire ces moments de partages musicaux visent à animer le rapport à l’art, à faire vivre et évoluer la mémoire et la tradition. C’est pourquoi nous favorisons la présence de nombreux arrangements de pièces du grand répertoire migrant vers des formations d’adoption pour les faire rayonner ou éclore différemment. Sortes d’uchronies musicales, ces arrangements peuvent même apporter des clés sur la genèse des œuvres… Une éloquence cachée… Les créations marquent de leur empreinte la vitalité musicale et la prise de risque salvatrice de la programmation musicale INVENTIO.
Les frottements suscités par le décloisonnement artistique valorisé par les thématiques annuelles façonnent la forme des concerts et la manière dont ils sont reçus.
La pandémie nous a aussi permis de développer la dimension médiatique du festival, avec le superbe travail d’Aurélien Mélior, qui réalise les films du festival depuis 2021 garantissant ainsi une audience élargie aux événements et aux artistes.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Quel est l’ancrage géographique et patrimonial du Festival ? 

LÉO MARILLIER : Au fil des années, nous avons organisé des événements dans un grand nombre de sites dans le triangle seine-et-marnais compris entre Provins, Bray-sur-Seine et Boissy-le-Châtel, une trentaine je pense. La fidélité de certaines communes ont donné lieu à des rendez-vous rituels. Lieu de prédilection du festival, le kiosque d’Everly, est la scène ouverte où chaque année des amateurs ou « jeunes pousses » se produisent dans un état d’esprit bienveillant, festif, généreux, varié. Chaque année à Paris, un événement de lancement ou de clôture du festival. Last but not least, l’ancrage territorial permet de développer des partenariats avec des hôpitaux, des résidences pour personnes en situation de handicap, pour toucher les publics empêchés dans leur quête d’art, de beauté et d’accompagner le développement de la sensibilité des élèves et collégiens lors d’ateliers pédagogiques.

 

CLASSIQUENEWS : Dans les éditions prochaines, que souhaitez-vous renforcer encore ? 

LÉO MARILLIER : Chaque année la thématique peut accueillir plus de connections entre les œuvres, entre les arts, entre les interprètes et les créateurs. Je souhaite renforcer les passerelles, entre le savoir et le désir, entre l’écoute et la mémoire. La musique met le pèlerinage de l’âme à l’honneur. Schubert nous montre que quelqu’un qui marche en silence peut donner la plus belle musique. Je crois en ces images. Et je prévois pour la suite des thématiques plus éloignées en quelque sorte de l’idée que l’on se fait de la musique. Les dilemmes de la condition humaine : l’humour, la mort… Comme l’écrivait André Malraux : « La musique seule peut parler de la mort. »

Propos recueillis en avril 2025

 

 

présentation

LIRE aussi notre présentation du Festival INVENTIO 2025 / Les 10 ans : 29 avril, 5, 17 mai, 1er, 15, 22, 29 juin puis 7, 12, 20 septembre 2025. Léo Marillier, Alexia Ciciretti, Yuliko Hasegawa, Edmond Reuze, Orchestre Sur Mesure, Orlando Bass, Quatuor Kandinsky, La Badaude… https://www.classiquenews.com/seine-et-marne-paris-10eme-festival-inventio-a-suivre-29-avril-5-17-mai-1er-15-22-29-juin-puis-7-12-20-septembre-2025-leo-marillier-alexia-ciciretti-yuli/

 

 

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CRITIQUE, concert. 3ème Festival de Pâques de PERALADA, Iglesia del Carme, le 20 avril 2025. SCARLATTI / LEO / HASSE / HAENDEL… Mélissa Petit (soprano), Ann Hallenberg (mezzo), Il Pomo d’oro, Zefira Valova (direction)

Le Festival de Pâques de Peralada a clôturé sa troisième édition avec un excellent concert matinal, le dimanche de Pâques, animé par Il Pomo d’Oro, aux côtés de la mezzo néerlandaise Ann Hallenberg et de la jeune soprano française Mélissa Petit. Ce prestigieux ensemble spécialisé dans le répertoire baroque, accompagné des deux chanteuses, a proposé un programme en deux parties distinctes : la première, dédiée aux versions sacrées des Salve Regina de Domenico Scarlatti et Leonardo Leo ; et la seconde, composée d’arias d’opéras baroques de Georg Friedrich Haendel (et d’autres compositeurs du XVIIIe siècle).

 

La mezzo-soprano Ann Hallenberg a ouvert la soirée avec la prière de Domenico Scarlatti dédiée à Marie, mère de Jésus : une œuvre sobre et retenue, interprétée avec un goût raffiné, un phrasé élégant et une technique impeccable, bien que sa voix, marquée par l’implacable passage des années, ait perdu un peu de son éclat et que le timbre soit devenu légèrement plus âpre. Puis vint le Salve Regina de Leonardo Leo, interprété cette fois par la soprano Mélissa Petit, qui a confirmé tout le bien que nous en pensions déjà, avec une performance tout simplement merveilleuse : la jeune chanteuse a démontré une ligne vocale agile, lumineuse et maîtrisée, déployant ses ressources avec naturel, brillant par un contrôle exquis des pianissimi et une virtuosité éblouissante dans les cadences.

La première moitié, au ton plus recueilli, a laissé place à une seconde partie bien plus festive, permettant au public de savourer les feux d’artifice de l’opéra baroque. L’aria « Volate amori » tirée d’Ariodante a permis à Petit d’exhiber ses meilleures qualités : fraîcheur, une maîtrise exceptionnelle de l’ornementation et un timbre radieux. Plus tard, la soprano a offert une interprétation émouvante de l’aria « Tu del ciel ministro eletto » extrait de l’oratorio Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, avec une expressivité intime et une vocalité claire, superbement soutenue par l’orchestre.

Hallenberg, quant à elle, a livré une version puissante d’« Alto Giove », extrait de Polifemo de Nicolo Porpora, sommet d’habileté et de connaissance du répertoire. Enfin, la mezzo-soprano est revenue sur scène avec « Son qual nave ch’agitata » d’Artaserse de Riccardo Broschi, dans une interprétation vibrante et pleine d’effet. Toutes deux ont également brillé dans un duo : « Io t’abbraccio » de Rodelinda, où Petit et Hallenberg se sont fondues dans un dialogue d’une intense émotion, leurs voix parfaitement unies et leur présence scénique en parfaite symbiose devant l’autel.

Tout au long de la soirée, Il Pomo d’Oro, sous la direction musicale de la violoniste Zefira Valova, a fait preuve d’une grande capacité à épouser les nuances et la ligne expressive des deux solistes, adaptant avec cohérence sa richesse timbrique, passant du recueillement religieux à l’effusion opératique. Autant dire que cette 3ème édition pascale s’est terminée en beauté – et vivement maintenant la mouture estival qui sera bientôt dévoilé par le fringant Oriol Aguilar, l’heureux directeur de la manifestation catalane !…

 

 

 

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CRITIQUE, concert. 3ème Festival de Pâques de PERALADA, Iglesia del Carme, le 20 avril 2025. SCARLATTI / LEO / HASSE / HAENDEL… Mélissa Petit (soprano), Ann Hallenberg (mezzo), Il Pomo d’oro, Zefira Valova (direction). Crédit photographique © Tito Ferrer

 

 

 

CRITIQUE événement. COFFRET : BRAHMS / GARDINER. Symphonies n°1 – 4. Royal Concertgebouw Orchestra Amsterdam (2021, 2022, 2023 – 3 cd DG Deutsche Grammophon)

18 ans après les avoir jouées et enregistrées avec l’Orchestre romantique et révolutionnaire (2007), John Eliot Gardiner reprend l’étude et l’analyse des 4 Symphonies de Johannes Brahms, dans ce cycle réalisé à Amsterdam sur 3 années, entre 2021 et 2023. En s’appuyant sur les ressources (très argumentées des musiciens du Royal Concertgebouw Orchestra Amsterdam), le maestro livre ici pour DG, – avant ses récents déboires qui l’auront écarté de la scène en 2024-2025, une compréhension brahmsienne qui ne manque pas d’intérêt.

 

 

vertus de l’approche
historiquement informée

En dépit d’une attention naturelle à l’éloquence et à la ciselure instrumentale, le chef rompu aux approches allégées et historiquement informées, n’empêche pas d’une manière générale, une certaine épaisseur compacte du bloc des cordes ; la tenue des séquences qui mettent en lumière bois et vents s’avère plus convaincante et même superlative ; l’alliance des bois, les cuivres d’une noblesse onctueuse, précisément la couleur des hautbois et des cors s’avèrent au fil de l’écoute, superlatifs.

Sujet du CD1, la Symphonie n°1 (1876), en ut mineur opus 68, et son début au souffle tragique au diapason de la marche initiale avec timbales est réalisée dans le respect scrupuleux du « sostenuto » indiqué, lequel amplifie en réalité la résonance du sentiment irréversible ; Gardiner plonge alors dans la matière brahmsienne, à la fois dense, d’une rythmique implacable, où les staccatos relancent constamment le climat d’angoisse et de fatalité maudite… le chef n’écarte ni aridité ni sécheresse dans cette expression d’un drame entier qui avance sans retour possible. Même l‘Andante qui suit (lui aussi « sostenuto ») ne s’éloigne jamais d’une certaine rigidité malgré le chant plus apaisé du hautbois… Prolongement plus aéré encore, le « Poco Allegretto e grazioso » en guise de scherzo (!) préfère une ambiance pastorale où règne la danse des bois (clarinette et hautbois surtout) que Gardiner détache avec une très juste subtilité onirique. Le Finale dans sa transparence restituée (cordes) assume pleinement sa filiation avec le souffle éperdu de Schumann, tout en regardant du côté de Bruckner, mais un Bruckner majestueux et qui s’enfonce dans le mystère, grâce au thème souverain énoncé par le cor, lointain, énigmatique que la flûte éclaire d’une couleur enfin pus humaine et compréhensible. Avant le chant final des violoncelles, évoquant l’Ode de Beethoven dans sa 9è : chant fraternel et ardent qui efface toute tension…

Plus emblématique encore de cette intégrale en 3 cd, le dernier cd comprenant les symphonies n°3 et n°4 qui clarifie enjeux et sens de la lecture : chaque mouvement est mesuré, compris dans sa somptueuse noblesse de ton, où se mêlent le souffle d’une tragédie intime idéalement canalisée et la tentation heureuse plus apaisée des mélodies d’essence populaires. Dans la 3è, opus 90, le premier allegro rugit avec majesté, diffusant une lave du plus bel effet ; même splendeurs de timbres dans l’Andante, comme enchanté et d’une calme intériorité – le 3è mouvement, le plus célèbre des Allegrettos conçus par Brahms (Poco allegretto) est énoncé avec pudeur et équilibre, où se déploie aussi le souci de clarté auquel le chef ajoute une indiscutable individualisation instrumentale permise par l’implication millimétrée des musiciens amstellodamois. L’énergie collective qui emporte tout le finale (Allegro) sonne plus précipité et moins abouti que les mouvements précédents, hormis la toute fin où en allégeant considérablement la texture et en faisant chanter bois et cordes, le chef trouve une transparence bienvenue.

La dernière Symphonie n°4 – opus 98, joue habilement sur l’ambiguïté continue entre opulence de la texture et âpreté sinueuse plus fugace et affleurante à laquelle flûte, hautbois et clarinette apportent les teintes scintillantes adéquates, quand les cordes flexibles et ondulantes réalisent l’écoulement irrépressible du thème, ciblant son essence tragique. Gardiner trouve un même ton et une coloration d’une indiscutable profondeur dans l’Andante (moderato) qui suit immédiatement ; cors fabuleusement épiques et distanciés, clarinettes tout aussi engagées, d’une volupté ardente, cordes majestueuses et conquérantes enrichissent remarquablement l’esprit comme envoûté de la cantilène qui devait tant marquer Dvorak. Le Scherzo explose de joie et de facétie heureuse dont Gardiner se plaît à varier les tutti (flûtes et triangle à l’appui).
L’ampleur et les vertiges spectaculaires du dernier Allegro (energico e passionnato), affirment la valeur de l’approche du chef britannique ; l’architecture orchestrale d’un Brahms génialement inspiré, dont Gardiner se délecte à restituer les très subtiles dosages instrumentaux, faisant dialoguer les tutti retentissants et majestueux (cors et trombones impérieux), d’une âpreté progressivement débordante, et bois rêveurs… la richesse et la subtilité de l’approche se révèlent dans ce dernier mouvement, indiscutablement profitable ; preuve est encore faite que contre toute routine et préconçus, la direction d’un chef qui maîtrise l’approche historiquement informée, apporte énormément aux instrumentistes d’un orchestre moderne. Ce même constat vaut aussi, avec les apports à présent reconnus et mesurés pour des chefs « baroqueux », tentés par le souffle romantique : ainsi Philippe Herreweghe chez Bruckner et Brahms, ou très récemment en ce printemps 2025, Jordi Savall qui s’aventure en terres Schumaniennes et Brucknériennes lui aussi, après ses Beethoven et Schubert, passionnants. A suivre.

 

 

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CRITIQUE événement. COFFRET : BRAHMS / GARDINER. Symphonies n°1 – 4. Royal Concertgebouw Orchestra Amsterdam (2021, 2022, 2023 – 3 cd DG Deutsche Grammophon) – Parution annoncée le 2 mai 2025 – Plus d’infos sur le site de l’éditeur DG Deutsche Grammophon : https://www.deutschegrammophon.com/en/catalogue/products/brahms-the-symphonies-john-eliot-gardiner-13923

 

CRITIQUE, concert. CARACAS, Sala Simon Bolivar, Sistema, Dimanche 13 avril 2025. Orchestre Baroque Simon Bolivar, Bruno Procopio

Dimanche 13 avril 2025, dans la grande Sala Simón Bolívar du Centro Nacional de Acción Social por la Música (Boulevard Amador Bendayán), siège principal du Sistema à Caracas, place aux effectifs maison, et en nombre : Coral Nacional Simón Bolívar, Orquesta barroca Simón Bolívar, sous la direction d’un chef invité, familier à présent du Sistema : Bruno Procopio… Le maestro franco brésilien dirige les effectifs venezueliens depuis 2012, c’était avec l’Orchestre Symphonique Simon Bolivar dans un programme demeuré aussi emblématique que convaincant : « Rameau in Caracas », édité par le label Paraty ; l’approche historiquement informée permettait alors aux instrumentistes venezueliens de découvrir et de jouer le répertoire baroque français à travers une sélection de pièces orchestrales issus des opéras de JEAN-PHILIPPE Rameau. Rien de moins.

 

Depuis cet enregistrement qui vaut acte fondateur, Bruno Procopio apporte cet éclairage spécifique dont il a le secret et la maîtrise s’agissant de l’ornementation, de la tenue d’archet, de l’articulation et de l’équilibre sonore propre au Baroque européen. Tout élément du langage instrumental permettant l’interprétation la plus intense et la plus subtile possible, au service de l’énergie et du sens profond des œuvres choisies.

 

Concert MOZART pour les 10 ans de
l’ORQUESTA BAROCCA SIMON BOLIVAR

 

Bruno Procopio dirige les musiciens de l’ORQUESTA BAROCCA SIMON BOLIVAR, à Caracas, le 13 avril 2025 dans la Symphonie n°41 de Mozart © classiquenews

 

Ce concert Mozart est particulièrement attendu et emblématique, quand l’Orquesta Barocca Simon Bolivar, – créé depuis 2015, remarquablement fédéré par son directeur musical le violoniste (et supersoliste Boris Paredes) fête cette année ses déjà 10 ans ; en tant que chef invité, Bruno Procopio retrouve les instrumentistes vénézuéliens dans un programme emblématique à plus d’un titre. Ambitieux du fait des effectifs concernés ; mais aussi exigeant : Mozart représente plusieurs défis, dont l’articulation, l’élégance du son, la clarté et la précision, surtout la profondeur et la sincérité ; aucune musique autant que celle de Wolfgang, ne supporte l’artifice. Outre la finesse requise et la haute tenue technique, l’écriture de Wolfgang exige une justesse de ton particulièrement subtile.

 

Une Jupiter, ciselée, irradiante…

Pour preuve l’ultime symphonie n°41, dite « Jupiter » (titre posthume), achevée à l’été 1788. L’architecture de la partition suscite le vertige: Bruno Procopio l’a bien compris et en a mesuré tous les enjeux : le premier Allegro (vivace) a l’entrain irrépressible d’une arche lumineuse dont l’énergie première prolonge en vérité le finale de la 39ème ; sur le tapis acéré et souple des cordes, d’une formidable agilité, le chef sait trouver le juste tempo, ciselant cette inflexion subtile, menant l’esprit de conquête et de victoire collective vers ce jaillissement scintillant qui devient pure jubilation (fanfare finale).
Belle audace pour le mouvement suivant, indiqué «  Andante cantabile » (à 3/4) et que tous les chefs pensent réussir en l’abordant lentement, quitte à (trop) ralentir (et se diluer)… Rien de tel pour Bruno Procopio dont la vision cultive plutôt un allant au flux léger, ininterrompu grâce entre autres à cette dextérité continue des violons dont les courbes et les contre courbes dessinent une base souterraine telle les eaux vives et sereines d’un ruisseau à la grâce primitive, intacte, d’une fluidité hyperactive réellement superlative. Cette élégance à la fois claire et transparente n’empêche pas l’angoisse ni l’inéluctable colorer l’émergence et le développement furtif du 2ème sujet ; sa profondeur et sa gravité d’une ineffable sincérité : la direction est à la fois claire et d’une justesse impériale ; saisissante dans ce jeu d’équilibre aux registres habilement mêlés.
Même réussite dans le « Menuetto » qui suit dont le chef cultive une même élégance, à la fois vive, trépidante, d’une articulation fluide et noble ; à nouveau c’est cette équation réussie entre expressivité ciselée et flexibilité constante, équilibre et complexité formelle, qui rayonne d’un bout à l’autre.
La cohésion de la vision globale s’impose dans un geste qui dès le départ, a semblé couler de source, son point d’arrivée et d’accomplissement se réalisant pleinement dans l’ultime mouvement : le plus vertigineux, le dernier Allegro (noté « molto allegro ») ; soit le triomphe des forces de l’esprit sur la matière à maîtriser, et sur l’énergie, à canaliser. En réalité, dans la succession des 3 mouvements précédents, tout prépare à cette apothéose finale ; la forme magistralement maîtrisée du fugato élabore une architecture puissante et spectaculaire dont le chef, orfèvre en matière d’articulation, clarifie l’apparente complexité ; la direction reste continûment claire, très aérée ; d’une impérieuse et inéluctable clarification ; en portant et stimulant l‘étonnante volubilité des instrumentistes, en particulier des cordes, précisément des violons, menés, pilotés par leur leader Boris Paredes, le maestro conduit l’orchestre dans une trépidation déjà beethovénienne, une énergie qui se fait exaltation dansante et qui traversant la grille harmonique mozartienne, ses vertigineuses autant que très justes modulations en sol et la mineurs, puis si majeur, culmine en un flux ascendant, lumineux, d’une aspiration irrépressible vers l’ut majeur.
A la fois course victorieuse et affirmation éloquente de son propre génie musical, l’Allegro final exprime au plus près, la pensée d’un Mozart maître absolu de son art, son écriture préparant directement à l’ambition et la volonté du Beethoven à venir.

 

 

 

En seconde partie, rien de moins que l’un des messes brèves de Mozart, parmi les plus inspirées de son catalogue, la fameuse Messe du couronnement propre à la fin des années 1770, et tout comme la Jupiter, en ut majeur… En chef sachant diriger et canaliser les masses – le chœur ici rassemble plus de 80 chanteurs et occupe l’ensemble du fond de la scène de la vaste salle, Bruno Procopio veille au relief de chaque élément de cette grande fresque chorale où se joint aussi l’orgue de la salle : l’équilibre sonore ainsi calibré permet d’écouter chaque séquence, rétablie dans ses justes proportions, celles de la partition créée pour la Pâques 1779 à Salzbourg. Kyrie, Gloria, Credo sont réalisés avec précision et intensité ; le Benedictus met en avant le quatuor vocal, composé de chanteurs tous formés comme les choristes et les instrumentistes, au sein du Sistema. Avant qu’au début de l’Agnus Dei, la soprano requise soignant son legato entonne son air fameux dont la tendresse habitée par la grâce préfigure le « Dove sono » de la Comtesse dans les Noces de Figaro ; séquence suspendue qui est immédiatement enchaînée avec le final où choeur, orgue, solistes et orchestre réalisent cet esprit de majesté fervente que Mozart sait tempérer à l’aulne de la douceur et de la tendresse humaine. Pour ses 10 ans, l’Orquesta Barocca Simon Bolivar ne pouvait réaliser meilleur programme, célébrant avec autant de généreuse énergie l’alliance typiquement mozartienne du faste et de la ferveur, de la majesté et du sentiment.

 

 

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CRITIQUE CONCERT. CARACAS, Centro pour la musica, le 13 avril 2025. MOZART : Symphonie n°40, Messe du Couronnement. Coro nacional Simon Bolivar, Orquesta Barocca Simon Bolivar, Bruno Procopio (direction)

 

 

 

 

LIRE aussi notre présentation du concert MOZART à CARACAS par BRUNO PROCOPIO, ORQUESTA SIMON BOLIVAR, dim 13 avril 2025. MOZART : Messe du couronnement, Symphonie n°41 JUPITER : https://www.classiquenews.com/caracas-bruno-procopio-orquesta-simon-bolivar-dim-13-avril-2025-mozart-messe-du-couronnement-symphonie-n41-jupiter/

 

 

 

LIRE aussi notre critique du CD RAMEAU IN CARACAS par Bruno Procopio et le Simon Bolivar symphony Orchestra of Venezuela (enregistré en 2012) : https://www.classiquenews.com/cd-bruno-procopio-rameau-in-caracas/

Ce disque est étonnant, tant Rameau n’avait pas été ressuscité avec autant de vérité ni de saine justesse. Sans le fruité des instruments d’époque (parfois à défaut d’une baguette convaincante, rien que séducteurs), l’oreille se concentre sur le geste, la conception de l’architecture, la carrure et l’allant des rythmes, la richesse des dynamiques, c’est à dire l’émergence et l’essor d’une vision musicale. Tout cela, Bruno Procopio le maîtrise absolument…

 

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 21 avril 2025. BACH : Cantates et Oratorio de Pâques. Choeur de chambre de Namur, Les Talens lyriques, Christophe Rousset (direction)

Etranges fêtes de Pâques où le monde chrétien a à la fois célébré la Résurrection du Christ… et pleuré la mort du Pape ! Lundi soir, à la fin d’une longue journée de deuil, les fanfares de l’Oratorio de Pâques de Jean-Sébastien Bach ont répandu leur joie dans le grand Auditorium de la Philharmonie de Paris et obtenu un immense succès. Divins contrastes d’un jour historique au bout duquel triomphe l’espérance !

 

Christophe Rousset dirigeait ses Talens lyriques et le Chœur de chambre de Namur. Le programme comportait outre l’Oratorio de Pâques deux autres Cantates pascales de Bach, les BWV 66 et 134. Bach, sublime de la première à la dernière note ! La première cantate était traversée à la fois par les sentiments de crainte et des expressions d’espérance. La seconde se présentait sous forme d’un dialogue d’actions de grâce entre l’alto et le ténor. « Auf, auf ! » chantait le ténor pour inviter les croyants à glorifier Dieu.

L’Oratorio de Pâques, qui fait triompher l’éclat de ses Alleluia, évoque aussi la désolation des femmes à l’annonce de la mort du Christ. Un poignant lamento de hautbois monte de l’orchestre. Puis un duo sublime entre la soprano et la flûte, simplement accompagné par le continuo du violoncelle. Une simple voix et deux instruments sans orchestre pour tenir en respect le grand Auditorium Boulez ! Là, d’habitude, explosent les grands orchestres dans les passages monumentaux des Symphonies de Brahms ou de Mahler. On a ainsi la preuve qu’en musique – comme en toute chose d’ailleurs – la qualité ne doit pas être confondue avec la quantité !

Dirigé par Christophe Rousset, Les Talens lyriques ont tissé de la dentelle tout au long de la soirée. Les interventions de la violoniste et du violoncelle solistes firent notre régal. Les bois, rivalisant de délicatesse avec les cordes, faisaient de la broderie, tandis que, de leur côté, trois trompettes « naturelles » (sans pistons, comme à l’époque de Bach), apportaient l’éclat des dorures du baroque flamboyant.

Le quatuor vocal fut dominé par les deux femmes, la soprano russe Anna El-Kashem et la mezzo norvégienne Mari Askvik. Le ténor britannique Nick Pritchard, au beau timbre et au phrasé élégant, manquait cependant de graves, tandis que le baryton norvégien Halvor Festervoll Melien (pour Edwin Crossley-Mercer initialement annoncé), à la voix peu timbrée, assura néanmoins sa partie avec autorité. Enfin, malgré des attaques parfois dures, le Chœur de chambre de Namur a donné tout l’éclat voulu à ses interventions.

Tous ont fait triompher Bach à Pâques dans l’apogée de cette journée dont on se souviendra !…

 

 

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 21 avril 2025. BACH : Cantates et Oratorio de Pâques. Choeur de chambre de Namur, Les Talens lyriques, Christophe Rousset (direction). Crédit photographique © André Peyrègne

 

CRITIQUE, comédie musicale. PARIS, Philharmonie, le 18 avril 2025. STYNE : Gypsy. Gareth Valentine / Laurent Pelly

Après Funny girl en 2019 au Théâtre Marigny, la musique de Jule Styne (1905-1994) fait son retour à Nancy, puis Paris, pour la création française de l’une des plus grandes réussites du genre, Gypsy (1959). On ne peut une fois encore que regretter l’absence d’un lieu permanent dédié au répertoire de la comédie musicale dans la capitale, comme ce fut le cas dans les années 2000 au Théâtre du Châtelet, sous la direction de Jean-Luc Choplin. Ce dernier assure aujourd’hui la programmation du Lido2, où plusieurs spectacles sont montés avec succès depuis deux ans (voir notamment A Funny Thing Happened on the Way to the Forum de Stephen Sondheim, en 2023).

 

Il faut donc se tourner vers la Philharmonie de Paris, dont la vocation n’est pourtant pas de monter des spectacles avec mise en scène, pour découvrir l’un des chefs d’oeuvre de Styne, au style jazzy étourdissant d’énergie rythmique, faisant valoir un sens du swing aussi cuivré que festif. Pour autant, le chef britannique Gareth Valentine sait faire ressortir une myriade de nuances dans les parties apaisées, afin de donner ses lettres de noblesse au genre, bien aidé en cela par un Orchestre de chambre de Paris en grande forme. On n’imaginait pas une telle affinité de cette formation avec cette musique enjouée et virevoltante. L’intense ovation finale réservées aux instrumentistes, présents sur scène pendant toute la soirée aux côtés des chanteurs, ne trompe pas sur la qualité décisive de l’accompagnement, à même de magnifier les qualités d’écriture de l’ouvrage. On se réjouit également de retrouver les dialogues finement ciselés de Stephen Sondheim (alors en début de carrière, après la réussite de West Side Story, en 1957) et légèrement écourtés par Agathe Mélinand. On passe aisément des dialogues en français aux numéros musicaux conservés en langue originale, avec des comédiens chanteurs aguerris à cette double exigence.

Le livret écrit par Arthur Laurents surprend tout aussi positivement, en proposant un récit très actuel, qui raconte la quête éperdue d’une mère pour rencontrer le succès artistique par procuration : n’hésitant pas à faire travailler ses deux filles dès leur plus jeune âge, dont Louise (future Gypsy), cette mère tyrannique et hystérique fascine par son énergie jusqu’au-boutiste, faisant d’elle le rôle central de l’ouvrage. Bâti sur les mémoires de l’artiste burlesque Gypsy, connue aux Etats-Unis dans l’entre-deux-guerres pour ses talents de strip-teaseuse, cette comédie musicale constitue un biopic toujours passionnant à suivre dans ses moindres péripéties, des périodes initiales de galère aux scènes de cabaret savoureuses en deuxième partie, grâce à la musique délicieusement chaloupée de Styne.

Il fallait certainement une actrice hors norme pour endosser le rôle omniprésent de la mère abusive, ce que Natalie Dessay (Rose) relève haut la main : l’abattage scénique de la soprano reste un modèle du genre, qui compense quelques imperfections au niveau vocal, du fait d’une tessiture peu portée sur le grave. Les notes sont ainsi peu tenues, mais la Française assure l’essentiel, du fait de son formidable métier. On retrouve à ses côtés celle qui est également sa fille dans la vie, Neïma Naouri (Louise), qui fait valoir une jeunesse vocale rayonnante, aux phrasés admirables de raffinement. Medya Zana (June) n’est pas en reste dans la facilité et la souplesse des transitions, autour d’un joli brio scénique. On aime aussi le timbre profond de Daniel Njo Lobé (Herbie), même si l’interprétation est plus raide en comparaison. Rien de tel pour le superlatif trio des Hollywood Blonde, mené par une Barbara Peroneille, très en verve.

La mise en scène de Laurent Pelly, dont c’est là la première incursion dans la comédie musicale américaine, se joue des contraintes scéniques de la Philharmonie (pas de possibilité de décors) en mettant en avant les corps, des chorégraphies endiablées de Lionel Hoche aux éclairages baignés de pénombre de Marco Giusti. La carte de la finesse est toujours privilégiée, tout en donnant à l’alternance des saynètes une vitalité bienvenue, même si on aurait aimé une utilisation de la vidéo plus affirmée pour figurer les différents lieux. Quoi qu’il en soit, il faut aller voir ce spectacle merveilleux de bonne humeur, qui sera repris à Luxembourg, Caen ou Reims (dates non encore annoncées).

 

 

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CRITIQUE, comédie musicale. PARIS, Philharmonie, le 18 avril 2025. STYNE : Gypsy. Natalie Dessay (Rose), Neïma Naouri, (Louise), Medya Zana (June), Daniel Njo Lobé (Herbie), Antoine Le Provost (Tulsa), Barbara Peroneille (Mazeppa, Hollywood Blonde), Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, Orchestre de chambre de Paris, Gareth Valentine (direction musicale) / Laurent Pelly (mise en scène). A l’affiche de l’Opéra de Nancy les 1er et 2 février, de la Philharmonie de Paris du 16 au 19 avril 2025. Crédit photo © Jean-Louis Fernandez

 

ENTRETIEN avec Gérald LAÏK-LERDA, directeur artistique du Festival LA VAGUE CLASSIQUE 2025 (du 16 mai au 21 sept 2025)

Jeunesse, excellence, accessibilité… le Festival La Vague Classique 2025 reste fidèle à son ADN. Situé dans la commune de Six-Fours-les-Plages (VAR), le cycle s’inscrit aussi idéalement dans chaque lieu écrin où chaque offre musicale a désormais su se déployer : musique de chambre à la maison du cygne, baroque à la Collégiale Saint-Pierre, jazz à la Villa Simone… Les lieux y déterminent l’expérience artistique qui s’y déroule, et vice versa. Cette alchimie promet bien des délices à Six-Fours-les-Plages et les Six-fournais comme tous les visiteurs festivaliers présents localement de mai à septembre prochains, pourront (re)découvrir à petits prix ou gratuitement, les œuvres choisies pour l’édition 2025, avec comme axe central, la place dévolue à la magie du piano… soit cet été 8 grands récitals (incontournables) avec Hélène Grimaud, Adi Neuhaus, Benjamin Grosvenor, Lucas Debargue, Bertrand Chamayou, Yulianna Avdeeva, Ryan Wang, Karen Kuronuma… Singularité et particularités de La Vague Classique et présentation de l’édition 2025 par Gérald Laïk-Lerda
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CLASSIQUENEWS : A l’appui et dans le prolongement des éditions antérieures, qu’est-ce qui fait selon vous la singularité et la cohérence du Festival LA VAGUE CLASSIQUE ?

Gérald Laïk-Lerda : Cette année encore, la programmation de cette nouvelle édition de La Vague Classique s’inscrit pleinement dans la volonté de Jean-Sébastien Vialatte, le Maire de Six-Fours-les-Plages, de placer le festival sous le signe de l’excellence, de la jeunesse, de l’accessibilité, c’est notre ADN.Mais je crois que le Festival ne serait pas tout à fait le même, si nous n’avions pas la chance qu’il soit organisé dans des lieux magnifiques et emblématiques de la commune qui sont chacun au service d’une identité musicale ; à la Maison du Cygne la musique de chambre, à la Collégiale Saint-Pierre la musique baroque, à la Villa Simone le jazz ou encore les jeunes talents de demain, si je puis dire, à la Maison du Patrimoine. Chacun de ces sites est entouré d’un environnement remarquable, ce qui ajoute une magie supplémentaire aux concerts.

 

 

CLASSIQUENEWS : Selon quels critères choisissez-vous les artistes et les programmes ? 

Gérald Laïk-Lerda : C’est une question difficile ! Ce sont souvent des coups de cœur que l’on a envie de faire découvrir au public de La Vague Classique. Comme mes collègues organisateurs de festivals, je dois dire que nous sommes un peu « privilégiés » et grâce à notre métier, nous avons la chance de pouvoir aller, tout au long de l’année, à des concerts où nous entendons, découvrons parfois, des artistes exceptionnels ou des œuvres que nous voulons partager avec le public de La Vague Classique.
Au fil des éditions du Festival, des liens se sont aussi créés avec certains musiciens qui me conseillent des artistes que je vais ensuite découvrir moi-même lors de concerts en France ou en Europe.
Ainsi, petit à petit, la programmation s’écrit et nous échangeons beaucoup avec Jean-Sébastien Vialatte, lui-même grand mélomane, avant de la présenter aux Six-Fournaises et aux Six-Fournais.
Quant aux programmes eux-mêmes, si je suis sensible aux propositions d’œuvres du répertoire peu jouées, par exemple cette année, les quatuors avec piano et cordes de Mahler le 10 juin ou la sonate pour violon et piano de Marguerite Canal le 5 juin, je fais confiance aux artistes dès lors que leurs propositions s’inscrivent dans les différentes identités musicales des lieux que j’évoquais tout à l’heure. Sans oublier, bien sûr, les « maîtres incontournables » comme Beethoven, Brahms, Chopin, Rachmaninov, Ravel…

 

 

 

LIRE ici notre présentation du festival LA VAGUE CLASSIQUE 2025 à SIX-FOURS-LES-PLAGES : https://www.classiquenews.com/var-six-fours-la-plage-la-vague-classique-16-mai-21-septembre-2025-helene-grimaud-gautier-capucon-benjamin-grosvenor-lucas-debargue-david-fray-david-kadouch-zuzana-markova-matheus-bert/

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Une part belle est réservée au piano ; est-ce un volet important, récurrent du Festival ?

Gérald Laïk-Lerda : Plus qu’important, c’est la colonne vertébrale de La Vague Classique ! Du concert d’ouverture à la Maison du Cygne avec Hélène Grimaud à celui de clôture à la Maison du Patrimoine avec Adi Neuhaus, les récitals pour piano seuls ponctuent tout au long de la saison, Benjamin Grosvenor le 3 juin, Lucas Debargue le 8 , Bertrand Chamayou le 13, Yulianna Avdeeva le 20, Ryan Wang, le 6 septembre, Karen Kuronuma, le 13 septembre, … En tout ce sont pas moins de 8 grands moments pianistiques qui sont proposés.

 

CLASSIQUENEWS : Quelle expérience vit le festivalier pendant le Festival ? Que souhaitez-vous transmettre pendant son déroulement ?

Gérald Laïk-Lerda : Du bonheur ! En ces temps difficiles ou d’inquiétudes, Jean-Sébastien Vialatte l’a souvent dit « La Culture est un vecteur de rassemblement et de partage d’émotions », c’est exactement ce que nous créons à La Vague Classique grâce à l’écrin de la nature que j’évoquais tout à l’heure mais aussi grâce à la proximité du public avec les artistes.
Parfois, lorsque je vais assister à un concert loin d’ici, je rencontre des Six-Fournais qui me disent être venus y assister eux aussi parce qu’ils ont découvert l’artiste lors d’un précédent concert à La Vague Classique et qu’ils en ont gardé un merveilleux souvenir. C’est, je dois l’avouer, une petite fierté.
Rien ne remplacera jamais le spectacle vivant !
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un effort tout particulier est porté sur la politique tarifaire du Festival afin que le public soit le plus large possible.
Au-delà des 1 000 places entièrement gratuites, la plupart des concerts sont accessibles à seulement 10 €. C’est-à-dire que pour moins cher que le prix d’un paquet de cigarettes, vous pouvez assister aux concerts d’artistes parmi les meilleurs du monde !

 

CLASSIQUENEWS : Y-a-t-il des éléments nouveaux cette année, destinés à prendre de l’ampleur ?

Gérald Laïk-Lerda : Trois nouveautés cette année. D’abord, l’augmentation du nombre de concerts qui passent de 16 à 23, ce qui est le fruit de l’engagement du Maire de Six-Fours mais autre nouveauté, des formations de musique de chambre plus variées. Par exemple, c’est la première fois que nous entendrons de la clarinette…et quelle clarinette ! Pierre Génisson, le meilleur à Six-Fours !
Enfin, l’arrivée du lyrique en formation « intime », piano-voix avec David Kadouch et Sandrine Piau, le 30 mai, ou harpe-voix avec Xavier de Maistre et Rolando Villazon le 21 juin.

 

CLASSIQUENEWS : Allez vous instaurer des sortes de compagnonnages artistiques, ou des relatons régulières avec certains artistes, ou certains types de concerts ? Dans quels buts ?

Gérald Laïk-Lerda : C’est déjà le cas ! Je pense à Gautier Capuçon bien sûr, qui est le parrain de La Vague Classique. L’an dernier, Monsieur le Maire a signé une charte de partenariat avec sa fondation afin qu’à chaque édition du Festival, nous puissions ouvrir les scènes aux lauréats de la fondation et que nous soutenions ces jeunes artistes. Cette année, Kim Bernard, le premier lauréat de la fondation Gautier Capuçon, se produira une nouvelle fois à Six-Fours, le 5 juillet à la Villa Simone, dans un programme cette fois jazz, c’est dire l’étendue de sa palette artistique !
L’an prochain, nous poursuivrons ce compagnonnage artistique en nous engageant avec l’Académie Philippe Jaroussky. Soutenir la jeune scène est aussi une des missions de La Vague Classique.

 

Propos recueillis en avril 2025

 

 

 

LIRE aussi notre présentation du festival LA VAGUE CLASSIQUE 2025 : https://www.classiquenews.com/var-six-fours-la-plage-la-vague-classique-16-mai-21-septembre-2025-helene-grimaud-gautier-capucon-benjamin-grosvenor-lucas-debargue-david-fray-david-kadouch-zuzana-markova-matheus-bert/

 

 

(VAR) SIX FOURS LES PLAGES. LA VAGUE CLASSIQUE : 16 mai – 21 septembre 2025. Hélène Grimaud, Gautier Capuçon, Benjamin Grosvenor, Lucas Debargue, David Fray, David Kadouch, Zuzana Markova, Matheus, Bertrand Chamayou,

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 20 avril 2025. VERDI : Don Carlos. Charles Castronovo, Maria Rebeka, Christian Van Horn, Ekaterina Gubanova… Krzysztof Warlikowski / Simone Young

C’était en 2017. C ‘est à dire avant les années Covid. Autant parler d’une autre époque… Le monde ne savait pas ce qui l’attendait. L’Opéra Bastille avait programmé le Don Carlos assassin du metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski. Il fût hué. Huit ans plus tard, l’Opéra Bastille reprend ce spectacle. La mise en scène est toujours aussi énigmatique mais passe comme une lettre à la poste. On est finalement pris par la force du spectacle et, surtout, par la qualité de distribution vocale. Au bout du compte, ce Don Carlos est un succès.  

 

Énigmatique, en effet, la mise en scène. On n’est plus dans l’Espagne du XVème. siècle où le roi Philippe II et son fils Carlos se disputent l’amour d’Elisabeth de Valois, fille d’Henri II, mais dans un monde moderne. Les personnages n’ont aucun scrupule à garder leurs noms et leurs références historiques même s’ils vivent à notre époque. L’essentiel du décor est constitué d’un immense salon tapissé de boiseries. Au premier acte, ce salon est censé être… la forêt de Fontainebleau, au troisième acte le… jardin de la reine, au dernier acte le… monastère de Saint-Just. Pour qu’on comprenne où l’action se situe une inscription s’affiche sur un écran : « Jardin de la reine », « Monastère de Saint-Just », etc. Merci pour le renseignement ! On lit aussi « Chambre du roi » au-dessus d’une… salle de cinéma. Il faut suivre ! A l’acte 2, le jardin du monastère se transforme… en salle de gym. Des escrimeuses s’escriment tandis que le chœur chante « ces bois au feuillage immense ». Allez comprendre !…

Mais, nous l’avons dit, le spectacle a une force propre qui culmine dans la scène du couronnement. Alors, on se laisse aller dans ce monde étrange et austère où se trament des amours et des trahisons. Nous l’avons dit aussi, ce spectacle vaut par la qualité de sa distribution vocale. Les deux meilleurs se trouvent au sommet de la hiérarchie des personnages : la reine et le roi. La reine est Marina Rebeka. Timbre magnifique, totale maîtrise vocale, belle aisance scénique. Il faut l’entendre non seulement dans l’éclat de ses solos ou duos d’amour mais aussi dans l’intensité émotionnelle d’un air comme « O ma chère compagne » quand le roi répudie sa suivante qui n’a pas su la surveiller. Le Philippe II de Christian Van Horn est impressionnant. Avec sa voix et son timbre de bronze et sa puissance expressive, il incarne à la fois l’autorité et la fragilité de son personnage. « Elle ne m’aime pas » chante-t-il – et toute la salle frémit. On a connu meilleurs Carlos que Charles Castronovo. Mais celui-ci nous touche quand même par son engagement et la qualité de son timbre. Il est curieusement meilleur dans les duos que dans les solos dans lesquels il a tendance à chanter en force. Magnifique duo final avec Elisabeth ! 

Ekaterina Gubanova, voix chaude et puissante, assume avec panache son rôle d’Eboli. Elle est attendue au tournant dans son air « Oh don fatal ». Là, on aurait aimé plus d’éclat. En revanche son duo avec Elisabeth restera dans nos souvenirs. Et voici le Rodrigue d’Andrzej Filończyk. Il emporte tout sur son passage ! Séduisant, ardent, il fait sonner ses aigus brillants, sait rajouter les sanglots qu’il faut et vous remue en chantant « Ah je meurs l’âme joyeuse… ». La basse russe Alexander Tsymbalyuk vous fait trembler dans son rôle de Grand Inquisiteur avec ses graves profonds et son autorité d’airain. On aime aussi les accents graves du Moine de Sava Semic. Très bons seconds rôles avec, notamment le Thibault de Marine Chagnon. Les Chœurs de l’Opéra national de Paris, comme toujours, sont excellents.

Quant à la cheffe autralienne Simone Young, elle fait resplendir l’orchestre, lui donnant de la souplesse, du corps, de l’éclat, de la grandeur. Elle se donne à Carlos. Elle est, avec Elisabeth, l’une des deux reines de la soirée. 

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille. 20 avril  2025. VERDI : Don Carlos. Charles Castronovo, Maria Rebeka, Christian Van Horn, Ekaterina Gubanova, Andrzej Filończyk… Krzysztof Warlikowski / Simone Young. Crédit photographique © Franck Ferville / Opéra de Paris

 

CRITIQUE, concert. 3ème Festival de Pâques de PERALADA, Iglesia del Carme, le 19 avril 2025. BUXTEHUDE : Membra Jesu Nostri. Ensemble Cantoria, Jorge Losana (direction)

Le troisième Festival de Pâques de Peralada a connu un moment de grâce absolue ce samedi 19 avril avec l’interprétation de Membra Jesu Nostri, oratorio sacré de Dietrich Buxtehude, par l’ensemble baroque catalan Cantoría, sous la direction inspirée de Jorge Losana. Dans l’écrin intimiste de l’Église del Carme de Peralada, ce chef-d’œuvre de dévotion méditative a été restitué avec une ferveur et une maîtrise musicale qui ont transporté l’auditoire bien au-delà d’un simple concert – vers une expérience spirituelle et sensorielle d’une rare intensité.

 

Composé en 1680, Membra Jesu Nostri (« Les membres de notre Jésus ») est l’une des pierres angulaires de la musique sacrée du XVIIe siècle. Structuré en sept cantates, chacune dédiée à une partie du corps du Christ en croix (des pieds au visage), l’ouvrage mêle textes bibliques et poésie mystique dans une progression à la fois narrative et contemplative. Cantoría en a révélé toute la profondeur, alternant passages introspectifs et éclats dramatiques avec une justesse de ton remarquable.

La mise en espace, sobre mais évocatrice, a servi l’œuvre sans la parasiter : les dix chanteurs, disposés avec une géométrie liturgique, dialoguaient avec un continuo baroque d’une grande finesse (violons, viole de gambe, théorbe, orgue), créant un équilibre parfait entre voix et instruments – tout en entourant un Christ en croix d’abord recouvert d’un voile blanc, puis découvert au début du concert. Au fur et à mesure de la soirée, 7 grands cierges seront emmenés par les solistes tout autour de lui, tandis que chaque série des 7 cantates est magnifiée/dramatisée par des éclairages tour à tour rougeâtres ou bleutées, illuminant le choeur de l’église.

Sous la baguette précise et sensible de Jorge Losana, l’ensemble a fait montre d’une cohésion et d’une expressivité rares. Les solistes, tous d’une homogénéité vocale exemplaire, ont incarné chaque cantate avec une palette émotionnelle variée : “Ad pedes” (« Aux pieds ») a ouvert le cycle dans une atmosphère recueillie, les basses apportant une gravité saisissante. “Ad cor” (« Au cœur »), sommet émotionnel, a été porté par des sopranos d’une pureté presque surnaturelle, tandis que les interventions de l’alto et de la viole de gambe soulignaient la douleur et la tendresse du texte. “Ad faciem” (« Au visage »), conclusion lumineuse, a éclaté dans un contrepoint jubilatoire, où la fugue finale a été menée avec une énergie maîtrisée, couronnant l’ensemble d’une aura transcendante. L’insertion des textes évangéliques en catalan, chantés en grégorien, a ajouté une touche locale poignante, renforçant le lien entre musique ancienne et tradition vivante. L’acoustique de l’Église del Carme, chaleureuse mais précise, a magnifié les résonances de l’orgue et des cordes pincées de la théorbe, tandis que les voix semblaient flotter sous les voûtes, créant un effet immersif. La direction de Losana, à la fois rigoureuse et intuitive, a permis à chaque nuance – des pianissimi les plus ténus aux éclats passionnés – de servir le texte et sa dimension sacrée.

Buxtehude, souvent éclipsé par ses successeurs (comme Bach, qui admirait pourtant son œuvre), retrouve ici sa place de génie visionnaire – et Cantoría s’impose plus que jamais comme l’un des ensembles baroques les plus inspirés d’Espagne, aux côtés des Vespres d’Anardi entendus la veille dans ces mêmes lieux !

 

 

 

 

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CRITIQUE, concert. 3ème Festival de Pâques de Peralada. PERALADA, Iglesia del Carme, le 19 avril 2025. BUXTEHUDE : Membra Jesu Nostri. Ensemble Cantoria, Jorge Losana (direction). Crédit photographique © Tito Ferrer

 

 

CRITIQUE, oratorio. Festival de Pâques de SALZBOURG, Großes Festspielhaus, le 18 avril 2025. MENDELSSOHN : Elias. Michael Nagy, Emily Pogorelc, Wiebke Lehmkuhl, Pene Pati, Felix Hofbauer. Chor des Bayerischen Rundfunks, Mahler Chamber Orchestra, Maxim Emelyanychev (direction)

Pour le rôle-titre d’Elias, de Felix Mendelssohn, le Festival de Pâques de Salzbourg a dû faire face à des remplacements en cascade. Annoncé initialement (ainsi que dans la Khovanchtchina de Moussorgski, donnée parallèlement), Andrè Schuen a dû renoncer dès le mois de janvier à toutes ses apparitions à Salzbourg. Pour le prophète biblique, le festival a alors trouvé un substitut de luxe en la personne de Christian Gerhaher, un habitué du rôle, qui l’a enregistré il y a plus de vingt ans avec Herbert Blomstedt et l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig (Sony). Las, le jour-même du concert, Christian Gerhaher, annoncé souffrant, est remplacé in extremis par Michael Nagy, très bon connaisseur du rôle lui aussi, l’ayant gravé en 2016 sous la direction de Thomas Hengelbrock avec le Balthasar-Neumann-Ensemble (DHM).

 

L’enjeu de ces remplacements en série était de taille, tant pèse lourd le rôle du prophète dans l’oratorio de Mendelssohn. Les premières mesures de l’œuvre ont dissipé toute inquiétude : pendant que les cuivres et les bois menaçaient, dans une tension harmonique oppressante, Michael Nagy lançait ses imprécations d’une voix de bronze, déjà chauffée à blanc, campant fermement d’emblée l’opposition dramatique du prophète et du peuple d’Israël. Ce récitatif accompagné initial, dont l’effet impressionne toujours, donnait le ton pour le reste du concert : Michael Nagy est un Élie habité, d’une voix proprement oraculaire. Tournant rageusement les pages d’une partition qu’il consulte à peine, le baryton a pleinement réussi à rendre l’exaltation fervente du prophète et son éloquence sauvage, d’une manière peut-être encore plus aboutie que dans son enregistrement de studio. Seule légère ombre au tableau, la véhémence de l’interprétation fragilisait en de rares moments l’intonation, dessinant un peu moins nettement la sublime ligne élégiaque des prières des deux parties (« Herr Gott Abrahams » et « Es ist genug »). Mais pour le reste, il était difficile de trouver un Elias plus convaincant.

Celui-ci était par ailleurs excellemment entouré. Dans les rôles de soprano, Emily Pogorelc joue elle aussi la carte de l’engagement. Soprano de chair, pleinement incarnée, la voix n’a rien d’une voix d’église et fait vibrer les plaintes de la Veuve, autant qu’elle étreint l’assemblée dans son appel désespéré de la deuxième partie (« Höre, Israël »). De son côté, Wiebke Lehmkuhl teint de son mezzo chaleureux l’arioso « Weh ihnen, dass sie von mir weichen », dont la reprise sur le fil était superbe, quoiqu’elle ait presque fait oublier la menace que contiennent les paroles. Voix de miel, mais peut-être moins à l’aise avec le texte que ses confrères, Pene Pati a tenté un chant à fleur d’émotion, parfois plus fragile qu’attendu ; il révèle néanmoins toute la mesure de son talent lorsqu’après les dernières notes d’« Es ist genug », il lance un inoubliable « Siehe, er schläft unter dem Wacholder », d’une voix céleste : du grand art !

Aux quatre solistes s’ajoutait le très jeune Felix Hofbauer, phénoménal chanteur issu du Tölzer Knabenchor, incarnant l’enfant dépêché par Élie pour révéler le miracle de la pluie. La sidérante assurance du jeune chantre, d’une voix dardée comme une flèche de l’au-delà, a magnifié le dialogue avec le prophète qui termine la première partie, juste avant le chœur d’actions de grâce. Mais aucun Elias ne tient sans un chœur d’exception : celui de la Radio bavaroise, qui avait fait le bref voyage depuis Munich, a tenu toutes les promesses par sa renversante virtuosité, capable de toutes les nuances tout en faisant entendre chaque mot. On ne sait qu’admirer entre les lamentations initiales (« Hilf, Herr ! »), les cris adressés à l’idole impuissante (« Gib uns Antwort ! »), les saisissantes scènes narratives (« Der Herr ging vorüber ») ou la ferveur hymnique (« Dank sei dir, Gott »). Si Elias est bien souvent le pain quotidien des chorales germaniques, le Chœur de la Radio bavaroise, d’une mobilité saisissante, maîtrise l’œuvre dans ses moindres inflexions.

La réussite est aussi redevable à la direction enthousiaste de Maxim Emelyanychev, qui dirige le chœur et l’orchestre comme le prophète commande aux éléments. Le Mahler Chamber Orchestra fait montre de sa virtuosité habituelle et d’une réactivité remarquable. Toujours avide d’expérimentations, le chef semble avoir amené une partie des musiciens à jouer sur des instruments d’époque : si les cuivres y gagnaient en rondeur, l’équilibre sonore se faisait au détriment des bois, qui avaient tendance à disparaître dans le vaste vaisseau du Festspielhaus. L’orchestre n’en a pas moins démontré des qualités singulières, sans doute stimulées par l’imagination du chef : cordes infiniment liquides dans « Wohl dem, der den Herrn fürchtet » ou accablées dans l’introduction déchirante d’« Es ist genug », dramatisme ardent dans l’ouverture comme dans un « Der Herr ging vorüber » qui faisait penser à un violent clair-obscur à la Rembrandt… À l’issue du concert, sous les applaudissements nourris de la salle, Maxim Emelyanychev s’est vu remettre le prix Herbert-von-Karajan, juste récompense pour une interprétation vibrante, qui rejaillit sur l’ensemble des musiciens unis dans cet Elias d’anthologie.

 

 

 

 

 

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CRITIQUE, oratorio. SALZBOURG, Großes Festspielhaus, le 18 avril 2025. MENDELSSOHN : Elias. Michael Nagy, Emily Pogorelc, Wiebke Lehmkuhl, Pene Pati, Felix Hofbauer. Chor des Bayerischen Rundfunks, Mahler Chamber Orchestra, Maxim Emelyanychev. Crédit photographique © Erika Mayer.

 

 

CRITIQUE, concert. 3ème Festival de Pâques de PERALADA, Iglesia del Carme, le 18 avril 2025. Benjamin APPL (baryton), Ensemble Vespres d’Anardi, Dani Espasa (direction)

Le baryton allemand Benjamin Appl, l’une des voix les plus raffinées et polyvalentes de la scène lyrique actuelle, a fait des débuts éblouissants au 3ème Festival de Pâques de Peralada, accompagné par l’ensemble baroque catalan Vespres d’Arnadí sous la superbe direction de Dani Espasa. Ce concert, un voyage intime et profond à travers la musique sacrée et baroque, fut une rencontre entre l’émotion dévotionnelle et la perfection technique, laissant le public émerveillé devant la fusion de la voix et des instruments d’époque.

 

Benjamin Appl, formé à l’ombre du légendaire Dietrich Fischer-Dieskau, a démontré pourquoi la critique le qualifie d’« héritier des grands interprètes du Lied allemand ». Sa voix, au timbre velouté et d’une expressivité bouleversante, s’est adaptée avec naturel au répertoire baroque, passant de l’intimité douloureuse de Bach à l’intensité dramatique de Zelenka. L’accompagnement des Vespres d’Arnadí, placés sous la direction de leur chef Dani Espasa, jouant avec des instruments d’époque et une sonorité vibrante et transparente, a créé un équilibre parfait, mettant en valeur chaque nuance du texte et de la musique.

Le concert s’ouvre avec la symphonie introductive de la cantate “Nach Dir, Herr, Verlanget mich” de Johann Sebastian Bach où les cordes et le continuo des Vespres d’Arnadí tissent une atmosphère contemplative, préparant le terrain pour le voyage spirituel à venir. Dans l’aria “Dulde dich” de Philipp Heinrich Erlebach, une pièce méconnue mais d’une beauté austère, Appl démontre son contrôle absolu du phrasé, avec des suspensions qui semblaient suspendre le temps. L’un des moments les plus marquants de la soirée restera le “Incipit Lamentatio” de Jan Dismas Zelenka : la voix sombre et empreinte d’angoisse d’Appl, combinée aux accords dissonants et au dramatisme presque opératique de Zelenka, transforme cette lamentation en une expérience viscérale. Les violons et la viole de gambe de l’ensemble ajoutèrent une texture ombrageuse, évoquant la douleur du prophète Jérémie. Dans la cantate “Es ist vollbracht » de Bach, le baryton allemand capture toute la solennité et la résignation de cet air, avec un pianissimo qui fait taire la salle. Le solo de hautbois en dialogue avec la voix est tout simplement sublime. L’orchestre brille ensuite dans la  Symphonie de “Ich hatte viel Bekümmernis” (Bach), passage instrumental qui offre un contrepoint impeccable et un dynamisme qui annonçait la lumière après les ténèbres.

L’aria de “Die stille Nacht” de Georg Philipp Telemann s’avère ensuite une sélection inattendue, mais délicieuse, où Appl explore le côté le plus lyrique et pastoral du baroque allemand, avec un ton tendre et une fluidité mélodique. Retour au Kantor de Leipzig, avec l’air “Gebt mir meinen Jesum wieder” extrait de sa Passion selon Saint Matthieu, dans lequel le chanteur déploie toute sa capacité dramatique, transformant l’aria en une supplique désespérée. Les violons et la basse continue répondent avec une intensité croissante, créant un climax électrisant. Mais le point culminant du concert est aussi l’air de clôture du récital, le magnifique et bouleversant “Ich habe genug” de Bach, qu’Appl interprète avec une profondeur presque mystique, de la sérénité de l’aria initiale à l’extase de « Schlummert ein ». Le solo de hautbois s’entrelace avec la voix dans un dialogue céleste, tandis que le public retient son souffle.

Le public de l’Iglesia del Carmen à Peralada, complètement captivé, accorde une ovation prolongée, rappelant les artistes sur scène à plusieurs reprises. Appl, humble et ému, dédie les applaudissements aux musiciens et aux spectateurs, avant d’offrir, en guise de bis, un air extrait de “Samson” de Georg Friedrich Haendel, clôturant une soirée qui restera gravée dans la mémoire du Festival de Pâques de Peralada !

 

 

 

 

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CRITIQUE, 3ème Festival de Pâques de Peralada. PERALADA, Iglesia del Carmen, le 18 avril 2025. Benjamin APPL (baryton), Ensemble Vespres d’Anardi, Dani Espasa (direction). Crédit photographique © Miquel Gonzalez

 

 

CRITIQUE, concert. PERPIGNAN, Eglise des Dominicains, le 17 avril 2025. Festival de Musique sacrée (concert de clôture). Tallis, Byrd, Allegri, McMillan…Tenebrae Choir, Nigel Short.

Pour sa dernière journée, le Festival de musique sacrée de Perpignan propose une soirée réjouissante dont le déroulement dans l’ample vaisseau des Dominicains, entre parfaitement dans son thème : vertiges et séductions choraux s’invitent dans un rituel émaillé de textes sur le thème du Miserere ; le programme dense et progressif, associant divers compositeurs anglais, de la Renaissance à nos jours, tisse un superbe cheminement introspectif.

 

 

De quoi prolonger la haute tenue du programme Telemann, Graupner, Bach par Les Arts Florissants réalisé 2 jours auparavant au Théâtre l’Archipel (LIRE ici notre critique du programme JS BACH / La grande audition de Leipzig, le 15 avril 2025: https://www.classiquenews.com/critique-concert-perpignan-larchipel-le-15-avril-2025-la-grande-audition-de-leipzig-les-arts-florissants-paul-agnew-direction/ )

La ligne et la tenue artistique des 14 solistes composant le Tenebrae Choir est claire, sans faille, du début à la fin : précision et clarté, intensité et profondeur. L’intonation est juste et immédiate ; la cohésion du son magistrale, permettant une palette de nuances et de dynamiques, souvent saisissante. Le chef Nigel Short prolonge ainsi les qualités des King’s Singers dont il fut membre jusqu’à la fondation en 2001 de son propre ensemble : Tenebrae.

Contrairement à son titre, le collectif cultive essentiellement la transparence d’un son pur, dépouillé, lumineux, pilier et matière d’une architecture chorale où la fusion sonore des voix permet cependant la perception des individualités à l’œuvre. Il en découle une passionnante cathédrale sonore qui déploie en cours de soirée, ses volumes et ses formes de plus en plus suspendues.
Le geste est d’autant plus sûr et maîtrisé dans sa propre recherche sonore que la main ultime qui accompagne chaque accord final, reste suspendue plusieurs secondes, creusant d’autant la résonance dernière…. dans un silence riche et actif, bientôt rompu lui aussi par les applaudissements nourris d’un public venu nombreux et immédiatement convaincu par la concentration collective du fabuleux chœur.

 

 

 

Concert de clôture du 39è Festival de Musique Sacrée de Perpignan

vertiges choraux
aux Dominicains de Perpignan

 

 

Le parcours choral relève de la très haute voltige ; il est d’autant plus passionnant à suivre qu’aux déjà écoutés et bien connus Philippe de Rore, surtout Thomas Tallis et William Byrd, les chanteurs ajoutent deux pièces contemporaines de James Mc Millan, compositeur né en 1959 dont le jeu très habile citant les anciens, s’autorise une diversité de séquences superbement caractérisées et expressives, aux contrastes harmoniques alternés, jusqu’à une conclusion lumineuse, en particulier dans la seconde et dernière pièce Miserere (créé au Flanders Festival 2009). Elle s’inscrit avec d’autant plus d’intensité qu’elle forme comme un écho au Miserere d’Allegri, réalisé en fin de première partie. Réservée aux seuls auditeurs de la Chapelle Sixtine au Vatican, [jusqu’à ce que Mozart ne la retranscrive de mémoire], la partition du Miserere d’Allegri, véritable mythe musical et Everest choral en particulier pour les plus grandes chorales anglaises, envoûte ce soir et transporte avec d’autant plus de conviction que NIGEL SHORT en orfèvre des effets sonores, ose une mise en scène spatialisée, avec un 2e chœur au fond de l’église qui exploite à son maximum et de façon idéale, la réverbération permise par l’architecture et le volume des Dominicains. Magistrale proposition, idéalement adaptée à l’écrin des Dominicains. Rendez-vous est pris pour l’édition 2026, d’autant plus attendue que le Festival Perpignanais, qui fait l’honneur de la capitale catalane, fêtera ses 40 ans.

 

 

 

VIDÉO
Miserere de James McMillan par le Tenebrae Choir
(Londres, concert at St John’s Smith Square, avril 2023)

 

 

 

 

CRITIQUE, concert. PERPIGNAN, le 17 avril 2025, Festival de Musique sacrée, concert de clôture. Tallis, Byrd, Allegri, McMillan…Tenebrae Choir, Nigel Short. Photo : © classiquenews

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AUPARAVANT, à 18h30, sur la même scène, le festival accueillait un concert de musique de chambre, intitulé « Incandescence », volet de son partenariat avec le Festival de Prades. Les 4 instrumentistes du Quatuor Vivancos, proposé ainsi par Pierre Bleuse, directeur du Festival de Prades, ont réalisé non sans brio et intériorité, un beau programme Beethoven puis Debussy. Le 11è Quatuor de Ludwig est l’un de ses plus courts, d’un déroulement concis et contrasté ; dans son premier Allegro (con brio), le son très fin du violon I met l’accent sur l’identité double de la séquence : le caractère du rêve contrarié par une réalité abrupte; un miroir des amours contrariés qui plongent le compositeur dans les affres de la passion éprouvante entre désillusion et ardente aspiration ; c’est le temps de la séparation obligée d’avec Thérèse Malfatti … mais aussi la rencontre avec la belle Bettina Brentano, nouvelle adorée. Les quatre musiciens expriment le bouillonnement contrarié et antagoniste des sentiments mêlés, en particulier dans le mouvement lent (« Allegretto ma non troppo », à la fois lunaire, et halluciné) ; puis dans cette forge finale, amère et passionnelle du Finale (« Larghetto expressivo ») où Beethoven, grave et sombre, se dévoile sans filtre.
Même fusion des timbres et intensité sonore dans les audaces harmoniques étonnantes du (seul) Quatuor de Debussy (1893) : les instrumentistes s’ingénient avec autorité à exprimer toutes les nuances expressives et intimes d’une partition qui saisit par sa langueur mystérieuse, ses accents d’une ivresse comme envoûtée. Après les effets de guitare du 2è mouvement (et ses pizz géniaux), les musiciens réussissent tout autant le climat suspendu du 3è (« andantino doucement expressif »), à la fois franckiste et même ravélien dans ses profondeurs allusives ; enfin, la liberté du « Très modéré » final, affirme la justesse de l’approche, la séduction d’une activité incessante dans un cadre idéalement construit qui de façon cyclique, ré expose le thème du premier mouvement…
Enfin, expression de leur maîtrise dans l’audace la plus radicale, les 4 musiciens jouent une pièce extrêmiste et facétieuse signée du compositeur dont il porte le nom (et qui fut leur professeur au Conservatoire de Barcelone) : Bernat Vivancos (né en1973) lequel est présent dans l’auditoire : « Sacrilège » est une pièce aussi courte que provocatrice réalisant dans une sorte de bruitage sonore décuplé, éruptif, frottements, râclements, hurlements râpeux en éprouvant archets et instruments à la limite de l’audible et du fortissimo, en tapant aussi au sol pour surprendre encore l’auditeur. Du point de vue d’un acte musical « sacrilège » (et des plus sonores), le but recherché est indiscutablement atteint.

 

 

 

CRITIQUE, opéra (pour enfants). GENÈVE, Grand-Théâtre, le 15 avril 2025. Gerald BARRY : Les Aventures d’Alice sous terre. Julien Chavaz / Holly Hyun Choe

Lors de sa création européenne au Barbican Center de Londres, en 2017, Les Aventures d’Alice sous terre (Alice’s Adventures Under Ground) semblait davantage destinée à la salle de concert qu’à l’opéra. L’adaptation picaresque et jubilatoire des deux Alice de Lewis Caroll par Gerald Barry donnait alors l’impression d’une cantate échevelée plutôt que d’un opéra véritablement scénique : une succession de scènes et de personnages arrachés aux livres sans véritable fil narratif, le tout condensé en une partition haletante d’une heure. Comment une mise en scène pourrait-elle suivre un récit aussi frénétique, bondissant d’un épisode à l’autre à une vitesse étourdissante ?

 

Pourtant, le jeune metteur en scène suisse Julien Chavaz y est parvenu avec un éclatant succès au Grand-Théâtre de Genève ! Ses décors ingénieux et sa mise en scène millimétrée épousent parfaitement l’œuvre, sans jamais faillir. La vitesse vertigineuse du récit ne le déconcerte pas : dès les premières secondes, sous l’invitation étrange d’un lapin blanc, Alice, interprétée avec brio par la soprano américaine Alison Scherzer, plonge dans l’univers déroutant du « Pays des merveilles ». Vêtue de rouge, elle se retrouve aussitôt confrontée à l’absurde cher à Lewis Carroll. Des personnages excentriques tentent de la faire boire et manger dans un joyeux désordre, tandis que les langues se mêlent – français, anglais, italien, russe et même latin résonnent en une cacophonie délibérée. Les décors modernes et éclatants contrastent avec les costumes élégants et surannés de la Reine blanche, de la Reine de cœur et du Roi blanc, dont les visages pâles évoquent l’esthétique gothique de Tim Burton. D’ailleurs, cet opéra semble baigner dans une atmosphère burtonienne, oscillant entre féerie et étrangeté. 

La musique de Barry ajoute une couche de surréalisme : textes débités en rafales, tessitures suraiguës imposées à Alice, ou encore références musicales savamment dissimulées — Jabberwocky chanté sur l’air de It’s a Long Way to Tipperary, L’Hymne à la Joie de Beethoven détourné en complainte par Humpty Dumpty, ou le choral bouleversant du Lapin Blanc en conclusion. Une grande partie du chant est très exigeante et la distribution réunie à Genève s’en sort extrêmement bien, à commencer par Alison Scherzer dans le rôle-titre, donc, mais également Emilie Renard (La Reine rouge), Sarah Alexandra Hudarew (La Reine blanche), Adam Temple-Smith (Le Roi blanc), Adrian Dwyer (Le lièvre de mars), Doğukan Kuran (Le Chevalier blanc) et Stefan Sevenich (Humpty Dumpty). 

Sous la direction énergique de Holly Hyun Choe, l’Orchestre de chambre de Genève (étoffé par des instrumentistes de de l’Ensemble contrechamps) déploie une intensité folle : cuivres acérés, bois ivres et espiègles, jusqu’aux machines à vent déchaînées dans les derniers instants. A la fin, c’est le délire dans la salle – généré par une ribambelle d’enfants enthousiastes !

 

 

VIDEO : Trailer du spectacle

 

 

 

 

CRITIQUE, opéra (pour enfants). GENÈVE, Grand-Théâtre, le 15 avril 2025. Gerald BARRY : Les Aventures d’Alice sous terre. Julien Chavaz / Holly Hyun Choe. Crédit photographique © Carole Parodi
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CRITIQUE, concert. PERPIGNAN, l’Archipel, le 15 avril 2025. La grande audition de Leipzig, Les Arts Florissants, Paul Agnew [direction]

Après entre autres beaux accomplissements lors de cette édition 2025, tel le Requiem de Fauré dans une version rare et d’autant plus impressionnante sous la voûte des Dominicains, par le Quatuor Girard et l’ensemble récemment constitué Ô [créé, dirigé par Laetitia Corcelle / le 12 avril], le Festival de musique sacré de Perpignan retrouve ce soir un chef familier et son ensemble renommé, Paul Agnew et Les Arts Florissants.

Pas de musique française mais l’évocation très bien ficelée d’un événement qui dans le parcours de Jean Sébastien Bach s’avèra aussi imprévisible que décisif : les conditions de sa nomination comme Director Musices de Leipzig en 1723.

 

 

 

BATTLE BAROQUE À L’ARCHIPEL
En lice : 3 compositeurs et 1 génie…


Photo © Michel Aguilar

 

En choisissant de jouer Kuhnau, Telemann puis Graupner, Paul Agnew et son équipe savent très habilement éclairer le génie de BACH l’inclassable ; à l’occasion des événements de 1723, quand Jean-Sebastian auditionne pour le poste de directeur musical de Leipzig [soit pour fournir la musique liturgique des églises de la ville, particulièrement de Saint-Thomas et de Saint-Nicolas… entre autres obligations contractuelles], Les Arts Florissants renseignent le contexte musical au moment où Bach finira par être nommé. En réalité il doit de l’emporter non par son talent musical mais à la faveur d’une série de circonstances où ses  » rivaux », mieux reconnus, mieux estimés : Telemann et Graupner, se désistent finalement en préférant rejoindre une autre ville : le premier ira à Hambourg et le second à Darmstadt… Ne restait plus que BACH, dernier choix mais seul en lice, donc choisi (!).

En effectif resserré mais expressif et contrasté, les Arts Flo relèvent le défi de ce programme historique et circonstanciel, en révélant la particularité de chaque écriture. Distribué en deux chœurs de 4 solistes chacun, voix aigus à jardin, voix graves à cour, les chanteurs expriment ce dramatisme sensible de TELEMANN, puis la piété pastorale de JOHANN KUHNAU qui fut donc directeur musical jusqu’à sa mort en 1722. C’est bien son successeur que le jury mandaté par la Ville doit désigner…
En jouant la première cantate de BACH pour cette audition [Du wahrer Gott Und Davids Sohn], le sens architectural et cette couleur de la gravité qui sait néanmoins déployer une langueur inédite, surclassent immédiatement BACH de ses confrères. Le sentiment de compassion pour Jésus y rayonne dès le duetto soprano / alto [« Toi vrai Dieu, fils de David »]: alto somptueux autant que d’une expressivité ciselée, Paul-Antoine Benos-Djian s’y distingue nettement : timbre melliflu, éloquence habitée, d’une rare onctuosité tragique. Et le choral final enchaîné au coro insuffle à l’écriture musicale un élan spirituel gorgé d’espérance qui emporte l’auditeur par sa hauteur de vue.

Quel contraste avec CHRISTOPH GRAUPNER abordé au début de la 2ème partie : l’art musical y est divers et raffiné, virtuose même, empruntant des effets et une volubilité vocale… à l’opéra.  » Aus der tiefen rufen wir » enchaîne les recitatifs accompagnés pour ténor, soprano, basse… véritable conversation aussi aimable qu’enjouée, comme un final d’opéra.
Enfin la consécration sonore se réalise pleinement dans la 2ème cantate que Bach écrit pour cette audition :  » Jesus nahm au sich die Zwolfe und sprach » / Jesus prit avec lui les Douze, et leur dit… Musicalement, Jean-Sébastien exprime dans une fugue hallucinante la surprise panique des Apôtres après que Jésus leur ai dit sa mort puis sa résurrection après 3 jours… Les 8 chanteurs, tous solistes inspirés, donnent alors le meilleur d’eux mêmes dans une séquence qui saisit immédiatement par sa franchise poétique, sa fulgurance expressive. Paul-Antoine Benos-Djian chante ensuite l’air de déploration et là encore de compassion pour Jésus, avec une intensité remarquable, aussi sobre que juste [ » Mein Jesu, ziehe mich nach die / Mon Jesus appelle-moi à Toi… »]

En peu d’effets et beaucoup d’art, BACH réalise une prouesse indiscutable par l’éloquence syllabique de ses recitatifs, par l’ampleur poétique qui illumine le texte, par sa carrure rythmique, la couleur aussi du hautbois qui associé aux autres instruments du continuo, produit un tapis flexible et allant, particulièrement fervent.

En maître de cérémonie jouant avec les mots comme il le fait des musiciens sous sa coupe, Paul Agnew excelle dans une présentation des œuvres et de leur contexte. Le chef [et ancien ténor] suggère, explicite sans emphase érudite, l’enjeu de cette joute de 1723. Pour nous, Bach supplante ses rivaux, mais l’art du maestro ce soir, nous révèle qu’il n’en était rien alors. Le seul rappel de ces événements souligne combien une carrière est fragile, et sa considération immédiate, subjective. Mais le génie musical du plus grand parmi les Baroques s’est bien révélé avec le temps, dans toute la puissance et la sensibilité de sa vérité. Le dernier choral « Ertot uns Dutch dein Gute », joué puis repris à un tempo des plus vifs, rayonne d’une joie collective irrépressible, tout à fait opportune à quelques jours du Lundi de Pâques, sa jubilation finale, salvatrice, lumineuse.

 

 

Photo © Michel Aguilar

 

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CRITIQUE, concert. PERPIGNAN, l’Archipel, le 15 avril 2025. La grande audition de Leipzig, Miriam Allan, Paul-Antoine Benos-Djian, Cyril Auvity, Benoît Descamps,… Les Arts Florissants, Paul Agnew [direction]

 

 

 

 

 

CD événement, annonce. RICHARD STRAUSS : Elektra. Barbara Krieger… Experience, Julien Salemkour [2 cd Solo musica]

L’enregistrement propose d’abord une fidélité sans compromis à la partition originelle, conçue par Richard Strauss… Soit une lecture historiquement informée qui permet de vivre le drame de l’intérieur, dans la psyché éruptive, brûlante des protagonistes.

 

 

Tous les passages qui sont habituellement retirés, pourtant essentiels pour comprendre l’œuvre et sa puissance, ont été retablis. Richard Strauss lui-même a souligné dans ses mémoires combien les paroles et le chant étaient importants pour lui à l’opéra. Il a rapporté que le chef d’orchestre Ernst von Schuch avait tellement déchaîné l’orchestre à la répétition générale qu’il dut canaliser sa direction et le chant des instruments afin de maintenir un équilibre avec les voix.

Cette mise en garde autographe a inspiré le chef Julien Salemkour et la soprano Barbara Krieger ; en découle cet enregistrement singulier, entre autres réalisé pendant la période covid, laquelle a imposé une approche inhabituelle. L’orchestre a enregistré en premier, et les solistes ont chanté leurs parties plus tard sur l’enregistrement orchestral préexistant – chacun dans son lieu de résidence habituel [et de confinement].

Déjà saluée pour ses incarnations de Léonore [Fidelio] et d’Isolde, Barbara Krieger endosse ainsi le fulgurant rôle-titre ; figurent à ses côtés, Astrid Weber, Sanja Anastasia et Jochen Kupfer. Le ténor Sotiris Charalampous fait ses débuts impressionnants en tant qu’Aegisth / Égiste.

Le chef d’orchestre Julien Salemkour, ex assistant de Barenboim, produit une enveloppe orchestrale ample, espace sans précédent pour chanter et respirer, tout en déployant une opulence tonale, flamboyante et furieusement expressive. Prochaine critique complète sur Classiquenews

 

 

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CD événement, annonce. RICHARD STRAUSS : Elektra, Op. 58, TrV 223. Barbara Krieger… Experience, Julien Salemkour [2 cd Solo musica] – prochaine critique complète sur classiquenews

 

 

 

 

STREAMING OPÉRA. MOUSSORGSKI : Boris Godounov par Olivier Py, dim 4 mai 2025 / Culturebox [Capitole de Toulouse, déc 2023]

Culturebox diffuse le Boris Godounov à l’affiche du Capitole de Toulouse / Opéra national de Toulouse, en déc 2023, mis en scène par Olivier Py

« Boris Godounov », sommet absolu de l’opéra russe, est un opéra en sept tableaux de Modeste Petrovitch Moussorgski. L’Opéra national du Capitole de Toulouse en présentait en nov-déc 2023, une nouvelle production scénique dans la version initiale de 1869.

Le grandiose chef-d’œuvre de Modeste Petrovitch Moussorgski nous plonge dans les sombres années fondatrices de l’empire russe : le tsar Boris, qui a accédé au trône au prix d’un terrible crime, vacille et s’effondre sous le poids de sa mauvaise conscience. La culpabilité le ronge et dévore son esprit hanté par les démons qui l’ont porté sur le trône…

La musique, somptueux monument choral et orchestral aux nombreuses évocations folkloriques, sonde les abîmes de l’âme russe. La basse biélorusse Alexander Roslavets, membre de l’Opéra de Hambourg, interprète le rôle-titre pour la première fois et fait ses débuts au Capitole. La mise en scène de cette nouvelle production est signée Olivier Py, maître des univers tourmentés de la tyrannie, fin analyste des psychés coupables, torturées, aux portes de la folie…

L’Orchestre national du Capitole  est dirigé par le chef letton Andris Poga, lequel assure ainsi sa première direction musicale dans la fosse du Théâtre du Capitole.

 

 

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VOIR BORIS GODOUNOV / Olivier Py sur Culturebox : https://www.france.tv/spectacles-et-culture/
MOUSSORSGKI : Boris Godounov
TOULOUSE, Opéra national du Capitole
Dimanche 4 mai 2025 à 22.30 sur Culturebox et sur france.tv

 

 

 

DDM-MICHEL VIALA L’OPERA DE MOUSSORGSKI BORIS GODOUNOV AU THEATRE DU CAPITOLE

Photos : Mirco Magliocca

 

 

Capté en décembre 2023
Inédit / Réalisation : François Roussillon – Frédéric Savoir

Plus d’infos sur le site du Capitole de Toulouse / Boris Godounov par Olivier Py [nov – déc 2023]: https://opera.toulouse.fr/boris-godounov/https://opera.toulouse.fr/boris-godounov/

CRITIQUE, festival. 12ème Festival de Pâques d’AIX-en-PROVENCE, Grand-Théâtre de Provence, le 13 avril 2025. Intégrale des oeuvres pour piano de Maurice Ravel, Bertrand Chamayou (piano)

La douzième édition du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence a ouvert ses portes en célébrant le piano avec une intensité rare. Après la prestation magistrale de Martha Argerich et celle moins mémorable de Rudolf Buchbinder, c’était au tour du prodigieux Bertrand Chamayou de marquer les esprits en interprétant l’Intégrale des œuvres pour piano seul de Maurice Ravel. Un défi titanesque relevé avec une grâce et une maîtrise qui ont transporté le public dans un voyage onirique de près de deux heures trente, où chaque note semblait ciselée par la main même du compositeur.

 

Dès les premières mesures, Chamayou a imposé une narration fluide, alternant avec génie les pièces brèves et les cycles plus ambitieux. Cette alternance a créé une respiration naturelle, permettant aux auditeurs de savourer pleinement chaque univers – des éclats étincelants des Jeux d’eau aux ombres mystérieuses du Gibet. La structure de chaque œuvre était restituée avec une clarté confondante : la fugue du Tombeau de Couperin gardait une transparence cristalline, tandis que l’ostinato obsédant du Gibet planait comme une menace sourde. Même les silences étaient habités, Chamayou jouant avec les nuances de fin de phrase – étirant le dernier do dièse du Menuet antique avec une suspense délicat, ou coupant net les notes satiriques d’À la manière de Borodine.

La palette sonore du pianiste était un régal pour les sens. Sous ses doigts, le piano se faisait tour à tour clavecin baroque (Prélude du Tombeau de Couperin), guitare espagnole (Alborada del gracioso), ou murmure impressionniste (Sonatine). Les harmoniques semblaient danser dans l’air, comme des échos prolongés d’un rêve. Et que dire de sa virtuosité ? Les tempi vertigineux des Valses nobles et sentimentales ou de la Toccata finale étaient exécutés avec une aisance déconcertante – à croire que l’instrument avait soudain multiplié ses touches pour répondre à son jeu étincelant.

Chamayou a transcendé la partition pour en révéler toute la dimension visuelle et narrative. Une barque sur l’océan devenait une aventure maritime où l’on sentait le balancement des vagues, tantôt lointaines, tantôt menaçantes. Les Jeux d’eau, quant à eux, transformaient la salle en un réseau de canaux sonores, entre ruissellements cristallins et cascades tumultueuses. Et qui aurait cru que Scarbo, avec ses éclats diaboliques, pourrait inspirer une chorégraphie imaginaire, tant le rythme était à la fois capricieux et irrésistible ?

Le pianiste a brillamment souligné l’essence chorégraphique de cette musique. La Pavane pour une infante défunte se balançait avec une mélancolie royale, tandis que la Forlane du Tombeau de Couperin faisait revivre les salons du XVIIIe siècle avec un élan retenu. Même dans les passages les plus abstraits, une pulsation dansante affleurait, comme si Ravel nous murmurait à l’oreille : « Ceci n’est pas qu’une note, c’est un pas de deux. »

Après cette marathon musical, Chamayou a offert en bis une pépite rare : son propre arrangement des Trois beaux oiseaux du Paradis. Loin des feux d’artifice précédents, cette mélodie dépouillée, presque chuchotée, a étreint le public d’une émotion pure. Une boucle parfaite pour clore cette soirée où le piano n’était plus un instrument, mais un passeur d’âmes. En quittant la salle, le public semblait sortir d’un sortilège – hésitant entre applaudir encore ou garder le silence pour ne pas briser la magie. Bertrand Chamayou n’a pas simplement joué Ravel ; il l’a réinventé, offrant une lecture aussi respectueuse que personnelle, où chaque détail comptait. Une performance qui restera dans les annales du festival tout autant que dans les mémoires !

 

 

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CRITIQUE, festival. 12ème Festival de Pâques d’AIX-en-PROVENCE, Grand-Théâtre de Provence, le 13 avril 2025. Intégrale des oeuvres pour piano de Maurice Ravel, Bertrand Chamayou (piano). Crédit photographique © Caroline Doutre

 

 

 

CD événement annonce. WAGNER: Le Vaisseau Fantôme. LISE DAVIDSEN, Gérald Finley,… Edward Gardner [direction], Norwegian national Opera, 2024 [2 cd DECCA classics]

Pour DECCA CLASSICS, la soprano norvégienne vedette Lise Davidsen enregistre sa première intégrale lyrique, en l’occurrence le premier drame romantique et tragique de WAGNER : le Vaisseau fantôme. L’enregistrement a été réalisé à partir de deux représentations live à l’été 2024 à Oslo [Norwegian national Opera].

 

 

En chantant Senta, la cantatrice, artiste exclusive Decca, affirme ainsi ses affinités indiscutables avec le chant wagnérien, une approche unanimement célébrée que la diva a déjà pu approfondir en wagnérienne accomplie à Bayreuth, au Met, à Covent Garden,…
À ses côtés, participent à cette intégrale événement : Gerald Finley [dans le rôle du navigateur maudit /Dutchman], Anna Kissjudit, Stanislas De Barbeyrac, Eirik Grøtvedt, Brindley Sherratt… Sous la baguette d’Edward Gardner qui enregistre aussi son premier disque lyrique comme nouveau Music Director of The Norwegian Opera and Ballet.

Le coffret Wagner est ainsi le 5eme enregistrement de Lise Davidsen chez Decca classics.

 

 

RICHARD WAGNER
Lise Davidsen
Der fliegende Holländer
/ le Vaisseau fantôme

Lise Davidsen · Anna Kissjudit
Stanislas De Barbeyrac · Eirik Grøtvedt – Gerald Finley · Brindley Sherratt
Norwegian National Opera Chorus
Norwegian National Opera Orchestra
Edward Gardner – parution annoncée le 18 avril 2025

Prochaine critique complète sur classiquenews  – CLIC de Classiquenews printemps 2025

 

Lise Davidsen
Récentes incarnations : Ariadne auf Naxos à Vienne, La Forza del Destino et Tosca au Metropolitan Opera, Salome [prise de rôle à Paris],…
Elle chantera Leonora dans Fidelio au Metropolitan Opera, avant de participer sur la scène newyorkaise, au prochain Ring wagnérien

CLERMONT-FERRAND, 28eme Concours international de chant – Palmarès 2025 [Purcell : Blandine de Sandal / Clara Penalva… Haendel : Juliette Gauthier, Eric Carey…]

La Spécificité du Concours International de Chant de Clermont-Ferrand est d’élire pour chaque édition une distribution idéale pour distribuer plusieurs programmes / productions [cette année 3], une opportunité unique en France pour être ainsi distingué et aussi
benificier d’engagements concrets.

 

 

La 28ème édition fait la part belle à l’opéra baroque, affichant cette année Purcell et Haendel. Outre l’unique opéra de Purcell, Dido and Æneas et l’oratorio le plus célèbre de Haendel, Der Messias, en version adaptée en allemand par Mozart, le Concours recherche aussi à distribuer Wun Duo Piano / Voix,  autour de lieder et de mélodies françaises [ bénéficiant, notamment, d’une résidence à la Fondation Royaumont].

Pour sa 28e édition en 2025, ont été ainsi auditionnés 106 artistes.

La Spécificité du Concours International de Chant de Clermont-Ferrand est d’élire pour chaque édition une distribution idéale pour distribuer plusieurs programmes / productions [cette année 3], une opportunité unique en France pour être ainsi distingué et aussi benificier d’engagements concrets

 

 

Les Lauréats

Blandine DE SANSAL
Didon et Énée
Didon

Clara PENALVA
Didon et Énée
Belinda

Louise BOURGEAT
Didon et Énée
Deuxième Suivante
Le Messie – Soprano

Eugénie LEFEBVRE
Didon et Énée
L’Enchanteresse

 

 

Juliette GAUTHIER
Le Messie
Mezzo

Eric CAREY
Le Messie
Ténor

Léontine MARIDAT-ZIMMERLIN
Louis DECHAMBRE
Duo Piano – Voix

 

Winona BERRY
Prix du Jeune Public
Prix du Public

 

Elsa ANGERVO
Prix Génération Opéra

 

Grace DURHAM
Prix Concert du Nouvel An

 

Guillaume RIBLER
Prix Hôtel Mercure – Centre Jaude

 

 

 

Programme d’audition

 

Didon et Énée de Henry Purcell
Opéra en 1 prologue et 3 actes Version scénique – Chantée en anglais – Texte parlé en français

Direction artistique : Louis-Noël Bestion de Camboulas
Mise en scène, scénographie : Pierre Lebon
Chorégraphie Iris Florentini
Direction générale : Juliette Guignard
Construction des décors et costumes Atelier de décors et costumes de l’Opéra de Limoges
Ensemble Les Surprises

 

Lauréates

Blandine DE SANSAL
Soprano – 32 ans – France
Rôle de Didon

Clara PENALVA
Soprano – 29 ans – France
Rôle de Belinda

Louise BOURGEAT
Soprano – 28 ans – France
Rôle de de La Deuxième suivante

Eugénie LEFEBVRE
Soprano – 38 ans France
Rôle de L’Enchanteresse

Les prix pour les rôles d’ Énée (baryton), d’un Marin (ténor) et d’un Esprit (contre ténor) n’ont pas été distribués.

 

Engagements Saisons 2025/2026
et 2026/2027

Saison 2025-2026
– Opéra-Théâtre de Clermont-Ferrand : 17 et 18 janvier 2026
– Opéra de Limoges : 22 et 23 janvier 2026
– Théâtre de Châtellerault : 24 janvier 2026
– Théâtre de Poissy : 6 février 2026
– Atelier lyrique de Tourcoing : 12 et 13 février 2026
– Théâtre d’Enghien-les-Bains : 17 février 2026
– Théâtre de Roanne : 23 avril 2026
– Théâtre Roger Barat – Herblay-sur-Seine : 4 et 5 mai 2026

Saison 2026-2027 (dates à définir)
– Opéra de Saint-Étienne
– Opéra de Bordeaux
– Théâtre Auditorium Poitiers
– Théâtre Impérial de Compiègne

Production déléguée Ensemble Les Surprises – Coproduction Clermont Auvergne Opéra, Opéra de Limoges, Office artistique de la Nouvelle-Aquitaine, Fondation Royaumont, Atelier lyrique de Tourcoin

 

Le Messie « Les fil(s) de lumière » de G.F. Haendel

Oratorio en trois parties – Version adaptée par W. A. Mozart – Chanté en allemand

Direction musicale : Nicolas André
Conception, installation scénographique,
costumes, lumières et mise en espace : Lodie Kardouss

Orchestre symphonique de l’Opéra de Limoges / Nouvelle Aquitaine
Cheffe de chœur : Arlinda Roux-Majollari
Chœur de l’Opéra de Limoges
Cheffe de chant : Élisabeth Brusselle

 

Lauréats

Louise BOURGEAT
Soprano – 28 ans – France

Juliette GAUTHIER
Mezzo – 25 ans – France

Eric CAREY
Ténor –  30 ans – États-Unis

Le Prix Basse n’a pas été distribué.

Engagements Saisons 2025/2026
et 2026/2027

Opéra de Limoges : 9 novembre 2025
Opéra-Théâtre de Clermont-Ferrand : 10 janvier 2027

Nouvelle production de l’Opéra de Limoges en partenariat avec Clermont Auvergne Opéra.

 

Duo Piano-Voix

Léontine MARIDAT-ZIMMERLIN Mezzo – 25 ans – France

Louis DECHAMBRE
Piano – 30 ans – France

Résidence
Fondation Royaumont –  Automne 2025 (Dates à définir selon les disponibilités des candidats)

 

Tournée

Tournée en région parisienne – Automne 2025 (en cours d’élaboration)

Résidence
Château de Parentignat (63) – Été 2025 (dates à définir selon les disponibilités des candidats)
Opéra-Théâtre de Clermont-Ferrand – 11 et 12 mai 2026

Récital
Opéra-Théâtre de Clermont-Ferrand – Mercredi 13 mai 2026 – Saison 2025/2026

Production Fondation Royaumont et Clermont Auvergne Opéra

 

Prix spéciaux

Prix Jeune Public – Ville de Clermont-Ferrand

D’une valeur de 1 000 € et récompensant un(e) finaliste désigné(e) par le vote d’un jury composé de 11 jeunes clermontois, il a été remis à :

Winona BERRY / Mezzo – 23 ans / France

 

Prix du Public – Bernard Plantey

En l’honneur du fondateur de Clermont Auvergne Opéra, ce prix, d’une valeur de
1 000 €, récompense un(e) finaliste désigné(e) par le vote du public présent à la finale et a été remis à :

Winona BERRY / Mezzo – 23 ans / France

 

Prix Génération Opéra

Le Prix Génération Opéra est attribué à un(e) artiste, finaliste ou demi-finaliste de moins de 30 ans de nationalité française ou étrangère domicilié fiscalement en France. Il est constitué d’une proposition de concert ou de récital rémunéré dans le cadre de l’activité de production de Génération Opéra. Il a été remis à

Elsa ANGERVO / Mezzo – 22 ans / France

 

Prix Concert du Nouvel An

Le Prix Concert du Nouvel An est attribué à une soprano, une mezzo et/ou un ténor. Il est constitué d’une proposition d’engagement pour le Concert du 31 décembre 2025 à l’Opéra-Théâtre de Clermont-Ferrand, coproduit par Clermont Auvergne Opéra et l’Orchestre national Auvergne-Rhône-Alpes. Il a été remis à

Grace DURHAM / Mezzo – 36 ans / Royaume-Uni

 

Prix Hôtel Mercure Clermont-Ferrand Centre Jaude

D’une valeur de 1 000 €, il récompense un(e) finaliste et grâce au soutien de l’Hôtel Mercure Clermont-Ferrand Centre jaude, partenaire de Clermont Auvergne Opéra, il sera remis par le Président de Clermont Auvergne. Il a été décerné à Guillaume RIBLER / Contre ténor – 27 ans / France


 

CRITIQUE, récital, PARIS, Théâtre des Champs Elysées, le 13 avril 2025. « Chopin intime », Justin Taylor (piano)

Rien n’est jamais prévisible avec Justin Taylor car l’artiste aime sans cesse sortir de sa zone de confort. Aux terres conquises, il préfère les explorations singulières. Et en ce dimanche matin, sur la scène du TCE, il nous en fait de nouveau la démonstration en s’arrimant cette fois aux derniers jours de Frédéric Chopin à Majorque. C’est ici, en effet, que le compositeur, au seuil du crépuscule de sa vie, a composé les Préludes. Les circonstances de la maladie sont mises en lumière par Justin Taylor dans des parenthèses explicatives aussi humbles que délicates, rapportant la dérision avec laquelle Chopin a accueilli l’annonce de sa fin imminente. Il a aussi rappelé comment Camille Pleyel a livré à Majorque au compositeur un petit piano droit, le pianino Pleyel 1839. Et c’est pour faire découvrir au public cet instrument et les dernières œuvres qu’il a fait naître que ce concert du dimanche matin a été programmé. Créneau étonnant s’il en est pour donner un avant-goût d’un nouvel album à venir, Chopin intime, mais toutefois guère étonnant, Justin Taylor préférant une intimité ici bienvenue, à des effets tapageurs. Intimité artistique, évidemment, et non d’affluence, le théâtre affichant complet, en cette matinée, pour accueillir la proposition originale de l’artiste.

Et c’est donc au clavier du pianino Pleyel (qui n’est pas celui du compositeur, précise-t-il,  mais de la même époque) que l’artiste nous a narré un Chopin intime. Et en effet, le choix de l’instrument apparaît ici essentiel pour saisir l’essence de la musique du compositeur. La magie opère d’emblée: la belle résonance et le timbre velouté du petit piano donnent corps à toutes les émotions et couleurs qui traversent ces œuvres ultimes. Déjà reconnu pour sa virtuosité et sa sensibilité, Justin Taylor a une fois de plus confirmé son statut d’artiste exceptionnel qui n’hésite jamais à revoir sa propre technique pour épouser au plus près un instrument qui ne lui est pas naturellement familier. Et il l’exprime d’ailleurs fort bien avec humour au cours du récital : les petites touches du pianino lui ont donné du fil à retordre ! Sa capacité à allier rigueur et expressivité a permis au public de découvrir Chopin sous un jour nouveau, alliant tradition et innovation. 

Tout au long de ce concert, Justin Taylor impressionne par son jeu souple et parfaitement ciselé. Les changements de registres sont judicieux. Chaque note trouve sa place dans un discours naturel, presque organique, où l’on entendrait presque l’instrument respirer. A la mélancolie et la dramatisation de certaines interprétations dans ce répertoire fait place ici une hauteur de vue singulière mais ô combien précieuse. Justin conduit l’expérience au-delà des Préludes, par une transcription émouvante de son cru de la Casta diva de Bellini, sur toutefois « une idée originale de Chopin » (dit-il) lequel avait lui-même composé en son temps une version piano pour accompagner son amie Pauline Viardot.

Avec Bach, également présent dans le programme, Justin Taylor, cette fois au clavier d’un Grand Pleyel, retrouve un répertoire de prédilection. Il est ici dans son jardin où il se réinvente en permanence. Dans le prélude du 1er Livre du Clavier bien tempéré, on entend une verve, un swing, qui donne une autre dimension à l’œuvre. Le jeu raffiné et la profonde compréhension musicale et humaine de l’artiste repoussent les cadres et nous tiennent ainsi éloignés de l’écueil du conventionnel et de l’académique. C’est précisément ce qui fait toute la richesse des propositions artistiques de Justin Taylor.

 

 

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CRITIQUE, récital, PARIS, Théâtre des Champs Elysées, le 13 avril 2025. « Chopin intime », Justin Taylor (piano). Crédit photographique © Justin Taylor

 

CRITIQUE, festival. 12ème Festival de Pâques d’AIX-en-PROVENCE, Grand-Théâtre de Provence, le 12 avril 2025. Orchestre Symphonique de Lucerne, Rudolf Buchbinder (piano), Michael Sanderling (direction)

Au lendemain d’une grande soirée d’ouverture avec Martha Argerich, toujours dans l’écrin feutré du Grand-Théâtre de Provence, le 12ème Festival de Pâques d’Aix-en-Provence a offert un autre moment musical d’exception, avec l’Orchestre Symphonique de Lucerne placé sous la direction énergique et inspirée du chef allemand Michael Sanderling. Au programme, deux monuments de la musique romantique : le Premier Concerto pour piano de Johannes Brahms, interprété par le pianiste Rudolf Buchbinder (né en 1946), suivi de la Symphonie n°9 « Du Nouveau Monde » d’Antonín Dvořák

 

Dès les premières mesures du Concerto pour piano n°1 en ré mineur, op. 15 de Johannes Brahms, l’Orchestre Symphonique de Lucerne impose une tension dramatique captivante, avec des cordes sombres et un tutti orchestral d’une profondeur remarquable. Michael Sanderling, avec une gestuelle à la fois précise et passionnée, parvient à magnifier les contrastes de cette œuvre de jeunesse, à la fois tourmentée et grandiose. De son côté, Rudolf Buchbinder sait imposer la force tellurique de cette partition, mais un peu moins son introspection mélancolique… Le Rondo final (Allegro non troppo) n’en emporte pas moins l’auditoire dans un tourbillon rythmique, où Buchbinder fait scintiller chaque note avec une vitalité juvénile, malgré ses décennies de carrière. En bis, il offre une variation sur l’Ouverture de “Die Fledermaus” de Johann Strauss.

Après l’entracte, place à l’évasion avec la Symphonie n°9 en mi mineur, op. 95 « Du Nouveau Monde » d’Antonin Dvořák. Sanderling et l’Orchestre Symphonique de Lucerne livrent une interprétation puissante, colorée et résolument narrative, comme un voyage à travers les vastes paysages américains qui inspirèrent le compositeur tchèque. L’Adagio – Allegro molto s’ouvre avec une tension mystérieuse, avant l’explosion du thème iconique, joué avec une énergie contagieuse. Les cuivres, d’une précision impeccable, rayonnent, tandis que les bois apportent des couleurs folkloriques envoûtantes. Le Largo, peut-être le mouvement le plus célèbre, s’avère un moment de pure magie. La mélodie du cor anglais (superbement interprétée par le soliste de la phalange suisse) plane au-dessus des pizzicati des cordes, créant une atmosphère à la fois nostalgique et sereine. L’orchestre respire comme un seul instrument, sous la direction attentive de Sanderling. Le Scherzo (Molto vivace) fait danser la salle avec ses rythmes bondissants, entre influences tchèques et américaines, avant le finale explosif (Allegro con fuoco), où l’orchestre déploie toute sa puissance. Les timbales et les trompettes font trembler la salle, tandis que les motifs thématiques s’enchaînent avec une logique implacable, jusqu’à la catharsis finale, saluée par un tonnerre d’applaudissements, qui finissent par entraîner un bis… la 8ème Danses Slaves du même Dvorak, prise dans un tempo diabolique !

 

 

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CRITIQUE, festival. 12ème Festival de Pâques d’AIX-en-PROVENCE, Grand-Théâtre de Provence, le 12 avril 2025. Orchestre Symphonique de Lucerne, Rudolf Buchbinder (piano), Michael Sanderling (direction). Crédit photographique © Caroline Doutre

 

 

STREAMING OPÉRA, ven 25 avril 2025. Wagner : le Vaisseau fantôme [Irish national Opera]

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L’Irish national Opera a présenté en mars 2025 une nouvelle production d’un Wagner au souffle irrésistible… Un capitaine est condamné à errer sur les mers à bord de son vaisseau fantôme jusqu’à ce qu’il trouve le salut grâce à l’amour d’une femme qui saura en être éprise pour ce qu’il est véritablement…

 

 

De son côté Senta est une jeune femme ardente et romantique qui rêve de rencontrer le grand amour… Elle est prête à briser la malédiction dont il est victime. Mais cette chance ne se présente qu’une fois tous les sept ans… Les deux âmes incomplètes se rencontreront elles ?

La partition à la fois épique et romantique de Wagner exprime vertiges et aspirations profondes, depuis l’ouverture tempétueuse jusqu’à la scène finale qui renouvelle le tragique spectaculaire, enfin rédempteur. Wagner lui-même considérait cet opéra comme le véritable début de sa carrière dans les années 1840. Essuyant de nombreux revers, en exil à Paris, n’obtenant pas la reconnaissance espèrée, Wagner se met lui-même en scène, en homme maudit, sans terre, sans port d’attache,… Un être solitaire, incompris, à l’ardente créativité, qui aspire à l’amour le plus pur.

Ce premier opéra de Wagner produit par l’Irish National Opera est mis en scène par Rachael Hewer. Le directeur artistique de l’INO, Fergus Sheil, dirige l’orchestre et le chœur maison.

 

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VOIR LE VAISSEAU FANTÔME  :
https://operavision.eu/fr/performance/le-vaisseau-fantome-3https://operavision.eu/fr/performance/le-vaisseau-fantome-3
Diffusé le 25 avril 2025 à 19h CET Disponible jusqu’au 25 oct 2025 à12h CET
Enregistré le 27 mars 2025
Chanté en allemand
Sous-titres en anglais, allemand

 

 

 

DISTRIBUTION

Le Hollandais, Jordan Shanahan
Senta, Giselle Allen
Daland : James Creswell
Erik : Toby Spence
Mary : Carolyn Dobbin
Le timonier de Daland : Gavan Ring

Orchestre de Irish National Opera
Chœur de Irish National Opera

CRITIQUE, festival. 12ème Festival de Pâques d’AIX-en-PROVENCE, Grand-Théâtre de Provence, le 11 avril 2025. Orchestre national du Capitole de Toulouse, Martha Argerich (piano), Renaud Capuçon (direction)

Pour sa douzième édition, le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence prouve encore  une fois qu’il est l’un des événements musicaux les plus vibrants de France, alliant tradition et audace sous la codirection inspirée de Dominique Bluzet et Renaud Capuçon. Cette édition 2025, placée sous le signe de la cohérence artistique et de la générosité musicale, a débuté en majesté ce vendredi 11 avril avec un concert d’ouverture aussi historique qu’envoûtant, réunissant l’Orchestre national du Capitole de Toulouse (placé sous la direction de Renaud Capuçon) et l’immense pianiste argentine Martha Argerich.

 

Le concert a débuté avec La Danse mystique, op. 19 de Charlotte Sohy, compositrice française injustement méconnue, dont l’œuvre a trouvé une résonance particulière sous la baguette sensible de Renaud Capuçon. L’Orchestre national du Capitole de Toulouse a su restituer toute la poésie et les nuances mystérieuses de cette pièce, mêlant élan romantique et spiritualité, comme une invitation au voyage intérieur.

Puis, ce fut l’entrée en scène tant attendue de la légendaire Martha Argerich, du haut de ses 83 printemps, rayonnante et plus virtuose que jamais. Le Concerto pour piano n°1 de Ludwig van Beethoven a pris sous ses doigts une dimension à la fois puissante et délicate, avec une fraîcheur et une énergie qui défient le temps. Son jeu, toujours aussi fulgurant de précision et d’expressivité, a captivé la salle, notamment dans le sublime Adagio, où chaque note semblait suspendue dans l’émotion pure. L’alchimie avec l’orchestre et Capuçon était palpable, créant un dialogue musical d’une rare complicité. En bis, elle offre deux inoubliable Gavottes extraites de la 3ème Suite anglaise de J. S. Bach.

La seconde partie a transporté le public vers les paysages lyriques et ensoleillés de la 8ème Symphonie d’Antonin Dvořák, dirigée avec maestria par Renaud Capuçon. L’orchestre a brillé par sa sonorité chatoyante, restituant à merveille les couleurs pastorales et les rythmes dansants de cette œuvre. Les cuivres éclatants, les cordes enivrantes et les bois délicats ont tissé une fresque sonore tour à tour joyeuse, mélancolique et triomphale, emportant l’auditoire dans une ivresse collective. Le Finale, d’une vitalité contagieuse, a provoqué une ovation nourrie, saluant une interprétation aussi élégante que passionnée.

Ce concert inaugural résume à merveille l’esprit du Festival de Pâques d’Aix : exigence artistique, découvertes audacieuses (comme la redécouverte de Charlotte Sohy) et partage avec le public. Entre les monstres sacrés comme Argerich et les jeunes talents prometteurs, la programmation 2025 promet déjà des moments inoubliables. Vivement la suite des festivités, entre la Passion selon saint Matthieu, les récitals de Bertrand Chamayou (ce soir dimanche 13 avril), Beatrice Rana, Bruce Liu – ou encore les Douze Violoncellistes de Berlin !…  

 

 

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CRITIQUE, concert. AIX-en-PROVENCE, Grand-Théâtre de Provence, le 11 avril 2025. Orchestre national du Capitole de Toulouse, Martha Argerich (piano), Renaud Capuçon (direction). Crédit photographique © Caroline Doutre

 

GENÈVE. 10 – 18 mai 2025. Stabat Mater Pergolesi / Scelsi. Barbara Hannigan, Jakub Jozef Orlinski / Romeo Castellucci

Le Grand-Théâtre de Genève invite pour la première fois le metteur en scène italien Romeo Castellucci, dans une nouvelle production d’essence sacrée qui associe Pergolese et Scelsi. C’est une rencontre très prometteuse et probablement féconde avec la soprano et cheffe d’orchestre canadienne Barbara Hannigan. Ceci pour un spectacle hors les murs [dans le vaste écrin de la Cathédrale Saint Pierre] et hors genre autour de la figure de Marie et du Stabat Mater de Giovanni Battista Pergolesi. Canon du répertoire religieux depuis sa création en 1736, deux mois avant la mort du compositeur, emporté à l’âge de 26 ans par la tuberculose, l’œuvre est écrite pour l’effectif traditionnel de deux voix solistes (soprano et alto) et un ensemble instrumental réduit. Elle est encore aujourd’hui au répertoire habituel du Vendredi Saint, et a inspiré de nombreux compositeurs qui l’ont adaptée, révisée ou empruntée, de Bach à Hindemith. L’appellation de Stabat Mater correspond à l’incipit d’une séquence composée au XIIIe siècle et attribuée sans doute faussement au franciscain italien Jacopone da Todi.

Le texte de la séquence évoque la souffrance de Marie lors de la Crucifixion de son fils Jésus-Christ et est utilisé déjà chez Palestrina, de Lassus, Caldara ou Scarlatti. Exclue de la liturgie dans la norme du Missel romain fixée par le Concile de Trente (1570), elle y a été réintégrée en 1727. Pour ce projet, le Grand Théâtre propose une dramaturgie musicale augmentée par des œuvres de l’un des plus grands compositeurs du XXe siècle, Giacinto Scelsi. Dans ses iconiques Quattro pezzi su una sola nota, il s’applique à rendre perceptible les vibrations et la profondeur du son. En effet, à la suite de plusieurs années d’hospitalisation, le compositeur (et poète) recentre sa technique d’écriture sur la texture et non plus sur l’art combinatoire. Cette composition-manifeste vaut ainsi à Scelsi une réputation de précurseur de la musique minimaliste. Ses trois prières latines au caractère antiphonique proches du  chant grégorien, complètent opportunément ce Stabat Mater.

Célébré pour ses interprétations symboliques aux images somptueusement esthétiques, et son langage presque liturgique, l’homme de théâtre Romeo Castellucci a déjà revisité les plus grands classiques de la littérature et du répertoire musical, de Dante à Mahler. Considérant le rituel théâtral plus comme un art plastique que comme un art du texte, il peuple ses créations de visions faites de tableaux vivants. Sa démarche évolue entre la tradition picturale héritée de notre passé et la recherche du sens dans un monde ruiné par les catastrophes humaines et naturelles.

L’espace de la cathédrale Saint-Pierre de Genève donne corps à ce projet autour de la mère du Christ et de la compassion qui est au centre de l’œuvre de Pergolèse. Les ensembles baroque et contemporain Il Pomo d’Oro et Contrechamps sont placés sous la direction de  Barbara Hannigan qui, de surcroît, chantera aux côtés du contre-ténor polonais Jakub Józef Orliński.

 

 

 

 

GENEVE, Cathédrale Saint-Pierre
7 représentations

Sam 10 mai, 20h30
Lun 12 mai, 20h30
Mar 13 mai, 20h30
Mer 14 mai, 20h30
Jeu 15 mai 20h30
Ven 16 mai 20h30
Dim 18 mai 20h30

RÉSERVEZ VOS PLACES directement sur le site de l’Opéra de Genève :
https://www.gtg.ch/saison-24-25/stabat-mater/

Stabat Mater
Oratorio de Giovanni Battista Pergolesi
Créé en 1736 à Pouzzoles, version originale

Musiques de Giacinto Scelsi
Three Latin Prayers pour chœur a cappella (1970)
Quattro Pezzi (su una nota sola) pour orchestre (1959)

Création du Grand Théâtre de Genève

Nouvelle production

CRITIQUE, opéra. VERSAILLES, Opéra Royal, le 8 avril 2025. DONIZETTI : La Fille du régiment. G. Blondeel, P. Kabongo, J.F. Lapointe, E. Pancrazi… Jean-Romain Vesperini / Gaétan Jarry

« Ciel glacé ! soleil pur ! Oh ! brille dans l’histoire !
Du funèbre triomphe, impérial flambeau !
Que le peuple à jamais te garde en sa mémoire
Jour beau comme la gloire,
Froid comme le tombeau » 
Victor Hugo – Les rayons et les ombres
L’année 1840 marque le début de la fin de la Monarchie de juillet. Pour changer la dynamique politique, le gouvernement d’Adolphe Thiers a décidé de rapatrier les restes de Napoléon Ier et ainsi retrouver un semblant de popularité auprès des classes laborieuses et de la jeunesse en ébullition dont l’Empereur était la figure mythique et tutélaire. A l’image du fougueux Julien Sorel, la génération des romantiques née pendant l’épopée révolutionnaire et napoléonienne a idéalisé le destin fugace de Napoléon en contraste avec les conservatismes surannés des légitimistes et le conformisme du « juste-milieu ». Curieuse coïncidence avec l’esprit de notre temps où droite et centre sont impuissants, réactionnaires et déconnectés des rêves d’une jeunesse en proie aux inquiétudes. 
1840 : au printemps, alors que Paris rayonne, et que Gaetano Donizetti s’était installé deux ans plus tôt dans la capitale lyrique du moment, bien avant Verdi et après Rossini, il est devenu la coqueluche de Paris. Créée le 11 février 1840, dans le climat délétère de crises sociales successives surplombé de guerres coloniales, La fille du régiment porte dans son argument, à priori, innocent, tous les questionnements politiques et sociaux de son temps. Marie et Tonio viennent de mondes diamétralement opposés et leur amour brise tous les obstacles, même culturels. Malgré le contexte de l’oeuvre qui se passe lors des guerrillas tyroliennes menées par Andreas Hofer en 1809, la vision angélique d’une France idéalisée et lointaine semble se dessiner. Cette France accueillante et cosmopolite n’est pas une maison ou un palais mais le 21e régiment. C’est dans ce type de phalanges napoléoniennes alors que toute l’Europe a semblé se battre sur les champs de bataille, notamment en 1812 ou la Grande Armée comptait des Espagnols, des Italiens, des Allemands et même des Croates. Salut à la France multiculturelle mais en ordre de bataille. 
Pour cette production de l’Opéra royal de Versailles, pas de fantaisies cartographiques comme dans la version de Laurent Pelly, mais nous retrouvons les bonnets en peau d’ours et les plumets vermillon des grognards et autres grenadiers. Une mise en scène qui semblerait classique et au comble du conservatisme si ce n’est par le tour de génie brillantissime de Jean-Romain Vesperini. Metteur en scène de grand talent, Vesperini réussit le tour de force de garder un visuel d’époque avec une saveur proche du cabaret. C’est magique de voir un classique de tous les temps réinventé avec des émotions proches des nôtres, sans tomber dans la corruption totale de l’oeuvre. Jean-Romain Vesperini nous propose une vision rafraîchissante de cette Fille du régiment que l’on croyait connaître si bien. Les costumes sont signés de Christian Lacroix dont le génie exploite l’architecture de l’ère napoléonienne pour créer très subtilement une farandole de soieries, de fantastiques propositions qui révèlent dans toute leur splendeur les personnages. 
Marie est idéalement campée par une Gwendoline Blondeel avec une énergie débordante et un sens impressionnant du théâtre. Vocalement, elle est sublime, les aigus ciselés avec une richesse dans les médiums indéniable et une précision sans faille. Son Tonio n’est autre que l’excellent ténor Patrick Kabongo, aux moyens impressionnants, qui nous charme par une présence scénique fabuleuse et réussit dans son élan à s’approprier le « Ah ! Mes amis » en lui apportant toutes les belles nuances de son talent incroyable. Madame de Berkenfield est l’inénarrable Eléonore Pancrazi que l’on aime entendre et voir sur scène tellement elle est investie dans son rôle de bout en bout sans tomber dans le grotesque, elle humanise un personnage qui, souvent, est brossé en filigrane. Jean-François Lapointe est un Sulpice désopilant et touchant avec une voix superbe. Jean-Gabriel Saint-Martin est un Hortensius d’anthologie. 

 

Gaétan Jarry dans un enthousiasme et une énergie irrépressibles mène l’Orchestre de l’Opéra Royal et le Choeur de l’Armée française sur les sommets escarpés donizettiens. Nous avons été admiratifs du son homogène de l’orchestre, malgré quelques petits décalages parfois. Pour une formation sur instruments d’époque, la musique de Donizetti a semblé prendre des couleurs chatoyantes sous les mains expertes des musiciennes et musiciens de cette belle phalange. Les choristes du Choeur de l’Armée française, en plus d’avoir fourni Jérémie Delvert (en Caporal) avec une belle présence vocale et scénique, se déploient dans toute leur splendeur dans cette partition. 
Gamine choyée de son temps, La Fille du régiment a été représentée 55 fois jusqu’en 1841 et la 1000e fois en 1914 ! Les relents patriotiques et libertaires du livret ont ancré le destin de cette enfant française du compositeur bergamasque sur les scènes du monde entier et les gosiers les plus légendaires de tous les temps. Une semaine après la création de La Fille du régiment, le 22 février 1840, le gouvernement du Maréchal Soult, héros de la geste napoléonienne, s’effondre. Il est remplacé par Adolphe Thiers, un opportuniste de petite taille mais de grand talent. Echo social de cette humble fille donizettienne, le 24 février 1840 le gouvernement lance une enquête nationale sur la pauvreté en France qui prendra conscience des abysses sociales dans la joyeuse France de Louis-Philippe Ier. Le « roi bourgeois », malgré son accueil des cendres du grand Napoléon au coeur battant de Paris, n’arrivera jamais à égaler sa légende, il abdiquera en 1848. En revanche, Napoléon poursuivra sa course glorieuse, non seulement sur la scène mais aussi dans les rues avec les chansons de Pierre-Jean de Béranger, là où le peuple saura toujours chanter son souvenir : 
« On parlera de sa gloire
Sous le chaume bien longtemps.
L’humble toit, dans cinquante ans,
Ne connaîtra plus d’autre histoire.« 
Pierre-Jean de Béranger – Les souvenirs du Peuple (1839)

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. VERSAILLES, Opéra Royal, le 8 avril 2025. DONIZETTI : La Fille du régiment. G. Blondeel, P. Kabongo, J.F. Lapointe, E. Pancrazi, J.G. Saint-Martin…. Jean-Romain Vesperini / Gaétan Jarry. Crédit photographique © Julien Benhamou

 

 

OPÉRA DE SAINT-ÉTIENNE. SAINT-SAËNS : Samson et Dalila, ven 9, dim 11, mar 15 mai 2025.  Florian Laconi, Marie Gautrot… Guillaume Tourniaire (direction), Immo Karaman (mise en scène)

En pleine bataille entre la IIIème République naissante et la monarchie qui tentait de revenir au pouvoir, Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns n’a pas été bien accueilli par l’État, qui l’a fit même interdire. Elle fut créée à Weimar en 1877, grâce au soutien confraternel de Liszt, et jouée en France pour la première fois seulement en 1890 à… Rouen.

 

 

Sans doute l’exaltation de la révolte du peuple contre l’autorité des Philistins au nom de Dieu, résonnait-elle étrangement dans cette période d’affrontement entre cléricaux et anticléricaux. Après avoir envisagé un oratorio autour de Dalila, Saint-Saëns compose finalement un opéra. Du projet d’origine subsiste une musique puissante. La place majeure du choeur et la magnificence de l’orchestration rendent singulière cette oeuvre, qui fut encensée par le public allemand, et tarda à trouver sa consécration en France. La production du Théâtre de Kiel, en Allemagne, recueille les fruit d’une tradition authentiquement allemande ; elle est mise en scène par le Germano-turc Immo Karaman.

Le public stéphanois y retrouve le duo de chanteurs entendu dans La Nonne sanglante, en 2023. Florian Laconi, habitué de la maison stéphanoise, interprète en effet Samson, donnant la réplique à Marie Gautrot, la voluptueuse et vénéneuse Dalila. Saint-Étienne accueille de nouveau l’excellent chef Guillaume Tourniaire, le chef d’orchestre, indiscutable expert du romantisme français, et qui avait brillamment dirigé Les Pêcheurs de perles en février 2024. Il a aussi signé une lecture puissante et subtile d’Ascanio, autre opéra de Saint-Saëns et celui moins connu que Samson.

 

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GRAND THÉÂTRE MASSENET
Vendredi 9 mai 2025, 20h
Dimanche 11 mai 2025, 15h
Mardi 13 mai 2025, 20h
RÉSERVEZ VOS PLACES directement sur le site de l’opéra de Saint-Étienne : https://opera.saint-etienne.fr/otse/saison-24-25-1/spectacles//type-lyrique/samson-et-dalila/s-800/
tarif A • De 10 € à 63 €
Durée 2h30 environ,  entracte compris
En français, surtitré en français
Samson et Dalila
Opéra en trois actes de Camille Saint-Saëns

 

Propos d’avant-spectacle
Par Fabien Houlès, professeur agrégé de musique, une heure avant chaque représentation. Gratuit sur présentation du billet du jour.

Livret de Ferdinand Lemaire
Création le 2 décembre 1877 au théâtre de la Cour grand-ducale de Weimar

Direction musicale : Guillaume Tourniaire
Mise en scène, scénographie : Immo Karaman
Costumes, chorégraphie : Fabian Posca
Vidéo : Frank Böttcher
Reprise lumières : Pascal Noël

Samson : Florian Laconi
Dalila : Marie Gautrot
Le grand prêtre de Dagon : Philippe-Nicolas Martin
Abimélech, satrape de Gaza : Alexandre Baldo
Le vieillard hébreu : Louis Morvan

Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire

Choeur Lyrique Saint-Étienne Loire
(Direction, Laurent Touche)

Décors et costumes réalisés par le Théâtre de Saint-Etienne

CRITIQUE, opéra. MONTPELLIER, opéra-comédie (les 8, 10 et 12 avril 2025). MOZART : Mitridate. L. Sekgapane, M. Lys, K. Murrah, H. Wu… Emmanuelle Bastet / Philippe Jaroussky

L’Opéra Comédie de Montpellier (en coproduction avec l’Opéra de lausanne) offre actuellement une production magistrale de Mitridate, re di Ponto de Wolfgang Amadeus Mozart, sous la direction musicale inspirée de Philippe Jaroussky et dans une mise en scène raffinée signée Emmanuelle Bastet. Ce chef-d’œuvre de jeunesse du compositeur autrichien, créé à seulement 14 ans, prend vie sous un jour résolument moderne, tout en respectant la grandeur classique de l’opera seria.

 

Philippe Jaroussky, plus souvent acclamé comme contre-ténor, révèle ici son talent tout aussi impressionnant de chef d’orchestre. À la tête de l’Orchestre National Montpellier Occitanie, il insuffle une énergie dynamique et une sensibilité remarquable à la partition, mettant en valeur la richesse orchestrale et les nuances dramatiques de l’œuvre. Les tempi sont parfaitement maîtrisés, tantôt fougueux dans les airs de bravoure, tantôt d’une délicatesse envoûtante dans les moments plus intimes.

Le spectacle imaginé par Emmanuelle Bastet baigne dans une atmosphère bleutée, évoquant à la fois la Méditerranée antique et un espace mental abstrait. Le scénographe Tim Northam a choisi la phtalocyanine, un pigment profond et mystérieux, qui oscille entre l’outremer et un noir bleuté en fonction des éclairages. Ce bleu, à la fois intemporel et suggestif, sert de toile de fond à un décor mobile composé d’escaliers qui glissent lentement sur scène, créant des espaces tantôt intimes, tantôt oppressants. Ces escaliers deviennent des lieux de confidence, de solitude ou de méditation douloureuse, tandis que des rideaux de fils bleus ajoutent une dimension labyrinthique, reflétant le trouble intérieur des personnages. Les costumes, inspirés par un Orient théâtral alla Veronese, mêlent étoffes soyeuses et détails baroques. Mitridate arbore un manteau à col de loutre, tandis que les princes adoptent un négligé chic de jeunes cavaliers romantiques. La mise en scène évite toute référence historique précise, préférant plonger le spectateur dans un univers onirique où seuls comptent les sentiments et les conflits humains.

 

 

Le ténor sud-africain Levy Sekgapane incarne avec une autorité souveraine le roi du Pont, déchiré entre colère et tendresse. Sa voix puissante et agile domine la scène, notamment dans l’air furieux « Vado incontro al fato estremo », où il déploie une technique impeccable et une expressivité déchirante. La soprano suisse Marie Lys, lumineuse et virtuose, livre une performance émouvante dans le rôle d’Aspasie. Son timbre cristallin et sa maîtrise des vocalises enflamment la salle, particulièrement dans « Pallid’ombre », où elle exprime avec une grâce poignante le désespoir de son personnage. De son côté, le contre-ténor américain Key’Mon Murrah (Sifare)renouvelle l’enthousiasme suscité en nous lorsque nous l’avions découvert, en février dernier au Théâtre du Capitole dans Giulio Cesare (rôle de Sesto), et il impressionne à nouveau par la pureté de son timbre et sa musicalité exquise. Son duo avec Marie Lys, « Se viver non degg’io », est un moment d’une beauté à couper le souffle. La mezzo-soprano chinoise Hongni Wu apporte une présence scénique captivante et une voix riche en couleurs à son personnage de Farnace, parfaite pour incarner le fils rebelle. Son interprétation de « Venga pur, minacci e frema » est d’une intensité dramatique rare. La jeune soprano franco-catalane Lauranne Oliva incarne ce soir Ismene, après avoir tenu le rôle d’Aspasie à Lausanne, et éblouit tant par la beauté du timbreque le brillance de la technique vocale. Le contre-ténor italien Nicolò Balducci (Arbate) complète avec brio cette distribution, tandis que le jeune ténor suisse Rémy Burnens (Marzio) confirme son immense potentiel avec une prestation assurée.

Les ovations enthousiastes du public montpelliérain témoignent du succès de cette production. Entre prouesses vocales, direction musicale inspirée et mise en scène intelligente, ce Mitridate est bien plus qu’un opéra : c’est une expérience lyrique totale, qui confirme une fois encore le génie intemporel de Mozart !…

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. MONTPELLIER, opéra-comédie (les 8, 10 et 12 avril 2025). MOZART : Mitridate. L. Sekgapane, M. Lys, K. Murrah, H. Wu… Emmanuelle Bastet / Philippe Jaroussky. Crédit photographique © Marc Ginot

 

 

CRITIQUE, concert. PARIS, Théâtre des Champs-Élysées, le 8 avril 2025. BERLIN / STAMITZ / KRAUS / MOZART. Orchestre de Chambre de Paris, Giovanni Antonini (direction)

Nous sommes au fabuleux Théâtre des Champs-Élysées pour un nouveau concert de l’Orchestre de Chambre de Paris – dirigé par le maestro Giovanni Antonini – et avec un programme symphonique composé exclusivement d’œuvres du 18e siècle. 

 

Le concert commence avec la Sinfonia à cinq pour cornet à bouquin, cordes et continuo du compositeur méconnu Johan Daniel Berlin. Une belle œuvre courte et baroque à souhait, avec des contrastes thématiques très marqués. C’est l’occasion de (re)découvrir la sonorité particulière du cornet à bouquin, dont le timbre rappelle et les cuivres et les bois, grâce au talent virtuose du soliste Adrien Ramon. Immédiatement après, le Concerto pour violoncelle n° 3 en ut majeur du compositeur Carl Stamitz, figure emblématique de l’École de Mannheim, interprété par le violoncelliste Benoît Grenet. Une œuvre de style galant (pont stylistique entre le baroque tardif et le classicisme musical), véritable bijou d’élégance et de charme, d’une virtuosité remarquable mais pas exorbitante. Les mouvements extérieurs de l’opus, pleins d’esprit et de vivacité, entourent un Andante poco moderato central d’une grande expressivité et beauté lyrique au niveau de l’instrument solo, avec un accompagnement discret mais tout à fait excellent de l’ensemble orchestral. Après les nombreux applaudissements, les deux solistes reviennent sur scène pour offrir un magnifique bis : il s’agît de La Suave Melodia d’Andrea Falconieri. Cette œuvre sublime qui est la seule ce soir à ne pas avoir été composée au 18e siècle, présente une belle mélodie diaphane abordée de façon singulière par chaque soliste et accompagnée subtilement par la claveciniste Ayumi Nakagawa.

Avant l’entracte, l’une des deux pièces de résistance au programme : l’incroyable Symphonie en ut mineur VB 142 du compositeur Joseph Martin Kraus. Kraus, parfois nommé « le Mozart suédois », est né la même année que le génie autrichien, et meurt exactement un an après. La symphonie, écrite en 1783 et beaucoup trop injustement méconnue de nos jours, est impressionnante à plusieurs égards. Il s’agît d’un remaniement d’une symphonie préexistante du compositeur, la Symphonie en do dièse mineur VB 140 ; probablement réalisé avec l’intention de rendre l’opus plus accessible aux viennois (c’est lors de sa grande tournée européenne de 1782-1787 qu’il rencontre Haydn et Gluck, il rejoint la même loge maçonnique de Mozart !). L’œuvre en trois mouvements est dramatique par sa tonalité mineure et un superbe exemple de pré-romantisme musical. Le premier mouvement commence avec une introduction lente et sombre qui crée une atmosphère tendue, laissant rapidement place à un Allegro vigoureux. Il est marqué par des rythmes saccadés, des contrastes dynamiques audacieux et une énergie incessante. Les thèmes musicaux se déploient avec une urgence saisissante, et sont fièrement portés par les cordes et ponctués par les timbres sombres des cors et des hautbois. Le deuxième mouvement offre un répit lyrique avec sa mélodie tendre et chantante planant au-dessus d’un orchestre temporairement sobre et laissant transparaître une profondeur sentimentale sans affectation. L’Allegro assai qui clôt l’œuvre est une véritable explosion musicale, fougueuse et palpitante. Une conclusion compacte et fulgurante où la tension dramatique constante se métamorphose parfaitement en une résolution tout à fait triomphale !!!

Après l’entracte, et pour finir le concert  tout en grandeur et majesté, l’incomparable Symphonie n° 41 en ut majeur de W. A. Mozart. Nous remarquons immédiatement le choix d’un tempo rapide par le chef Antonini, en toute fidélité à la convention musicale de l’époque de Mozart, et loin des longueurs post-romantiques en vigueur depuis le début du 20e siècle. Ce parti pris que nous apprécions, rehausse curieusement les mouvements intérieurs : le deuxième toujours introspectif et tendre sans être écœurant, le troisième reste raffiné mais avec une certaine robustesse. Les musiciens sous la direction du maestro Giovanni Antonini semblent être tous habités par la magnifique musique de cette œuvre qu’ils interprètent de façon passionnante et passionnée. Dans le Molto Allegro final nous arrivons au plus haut sommet d’expressivité, de rigueur intellectuelle et d’exubérance jubilatoire de toute la soirée, avec sa forme unique de sonate-fuguée où tous les thèmes musicaux se réunissent en une apothéose inégalée.

Encore un magnifique concert de l’Orchestre de Chambre de Paris au Théâtre des Champs-Élysées. Leur prochain rendez-vous à l’Avenue Montaigne met en valeur le violoncelle à nouveau, dans un programme symphonique concertant autour d’Elgar et de Schubert. Il aura lieu le 19 juin 2025, alors  à vos agendas !

 

 

 

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CRITIQUE, concert. Paris, Théâtre des Champs-Élysées, le 8 avril 2025. BERLIN / STAMITZ / KRAUS / MOZART. Orchestre de Chambre de Paris, Giovanni Antonini (direction). Crédit photographique © David Blondin

 

STREAMING OPÉRA. ARTE. TV, le 14 avril 2025. Clara OLIVARES : LES Sentinelles [Bordeaux nov 2024]

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ARTE. TV diffuse l’opéra contemporain exclusivement féminin, de sa conception à ses interprètes, Les Sentinelles de la compositrice Clara Olivares ; l’ouvrage raconte l’histoire de quatre femmes entre tourments amoureux et diktats sociaux.

 

Une mère et sa fille, enfant surdouée, voient leur relation se dégrader lorsqu’un couple de femmes en crise fait irruption dans leur vie. Les trois adultes finissent par se rapprocher et tentent, comme autant de sentinelles, de guider la jeune fille dans sa quête de sens. Mais chacune révèle sa propre aspiration au bonheur, parfois contradictoire, égoïste, qui ne tardent pas à produire des jeux amoureux complexes. Peu à peu, l’enfant devient le soutien des adultes et leur échappe. Filmé à l’Opéra de Bordeaux en nov 2024.

 

 

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VOIR le streaming  Les Sentinelles de Clara Olivares sur Arte.tv :
https://www.arte.tv/fr/videos/122437-000-A/clara-olivares-les-sentinelles/

 

 




LIRE AUSSI notre présentation des Sentinelles de Clara Olivares à l’affiche de l’Opéra-Comique en avril 2025 : https://www.classiquenews.com/paris-opera-comique-clara-olivares-les-sentinelles-les-sentinelles-les-10-11-13-avril-2025/

 

ONL ORCHESTRE NATIONAL DE LILLE. Nuits d’été : 8 et 9 juil 2025. KURT WEILL : LES 7 PÉCHÉS CAPITAUX, Joshua Weilerstein

Pour ses Nuits d’été, l’ONL / ORCHESTRE NATIONAL DE LILLE et Joshua Weilerstein transforment le Théâtre du Casino Barrière en cabaret fantastique : les musiciens lillois et leur directeur musical jouent le ballet lyrique aussi spectaculaire que rare sur les planches : «  Les Sept Péchés Capitaux  » de Kurt Weill avec, entre autres le chant envoûtant de Bella Adamova.

 

 

A côté des chansons cultes comme Youkali ou Mack The Knife, le spectacle affiche aussi le pétillant Boeuf sur le toit de Darius Milhaud, et des extraits choisis de la comédie musicale américaine Cabaret de John Kander en compagnie du fidèle complice des Nuits d’été : Alex Vizorek. Marianne Faithfull, The Doors, David Bowie ou encore Louis Armstrong… Et plus récemment encore les irrésistibles québécois Anne Dufresne et Yannick Nezert-Seguin, ont en commun d’avoir repris des chansons de Kurt Weill. Fin mélange entre jazz chanté et classique, Youkali (1934) ou Mack the Knife (1928) rappellent aussi le talent du mélodiste Weill. Un compositeur célébré en Allemagne, contraint de fuir le régime nazi en raison de ses origines juives, auteur d’une œuvre aussi engagée que mordante et poétique, satirique et délirante comme en témoignent Les Sept Péchés Capitaux (1933) ; la partition inclassable est un ballet fantasque créé avec le dramaturge Bertolt Brecht. A sa famille qui lui demande régulièrement des nouvelles de ses pérégrinations, Anne [et sa sœur] parcourt les villes de la côte est américaine ; à travers une traversée semée de rencontres improbables, les deux aventurières qui souhaitent faire fortune, pour financer la maison familiale, brossent une série de portraits au vitriol, de séquences acérées, véritables tranches de vie qui dévoilent les travers d’une humanité corrompue, barbare, vénale… [d’où le titre de l’œuvre Les 7 péchés capitaux]…

En contrepoint, le dansant Boeuf sur le toit (1920) évoque une fête musicale dans le Paris des années vingt avec un orchestre symphonique transformé en big band brésilien, entonnant quelques mélodies sud-américaines revisitées par Darius Milhaud.

Cabaret (1966), de John Kander, brillant héritier du maître allemand met en scène un club berlinois dans le climat inquiétant des années trente… L’œuvre est écrite à New York où meurt exilé Kurt Weill.

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LILLE, Casino Barrière
KURT WEILL : Les 7 péchés capitaux
Mar 8 juillet 2025, 18h45
Mer 9 juillet 2025, 18h45
Réservez vos places : https://www.casinosbarriere.com/spectacles/les-nuits-d-ete-diner-spectacle
Offre diner – spectacle / une nuit au CABARET

 

 

 

Programme :

KANDER
Life is Cabaret & Mein Herr, extraits de Cabaret

WEILL
Youkali
Mack the Knife,
extrait de l’Opéra de quat’sous

MILHAUD
Le Boeuf sur le toit

WEILL
Les Sept Péchés capitaux

 

 

Avec
Isabelle Georges, soprano
(en première partie)
Bella Adamova (Anna 1), mezzo-soprano
Guillaume Andrieu,
(Père) Baryton
Florent Baffi,
(Mère) Basse
Manuel Nùñez Camelino,
(Frère 1) Ténor
Fabien Hyon,
(Frère 2) Ténor
Jess Gardolin,
(Anna 2)
Danseuse et chorégraphe
Alex Vizorek, récitant et maître de cérémonie
Sandra Preciado, mise en espace
Marzio Picchetti, lumières
Joshua Weilerstein, direction
Orchestre National de Lille

 

 

 

approfondir

LIRE aussi notre présentation puis la critique des 7 péchés capitaux récemment présentés par l’Opéra de Rennes (nov 2024) :https://www.classiquenews.com/?s=capitaux

présentation des 7 péchés capitaux de Kut WEILL
https://www.classiquenews.com/opera-de-rennes-kurt-weill-les-7-peches-capitaux-les-25-26-28-nov-2024-natalie-perez-et-noemie-ettlin-jacques-osinski-benjamin-levy/

Janvier 1933, le monde bascule : Hitler arrive au pouvoir en Allemagne. En cette année noire où les Nazis brûlent les livres, Bertolt Brecht, exilé, écrit un seul texte : Les Sept Péchés capitaux des petits bourgeois. Un texte insolent, grinçant et courageux où il dénonce la bourgeoisie et le clergé se soumettant devant la loi du plus fort.
Interdit d’activité par la police nazie, le compositeur Kurt Weill s’expatrie à Paris dès mars 1933. Après que la Princesse de Polignac, mécène de Cocteau, lui ait commandé sa Symphonie n°2 (créée par Bruno Walter à Amsterdam en oct 1934), il reçoit la commande d’un nouveau ballet du jeune Balanchine et de Boris Kochno, qui co dirigent les Ballets 33. Pour ce faire, Weill se réconcilie avec Brecht avec lequel il s’était fâché : la pièce sera leur dernière collaboration. Face à un ordre autoritaire et barbare, chaque individu questionne son rapport à la liberté : se soumettre ou défier l’autoritarisme ? Le choix est ainsi incarné par le personnage central féminin, Anna. Entre gouaille mi-parlée, mi-chantée et choral (dans la plus pure tradition luthérienne), Kurt Weill explore toutes les ressources d’une pièce musicale en constante instabilité formelle, à l’image de la société qu’elle dépeint. Son écriture varie entre énergie, mélancolie (Malhlérienne), et aussi légèreté mozartienne etmême weberienne… son imaginaire entend renouveler la magie populaire de La Flûte Enchantée de Mozart, modèle absolu. Le spectacle au carrefour des disciplines, ce qui fait sa richesse toujours très actuelle, est créée au TCE Théâtre des Champs Élysées le 7 juin 1933. Dans le public, Serge Lifar (probablement jaloux de Balachine) dénonce un spectacle scandaleux.

CRITIQUE CD événement. NICOLAS DE GRIGNY : Messe et Hymnes. Michel Bouvard & François Espinasse, grandes orgues de la Chapelle royale de Versailles [1710] – Château de Versailles Spectacles [volume n°13 de la collection « L’âge d’or de l’orgue français », janvier 2024]

NICOLAS DE GRIGNY, hériter d’une longue tradition familiale d’organistes à Reims, rejoint Paris vers 20 ans [circa 1692]; résident de la rue Saint Merry, actuelle Simon le franc, et de la Verrerie, Nicolas fréquente les musiciens actifs alors : Pierre Bâillon [organiste], surtout Michel Richard Delalande, Nicolas Lebègue [qui devient son professeur] et Thomelin, organistes reconnus respectivement à Saint-Jean en grève, Saint Jaques de la Boucherie, Saint-Merry. Dès 1693, Nicolas de GRIGNY devient titulaire des orgues de l’abbaye de Saint-Denis [jusqu’en 1697]. Il y joue les pièces d’orgue alternant avec le plain chant chanté en grec comme à Rome, Venise et Florence. En 1697, réputé et admiré par ses pairs, Nicolas de GRIGNY revient à Reims, comme organiste de la Cathédrale, où officient les dominicains.

 

 

L’enregistrement témoigne de l’art de NICOLAS de GRIGNY, heureux élève de Lebègue, dont le sens de l’improvisation et la composition participe alors aux festivités célébrant en 1697, le retour de la paix, à la fin de la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Il s’appuie sur le fameux Livre d’orgue gravé et édité sous la direction de GRIGNY lui-même. Une réalisation (à compte d’auteur) qui force encore l’admiration et que JS BACH admiratif ainsi, copia intégralement. On y distingue clairement l’esprit tenace des danses [sarabande, bourrée, allemande, gigue…] et aussi la trace de la Renaissance dans les épisodes fugués. Comme Nivers, de GRIGNY reprend à son compte l’agrémentation des doubles des airs de cour de son maître Lebègue.

Les deux organistes requis pour l’enregistrement interrogent et révèlent ici la pratique organistique dans le contexte liturgique des messes et hymnes tels que le précisent les cérémonials d’époque qui consignent en les décrivant précisément les usages. Si le Credo est chanté par tous les fidèles, les autres séquences [Kyrie, Gloria, Sanctus, Agnus,…] sont réalisés par l’alternance plain chant [choristes avec serpent] et pièces d’orgue, ces dernières doublées par un chanteur qui disait le verset à mi-voix.

CD1Michel Bouvard évoque dans une continuité purement instrumentale, le flux musical de l’orgue, avec d’autant plus de clarté et de transparence, y compris dans les « grands jeux » (plage 15) que l’instrument historique de la Chapelle royale de 1710 permet d’échafauder une basilique sonore, une cathédrale musicale des plus impressionnantes, autant par la diversité ciselée des timbres que le souffle, la puissance et la richesse du jeu organistique (détail et relief des lignes simultanées dans chaque fugue à 5). Sans voix ni plain chant, l’orgue du XVIIIè, conçu pour la Chapelle royale dernier chantier important du château sous la règne du Roi-Soleil et essentiel même car il s’agit alors d’un souverain dévot, les orgues versaillaises semblent idéalement adaptées à l’écriture de De Grigny, évidemment dans les étagements sonores des Grands Jeux, mais aussi à travers les deux séquences de la Messe qui les précèdent (Kyrie puis Gloria).
Il ne s’agit pas seulement de la grandeur et du sentiment de majesté, certes parfaitement calibré ici, mais aussi (surtout) d’un acte plus intimiste et individuel de ferveur personnelle, ce que tend à exprimer les épisodes plus magistralement réalisés comme le « Trio en dialogue » du Kyrie, ou Récit de Tierce en taille ou le dernier Trio du Gloria ; sans omettre en particulier la méditation naturelle, libre et comme improvisée du « récit de tierce pour le Benedictus », final, à la fois fluide, direct, droit et caressant (comme l’Élévation qui lui fait suite).
Le cycle est un festival délectable de timbres et de couleurs que la registration préalable a su magnifier pour un jeu des plus scintillants voire flamboyants dans sa mesure continue : De Grigny étant l’un des compositeurs les plus classiques et résolument français dans ce sens des équilibres : ainsi, la suspension des flûtes vaporeuses du « Dialogue des flûtes » dans la dite Élévation ; comme le chant plus mordant des cromornes (propre au ronflement nasillé de leur timbre) associées aux dessus de cornet pou la Communion.

CD 2 – Les qualités expressives des timbres de l’orgue historique de la Chapelle royale resplendissent tout autant dans les 5 Hymnes joués ici par François Espinasse : relief caractérisé du Récit de Cromorne du Veni Creator dont on conçoit sans difficultés, l’ample architecture dimensionnée pour la Cathédrale de Reims (aussi impressionnant dans ses conquêtes spatiales que le « Dialogue sur les Grands Jeux » de l’« Ave Maris stella » ou l’ultime « point d’orgue sur les Grands jeux » qui conclut « A Solis ortus ») ; au sens des vertiges sonores répond l’intériorité profonde des Récits : magistrale ampleur mystérieuse du Récit final du Pange lingua…

Le programme présente ainsi l’intégrale des pièces composées par GRIGNY pour les rituels de la Cathédrale de Reims. Mort à 31 ans, le compositeur génial n’a pas laissé davantage de musique mais sa qualité et son raffinement sont idéalement défendus dans le jeu caractérisé et élégant des deux interprètes. Michel BOUVARD (DC1) et François ESPINASSE (CD2) en soulignent les audaces, la complexité, le jeu des harmonies et des timbres très habilement combinés, la séduction sobre et comme enivrée des mélodies. Autant de qualités et d’idiomes originaux qui suscitent comme il a été dit précédemment, la vive attention de Jean-Sébastien Bach qui reste saisi par le génie lumineux du Français. Comme nous aujourd’hui.

 

 

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CRITIQUE CD événement. NICOLAS DE GRIGNY ; Messe et Hymnes. Michel Bouvard & François Espinasse, grandes orgues de la Chapelle royale de Versailles [1710] – Château de Versailles Spectacles [volume n°13 de la collection « L’âge d’or de l’orgue français »] – enregistré en janvier 2024 dans la Chapelle royale de Versailles – CLIC de Classiquenews printemps 2025

 

CRITIQUE, opéra. MASSY, Opéra, le 5 avril 2025. MOZART : La Clémence de Titus. V. Guérin, M. Poguet, M. Vergez-Pascal, S. Stern… Héloïse Sérazin / David Stern

Dans cette production de La Clémence de Titus de W. A. Mozart à l’Opéra de Massy, l’équipe de création a brillamment relevé le défi de marier tradition et modernité, tout en rendant hommage à l’œuvre de Mozart avec une approche audacieuse et novatrice. Avec la mise en scène d’Héloïse Sérazin, cette version de l’opéra se distingue par sa capacité à humaniser les personnages tout en explorant la profondeur de leurs relations, sans se perdre dans la portée politique souvent associée à l’œuvre.

 

 

La mise en scène de la Compagnie d’Héloïse est un modèle de finesse et de subtilité. Chaque personnage est traité avec une attention particulière, mettant en lumière leurs dilemmes internes. Plutôt que de se concentrer sur les enjeux politiques du livret, l’équipe choisit de souligner l’intensité des relations humaines. Cela se reflète dans la façon dont les six solistes interagissent sur scène, dans un espace réduit qui accentue l’intimité des scènes. Le mobilier minimaliste mais graphique, en combinaison avec la présence de l’orchestre dans la fosse, donne au spectateur une impression d’intensité concentrée, où chaque mot et chaque mouvement prennent une signification particulière.

La scénographie de Léa Jézéquel, soutenue par les vidéos de Yann Philippe et les lumières de Marc Delamézière, crée une atmosphère aussi poétique que puissante. Les fonds, créés à l’acrylique et projetés sur un cyclorama, font un délice visuel. Inspirés par les toiles peintes artisanales, ces décors évoluent tout au long de la production, offrant une palette de couleurs vibrantes qui soutient les changements émotionnels des personnages. L’apparition régulière d’un olivier, symbole de résilience et de transformation, vient renforcer la quête intérieure de Titus, entre hésitation, résolution, clémence finale. Les costumes, conçus par Laurianne Scimemi del Francia, apportent également une touche d’innovation. Puisant dans les archives de l’Opéra National de Paris, ils sont recréés et modifiés avec un souci du détail remarquable. Les matériaux choisis sont de haute qualité, et les costumes sont conçus de manière à circuler entre les personnages, soulignant les liens et les conflits qui les unissent. Ce recyclage créatif renforce la notion de cycles et de résilience présente dans l’œuvre.

Le choix des Solistes de l’Atelier Lyrique Opera Fuoco est très convainquant. Vincent Guérin (Titus) se distingue par une interprétation pleine de nuances et de profondeur. Son rôle, complexe et contrasté, demande une grande maîtrise technique et une capacité à transmettre l’âme de son personnage, à la fois hésitant, résolu et empli de clémence. Vincent Guérin parvient à faire ressortir toute la fragilité de Titus, en offrant des moments de grandeur et de force, tant vocalement que dramatiquement. Sa voix, à la fois puissante et douce, s’élève avec une expressivité remarquable, particulièrement dans les moments les plus intenses où son dilemme intérieur prend le dessus. Margaux Poguet (Vitellia) incarne parfaitement l’ambivalence de son personnage, oscillant entre passion dévorante et manipulation froide. Sa voix, riche et chaude, porte une puissance dramatique qui correspond à la nature complexe de Vitellia. Margaux Poguet réussit à captiver l’attention du public à chaque apparition, alternant des passages d’une grande douceur avec des moments plus éclatants où son énergie et sa détermination se font entendre. L’intensité émotionnelle de son interprétation est palpable, surtout dans les scènes où elle doit rendre compte de la colère et de la frustration qui animent son personnage.

Marion Vergez-Pascal (Sesto) offre une prestation d’une grande beauté et d’une grande musicalité. Sesto, souvent tiraillé entre le devoir et l’émotion, trouve en Marion Vergez-Pascal une interprète qui maîtrise non seulement les exigences vocales du rôle, mais aussi la complexité émotionnelle qu’il suppose. Sa voix claire et lumineuse, associée à une interprétation sensible et poignante, donne à Sesto une profondeur rare. Elle réussit à rendre parfaitement l’humanité de ce personnage, victime de ses propres dilemmes moraux et de son amour pour Vitellia. Thaïs Raï-Westphal (Servilia) apporte une touche de légèreté et de grâce à l’ensemble de la distribution. Son timbre clair et lumineux se mêle parfaitement aux autres voix, tout en apportant une fraîcheur bienvenue dans les moments plus dramatiques de l’opéra. Thaïs Raï-Westphal incarne une Servilia sensible et touchante, apportant à ce rôle de soutien toute la profondeur émotionnelle nécessaire pour éviter qu’il ne devienne trop anodin. Elle s’impose ainsi comme un contrepoint délicat et nuancé aux tourments des autres protagonistes.

De son côté, Sophia Stern (Annio) se distingue par une voix pleine de douceur et de délicatesse. Annio, rôle de jeune homme sensible et dévoué, trouve en Sophia Stern une interprète capable de rendre toute la tendresse et l’humanité de ce personnage. Sa prestation vocale est impeccable, son timbre doux mais précis, et elle parvient à faire ressortir toute la noblesse de son personnage sans tomber dans l’angélisme. La voix de Sophia Stern s’intègre parfaitement à l’ensemble de la distribution, tout en restant capable de ressortir avec grâce lorsqu’elle est mise en avant. Enfin, Julien Ségol (Publio) complète brillamment cette distribution avec une interprétation robuste et solide. Publio, bien que rôle de moindre envergure, bénéficie d’une voix forte et autoritaire qui s’impose avec puissance sur scène. Monsieur Ségol incarne le rôle avec une grande rigueur, apportant à son personnage un côté protecteur et déterminé. Sa prestation vocale est impeccablement maîtrisée, et il réussit à exprimer la noblesse et la force de Publio, tout en restant dans une grande fidélité au texte. En somme, les solistes de La Clémence de Titus sont un véritable atout pour cette production. Leur prestation vocale impressionnante, soutenue par une profonde compréhension de leurs personnages respectifs, élève l’ensemble de l’opéra. Chacun d’entre eux contribue à l’unité et à la cohésion de l’interprétation, offrant au public une expérience musicale et dramatique inoubliable.

Musicalement, l’Orchestre Opera Fuoco, dirigé avec maestria par David Stern, apporte une vitalité et une richesse à la partition de Mozart, tout en permettant aux solistes de s’exprimer pleinement dans leurs rôles. L’interprétation vocale met en avant des personnages humains, parfois tourmentés, parfois pleins de compassion, et la direction musicale fait ressortir toute la beauté de la musique de Mozart sans jamais tomber dans le grandiloquent.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. MASSY, Opéra, le 5 avril 2025. MOZART : La Clémence de Titus. V. Guérin, M. Poguet, M. Vergez-Pascal, S. Stern… Héloïse Sérazin / David Stern. Crédit photographique  © Anne-Élise Grobois

 

CRITIQUE CD, coffret événement : CHOSTAKOVITCH / SHOSTAKOVICH : 1-15 Symphonies, Concertos & Lady Macbeth / Boston Symphony Orchestra, Andris Nelsons (19 cd – DG Deutsche Grammophon)

De toute évidence, le chef Andris Nelsons a su imposer sa marque chez Chostakovitch. Le coffret DG Deutsche Grammophon collecte ainsi l’ensemble des enregistrements dédiés au compositeur russe et que le chef bien identifié à présent, a pris soin de réaliser pour aboutir à cette somme impressionnante, opportune pour l’année Chostakovitch 2025 (50 ans de sa mort survenue en 1975). L’intégrale convainc par sa cohérence et sa maîtrise des registres expressifs souvent ambivalents dans le cas spécifique du compositeur russe.

 

Depuis sa mort, la stature de Chostakovitch n’a cessé de croître ; il est aujourd’hui reconnu comme l’un des génies du XXe siècle. Chacune de ses œuvres est même un défi pour tout orchestre prêt à en comprendre et exprimer la saisissante texture comme les champs poétiques subtilement mêlés, les déflagrations et les vertiges barbares. Allusivement évoquée voire clarifiée dans l’écriture musicale, sa relation avec le régime soviétique continue de fasciner. En façade le serviteur loyal se conformait aux dictats de la propagande stalinienne… plus discrètement, en sous texte de nombre de ses partitions, Chosta demeure un dissident clandestin. Pour Nelsons, qui a vécu de près le système soviétique en grandissant en Lettonie et qui a passé une grande partie de sa carrière à étudier et à diriger la musique de Chostakovitch, ces questions sont pourtant peu pertinentes : « La grandeur de sa musique dépasse la politique. Cela parle peu aux gens qu’ils connaissent les périodes où il a vécu ou non », déclare Nelsons.

Cette anthologie exceptionnelle contient outre les oeuvres plus connues, des enregistrements inédits réalisés par la pianiste Yuja Wang, la violoniste Baiba Skride, le violoncelliste Yo-Yo Ma (pour les concertos), tandis que la distribution pour son unique opéra, Lady Macbeth, comprend plusieurs tempéraments plutôt solides et habités dont Kristine Opolais, Brenden Gunnell, Peter Hoare, Günther Groissböck…

C’est de façon représentative dans les Symphonies que Chostakovitch se dévoile le mieux sous la direction très aboutie du chef d’origine lettone… D’autant qu’il a pu s’appuyer sur la tenue non moins solide et la réactivité expressive du Boston Symphony Orchestra, argument de poids de cette intégrale symphonique. Geste sûr, audacieux toujours juste, écoutant [et exprimant] toutes les strates signifiantes à l’œuvre, les cachées allusives, les franches immédiates… Andris Nelsons aura démontré tout au long de ses enregistrements successifs pour DG une évidente compréhension, intuitive plus organique et cathartique que cérébrale ou distanciée ; évidemment l’intégrale qui en ici déduite, souligne avec le recul d’indiscutables apports : les deux  « Leningrad Symphony » comme Bernstein. Le chaos souterrain, la barbarie active, le démon de la guerre et la chape de la terreur… Soit toutes les nuances de l’ignominie perpétrée par l’homme, sont magistralement réalisées dans la texture mobile et soyeuse du BSO. Comme il a été dit, atout de taille pour cette lecture. C’est pourquoi dans la texture et la couleur de l’Orchestre se glisse parfois, très pertinemment une référence à la chaleur des flamboiements alla Stravinsky [celui de l’oiseau de feu s’entend]. Et cette maîtrise d’un humour caché, distancié figure explicite en particulier dans la symphonie dénonçant la terreur, la n°13.

S’imposent au crédit de cette vision convaincante : la couleur, l’énergie, la vivacité inquiète et tendue que ponctue la volonté de résilience coûte que coûte ; en ce sens, l’un des jalons aussi convaincant qu’emblématique d’une telle compréhension demeure assurément le cd de la série regroupant entre autres, les Symphonies 12 et 13 Babi Yar entre autres (lire ci dessous notre CRITIQUE développée). Intégrale événement, incontournable pour l’anniversaire Chostakovtich 2025.

 

 

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CD coffret événement : CHOSTAKOVITCH / SHOSTAKOVICH : 1-15 Symphonies, Concertos & Lady Macbeth / Boston Symphony Orchestra, Andris Nelsons (19 cd – DG Deutsche Grammophon) – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2025

Symphonies, Concertos
Lady Macbeth du district de Mtsensk

Yuja Wang, Baiba Skride, Yo-Yo Ma
Orchestre symphonique de Boston
Andris Nelsons, direction

Approfondir

LIRE notre critique des Symphonies de Chostakovitch : n°12, 13 par le BSO / Andris Nelsons

https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-chostakovitch-symphonies-n2-3-12-et-13-boston-symphony-orchestra-andris-nelsons-2-cd-dg-deutsche-grammophon/

 

 

EXTRAIT
Écoutez un premier morceau de pré-sortie : l’énergique et féroce Interlude tiré de l’acte III, scène 7 de Lady Macbeth of Mtsensk District. L’album complet est disponible en version numérique, sur CD et vinyle le 28 mars…
Plus d’infos sur le site de l’éditeur DG Deutsche Grammophon : https://www.deutschegrammophon.com/en/artists/andris-nelsons/andris-nelsons-shostakovich-2819

ORCHESTRE NATIONAL AUVERGNE RHÔNE ALPES : 13-29 avril 2025 – Bicentennial Lafayette Tour, tournée aux États-Unis

L’Orchestre National Auvergne-Rhône-Alpes réalise une tournée aux États-Unis en commémoration du bicentenaire du voyage du marquis de Lafayette, héros de l’indépendance américaine en 1776.

 

 

De juillet 1824 à septembre 1825, soit plus de 40 ans après la fin de la Guerre d’Indépendance, le Marquis de Lafayette a parcouru 24 états lors d’un voyage triomphal, accueilli en héros par la population. Celui que même Benjamin Franklin estimait peu quant à ses chances de victoire en Amérique, finit par être général aux côtés des Américains, en guerre contre les Anglais…
Les concerts de l’Orchestre national Auvergne Rhône Alpes ont lieu dans les villes et sites clés, traversés par Lafayette lors de sa visite historique en 1824 – 1825 : New York, Washington, Philadelphie, Nashville, La Nouvelle-Orléans et d’autres encore…
Sous la direction de Thomas Zehetmair, l’Orchestre interprète un programme lié à l’histoire du Marquis et à la période de son voyage. Une expérience immersive son et lumière retrace en outre ses visites et son incroyable histoire.

 

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Orchestre National Auvergne Rhône Alpes aux USA

Du 13 au 29 avril 2025
Tournée exceptionnelle aux USA
Bicentenaire du séjour de Lafayette en Amérique (1824-1825)
TOUTES LES INFOS : https://onauvergne.com/events/bicentennial-lafayette-tour-usa/

 

 

Programme

Joseph BOLOGNE, Chevalier de Saint-George
L’Amant anonyme : ouverture

Ruth CRAWFORD SEEGER
Andante pour cordes

Wolfgang Amadeus MOZART
Concerto pour violon n° 5 en la majeur KV. 219

Thomas ZEHETMAIR
Passacaille, burlesque et choral pour orchestre à cordes [création mondiale]

Ludwig van BEETHOVEN
Grande Fugue en si bémol majeur Opus 133

 

 

CRITIQUE CD événement. Franco FAGIOLI : « The last Castrato : Arias for Velluti » [ 1 cd CVS Château de Versailles Spectacles, mars 2025 ]

En mars 2025, le contre-ténor Franco Fagioli a publié un nouvel album captivant sous le label Château de Versailles Spectacles, consacré à Giovanni Battista Velluti, le dernier grand castrat de l’opéra. Ce disque explore un répertoire rare, associé à une figure artistique à la carrière aussi tardive que fascinante, marquée par une virtuosité hors norme et une sensibilité musicale exceptionnelle.

 

Velluti, un artiste entre deux époques

Si Fagioli avait rendu hommage en 2013 à Caffarelli, star des années 1730-1750, il se tourne cette fois vers un interprète dont l’apogée se situe entre 1805 et 1825, une période où les castrats étaient déjà en déclin. Gluck et Mozart leur préféraient les ténors, et Velluti apparaît comme le survivant d’une tradition sur le point de disparaître. Originaire des Marches, formé dans une région qui a donné naissance à d’illustres chanteurs (Carestini, Pacchierotti), il entame sa carrière à 17 ans, après une légende tenace – et peut-être fondée – selon laquelle sa castration aurait été accidentelle, détournant une destinée militaire vers les planches lyriques.

Un répertoire redécouvert avec éclat

L’album met en lumière des airs emblématiques de la carrière de Velluti, interprétés avec une maîtrise vocale époustouflante par Fagioli. Trois extraits de Giuseppe Nicolini, compositeur alors célèbre mais aujourd’hui oublié, illustrent la richesse de ce répertoire. Dans « Vederla dolente » (Balduino duca di Spoleto), Fagioli joue avec subtilité des contrastes entre voix de tête aérienne et registre de poitrine profond, tout en respectant le paradoxe d’un tempo vif pour exprimer la douleur – une signature de Velluti. « Ah se mi lasci o cara » (Troiano in Dacia), dialogue entre la voix et la clarinette, révèle une tessiture plus mezzo-soprano, rappelant les rôles mozartiens ou rossiniens où Fagioli excelle.

Le sommet artistique : Carlo Magno de Nicolini

La pièce maîtresse de l’album est sans conteste la grande scène « Ecco o numi compiuto… Ah quando cesserà… Lo sdegno io non pavento », tirée de Carlo Magno (1813). Cette œuvre se distingue par sa structure audacieuse, échappant au schéma récitatif-aria traditionnel. Après une introduction orchestrale marquée par le basson, Fagioli déploie une palette émotionnelle remarquable : pathétique dans les récitatifs, délicat dans la prière, héroïque dans le rondo final. Les prouesses techniques – sauts d’octaves, vocalises vertigineuses – sont transcendées par une expressivité poignante, démontrant que Nicolini mérite une réhabilitation urgente.

Mercadante et Morlacchi : entre virtuosité et pré-romantisme

En revanche, l’extrait de Andronico de Saverio Mercadante semble moins inspiré, malgré la virtuosité étincelante de Fagioli. La cavatine « Soave imagine » brille par sa ligne vocale ciselée, mais l’ensemble pâtit d’un certain académisme. Plus captivant, Tebaldo e Isolina de Morlacchi séduit par son orchestration colorée (hautbois, trombones) et son lyrisme pré-verdien. La romanza « Caro suono lusinghier », en duo avec la flûte, permet à Fagioli de déployer un timbre soyeux avant d’éblouir dans des variations improvisées.

Un bis en guise d’ouverture et Rossini en clôture 

Le disque s’ouvre sur un air ajouté par Paolo Bonfichi à une reprise d’Attila (1814), que Velluti chantait souvent en bis. Simple mélodie enrichie de fioritures extravagantes, elle incarne l’art des castrats : un prétexte à prouesses vocales, ici exécutées avec une aisance déconcertante par Fagioli. Et il s’achève avec un extrait de Il vero omaggio, cantate de Gioacchino Rossini, seule autre collaboration entre le compositeur et Velluti après leur brouille légendaire (due, dit-on, aux libertés prises par le castrat dans Aureliano in Palmira). L’aria du berger Alceo, ornée de gruppetti et autres trilles, montre Fagioli dans un registre mezzo agile et charmeur, rappelant ce que Rossini et Velluti auraient pu accomplir ensemble.

Porté par l’Orchestre de l’Opéra Royal et la direction dynamique de Stefan Plewniak, cet album est un hommage éblouissant à Velluti, mais aussi une démonstration du génie de Fagioli. Son agilité, sa nuance expressive et son engagement redonnent vie à des partitions négligées, prouvant que ce répertoire mérite amplement d’être réhabilité. Une performance vocale à couper le souffle, servie par une recherche musicologique rigoureuse. Un disque à écouter absolument pour les amateurs de belcanto, d’histoire lyrique et de prouesses techniques hors du commun !

 

 

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CRITIQUE CD événement. Franco FAGIOLI : « The last Castrato : Arias for Velluti ». Orchestre de l’Opéra Royal, Stefan Plewniak (direction). [ 1 cd CVS Château de Versailles Spectacles, mars 2025]. CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2025

 

 

Le CD est en vente sur le site de la Boutique du Château de Versailles