Grand poète baroque oublié, mais le plus méritant après Molière, Jean-François Régnard conçoit, en 1700, ses « Folies amoureuses » dont Castil-Blaze fait son miel dans une nouvelle partition révisée, créée en 1823 au Grand-Théâtre de Lyon, et reprise lors de la première saison de l’Opéra d’Avignon (fraîchement construit), en 1826. Castil-Blaze situe au centre du drame le couple nouvellement nommé Léonore et Valcour, et une intrigue qui – comme dans Le Barbier de Séville de Beaumarchais – envisage un vieux barbon désireux d’épouser sa jeune et fraîche pupille ; abus de pouvoir, désir déplacé mais omnipotence phallocrate…
Heureusement, chose propre à la comédie populaire, le bon sens veille et les serviteurs du potentat domestique aident le jeune amoureux de la donzelle à la libérer et la sauver d’une emprise non consentie. L’opéra en trois actes de Castil-Blaze fut joué à Avignon lors de la première saison de son Théâtre, sa saison 1825 / 1826, et Frédéric Roels avait toute légitimité de programmer cet ouvrage pour fêter le 200ème anniversaire de l’Opéra Grand Avignon, dont il est le directeur, une comédie qui a pour originalité de ré-utiliser nombre d’airs d’opéras de Rossini – mais aussi plusieurs raretés signées Cimarosa, Pavesi, Paer… sans omettre un tube de l’époque, le Concerto « L’orage » de Steibelt.
De la verve à revendre dont se pare avec délices Castil-Blaze qui assemble et ré-assemble les airs dans l’esprit d’un savant pastiche, selon l’intelligence et la cohérence dramatique, où surgit une action qui s’inscrit dans la veine triomphante applaudie au Théâtre Italien de Paris. Mais si, depuis la Restauration et même déjà sous l’Empire, le public se délecte des situations cocasses et comiques alors d’usage, rien de tel ici. Selon l’art du décalage et fruit d’une minutieuse mais cohérente sélection, les airs choisis illustrent les situations et les sentiments de femmes sacrifiées et victimisées…
Tout en servant son sujet : dénoncer l’oppression dont les femmes sont (encore) l’objet, le spectacle s’inscrit parfaitement dans la thématique de la saison 2024 – 2025 de l’Opéra Grand Avignon, dédiée aux « FEMMES ! ». L’opéra n’est pas un divertissement bourgeois ; il a perdu cette fonction depuis des mises en scène de plus en plus engagées, militantes, dénonciatrices. Ici, c’est moins le jeu des interprètes que le choix des airs et des situations évoquées qui sensibilisent sur l’offense permanente faite aux femmes pendant ce XIXème siècle si puritain et si violent, animé par une misogynie ordinaire générale. De ce point de vue, l’intention de la metteure en scène Chloé Lechat (qui a précédemment signé une Traviata toute aussi ardente in loco…).
Les textes s’enchaînent en dévoilant les brûlures et l’âpreté choquante de scènes aujourd’hui condamnables, dans un dépouillement théâtral qui expose d’autant mieux le relief des airs et leur portée. Dès l’Ouverture de Tancredi (de Rossini), le pianiste Benjamin Laurent assure idéalement sa partie, dramatique, très vivante, affûtée, en complicité étroite avec les chanteurs (chœur et solistes). Parmi les chanteurs saluons l’excellente Eduarda Melo, rossinienne engagée, fine, de surcroît intelligible : la soprano portugaise incarne une Leonore plus que convaincante. Même enthousiasme pour le Valcour du jeune ténor français Fabien Hyon, comme le Crispin du baryton Aimery Lefèvre, aussi astucieux qu’impliqué ; autant de qualités que partage aussi l’Albert de Yuri Kissin. Enfin, la Lisette de Fionna McGown offre une voix fraîche et pure, tandis que Laura Darmon Podevin ne démérite pas en Berthe.
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CRITIQUE, opéra. AVIGNON, Opéra Grand Avignon, le 1er février 2025. CASTIL-BLAZE : Les Folies amoureuses. Benjamin Laurent (piano) / Chloé Lechat (mise en scène). Toutes les photos © Droits réservés