samedi 10 mai 2025
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LIVRE D’ÉTÉ. Catherine NEYKOV :  » Sinfonietta en ré majeur ». FEUILLETON 2 / 4 – Colombe et le récital de Mathias Wolff

Dans ce second volet de notre feuilleton dédié au dernier roman musical de Catherine NeykovSinfonietta en ré majeur »), tous les musiciens et les membres du Bureau sont sur le pont, plus impliqués que jamais pour résoudre les nombreux impondérables et défis d’une académie de musique doublée d’une série de concerts publiques.
Ces « mardi 26 et jeudi 27 juillet », l’activité bat son plein. Les équipes du Festival préparent le grand concert du soir. L’auteure dévoile les coulisses d’un événement musical qui doit accueillir les spectateurs dans les meilleures conditions. Sur un rythme trépidant ( celui d’une « Toccata », sous-titre du chapitre), chacun s’affaire ; et malgré les temps de préparation, des contraintes nouvelles, des imprévus entravent la bonne marche ou brouillent les esprits, certains rattrapés par les rebondissements de la vie personnelle.

 

 

Colombe et le récital du virtuose Mathias Wolff

L’héroïne Colombe, éprouvée par des problèmes inextricables de famille, aiguise en réalité son discernement ; en particulier sur les causes profondes qui affectent son jeu et les défauts de sa pratique violonistique ; son professeur Gustavo lui aussi, ne trouve plus la disponibilité annoncée pour la faire travailler…
Les événements se précipitent et dans l’accumulation même des faits relatés, s’exprime une accélération « musicale » du texte. Le point de préoccupation étant le concert du violoniste célèbre, « Mathias Wolff » ; sa venue exacerbe les relations comme, comportement déplacé voire choquant, le « président » qui passe ses nerfs sur les bénévoles (!) : tout cela sonne trop vrai pour ne pas être inspiré par des faits réels.

Riche en contrastes, souvent humoristiques, le texte scelle alors le destin de Colombe, esseulée, qui attend dans une salle de classe, la venue de son professeur (qui se fait excuser) ; seule et désespérée car elle a du se séparer de son violon Vuillaume, … la jeune instrumentiste est plus clarivoyante que jamais. Alors qu’au dehors, retentissent les cris de joie des spectateurs venus écoutés un spectacle d’opéra. Des doutes surgissent chez la jeune femme : pourra-t-elle jamais résoudre ses problèmes techniques ?

Le contraste avec ce qui suit est d’autant plus fort. L’évocation du récital de fameux Mathias Wolff, virtuose célébrissime qui fusionne « la vivacité d’Heiffetz et la tendresse de Menuhin » (rien que cela) affirme à l’inverse de Colombe, une figure impériale, flamboyante voire excessive, lisztéenne et paganinienne : « regard noir intense sous ses cheveux longs »… On croirait alors que le texte décrit précisément alors un soliste actuel aux mêmes caractéristiques (!).
Le texte est ainsi truffé de références indirectes à des personnages réels (et des situations qui ne le sont pas moins). Tout est juste, rythmé, prenant.

 

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Sinfonietta en ré majeur de Catherine Neykov (Le Lys Bleu éditions) – Lire notre présentation / annonce – Lire aussi le feuilleton 1 de « Sinfonietta en ré majeur » – Livre de l’été 2024, Coup de cœur de la Rédaction, CLIC de CLASSIQUENEWS été 2024

 

 

LIRE aussi notre FEUILLETON 1 / 4 : Sinfonietta en ré majeur de Catherine NEYKOV / Colombe en quête d’elle-même : https://www.classiquenews.com/livre-dete-catherine-nykov-sinfonietta-en-re-majeur-feuilleton-1-4-colombe-en-quete-delle-meme/

 

LIVRE D’ÉTÉ. Catherine NEYKOV : « Sinfonietta en ré majeur ». FEUILLETON 1 / 4 – Colombe en quête d’elle-même…

 

ORCHESTRES. L’ORCHESTRE DES PAYS DE SAVOIE EN DANGER !

Dans un communiqué, les instrumentistes de l’Orchestre des Pays de Savoir ont exprimé leur consternation suite à la déclaration formulée en juin 2024 par le Département de Savoie qu’il suspendait les subventions allouées à l’Orchestre depuis 40 ans. Une décision brutale et incompréhensible, d’autant plus mal ressentie que l’Orchestre devait fêter en 2025, ses 40 ans justement.

 

Voici le communiqué, transmis par les musiciens de l’Orchestre des Pays de Savoie :

« En juin dernier, nous avons appris avec consternation la volonté du département de Savoie de suspendre les subventions qu’il attribue à l’Orchestre des Pays de Savoie depuis 40 ans dès janvier 2025.
Cela représenterait une perte d’environ 360.000 euros, soit ¼ des financements publics de l’Orchestre qui se trouve déjà dans une situation délicate. 34 salarié·es permanent·es risquent ainsi de se retrouver sans emploi si la saison 2025 ne voit pas le jour faute de moyens.
Depuis 1984 date de sa création, l’Orchestre des Pays de Savoie parcourt les territoires pour porter une offre culturelle d’excellence à des publics diversifiés, des grandes scènes internationales aux petits villages de Savoie et Haute-Savoie, des établissements scolaires aux crèches en passant par les maisons de retraite et les prisons… Avec 80 concerts par an, il est un acteur essentiel et unique de la formation des jeunes musicien.ne.s et de la sensibilisation des publics à la musique classique dans un esprit de partage et d’exigence artistique.
La Fédération CGT du Spectacle, le SAMPL-CGT et le Synptac-CGT demandent à l’ensemble des tutelles une intervention rapide afin de trouver une issue à la pérennisation financière de cet orchestre de qualité.
Si la situation n’évolue pas rapidement, l’Orchestre des Pays de Savoie ne sera pas en mesure d’assurer sa saison anniversaire 2024 / 2025 ».

Les musiciens de l’Orchestre des Pays de Savoie

 

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PÉTITION

Pour soutenir l’Orchestre des Pays de Savoie, vous pouvez SIGNER LA PÉTITION EN LIGNE « pour que vive l’Orchestre des Pays de Savoie », ici :
https://www.change.org/p/pour-que-vive-l-orchestre-des-pays-de-savoie

Déjà plus de 3000 signatures fin juillet 2024

 

LIRE aussi

Les dernières actualités de l’Orchestre des Pays de Savoie : https://orchestrepayssavoie.com/actualites/

CRITIQUE, festival. BAD WILDBAD (Allemagne), 35ème « Rossini in Wildbad – Belcanto Opera Festival » (Trinkhalle), le 27 juillet 2024. ROSSINI : Le Comte Ory. P. Kabongo, S. Mchedlishvili, D. Haller, N. Tavernier… Jochen Schönleber / Antonino Fogliani.

 

Bad Wildbad est une petite ville de cure perdue dans la Forêt Noire, et s’il n’ y a aucun monument remarquable à visiter (hors le fameux “Palais Thermal”, actuellement en cours de rénovation…), le site est tout simplement exceptionnel, avec le charme inouï d’un ruisseau coupant le village et la vallée en deux – où seuls les amateurs de belcanto, et bien sûr les curistes, s’aventurent. Parmi ces curistes, un certain Gioacchino Rossini y séjourna, d’où l’idée de créer un “petit Pesaro” au nord des Alpes ! La direction du festival (assurée par Jochen Schönleber, qui s’occupe également de toutes les mises en scène….) a eu le courage de programmer, depuis plus de trois décennies, des œuvres souvent rares du Cygne de Pesaro… mais cette édition 2024 offrait néanmoins deux ouvrages assez courants : Le Comte Ory et L’Italienne à Alger – aux côtés d’une version de concert du beaucoup plus rare “Masaniello ou le pêcheur de Naples” de Michele Carafa (un contemporain et grand ami du compositeur pésarais), car le festival n’est pas uniquement dédié à Rossini, mais au belcanto en général… comme l’indique son intitulé exacte : “Rossini in Wildbad – Belcanto Opera Festival” !

 

 

Deuxième ouvrage à l’affiche du festival (après Masaniello), dans l’inélégante Trinkhalle (à l’acoustique par ailleurs problématique…) qui sert de lieu principal aux représentations, l’hilarant Comte Ory (1828) repose sur une intrigue plutôt leste, semée de situations ambiguës et d’ambivalences scabreuses, tout en déroulant une partition d’un rare raffinement et d’une virtuosité vocale superlative. De ce décalage naît une constante et piquante ironie, laquelle exige des interprètes et du metteur en scène beaucoup de verve et d’imagination fantaisistes. Avouons d’emblée que nous avons été comblés à tout point de vue ce soir, avec cette production pleine de drôlerie (à une ou deux scènes too much près…) imaginée par le maître des lieux Jochen Schönleber, l’homme de théâtre allemand transposant l’ouvrage dans le mouvement hippie des années 70 du siècle dernier, le fameux ermite devenant ici un gourou à barbe blanche (accessoire qu’il troquera, au II, pour une perruque blonde et une robe en satin rose bonbon !), multipliant les signes de “peace and love” en croisant les doigts pour former un V. Au I, il règne sur une foule masculine tour à tour grimés en body-builders puis en afro-lovers (coiffures rasta), et une foule féminine aux jupes colorées typiques de l’époque (costumes conçus par Olesja Maurer). Une fois le mécanisme compris, suivre ce spectacle est un exercice divertissant. Les clins d’œil ironiques, les déguisements, les bouffonneries, les faux soupirs : tout est volontairement grossi, de façon à souligner l’aspect ludique de la farce rossinienne. 

Une distribution de chanteurs-acteurs d’un excellent niveau contribue à la réussite du spectacle, à commencer par le ténor congolais Patrick Kabongo, étoile montante du chant rossinien et grand habitué du festival allemand, qui surmonte tous les obstacles de son rôle avec une déconcertante facilité, se permettant le luxe de renoncer un instant à son insolent registre aigu pour un falsetto outré lorsqu’il s’agit de simuler le « ravissement mystique » de Sœur Colette. Bien compréhensible et concupiscible objet de ses délires et délices ratés, la belle soprano géorgienne Sofia Mchedlishvili met sa voix superbe et sa technique sans faille, au service d’un jeu de comédie irrésistible dans de stratosphériques suraigus. A peine travesti (ce qui renforce l’ambiguïté…), l’Isolier de la mezzo croate Diana Haller, voix de velours sombre et ardent, s’avère également d’une stupéfiante présence scénique et vocale, toute en nerfs, bondissant lutin qui lutine la dame et dame le pion au Comte : dans des enlacements à trois, entre le Comte berné, Adèle et Isolier, le trio poétique de la nuit devient une inénarrable et inextricables scène de triolisme érotique dans le lit nocturne, montrée ici en ombres chinoises, ce qui est une des bonnes idées de la proposition scénique. 

 

 

La mezzo espagnole Camilla Carol Farias campe une efficace Ragonde, faconde en leçons morales, dont la sensuelle rondeur de la voix dément la sèche chasteté des propos, gardienne de la forteresse et de la morale. Avec son efficacité habituelle, le baryton italien Fabio Capitanucci campe un Rimbaud d’abord bourru, puis bourré de vin, gaillard et paillard, cherchant ripaille et victuaille, avec un air à boire de « liste » volubile dans la tradition bouffe, ici, de vins, sorte de séguedille échevelée aux vocalises avinées, à toute vitesse, où éclate la virtuosité de sa généreuse voix qui peine cependant dans les notes hautes. En quelques scènes, la basse française Nathanaël Tavernier séduit par la beauté de sa voix aux graves superbement timbrés, tandis que l’acteur s’avère tout aussi excellent. La jeune soprano japonaise Yo Otahara est une jolie Alice à entendre, tandis que les Chœurs de l’Orchestre Szymanowski de Cracovie, ribambelle de pucelles et dames esseulées ou fausses pèlerines masculines aux inénarrables coiffes bleues, font assaut de maestria dans un français tout à fait idiomatique. 

Enfin, le maestro Antonino Fogliani – qui n’est autre que le directeur musical du festival – mérite mille bravos. Placé à la tête d’un excellent Orchestre Szymanowski de Cracovie, il enthousiasme de bout en bout : de l’ouverture donnée à pas de loups (dans la bergerie) aux crescendi « vacarmini » des ensembles concertants, il mène tambour battant tout son petit monde à un train d’enfer… pour un Rossini de paradis !

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CRITIQUE, festival. BAD WILDBAD, Rossini in Wildbad & Belcanto Opera Festival (Trinkhalle), le 27 juillet 2024. ROSSINI : Le Comte Ory. P. Kabongo, S. Mchedlishvili, D. Haller, N. Tavernier… Jochen Schönleber / Antonino Fogliani. Photos (c) Patrick Pfeiffer.

 

VIDEO : Julie Fuchs chante l’air « En proie à la tristesse » extrait du « Comte Ory » de Rossini

 

CRITIQUE, festival. BELFORT, 31ème Festival Musique & Mémoire (Cathédrale Saint-Christophe), le 25 juillet 2024. DUMONT, CHARPENTIER, CLERAMBAULT, LALOUETTE… Ensemble les Meslanges & Nicolas Bucher (orgue).

Dans les Vosges du Sud, la 31ème édition du Festival Musique & Mémoire fait escale à Belfort. Rien de plus adapté au programme que la nef à la fois sobre et monumentale de la Cathédrale Saint-Christophe. Le festival itinérant dans le territoire vosgien a ce talent pour vivifier le patrimoine religieux – et en particulier mettre en scène le fabuleux apport des orgues locaux. Ainsi le grand orgue de Saint-Christophe apporte la majesté et l’authenticité du rituel liturgique, précisément au plein XVIIème français : sous la plume d’Henri Dumont (1610 – 1684), compositeur pré-louisquatorzien, dont la ferveur tendre voire intimiste tempère la tentation du décorum, ou sous celle de l’italianisant et raffiné du parisien Marc-Antoine Charpentier (1643 – 1704)…

 

Les musiciens, organiste, et chanteurs se partagent les strophes et versets d’un même texte liturgique : ce jeu alternatif est au cœur du programme, éclairant une pratique d’époque, ici parfaitement assumée et superbement réalisée : l’alternatim. Un programme convaincant dont la conception est signée Thomas van Essen, directeur musical des Meslanges.

Le geste en dialogue, où quelques chanteurs sont doublés par ce curieux instrument qu’est le « serpent » (vent grave qui inscrit l’articulation dans la terre, contrastant avec les effluves chorales plus aériennes, voire célestes…), célèbre les divinités redoutables et protectrices, principalement Marie dont sont données ce soir plusieurs Magnificat, que Saint-Luc a fixé au moment où la Vierge visite sa cousine… L’Ensemble Les Meslanges abordent un large panorama qui va du plein XVIIème siècle à l’aube de la Révolution, en ce XVIIIème fastueux où les « anciens » (du XVIIème) faisaient le miel des organistes parisiens, selon le témoignage du musicologue voyageur Charles Burney (1726 – 1814).


H. Dumont
célèbre l’esprit souverain du Père et du Fils, leur clémence juste et foudroyante dans un Magnificat plus lumineux qu’exalté (1652) pour voix et basse continue avec plain-chant en faux-bourdon (de Jean de Bourmonville). La sensibilité du Salve Regina de M. A. Charpentier, pièce plus tardive (probablement début 1673) pour le trio masculin (haute-contre, taille et basse) témoigne des harmonies subtiles de l’auteur capable d’exprimer l’imploration fervente des pécheurs à l’adresse de la Vierge miséricordieuse, leur « Vallée de larmes » / « Ad te suspiramus, gementes et flentes in hac lacrimarum valle » (« nous souspirons après vous, gémissans et pleurans en cette vallée de larmes« ), adorateurs en quête d’un salut suspendu, espéré… dont Charpentier dévoile musicalement l’espérance de la révélation.

L’ensemble Les Meslange apporte une lecture vivifiante aux textes des Motets et aux prières choisies ; l’arc chronologique comprend aussi Clérambault (Motet pour Marie de 1733), auquel succède l’Ave Maris Stella (Astre qui conduit) du rémois Nicolas de Grigny (1672 – 1703), somptueuse prière là encore qui fait alterner orgue de tribune et le chœur en plain-chant dans une dramaturgie dialoguée, vivante, désormais emblématique d’au moins un programme de Musique & Mémoire.

Les interprètes convainquent en exploitant toutes les ressources de l’espace qui s’offre à eux, investissant pendant le déroulement du programme, les lieux choisis que le sens des partitions commande : jouant sur la forme alternée orgue / chœur, mais aussi sur l’éloignement spatial : tribune de l’orgue et chœur de l’église… Le Cantique de la Sainte Vierge de Jean-François Lalouette, la Sonate II (1726) de Boismortier… sont ainsi réalisés dans le choeur. Dans cette diversité des formes solistiques, chorales et instrumentales, le corps de l’église et la résonance naturelle de l’édifice participent pleinement à la conviction du geste musical. Les spectateurs, assimilés à l’humanité des orants, sont comme enveloppés dans ce vaisseau sonore qui mutipie les foyers sonores. Au grand orgue, Nicolas Bucher joue de tous les registres de l’instrument souverain, dont l’intensité et la puissance mais aussi la clarté des couleurs sont idéalement sollicitées pour un programme riche et très cohérent.

 

 

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CRITIQUE, festival. BELFORT, 31ème Festival Musique & Mémoire (Cathédrale Saint-Christophe), le 25 juillet 2024. DUMONT, CHARPENTIER, CLERAMBAULT, LALOUETTE… Ensemble les Meslanges, Nicolas Bucher (orgue). Photos (c) Emmanuel Andrieu.

 

 

LIRE aussi notre présentation du 31ème Festival Musique & Mémoire, dans les Vosges du sud : https://www.classiquenews.com/vosges-du-sud-festival-musique-et-memoire-2024-du-18-juillet-au-4-aout-31e-edition-les-meslanges-les-traversees-baroques-masques/

 

(88) 31ème FESTIVAL MUSIQUE & MEMOIRE, du 18 juillet au 4 août 2024. Les Meslanges, Les Traversées Baroques, Masques…

 

 

Entretien

LIRE aussi notre entretien avec Fabrice Creux, directeur artistique et fondateur du Festival MUSIQUE & MÉMOIRE à propose de la 31è édition : https://www.classiquenews.com/festival-musique-memoire-2024-entretien-avec-fabrice-creux-fondateur-et-directeur-artistique-a-propos-de-ledition-2024/

 

FESTIVAL MUSIQUE & MÉMOIRE 2024. ENTRETIEN avec Fabrice CREUX, fondateur et directeur artistique, à propos de l’édition 2024 du festival.

 

CRITIQUE, festival. CHOREGIES D’ORANGE, Théâtre Antique, le 22 juillet 2024. PUCCINI : Tosca (en version semi-scénique). Aleksandra Kurzak, Roberto Alagna, Bryn Terfel… Orchestre Philharmonique de Nice / Clelia Cafiero (direction). 

 

C’est de manière triomphale que se sont clôturées les Chorégies d’Orange, ce 22 juillet, avec une version semi-scénique (bien qu’annoncée en version de concert…) du chef d’oeuvre de Giacomo Puccini (auquel le festival voulait rendre hommage en cette année centenaire) : TOSCA ! Unique titre lyrique cette année (contre deux annoncés en 2025… et donnés scéniquement !), la représentation a donc fait “le plein”, d’autant que la distribution réunie dans la cité provençale par Jean-Louis Grinda avait de quoi faire courir les aficionados d’art lyrique de l’Europe entière : Aleksandra Kurzak dans le rôle-titre, Roberto Alagna en Mario et Sir Bryn Terfel en Scarpia, excusez du peu !…

 

 

Pour la partie visuelle, chaque acte est l’objet d’une projection géante sur le mur : un portrait Marie-Madeleine au premier acte, le tableau Diane et Callisto du Titien au deuxième (le rapport est moins limpide ?…),  et enfin une vue du Château Saint-Ange au dernier, les superbes éclairages Vincent Cussey participant également à la réussite visuelle du spectacle. Mais surtout, loin de se contenter de livrer leurs airs et leurs ensembles face au public, ces trois bêtes de scène que sont Kurzak, Alagna et Terfel distillent du “théâtre” dans chacune de leurs interventions, avec plus de force et de vérité dramatiques que dans bien des versions scéniques…

La soprano polonaise Aleksandra Kurzak humanise d’emblée son personnage, par ses talents d’actrice et sa présence électrique, roucoulant ou rugissant, en variant délicatement sa demande ou son ordre à son amant : « Mais fais-lui les yeux bruns ! » – dont elle fait moins une exigence de diva qu’un caprice de petite fille qui habite encore la femme. C’est là une qualité essentielle de son jeu : nuances psychologiques et vocales alors que certains attendent, et y qu’on entend trop souvent, de la surcharge histrionique, voire hystérique… Tout est élégance et pudeur chez cette grande dame du chant, à la grande classe, à la voix ronde et égale, charnue, tandis que certains piani passent miraculeusement la redoutable rampe de l’espace. Sa prière et LE grand moment d’émotion de la soirée, par la pudeur et la retenue : c’est une interrogation sur ce drame, incompréhensible pour elle, quelque chose qui la dépasse. 

 

 

Dans les bancs serrés de critiques où semblent se faire et se défaire la réputation des spectacles et des chanteurs avec un effet de contagion bien moutonnier dès lors que tel ou tel vecteur de média prestigieux a prononcé son verdict – disons sa sentence -, il est de bon ton de faire désormais la fine bouche sur Roberto Alagna : “Alagna fait du Alagna”, formule répétée à l’envi (encore heureux qu’il ne fasse pas du quelqu’un d’autre !…). Ses aigus sont certes moins lumineux qu’il y a une décennie… mais de quel ténor ne le peut-on dire, dès lors que le temps passe ? Et puis « faire du Alagna », c’est quoi ? Un engagement sans triche, une passion qu’il communique, un médium aujourd’hui plus plein sur lequel sa voix solide et toujours solaire s’appuie virilement. Certes, il aime tellement certaines notes qu’il ne veut pas les lâcher, y ajoutant des trémolos bien inutiles… mais quelle présence et ce timbre somptueux et toujours préservé ! 

Magnifique incarnation scénique de Scarpia par le grand Bryn Terfel également, avec des nuances de tendresse perverse dans le désir charnel, comme le chat jouant amoureusement avec la souris, avant de se glisser comme un félin derrière sa proie, en la humant et en étant sûr de la tenir entre ses griffes au momnet où Tosca répond favorablement à ses exigences… Rôle redoutable, terrible, presque basse puis baryton, il chante d’abord vaillamment avec un orchestre déchaîné et tutti des chœurs au premier acte ; il a la chance que la cheffe, à ce moment-là, étale la belle étoffe d’un Orchestre Philharmonique de Nice (que l’on a cependant connu plus en forme… surtout du côté des violoncelles…), sans étouffer les chanteurs mais, dans le second, le grossissement orchestral tempétueux et un tempo plus lent, qui sera aussi une gêne pour les autres interprètes, opposent une barrière insurmontable à ses aigus, réduisant ce grand chanteur wagnérien presque au silence.

Sans oublier les remarquables Chœurs conjugués de l’Opéra Grand Avignon et des Chorégies d’Orange (préparés par Pierre-Louis Bonamy), on saluera la haute tenue du reste de la distribution, Carlos Natale en Spoletta, tandis que Jean-Vincent Blot prête sa grande voix héroïque à Angelotti. Le nîmois Marc Barrard campe un sacristain veule et vile à souhait, Jean-Marie Delpas campe un bon comparse, alors que la soprano Galia Bakalov offre un vrai moment de grâce vocale avec la chanson du Berger au début du III.

Moins d’une semaine après sa triomphale direction de l’Orchestre National de Montpellier Occitanie (autrement mieux sonnant que leurs collègues niçois qui, à leur décharge, ont dû batailler la soirée durant contre un mistral persistant avec des bourrasques n’épargnant pas des partitions volantes…), la jeune cheffe italienne Clelia Cafiero renouvelle notre enthousiasme. La voir diriger est un réel bonheur, tant sa direction souple et “calligraphique” est un plaisir de tous les instants, d’autant que cette grâce est alliée à une force et à une maîtrise assez incroyables, rattrapant avec panache les moments d’errance d’une phalange visiblement déstabilisée… mais sans qu’il y ait de quoi gâcher la joie d’un public qui n’a certes pas boudé son plaisir en faisant un énorme triomphe à l’ensemble de équipe artistique !

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CRITIQUE, festival. CHOREGIES D’ORANGE, Théâtre Antique, le 22 juillet 2024. PUCCINI : Tosca (en version semi-scénique). Aleksandra Kurzak, Roberto Alagna, Bryn Terfel… Orchestre Philharmonique de Nice / Clelia Cafiero (direction). Photos (c) Philippe Gromelle.

 

VIDEO : Roberto Alagna chante l’air « E lucevan le stelle » dans « Tosca » aux Chorégies d’Orange 2010

 

OPÉRA DE DIJON. Nouvelle saison 2024 – 2025 : Temps forts, créations, nouveautés, opéras, théâtre musical…

La nouvelle saison de l’Opéra de Dijon s’annonce aussi captivante que la précédente, son directeur général DOMINIQUE PITOISET – dont le travail nous avait tant convaincu dans une Tosca dramatiquement et (vocalement) très maîtrisée – a concocté un nouveau cycle lyrique et musical digne de la capitale bourguignonne. A l’ample salle de l’Auditorium dijonnais répond une offre diverse, exigeante… et engagée (c’est la marque du Directeur !), promesse de prochains instants mémorables voire miraculeux.

 

Le public répond à l’offre très complète de l’Opéra de Dijon, en particulier pour ces nombreux événements dont REQUIEM(S), nouveau ballet de la Compagnie Ballet Preljocaj (une seconde date a été programmée au regard de la demande immédiate, soit lundi 12 mai 2025, en plus du mardi 13 mai) – la relecture des grandes œuvres sacrées semble inspirer à Dijon de somptueuses réalisations… on se souvient de la Passion selon Saint-Jean, la saison passée, production inoubliable dans la version de Leonardo Garcia Alarcon où danse, instruments historiques et chant baroque créaient la magie…

 

Consultez ici la brochure en ligne :
http://opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-24-25/

 

Illustration : © Gilles Aillaud pour l’Opéra de Dijon, saison 2024 – 2025

 

 

 

 

4 OPÉRAS MAISON

La saison lyrique proprement dite affiche 4 productions façonnées, réalisés par l’Opéra de Dijon (et ses ateliers) ; elle s’ouvre ainsi avec une rareté baroque, L’UOMO FEMINA du vénitien Baldassare GALUPPI (7 et 9 nov 2024)Agnès Jaoui met en scène ce drame qui rebat les cartes des genres : l’île dont il est question est dominée par les femmes ; et les hommes y sont soumis, coquets voire craintifs ; des femmes masculines et dominatrices, des hommes efféminés… la fable du XVIIIe siècle étonnamment moderne donne à méditer sur les rôles que la société attribue à l’un et l’autre genre. PLUS D’INFOS : http://opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-24-25/l-uomo-femina/

Puis le début d’année 2025 est marqué par un spectacle prometteur Le CHÂTEAU DE BARBE BLEUE de Béla BARTÓK (11 et 12 janvier 2025) dans la mise en scène du directeur des lieux, Dominique Pitoiset, avec la Judith d’Aude Extrémo… par l’Orchestre Français des Jeunes (Kristina Poska, direction). Barbe-Bleue aime-t-il assez sa 4ème épouse, Judith, pour la laisser ainsi pénétrer son intimité la plus inavouable ? A travers les portes du château qu’ouvre Judith, l’homme s’expose, se dévoile dans une mise à nu qu’exige le véritable amour… En choisissant en prélude, les sublimesMétamorphosesde Richard Strauss (sommet pour orchestre de cordes), Dominique Pitoiset révèle les traumatismes originels de Barbe-Bleue ; il remonte jusqu’aux sources de sa barbarie viscérale, dont il est lui-même la première victime… production événement.
PLUS D’INFOS : http://opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-24-25/le-chateau-de-barbe-bleue/

Inusable, miroir d’une société bourgeoise hypocrite et jouissive qui sacrifie les femmes, LA TRAVIATA de VERDI (1852) est à l’affiche de l’Opéra de Djon, les 9 puis 15 février 2025. Dans le rôle-titre (Violetta Valéry) : Melody Louledjian… et l’Orchestre Dijon-Bourgogne, sous la direction de la cheffe d’orchestre et cheffe associée de l’Opéra de Dijon, Débora Waldman. Débora avait dirigé la fameuse Tosca si convaincante dans la mise en scène de Dominique Pitoiset, la saison passée, affirmant un sens du drame captivant dans des respirations amples et dramatiquement ciselées. Mise en scène : Amelie Niermeyer.
PLUS D’INFOS : http://opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-24-25/la-traviata/

Dernière production de la saison 24 – 25, l’opéra romantique français absolu, LES PÊCHEURS DE PERLES de BIZET (19 et 23 mars 2025) dans la mise en scène de Mirabelle Ordinaire, metteuse en scène familière du Metropolitan Opera de New York. Comment le jeune compositeur parisien de 25 ans, qui n’a jamais quitté son 9ème arrondissement, a-t-il pu réussir cet opéra orientaliste d’un charme irrésistible dont l’action se déroule dans une communauté de pêcheurs à Ceylan…? La mise en scène mêle comme un exotisme propre à l’époque de Bizet, le nouvel Opéra de Paris dessiné, conçu par Charles Garnier et l’action des pêcheurs de perles dont Nadir et Zurga, amis depuis l’enfance, qui aiment la même jeune femme, fille du Brahmane, l’irrésistible Leïla… Le Ceylan rêvé de Bizet se fond dans les marbres et bronzes dorés du palais lyrique propre aux fastes du Second Empire… Avec Claire Antoine (Leïla), Julien Dran (Nadir), Philippe-Nicolas Martin (Zurga)… Nouvelle production de l’Opéra de Dijon – Décors et costumes réalisés par les ateliers de l’Opéra de Dijon – Illustration © Gilles Aillaud

PLUS D’INFOS : http://opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-24-25/les-pecheurs-de-perles/

 

Illustration : © Gilles Aillaud pour l’Opéra de Dijon, saison 2024 – 2025

 

 

ESSOR DE LA DANSE

La nouvelle saison 2024 – 2025 de l’Opéra de Dijon laisse une place de choix à la danse et à la créativité chorégraphique. Pas moins de 7 spectacles créent l’événement : tous incontournables.

Ainsi comme conclusion d’une saison éblouissante, entre opéras, vertiges symphoniques et danse, le ballet d’Angelin Preljocaj précité, est finalement à l’affiche pour 2 dates incontournables les 12 et 13 mai 2025 : REQUIEM(S) ; les 19 danseurs réalisent une troublante méditation sur la mort et donc le sens même de la vie… (musiques de G.Ligeti, W.A.Mozart, System of a Down, J-S.Bach, H.Guonadottir, Chants médiévaux (anonymes), O.Messiaen, G.F Haas, J.Jóhannsson, 79D,…).
PLUS D’INFOS : http://opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-24-25/requiem-s/

Auparavant, avant ce final Preljocaj en apothéose, pas moins de 6 autres propositions vous attendent à l’Auditorium de l’Opéra de Dijon…. parmi les spectacles incontournables citons : en ouverture, le Ballet National de Marseille – direction : (La)HORDE, le 19 sept 2024 : au programme, un cycle de 4 chorégraphies diverses et complémentaires, signées Childs, Carvalho, Lasseindra, Doherty…
PLUS D’INFOS ici : http://opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-24-25/childs-carvalho-lasseindra-doherty/

Pour les fêtes de fin d’année, rien de mieux qu’un bon CASSE-NOISETTE, musique de Tchaïkovksy, les 6 et 7 déc 2024 – nouveau dispositif scénique et multimedia conçu par Alexandra Dariescu (à partir de 5 ans).
PLUS D’INFOS : http://opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-24-25/casse-noisette-et-moi/

Début d’année nouvelle 2025 avec le fracassant « CONTRE-NATURE », nouvelle création de Rachid Ouramdane (15 janvier 2025) – Dans le prolongement du précédent ballet ici même à Dijon, « Corps extrême » (2022), Rachid Ouramdane approfondit son questionnement sur le geste aérien, comme en apesanteur. Sur un gigantesque fond de brume, parfois sculptés par la lumière, 10 interprètes « hétéroclites », artisans voire orfèvres du geste et de l’espace réinventent sous la direction du bouillonnant chorégraphe, une nouvelle grammaire de l’instant et du mouvement…
PLUS D’INFOS ici : http://opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-24-25/contre-nature/

Le 20 février 2025, place au style métissé, électrisant de la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin qui met en scène outre ses danseurs (en provenance de Johannesburg), la chanteuse Camille, complice de longue date, aux côtés du talentueux chœur zoulou des Phuphuma Love Minus… Concert-performance, spectacle inclassable, la soirée intitulée « Camille, Robyn Orlin & Phuphuma Love Minus » entonne un plaidoyer riche et sincère pour un monde humain plus respectueux des ressources naturelles, dont surtout l’eau…
PLUS D’INFOS ici : http://opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-24-25/camille-robyn-orlin/

Le 5 avril 2025, vous ne manquerez pas non plus « Naharin’s Virus », pièce créée en 2021, signée du chorégraphe israélien Ohad Naharin. Déconstruction, transe passagère, scène iconoclaste… le ballet repousse les limites d’un ballet traditionnel : réflexion, surprise, questionnement sont de mise, miroirs d’un imaginaire critique et impertinent d’Ohad Naharin. Incontournable.
PLUS D’INFOS ici : http://opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-24-25/naharin-s-virus/

Enfin, génie baroque à juste titre demeuré célèbre, Antonio Vivaldi transporte, subjugue, déconcerte par sa franchise et la fulgurance de son imaginaire poétique… En témoigne le 15 avril 2025, ses Quatre Saisons jouées par le collectif sur instruments d’époque, Gli Incogniti et la violoniste Amandine Beyer, lesquels ont comme Fabio Biondi en son temps, régénéré l’interprétation et donc les clés de compréhension de la partition vivaldienne. Compléments indispensable sur scène, les danseurs des deux chorégraphes ainsi associés, Anne Teresa De Keersmaeker et Radouan Mriziga présentent leur nouvelle création : engagée, puissante, jaillissante car enchantée. Vivaldi célèbre dans les Quatre saisons un équilibre miraculeux qui est aujourd’hui menacé, du fait du dérèglement climatique. Le spectacle présenté en création interroge notre capacité à recouvrer un lien vital, salvateur avec la Nature… Incontournable.
PLUS D’INFOS : http://opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-24-25/les-quatre-saisons-antonio-vivaldi/

 

 

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TEASER vidéo de la nouvelle saison 2024 – 2025 de l’Opéra de Dijon

 

 

ILLUSTRATIONS : toutes les illustrations de la nouvelle saison de l’Opéra de Dijon sont signées Gilles Aillaud- comme l’enjeu et le sens du concert des Quatre saisons présenté ci dessus, les visuels de Gillas Aillaud interroge l’enfermement des animaux, la fragilité des sites naturels…

 

CONSULTEZ ici sur le site de l’Opéra de Dijon, la programmation opéras 2024 et 2025http://opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-24-25/op%C3%A9ra

 

 

 

 

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CHEFS. Benjamin LEVY reconduit comme directeur musical de l’Orchestre national de Cannes jusqu’en juin 2026.

L’Orchestre national de Cannes confirme la prolongation de Benjamin Lévy au poste de directeur musical jusqu’à la fin de la saison 2025 / 2026 (soit jusqu’en juin 2026). Pendant près d’une décennie, Benjamin Levy qui a pris ses fonctions en 2016, aura participé à moderniser l’image de l’Orchestre auprès des publics azuréens, et à faire rayonner la ville de Cannes et la Région SUD au-delà de ses frontières.

 

En janvier 2022, l’Orchestre National de Cannes (ONC) obtenait le label d’ « Orchestre National en région ». Cette reconduction permettra à l’Orchestre de célébrer ses 50 ans d’existence avec Benjamin Lévy, tout au long de sa saison anniversaire.

 

Crédit photo : L’Orchestre de Cannes et Benjamin Levy / © Yannick Perrin / ODC

 

LIRE notre dépêche de 2016 au moment de la nomination de Benjamin Levy au poste de directeur musical de l’Orchestre régional de Cannes alors : https://www.classiquenews.com/chefs-benjamin-levy-nomme-directeur-musical-de-lorchestre-regional-de-cannes/

 

CHEFS. Benjamin Lévy, nommé directeur musical de l’Orchestre Régional de Cannes

 

CRITIQUE, festival. AIX-EN-PROVENCE, Grand-Théâtre de Provence, le 21 juillet 2024. MOZART : La Clemenza di Tito. P. Pati, K. Deshayes, M. Crebassa, L. Desandre… Ensemble Pygmalion / Romain Gilbert / Raphaël Pichon.

Le millésime 2024 du Festival d’Aix-en-Provence devait être couronné par deux luxueuses versions de concert : La Clemenza di Tito de W. A. Mozart, d’une part, Les Vêpres siciliennes de Giuseppe Verdi, de l’autre. Des problèmes financiers ont contraint au report de la seconde des deux productions, mais la première est demeurée, sans doute parce qu’il s’agissait du seul opéra de Mozart présenté dans un festival qui s’est historiquement construit autour de la figure du génie lyrique et dramatique. Sur le papier, la distribution était plus que prometteuse ; sur scène, elle a très généreusement récompensé les espoirs de ceux qui avaient jeté leur dévolu sur les dernières soirées du festival, plutôt que sur les premières.

 

 

 

Les artisans de cette réussite sont d’abord Raphaël Pichon et les musiciens de Pygmalion. Le chœur n’est pas l’élément essentiel de la Clemenza, mais chacune de ses interventions se place sous le sceau de l’évidence : dynamique des nuances, diction d’une précision millimétrée, comme si les mots émanaient d’une seule bouche. L’orchestre n’est pas en reste, suivant les tempi du chef (qui paraît monté sur ressorts) avec une souplesse toute féline, et cela dès l’ouverture. Les premiers accords, aussi énigmatiques que solennels, plantent le décor, soutenus par des timbales d’un irrésistible rebond. Dès que la musique s’élance, on admire d’abord les cordes électriques mais chaleureuses, qui font bientôt place à des bois veloutés, et à des cuivres brillants, qui conservent toutefois leur belle rondeur ; le pianoforte de Pierre Gallon achève de colorer la pâte orchestrale avec une grande inventivité, assurant souvent aussi les transitions (par exemple lorsqu’il introduit le motif du duo amoureux Annio-Servilia juste avant l’aveu de Servilia à Titus).

La pulsation qu’imprime le chef à l’œuvre est alerte, n’abandonnant jamais le drame malgré le statisme de l’opera seria. Elle sait aussi se faire pure émotion, dans les arie qui dépeignent l’âme tourmentée des protagonistes. Les silences éloquents que le chef introduit dans les airs de Sesto ou Vitellia et les étirements qu’il imprime parfois à la ligne mélodique vont peut-être au-delà du raisonnable, mais la passion a souvent ses raisons que la raison ne connaît point… Dernière innovation, le chef place en prélude au deuxième acte le bref et mélancolique adagio tiré de la pantomime Pantalon und Colombine (déjà enregistré sur le disque consacré aux sœurs Weber avec Sabine Devieilhe).

 

 

Profitant de cet orchestre sous haute tension, les chanteurs et chanteuses se surpassent, à commencer par celles qui bénéficient déjà d’une expérience du rôle. C’est le cas de Lea Desandre, divine mozartienne variant les reprises avec art : on ne peut que rendre les armes devant cette diction mordante, ce naturel confondant, cette voix aux éclats mordorés qui rayonne dans tous les ensembles (par exemple dans le sensuel duettino avec Sesto « Deh, prendi un dolce amplesso », où les voix se marient admirablement). Emily Pogorelc connaît bien le rôle de Servilia qu’elle a déjà chanté à Copenhague. Dotée d’un timbre séduisant en diable, la jeune artiste se montre pleine de promesses, notamment dans un beau « S’altro che lacrime » malgré quelques délicatesses d’intonation, sans doute dues au trac.

C’est toutefois une Marianne Crebassa littéralement incandescente qui a sidéré le public du Grand Théâtre de Provence. Voilà plus de huit ans qu’elle a enregistré le magnifique air de Sesto « Parto, ma tu ben mio », rôle qu’elle a aussi interprété sur scène à plusieurs reprises (Paris et Salzbourg). Dimanche soir, à Aix, elle y était proprement renversante : timbre dardé, d’une intense vibration, grave abyssal et moiré (aussi dans le superbe récitatif accompagné qui précède l’incendie du Capitole), raffinement insensé des nuances, qu’elle partage avec la clarinette de basset jouée à l’avant-scène par Nicola Boud, présence qui fait totalement oublier la version de concert et aimante le public. Il se trouve qu’un spot a explosé au beau milieu de l’air, provoquant une détonation proche de celle d’une arme à feu : devant une assistance médusée et encore incertaine de ce qui venait de se produire, Marianne Crebassa (et les musiciens avec elle) a poursuivi sans ciller, lançant deux étreignants « Guardami » entrecoupés de silences qui ont paru une éternité. Et alors que tout le monde retenait encore son souffle, la chanteuse a déployé le sien, intact, et attaqué les dernières pyrotechnies de l’air sans trembler, laissant une salle en délire au moment de quitter la scène – avant d’être rappelée par le chef, devant l’impossibilité de continuer. Tout le reste de la prestation était de la même eau, ou plutôt de la même lave en fusion.

Face à un niveau d’incarnation aussi renversant, les deux prises de rôle attendues pâlissent nécessairement un peu, quoiqu’elles restent d’un très haut niveau. Pene Pati était sans doute le chanteur du plateau le moins à l’aise avec la vocalité mozartienne, bien qu’il ait déjà chauffé son bois à la virtuosité de Mithridate. Mais ce n’est pas dans les vocalises encore un peu instables qu’il faut chercher la singularité de cette interprétation (que le chanteur aura le temps de polir), mais paradoxalement dans sa fragilité : son Titus est un empereur sensible avant d’être puissant, conformément au livret qui a à cœur de promouvoir d’autres vertus que les vertus héroïques traditionnelles, qui sont souvent des vertus brutales. Le soleil du timbre, que l’on connaît, se voile donc d’une certaine mélancolie, que l’on entend dès « Del più sublime soglio », presque murmuré (au risque du détimbrage) et que l’on retrouvera dans le récitatif de la confrontation avec Sesto. Sans doute les admirateurs du ténor n’y retrouveront-ils pas tout à fait ce qu’ils aiment chez lui, mais son incarnation n’en reste pas moins attachante par le refus du brillant et la recherche de voies plus subtiles.

L’autre prise de rôle était celle de Karine Deshayes, qui étrennait à Aix sa première Vitellia. On sait combien l’ambitus du rôle écartèle la voix d’un grave d’outre-tombe à un aigu foudroyant. La tessiture de la chanteuse se rapproche de celle rêvée par Mozart, sans l’atteindre tout à fait dans le bas du registre. Karine Deshayes n’en affronte pas moins glorieusement le rôle, dont elle incarne brillamment la jalousie furieuse : le timbre est toujours éclatant, la voix homogène et parfaitement menée, les variations dans la reprise de « Non più di fiori » sobres et élégantes, répondant parfaitement au chant du cor de basset (Nicola Boud toujours). De futures représentations lui permettront sans doute de libérer davantage son interprétation. Pour être complet, il faut encore signaler l’excellent Publio de Nahuel di Pierro, même si le rôle ne lui permet pas de donner toute la mesure de son talent.

En somme, cette soirée transcendante, marquée par la prestation de Marianne Crebassa, a constitué pour moi une fin de Festival en apothéose. Avis aux amateurs d’émotions fortes : la soirée se podcaste sur France Musique…

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CRITIQUE, festival. AIX-EN-PROVENCE, Grand théâtre de Provence, le 21 juillet 2024. MOZART : La Clemenza di Tito. P. Pati, K. Deshayes, M. Crebassa, L. Desandre… Ensemble Pygmalion / Romain Gilbert / Raphaël Pichon. Photos (c) Vincent Beaume.

 

VIDEO : Marianne Crebassa chante l’air « Parto, parto » dans « La Clemenza di Tito » de Mozart

 

CRITIQUE, danse. VAISON-LA-ROMAINE, 28ème édition de Vaison Danse, Théâtre Antique (le 20 juillet 2024). « Les Italiens de l’Opéra » : Gala de danse avec les Etoiles et Premiers Danseurs (Italiens) de l’Opéra National de Paris.

Artisans d’excellence, les danseurs du Ballet de l’Opéra National de Paris – ici tous italiens (la soirée est intitulée « Les Italiens de Paris« , d’après une idée d’Alessio Carbone, Premier danseur dans le Ballet de l’Opéra National de Paris) – créent en première mondiale « Unfolding », sur une chorégraphie signée Simone Valastro, pièce brillante et précise où brille l’élégance de la danseuse étoile Ludmila Palgiero, toute en complicité avec Jack Gasztowtt. C’est assurément le temps fort de cette soirée éclectique qui souligne à quel point la maîtrise des danseurs parisiens s’affirme naturelle quel que soit le style et les effectifs.

 

 

On avait applaudi précédemment le même duo dans la sublime Méditation de Thaïs (sur la musique de Jules Massenet en début de soirée (dans la chorégraphie sobre et subtile de Roland Petit). Ce qui devait être une expérience unique et passagère, initiée en 2016 par Alessio Carbone, est devenu une « troupe » régulière, comptant ainsi sa huitième année d’activité à l’été 2024) : « Les Italiens de l’Opéra de Paris » performent ainsi, chaque année, dans un cycle diversifié qui mêle genres et styles contrastés… preuve que la dizaine d’artistes ici retenue est d’une saisissante versatilité technique, aussi à l’aise dans le répertoire « classique » que « contemporain ».

Toujours s’affirme à travers la diversité des tableaux, une étonnante cohésion collective. Légèreté, précision, synchronicité, jusqu’à l’expression de chaque visage en situation… aucun doute, dans une variété équilibrée de séquences idéalement rythmées, les Italiens confirment l’excellence de l’école de danse parisienne. Le cycle est tout autant enrichi de défis contemporains tels Les Bourgeois (sur une chorégraphie de Ben Van Cauwenberg), Les Indomptés (signés Claude Brumachon), ou encore Appointed Rounds par Simone Valastro. Argument et non des moindres, se joint aussi une seconde étoile (et très récente… depuis le 24 mars dernier !) dans cette dernière pièce : Bleuenn Battistoni (que l’on avait préalablement admiré dans Don Quichotte de Leon Minkus, avec Francesco Mura comme partenaire).

 

 

Bien que varié, le programme – présenté ici sous la forme d’un gala – fait la part la plus belle à plusieurs pièces emblématiques du répertoire classique (comme La fille mal gardée de Ferdinand Hérold, Le Corsaire sur une chorégraphie de Marius Petipa, ou ce Don Quichotte chorégraphié par le légendaire Rudolf Nureev…) ; il intègre aussi cette année deux pièces du danseur et chorégraphe Simone Valastro… le déjà connu Appointed Rounds (brillamment exécuté par cinq danseurs) et la création, en première mondiale, de Unfolding sur une musique hypnotique de John Adams. Et non moins hypnotique est la « folle danse » finale qui voit tous les artistes défiler les uns après les autres pour faire montre de tout leur talent dans des soli ébouriffants de virtuosité… ce dont le public (venu en nombre) paraît friand, car il multiplie rappels et clameurs !

 

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CRITIQUE, danse. VAISON-LA-ROMAINE, 28ème édition de Vaison Danse, Théâtre Antique (le 20 juillet 2024). « Les Italiens de l’Opéra » : Gala de danse avec des Etoiles et Premiers Danseurs (Italiens) de l’Opéra National de Paris. Photos (c) Stéphane Renaud.

 

VIDEO : « Les Indomptés » de Claude Brumachon

 

 

 

TEASER VIDEO : « Les Italiens de l’Opéra » !

 

CRITIQUE, festival. AIX-EN-PROVENCE, Théâtre du Jeu de Paume, le 20 juillet 2024. MONTEVERDI : Il Ritorno d’Ulisse in patria. J. Brancy, D. Johnny, M. Flores, A. Rosen, P. A. Bénos-Djian, P. Nekoranec… Cappella Mediterranea / Pierre Audi / Leonardo García Alarcón.

 

En 1990, alors qu’il dirige l’opéra d’Amsterdam depuis deux ans, Pierre Audi travaille pour la première fois lui-même à une mise en scène : il s’agit du Retour d’Ulysse en sa patrie. 34 ans plus tard, désormais à la tête du Festival d’Aix-en-Provence, il décide de remettre l’œuvre sur le métier afin de compléter la trilogie Monteverdi commencée par Leonardo García Alarcón avec sa Cappella Mediterranea. Je n’ai pas pu voir la mise en scène de 1990, dont il existe un DVD (une reprise plus tardive, publiée chez Opus Arte), mais les images et les courts extraits que l’on peut trouver sur la toile laissent penser que le metteur en scène a repris son travail à zéro. Et pourtant l’esthétique générale du spectacle, à laquelle a également œuvré Urs Schönebaum, rappelle celle des dernières décennies du XXe siècle, avec ses symétries et ses formes simples (le triangle d’ombre au beau milieu de la scène, dessiné par les lumières jouant avec les deux vastes parois qui servent de tout décor), ses couleurs froides et métalliques, ses costumes stylisés à mi-chemin entre une Antiquité rêvée et la Guerre des étoiles, et l’usage d’un long néon blafard pour symboliser l’intervention des dieux dans l’intrigue – sans parler d’une étrange feuille d’aluminium froissée en suspension. Cette scénographie, dont la réussite visuelle est parfois discutable, malgré quelques beaux tableaux (les corps enchevêtrés du prologue, les prétendants disposés en triangle (eux aussi !) autour de l’objet de leur convoitise…), est toutefois habitée par une direction d’acteurs clairvoyante, qui sait faire palpiter la chair et sourdre les émotions.

 

 

J’ai donc vite oublié la relative froideur de cette vision pour me concentrer sur le drame, animé par une enthousiasmante distribution. Le sang coule en effet à vive allure dans les veines des personnages pleinement incarnés par des chanteurs et des chanteuses d’une radieuse jeunesse, et qui savent pourtant éviter l’écueil de l’inexpérience. La famille royale d’Ithaque est merveilleusement appariée. Première à entrer en scène, Deepa Johnny chante les douleurs de Pénélope (« Di misera Regina ») d’une voix aussi moirée que sa robe, homogène et superbement timbrée, doublée d’un port de reine. Elle traverse la totalité de l’opéra de sa silhouette tragique et noble sans jamais perdre de vue la beauté d’un chant blessé, jusqu’au soulagement final, d’autant plus émouvant qu’il est retardé. Son Ulysse, John Brancy, est tout aussi magnétique, et ce dès son monologue « Dormo ancora, o son desto ? », à mes oreilles l’un des sommets poétiques de l’œuvre, qui met directement dans le mille. Malgré sa jeunesse, il se dégage de lui une autorité naturelle, à la fois physique et vocale, et parfois même quelque chose d’animal, qui sied bien au personnage ballotté par les flots et les dieux, bête traquée désespérant d’aborder jamais sur l’île. Télémaque (Anthony León) apparaît comme le digne fils de son père, plein d’une fougue encore juvénile et déjà plein de promesses. Du côté des dieux, on semble descendre directement de l’Olympe. La Minerve de Marianna Flores (qui chante aussi Amore) darde sa voix tranchante comme si c’était l’un des foudres de son père Zeus. Ne cherchant pas la beauté mais l’autorité de l’impérieuse déesse, elle a presque quelque chose de surhumain dans sa façon de chanter la musique extrêmement virtuose composée par Monterverdi pour ce rôle (« Fiamma è l’ira »). Alex Rosen campe quant à lui dès le prologue une effrayante allégorie du Temps, écrasant de son poids la Fragilité humaine, avant d’incarner un Neptune tout aussi menaçant à l’égard d’Ulysse : voix de bronze, présence souveraine.

 

 

À l’opposé de l’échelle sociale, les personnages « bas » sont adéquatement interprétés. Mark Milhofer est un Eumete d’une touchante humanité, tandis que Marcel Beekman dessine un Iro proprement shakespearien (dont le metteur en scène sait tirer l’effet maximal) : excessif, souvent ridicule, parfois inquiétant. Giuseppina Bridelli (Melanto) et Joel Williams (Eurimaco) forment également un couple attachant, même si le timbre voluptueux du ténor incarne mieux l’hédonisme des deux amants. Les trois prétendants rivalisent de séduction physique et vocale. Alex Rosen, déjà évoqué, est l’un d’entre eux, toujours impérial. Paul-Antoine Bénos-Djian, qui prêtait déjà son expressivité intense et sa voix vibrante (avec des attaques parfois imprécises) à la Fragilité humaine, est un Anfinomo enjôleur. Le trio est complété par le Pisandro tout en muscles et d’une santé vocale débordante de Petr Nekoranec.

La vie intense qui coule du plateau est aussi l’œuvre de Leonardo García Alarcón et des seize musiciens de sa Cappella Mediterranea. Je suis incompétent pour commenter les choix musicologiques et la rigueur du travail de réinvention d’une partition conservée réduite peu ou prou à la notation des lignes vocales et de la basse. Mais dans l’écrin idéal du Théâtre du Jeu de Paume, les choix faits par le chef et ses assistants sonnent merveilleusement : la musique y est chamarrée, diaprée de couleurs vives et variées. L’utilisation de trois trombones et de deux cornets à bouquin participe de cette image sonore chatoyante, notamment dans les superbes ritournelles orchestrales. Les trombones servent aussi à évoquer l’autre monde, l’Olympe, avec des effets quasi wagnériens à l’entrée de Neptune et Jupiter. Les musiciens savent aussi bien exprimer la douleur infinie de Pénélope par un dénuement tragique (deux violes de gambe et une contrebasse, râpeuses et obstinées, résonnent au moment où commence son histoire), comme l’exaltation d’Ulysse apprenant qu’il va retrouver Télémarque (« O fortunato Ulisse »). Que de beautés dans le ciel d’Ithaque ce soir-là !

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CRITIQUE, festival. AIX-EN-PROVENCE, Théâtre du Jeu de Paume, le 20 juillet 2024. MONTEVERDI : Il Ritorno d’Ulisse in patria. J. Brancy, D. Johnny, M. Flores, A. Rosen, P. A. Bénos-Djian, P. Nekoranec… Cappella Mediterranea / Pierre Audi / Leonardo García Alarcón. Photos (c) Ruth Walz.

 

VIDEO : « Prélude » au « Retour d’Ulysse dans sa patrie » de Monteverdi selon Pierre Audi au Festival d’Aix-en-Provence

 

CRITIQUE, concerts. 53ème FESTIVAL DE SAINTES : Abbaye aux Dames (le 18 juillet) et Cathédrale Saint-Pierre (le 19 juillet). VIVALDI par Hervé Niquet et Le Concert Spirituel (le 18) / BRUCKNER par Philippe Herreweghe et L’Orchestre des Champs-Elysées (le 19).

 

Depuis 1972, le Festival de Saintes est un rendez-vous incontournable pour tous les amateurs de musique ancienne, mais il s’est également étendu – depuis quelques années et sous l’impulsion de Philippe Herreweghe (directeur artistique de la manifestation saintongeaise de 1982 à 2002) – à la musique romantique. Ainsi, après un premier concert (le 18 juillet) à l’Abbaye aux Dames consacré entièrement à Antonio Vivaldi, et dirigé par Hervé Niquet à la tête de son Concert Spirituel, c’est le grand Philippe Herreweghe que l’on retrouvait le lendemain, à la Cathédrale Saint-Pierre (de l’autre côté du fleuve Charente), pour la grand-messe que constitue toute interprétation d’une Symphonie d’Anton Bruckner, surtout quand il s’agit de la plus monumentale et grandiose de toutes… la Huitième (quand bien même dans sa version primitive de 1887, moins spectaculaire que sa révision de 1890…).

 

 

Le premier soir, place au Maître des lieux (puisque Hervé Niquet avait été nommé à la direction artistique du Festival pour un mandat de deux ans qui finit avec cette édition 2024, tandis que la célèbre violoncelliste Ophélie Gaillard reprendra le flambeau pour les moutures 2025 et 2026…) -, pour une célébration du Prêtre Roux dans des ouvrages “historiquement informés”, comme il l précisera au cours de ses nombreuses (et habituelles) interventions (avec des pointes d’humour qui n’appartiennent qu’à lui !….) entre les différents ouvrages (essentiellement vocaux) retenus ici. En l’occurrence, des oeuvres exclusivement  écrites par le compositeur vénitien pour les jeunes filles orphelines recueillies (et éduquées en vue de futurs mariages…) à l’Ospedale della Piètà, dont il était le maître de musique. Il y disposait de deux choeurs et de deux orchestres (uniquement à cordes) féminins, pour lesquelles il a composé notamment ses plus belles pièces de musique sacrée, à l’instar des fameux Gloria (RV 589) et Magnificat (plus quelques Psaumes…), repris ce soir sous les majestueuses voûtes en plein cintre de l’abbaye romane. Débarrassés ici de ses cuivres intempestifs (tel qu’on les trouve dans la plupart des enregistrements discographiques de ces deux ouvrages), ils retrouvent ce soir leur saveur originelle, avec deux choeurs féminins (2X10) se faisant face (et donc sans solistes non plus…), tandis qu’un orgue positif, un luth et un théorbe séparent les deux ensembles de cordes (2X9) disposés devant les deux choeurs placés de part et d’autre du transept. 

Le résultat final fait que le Gloria et le Magnificat ne sont plus des opéras “déguisés”, illuminés par de brillants solistes, et là où on a l’habitude de soli qui prennent leur temps, le Concert Spirituel adopte une marche plus nonchalante (« Et in terra pax hominibus », « Domine Deus ») ; là où notre oreille attend du grandiose ou de l’énergique, les musiciens adoptent au contraire une intensité retenue (introduction et « Propter magnam gloriam » dans le Gloria, « Fecit potentiam » et « Suscepit Israel » dans le Magnificat par exemple…). Le résultat fait également entièrement honneur aux nombreuses qualités expressives de la partition, tout en ramenant les auditeurs au plus près du rendu original de ces œuvres (dans le cadre du culte). Excellent, le double choeur ne manque ni de richesse en termes de timbres, ni de clarté dans la diction et l’agilité… et fait le bonheur d’un public qui s’est massé jusque le long des parois latérales et dans le choeur de l’Abbatiale, adressant une belle clameur aux artistes… visiblement tout aussi heureux !

 

 

Le lendemain, autre ambiance et autre répertoire à la cathédrale Saint-Pierre, dont le clocher est comme un phare dans l’ancienne ville romaine. Et c’est cette fois la musique romantique d’Anton Bruckner – dont Philippe Herreweghe s’est fait l’un des champions (tout spécialement sur instruments d’époque… et ce depuis au moins 20 ans  !) – qui retentit sous les ogives croisées de l’église gothique. A la tête de l’Orchestre des Champs-Elysées, cette lecture de la 8ème symphonie (dans sa version primitive de 1887) de Bruckner prend sa source dans Beethoven, Brahms et Schubert : elle respire un parfum des campagnes de Haute-Autriche, avec ses paysans bourrus qui festoient après de rudes labeurs dans des champs. La pâte orchestrale de la phalange parisienne se fait volontairement rugueuse, mais elle frappe surtout par la lenteur de son tempo qui, sans atteindre aux langueurs celibidachiennes, n’en oublie pas moins la nécessaire verticalité d’un discours alliant puissance et lumière, grandeur et méditation, se construisant patiemment pas à pas, avec une attention particulière aux détails d’une orchestration pléthorique.

Empreinte d’un intense sentiment d’attente et de mystère, riche en nuances dynamiques, l’Allegro initial précède un Scherzo porté par une progression implacable scandée par les vents et les timbales encadrant un Trio aux tournures sylvestres pleines de mystère (cor et harpe). L’Adagio solennel, douloureux et touchant dans son dépouillement (harpe), sublime et tendu par sa lenteur habitée (cors, legato des cordes) prend place avant un Finale monumental qui trouve son climax dans une coda qui verra, au terme du voyage, s’ouvrir les portes du Paradis, achevant triomphalement ce magnifique interlude brucknérien. Un public aux anges fait un triomphe au fondateur du festival et à ses excellents instrumentistes – et vivement donc un nouvel opus symphonique de Bruckner à Saintes… avec les mêmes !

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Critique, concerts. 52ème Festival de Saintes : Abbaye aux Dames (le 18 juillet) et Cathédrale Saint-Pierre (le 19 juillet). VIVALDI par Hervé Niquet et Le Concert Spirituel (le 18) / BRUCKNER par Philippe Herreweghe et L’Orchestre des Champs-Elysées (le 19). Photos (c) Esteban Martin.

 

VIDEO : Hervé Niquet dirige Le Concert Spirituel dans le « Gloria » de Vivaldi

 

CRITIQUE, festival. AIX-EN-PROVENCE, Cour de l’archevêché, le 19 juillet 2024. PUCCINI : Madama Butterfly. E. Jaho, A. Smith, M. Fujimura, L. Lhote… Orchestre de l’Opéra de Lyon / Andrea Breth / Daniele Rustioni.

Pour commémorer le centenaire de la mort de Giacomo Puccini, le Festival d’Aix-en-Provence a programmé Madama Butterfly, une œuvre qui fait l’immanquable recette de la plupart des théâtres du monde. Pour un festival qui a fait de la qualité des mises en scène sa marque de fabrique, notamment en raison de répétitions plus longues qu’ailleurs, la production de l’un des piliers du grand répertoire générait nécessairement de fortes attentes. On pouvait notamment espérer d’Andrea Breth et de sa radicalité théâtrale qu’elle renouvelle le propos d’une œuvre certes influencée par l’orientalisme de l’époque, mais constituant dans le même temps une éloquente dénonciation du colonialisme – à cet égard, la bascule est due à la relecture par John Luther Long (Madame Butterfly, 1898, adapté au théâtre par David Belasco dès 1904) de la fiction de Pierre Loti (Madame Chrysanthème, 1887), qui fait passer du point de vue d’un dandy européen, chassant son ennui en épousant par dérision une ancienne geisha qu’il méprise, à celui d’un narrateur plein d’empathie pour celle qui prend l’étoffe d’une véritable héroïne tragique.

 

 

La mise en scène conçue par Andrea Breth est pourtant d’un littéralisme qui étonne et semble procéder d’un souci de fidélité absolue au livret d’origine. Tout se déroule dans la pièce principale d’une maison japonaise traditionnelle, au sol couvert de tatamis, devant deux élégants paravents laqués. La metteuse en scène ne s’autorise qu’un ajout aux didascalies du libretto : elle a en effet recours à des danseurs japonais, dont le rôle semble être de créer un contrepoint poétique aux actions des chanteurs, notamment par l’exécution de lents mouvements cérémoniels évoquant le tai-chi. Pour certains danseurs, le port de masques blancs inexpressifs, issus du théâtre Nô, accentue l’impression d’un énigmatique rituel – sans doute celui du suicide du père de Butterfly, ordonné par le Mikado, avec le même couteau que celui qui servira au sacrifice de l’héroïne. À la fin du premier acte, alors que les deux amants s’enlacent sous la nuit étoilée de Nagaski, que remplace momentanément le théâtre à ciel ouvert de l’Archevêché, ces danseurs se font aussi marionnettistes pour simuler un vol de grues, symbolisant (selon le programme de scène) « la vérité, l’amour et le bonheur ».

Dans les propos recueillis par Timothée Picard, Andrea Breth confie l’étonnement qui a été le sien quand Pierre Audi lui a proposé de mettre en scène Butterfly, opéra qu’elle associait plutôt aux retransmissions de grands airs « le dimanche après-midi, à l’heure du Kaffeekuchen » et à des interprétations « sirupeuses », avant qu’elle ne se plonge dans l’œuvre et qu’elle ne révise son jugement. Est-ce l’enthousiasme des néo-convertis qui l’a poussée à s’éloigner de la tentation d’une relecture pour revenir au livret ? L’ambiguïté principale de la démarche de la metteuse en scène me semble se situer dans son rapport au japonisme de l’œuvre. Andrea Breth affirme n’avoir pas cherché à comprendre la culture nipponne, préférant s’intéresser au fait que Puccini a composé sa musique sans s’être jamais rendu au Japon. Elle indique s’être inspirée au contraire de photographies autrichiennes datant de la fin du XIXe siècle prises au Japon, donc d’un regard médiatisé (et probablement orientaliste) sur le pays lointain et sur son étrangeté. Mais pourquoi recourir alors à l’artifice d’une maison et de costumes traditionnels ou à la tradition du nô, pourquoi engager des danseurs japonais, et même une chanteuse japonaise (Mihoko Fujimura, wagnérienne glorieuse, mais dont le temps a désuni les registres) pour incarner Suzuki ?

 

 

Si c’est surtout le rituel tragique qui intéresse la metteuse en scène, le choix d’un inquiétant théâtre de masques moins influencé par l’exotisme aurait peut-être mieux servi son propos, qui a ici tendance à disparaître derrière un beau livre d’images, qui édulcore parfois la violence de la musique et des situations dramatiques – une jeune femme orientale, ancienne prostituée, achetée par un occidental, possédée et aussitôt abandonnée. Ainsi du vol de grues, joli cliché, qui laisse penser à un fugitif moment de bonheur pour Butterfly. Mais n’aurait-il pas mieux valu exploiter alors les tensions du livret, par exemple celles qui opposent en cette fin d’acte un officier américain insistant, pressé d’épingler un délicat papillon à sa collection et ne sachant répéter que « Vieni, vieni ! » et « Sei mia ! » (au point de rappeler le prédateur Scarpia), et une très jeune femme, repoussant les assauts du séducteur, significativement absorbée dans la contemplation des étoiles dans lesquelles elle voit autant d’yeux qui la regardent ?

Il est probable que de nombreux spectateurs soient sortis de cette représentation réjouis d’avoir vu une Butterfly éternelle, devant un décor délicat et dans de beaux costumes, sans aucune provocation du type Regietheater, avec une direction d’acteurs relativement convenue en dehors des chorégraphies ritualisées des danseurs masqués (la plus belle réussite du spectacle à mon avis). D’autres aussi, dont je fais partie, auraient préféré qu’une production de ce type serve aux nombreuses soirées d’un théâtre de répertoire et qu’un festival montre plus d’audace dans la production d’une œuvre aussi souvent programmée.

Si le verre paraît parfois à moitié vide plutôt qu’à moitié plein, c’est aussi que la distribution n’était pas tout à fait à la hauteur de ce que l’on pouvait attendre. Il faut toutefois reconnaître que la moiteur d’une nuit caniculaire n’a pas dû simplifier la tâche des chanteurs enveloppés dans les riches costumes d’Ursula Rezenbrink… Certains semblent dans un mauvais soir, comme le ténor Adam Smith (Pinkerton), voix tranchante comme un couteau, mais en délicatesse avec l’aigu. J’ai déjà évoqué le cas de Mihoko Fujimura, belle artiste dont la voix n’a hélas plus la rondeur d’antan, mais dont la noble présence demeure. Sharpless est un personnage payant, dont l’empathie pour le destin tragique de Butterfly et la réprobation à l’égard du comportement de prédateur de Pinkerton gagnent généralement l’adhésion du public. Lionel Lhote s’y montre émouvant, mais un timbre plus riche et moelleux, une personnalité plus affirmée auraient sans doute permis à l’humanité du personnage de rayonner davantage. Parmi les petits rôles, Carlo Bosi est un Goro insidieux, mais c’est la voix d’airain de l’oncle bonze, Inho Jeong, qui m’a le plus frappé. Une Butterfly se mesure toutefois à l’aune de son rôle-titre : de ce point de vue, Ermonela Jaho demeure l’une des grandes incarnations actuelles du personnage. Son interprétation intense vise l’émotion plus que la perfection, et en dépit d’un registre grave moins éloquent, la magie du timbre dans l’aigu (souvent pianissimo) saisit toujours autant. Très attendu, son « Un bel dì vedremo » est parfaitement tenu, l’expression étant encore renforcée par une mystérieuse grammaire de gestes, doublée par un danseur masqué placé derrière la chanteuse. Acclamée aux saluts, la soprano albanaise aura l’agréable surprise d’entendre in extremis l’orchestre célébrer en musique son anniversaire…

À la tête des forces vives de l’Opéra de Lyon, Daniele Rustioni soutient l’action d’une direction à la fois souple et tendue. Pour une mise en scène aussi esthétisante, un son d’orchestre encore plus velouté et un chœur encore plus raffiné dans le chant à bouche fermée auraient peut-être été préférables, surtout dans l’acoustique toujours un peu sèche de l’Archevêché. Mais lorsqu’est tombée la nuit étoilée de Nagasaki et que Cio-Cio-San a retiré un à un ses vêtements de cérémonie, les cordes ont su se faire caressantes pendant que les bois lyonnais (hautbois, clarinette et flûte) déployaient leurs sortilèges plaintifs. À mes oreilles, c’était l’un des plus beaux moments de cette soirée lyrique.

 

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CRITIQUE, festival. AIX-EN-PROVENCE, Cour de l’archevêché, le 19 juillet 2024. PUCCINI : Madama Butterfly. E. Jaho, A. Smith, M. Fujimura, L. Lhote… Orchestre de l’Opéra de Lyon / Andrea Breth / Daniele Rustioni.

 

VIDEO : « Prélude » à Madama Butterfly de Puccini selon Andrea Breth au Festival d’Aix-en-Provence

 

CRITIQUE, concert. ARROMANCHES-LES-BAINS, église Saint-Pierre, le 21 juil 2024. MOZART : Requiem. Orchestre du Festival d’Arromanches, Nicolas André, direction.

Après plusieurs programmes hautement symphoniques comprenant Chausson, Beethoven et Schubert (splendides partitions du Romantisme français et germanique), le chef Nicolas André, fondateur du Festival d’Arromanches, poursuivait d’honorer sa passion pour les formats d’envergure ; soucieux de concilier détail, construction, souffle… il dirigeait en conclusion du 15è Festival d’Arromanches, « son » orchestre, composé d’instrumentistes chevronnés, familiers des approches historiquement informées. Une phalange aux qualités musicales indiscutables que la promesse de programmes originaux et cohérents stimule au plus haut point.

 

Aucune partition n’est plus écoutée, jouée, populaire que le Requiem de Mozart ; tant de fois entendu au concert ; à tel point que l’on croit tout en connaître ; cependant, ce soir dans l’église Saint-Pierre d’Arromanches (aux proportions idéales néo gothiques), où Gabriel Fauré créa l’un de ses motets (O Salutaris pour baryton, été 1878), Nicolas André a dévoilé une version surprenante, historiquement avérée. Avant que Süsmayr ne complète la partition laissée inachevée par Mozart (après les 8 première mesures du Lacrimosa), Constanze sa veuve, organise une célébration pour son défunt mari, début 1792, en compagnie des proches dont Shikaneder, le librettiste de La Flûte Enchantée… Des pages du Requiem furent ainsi jouées dans l’intimité du cercle familial et amical – plus comme une célébration hommage qu’un concert traditionnel. C’est dans l’esprit d’une communion célébrant la mémoire du défunt, plutôt qu’un énième concert, que le chef a construit (et dirigé) le programme.

 

A Arromanches,
un fabuleux Mozart fraternel et historique
sur instruments d’époque

 

Photo : classiquenews © 2024

 

Pour se faire, pour réaliser cette réunion intimiste, Nicolas André, ex assistant de Kent Nagano, regroupe les instrumentistes autour de lui, en un cercle ouvert dont il occupe le centre. En outre, il place les 8 chanteurs à jardin et à cour ; ainsi que les deux joueuses de cors de basset, derrière lui, pavillon vers la nef, et donc dos aux spectateurs… Une configuration inouïe qui pourtant diffuse un son ample et riche, détaillé et harmoniquement profond dont les basses colorées s’insinuent et résonnent remarquablement, incarnant comme jamais, la vibration et l’ampleur grave voire lugubre de cette fameuse colonne d’harmonie qui est propre au rituel maçonnique et que Mozart, membre de loges, intègre non sans pertinence (lui aussi) dans son Requiem.
Telle référence à la Franc-maçonnerie est d’autant plus soulignée que prélude au Requiem, chef et orchestre jouent d’emblée la marche funèbre maçonnique en ut mineur k 477 (« Maurerische trauermusik, 1785), immersion immédiate dans les profondeurs de l’âme, dans l’essence du questionnement sur la mort, et qui sonne comme l’emblème sonore de toute la soirée (la pièce fut d’ailleurs composée pour célébrer la mémoire de deux frères de loge).

La vibration sombre mais tendre du cor de basset exprime au plus juste ce sentiment de communion fraternelle, de conscience d’une égalité face à la mort qui dictant aux hommes, le sens à donner à la mort (le repos éternel) suscite le bénéfice et l’obligation du partage et de la fraternité. C’est cela que nous écoutons ce soir, dans un dispositif inouï et une réalisation à la fois sonore et esthétique, totalement convaincante. D’autant que l’acoustique de l’église, toute en longueur, ne peut guère accueillir plus de 250 personnes (intimisme préservé donc) comme elle amplifie naturellement le son, conférant aux seuls 8 chanteurs du chœur, une ampleur spectaculaire.

La direction comme la conception du programme convainquent particulièrement. Ils sont même d’une rare pertinence : la fougue du maestro, son entrain, la précision de sa gestuelle conduisent et portent tout l’orchestre qui l’entoure, obtenant des musiciens de superbes contrastes et des nuances quasi enfiévrées qui s’avèrent fructueuses dans les passages les plus dramatiques et les plus denses ; l’humanité des chœurs exprimant sur un rythme des plus allants, l’urgence du salut, l’espérance de la sérénité finale ; pour autant, ciselant l’architecture de tout le cycle, le chef veille aussi à la clarté polyphonique, la structure du contrepoint, affirmant là aussi d’une manière inédite combien Mozart retrouve la science et ce naturel majestueux des constructions de Bach et de Haendel ; soulignant combien le Requiem de Mozart regarde surtout vers le premier XVIIIè Baroque. C’est le cas de l’Hosanna du Benedictus, comme la dernier tableau choral – après que la soprano ait énoncé le Lux Aeterna : formidable course collective dont Nicolas André fait une ascension chorale et orchestrale superbe et lumineuse, d’une spiritualité exclamative.

Esprit affûté et pertinent comme on a dit, Nicolas André ajoute entre les pièces liturgiques, plusieurs morceaux de Mozart, dont l’Antiphone « Quaerite primum regnum Dei », œuvre de jeunesse composée à Bologne propre aux années 1770 ; mais aussi deux canons ; le premier chanté à deux sopranos est une véritable guirlande de roses vocale (« Lacromoso so io »… de fait réalisé juste après le Lacrimosa) ; le second canon, est joué par l’harmonie des bois : les 2 cors de bassets et les 2 bassons, « Nascoso è il mio sol » (ainsi intercalé entre le Benedictus et l’Agnus Dei) : l’air prolonge et approfondit tout le cycle musical, harmoniquement proche de tout le Requiem ; sa douceur introspective saisit tout en permettant de goûter davantage, le sublime velours grave et lugubre, tendre et enveloppant des cors de basset… écho recueilli, méditatif, apaisé au K 477 d’ouverture (majestueux certes mais aussi plus inquiet).

Le plateau des 4 solistes se fond idéalement au noyau impétueux et orfévré de l’orchestre (Recordare, Benedictus) : se détachent en particulier le ténor Julien Behr et la mezzo Anaïk Morel dont la voix est aussi ample et veloutée que les cors de basset,. Tout en réalisant une lecture aussi personnelle que puissante du Requiem, – d’autant plus pertinente qu’elle est historiquement légitime, Nicolas André sert son dessein : réaliser une célébration fraternelle en hommage à Mozart. Pari tenu et totalement réussi. Preuve qu’il n’y a pas que les grands centres urbains pour se délecter des orchestres sur instruments d’époque. Arromanches a ce luxe enviable de retrouver chaque été son fabuleux orchestre, dirigé par Nicolas André natif du pays, dans des programmes particulièrement fouillés et convaincants. A suivre.

 

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CRITIQUE, concert. ARROMANCHES LES BAINS, dim 21 juillet 2024. MOZART : Requiem – Soprano, Marion Tassou – Mezzo-soprano, Anaïk Morel – Ténor, Julien Behr – Basse, Paul Gay – Chœur et Orchestre du Festival – Nicolas André, direction.

 

LIRE aussi notre présentation du concert REQUIEM de MOZART par Nicolas André au festival d’Arromanche, le 21 juillet 2024 : https://www.classiquenews.com/festival-darromanches-mozart-requiem-dim-21-jil-2024-18h-orchestre-du-festival-nicolas-andre-direction/

 

FESTIVAL d’ARROMANCHES. MOZART : Requiem. Dimanche 21 juillet 2024, à 18h. Orchestre du Festival d’Arromanches / Nicolas André (direction).

 

CRITIQUE, festival. LE VIGAN, 48ème Festival du Vigan (Château de Mareilles), le 16 juillet 2024. Aristo SHAM (piano). 

 

Depuis 48 années maintenant, au cœur des Cévennes, se déroule un festival qui maintient un haut degré d’exigence et de qualité. Fondé et dirigé par le pianiste Christian Debrus, le Festival du Vigan se déroule dans différentes églises de la ville et des villages environnants, mais aussi – comme c’est le cas ce soir pour le concert d’ouverture de la manifestation cévenole – dans la cour ou devant la façade de châteaux des alentours, en l’occurrence ceux de Mareilles ou du Castellas. Et c’est devant la belle façade du premier, entouré de magnifiques pots d’Anduze et de quelques oliviers (alors que la vieille ville du Vigan se profile en contrebas de la terrasse aménagée avec un parterre de chaises…), que s’est déroulé ce premier concert, entre chien au loup (à 21h30), juste au moment où le chant des cigales laissait place aux croassements des grenouilles, toutes aussi nombreuses dans les bassins de la terrasse haute du château…

Au sein d’une programmation riche (s’étalant du 16 juillet au 21 août cette année) – qui met à l’affiche des artistes ou ensembles tels que Pierre Génisson, le Trio à Cordes Jacob, le Quintette de cuivres Aeris, le violoncelliste Christian Pierre La Marca, le tubiste Thomas Leleu, l’Ensemble Ariana dirigé par Marie-Paule Nounou ou encore les Chœurs de l’Abbaye de Sylvanès et l’Orchestre Contrepoint dirigés par Franck Foncourbette (dans le superbe Requiem de Gabriel Fauré, le 13 août à l’Église St Pierre du Vigan) -, le premier concert du festival affichait le jeune pianiste hongkongais Aristo Sham, dont la carrière a “décollé” depuis qu’il a remporté le Premier prix des Monte-Carlo Piano Masters l’an passé. 

 

Installé juste devant la porte centrale du château, permettant à l’artiste des allées et venues entre certains morceaux ou au moment des saluts, un magnifique piano Steinway trône, tandis que le public est disposé en arc de cercle autour de lui, les premières rangées n’étant qu’à trois mètres de l’instrument et de l’artiste. Ce dernier débute la soirée avec la Suite N°5 en mi majeur de Georg Friedrich Haendel, dans laquelle alternent pièces délicates, à fleur de peau (les allemandes, sarabandes…) et pièces plus digitales, dansantes ou plus puissantes (courantes, gigues…). Dans des tempi plutôt amples, le jeune hongkongais emporte l’adhésion grâce à un toucher qui sait être tour à tour tendre, fragile, nerveux ou lyrique. Le pianiste met bien en exergie le contrepoint, n’abuse pas de la pédale ni ne surcharge dans l’ornementation. Suivent les 3 Fantasiestück op. 111 de Robert Schumann, pièces tardives du compositeur allemand, une partition où le pianiste préserve parfaitement le caractère crépusculaire des derniers sursauts du romantisme schumannien. Clou de la soirée, le trop rare Gaspard de la nuit de Maurice Ravel, auquel le pianiste fait un sort : l’angoisse sourde d’Ondine le dispute à la fantaisie macabre du Gibet, d’une ensorcelante variété de touches, tandis que Scarbo est bien empeinte ici de toute la noirceur fatidique et fantomatique telle qu’évoquée par le poème d’Aloysius Bertrand. 

Après un court précipité, Aristo Sham revient à son Steinway pour un “tuttoFrédéric Chopin, enchaînant La Ballade N°1 en sol mineur op.23, Nocturne en mi majeur  op.62 n°2, la Polonaise-Fantaisie, op 61 et la Ballade N°4 en fa mineur, op 52 (plus une cinquième pièce du maestro polonais en guise de bis…). Les Deux Ballades retenues impressionnent par leur souffle et leur dimension hymnique, portées par technique impériale. Les auditeurs se laissent porter par la chaleur, la beauté et la longueur du son, soutenues par un Steinway flamboyant. On a souvent évoqué un Chopin par essence “fragile”, mais celui celui que nous entendons ce soir sous les doigts de Sham est déjà lisztien, avec la prémonition d’un Ravel, et justement celui de Scarbo, entendu précédemment, dans les climax les plus enflammés de ces deux Ballades. Animé par un sens dramatique indéniable, avec même un brio confondant, le deuxième des deux Nocturnes de l’opus 62 (1846) de Chopin est suivi de la Polonaise-Fantaisie (datée de la même année), aussi instinctive que spectaculaire, ce qui ne manque pas de faire l’effet escompté sur un public ravi qui lui adresse une ovation debout (et amplement méritée) !

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CRITIQUE, festival. LE VIGAN, 48ème Festival du Vigan (Château de Mareilles), le 16 juillet 2024. Aristo SHAM (piano). Photos (c) Emmanuel Andrieu.

 

VIDEO : Aristo Sham interprète le Seconde Sonate pour piano op. 35 de Frédéric Chopin (en 2021)

 

LIVRE D’ÉTÉ. Catherine NEYKOV : « Sinfonietta en ré majeur ». FEUILLETON 1 / 4 – Colombe en quête d’elle-même…

LIVRE D’ÉTÉ. Le dernier roman de Catherine NEYKOV, « Sinfonietta en ré majeur » est le coup de cœur de la Rédaction de CLASSIQUENEWS. A la fois précis et documentaire, et aussi juste et touchant, le texte évoque une académie musicale de jeunes instrumentistes dont le parcours pédagogique se révèle une expérience humaine bouleversante, en particulier pour l’héroïne.

 

La force du texte, outre ses qualités littéraires, vient de la collaboration étroite pour les passages qui requièrent une exactitude parfaite quand à la réalité de la technique instrumentale, d’Alexis Galpérine, professeur de violon au Conservatoire national supérieur de Paris. Le lecteur mesure alors dans toute la complexité d’une situation d’urgence, les enjeux pour l’intéressée, à la fois musicaux, artistiques, physiques, intellectuels et purement techniques. Le corps et l’esprit y sont très étroitement associés. Le corps ne répond pas si l’esprit ne comprend pas.

 

COLOMBE, en quête d’elle-même…

Venue suivre une académie musicale sur l’Île de Ré, la jeune violoniste Colombe, enfant prodige, entend se perfectionner pendant les 3 semaines d’un travail acharné. Cours individuel, répétition au sein d’un orchestre (de 70 musiciens)… tout s’annonce particulièrement formateur. D’autant plus que le cadre se précise enchanteur avec la mer, les plages de sables préservées, le charme des villages plantés de roses trémières partout.
Pourtant ce qui semblait s’apparenter à une formidable expérience artistique et humaine, devient en réalité une épreuve intime d’une redoutable intensité… Ne cacherait-elle pas un lourd secret ? Et si en espérant progresser, Colombe ne se mentait-elle pas à elle-même ?
Pour avancer, il faut résoudre chaque problème l’un après l’autre. Ainsi comme un avant-goût, voici une évocation des enjeux du chapitre 4 (« Lundi 17 juillet – matin / Andante, Sostenuto », moment décisif, d’éclaircissement voire de dévoilement, entre le maître et l’élève.

Que se passe-t-il ? « Lundi 17 juillet – matin »…

La jeune violoniste Colombe ne peut mentir longtemps au professeur (Gustavo) ; celui-ci, bienveillant et fin observateur, ne manque pas de remarquer un certain malaise chez la jeune musicienne… les mains ne répondent plus, blocage du corps entier et du flux ; du torse jusqu’aux doigts (surtout ceux de la main gauche). Le diagnostic fuse ; il brûle l’entendement de la musicienne.
Mais le miracle se réalise et contre toute attente, le pédagogue perspicace propose de l’aider à vaincre ce handicap que personne (kiné, professeurs, psychologues… n’ont réussi à résoudre). Les paroles de Gustavo sont d’une éblouissante et bienveillante vérité.
Mais élève et maître n’ont que … 2 semaines pour travailler ensemble et trouver des solutions. Comment réconcilier corps et esprit pour réparer et rétablir toute la « chaîne de transmission »? Comment canaliser l’énergie ? Et n’est-il pas déjà trop tard pour une musicienne qui joue depuis l’âge de 4 ans ? Comment effacer des années de mensonges et de postures incorrectes ?
Comme un vrai pédagogue, Gustavo accompagne de façon très imagée, l’instrumentiste exténuée à identifier elle même les sources de son déséquilibre ; son discours est aussi détaillé que lumineux ; une révélation pour la musicienne et pour le lecteur… invités à comprendre comment trouver ce point d’équilibre subtile et mouvant dont les images (très précises) permettent de se représenter toute la mécanique du jeu violonistique et l’empire de ses enjeux.
« Ce qui est figé est mortifère »… la sentence prononcée comme un haïku, diffuse son essence de vérité. En quelques mots, mine de rien, le professeur a ouvert les yeux de sa jeune élève… qui médusée, perçoit enfin un monde de forces contraires canalisées dont la secrète alchimie lui était jusque là inaccessible.

Il faut absolument lire ce chapitre pour comprendre ce qui se joue quand joue le / la violoniste ; ce qu’il / elle doit clairement comprendre et maîtriser en images, pour se préserver toujours, et toujours enrichir son art. Un défi qui relève bel et bien du miracle.

 

 

A VENIR : notre feuilleton 2 / 4

 

 

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LIRE aussi notre présentation du livre événement : SINFONIETTA EN RÉ MAJEUR de Catherine NEYKOV (LE LYS BLEU éditions) élu coup de cœur de la Rédaction, « CLIC de CLASSIQUENEWS été 2024 » :
https://www.classiquenews.com/livre-evenement-annonce-catherine-neykov-sinfonietta-en-re-majeur-editions-le-lys-bleu/

 

 

 

 

 

 

CRITIQUE, festival. MONTPELLIER, 39ème Festival Radio France Occitanie Montpellier, le 17 juillet 2024. ROSSINI : Stabat Mater. P. Yende, G. Arquez, M. Dietrich, M. Pertusi. Choeurs des Opéras Nationaux de Toulouse et Montpellier / Orchestre National Montpellier Occitanie / Clelia Cafiero (direction)

 

On le sait, après un rythme effréné comme compositeur d’opéras, Gioacchino Rossini pris sa retraite jeune… mais reviendra à la musique, une décennie plus tard, en composant de la musique sacrée qui – en liaison avec son génie purement et idéalement lyrique – reste étonnamment proche de l’opéra. Mais son Stabat Mater – qui a pour sujet des larmes de la Vierge qui découvre, au sommet de la douleur, le corps supplicié de son fils Jésus après avoir été déposé de la croix – atteint dans le registre tragique une tendresse rare. La partition lui est demandée par un ecclésiastique lors d’un séjour de repos en Espagne en 1830. Eloquence, intériorité, intensité s’accordent ici à l’écriture virtuose d’un maître de la scène lyrique. Rossini écrit dans la foulée les 6 premiers numéros (sur les 10 finaux), puis tombe malade. A la suite d’un procès avec celui qui devait secrètement finir la commande en remplacement du compositeur, Giuseppe Tadolini, Rossini reprend possession de son manuscrit original et achève enfin le cycle, en 1841. Remarquable de lumière et de sensualité, d’une inspiration idéale, l’écriture du Maître de Pesaro subjugue toujours autant, lors de sa création assez agitée de janvier 1842. “C’est inconcevable ! Il n’en finira donc jamais d’être à la mode !” s’écrira alors un certain Valentino, en réalité Richard Wagner lui-même, jaloux du génie rossinien. Même usé, celui qu’on a dit fini donne une leçon de lyrisme ardent, tendu, élégiaque et racé. Une claque pour tout le milieu musical des années 1840…

 

 

Et c’est donc en mettant à l’affiche ce chef d’oeuvre de la musique sacrée que le Festival de Radio France Montpellier Occitanie poursuit son édition 2024, avec les Forces vives de l’Opéra de Montpellier (Choeur et Orchestre), renforcées par les Choeurs du Théâtre du Capitole de Toulouse, tous placés sous la direction de la jeune et brillante cheffe italienne Clelia Cafiero. Après nous avoir récemment enthousiasmés à Angers dans Tosca, cette cheffe est assurément un talent à suivre, aux côtés de sa compatriote Speranza Scappucci, à laquelle elle fait penser pour sa maîtrise orchestrale. La vision qu’elle impose du Stabat Mater de Rossini, expressive et contrastée, nourrie de son expérience de cheffe de chant à La Scala de Milan, soulève l’auditeur par sa puissance et sa hauteur d’inspiration. Soutenue par un sens aigu de la dynamique et une attention portée au moindre détail orchestral, sa direction nous révèle l’œuvre dans sa double dimension opératique et religieuse, le dramatisme exacerbé de cette lecture semblant, par moments, déjà annoncer le Requiem de Verdi. Un grand bravo à elle !

La soprano star Pretty Yende a offert au public montpelliérain le chant rayonnant qu’on lui connaît, faisant fi des écarts meurtriers que lui a réservé ce diable de Rossini, avec une voix d’une superbe rondeur et des aigus séraphiques. Dans les ensembles et les duos, sa voix se marie idéalement avec celle de la mezzo française Gaëlle Arquez, dont le timbre s’épanouit avec bonheur dans son air solo “Fac ut portem Christi”. Le jeune ténor allemand Magnus Dietrich (en troupe à l’Oper Frankfurt) possède une jolie voix mozartienne, propre et sûre, mais il ne fait jamais passer le frisson à cause d’un manque de projection et d’ampleur lié à sa tessiture (on préfère de loin entendre un ténor lyrique dans cette partie…). Quant au vétéran italien Michele Pertusi, malgré quelques traces d’usure, il s’impose néanmoins pleinement, avec sa splendide voix de basse, profonde et puissante, toujours parfaitement souple.

Enfin, avec des interventions nombreuses et souvent spectaculaires, les Chœurs conjugués des Opéras de Montpellier et Toulouse se couvrent de gloire, se montrant absolument fantastiques dans leur morceau a cappella, le petit plus résidant dans la consonne finale longuement tenue, bouche fermée, du mot “Complaceam”. Du très grand art… et donc bravo à eux aussi :

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CRITIQUE, festival. MONTPELLIER, 39ème Festival Radio France Occitanie Montpellier, le 17 juillet 2024. ROSSINI : Stabat Mater. P. Yende, G. Arquez, M. Dietrich, M. Pertusi. Choeurs des Opéras Nationaux de Toulouse et Montpellier / Orchestre National Montpellier Occitanie / Clelia Cafiero (direction). Photos (c) Marc Ginot.

 

VIDEO : Antonio Papano dirige le « Stabat Mater » de Rossini au Proms de Londres

 

FESTIVAL d’ARROMANCHES. MOZART : Requiem. Dimanche 21 juillet 2024, à 18h. Orchestre du Festival d’Arromanches / Nicolas André (direction).

Le chef Nicolas André dirige l’Orchestre du Festival d’Arromanches dont il est le directeur artistique, ce dimanche 21 juillet, en conclusion du 15è Festival d’Arromanches. Au programme, le sublime REQUIEM de MOZART sur instruments historiques, complété de pièces liturgiques et de la marche funèbre maçonnique en ut mineur tonalité spirituelle et majestueuse (que Wolfgang a précédemment utilisé pour sa Grande Messe en ut). Concert de clôture événement.

 

 

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Église d’Arromanches
Dim 21 juillet 2024, 18h
MOZART : Requiem
INFOS & réservations ici : http://festival-arromanches.org/

« Mozart Requiem, et cætera… »
Orchestre du Festival – Nicolas André, direction
Soprano, Marion Tassou – Mezzo-soprano, Anaïk Morel
Ténor, Julien Behr – Basse, Paul Gay

 

 

 

Requiem en ré mineur K 626

La partition est composée en 1791 ; laissée inachevée, après le Lacrymosa (l’auteur est mort le 5 déc après avoir seuelment esquissé les 8 premières mesures…), elle est achevée par Franz Xaver Süssmayr (février 1792). La puissance fulgurante de l’écriture est bien celle d’un compositeur parvenu au terme de sa vie… Le cinéaste Miloš Forman a porté l’image d’un compositeur maudit, écrivant son propre Requiem à travers la commande qui lui est faite par un mystérieux agent habillé de noir (inspiré par Pouchkine). En outre, Forman reprend à son compte la légende selon laquelle Salieri, compositeur officiel de la cour impériale viennoise, dévoré par la jalousie, écarte Mozart des grandes commandes…et l’aurait même empoisonné.
Dans la réalité, c’est le Comte von WALSEGG qui commande à Wolfgang en juillet 1791, un Requiem grassement payé… pour célébrer le souvenir de son épouse, décédée début 1791. Mozart doit alors terminer simultanément l’opéra seria pour le couronnement de Leopold II (La Clémence de Titus) et aussi son singspiel maçonnique La flûte Enchantée…
Dès le début (Requiem), murmuré, comme le battement du cœur, les couleurs sont graves voire sombres et même lugubres (ni flûtes, ni hautbois, ni cors…) mais les bassons et les cors de basset ; les mouvements s’enchaînent comme une vague fulgurante, à la fois hautement spirituelle et remarquablement équilibrée dans ses contrastes dramatiques… le Requiem est par bien des égards, un opéra funéraire dont le chant à la fois choral et solistique émeut directement. Le parcours suit les images du texte et la prière qui s’en dégage : double fugue du Kyrie eleison (Seigneur, prends pitié) – déflagration spectaculaire (et dramatique à l’énoncé du Dies Irae, où les hommes pêcheurs font face à la colère de Dieu…

Les hommes entonnent alors leur prière qui vaut exhortation, amorcée par le Tuba mirum (basse et trombone), puis l’exclamation pleine d’espérance du ténor, de l’alto et de la soprano ; puis après le déroulement tragique du Rex tremendae, se déploie le sentiment de consolation du RECORDARE, ample prière là aussi pour le quatuor vocal et l’orchestre qui espèrent le pardon divin, la compassion de Jésus.
Dans la Confutatis, sont exposés en vertigineux contrastes, les hommes angoissés et les femmes qui expriment l’apaisement des « élus » de Dieu…
Le Lacrimosa renoue avec le souffle murmuré, progressif du début (Introït).

Süsmayer complète le Requiem ensuite en recyclant le matériel autographe et en prolongeant les « effets dramatiques » conçus par Wolfgang : l’Offertoire sollicite à nouveau le choeur dans une évocation directe des Ténèbres infernales. Le lumineux et apaisé Hostias est fugace, comme emporté par la précipitation (fuguée) du Quam olim Abrahae…

La suite est de la main seule de Süsmayer : court et puissant Sanctus en ré majeur (avec timbale et trompettes) ; rapide fugue de l’« Hosanna in excelsis Deo » ; sérénité tendre « mozartienne » du Benedictus ; dramatisme douloureux de l’Agnus Dei (fugué), avec coup de timbales ; enfin, Communio conclusif où la soprano reprend le thème du début sur les paroles du Lux æterna, ce qui refermant le cycle par la reprise de son début, lui confère une cohésion cyclique indiscutable.

 

Mozart franc-maçon

Membre d’une loge maçonnique (dès 1784), soit au cours des 7 dernières années de sa vie, Mozart a composé nombre de pages propres au rituel franc-maçon. Il appartenait entre autres, à la loge « Zur Wohltätigkeit » (« La Bienfaisance »).
Ainsi la Cantate pour ténor et chœur masculin K. 471 , Die Maurerfreude (« La Joie du maçon »), la Kleine Freimaurer Kantate (« Petite Cantate maçonnique ») K. 623, pour solistes, chœur masculin et orchestre), sa coloration grave et profonde, liée au thème d’une musique funèbre (Maurerische Trauermusik) la rend irrésistible. Wolfgang y exprime avec une vérité immédiate, le vertige de la mort dont il semble avoir une parfaite connaissance. Tel sentiment juste et profond se retrouve dans son opéra Don Giovanni et dans … le Requiem. Sa tonalité d’Ut mineur est liée à la solennité spirituelle (comme c’est le cas de la Grande Messe KV. 627). Quant aux 3 bémols à la clé, ils renvoient au triangle maçonnique, comme c’est le cas aussi du Divertimento K. 563 et du Concerto pour clarinette K. 622 composé pour le clarinettiste Anton Stadler (membre de la même loge).
L’adagio unique associe le thème de plain-chant (déploration) des clarinettes et des vents, à celui des cordes qui scandent l’idée d’une procession (le rituel maçonnique)… des ténèbres à la lumière, la fin déploie un accord ultime spirituel et éblouissant. Une manière de concevoir le trépas comme le but de la vie, et selon les mots de Mozart (dans sa correspondance), comme une expérience apaisée et acceptée.

Membres d’autres Loges, Mozart progresse et devient « Maître » ; il se rapproche de ses frères franc-maçons qui le soutiennent et financent ses travaux comme Johann Michael Puchberg pour lequel est composé le Divertimento pour Trio à cordes. Profondeur, gravité, franchise aussi… l’écriture mozartienne des pièces franc-maçonnes comporte plusieurs chefs-d’oeuvre, tous traversés par un sentiment de fraternité intense ; en cela inspiré par l’esprit des Lumières, entre amour et respect, moins par le goût pour le symbolisme voire l’occultisme pratiqués par certaines loges viennoises de l’époque. L’œuvre la plus développée et la plus accessible demeure l’opéra en allemand La Flûte enchantée aux références clairement maçonniques dont la musique diffuse la somptueuse poésie à tous, avec une sincérité et une franchise, exemplaires.

 

LIRE aussi notre présentation du 15ème Festival d’Arromanche 0224 : https://www.classiquenews.com/festival-darromanches-les-16-17-19-et-21-juillet-2024-nicolas-andre-et-lorchestre-du-festival-chausson-debussy-mozart-les-pianistes-yannael-quenel-et-anael-bonnet/

 

15ème Festival d’ARROMANCHES, les 16, 17, 19 et 21 juillet 2024. Nicolas André et l’Orchestre du Festival (Chausson, Debussy, Mozart…), les pianistes Yannaël Quenel et Anaël Bonnet, Julien Behr, Anaïk Morel…

 

Programme du concert

 

Marche funèbre maçonnique en Ut mineur K477
Wolfgang Amadeus Mozart

 

Requiem Grégorien

 

Requiem en ré mineur K 626
Wolfgang Amadeus Mozart

I. Introïtus Requiem
II. Kyrie

Antiphone “ Quaerite primum regnum Dei”

III. Sequentia : Dies iræ – Tuba mirum – Rex tremendæ –
Recordare – Confutatis – Lacrimosa

Lacrimoso so io

IV. Offertorium: Domine Jesu – Hostias

Miserere

V. Sanctus
VI. Benedictus

Nascoso è il mio sol

VII. Agnus Dei
VIII. Communio : Lux æterna

 

CRITIQUE, festival. BEAUNE, 42ème Festival International d’Opéra Baroque et Romantique (Cour des Hospices), le 19 juillet 2024. HAENDEL : Alcina. A. M. Labin, A. Bré, F. Hasler, S. Marino… Les Epopées / Stéphane Fuget.

Après une magistrale trilogie montéverdienne, Stéphane Fuget et son ensemble Les Epopées s’attaquent avec brio à Alcina de Georg Friedrich Haendel, ce qui nous vaut une soirée magique dans l’écrin somptueux de la Cour des Hospices de Beaune (dans le cadre du Festival d’opéra baroque et romantique de Beaune). Une direction exceptionnelle autour d’un casting quasi idéal, malgré la défection de Luigi de Donato, souffrant, qui a tenu, malgré tout, à assurer les récitatifs.

 

Pour le premier opéra de Haendel des Épopées, c’est un coup de maître. La longue pratique du recitar cantando abordée dans le répertoire du Seicento est mis à bon escient au service d’un genre plus artificiel qui présente souvent les longues pages de récitatifs comme des bornes d’ennui, avant la séduction des airs, virtuoses, pathétiques, d’une extrême variété que compte l’opéra seria haendélien. Le théâtre vibre également dans les récitatifs qui sont toujours des joutes oratoires rhétoriques préparant le concentré de discours qu’est l’aria. D’emblée, l’ouverture nous plonge au cœur du drame, sans jamais nous lâcher durant les plus de trois heures trente de musique, et introduit le spectateur dans la scène liminaire du premier acte in medias res. Le passage de la musique éloquente à la parole qui ne l’est pas moins, se fait ainsi dans la plus idoine des manières.

La distribution réunie pour cette première frise l’idéal. Dans le rôle-titre, la soprano roumaine Ana Maria Labin est stupéfiante de justesse dramatique, incarnant avec passion son personnage en étant constamment attentive aux moindres inflexions du texte, capable de mille nuances pathétiques qui bouleversent à chaque instant. Elle nous offre un « Ah, cor mio » d’anthologie (même les oiseaux qui piaillaient une bonne partie au-dessus du ciel des Hospices se sont tus), et la tension dramatique ne baisse guère dans les récits animés d’une vigueur roborative, comme dans les deux autres airs fameux (« Ombre pallide » et « mi restano le lagrime »). Le Ruggiero d’Ambroisine Bré nous a moins convaincu. Si la voix est bien posée et suffisamment projetée (son « Sta nell’Ircana » est sans doute là où elle brille le mieux), elle pèche par une présence scénique trop sage, une absence de réelle incarnation (comme l’a montré son « Verdi prati », excessivement plat). Bradamante est superbement défendue par le timbre rond, chaleureux et véhément de la mezzo Floriane Hasler, qui fait mouche dans son air « È gelosia », où elle s’adresse à la fois à Oronte et à Morgana et est pleinement convaincante dans les récits qu’elle déploie avec une grande force dramatique. Il faut saluer l’exceptionnel tour de force de Gwendoline Blondeel, qui a remplacé la regrettée Jodie Devos (à qui un hommage a été rendu avant le concert), prévenue quinze jours seulement avant sa prise de rôle. Une voix aérienne, ample et parfaitement ciselée qui nous a enchanté dans chacune de ses interventions (magistrale « Tornami a vagheggiar » qui clôt le premier acte). Dans le rôle du prétendant déçu Oronte, Juan Sancho, une fois de plus émerveille. L’unique ténor de la distribution possède un don inné du théâtre, une technique qu’il met, avec le même entrain et la même force, au service des récitatifs (d’une expressivité rare dans ce répertoire) comme des airs, qu’il chante avec une facilité déconcertante, sans le moindre faux-pas. Samuel Mariño campe un Oberto encore trop maniéré, même si des efforts ont été manifestement accomplis. Mais sa prestation pèche une fois de plus par une diction brouillonne (un comble pour un latino) et son aisance manifeste dans le registre aigu semble faire fi du sens de ce qu’il chante. On oublie trop souvent que la séduction du chant ne doit jamais oblitérer la sémantique du discours qui est aussi, dans ce répertoire, le réceptacle essentiel des affects. Luigi de Donato complète la distribution dans le rôle secondaire du précepteur Melisso. Hélas, souffrant d’une laryngite, il a été incapable de chanter son unique air au début du deuxième acte, se contentant d’octavier dans le registre grave, donnant ainsi une étrange impression de « parlar recitando » des origines de l’opéra.

À la tête de son orchestre des Épopées, Stéphane Fuget, silhouette à la fois nerveuse et délicate, est dans son élément, qui nous ouvre de nouvelles perspectives fascinantes d’interprétation, dans l’ouverture, on l’a dit, mais aussi dans le ballet qui termine le deuxième acte, avec des couleurs inédites, d’une richesse harmonique proprement fabuleuse. Il semble anticiper d’une certaine façon le nouveau langage développé par le ballet dramatique qui suivra la réforme de Gluck : la musique a aussi une grammaire théâtrale qui peut se passer des mots. Ce soir, Stéphane Fuget en a été son illustre porte-parole.

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CRITIQUE, festival. BEAUNE, 42ème Festival International d’Opéra Baroque et Romantique de Beaune (Cour des Hospices), le 19 juillet 2024. HAENDEL : Alcina. Ana Maria Labin (Alcina), Ambroisine Bré (Ruggiero), Gwendoline Blondeel (Morgana), Floriane Hasler (Bradamante), Juan Sancho (Oronte), Luigi de Donato (Melisso), Samuel Mariño (Oberto), Orchestre Les Épopées, Stéphane Fuget (direction). Photos (c) Ars Essensia & DR.

 

VIDEO : Jane Archibald chante l’air « Ombre pallide » extrait d’Alcina de Haendel

CRITIQUE CD événement. PROKOFIEV : Roméo et Juliette, Symphonie classique. Orchestre Philharmonique de Strasbourg / Aziz Shokhakimov (1 CD Warner classics, 2022).

Énergie débordante et canalisée donc irrésistible… le geste à la fois puissant, détaillé et léger du directeur musical du Philharmonique de Strasbourg, Aziz Shokhakimov éblouit par sa carrure dansante, son esprit facétieux, un sens souverain des rebonds, des accents, de la respiration, ainsi circulant dans tous les pupitres ; ce dès l’allant en clarté et transparence de la si gracieuse Symphonie classique (opus 26) dont on retiendra surtout après le nerf vif de l’Allegro initial, le sens des phrasés des violons du second mouvement « Intermezzo larghetto », nuance indicative que le chef suit à la lettre, en clarté là encore et d’un équilibre solaire, analysant sans épaisseur chaque détail des cordes…

 

Le « Molto vivace » final, est… étourdissant et d’une subtile élégance,… autant détaillé que vif argent. Cette diligence affûtée, ce souci du rythme, la grâce de chaque phrase enivre par l’allant analytique : bravo maestro !

Le Ballet Roméo et Juliette, composé à l’été 1935 dans la Russie Stalinienne est plus complexe, et cette fois d’une épaisseur expressive double voire triple ; sous le classicisme du sujet (Shakespearien) s’exprime une toute autre réalité, celle plus acide voire glaçante de la Russie de Prokofiev. L’action pure est idéalement exprimée (coupe et verve de la mort de Tybalt, à la motricité frénétique d’une rondeur chorégraphique superlative ; dans ce passage se dévoile cette course meurtrière systématique) ; la force infernale qui se déploie alors, refermant la partie I, annonce en réalité les tutti objectivement glaçants, harmoniquement dissonants qui ouvrent la partie II, exprimant ce cynisme barbare qui emporte les deux clans des Montaigus et des Capulets, opposés jusqu’à la mort ; tel flux dramatique dissimule des plans souterrains, des sous-textes qui colorent le flux musical, objectif et narratif, de teintes plus amères, cyniques, voire parodiques ; comme si dans la machine orchestrale, Prokofiev qui n’en est pas à son premier ballet (bien au contraire), se parodiait lui-même, laissant à travers la mécanique foudroyante et sanguinaire, surgir des éclairs de clairvoyance sur la cruauté et la barbarie du sujet (et de la société stalinienne dans laquelle il vit).

De fait dans sa richesse poétique, la partition renouvelle ainsi l’ambiance shakespearienne de lueurs fantastiques voire cauchemardesques qu’Aziz Shokhakimov semble avoir compris comme peu : ivresse de la scène du balcon, suavité enivrée à l’évocation des jeunes amants et à travers eux, magie surréelle de l’amour, et dans le même temps, densité tragique, glaçante comme il a été dit précédemment d’un flux tragique inéluctable qui détruit toute espérance ; l’orchestre sait être tendre et rugir jusqu’à l’écœurement confronté lui-même à l’horreur de la bascule criminelle qui voit la mort des deux jeunes gens… autour de 7mn (plage 10) : tout est dit dans cette séquence à la fois sombre et lumineuse où Shokhakimov maîtrise l’art des contrastes mêlés. Le portrait juvénile de Juliette (solo de violoncelle associé au basson et à la clarinette pour évoquer le réveil de la jeune amoureuse), la bonhommie paternelle de Frère Laurent, le rebond élastique de la Danse, superbe instant d’éloquence et d’élégance orchestrale… sans la vapeur allusive qui enveloppe de magie les amants sur le départ (plage 16), où le geste aérien du chef, sait diffuser la densité du rêve, jouant sur l’équilibre et la clarté de chaque instrument, ultime séquence suspendue, avant la mise à mort qui suit. Le flux du dernier épisode convainc par ses vertiges hallucinés, la monstruosité qui enfle et se replie, grâce à la voilure d’un orchestre rugissant, qui n’écarte pas dans la dernière phrase le surgissement de la vie, ultime soupir amoureux. Magistral. L’enregistrement éblouit et rend impatient d’écouter l’Orchestre en concert, sous la baguette aussi inspirée de son directeur musical, l’excellent Aziz Shokhakimov.

 

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CRITIQUE CD, événement. PROKOFIEV : Symphonie classique, Roméo et Juliette (Suite 1 & 2, opus 64 bis et ter), Orchestre Philharmonique de Strasbourg – Aziz Shokhakimov, direction –
1 cd Warner classics – CLIC de CLASSIQUENEWS

 

CRITIQUE, festival. GARSINGTON Opera Festival (Angleterre), le 13 juillet 2024. BRITTEN : A Midsummer’s night dream. Iestyn Davies, Victoria Songwei Li, Jerone Marsh-Reid, Richard Burkhard… Netia Jones / Douglas Boyd.

La veille d’une “thrilling” production de La Walkyrie au Longborough Opera Festival, nos pérégrinations anglo-bucolico-lyriques nous avaient mené au Garsington Opera Festival, à mi-chemin entre Londres et Oxford. Si le premier est un théâtre “en dur”, celui de Garsington est “éphémère”, sa structure démontable étant installée aux abords d’un magnifique cottage, le Wormsley Estate, belle demeure victorienne avec ses dépendances, son étang, ses gazons rutilants, et son parc forestier grouillant de cerfs et de biches. Un lieu magique où A Midsummer’s night dream de Benjamin Britten avait donc toute sa place, puisque c’était pour cette édition 2024 l’un des quatre titre lyrique retenus – aux côtés du second opéra de Verdi Un Giorno di regno, des Noces de Figaro de Mozart et de Platée de Rameau.

 

 

Cette production du Songe d’une nuit d’été de Britten – importée du Santa Fe Opera Festival où elle a été étrennée en 2021 – est mise en scène par Netia Jones, qui s’est également occupée de la scénographie. Un décor unique et intrigant qui est composé d’un grand chêne qui a percé le vaste plateau inclinée de la scène – et au passage le piano à queue qui y trônait. Ses branches feuillues offrent un abri à Puck (c’est par là qu’il fait son entrée). Au centre de la scène se trouve un canapé bas et miteux, sur lequel Tytania et plus tard Bottom s’allongent. Au fond, trois télescopes sont placés, tandis que le côté gauche de la scène est occupé par une grande sphère armillaire. Ces objets astronomiques se trouvent probablement là parce que l’opéra fait souvent référence à la lune, mais à part l’arbre solitaire et majestueux, nous ne sommes clairement pas dans le décor forestier du livret, et la magie dont il est empli est globalement balayée également, si ce n’est au début du spectacle, quand les portes en verres qui ferment le fond de scène restent ouvertes – laissant ainsi entrevoir (à l’instar de l’Auditorium de la Fondation Gulbenkian de Lisbonne) les arbres qui se trouvent derrière la structure éphémère, mais de lourds rideaux noirs viennent bientôt (à l’acte II) les occulter et assombrir le plateau. Un plateau par ailleurs truffé de trappes, d’où émergent à intervalles réguliers les lutins et fées incarnés ici par la jeune (et excellente !) troupe du Garsington Opera Youth Company, grimés ici avec des têtes d’animaux divers. De même, Obéron se met régulièrement une tête de loup sur la tête, faisant pendant à la fausse tête d’âne de Bottom, tandis que le bondissant et superlatif Puck de Jerone Marsh-Reid est lui vêtu d’un costume vert pomme. Au III, des images vidéos évoquant la Nature sont certes diffusées, de même qu’une grande lune fait son apparition, mais la poésie et la magie font trop souvent défaut néanmoins ici pour emporter pleinement l’adhésion (notamment avec des scènes de la pièce de Pyrame et Thisbé et du mariage de Thésée et Hipolyta inutilement compliquées 

La distribution réunie à Garsington brille par son homogénéité. L’Oberon de Iestyn Davies et la Tytania de Victoria Songwei Li (en remplacement de Lucy Crowe, annoncée souffrante) sont totalement accordés, quoiqu’un peu confidentielles, mais souples et très agréables à entendre. On y perd dans la violence de la confrontation, on y gagne en suavité et en émotion. Les quatre amoureux sont parfaitement en phase, avec les solides Lysander et Demetrius de Caspar Singh et James Newby, l’Hermia fruitée de Stephanie Wake-Edwards, et l’adorable Helena de Camilla Harris. De même, les cinq compagnons de Bottom se révèlent aussi bons chanteurs qu’excellents acteurs : le Quince de John Savournin, le Flute de James Way, le Snug de Frazer Scott, le Starveling de Geoffrey Dolton et le Snout d’Adam Sullivan qui se dépensent sans compter dans la fameuse représentation finale de Pyrame et Thisbé. Dans le rôle de Bottom, le baryton-basse Richard Burkhard, quant à lui, préserve idéalement l’équilibre entre ridicule et sentimentalité, tandis que la production se paie le luxe, pour leurs brèves apparitions, de Christine Rice en Hypolita et Nicholas Crawley en Thésée.

En fosse, rien moins que l’excellent et prestigieux Philharmonia Orchestra, placé ici sous la direction de Douglas Boyd, qui n’est autre que le directeur musical de la manifestation estivalo-britannique. Tous les talents de cette fabuleuse phalange évoluent ainsi dans l’écrin sonore né de la baguette du chef britannique, qui dirige avec ce mélange d’amour, de connaissance et d’imagination qui fait tout le prix d’une exécution des œuvres de Britten. Dès le prélude en glissement d’archets – mystérieux comme un fantôme sylvestre – le Philharmonia Orchestra restitue avec sensibilité le souffle enchanté et ravissant de l’intrigue féérique, l’élégance du grotesque, et la finesse parodique de l’ouvrage.

Et si vous n’avez pas pu vous rendre à Garsington cet été (la dernière représentation étant ce soir 19 juillet…), vous aurez une autre occasion d’entendre ces excellents musiciens et chanteurs au Royal Albert Hall en septembre dans le cadre des fameux Proms !

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CRITIQUE, festival. Garsington Opera Festival, le 13 juillet 2024. BRITTEN : A Midsummer’s night dream. Iestyn Davies, Victoria Songwei Li, Jerone Marsh-Reid, Richard Kurkhard… Netia Jones / Douglas Boyd.

 

VIDEO : Netia Jones raconte son « Midsummer’s night dream » lors de sa création au Santa Fe Opera Festival

 

ENTRETIEN avec le compositeur Anthony ROZANKOVIC, à propos de son dernier album « ORIGAMI » (Atma classics)

Le compositeur Montréalais ANTHONY ROZANKOVIC réunit en 1 CD Atma classics, ses compositions écrites sur plus de 25 ans, de 1995 à 2022. Il en découle une somme personnelle, surtout inspirée par le cinéma et qui sous les doigts de la pianiste Louise Bessette gagne un surcroît d’expressivité, de profondeur. Le titre générique « ORIGAMI », en évoquant plis et replis faussement aléatoires, n’indiquerait-il pas a contrario la force de figures dont la structure et le dessin se dévoile peu à peu… ? Une intimité mouvante, portée par une urgence intérieure redéfinit les champs purement narratifs. Comment l’idée musicale naît-elle ? En quoi la rencontre avec les réalisateurs nourrit-elle la composition et l’écriture ? Comment s’est déroulé le travail avec Louise Bessette ?
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CLASSIQUENEWS : La plupart des pièces réunies dans cet album sont inspirées par le cinéma. De quelle façon êtes-vous influencé par le scénario, les images ? Comment la partition prend-t-elle forme ?

 

ANTHONY ROZANKOVIC : Tout commence avec la rencontre avec le réalisateur ou la réalisatrice, ou le/la metteur(e) en scène. Il y a un échange, une exposition d’intentions quant à la place qu’aura la musique dans le film. Ce qui est fascinant, c’est que les réalisateurs ne partagent pas tous le même credo, la même doxa, quant au rôle de la musique. Et c’est ça, d’ailleurs, que je trouve extrêmement stimulant. Pour certains réalisateurs, la musique est un partenaire de voyage souverain au propos, qui donne une possibilité de relativiser le contenu du film.
Dans d’autres cas, c’est le contraire, la musique vient discrètement illustrer de façon sonore la scène. Ou carrément appuyer voire ajouter des émotions. Il y a vraiment 1001 façons de construire une musique.
En général, je cherche une signature pour singulariser tel ou tel projet. D’où mon inquiétude grimpante quant à l’utilisation de plus en plus fréquentes des « librairies de musiques » qu’utilisent les cinéastes.
C’est le phénomène du prêt-à-porter, où le réalisateur n’a presque plus de contact avec le compositeur. Pour répondre à la question, certes le scénario et les images sont absolument la matière première qu’il faut étudier, et trouver la clé musicale pour servir le projet .
Souvent aussi, il faut considérer des choses très pragmatiques ; par exemple, les fréquences des voix parlées des acteurs ou narrateurs. Il arrive trop souvent ou un instrument peut venir en conflit, voire masquer le beau timbre d’un comédien.
Pour moi, la voix parlée fait partie de la partition. Ainsi que les bruitages …

Pour résumer, il n’y a pas de règles. Souvent on fait un premier jet, et c’est le geste contraire qui est la bonne solution. Aussi, j’aimerais souligner, et c’est d’ailleurs assez amusant : ce qui est « vrai » pour un réalisateur peut devenir « faux » pour un autre.
Et en fin de compte, il ne faut parfois pas trop réfléchir, et je dois faire confiance à la bonne étoile de mon inconscient. Car « l’inconscient » sait des choses que « le conscient » ne sait pas.

 

CLASSIQUENEWS : Sur le plan musical, quelles sont les situations, les thèmes qui vous ont le plus inspiré ?

ANTHONY ROZANKOVIC : Pour moi composer, c’est comme régler une énigme qui m’est proposée. Donc, c’est trouver une réponse musicale à cette équation, quelle que soit la situation. On compose dans le but de servir une situation donnée. Que ce soit un film , une musique de concert, un opéra , une fête entre amis .
Pour ce disque Origami, je dirais que chacun des morceaux est né d’une rencontre avec un autre être humain. Sans cette rencontre, le morceau n’aurait pas existé. Par contre, j’accumule au fil des jours de mon existence du matériel. Ça peut être un neume proposé par un chant d’oiseau, comme le rythme monotone d’essuie-glaces de voitures, ou bien le rythme de la langue parlée. Il y a aussi le goût de se défaire d’idées reçues qui est un grand stimulant. Par exemple, un accord mineur n’est pas obligatoirement triste et un accord majeur joyeux etc.

 

CLASSIQUENEWS : Pourquoi avoir choisi Louise Bessette pour interpréter les pièces ? Sur quels points avez-vous travaillé avec elle ? Qu’apporte selon vous le format pour piano seul ?

ANTHONY ROZANKOVIC : La question est fort amusante, est-ce moi qui a choisi Louise ou bien c’est Louise qui m’a choisi…? (rires)
Chose sûre, tout a commencé en 2010 lorsque Louise m’a demandé de composer une œuvre en hommage à Gilles Tremblay. Le concert fut un succès, et nous avons continué à collaborer sur d’autres projets. Louise est une perfectionniste.
Une orfèvre pour trouver la perfection sonore dans tel ou tel contexte harmonique, rythmique ou mélodique. Il y a en elle, une magie d’interprétation qui apporte une dimension quasi mystique. Ce que j’aime dans le piano solo, c’est le côté « droit au but », il n’y a pas d’équivoques que peut causer une orchestration plus lourde. Paradoxalement, mon rêve serait de lui composer un concerto avec orchestre. Je n’ai jamais réellement composé un vrai concerto de piano. Un souhait que je lance ici, dans l’univers …

 

Louise Bessette et Anthony Kozankovic / DR

 

CLASSIQUENEWS : D’une façon générale, comment s’inscrit cet album dans votre travail, par rapport aux albums précédents ? Prolonge-t-il des pistes précédentes ? Inaugure-t-il une voie nouvelle ?

ANTHONY ROZANKOVIC : Pour moi chaque album est un rite de passage. Un genre de « rapport d’étape » que je fais entre moi et le cosmos. Un bilan si on veut.  Dans ce cas-ci, j’ajouterais qu’il y a eu aussi une très grande expérience de croissance personnelle.
J’ai décidé d’écouter davantage les conseils de gens autour de moi.  Ce disque c’est un travail d’équipe. Certes, mes compositions… Mais ces compositions sont incarnées via le prisme des doigts, du cerveau et de l’âme de Louise Bessette et du Steinway-Hambourg de l’auditorium de Charlevoix dont c’est le super Carl Talbot qui en a assuré la prise de son, mixage et réalisation .

Donc Origami, c’est :  Louise, Anthony, Carl. Le trio du L.A.C. (rires).

Comme il est indiqué dans le livret de l’album, livret écrit par Carl Leblanc, ce disque représente un étal de compositions des 27 dernières années (1995-2022). Pour ce qui est de la suite des choses, je suis incapable d’avoir un plan quinquennal. En vieillissant, j’apprends à vivre ma vie au jour le jour, selon les circonstances qui sont toujours imprévisibles. Comme je dis parfois à mes amis, on prévoit de construire une cathédrale, et en fin de compte on construit un igloo, car c’est ça qui était ce qu’il fallait faire.
Il y a un aspect « serendipité » qui a toujours était au cœur de ma vie.  Aussi l’imprévisible nécessaire parfois, en autant qu’il soit heureux. J’aime cultiver l’optimisme malgré tout. Je me perçois comme un chercheur. J’aime désobéir aux idées reçues, surtout lorsqu’elles sont obsolètes. Un petit défaut de caractère si on veut. Par contre, il y a des monuments et des arbres de sagesse chez les maîtres anciens qui méritent d’être honorés. Aussi, j’ai le but d’écrire de la musique qui va à l’essentiel. Dépourvu de guirlandes obséquieuses.

 

 

CLASSIQUENEWS : Quels sont vos prochains projets pour ATMA ?

ANTHONY ROZANKOVIC : Je n’ai pas de projets personnels prévus à venir avec ATMA. La tribune de diffusion via le Label ATMA a été rendu possible grâce à la collaboration qui existe déjà entre Louise et ATMA. Louise a déjà publié plusieurs disques chez Atma (voir l’antépénultième page du livret).  Donc ici, c’est Louise Bessette, déjà chez ATMA , qui joue Anthony Rozankovic .
Personnellement, je ne suis pas marié à aucun label de disque.  Ce disque « Origami » est une auto-production. Ce disque-ci, j’en suis l’exclusif producteur, un master que j’ai remis en licence d’exploitation à ce Label : ATMA  Classique, un label qui contient d’ailleurs des trésors dans son catalogue.
J’ai eu l’infini privilège d’avoir accès aux talents et ressources de Louise Bessette et de Carl Talbot.
Pour la suite des choses, on verra. L’univers de la diffusion musicale est en constante évolution et doit-on ajouter aussi en «révolution». Beaucoup de valeurs passées qu’on croyait immuables ont hélas implosé. Il faut s’adapter au choc du futur .

Comme a  dit notre chanteur populaire québécois Robert Charlebois :
« … Autrefois , le disque c’était un truc rond avec un trou dans le milieu .
Aujourd’hui, le disque est rendu carrément DANS LE TROU…  »

Prions pour la bonne suite des choses !… (rires)

Propos recueillis en juin 2024

 

CD

LIRE aussi en complément notre présentation du cd événement « ORIGAMI » d’Anthony Rozankovic, par Louise Bessette, piano (1 cd ATMA classic) : https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-anthony-rozankovic-origami-louise-bessette-piano-1-cd-atma/

 

CD événement, annonce. Anthony ROZANKOVIC : « Origami ». Louise Bessette, piano (1 cd Atma)

 

CRITIQUE, festival. LONGBOROUGH Opera Festival (Angleterre), le 14 juillet 2024. WAGNER : Die Walküre. Lee Bisset, Paul Carey Jones, Eleanor Dennis, Mark Le Brocq… Amy Lane / Anthony Negus.

 

En Angleterre, l’été arrive plus tard mais les festivals lyriques commencent plus tôt, dès début juin, à l’instar du plus fameux d’entre eux : le Festival de Glyndebourne. Mais c’est sur les festivals lyriques de Longborough et de Garsington que nous avons décidé de nous concentrer cette année (en attendant les festivals de Buxton et de Grange Park l’été prochain…), et nous commencerons notre première recension lyrico-bucolico-anglaise par l’enthousiasmante (les anglais diraient “thrilling”) production de Die Walküre de Richard Wagner à laquelle nous avons eu la chance d’assister, au Festival de Longborough, situé dans les Costwolds, ravissantes collines préservées et verdoyantes à souhait, à mi chemin d’Oxford et de Gloucester – où un festival lyrique est né en 1991. Les propriétaires d’un cottage ont commencé par accueillir des concerts chambristes dans leur salon puis, dans les années quatre-vingt-dix, ils convertirent une grange en théâtre, qu’ils rendirent plus confortables par la suite grâce à des fauteuils offerts par la Royal Opera House de Londres à l’occasion de ses travaux de restauration.

Le succès de l’initiative s’est confirmé d’année en année, jusqu’à décupler son public. Bien qu’ayant présenté les grandes pages du répertoire, le Longborough Festival Opera, entièrement réalisé sur des fonds privés, s’est au fil du temps entiché des opéras de Richard Wagner. L’été 2007 fut marqué par la présentation de Das Rheingold, suivi par Die Walküre en 2010, Siegfried en 2011, et enfin Götterdämmerung en 2012. Et en 2024, c’est trois cycles d’un Ring complet que le festival offraient – plus deux représentations supplémentaires de Die Walküre, les 12 et 14 juillet, et nous nous avons ainsi pu assisté à la dernière représentation wagnérienne du festival (qui mettra plus tard à son affiche, du 27 juillet au 6 août, La Bohème de Puccini). 

 

 

Étrennée in loco en 2021, la mise en scène d’Amy Lane est on ne peut plus simple et fidèle au livret, s’adaptant également, il est vrai, aux contraintes du lieu, avec un plateau peu large et profond, mais qui permet une proximité avec le public tout à fait idéale, qui fait que les spectateurs sont comme plongés dans le drame wagnérien. La scénographie de Rhiannon Newman Brown présente un demi-cercle avec des marches qui permettent d’accéder à sa partie supérieure, tandis qu’à cour trône un frêne plus vraie que nature dans lequel est plongée la fameuse épée “Nothung”. Avec une direction d’acteurs discrète mais néanmoins efficace, le spectacle repose beaucoup sur les éclairages toujours changeants (et parfois spectaculaires) de Charlie Morgan Jones, couplés avec les vidéos (la plupart du temps “naturalistes”) de Tim Baxter qui s’incrustent à un rythme soutenu sur la partie médiane du fond de scène. Dans les moments les plus dramatiques, des projecteurs diffusent une lumière blanche et rougeâtre, inondant jusqu’à la salle, la scène finale embrasant tout l’espace, au terme de bouleversants adieux entre Wotan et Brünnhilde. 

La révélation vocale de la soirée est sans conteste la soprano Eleanor Dennis, qui – non contente de sauver le spectacle in extremis en remplaçant au pied levé (et donc en chantant à jardin le personnage de Sieglinde, tandis qu’une actrice mime le rôle sur scène…) sa collègue – possède par ailleurs toutes les qualités de déclamation et d’expressivité dans l’accent exigées par le personnage, avec un timbre rayonnant et chaleureux. Le ténor Mark Le Brocq incarne un Siegmund tout à fait crédible, avec un aigu qui sonne avec tout l’éclat requis (mais inversement quelque peu avare en piani…), en plus d’une incarnation vibrante qui emporte l’adhésion. Paul Carey Jones campe un Wotan impérieux et sonore, et pourtant au fur et à mesure de l’action de moins en moins sûr de sa puissance, au point d’être progressivement mis littéralement à genoux dans une scène très forte symboliquement parlant. Lee Bisset offre une Brünnhilde à l’aigu un peu tendu et strident, mais au phrasé incisif et au médium d’un beau volume, face à la Fricka mémorable de Madeleine Shaw, au volume sonore impressionnant, aussi fière qu’arrogante autant dans le ton que dans son jeu. Enfin, Julian Close incarne un Hunding tout d’une pièce et très menaçant, avec une voix dont on goûte la noirceur de timbre tout autant que la beauté de la ligne de chant. De leurs côtés, les huit Walkyries retenues offrent un ensemble particulièrement homogène, qui ne manquent pas de faire sensation dans la célèbre “Chevauchée des Walkyries”.

De son côté, l’Orchestre du Festival de Longborough n’est peut-être pas toujours un modèle de précision, ni ne distille le plus beau son qui soit, mais son chef Anthony Negus (également directeur artistique de la manifestation anglaise) en tire pourtant le meilleur au fil d’une lecture à la fois lyrique et intimiste, aux tempi bien équilibrés, et aux nuances clairement marquées. 

Un festival attachant et de grande qualité artistique, dans un cadre naturel tout simplement exquis… où l’on aura grand plaisir à revenir !

 

 

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CRITIQUE, festival. LONGBOROUGH Opera Festival, le 14 juillet 2024. WAGNER : Die Walküre. Lee Bisset, Paul Carey Jones, Eleanor Dennis, Mark Le Brocq… Amy Lane / Anthony Negus. Photos (c) Matthew Williams-Ellis.

 

VIDEO : « Die Walküre » selon Amy Lane au Longborough Opera Festival

 

 

 

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CRITIQUE, festival. AIX-EN-PROVENCE, Théâtre du Jeu de Paume, le 14 juillet 2024. DAVIES-KURTÁG : Songs and Fragments. Johannes Martin Kränzle, Anna Prohaska, Patricia Kopatchinskaja… Ensemble Intercontemporain / Barrie Kosky / Pierre Bleuse.

Au Théâtre du Jeu de Paume d’Aix-en-Provence, à peine Pierre Bleuse est-il entré sous les applaudissements que s’éteignent brutalement les lumières : retentit alors un vacarme tonitruant, propre à couper la chique aux plus bavards des spectateurs aixois ! Ne durant que quelques secondes, le tintamarre laisse la place à une pulsation stridente, lente et inquiétante, qui évoque le signal sonore d’un moniteur cardiaque, pendant que les mains de Pierre Bleuse, élevées loin au-dessus de la fosse, dansent de manière parfaitement chorégraphique, intensément éclairées par la poursuite-lumière.

 

 

Commence alors une délirante errance d’une petite trentaine de minutes, scandée en huit étapes : les Eight Songs for a Mad King de Peter Maxwell Davies. L’œuvre a été créée en avril 1969, par les Pierrot Players placés sous la direction de Davies lui-même, avec l’acteur-chanteur Roy Hart. Le nom de l’ensemble qui a assuré la création indique assez clairement la lignée dans laquelle l’œuvre s’inscrit : celle du Pierrot lunaire de Schönberg, dont les Eight Songs reprennent l’instrumentarium, augmenté seulement d’un copieux arsenal de percussions qui va du sifflet de gare au didjeridoo.

Après ce début scotchant et une rapide introduction orchestrale apparaît sur scène Johannes Martin Kränzle, dont la nudité n’est couverte que d’un boxer blanc. Le chanteur est affublé de larges traits de maquillage et de quelques faux ongles jaunes sur une main, qui évoquent les griffes des volatiles qu’affectionnait Georges III d’Angleterre, le mad king évoqué par le titre qui, dit-on, avait voulu apprendre le chant à ses oiseaux – à la création, les musiciens étaient juchés dans de larges cages. Dans la mise en scène de Barrie Kosky, les formidables interprètes de l’Ensemble Intercontemporain sont disposés dans la fosse et laissent la totalité de la scène, plongée dans la pénombre, au chanteur qui incarne le roi fou. La poursuite-lumière constitue l’autre protagoniste du spectacle, car elle suit les déplacements incessants du chanteur, qui n’hésite pas à jouer avec le cercle lumineux, dont le diamètre varie lui-même constamment, encadrant le seul visage de Johannes Martin Kränzle ou éclairant l’ensemble de son corps – crédité pour les lumières, Urs Schönebaum aurait mérité de saluer à la fin du spectacle, tant le metteur en scène lui demande de virtuosité. À l’issue des huit chansons, qui font alterner une musique volontiers criarde et provocatrice avec quelques parodies et pastiches (menuet, foxtrot, jusqu’à une citation du « Comfort ye » du Messie de Handel), le silence se fait, Johannes Martin Kränzle vient recueillir les applaudissements pour son incarnation sidérante à tout point de vue, Pierre Bleuse et ses musiciens saluent, puis quittent la fosse.

Nouveau black out : entrent côte à côte sur scène Anna Prohaska et Patricia Kopatchinskaja, habillées et coiffées en fausses jumelles, sur une oscillation lancinante du violon de la seconde, qui rappelle le battement cardiaque de l’œuvre précédente (« Die Guten gehn im gleichen Schritt » (« Les bons marchent d’un même pas« ). Tel est le début des Kafka-Fragmente de György Kurtág, créés en 1987. L’œuvre met bout à bout quarante courts fragments inédits de Kafka, tirés de sources diverses, et ordonnés par le compositeur aidé d’András Wilheim. Ces aphorismes musicaux durent d’une dizaine de secondes pour les plus courts à une poignée de minutes pour les plus développés. Le noir complet sépare chaque vignette et la poursuite-lumière (avec quelques variantes marginales) accompagne de nouveau les mouvements d’Anna Prohaska, qui se dépense elle aussi sans compter tout en chantant à tue-tête, pendant que Patricia Kopatchinskaja joue sa partie de violoniste-funambule qui jamais ne trébuche.

Le caractère dissemblable des deux œuvres qui, malgré le titre unificateur de Songs and Fragments et les jeux de lumière communs, sont plus juxtaposées que véritablement mariées, est sans doute ce qui m’a le plus posé problème. D’un côté, une petite formation orchestrale explosive, plus bariolée qu’un perroquet ; de l’autre, un violon seul qui, malgré le talent exceptionnel de la violoniste, semble monochrome en comparaison. D’un côté, un chanteur extravagant, outrageusement maquillé et dévêtu, auquel l’argument de la folie permet toutes les excentricités (jusqu’à la destruction d’un violon) ; de l’autre, une chanteuse investie corps et âme, mais vêtue d’une robe anonyme, et contrainte à donner une forme visuelle à des aphorismes généralement abstraits. Par ailleurs, si les jeux avec la lumière sont d’une virtuosité permanente, ils obtiennent leur effet maximal pendant le premier tiers du spectacle, sans toujours éviter de tourner au procédé par la suite.

Les Kafka-Fragmente ne manquent pourtant pas de moments fascinants, comme l’envoûtante berceuse « Schlage deinen Mantel, hoher Traum, um das Kind », l’étrange haiku « Träumend hing die Blume… », le méditatif hommage à Boulez « Der wahre Weg », qui constitue le point de gravité à la fois musical et littéraire de l’œuvre, ou même l’ironique fragment sur les deux « bâtons de promenade » (« Zwei Spazierstöcke »). Mais leur théâtre est à mon sens un théâtre plus intellectuel et ascétique, parfois jusqu’à l’aridité, qui s’accommode davantage d’une écoute solitaire, qui permet de ménager des respirations entre les fragments. Je ne suis pas sûr que leur écoute intégrale dans un théâtre rende justice à l’œuvre – de même que la lecture intégrale et rapide d’un recueil d’aphorismes risque d’en souligner l’artifice. Une dégustation à dose lente nourrirait davantage la réflexion et permettrait à tous leurs parfums d’infuser plus profondément. Spectacle inégal, donc, malgré l’originalité de la proposition théâtrale et musicale, mais interprètes justement ovationnés par un public renversé de tant d’engagement.

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CRITIQUE, opéra. AIX-EN-PROVENCE, Théâtre du Jeu de Paume, le 14 juillet 2024. DAVIES-KURTÁG : Songs and Fragments. Johannes Martin Kränzle, Anna Prohaska, Patricia Kopatchinskaja. Ensemble Intercontemporain / Barrie Kosky / Pierre Bleuse. Photos (c) Monika Rittershaus.

 

VIDEO : Prélude de « Songs and Fragments » au Festival d’Aix-en-Provence

 

PORTUGAL. 10ème Festival VERÃO CLÁSSICO de Lisbonne : 22 juillet > 2 août 2024. Ana Samuil, Filipe Pinto Ribeiro, Tedi Papavrami, Silvia Carredu, Geir Draugsvoll, Alissa Margulis, Pascal Moraguès, Eldar Nebolsin, Giovanni Gnocchi, Janne Saksala…

 

La 10ème édition du Festival VERÃO CLÁSSICO, toujours placée sous la direction artistique du pianiste portugais Filipe Pinto-Ribeiro, aura lieu du 22 juillet au 3 août, à Lisbonne – et présentera dix concerts avec des artistes consacrés – et de jeunes musiciens de plus de trente nationalités.

 

(Photos (c) Rita Carmo)

En 2024, pour la quatrième année consécutive, le Picadeiro Real du Museo Nacional dos Coches, à Lisbonne, accueillera tous les concerts du Festival VERÃO CLÁSSICO et, parmi les musiciens de renommée mondiale présents lors de cette dixième édition, on remarquera la présence de l’accordéoniste norvégien Geir Draugsvoll, de la violoniste allemande Alissa Margulis, du clarinettiste français Pascal Moraguès, du pianiste ouzbek Eldar Nebolsin, du violoncelliste italien Giovanni Gnocchi et du finlandais Janne Saksala, contrebassiste soliste de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, entre beaucoup d’autres. Le Concert d’Ouverture aura lieu le 23 juillet, avec l’interprétation d’œuvres de Robert Schumann, Antonín Dvořák et Felix Mendelssohn.

Le Festival VERÃO CLÁSSICO a été fondé en 2015 par le pianiste Filipe Pinto-Ribeiro et est considéré le principal événement musical de l’été à Lisbonne. Au cours des neuf éditions passées, de nombreux musiciens de l’élite mondiale ont participé au Festival VERÃO CLÁSSICO, et plus de mille jeunes musiciens en début de carrière, qui ont trouvé dans le VERÃO CLÁSSICO une rampe de lancement pour leurs brillantes carrières, comme, par exemple, le violoniste ukrainien Dmytro Udovychenko, brillant vainqueur du célèbre Concours International Reine Élisabeth de Bruxelles en 2024, la pianiste anglaise Isata Kanneh-Mason, la cheffe d’orchestre allemande Anna Handler, la violoniste américaine Claire Wells, le pianiste ukrainien Roman Fediurko, le flûtiste français Luc Mangholz, actuel soliste de l’Orchestre Philharmonique de Vienne, et plusieurs jeunes musiciens portugais de renom comme la flûtiste Sónia Pais et le clarinettiste Telmo Costa, tous deux solistes de l’Orchestre Gulbenkian, le hautboïste João Miguel Silva, soliste de l’Orchestre Philharmonique d’Oslo, le contrebassiste Rui Pedro Rodrigues, soliste de l’Orchestre Symphonique de la Casa da Música, et l’altiste Sofia Silva Sousa, soliste de l’Orchestre Symphonique de Londres, entre beaucoup d’autres…

Pour cette 10ème édition, le VERÃO CLÁSSICO accueillera à nouveau deux cents jeunes musiciens sélectionnés pour participer à de nombreuses masterclasses et concerts, provenant de plus de trente pays comme l’Allemagne, l’Argentine, l’Arménie, l’Australie, la Belgique, la Biélorussie, le Kazakhstan, la Chine, la Corée du Sud, Cuba, la Slovénie, l’Espagne, les États-Unis, la France, la Géorgie, la Grèce, la Hongrie, l’Iran, Israël, l’Italie, le Japon, le Mexique, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, le Royaume-Uni, la Roumanie, la Russie, la Syrie, la Suède, la Suisse et la Turquie. Les Masterclasses du VERÃO CLÁSSICO – de musique de chambre, piano, chant, instruments à cordes et à vent et, pour la première fois, d’accordéon – auront lieu au Conservatoire National et à l’École Marquês de Pombal, et seront dirigées par des musiciens et professeurs de renommée internationale, issus de quelques-unes des meilleures orchestres et conservatoires mondiaux, comme Vienne, Salzbourg, Copenhague, Madrid, Zurich, Genève, Paris et Berlin.

Le Concert de Clôture du 10ème VERÃO CLÁSSICO, le 2 août, mettra à l’affiche (entre autres…) la soprano allemande Anna Samuil, le violoniste albanais Tedi Papavrami, la flûtiste italienne Silvia Careddu et le pianiste Filipe Pinto-Ribeiro, fondateur et directeur artistique du Festival.

 

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Plus d’information en cliquant ci-après : https://www.veraoclassico.com/

 

CRITIQUE, concerts. AIX-EN-PROVENCE, Festival d’Art lyrique d’Aix-en-Provence (Grand-Théâtre de Provence), les 13 et 14 juillet 2024. BRAY / MOZART / BERLIOZ / SCHOENBERG / MAHLER. Orchestre de Paris / Christiane Karg (soprano), Klaus Mäkelä (direction).

 

Si l’Orchestre de Paris n’est pas descendu dans la fosse d’Aix-en-Provence cette année, il a poursuivi sa collaboration annuelle avec le Festival en donnant au Grand-Théâtre de Provence deux concerts successifs, sous la direction de son directeur musical charismatique, Klaus Mäkelä. Celui-ci a composé pour l’occasion deux programmes illustrant le brillant éclectisme de la formation parisienne : le premier dans la tradition musicale qui est la sienne, le second dans le grand répertoire germanique (et en l’occurrence spécifiquement viennois). Quelque peu hétéroclite, le premier associait la Symphonie fantastique de Hector Berlioz (créée en 1830 par la Société des Concerts du Conservatoire, ancêtre de l’Orchestre de Paris), à une création de Charlotte Bray (A Sky Too Small), ainsi qu’à la 31ème Symphonie de W. A. Mozart (dite « Paris »). Outre la probable volonté de mettre en avant le travail d’une compositrice prometteuse, ce programme en forme de cadavre exquis unissant Mozart et Berlioz s’explique sans doute par un clin d’œil cocardier du chef à la ville qui l’a accueilli comme  directeur musical, cela à la veille de la fête nationale française.

 

 

En cherchant bien, on trouve même quelques fils rouges plus discrets, qui sont peut-être de simples effets d’écoute : ces œuvres disparates ont toutes affaire avec l’idée de l’ostinato, ou de « l’idée fixe » pour le dire en termes berlioziens. La création de Charlotte Bray oscillait en effet autour d’un point fixe, comme le début de la symphonie parisienne en ré majeur, si peu mozartien avec cette tonique trois fois répétée, suivie d’une gamme complète et d’un dernier triomphant : début étonnamment fixe pour un compositeur d’ordinaire si mobile… Mäkelä joue de ce rugissement initial en faisant commencer l’orchestre sans attendre la fin des applaudissements, comptant sur ce coup de poing sur la table d’un compositeur désireux d’en découdre avec le public parisien pour éveiller l’attention du public et le surprendre.

Jeune compositrice britannique de 42 ans, Charlotte Bray est surtout une ancienne artiste de l’Académie du Festival d’Aix. A Sky Too Small était ainsi une commande conjointe du Festival et de l’Orchestre de Paris. Les notes de programme présentent l’œuvre comme le récit d’un enfermement, à la fois réel et psychologique. Je me garderais bien de formuler un jugement précis sur une œuvre brève, écoutée une seule fois et impossible à réentendre immédiatement. L’œuvre constitue une musique essentiellement atmosphérique, un ciel harmonique sombre zébré de percussions et de timbres étranges, qui revient obstinément sur un intervalle de seconde. Sa singularité et sa brièveté empêchent peut-être l’envoûtement recherché d’opérer dès la première écoute, mais elles donnent envie de pouvoir la réentendre (ce qui sera possible le 4 décembre à la Philharmonie de Paris).

Quel contraste avec la bonne santé, presque un peu démonstrative, de la symphonie mozartienne ! Le choix de la 31ème symphonie, dite « Paris », est l’occasion de se réjouir que Klaus Mäkelä, à l’instar d’autres chefs comme Simon Rattle, ne délaisse pas de jouer Mozart avec un orchestre sur instruments modernes – et pas seulement les trois dernières symphonies. Le chef et l’orchestre y montrent un sens du rebond et de la théâtralité proprement réjouissant, avec une pâte symphonique bien charpentée et assise sur ses cordes graves et les timbales. Peut-être pourrait-on rêver plus de fruité et de verdeur aux timbres des vents, un peu plus de délié pour les articulations rapides du dernier mouvement ; mais ce Mozart avait beaucoup d’esprit et de jeunesse et, dans le théâtre fermé un peu froid d’Aix, comme un sentiment de plein air.

Pièce maîtresse de ce premier concert, la Symphonie fantastique de Berlioz, œuvre excessive s’il en est, visionnaire, et dont on a peine à s’imaginer qu’elle a été créée seulement 52 ans après la symphonie de Mozart ! À mes oreilles, Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris y ont atteint la quadrature du cercle, en en donnant une interprétation orgiaque, quoique parfaitement équilibrée dans ses proportions. De manière générale, Mäkelä choisit de ne pas partir en trombe, afin de ménager savamment ses effets, avec un sens dynamique proprement stupéfiant. Se succèdent ainsi une « Rêverie – Passions » fiévreuse mais sortant d’une douloureuse léthargie, un « Bal » gracieux et parfumé, sans aucune précipitation, une exceptionnelle « Scène aux champs », plongée dans une torpeur où chaque mouvement semble coûter (et où chaque frémissement est d’une expressivité maximale, notamment grâce au cor anglais quintessencié de Gildas Prado), une « Marche au supplice » d’une progression implacable, et un « Songe d’une nuit de sabbat » délirant et excessif comme il faut, mais qui ne sature jamais l’acoustique du GTP. Les cordes y sont délibérément râpeuses, les bois sous acide, les percussions explosives et les cuivres menaçants. Ce premier concert était l’occasion de célébrer sympathiquement le départ à la retraite du corniste Jean-Michel Vinit, célébré aux saluts avec banderoles dans la salle et cris dignes de supporters de l’Euro. Sans doute était- il heureux de quitter l’orchestre après un tel triomphe musical.

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Le second programme, le lendemain, proposait un ensemble plus cohérent constitué de la Nuit transfigurée d’Arnold Schönberg (1899) et de la Quatrième Symphonie de Gustav Mahler (1901). L’Orchestre de Paris s’y est montré à nouveau dans une forme éblouissante, et pas seulement dans son pupitre de bois, qui a toujours fait sa fierté. L’œuvre de Schönberg était justement l’occasion de montrer la cohésion des cordes, seules présentes sur scène. Le début est crépusculaire, comme sorti des profondeurs, et magnifique de timbres, avant que le magma ne s’anime peu à peu, jusqu’à atteindre la puissance d’une coulée de lave.Superbe interprétation, qui en souligne le post-romantisme ravageur plutôt que les prémices d’une écriture plus moderne. 

Seule la Quatrième Symphonie de Mahler m’a paru un petit cran en-dessous. Non que l’orchestre ne s’y montre également glorieux : l’attention que porte Mahler aux timbres des bois dans cette symphonie privée d’une partie des cuivres habituels (pour une fois, ni trombone, ni tuba) met particulièrement en valeur le raffinement des solistes de l’ensemble parisien, et les autres pupitres se placent à un même niveau d’excellence. Mais la recherche d’un son voluptueux et d’une ligne continue m’a semblé parfois lisser quelque peu le propos. Certes, la quatrième est sans doute la symphonie la plus lumineuse du compositeur ; mais j’aime quand cette lumière combat des moments plus dépressifs, quand les passages rayonnants alternent avec des moments où dominent l’instabilité et l’étrangeté, quand l’espérance et la confiance finale se gagnent sur des moments de vacillement. On parle souvent de la quatrième comme de la symphonie « classique » de Mahler ; dans son interprétation, Klaus Mäkelä me semble avoir pris ce qualificatif dans un sens presque littéral. J’y préférerais une dimension parodique plus affirmée et pas seulement dans le jeu discordant du scherzo – je pense par exemple à la version peu orthodoxe et pourtant passionnante de Vladimir Jurowski à la tête du London Philharmonic Orchestra (avec une soprano confidentielle mais radieuse : Sofia Fomina).

La quatrième de Mäkelä reste toujours d’une suprême élégance, n’abusant pas des glissandi des cordes (alors que j’aurais presque aimé un peu plus de « mauvais goût »…). Dans le Lied final qu’elle chante un peu partout dans le monde, Christiane Karg est authentiquement « céleste » (« himmlische »), mais on pourrait là aussi rêver plus de variété, d’épices, ou un côté plus primesautier – voire un timbre plus riche d’harmoniques, comme celui de la sublime Margaret Price avec Jasha Horenstein (et le LPO, décidément), qui darde son « Sanct Peter im Himmel sieht zu » comme nulle autre ! C’est toutefois sans la moindre réserve que la salle a applaudi la soprano, l’orchestre et son chef, ainsi qu’un violoniste du rang qui partait lui aussi à la retraite : visiblement ému par l’ovation, celui-ci a fait mine de remettre son violon sur l’épaule pour un bis, avant d’éclater de rire et de remercier ses collègues et le public. On lui souhaite à lui aussi une retraite où, comme dans le lied, « tout s’éveille à la joie ».

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CRITIQUE, concert. AIX-EN-PROVENCE, Festival d’Aix-en-Provence (Grand-Théâtre de Provence), les 13 et 14 juillet 2024. BRAY / MOZART / BERLIOZ / SCHOENBERG et MAHLER. ORCHESTRE DE PARIS / Christiane Karg (soprano), Klaus Mäkelä (direction). Photo (c) DR.

 

VIDEO : Bernard Haitink dirige la 4ème Symphonie de Gustav Mahler

 

OPÉRA DE SAINT-ÉTIENNE. Nouvelle saison 2024 – 2025 : « La Scène est tienne ! »… Temps forts et productions maison (Thaïs, Cavalleria Rusticana / I Pagliacci, L’Enlèvement au Sérail, Samson et Dalila…), Créations (Un soir à Buenos Aires / Richard Galliano, Canticum Novum…), événements et rendez-vous publics…

Situé sur la colline de Villebœuf, site surplombant toute la ville de Saint-Étienne, l’Opéra ou Grand-Théâtre Massenet domine la cité ; c’est un phare culturel visible de tous, bâtiment emblématique dont l’accès s’offre ainsi à tous et à toutes : « La scène est tienne ! », telle est la déclaration d’amour du Théâtre vers tous les Stéphanois et à l’adresse de chaque visiteur. La Maison de la culture voulue par André Malraux, est devenue ce lieu ouvert, accessible, plus que jamais actif, au regard du nombre de ses productions maisons, portées par l’excellence et la magie du spectaculaire ; c’est un écrin théâtral, la fabrique des rêves… où chacun peut se sentir chez lui. La campagne visuelle associée à la nouvelle saison réalise une galerie de portraits, d’usagers et spectateurs, familiers désormais du Théâtre : tous posent devant la vaste salle pour un selfie.

 

 

Côté opéras, 3 rendez-vous, « made in Saint-Étienne » (décors et costumes réalisés à l’Opéra de Saint-Étienne) sont à ne pas manquer : l’inusable et bouleversante Thaïs du compositeur natif, Jules Massenetles 15, 17, 19 nov 2024 ; Cavalleria Rusticana de Mascagni, et I Pagliacci de Leoncavallo, sommets absolus du vérisme italien, drames en un acte chacun et présentés en une seule soirée (mémorable) les 9, 11, 13 mars 2025… sans omettre l’opéra en allemand du divin Wolfgang Amadeus : L’enlèvement au Sérail (Die Entfürhung aus dem Serail créé au Burgtheater de Vienne en 1782) – les 13, 15 et 17 juin 2025…  A noter que dans le rôle de Konstanze, l’héroïne de cet Enlèvement, les Stéphanois retrouveront la soprano Ruth Iniesta (qui chante aussi le rôle-titre de Thaïs en début de saison), sous la direction de Giuseppe Grazioli, directeur musical de l’Opéra (qui dirigera les deux grands concerts événements de la saison : la Création mondiale de Richard Galliano « Un soir à Buenos Aires », puis « Le songe d’une nuit d’été » de Felix Mendelssohn, en fin de cycle (lire ci-après).

Parmi les autres offres lyriques, notons Le Messie de Haendel (sous la baguette de Paul Agnew, 11 février 2025), et la production de Samson et Dalila de Saint-Saëns en provenance du Théâtre de Kiel (Allemagne) avec le Samson de Florian Laconi et la Dalila de Marie Gautrot… aux côtés du Grand Prêtre de Dagon d’Armando Noguera, sous la direction prometteuse de Guillaume Tourniaire, grand spécialiste de l’opéra romantique français (et qui a déjà enregistré plusieurs opéras de Saint-Saëns dont un excellent et référentiel Ascanio / CLIC de CLASSIQUENEWS) – au Grand Théâtre Massenet, les 9, 11 et 13 mai 2025.

 

Opéra de Saint-Étienne :
LA SCENE EST TIENNE !

 

 

L’Opéra de Saint-Étienne sait varier son offre en affichant également plusieurs concerts symphoniques, et des programmes musicaux de plus en plus enivrants dont celui en ouverture de saison : « Un soir à Buenos Aires » (avec l’accordéon argentin d’Astor Piazzolla c’est à dire Richard Galliano qui a conçu ce programme présenté en création mondiale, samedi 28 sept 2024) et en clôture, la magie poétique enivrée elle aussi du Songe d’une nuit d’été (Midsummer night’s dream) de Mendelssohn (avec pour récitant, la voix de Lambert Wilson, mardi 24 juin 2025).

Parmi les nombreux autres événements symphoniques, soulignons les 3 concerts de l’EOC Ensemble Orchestral Contemporain (orchestre en résidence, sous la direction de Bruno Mantovani) : « Dérives » / programme dédié à Pierre Boulez pour le centenaire 2025, 10 déc 2024 ; « Soulèvement(s) » (Philippe Hurel, Emmanuelle Da Costa, Pascale Jakubowski, Luigi Dallapiccola, 20 fév 2025) ; « Ciné-concert surréaliste » (films courts de Méliès, 1er avril 2025).

Ne manquez pas non plus l’autre ensemble en résidence, Canticum Novum (Emmanuel Bardon, direction), et ses 2 nouveaux programmes en création : « OYAT – Arbre de vie » (le 19 déc 2024), ainsi que « ENVOL(s) – métamorphoses » (romances espagnoles séfarades, chansons de Guillaume de Machaut, chants traditionnels de Turquie, Arménie, Syrie, 17 avril 2025) ; mais aussi le concert Ode à la Nature « Wonderful World » de Christian-Pierre La Marca, Julie Depardieu et Yann- Arthus Bertrand (23 janv 2025) ;

 

ESSOR DE LA DANSE

Genre de plus en plus populaire tant elle est appréciée du grand public, la danse confirme sa place de choix au sein de la programmation 2024 – 2025 qui permet de retrouver les compagnie déjà venues (tel le Malandain Ballet Biarritz et son ballet « Mosaïque », jeudi 16 janv 2025) et une nouvelle collaboration internationale qui permet aux Stéphanois de (re)découvrir les tableaux à la fois malicieux et oniriques du ballet « Alice » (inspiré du conte de Lewis Caroll) par la troupe irrésistible taïwanaise, « B.DANCE ;» (chorégraphie de Po-Cheng Tsai (2021) / musique rythmique et hypnotique de Rockid Lee : un must absolu,  jeu 27 mars 2025). Cette saison est aussi marquée par deux autres spectacles incontournables : « Ukiyo-e » du chorégraphe Rachid Ouramdane (créé au Grand Théâtre de Genève en 2022,  mer 18 déc 2024), et le ballet « Giselle(s) » du Théâtre du Corps Pietragalla (jeu 10 avril 2025)… qui célèbre l’acte libérateur des Willis, ces créatures féminines vengeresses qui pourchassent les bourreaux ordinaires des femmes trop naïves. Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault dénoncent les violences faites aux femmes tout en envisageant la permanence de l’amour…

Parmi les récitals de piano, (re)découvrez le Geister Duo (David Salmon, Manuel Vieillard, dans un programme romantique français : Chaminade, Bizet, en dialogue avec Schubert, le 18 mars 2025) ; et Kit Armstrong qui joue Chopin, Liszt, Rachmaninov, Saint-Saëns (le 19 mars 2025)…

Enfin, soucieux de combler les plus jeunes et leurs parents, l’Opéra stéphanois a aussi déployé un large choix de spectacles « jeunes spectateurs  qui comblera les attentes de toutes les familles. Entre autres, « Le manoir de Tante Marguerite » (création, les 20 et 23 nov 2024, dès 8 ans) ; « Chimène, faire entendre sa voix » (dès 13 ans, le 30 janvier 2025) ; « La pétoche » (dès 3 ans, les 12 et 15 fév 2025) ; « L’Au-Dessus » (BD concert dès 8 ans, les 21 puis 24 mai 2025)…

Plus que jamais, la nouvelle saison 2024/2025 de l’Opéra de Saint-Étienne concoctée par son directeur général et artistique, Éric Blanc de la Naute, tend le miroir vers nos sociétés « avec la précision d’une radiographie et la beauté d’un chef d’œuvre »… En « nous parlant de nous, comme société et comme individus », l’opéra permet l’examen de conscience et la catharsie salutaire ; il offre de nous transformer vers plus d’humanisme, vers notre humanité qui en dérive actuelle, peine à émerger dans ses valeurs les plus essentielles : compassion et fraternité, respect et responsabilité.

 

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TOUTES LES INFOS, les détails des programmes et des distributions sur le site de l’Opéra de Saint-Étienne : https://opera.saint-etienne.fr/otse/

 

Réouverture de la billetterie lundi 26 août, midi.
Billetterie en ligne accessible tout l’été et après : https://opera.saint-etienne.fr/otse/

 

 

LILLE, les ESTIVALES de la TREILLE, chaque samedi à 18h30, jusqu’au 31 août 2024. Auskulti, Cymba 4, Arnaud Dumond, Caritas Chamber Choir de Canterbury, Harmonia Sacra…

Concerts gratuits à NOTRE-DAME de la TREILLE. Tout l’été, la Cathédrale Notre-Dame de la Treille ouvre grandes ses portes et accueille, chaque samedi à 18h30, tous les publics pour une série de concerts, qui est devenue l’événement de l’agenda musical lillois chaque été.

 

 

Beaucoup de résidents comme de visiteurs battent le pavé lillois en juillet et en août, alors que l’Opéra est fermé et qu’il n’existait qu’une offre limitée pendant l’été. Aux côtés des Nuits d’été, festival lyrique proposé en juillet par l’ON LILLE, Orchestre National de Lille, Notre-Dame de la Treille affiche ses Estivales (initiative portée depuis 2016 par Les Amis de la Cathédrale Notre-Dame de la Treille), soit une dizaine de concerts gratuits qui s’offre ainsi aux visiteurs ayant passé le splendide portail occidental, gageure de marbre translucide (conçu par Peter Rice), sublimée par la lumière du soleil.

Selon le souhait de Didier Laleu, directeur artistique des Estivales, la programmation demeure éclectique et ouverte ; les concerts mêlent programmes de musique baroque et classique, musiques chorales et musique de chambre, récitals de piano et de guitare, chants traditionnels et concert d’orgue (l’orgue in loco est l’un des plus grands d’Europe, ex instrument de la Mason de la Radio à Paris, déplacé ici en 2007 pour l’euro symbolique). Chaque concert permet de (re)découvrir la splendeur d’un écrin patrimonial qui inspire méditation et partage…

 

LILLE, Cathédrale NOTRE-DAME de la TREILLE

Prochains concerts des Estivales de la Treille
chaque SAMEDI à 18h30

 

20 juillet 2024
Ensemble Auskulti (7 instrumentistes)
Beethoven : Septuor pour cordes et vents opus 20
Sur instruments d’époque
https://www.youtube.com/watch?v=Nwi9-fV7k-4&ab_channel=Vicentrompa

 

27 juillet 2024
Récital de Kateryna Kulikova, piano
La pianiste ukrainienne, originaire de Kiev joue Bach, Busoni, Liszt, Kossenko ; elle est professeur à l’Académie Nationale de Musique de Kiev.

 

3 août 2024
Cymba 4
L’ensemble Cymba 4 met à l’honneur l’instrument roi des musiques klezmer et dans l’Europe de l’Est, le cymbalum. Voyage dans les musique des pays de l’Est avec une touche Klezmer (musique Yiddish) autour du cymbalum (Marc-Antoine PAYEN), de la clarinette (Didier LELEU), du violon (David WACHEUX) et de la contrebasse (Jacinto CARBAJAL)…
https://drive.google.com/file/d/1LIxON4lf66Ifvc5lWMwGZvUW8xhPOKb2/view

 

10 août 2024
Récital d’Arnaud Dumond, guitare
Guitariste à la renommée internationale, Arnaud Dumond joue plusieurs pièces du répertoire à travers les siècles, de la Renaissance au contemporain ; il dialogue avec la flamenquiste Elena San Romàn au début et à la fin du récital

Arnaud Dumond : Asturias
https://www.youtube.com/watch?v=oHnXBftvuyo
Tarantosphère par Arnaud Dumond + Elena San Romàn
https://www.youtube.com/watch?v=IqnWzWzlwsA
Elena San Romàn et Arnaud Dumond (DR)

 

 

 

 

17 août 2024
Chœur Caritas Chamber Choir de Canterbury
Oeuvres chorales de Josef Rheinberger (Cantus Missae), Anton
Bruckner, Gustav Holst et Gabriel Fauré. Première de l“Ave Maris
Stella” de Benedict Preece, fondateur directeur du Chœur britannique

Chœur Caritas Chamber Choir de Canterbury (DR)

 

 

 

 

24 août 2024
Concert flûte à bec et orgue
Dominique FREMAUX – flûtes à bec, Marie et Sébastien COCHARD –
orgue. Au programme : G.P.Telemann, W.Byrd, P. Attaignant, I.PLeyel, F. Barsanti, B. Marcello…

 

31 août 2024
Ensemble Harmonia Sacra
Yannick Lemaire, direction
Musique chorale baroque italienne
Dont le SALVE REGINA de Francesco Foggia (1604-1688)
Capucine MEENS, Stéphanie REVILLION (voix), Edouard CATALAN
(violoncelle), Jean-Luc HO (clavecin), Justin GLAIE, (théorbe), Yannick
LEMAIRE (orgue)
https://www.youtube.com/watch?v=0RQ3TwhenD8

Harmonia Sacra (DR)

 

 

 

 

 

 

LILLE, Les Estivales de la Treille, Cathédrale Notre-Dame de la Treille
Place Gilleson. Chaque samedi à 18h30, jusqu’au 31 août 2024

Entrée gratuite, libre participation
Renseignements, infos : Les Amis de la Cathédrale de la Treille :
[email protected]

 

 

entretien

LILLE, Festival Les Estivales de la Treille : chaque samedi, jusqu’au 31 août 2024. ENTRETIEN avec Jean Vandamme, président des Amis de la cathédrale Notre-Dame de la Treille et Didier Laleu, directeur artistique des Estivales de la Treille

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CRITIQUE, festival. AIX-EN-PROVENCE, Festival d’Art lyrique d’Aix-en-Provence (Grand-Théâtre de Provence), le 12 juillet 2024. DEBUSSY : Pelléas et Mélisande. Chiara Skerath, Huw Montague Rendall, Laurent Naouri… Orchestre de l’Opéra National de Lyon / Katie Mitchell / Susanna Mälkki.

Dans le Pelléas et Mélisande freudien de Katie Mitchell (et Martin Crimp), on piétine les tables des dîners de famille, les armoires sont des seuils et les personnages tiennent des passe-murailles. Si le spectateur ne sait jamais bien à quoi s’en tenir, c’est que Mélisande rêve. Le prologue scénique (allongé dans cette reprise), dans lequel l’héroïne en robe de mariée pénètre affolée dans sa chambre pour effectuer un test de grossesse, avant de s’effondrer sur son lit, l’indique de manière frappante et crue. Si l’idée n’est pas neuve, elle est particulièrement appropriée pour aborder le monde ténébreux de Maurice Maeterlinck, dont la metteuse en scène accentue la dimension d’enfermement. Le huis clos est sans échappatoire : les personnages se débattent dans des boîtes à l’air vicié, où la nature ne pénètre que par effraction, par une sorte de poussée souterraine. L’escalier en hélice, qui évoque aussi bien celui du Philosophe de Rembrandt que les architectures pétrifiées de Piranèse, ne les mène nulle part ailleurs que dans les enroulements tortueux de leur psyché. Sans doute y a-t-il quelque chose d’étouffant à pareille proposition, qui évacue les moments de respiration que le livret et la musique ménagent – d’où peut-être la moindre réussite de certains de ces tableaux, notamment ceux des jardins et de la fontaine, où l’on ne sent guère l’air de la mer ni les embruns.

 

 

Et pourtant, huit ans après la création du spectacle à Aix, on admire toujours la beauté foisonnante de ces tableaux alla Bergman, superbement éclairés, leur mobilité incessante et troublante, l’habileté dramaturgique qui permet de délaisser la logique et la cohérence narrative au profit de l’exploration des fantasmes. Le dédoublement de Mélisande replace ses désirs et ses souffrances au cœur de l’action ; le choix d’une comédienne métis (Olivia N’Ganga) pour incarner le double de Julia Bullock perd une partie de sa force de miroir en raison du remplacement tardif de la chanteuse par Chiara Skerath ; mais il enveloppe paradoxalement d’un voile supplémentaire le rêve étrange de la jeune femme.

La mise en scène repose sur un équilibre toujours vacillant entre symbolisme et réalisme : elle joue des nombreux symboles du texte, traités comme tels et omniprésents (les fleurs, les mains refusées, les aveugles…) et sur le réel violent que les symboles dissimulent (sexualité, domination, emprisonnement). La version revue penche plus que naguère du deuxième côté, introduisant une sexualité explicite dès que les personnages se rapprochent et que la musique se fait spasmes. À mes yeux, Pelléas a besoin de plus de verres dépolis – ou de parois d’ivoire, comme la porte à travers laquelle se jouent les rêves trompeurs de l’Odyssée ou des premières lignes d’Aurelia de Nerval (lignes qui pourraient presque servir d’argument à la production). Si la mise en scène convainc en dépit de ces quelques réserves, c’est aussi et surtout parce qu’elle est soutenue par une direction d’acteurs raffinée, pleinement investie par les chanteurs réunis, grâce auxquels les moments chorégraphiques ou cinématographiques imaginés ne versent jamais dans le ridicule. Le trio tragique est notamment d’une remarquable intensité.

Déjà présent à la création du spectacle, et promenant son Golaud sur toutes les grandes scènes depuis plus de vingt ans, Laurent Naouri compense largement l’usure (relative) des moyens par un art souverain du geste et de la voix, qui lui permet d’atteindre une expressivité maximale. N’abusant jamais de l’autorité naturelle qui est la sienne, il sait aussi bien incarner la violence du personnage que sa vulnérabilité. Son dernier acte bouleverse, encore et toujours. En Mélisande, Chiara Skerath assume la difficile tâche de succéder à Barbara Hannigan, qui avait pleinement collaboré au travail scénique de Katie Mitchell. Sans chercher à imiter sa consœur, la soprano s’empare du rôle avec un timbre plus corsé et une diction d’un grand naturel. Sa présence, peut-être moins magnétique, m’a paru aussi plus incarnée ; moins « oiseau qui n’est pas d’ici », certes, mais épousant parfaitement le parti pris de la production, qui consiste faire passer Mélisande d’objet à sujet. Son engagement contraste pleinement avec le Pelléas de Huw Montague Rendall. Dans cette production, le personnage paraît vouloir rompre avec le comportement dominateur de la famille royale d’Allemonde. D’où un homme qui semble avoir peur de lui-même. Au reste, la mise en scène lui laisse moins d’initiative et met quelque peu sa sensualité sous le boisseau. Mais que de sensualité, en revanche, dans le timbre rayonnant du baryton britannique, doté de surcroît d’une diction française « plus fraîche et plus franche que l’eau ». En dépit de son air d’homme égaré dans une histoire qui n’est pas la sienne, son Pelléas est poignant. Luxe exquis que la présence de Lucile Richardot en Geneviève : la chanteuse donne l’impression d’être la grande sœur de Mélisande plutôt que mère de Golaud – de même qu’Arkel dira à propos de Mélisande, juste avant le rideau final : « Elle est là comme si elle était la grande sœur de son enfant… » Ni poseuse, ni empesée, sa lecture de la lettre étreint. D’Arkel, Vincent Le Texier trouve la noblesse un peu hiératique et amidonnée. L’acteur est toujours juste. Au terme d’une longue carrière, la fatigue de la voix se mue en l’expression d’une lassitude devant la répétition, génération après génération, des mêmes erreurs – auxquelles le vieillard succombe à son tour. Emma Fekete, enfin, incarne un Yniold au féminin, avec une diction une fois de plus parfaite, et un chant élancé et juvénile.

Sans doute l’unité et la tenue de cette reprise sont-elles aussi redevables à la direction de Susanna Mälkki, qui semble s’être mise à l’écoute des chanteurs et de la mise en scène, sans tirer la couverture à elle. Magnifiquement défendu par les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra National de Lyon, le début est d’une lenteur envoûtante et capiteuse, comme engourdi, plein de brumes et de grondements sourds, accompagnant parfaitement le rêve de Mélisande qui commence. Il ne s’agit pas d’une direction assoupie pour autant, le lyrisme éclatant quand il faut, comme la violence, qui vient « vous frapper au visage » dans la (toujours insoutenable) scène de voyeurisme avec Yniold. Une interprétation vénéneuse, en somme, comme engendrée sous une serre tropicale, et où l’on sent « l’odeur de mort qui monte ».

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CRITIQUE, opéra. AIX-EN-PROVENCE, Grand théâtre de Provence : les 6, 9, 12, 15 et 17 juillet 2024. DEBUSSY : Pelléas et Mélisande. Chiara Skerath, Huw Montague Rendall, Laurent Naouri, Lucile Richardot, Vincent Le Texier, Emma Fekete… Katie Mitchell / Susanna Mälkki. Photos (c) Jean-Louis Fernandez.

 

VIDEO : « Pelléas et Mélisande » de Debussy selon Katie Mitchell au Festival d’Aix-en-Provence (2016)

 

ENREGISTREMENT événement, Première mondiale (annonce). SCARAMUCCIA : Sonata pour violon RV 829 (Snakewood Editions).

Événement baroque de l’été (entre autres), ce VIVALDI méconnu, oublié des musicologues, que l’excellent ensemble sur instruments d’époque SCARAMUCCIA exhume et électrise, sous leur propre label (Snakewood éditions). Enregistré en première mondiale, et pour le moment en format numérique uniquement, la Sonate pour violon RV 829 (en la majeur) est l’une de ces perles ciselées dont la finesse et la vitalité rythmique démentent à jamais l’avis (un rien provocateur et très caricatural) émis par Stravinsky…, selon lequel Vivaldi aurait écrit 300 fois le même Concerto !…

 

Première Mondiale :
SCARAMUCCIA identifie et réhabilite le
829ème opus de Vivaldi, enfin authentifié
et inscrit dans son catalogue « RV »

 

Vivaldi TV 829 scaramuccia premiere critique-cd-classiquenews-RV-829.jpgAux sources de cette fabuleuse redécouverte (et attribution avérée), les recherches à l’été 2023 du musicologue et violoniste Javier Lupiáñez qui est le directeur artistique de SCARAMUCCIA : le musicien identifie une Sonate déposée sous le nom d’un autre compositeur. Après l’avoir soumis à l’examen d’un autre spécialiste de Vivaldi, Fabrizio Ammetto avec lequel Javier Lupiáñez signe un article dédié dans le journal « Studi Vivaldiani », l’œuvre est bel et bien authentifiée et intégrée au catalogue officiel des œuvres vivaldiennes, sous le numéro RV 829.

Violoniste virtuose, Vivaldi avait coutume pour diffuser et faire connaître son génie, de composer des pièces de bravoure ; ainsi la Sonate RV 829, exemple le plus explicite d’une Sonate dite « auf Concertenart », un type de sonate que Vivaldi a utilisé comme « carte de visite » pour démontrer son étonnante maestria au violon.
Ce modèle de sonate reste inhabituelle dans le répertoire italien avant Tartini, ce qui rend la composition vivaldienne particulièrement intéressante : virtuose et visionnaire, elle accrédite davantage le génie du Pretre Rosso.

Au fait des dernières connaissances musicologiques, l’ensemble SCARAMUCCIA aborde chaque partition dans le respect des pratiques historiques, en s’appuyant sur une approche musicologique particulièrement fouillée. Recherche et pratique fusionnent sous les doigts des 3 musiciens de l’ensemble : le violiniste (et musicologue)
Javier Lupiáñez, la violoncelliste Inés Salinas, la claveciniste Patrícia
 Vintém.

 

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ENREGISTREMENT événement, première mondiale, annonce : SCARAMUCCIA : Sonata pour violon RV 829 (Snakewood Editions). CLIC de CLASSIQUENEWS été 2024 – enregistré en octobre 2023 aux Pays-Bas – PLUS D’INFOS sur le site de l’ensemble Scaramuccia : www.scaramucciaensemble.com  –  Prochaine critique complète à venir sur CLASSIQUENEWS

 

 

 

 

Antonio Lucio Vivaldi
Violin Sonata in A major rv 829 / Sonate pour violon en la majeur RV 829
I. Arpeggio – Allegro II. Adagio III. Allegro

Scaramuccia
Violin and direction / violon et direction : Javier Lupiáñez
Violoncello / violoncelle: Inés Salinas
Harpsichord, clavecin : Fernando Aguado
Theorbo / théorbe : Earl Christy

 

Formats: hd wav + booklet in pdf (Texts in English and Spanish)
Release date: January 2024
Catalogue number: sdig202401  –  ean: 4066218973181
Duration: 13 min 27 s
Recorded at Protestantse Onze-Lieve-Vrouwe-kerk Uitwijk (The Netherlands)
on 30th October 2023 – Recording and mastering: Erik de Goederen / Recording producer: Giorgos Samoilis / Edition: Javier Lupiáñez / Editing assistance: Inés Salinas / Texts: Javier Lupiáñez / Texts proofreading: Inés Salinas / Design: Javier Lupiáñez / Translations: Jennifer McDonald
Music

 

SCARAMUCCIA

Scaramuccia a eu le privilège d’attribuer, de créer et d’enregistrer pour la première fois des œuvres de Vivaldi, Albinoni et Pisendel, gagnant le prix du public au Göttinger Reihe Historischer Musik International Competition, obtenant 8 nominations pour les prix ICMA et Opus Klassik pour leurs œuvres enregistrées. L’ensemble est également demi-finalistes pour les REMA European Early Music Awards, dans la catégorie « Patrimoine et répertoire » pour leur projet « Le projet Cabinet II ».

 

Snakewood editions

Snakewood est un label d’enregistrement indépendant et une maison d’édition spécialisée dans la musique baroque. Le label cherche à offrir un résultat de haute qualité, dépassant les standards basiques de l’industrie à chaque étape. Souvent ses réalisations ont permis de réhabiliter les répertoires inconnus grâce entre autres à la consistance du matériel musicologique développé. Chaque enregistrement est réalisé par et pour des musiciens, alliant fidélité musicologique et pratique interprétative historiquement informée. Ce nouveau programme Vivaldi, inédit, en témoigne de façon éloquente. Rigueur et honnêteté de l’interprétation musicale et recherche musicologique particulièrement poussée.
PLUS d’infos sur le site de l’éditeur SNAKEWOOD editions : https://www.snakewoodeditions.com/

 

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ACHETEZ le SINGLE CD VIVALDI : Sonate pour violon RV 829 par SCARAMUCCIA,Vivaldi TV 829 scaramuccia premiere critique-cd-classiquenews-RV-829.jpg sur le site des éditions SNAKEWOOD :
https://www.snakewoodeditions.com/product/vivaldi_rv_829/

 

CRITIQUE, concert. MONACO, Cour d’honneur du Palais Princier, le 11 juillet 2024. FRANCK / LISZT / GERSHWIN. Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Alexandre Kantorow (piano), James Gaffigan (direction).

Depuis 1959, les Concerts au Palais Princier rythment l’été monégasque : ce ne sont pas moins de 6 concerts symphoniques qui vont se tenir – entre le 11 juillet et le 8 août – dans la magnifique Cour d’Honneur du Palais Princier – où l’étiquette est stricte (pour les hommes du moins) : cravate et veste de rigueur ! La musique est chose sérieuse à Monaco, et le millier de personnes réunies ce soir partagent ce plaisir élitiste d’être convié dans l’intimité princière, car le Prince est parmi les happy few (ou plutôt juste derrière eux, sous les voûtes du corridor d’une des ailes du Palais. Paré de fresques comme une tapisserie, fenêtres aux proportions classiques, tourelles toscanes et cheminée vénitienne, le décor qui s’offre au regard du public est inspirant et somptueux. Devant la galerie d’Hercule (rappelons que, selon la légende, après avoir tué sa femme et ses enfants, le héros de l’Antiquité se fit ermite ici-même !), les célèbres escaliers aux deux majestueuses montées symétriques offrent une scène à gradins, idéale pour y placer l’orchestre, tandis que l’audience leur fait face, répartie en cinq blocs distincts autour de lui.

 

 

Et c’est dans la relative fraîcheur d’une douce soirée d’été que nous avons assisté au premier concert de la série, qui mettait à l’affiche, en plus des forces vives de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo (placé sous la direction du chef américain James Gaffigan), le jeune pianiste virtuose français Alexandre Kantorow – pour une interprétation du Concerto pour piano n°2 (1839) de Franz Liszt aux côtés de la célèbre musique d’Un Américain à Paris de George Gershwin. Mais comme de coutume, la soirée commence par un “tour de chauffe” de l’orchestre, avec ici le très rare poème symphonique Le Chasseur maudit (1882) de César Franck.

Cette pièce de 14 minutes est tirée d’après une ballade de Gottfried August Bürger (Der wilde Jäger), qui nous raconte la malédiction dont est victime un chasseur qui enfreint a règle religieuse du repos dominical, profanation qui le conduira en Enfer. Sur un phrasé très en relief et une dynamique tendue, Gaffigan et la phalange monégasque en livrent une lecture quasi cinématographique, suivant au plus près la dramaturgie. Commençant par une paisible mélodie méditative – où les percussions évoquant les cloches d’église dialoguent avec les cors et les violoncelles -, le phrasé est ensuite bousculé par de véhémentes fanfares de cuivres, pour devenir de plus en plus inquiétant. Le tempo se précipite et le discours s’enflamme, scandés par les timbales, puis se charge de suspense jusqu’au climax et la chute finale dans les abîmes de l’Enfer. Une belle découverte en guise d’ouverture de soirée !

Puis arrive, par le corridor sous la fameuse galerie herculéenne, le jeune et fringant pianiste, toujours aussi décontracté, peu importe le lieu du concert. Rejoignant le clavier à grandes enjambées, il ne fait qu’une bouchée du Second Concerto de Franz Liszt, une œuvre à la mesure de ses moyens démesurés, même s’il fait ici davantage preuve d’aisance que de perfection. Libre et fantasque, jusqu’à flirter un peu avec l’esbroufe, le discours progresse plus par à-coups que dans la continuité, mais il est impossible de résister à cet enthousiasme un peu échevelé, d’autant que l’orchestre joue pleinement le jeu, enfiévré par la baguette du fougueux chef étasunien.

Une fougue renouvelé dans la dernière pièce de la soirée, donnée sans entracte, dans le fameux An American in Paris dirigé d’une main de maître par Gaffigan, et qui évoque en musique le séjour de George Gershwin dans la capitale en 1920. L’orchestre y est plus étoffé que de coutume pour cet ouvrage, nous semble-t-il, comprenant de multiples percussionnistes et deux saxophonistes. L’exécution orchestrale est d’une précision rare, l’articulation des différents épisodes fluide et le final swingue à souhait sous la direction chaloupée d’un Gaffigan manifestement heureux d’offrir cette musique de son pays natal à un public franco-monégasque !

Le prochain concert au Palais aura lieu le jeudi 18 juillet – et couplera le Concerto pour violon de Bruch aux deux poèmes symphoniques de Tchaïkovsky que sont Mazeppa et le Capriccio italien, toujours avec l’OPMC placé cette fois sous la battue du directeur musical de l’Orchestre National de France, le chef roumain Cristian Maccelaru !

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CRITIQUE, concert. MONACO, Cour d’honneur du Palais Princier, le 11 juillet 2024. FRANCK / LISZT / GERSHWIN. Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Alexandre Kantorow (piano), James Gaffigan (direction). Photos (c) Michael Alesi / Palais Princier.

 

VIDEO : Alain Altinoglu dirige “Le Chasseur maudit” de César Franck à la tête de l’Orchestre de la Radio de Francfort

 

CD événement, annonce. NUIT FANTASTIQUE : Schubert, Rota, Mozart, Bernstein, Saint-Saëns, Porter, Milhaud, Sakamoto… Romain Leleu, trompette / Romain Leleu Sextet (1 cd RL records / éditions Romain Leleu records)

Agile, nuancée, capable d’un chant volubile, la trompette de Romain Leleu expose et déploie un étonnant spectre expressif, une palette d’accents dont le phrasé se rapproche de la voix chantée, en particulier dans les Schubert (Nacht un Träume, surtout dans Erlkönig…) ; pourtant il n’est pas facile de nuancer ni de colorer à la trompette, selon les enjeux poétiques, et dans le continuum de pièces particulièrement raffinées, aux styles et atmosphères si diverses et contrastées…

 

Dans un programme qui collectionne plusieurs transcriptions maîtrisées (15 pièces au total), le trompettiste Romain Leleu réunit les instrumentistes de son Sextet (Romain Leleu Sextet) pour une nuit d’ivresse et d’extase assumée, en réalité… dans le prolongement poétique de leur programme inédit composé alors pour La Folle Journée 2023 (« Ode à la nuit »).

 

Romain Leleu
en roi de la Nuit…

Les mondes de la nuit enivrent, captivent, invitent aux métamorphoses…tel est l’enjeu et le sujet de ce récital-titre conçu, rythmé, ciselé par un véritable poète de la trompette : empruntant au jazz, ce goût immodéré et si subtilement maîtrisé de l’improvisation ; éclairant aussi plusieurs standards classiques (Mozart, Schubert, Rimsky-Korsakov… jusqu’à Darius Milhaud) à travers de nouveaux arrangements et transcriptions irrésistiblement suaves ; sans omettre plus proche de nous, des mélodies à présents fameuses et elles aussi enivrantes, signées Ryuchi Sakamoto, Thelonious Monk, Dizzy Gillespie, Nino Rota…
Timbre, phrasés, longueur de souffle, respirations… le trompettiste et ses complices (violonistes, altiste, violoncelliste et contrebasse) jouent en complicité et dosages millimétrés sur tous les registres, expriment dans chaque titre, ce qui les relie à la Nuit : appel au rêve, désir d’enfouissement,  caractère mystérieux, charmeur ou frénétiquement fantastique voire délirant fantasque et un rien conquérant (il fallait oser ainsi l’air de la Reine de la Nuit d’après Mozart … !). Original, puissant, enivrant, le programme est aussi risqué que réussi; il décroche le « CLIC » de CLASSIQUENEWS été 2024. Prochaine critique développée à venir sur classiquenews.

 

 

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CD événement, annonce. NUIT FANTASTIQUE : Schubert, Rota, Mozart, Bernstein, Saint-Saëns, Porter, Milhaud, Sakamoto… Romain Leleu, trompette / Romain Leleu Sextet (1 cd RL records / éditions Romain Leleu records) – enregistré à la Ferme de Villefavard (87), en sept 2023.

 

 

 

 

 

ACHETEZ le cd NUIT FANTASTIQUE par le ROMAIN LELEU SEXTET : https://romainleleu.com/product/901/

 

 

 

Plus d’infos sur le site officidel de ROMAIN LELEU :
https://romainleleu.com/______________________________________

THÉÂTRE IMPÉRIAL DE COMPIEGNE, saison 2024 – 2025. Dialogues des Carmélites, Le Carnaval de Venise, Les Contes de Perrault, AZAHAR, l’Orchestre symphonique à vélo…

Compiègne, ville impériale certes, surtout écrin musical où rayonne une offre musicale diverse et élargie, qui s’adresse à tous les publics. D’autant plus que le cycle d’événements culturels sait diffuser ses activités sur tout le territoire, grâce à de nombreuses initiatives hors les murs, en milieu rural entre autres, dans l’Oise, en région Hauts-de-France et à l’échelle de l’Hexagone, qui de fait, démocratisent toujours l’accès à la musique.

 

 

Cette nouvelle saison le démontre idéalement avec entre autres, son festival événement annuel « EN VOIX ! » qui rend accessible à tous, l’art lyrique et le chant choral… (dans les Hauts-de-France, du 7 nov au 20 déc 2024). Diversité, renouvellement du lyrique, évolution des formats des concerts, création contemporaine au carrefour des disciplines, compagnies et artistes en résidence… la nouvelle saison 2024 – 2025 à Compiègne, s’annonce incontournable, riche, accessible.

 

 

3 ÉVENEMENTS

Au carrefour de l’Histoire (tragique mais spectaculaire) et du sport, d’emblée s’imposent 3 TEMPS FORTS à ne pas manquer : première à Compiègne de « DIALOGUES DES CARMÉLITES », l’opéra choc de Francis Poulenc (14 décembre 2024), une partition qui s’inscrit dans l’histoire même de Compiègne et de son Théâtre Impérial : l’opéra fait écho aux dernières années des Carmélites de Compiègne, guillotinées il y a 230 ans, et dont l’histoire est intimement liée à la cité, en particulier au Théâtre Impérial, bâti sur les ruines de l’ancien Carmel (!) ; puis c’est « LE CARNAVAL DE VENISE » d’André Campra (les jeudi 30 et ven 31 janvier 2025), théâtre galant, heureux et sensuel du premier baroque français, autre production événement ; enfin, en mai 2025, un ORCHESTRE SYMPHONIQUE A VÉLO fêtera comme il se doit le légendaire PARIS-ROUBAIX, dont chaque départ a lieu à Compiègne… l’orchestre atypique et mobile jouera dans la ville, au Théâtre Impérial et lors d’une tournée dans le territoire (Concerto pour violon de Tchaïkovski et 3è Symphonie de Beethoven, « Eroica », Orchestre Les Forces Majeures, avec le violoniste Pierre Fouchenneret ; ateliers le 16 mai, grand concert sam 17 mai 2025).

 

 

 

 

SAISON ENGAGÉE… La saison 2024-2025 permet aussi d’aborder de nombreux sujets d’actualité, autant de thèmes qui intéressent et concernent tout un chacun : « l’esprit d’émancipation, la liberté, les épreuves de la vie ou encore la complexité des relations humaines, qu’elles soient amoureuses, familiales, amicales ou sociétales », ainsi que le précise Éric Rouchaud, directeur.

ARTISTES EN RÉSIDENCE… Plusieurs personnalités et tempéraments artistiques venant de plusieurs continents sont invités à se produire sur la scène Compiégnoise pour au total 9 productions dans le domaine de l’opéra, du théâtre musical, de la comédie musicale (Broadway est à l’honneur ! avec « Broadway Rhapsody, George Gershwin / Kurt Weil, le 8 octobre 2024 ; puis, « Company » de Stephen Sondheim, les 15 et 16 mars 2025)…
Parmi les ensembles en résidence, La Tempête présentera sa nouvelle grande production « AZAHAR », le 22 nov 2024). Et Les Frivolités Parisiennes et Valérie Lesort, leur spectacle autour des Contes de CHARLES PERRAULT à la mode du début du XXe siècle :
poésie et loufoquerie garanties (jeudi 24 avril 2025)…

 

Au chapitre OPÉRA ET SPECTACLE BAROQUE, aux côtés du Carnaval de Venise déjà cité, à l’affiche au début de l’année 2025, vous ne manquerez pas le spectacle « Médée et Jason » de Charpentier / Lully / Rameau / Marais (le 28 nov),… sans omettre le vertigineux dispositif défendu par Le Concert Spirituel, de la Messe à 40 voix d’Alessandro Striggio (jeudi 5 juin 2025). Mention spéciale pour « MARIE-ANTOINETTE » défendue, évoquée par la diva sensuelle irrésistible Sonya Yoncheva qui revient ainsi à ses premières amours (baroques et préclassiques) : airs de Mozart, Gluck, Sacchini, Cherubini, Piccni… Les Arts Florissants, sous la direction de leur chef et fondateur, William Christie (jeu 7 no 2024).

La DANSE s’invite à Compiègne en un volet particulièrement prometteur également, avec entre autres productions événements : « Dance me » / Ballets Jazz Montréal (mardi 3 déc 2024) ; « Rave lucid » / Brandon Masele / Laura Defretin / Cie Mazelfreten (mardi 28 jan 2025) ; l’éblouissant ballet des Quatre Saisons du Malandain Ballet Biarritz (temps fort des jeudi 27 et ven 28 fév 2025) ; « Aterballetto » / Crystal Pite / Diego Tortelli… (mardi 18 mars 2025) ; « Requiem, la mort joyeuse » / Béatrice Massin / Fêtes Galantes (Mer 30 avril 2025), enfin « KA-IN » / Raphaëlle Boitel / Groupe acrobatique de Tanger (mardi 10 juin 2025).

Parmi LES GRANDS RVS SYMPHONIQUES, ne manquez pas le concert du jeudi 26 sept 2024, réunissant l’Orchestre National de France et le pianiste Francesco Piemontesi sous la direction d‘Eva Ollikainen (au programme : Concerto pour piano n°25 de Mozart / Fratres d’Arvo Pärt / Symphonie n°4 de Brahms : un must absolu ! D’autant plus dans la salle du Théâtre Impérial dont l’acoustique est l’une des meilleures de France.

 

Les quelques 72 spectacles et 161 représentations s’adressent ainsi à tous, sans omettre les … 562 représentations des productions et coproductions en tournée. L’offre compiégnoise est donc aussi foisonnante que généreuse. Ce sont aussi des opportunités pour prendre le temps : le temps de respirer, de réfléchir, de se poser, dans un monde de plus en plus rapide, qui « scrolle », zape et oublie… « Venez prendre le temps de respirer, de réfléchir et de vous laisser emporter par l’enthousiasme et la convivialité dans notre agora culturelle où se cultive le plaisir de partager la création artistique », nous invite Éric Rouchaud, non sans pertinence.

 

 

 

TOUTES LES INFOS, les détails des programmes, productions, des distributions sur le site des théâtres de Compiègne, Théâtre Impérial et Espace Jean Legendre : https://www.theatresdecompiegne.com/

CONSULTEZ la brochure en ligne ici :
https://www.theatresdecompiegne.com/notices-pj/brochure-de-saison-2024-2025-3887.pdf

CRITIQUE, opéra. MILAN, Teatro alla Scala, le 12 juillet 2024. PUCCINI : Turandot. Anna NETREBKO / Davide Livermore / Michele Gamba.

Après la Rondine en avril dernier, le Teatro alla Scala achève les célébrations du centenaire (de la disparition) de Giacomo Puccini avec l’ultime opus du compositeur. Un spectacle flamboyant, un régal pour les yeux et les oreilles, malgré une Anna Netrebko peu convaincante et une direction poussive.

 

Une opulente Turandot du centenaire

 

 

C’est en effet à La Scala que fut créée, posthume, le 26 avril 1926, cette Turandot inachevée, dirigée par Toscanini qui interrompit la représentation après le cortège funèbre de Liù, là où s’arrêta la partition autographe de Puccini ; deux jours plus tard fut représentée la version complétée par Alfano. Pour cette production du centenaire, des lumignons électriques furent distribués aux spectateurs qui les allumèrent au moment où apparut le portrait du compositeur sous-titré « Ici mourut Puccini », les mots mêmes que prononça Toscanini le jour de la création de l’œuvre.

La mise en scène confiée au turinois Davide Livermore ne manque pas d’attraits : une évocation de Pékin à la fois intemporelle et moderne (les maisons mêlent style ancien et bâtiments plus contemporains ornés d’enseignes lumineuses), une fluidité dans la direction d’acteurs grâce à un habile jeu de rideaux de scènes qui tour à tour se lèvent et s’abaissent pour faire apparaître les chœurs ou le peuple, une scénographie grandiose, notamment au deuxième acte, signée de Livermore lui-même, de Eleonora Peronetti et Paolo Gep Cucco, et surtout les somptueux costumes de Mariana Fracasso contribuent au plaisir permanent des yeux, rappelant que Turandot est d’abord un opéra spectaculaire. La tonalité grise et sombre d’un paysage urbain digne de certaine périphérie orientale du premier acte, laisse la place à un univers plus coloré, celui féérique de la cour impériale au deuxième acte, puis à un plateau dépouillé, dominé par une immense lune, lors du duo final, tandis que les lumières d’Antonio Castro et les vidéos théâtralement efficaces (la lune changeante de couleur et d’aspect, déployant des fluides tour à tour rouge et noir, révélant un somptueux arbre aux feuillages rouge intense, et qui finit par faire apparaître un crâne) du collectif D-Wok soulignent la dimension onirique et fabuliste de l’intrigue.

La singularité de la lecture de Livermore éclate au premier acte, qui accorde une importance inédite au prince de Perse, interprété par un performer (Haiyang Guo, excellent) au physique avantageux (il apparaît in fine dans le plus simple appareil), entouré d’autres excellents danseurs magistralement dirigés. Le deuxième acte, fastueux, l’est sans doute un peu trop, en particulier lors de la scène des énigmes (la masse des figurants sur scène échappe parfois à une gestion contrôlée), mais on apprécie l’idée de l’énigme qui prend subitement flamme chaque fois que celle-ci est résolue par Calaf ; Turandot est en outre doublée par un mime qui symbolise son ancêtre violée, idée intéressante mais dispensable. Et le cheval transparent et mobile, manipulé par trois hommes qui déambule tout au long de la production est d’un effet impressionnant mais dont la pertinence paraît douteuse.

On attendait bien sûr la performance d’Anna Netrebko dans le rôle-titre. Il faut bien avouer que la diva a perdu de sa superbe : son timbre est apparu forcé, notamment dans les aigus, l’émission poussive et parfois même instable ; nous l’avons trouvé bien plus convaincante et émouvante dans le registre grave et médian et surtout dans les magnifiques pianissimi qui ont égrené sa prise de rôle. Originellement destiné à Roberto Alagna qui a dû déclarer forfait pour raisons de santé, le rôle de Calaf a été parfaitement défendu par Brian Jagde. Le ténor américain a fait montre d’une vaillance remarquable, réservant au public un « Nessun dorma » vigoureux et attentif au texte, loin de toute caricature belcantiste. Rosa Feola campe une Liù magnifique de grâce et de nuance, d’une musicalité rare et à la diction sans faille : c’est de loin, l’interprète le plus convaincant. En Timur, Vitalij Kowaljow impressionne à la fois par sa voix de basse caverneuse et par sa présence scénique, et si le vétéran Raúl Giménez déçoit un peu par son jeu statique et son chant maniéré, Sung-Hwan Damien ParkChuan WangJinxu Xiahou, respectivement Ping, Pang et Pong, séduisent par leur voix bien projetée et leur désinvolture rafraîchissante, malgré une prononciation de l’italien parfois aléatoire. Les autres interprètes secondaires remplissent parfaitement leur rôle : le mandarin Adriano Gramigni, les deux servantes Flavia Scarlatti et Marzia Castellini, issue du chœur du Théâtre de la Scala, tandis que le chœur des Voix Blanches est superbement dirigé par Marco de Gaspari, à la fois compact, puissant, éloquent.

Dans la fosse, Michele Gamba dirige la phalange de l’opéra en accentuant exagérément la dimension tragique de l’œuvre par un volume sonore du plus mauvais effet ; l’excès de décibels couvre très souvent les voix et néglige les nombreuses finesses de la partition, dont les effets « exotiques » apparaissent à l’inverse trop explicitement. Rien de plus difficile que d’atteindre l’équilibre des pupitres et de faire montre de nuances, surtout pour l’une des partitions les plus bigarrées de Puccini. Au final, un spectacle des plus agréables, scéniquement d’une rare opulence, malgré un rôle-titre décevant et une direction quelque peu poussive.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. Milan, Teatro alla Scala, Puccini, Turandot, 12 juillet 2024. Anna Netrebko (Turandot), Raúl Giménez (L’Empereur Altum), Vitalij Kowaljow (Timur), Brian Jagde (Calaf), Rosa Feola (Liù), Sung-Hwan Damien Park (Ping), Chuan Wang (Pang), Jinxu Xiahou (Pong), Adriano Gramigna (Un mandarin), Flavia Scarlatti (Première Servante), Marzia Castellini (Seconde Servante), Haiyang Guo (Le prince de Perse), Davide Livermore (mise en scène), Eleonora Peronetti, Paolo Gep Cucco, Davide Livermore (décors), Mariana Fracasso (costumes), Antonio Castro (lumières), D-Wok (video), Orchestre et chœur du théâtre de la Scala, Michele Gamba (Direction).

 

 

TEASER VIDÉO : Anna Netrbko chante « In questia regia » dans Turandot de Puccini et dans la mise en scène de Davide Libvermore pour le Teatro alla Scala de Milan

 

 

 

 

approfondir

 

La TURANDOT de Netrebko en … 2016

En 2016, dans un monde qui n’a plus rien à voir avec celui actuel, – une ère d’avant les guerres et la covid, DG Deustche Grammophon publiait un récital titre de la diva austro-russe : VERISMO où sa Turandot pourtant, dans deux airs aussi éprouvant que dramatiquement sidérant (dont « In questa Reggia »), exprimait la fragilité glaçante de la princesse chinoise… LIRE notre critique complète du CD VERISMO d’Anna Netrebko : https://www.classiquenews.com/cd-compte-rendu-critique-verismo-boito-ponchielli-catalani-cilea-leoncavallo-mascagni-puccini-airs-doperas-par-anna-netrebko-soprano-1-cd-deutsche-grammophon/

 

CD, compte rendu critique. « VERISMO » : Boito, Ponchielli, Catalani, Cilea, Leoncavallo, Mascagni, Puccini, airs d’opéras par Anna Netrebko, soprano (1 cd Deutsche Grammophon)

 

CRITIQUE CD événement. ORIGAMI / Anthony Rozankovic : Œuvres pour piano. Louise Bessette, piano (1 cd ATMA classique)

Plus habitué aux grands orchestres (Orchestres symphonique de Québec, de Laval, de Montréal, de Toronto… et même de la Radio de Cologne… qui ont créé nombre de ses partitions), le compositeur québécois Anthony Rozankovic (plus de 500 compositions dans tous les genres) surprend et convainc ici, en regroupant 16 pièces de son cru, originellement pour le cinéma et l’image, mais jouées en format épuré, intime… sur le seul piano. Le programme édité par ATMA classique propose comme une synthèse de son art compositionnel, du grand écran et du cinéma… à l’ascétisme flamboyant du clavier, sublimé ici par la pianiste Louise Bessette, figure iconique du catalogue Atma et dont la sensibilité et l’art des nuances font merveille.

 

Les morceaux témoignent d’une inspiration multiple, éclectique et contrastée dont le développement formel ne se dilue pas ; il exprime, évoque, suggère, jonglant habilement entre musique pure et fièvre narrative. Le style est polymorphe et tout en se pliant à diverses écritures et genres musicaux, cultive un goût illimité pour la métamorphose joyeuse, l’écoute intérieure aussi, qui préserve sous l’activité expressive, une cohésion profonde, une ossature dramatique qui rend justice aux titres choisis (la plupart très évocateurs et précis à la fois). « Origami » suggère que chaque pièce fourmille d’angles divers dans son déploiement, engendre autant de figures dépliées, nombreuses, qui obéissent ainsi un à plan sous jacent primitif, pensé, équilibré.

Si l’on se réfère aux mots du compositeur, chaque séquence comme dans la vie, est le fruit, le prolongement, l’hommage nés d’une rencontre humaine. Des profils, des silhouettes présentes et évanescentes surgissent à chaque mélodie ; il en est ainsi pour la première composition « Andalouse running shoes », conçue originellement pour les funérailles du père d’Anthony… qui était cordonnier. Le compositeur enchaîne 3 mélodies où s’immisce aussi la figure du Don Juan d’avant Molière, celui de Tirso de Molina, très andalou, d’où le titre. Le jeu de Louise Bessette confère à la pièce ce panache racé, cette prestance fière et allante, hispanique (à la manière d’un hidalgo souverain et conquérant), servis par une sonorité détaillée et ronde, aux nuances millimétrées.
De même pour la 2ème pièce « Origami » et sa mélodie des plus intimes et lumineuse qui fait référence au cœur de papier ouvragé au prix d’effort et de peine, offert par ses amies à Fania pour ses 20 ans à Auschwitz en 1944… l’air emperlé, aérien, sonne comme un carillon, l’emblème d’un instant suspendu, fraternel, dans le gouffre de la Barbarie la plus abjecte.
« Avenue zéro » est de la même eau, apparemment tranquille mais dont la vérité est en réalité… terrifiante. Le piano exprime un cheminement mystérieux, un sentiment d’inéluctable et d’accomplissement, parfois grave ; c’est l’un des morceaux les plus développés (plus de 6 mn) – égrainé comme un balancement brumeux, Satie n’est pas loin ; murmuré, d’une délicatesse extrême, le jeu édifie un monument intime en hommage à tous les individus, victimes de la traite infâme et qui est le sujet du film choc d’Hélène Choquette dont Anthony Rozankovic a composé ainsi la parure musicale. La pièce traduit probablement le mieux cet indéfinissable style propre au compositeur doué d’une maturation flamboyante dans l’intime et le murmuré, où des lointains poétiques (contrechamps faussement bavards), expriment l’essence du caractère, l’âme de la situation.

Toute la collection des 16 pièces éclairent un imaginaire foisonnant.
Plus ample encore « Jungle jongle » de 2021 (plus de 9 mn), composé pour Louise Bessette pendant la pandémie de la covid, édifie comme une transe en marche arrière, enivrée ; séquences très contrastées, du forte au pianissimo (en particulier l’épisode central ascendant, murmuré), avant qu’un boggie woogy d’enfer en séquence final, ne suggère effectivement que face à la crise sanitaire, nos vies se sont mises à s’affoler ; comment inéluctablement, confrontés à l’inimaginable, nous sommes tous devenus « jongleurs », dans un tunnel où menaçait la folie collective.
Et comme s’il prenait le pouls de l’Histoire canadienne, mais dans un moment suspendu d’une rencontre ratée, Anthony Rozankovic évoque dans « Last Call », – musique pour le documentaire de Luc Cyr et Carl Leblanc (« la fin du Canada »), entre gravité et amertume aussi, l’échec de l’accord du lac Meech, au tournant des années 1990, quand réconcilier Québec et Canada s’avèra impossible. Même mouvement dans un passé mémoriel infini, à l’écoute de « Pier 21 », qui est le quai de débarquement à Halifax de tous les migrants accostant au Nouveau Monde. Il en fut ainsi pour le père du compositeur, Josip Rozankovic… le chant du piano seul, comme perdu dans l’espace, renforce le sentiment du destin solitaire, l’aube d’une épopée qui va s’accomplir, coûte que coûte.

Avouons notre grande faveur pour la plage 15, (« Dead End ») un morceau hypnotique et lui aussi suspendu, dont l’économie fusionne gravité et terrible sérénité ; le compositeur a saisi le souffle là encore d’un inéluctable hautement tragique et barbare : la prise en otage en octobre 1970 par les militants du front de libération du Québec, du ministre Pierre Laporte dont le décès scella leur destin, dans l’échec et l’horreur. La musique composée pour le film « La belle Province » des mêmes Luc Cyr et Carl Leblanc inscrit ce bouleversant épisode dans un instant musical épuré, poétique, déchirant, …Satien. Il fallait bien toute la subtilité de jeu de Louise Bessette pour en exprimer l’infini tragique, tout le dénuement assourdissant. Magistral.

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CRITIQUE CD événement. ORIGAMI / Anthony Kozankovic : Œuvres pour piano. Louise Bessette, piano (1 cd ATMA classique) – CLIC de CLASSIQUENEWS été 2024 – enregistré au Québec en décembre 2022.

 

 

 

CD
LIRE aussi en complément notre présentation du cd événement « ORIGAMI » d’Anthony Rozankovic, par Louise Bessette, piano (1 cd ATMA classic) :
https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-anthony-rozankovic-origami-louise-bessette-piano-1-cd-atma/

ENTRETIEN
LIRE aussi notre entretien avec le compositeur ANTHONY KOZANKOVIC à propos de l’album ORIGAMI (1 cd ATMA classique) :
https://www.classiquenews.com/entretien-avec-anthony-rozankovic-compositeura-propos-de-son-dernier-album-origami-atma-classics/

 

 

 

CRITIQUE, festival. MONTPELLIER, 39ème Festival Radio France Occitanie Montpellier, le 11 juillet 2024. J. S. BACH : Suites n°1, 2 et 3 pour violoncelle seul. Ophélie Gaillard, violoncelle.

Dans l’écrin rouge et or de l’Opéra Comédie de Montpellier, le récital Bach de la violoncelliste Ophélie Gaillard est un moment de pure  virtuosité. En orientant les trois premières (des six) Suites pour violoncelle seul du Kantor de Leipzig vers l’italianité, l’interprète déploie une volubilité dansante.

 

Archet virevoltant sur son instrument du facteur Francesco Gofriller, la cheffe de l’Ensemble Pulcinella transpose le savoir-faire de ses précédents enregistrements baroques et classiques vers les Suites du maître de Koethen (1718-1725). Depuis Pablo Casals, le livre de chevet des violoncellistes est devenu la bible des fervents de Bach… (pas seulement) du dimanche !

 

Les Suites de BACH
au Festival de Radio France Occitanie Montpellier

 

Au fil de ce récital interprété par cœur, les Suites n°1 BWV 1007 et n°3 BWV 1009 sont pulsées avec maestria, sans omettre la moindre reprise des cinq danses qui succèdent au Prélude. Dans ce flot ininterrompu dont la maîtrise est consommée (extensions, démanchés, etc.), la polyphonie que sous-tendent les arpèges étendus des Préludes surgit, inventive et modulante. La performance est particulièrement atteinte lors des Courantes : les mélodies courent de manière olympique ! On pourrait cependant espérer plus de respiration, notamment dans les levées qui lancent les Bourrées et Allemandes, et plus de diversité dans les articulations des Gigues conclusives. Car le baroque allemand n’annonce pas encore l’élégance des pièces de Boccherini.

Coup de théâtre en milieu de programme. Les lumières sur le plateau s’assombrissent lorsque l’interprète aborde la Suite n°2 BWV 1008. C’est ici que la musicienne se pose enfin et explore la complexité harmonique du Prélude. L’édifice contrapuntique que la Sarabande construit peu à peu est remarquablement restitué, sans user du vibrato. L’auditeur retrouvera cet épanchement dans la Sarabande de la Suite n°3 BWV 1009, dont le parcours est en permanence balisé d’élans et thésis harmonieuses. Chevelure dorée et robe rouge, Ophélie Gaillard ébahit son auditoire lors de la bourrée du bis : le dernier couplet est joué debout, en esquissant quelques pas au pied du rideau de scène. Telle une cariatide détachée des loges flamboyantes de l’Opéra-Comédie, la Sainte-Cécile du violoncelle s’anime. Et réanime les applaudissements !

 

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CRITIQUE, festival. MONTPELLIER, Festival Radio France Occitanie Montpellier, le 11 juillet 2024. J. S. BACH : Suites n°1, 2 et 3 pour violoncelle seul. Ophélie Gaillard, violoncelle. Photo : Ophélie Gaillard (c) DR.

 

 

TEASER vidéo : Ophélie Gaillard joue le Prélude de la Suite n°1 de J.S. BACH

 

LIVRE événement, annonce. Catherine Neykov : Sinfonietta en Ré majeur (éditions Le Lys Bleu)

Le roman écrit par Catherine Neykov a la force d’un témoignage, prenant appui sur des éléments véridiques ; la très fine connaissance du milieu musical, tous ces détails qui font le piment des situations donnent du corps au récit et plus d’un musicien se reconnaîtra à travers les chapitres de cette excellente fiction. Son réalisme nourrit une action aux nombreux rebondissements dont à l’occasion d’un festival d’été et d’une académie musicale (sur l’île de Ré) plusieurs drames qui bouleversent le quotidien des jeunes instrumentistes venus apprendre, échanger, jouer…

 

Le lecteur se familiarise avec la pratique de certains instruments dont le hautbois et surtout le violon – tous les aspects techniques ayant été affinés et validés par le fameux violoniste Alexis Galpérine, expert en la matière (soliste, chambriste, professeur de violon au Conservatoire de national supérieur de Paris et donc coauteur des pages les plus techniques).
Le roman musical exprime aussi les doutes et la fragilité d’adolescents musiciens qui dans ce contexte de travail sont encore en cours de professionnalisation, cherchent leur place, doivent assumer aussi sur le plan personnel le passage à l’âge adulte… tout en cherchant à maîtriser les rudiments de leur futur métier. Tout cela ne s’accomplit pas sans heurts, empêchement, déconvenues… voire affinités sentimentales.
Fin, sensible, bien documenté, le texte cultive un rythme haletant, tout en évoquant avec justesse les spécificités du métier de musicien.

 

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LIVRE événement, annonce. Catherine Neykov : Sinfonietta en Ré majeur (éditions Le Lys Bleu) – 228 pages  – Catherine Neykov est aussi l’autrice de plusieurs ouvrages dont La Préférée, La Disparue, Pour l’amour d’Olivia…
PLUS D’INFOS sur le site de l’éditeur Le Lys Bleu : https://www.lysbleueditions.com/produit/sinfonietta-en-re-majeur/?_gl=1*8cqb1n*_up*MQ..&gclid=EAIaIQobChMI1c2Z97OhhwMVKBoGAB1BsgfiEAAYASAAEgKgRPD_BwE

 

 

Présentation du livre par l’éditeur :

C’est l’été à l’île de Ré, le festival de musique classique offrira aux amateurs de merveilleux moments d’émotion. Pourtant, plusieurs fausses notes viendront assombrir cette partition : une violoniste touchante et surdouée est paralysée par un mal mystérieux, un soliste shooté à la cocaïne se rend coupable d’une tentative de viol. Les concerts seront fabuleux, un tendre amour naîtra, mais l’avant et l’après-festival auront des tonalités bien différentes.

 

CRITIQUE, festival. BEAUNE, Festival International d’Opéra baroque et romantique (Basilique Notre-Dame), le 7 juillet 2024. J. S. & C. P. E. BACH (Motets et Cantates). INSULA ORCHESTRA / ACCENTUS / Laurence Equilbey (direction).

Déjà présenté à Pâques à la Seine Musicale où la formation orchestrale (jouant sur instruments d’époque) Insula Orchestra a sa résidence habituelle, le programme réunit à nouveau – cette fois au Festival International d’Opéra baroque et romantique de Beaune -, les Bach, père et fils, soit Johann Sebastian et Carl Philip Emanuel. Une sainte filiation qui éblouit par sa lumière musicale, et dans le choix des partitions, Motets et Cantates, rétablit la trajectoire spirituelle du temps pascal : ferveur, lamentation, mort et Résurrection. Des Motets spirituels et mystiques, aux Cantates dramatiques et ferventes, le programme propose un parcours semé de joyaux sonores, des ténèbres à la pleine lumière (« De l’abyme à la lumière » comme est intitulé le concert).

 

 

Laurence Equilbey réalise ici, dans la superbe Basilique Notre-Dame de Beaune, une subtile cathédrale sonore, jouant sur les effets colorés des timbres instrumentaux (référence aux vitraux), jusqu’à l’intensité d’accents proprement éblouissants. Le tout d’une main experte qui sait détailler et construire l’édifice musical dans la clarté et dans une texture de plus en plus transparente à mesure que la promesse de la Résurrection se fait plus présente. Bois, vents, cuivres et cordes « historiques » dévoilent de somptueuses nuances, nimbant les textes d’un surcroît de poésie suspendue. L’incise des textes, tous exprimant les attentes des croyants confrontés au Mystère, profite de l’engagement entier et organique de la cheffe, à la battue précise et énergique – et des instrumentistes dont le geste synchronisé produit une texture riche, caractérisée, de plus en plus aérienne.

Ce soir, le plateau est même fastueux : aux instrumentistes d’Insula Orchestra, répond la même infaillible implication des voix du Chœur Accentus, elles aussi claires et détaillées, produisant cette matière céleste, véritable nuage spirituel qui appelle à la méditation et conduit à la… transcendance. Les solistes réunis offrent des tempéraments aussi individualisés que les instruments : de quoi pour chaque air ou ensembles, réussir l’incarnation des prières. Saluons le baryton suave et homogène de Victor Sicard, le souffle de l’alto Rose Naggar-Tremblay comme l’angélisme de la soprano Emmanuelle de Negri… Mais reconnaissons que la révélation de la soirée – en justesse, sincérité et intensité, demeure le ténor éblouissant du britannique Gwilym Bowen : la voix resplendit dans la lumière.

Aux côtés des Motets, les Cantates affirment cette entente superlative entre l’orchestre et le chœur fondés et dirigés par Laurence Equilbey. La maîtrise dramatique des effectifs se révèle très convaincante dans le répertoire des Bach, père et fils. Et distinguons surtout la Cantate du fils, datée de 1776, intitulée « Heilig ist Gott » – d’autant plus appréciée qu’elle demeure très rare en concert. Accents, souffle, ampleur préromantique aussi de certaines séquences… l’écriture préclassique de CPE dévoile des trésors d’intimisme psychologique, d’une somptueuse introspection, pour les voix comme pour les instruments.

C’est un triomphe amplement mérité, et avec un public tellement conquis, que Laurence Equilbey lui propose un bis : le Motet « Lobet den Herrn » (BWV 230), dont l’attribution est contestée, mais dont Mme Equilbey assure bien la paternité au Kantor de Leipzig !

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CRITIQUE, concert. BEAUNE, Festival International d’Opéra baroque et romantique (Basilique Notre-Dame), le 7 juillet 2024. J. S. & C. P. E. BACH (Motets et Cantates). INSULA ORCHESTRA / ACCENTUS / Laurence Equilbey (direction). Photos (c) Ars Essentia.

 

Programme :

Johann Sebastian Bach
Suite pour orchestre n°4 en ré majeur, BWV 1069, ouverture
Cantate « Aus der Tiefe ruf ich zu dir », BWV 131
Motet « Komm, Jesu, komm », BWV 229
Motet « Jesu meine Freude », BWV 227
Cantate « Alles nur nach Gottes Willen », BWV 72
Suite pour orchestre n°4 en ré majeur, BWV 1069, réjouissance

Carl Philipp Emanuel Bach
Motet-cantate « Heilig ist Gott » Wq.217
Motet « Lobet den Herrn », BWV 230 (bis)

 

Parcours INSULA ORCHESTRA 2024

 

LIRE nos autres critiques des concerts d’INSULA ORCHESTRA / Laurence Équilbey 

 

CRITIQUE, concert. BOULOGNE-BILLANCOURT, La Seine Musicale, le 27 février 2024. EMILIE MAYER : Symphonie n°1 / SCHUBERT : Symphonie n°4 « Tragique ». Insula Orchestra / Laurence Equilbey (direction).

 

 

CRITIQUE, concert (création). BOULOGNE-BILLANCOURT, la Seine Musicale, le 26 mai 2024. BEETHOVEN WARS : Insula Orchestra / Choeur Accentus / Laurence Equilbey (direction).

 

CRITIQUE, festival. MONTPELLIER, 39ème Festival de Radio France Occitanie Montpellier, le 10 juillet 2024. Oeuvres de Gustav MAHLER. Marianne Crebassa (mezzo), Melody Louledjian (soprano), Orchestre Philharmonique de Radio France, Mikko Franck (direction).

 

Troisième concert symphonique du Festival Radio France Occitanie Montpellier, le programme Gustav MAHLER de l’Orchestre Philharmonique de Radio France est conduit par son chef, Mikko Franck. A l’Opéra Berlioz, deux facettes de l’art mahlérien tendent un miroir de vie au public. Celui sobrement tragique des Kindertotenlieder (« Chants pour les enfants morts« ) sur les poèmes de Friedrich Rückert précède celui céleste de la 4ème Symphonie en sol majeur. Par le biais de ce parcours ascendant, le concert est dédié à la soprano belge Jodie Devos, fauchée à 35 ans, dont le public festivalier peut se remémorer la talentueuse présence lors de l’édition 2022. Elle incarnait une Ophélie irrésistible dans Hamlet de Thomas, après avoir véritablement subi les coups de roulis de la Sea Symphony d’Elgar.

 

 

Pour l’heure, c’est l’alto Marianne Crebassa (formée au Conservatoire de Montpellier) qui se mesure au cycle des cinq Kindertotenlieder (1905). En croisant le contrepoint des vents (hautbois, cor anglais et cor solos de haut vol), sa voix mordorée a acquis une profondeur que conforte son identité expressive. Le grave à peine poitriné, le médium rempli d’harmoniques et les aigus susurrés pianissimi forgent une vocalité séduisante au service de l’intime et indicible poésie. Elle confère une aura douloureuse ou bien résignée aux poèmes funèbres. Sous la conduite attentive de Mikko Franck, la limpidité d’une orchestration géniale s’impose, avant que la rébellion portée par le dernier LiedIn diesem Wetter (« Dans cet orage ») – associe les instruments dits spéciaux (piccolo, clarinette basse, etc.) au chant. A contrario, la tendre berceuse qui clôt le cycle s’exhale de tout son être égaré, et rejoint curieusement la poignante Mater dolorosa que Marianne Crebassa incarnait dans Picture a Day like this de G. Benjamin en 2023. Quelle artiste !

Nous sommes moins séduit par l’interprétation de la 4ème Symphonie, bien que les cordes de la phalange assurent une parfaite osmose par pupitre au fil de l’hypnotique mouvement central, Ruhevoll (« Tranquille »). Mais ailleurs, les nuances seraient-elles trop uniformes, alors que le compositeur calibre celles-ci de manière différenciée au sein de sa polyphonie ? Les épisodes animando seraient-ils conduits sans la fébrilité viennoise fin-de-siècle ?

Habituellement, le « Philhar » n’a pas l’habitude de semer des imprécisions dans les reprises de tempo… Si le registre grinçant s’immisce avec le violon solo (en scordatura) au 2ème mouvement, le Lied conclusif ne diffuse pas suffisamment le radieux éclairage du poème Das Himmlische Leben (« La vie céleste »). La soprano Melody Louledjian semble en deçà des exigences de timbre et de projection que requiert le vaste vaisseau qu’est l’Opéra Berlioz. Pourtant, lorsque l’épilogue orchestral se désintègre peu à peu jusqu’au silence, l’auditoire retient son souffle… sans applaudir pendant une bonne minute : l’ombre portée de Mahler est bien tangible ! Et l’apaisement qu’offre la Chanson de Solveig extrait de Peer Gynt d’Edvard Grieg (donné en bis) agit comme une coda prolongeant la transparence du symbolisme.

 

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CRITIQUE, festival. MONTPELLIER, 44ème Festival de Radio France Occitanie Montpellier, le 10 juillet 2024. Oeuvres de Gustav MAHLER. Marianne Crebassa (mezzo), Melody Louledjian (soprano), Orchestre Philharmonique de Radio France, Mikko Franck (direction). Photos (c) Emmanuel Andrieu.

 

VIDEO : Gerhild Romberger interprète les « Kindertotenlieder » de Gustav Mahler

 

33ème Festival SINFONIA EN PÉRIGORD : 19 > 29 août 2024. Les Nouveaux Caractères, I Gemelli, Gli Incogniti, Les Traversées Baroques, Les Ambassadeurs…

A Périgueux et ses alentours, le Festival SINFONIA EN PÉRIGORD réunit plusieurs ensembles et artistes français composant ainsi une nouvelle aventure de sa programmation baroque. Sébastien d’Hérin, son directeur artistique (et fondateur de son propre ensemble Les Nouveaux Caractères), entend réunir chaque été productions en tournées, joyaux oubliés, artistes « repérés », et jeunes « pousses » prometteuses… Le jour de son ouverture, le 19 août, est à marquer d’une pierre blanche, car cela sera aussi le 80ème anniversaire de la libération de Périgueux ! Au programme de cette journée historique et hautement musicale, deux concerts donnés par Les Nouveaux Caractères, au Château de Jumilhac-le-Grand : Georg Friedrich Haendel à 15h30 et Henry Purcell à 20h.

 

Du 20 au 22 août suivants, le Festival « off » fait étape dans les églises du territoire périgourdin (Saint-Jean de Côle, Sorges…). Toujours avec Les Nouveaux Caractères, trois concerts : « Musique pour les salons du Roi de Prusse », « Mozart à Paris, 1778 » et « Jusqu‘à Londres, Mme Saint-Huberty ou Les Favoris de Marie-Antoinette » seront donnés par la phalange fondé par Sébastien d’Hérin. Et au travers de Concerts-Lectures, un focus sera dédié au compositeur local, Jean-Baptiste LEMOYNE, né à Eymet en 1751, et formé par son oncle, maître de chapelle à la Cathédrale Saint-Front de Périgueux. LEMOYNE connut un succès européen comme en témoignent ses séjours à Paris, Berlin, Londres, à l’époque où s’affirmèrent CPE Bach, Gluck, Mozart…

Puis, du 23 au 29 août, le Festival « in » se fixe majoritairement à Périgueux pour les concerts du soir (au Théâtre de Périgueux), complétés par plusieurs événements en après-midi dans divers lieux de la ville (Hôtel Brou de Laurière, Préfecture, Église de la Cité…). A noter la présence de l’ensemble I Gemelli dans un duo de ténors montéverdiens (« A Room of mirrors », le samedi 24 août) ; le concert de Café Zimmermann pour une intégrale des Concertos Brandebourgeois, le dimanche 25 août ; l’ensemble Alkymia (Mariana Delgadillo Espinoza, direction) proposera madrigaux et musiques boliviennes, le 26 août, avant un grand bal sud-américain auquel le public est invité à participer ; Gli Incogniti et la violoniste Amandine Beyer donneront le cycle des 15 Sonates du Rosaire d’Ignaz von Biber, à l’Abbaye de Chancelade, le 27 août ; Les Ambassadeurs d’Alexis Kossenko joueront des mélodies écossaises le 28 août. Enfin, pour le concert final du 29 août, Les Traversées Baroques ressusciteront l’oratorio de Marc’Antonio Ziani : « La Morte Vinta »…

Et pour la convivialité et l’esprit amical, désormais favorisés pendant tout le festival, les organisateurs annoncent rencontres, ateliers, stages (de pratique chorale), soirées avec food-trucks, après concerts en forme de boeufs baroques improvisés pour prolonger la magie de la musique et le plaisir de l’écouter ensemble…

 

TOUTES LES INFOS directement sur le site du Festival Sinfonia en Périgordwww.sinfonia-billetterie.mapado.com

 

Sinfonia en Périgord, c’est aussi :
Le village du festival se tiendra pendant le In, soit du 23 au 29 août, au théâtre de
Périgueux, et à Chancelade.
Food truck devant le théâtre, buvettes, glaces, bords de scène, espace de convivialité…
Ateliers costumes, coin de la littérature, boutique…
Plusieurs fois dans la semaine, pensé pour les petites rues et places charmantes du centre
historique de Périgueux, avec l’idée de vous faire découvrir ce patrimoine rare du Périgord
blanc, des impromptus musicaux offerts par les artistes.
Une navette 1 heure avant les concerts (réservation auprès de l’administration du festival : comptabilite@sinfonia-en-perigord.com + 33 (0)5 53 08 09 20.
Billetterie : Comment réserver ?
En boutique
11 place du Coderc
24000 Périgueux
Du mardi au vendredi matin
de 10h00 à 12h30 et de 14h00 à 17h30
Le samedi matin de 10h00 à 12h30
Par téléphone : +33 (0)5 53 08 69 81
Quels tarifs ?
Tarif plein A « grand concert » : 35 €
Tarif plein B « musique de chambre » : 25 €
Tarif Jeune (6-18 ans) & conservatoire : 10 €*
Tarif chômeur, étudiant, PMR, personnel hospitalier : 15 €*
Moins de 6 ans : gratuit
CE et COS : adhésion carte annuelle : 50 €
– 10% sur tarif plein, non cumulable avec les Pass concert
* sur justificatif
Pass culture : 15 €
Pass concert festival
Vous souhaitez faire une sélection de certains concerts sur le temps du festival, en
fonction de vos goûts ou simplement de vos disponibilités, Sinfonia vous donne la
possibilité de bénéficier d’avantages préférentiels cumulables avec une adhésion
nominative :
À partir de 4 concerts : – 5 %
À partir de 8 concerts : –10 %
À partir de 11 concerts : –15 %
Tarif famille
À partir d’un enfant accompagné par un adulte de la famille : 10 % de réduction sur
le tarif auquel vous pouvez prétendre.
Adhésion annuelle 2024 : 20 €
10 % de réduction cumulables avec votre numéro d’adhérent dès le premier concert.
Adhérer c’est :
soutenir et s’engager aux côtés de Sinfonia en Périgord ;
participer à notre assemblée générale annuelle ;
recevoir notre newsletter tout au long de l’année…

CRITIQUE, festival. MONTPELLIER, 39ème Festival de Radio France Occitanie Montpellier, le 9 juillet 2024. RAVEL / SOHY / FAURE. Renaud Capuçon (violon), Orchestre Les Siècles, Louis Langrée (direction).

Le Festival de Radio France Occitanie Montpellier s’est ouvert ce dimanche 8 juillet avec un grand concert de plein air (Place de l’Europe), avec l’Orchestre National Montpellier Occitanie dirigé par la jeune cheffe Chloé Dufresne. Le lendemain (à l’Opéra Berlioz), c’est le violoniste virtuose Renaud Capuçon qui dialoguait avec la fameuse phalange Les Siècles (jouant sur instruments d’époque), placée sous la baguette de Louis Langrée, dans un programme de musique française du tournant du siècle dernier.

 

 

La première partie est composée de raretés, et commence même par la création mondiale d’une œuvre de Maurice Ravel, « Amants qui suivez le chemin » (ca. 1902-1905). Le manuscrit de 18 pages est monogrammé à deux reprises, mais n’est pas signé. Retrouvé par un particulier en 2000, et passé inaperçu jusqu’à sa mise en vente par une librairie spécialisée dans les autographes en 2023, il fut – à ce moment – acheté par la Bibliothèque Nationale. Ce genre de cantate, pièce pour chœur et petit orchestre est tout à fait typique des exercices demandés pour obtenir le Prix de Rome : Ravel avait alors moins d’une trentaine d’années. On constate dans un passage précis et on ressent sur l’ensemble des couleurs de l’orchestre des similitudes avec Sirènes de Claude Debussy – que Ravel transcrit pour deux pianos à la même époque.

Le Chœur de Radio France, préparé avec beaucoup de subtilité par Lionel Sow,  envoûte immédiatement. Sa diction claire et précise nous livre avec douceur le texte délicieusement désuet d’Armand Sylvestre. Les nuances entre les différents pupitres sont maîtrisées avec une perfection subjuguante. Un court solo de soprano couronne ce triomphe avec chaleur et justesse. L’orchestre Les Siècles, au son notablement fin et élégant, se fait ici discret derrière un chœur décidément moteur. Le Thème varié pour violon et orchestre Op.15 de Charlotte Sohy qui suit est interprété avec beaucoup d’intensité par Renaud Capuçon, mais cette partition s’avère somme toute assez « plate » par rapport à celle de Ravel. Le virtuose français, en véritable « Gene Kelly du violon » (il est souvent en équilibre sur un pied), donne une dimension quasi cinématographique à une pièce au caractère très français, avec un jeu toujours « très à la corde » et un vibrato puissant. Il enchaîne avec le premier mouvement du Concerto pour violon (demeuré inachevé) de Gabriel Fauré, qui rétablit l’équilibre entre le soliste et l’orchestre. Toujours à la corde, le son de Renaud Capuçon se fait encore plus brillant. Malgré la perfection technique, l’interprétation apparaît un rien « sucrée », et manque quelque peu de simplicité et aussi d’une certaine pudeur : cela crée un décalage sentimental avec un orchestre moteur, aussi élégant qu’à son habitude. En guise de bis, Renaud Capuçon met un rayon de soleil doux dans le vaste vaisseau montpelliérain, avec une interprétation de l’Etude de Daphné de Richard Strauss, petite pièce pour violon seul, d’une beauté simple et lumineuse, interprétée ici sans l’emphase entendue précédemment. Un magnifique moment de douceur pour se remettre de la fougue de la cadence du concerto de Fauré.

Après l’entracte, trêve de raretés et place à deux pages célèbres de Maurice Ravel : Ma mère l’Oye (1910) et la Deuxième suite de Daphnis et Chloé. Les Siècles y sont une fois de plus remarquables, les vents notamment, et plus encore le pupitre de trompettes qui fait montre d’une finesse rare. De manière générale, on ressent que l’orchestre (encore une fois moteur….) pousse un Louis Langrée trop tranquille. De ce « désaccord » s’est formée une interprétation mesurée entre une direction calme et maîtrisée et un orchestre superbement fougueux. Les musiciens se montrent plein d’humour, particulièrement dans Laideronesse, impératrice des pagodes (et son remarquable solo de flûte), avec des jeux de textures précis et propres aux Siècles. Daphnis et Chloé est un classique de l’orchestre sur instruments d’époque, depuis sa création, dans lequel il se montre aussi élégant que narratif, culminant dans une grandiose Danse générale.

Conquis, le public fait un triomphe debout aux quelques deux cents artistes réunis sur le plateau de l’Opéra Berlioz – qui reprennent alors le finale de la Danse générale, cette explosion de joie débordante et débridée, qui renouvelle une nouvelle fois l’enthousiasme du public.

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CRITIQUE, festival. MONTPELLIER, 44ème Festival de Radio France Occitanie Montpellier, le 9 juillet 2024. RAVEL / SOHY / FAURE. Renaud Capuçon (violon), Orchestre Les Siècles, Louis Langrée (direction). Photos (c) Luc Jennepin & DR.

 

 VIDEO : Alain Altinoglu dirige la « Deuxième Suite de Daphnis et Chloé » de Maurice Ravel