Dans les Vosges du Sud, la 31ème édition du Festival Musique & Mémoire fait escale à Belfort. Rien de plus adapté au programme que la nef à la fois sobre et monumentale de la Cathédrale Saint-Christophe. Le festival itinérant dans le territoire vosgien a ce talent pour vivifier le patrimoine religieux – et en particulier mettre en scène le fabuleux apport des orgues locaux. Ainsi le grand orgue de Saint-Christophe apporte la majesté et l’authenticité du rituel liturgique, précisément au plein XVIIème français : sous la plume d’Henri Dumont (1610 – 1684), compositeur pré-louisquatorzien, dont la ferveur tendre voire intimiste tempère la tentation du décorum, ou sous celle de l’italianisant et raffiné du parisien Marc-Antoine Charpentier (1643 – 1704)…
Les musiciens, organiste, et chanteurs se partagent les strophes et versets d’un même texte liturgique : ce jeu alternatif est au cœur du programme, éclairant une pratique d’époque, ici parfaitement assumée et superbement réalisée : l’alternatim. Un programme convaincant dont la conception est signée Thomas van Essen, directeur musical des Meslanges.
Le geste en dialogue, où quelques chanteurs sont doublés par ce curieux instrument qu’est le « serpent » (vent grave qui inscrit l’articulation dans la terre, contrastant avec les effluves chorales plus aériennes, voire célestes…), célèbre les divinités redoutables et protectrices, principalement Marie dont sont données ce soir plusieurs Magnificat, que Saint-Luc a fixé au moment où la Vierge visite sa cousine… L’Ensemble Les Meslanges abordent un large panorama qui va du plein XVIIème siècle à l’aube de la Révolution, en ce XVIIIème fastueux où les « anciens » (du XVIIème) faisaient le miel des organistes parisiens, selon le témoignage du musicologue voyageur Charles Burney (1726 – 1814).
H. Dumont célèbre l’esprit souverain du Père et du Fils, leur clémence juste et foudroyante dans un Magnificat plus lumineux qu’exalté (1652) pour voix et basse continue avec plain-chant en faux-bourdon (de Jean de Bourmonville). La sensibilité du Salve Regina de M. A. Charpentier, pièce plus tardive (probablement début 1673) pour le trio masculin (haute-contre, taille et basse) témoigne des harmonies subtiles de l’auteur capable d’exprimer l’imploration fervente des pécheurs à l’adresse de la Vierge miséricordieuse, leur « Vallée de larmes » / « Ad te suspiramus, gementes et flentes in hac lacrimarum valle » (« nous souspirons après vous, gémissans et pleurans en cette vallée de larmes« ), adorateurs en quête d’un salut suspendu, espéré… dont Charpentier dévoile musicalement l’espérance de la révélation.
L’ensemble Les Meslange apporte une lecture vivifiante aux textes des Motets et aux prières choisies ; l’arc chronologique comprend aussi Clérambault (Motet pour Marie de 1733), auquel succède l’Ave Maris Stella (Astre qui conduit) du rémois Nicolas de Grigny (1672 – 1703), somptueuse prière là encore qui fait alterner orgue de tribune et le chœur en plain-chant dans une dramaturgie dialoguée, vivante, désormais emblématique d’au moins un programme de Musique & Mémoire.
Les interprètes convainquent en exploitant toutes les ressources de l’espace qui s’offre à eux, investissant pendant le déroulement du programme, les lieux choisis que le sens des partitions commande : jouant sur la forme alternée orgue / chœur, mais aussi sur l’éloignement spatial : tribune de l’orgue et chœur de l’église… Le Cantique de la Sainte Vierge de Jean-François Lalouette, la Sonate II (1726) de Boismortier… sont ainsi réalisés dans le choeur. Dans cette diversité des formes solistiques, chorales et instrumentales, le corps de l’église et la résonance naturelle de l’édifice participent pleinement à la conviction du geste musical. Les spectateurs, assimilés à l’humanité des orants, sont comme enveloppés dans ce vaisseau sonore qui mutipie les foyers sonores. Au grand orgue, Nicolas Bucher joue de tous les registres de l’instrument souverain, dont l’intensité et la puissance mais aussi la clarté des couleurs sont idéalement sollicitées pour un programme riche et très cohérent.
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CRITIQUE, festival. BELFORT, 31ème Festival Musique & Mémoire (Cathédrale Saint-Christophe), le 25 juillet 2024. DUMONT, CHARPENTIER, CLERAMBAULT, LALOUETTE… Ensemble les Meslanges, Nicolas Bucher (orgue). Photos (c) Emmanuel Andrieu.
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Entretien
LIRE aussi notre entretien avec Fabrice Creux, directeur artistique et fondateur du Festival MUSIQUE & MÉMOIRE à propose de la 31è édition : https://www.classiquenews.com/festival-musique-memoire-2024-entretien-avec-fabrice-creux-fondateur-et-directeur-artistique-a-propos-de-ledition-2024/