dimanche 8 décembre 2024

ENTRETIEN avec le compositeur Anthony ROZANKOVIC, à propos de son dernier album « ORIGAMI » (Atma classics)

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Le compositeur Montréalais ANTHONY ROZANKOVIC réunit en 1 CD Atma classics, ses compositions écrites sur plus de 25 ans, de 1995 à 2022. Il en découle une somme personnelle, surtout inspirée par le cinéma et qui sous les doigts de la pianiste Louise Bessette gagne un surcroît d’expressivité, de profondeur. Le titre générique « ORIGAMI », en évoquant plis et replis faussement aléatoires, n’indiquerait-il pas a contrario la force de figures dont la structure et le dessin se dévoile peu à peu… ? Une intimité mouvante, portée par une urgence intérieure redéfinit les champs purement narratifs. Comment l’idée musicale naît-elle ? En quoi la rencontre avec les réalisateurs nourrit-elle la composition et l’écriture ? Comment s’est déroulé le travail avec Louise Bessette ?
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CLASSIQUENEWS : La plupart des pièces réunies dans cet album sont inspirées par le cinéma. De quelle façon êtes-vous influencé par le scénario, les images ? Comment la partition prend-t-elle forme ?

 

ANTHONY ROZANKOVIC : Tout commence avec la rencontre avec le réalisateur ou la réalisatrice, ou le/la metteur(e) en scène. Il y a un échange, une exposition d’intentions quant à la place qu’aura la musique dans le film. Ce qui est fascinant, c’est que les réalisateurs ne partagent pas tous le même credo, la même doxa, quant au rôle de la musique. Et c’est ça, d’ailleurs, que je trouve extrêmement stimulant. Pour certains réalisateurs, la musique est un partenaire de voyage souverain au propos, qui donne une possibilité de relativiser le contenu du film.
Dans d’autres cas, c’est le contraire, la musique vient discrètement illustrer de façon sonore la scène. Ou carrément appuyer voire ajouter des émotions. Il y a vraiment 1001 façons de construire une musique.
En général, je cherche une signature pour singulariser tel ou tel projet. D’où mon inquiétude grimpante quant à l’utilisation de plus en plus fréquentes des « librairies de musiques » qu’utilisent les cinéastes.
C’est le phénomène du prêt-à-porter, où le réalisateur n’a presque plus de contact avec le compositeur. Pour répondre à la question, certes le scénario et les images sont absolument la matière première qu’il faut étudier, et trouver la clé musicale pour servir le projet .
Souvent aussi, il faut considérer des choses très pragmatiques ; par exemple, les fréquences des voix parlées des acteurs ou narrateurs. Il arrive trop souvent ou un instrument peut venir en conflit, voire masquer le beau timbre d’un comédien.
Pour moi, la voix parlée fait partie de la partition. Ainsi que les bruitages …

Pour résumer, il n’y a pas de règles. Souvent on fait un premier jet, et c’est le geste contraire qui est la bonne solution. Aussi, j’aimerais souligner, et c’est d’ailleurs assez amusant : ce qui est « vrai » pour un réalisateur peut devenir « faux » pour un autre.
Et en fin de compte, il ne faut parfois pas trop réfléchir, et je dois faire confiance à la bonne étoile de mon inconscient. Car « l’inconscient » sait des choses que « le conscient » ne sait pas.

 

CLASSIQUENEWS : Sur le plan musical, quelles sont les situations, les thèmes qui vous ont le plus inspiré ?

ANTHONY ROZANKOVIC : Pour moi composer, c’est comme régler une énigme qui m’est proposée. Donc, c’est trouver une réponse musicale à cette équation, quelle que soit la situation. On compose dans le but de servir une situation donnée. Que ce soit un film , une musique de concert, un opéra , une fête entre amis .
Pour ce disque Origami, je dirais que chacun des morceaux est né d’une rencontre avec un autre être humain. Sans cette rencontre, le morceau n’aurait pas existé. Par contre, j’accumule au fil des jours de mon existence du matériel. Ça peut être un neume proposé par un chant d’oiseau, comme le rythme monotone d’essuie-glaces de voitures, ou bien le rythme de la langue parlée. Il y a aussi le goût de se défaire d’idées reçues qui est un grand stimulant. Par exemple, un accord mineur n’est pas obligatoirement triste et un accord majeur joyeux etc.

 

CLASSIQUENEWS : Pourquoi avoir choisi Louise Bessette pour interpréter les pièces ? Sur quels points avez-vous travaillé avec elle ? Qu’apporte selon vous le format pour piano seul ?

ANTHONY ROZANKOVIC : La question est fort amusante, est-ce moi qui a choisi Louise ou bien c’est Louise qui m’a choisi…? (rires)
Chose sûre, tout a commencé en 2010 lorsque Louise m’a demandé de composer une œuvre en hommage à Gilles Tremblay. Le concert fut un succès, et nous avons continué à collaborer sur d’autres projets. Louise est une perfectionniste.
Une orfèvre pour trouver la perfection sonore dans tel ou tel contexte harmonique, rythmique ou mélodique. Il y a en elle, une magie d’interprétation qui apporte une dimension quasi mystique. Ce que j’aime dans le piano solo, c’est le côté « droit au but », il n’y a pas d’équivoques que peut causer une orchestration plus lourde. Paradoxalement, mon rêve serait de lui composer un concerto avec orchestre. Je n’ai jamais réellement composé un vrai concerto de piano. Un souhait que je lance ici, dans l’univers …

 

Louise Bessette et Anthony Kozankovic / DR

 

CLASSIQUENEWS : D’une façon générale, comment s’inscrit cet album dans votre travail, par rapport aux albums précédents ? Prolonge-t-il des pistes précédentes ? Inaugure-t-il une voie nouvelle ?

ANTHONY ROZANKOVIC : Pour moi chaque album est un rite de passage. Un genre de « rapport d’étape » que je fais entre moi et le cosmos. Un bilan si on veut.  Dans ce cas-ci, j’ajouterais qu’il y a eu aussi une très grande expérience de croissance personnelle.
J’ai décidé d’écouter davantage les conseils de gens autour de moi.  Ce disque c’est un travail d’équipe. Certes, mes compositions… Mais ces compositions sont incarnées via le prisme des doigts, du cerveau et de l’âme de Louise Bessette et du Steinway-Hambourg de l’auditorium de Charlevoix dont c’est le super Carl Talbot qui en a assuré la prise de son, mixage et réalisation .

Donc Origami, c’est :  Louise, Anthony, Carl. Le trio du L.A.C. (rires).

Comme il est indiqué dans le livret de l’album, livret écrit par Carl Leblanc, ce disque représente un étal de compositions des 27 dernières années (1995-2022). Pour ce qui est de la suite des choses, je suis incapable d’avoir un plan quinquennal. En vieillissant, j’apprends à vivre ma vie au jour le jour, selon les circonstances qui sont toujours imprévisibles. Comme je dis parfois à mes amis, on prévoit de construire une cathédrale, et en fin de compte on construit un igloo, car c’est ça qui était ce qu’il fallait faire.
Il y a un aspect « serendipité » qui a toujours était au cœur de ma vie.  Aussi l’imprévisible nécessaire parfois, en autant qu’il soit heureux. J’aime cultiver l’optimisme malgré tout. Je me perçois comme un chercheur. J’aime désobéir aux idées reçues, surtout lorsqu’elles sont obsolètes. Un petit défaut de caractère si on veut. Par contre, il y a des monuments et des arbres de sagesse chez les maîtres anciens qui méritent d’être honorés. Aussi, j’ai le but d’écrire de la musique qui va à l’essentiel. Dépourvu de guirlandes obséquieuses.

 

 

CLASSIQUENEWS : Quels sont vos prochains projets pour ATMA ?

ANTHONY ROZANKOVIC : Je n’ai pas de projets personnels prévus à venir avec ATMA. La tribune de diffusion via le Label ATMA a été rendu possible grâce à la collaboration qui existe déjà entre Louise et ATMA. Louise a déjà publié plusieurs disques chez Atma (voir l’antépénultième page du livret).  Donc ici, c’est Louise Bessette, déjà chez ATMA , qui joue Anthony Rozankovic .
Personnellement, je ne suis pas marié à aucun label de disque.  Ce disque « Origami » est une auto-production. Ce disque-ci, j’en suis l’exclusif producteur, un master que j’ai remis en licence d’exploitation à ce Label : ATMA  Classique, un label qui contient d’ailleurs des trésors dans son catalogue.
J’ai eu l’infini privilège d’avoir accès aux talents et ressources de Louise Bessette et de Carl Talbot.
Pour la suite des choses, on verra. L’univers de la diffusion musicale est en constante évolution et doit-on ajouter aussi en «révolution». Beaucoup de valeurs passées qu’on croyait immuables ont hélas implosé. Il faut s’adapter au choc du futur .

Comme a  dit notre chanteur populaire québécois Robert Charlebois :
« … Autrefois , le disque c’était un truc rond avec un trou dans le milieu .
Aujourd’hui, le disque est rendu carrément DANS LE TROU…  »

Prions pour la bonne suite des choses !… (rires)

Propos recueillis en juin 2024

 

CD

LIRE aussi en complément notre présentation du cd événement « ORIGAMI » d’Anthony Rozankovic, par Louise Bessette, piano (1 cd ATMA classic) : https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-anthony-rozankovic-origami-louise-bessette-piano-1-cd-atma/

 

CD événement, annonce. Anthony ROZANKOVIC : « Origami ». Louise Bessette, piano (1 cd Atma)

 

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