dimanche 20 avril 2025

CRITIQUE, concerts. AIX-EN-PROVENCE, Festival d’Art lyrique d’Aix-en-Provence (Grand-Théâtre de Provence), les 13 et 14 juillet 2024. BRAY / MOZART / BERLIOZ / SCHOENBERG / MAHLER. Orchestre de Paris / Christiane Karg (soprano), Klaus Mäkelä (direction).

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Guillaume Berthon
Guillaume Berthon
Enseignant-chercheur en littérature, Guillaume Berthon est aussi un insatiable mélomane. Les billets qu'il écrit pour ClassiqueNews.com n'ont pas d'autre prétention que celle de partager son goût pour la musique, l'interprétation et les interprètes, en toute subjectivité.

 

Si l’Orchestre de Paris n’est pas descendu dans la fosse d’Aix-en-Provence cette année, il a poursuivi sa collaboration annuelle avec le Festival en donnant au Grand-Théâtre de Provence deux concerts successifs, sous la direction de son directeur musical charismatique, Klaus Mäkelä. Celui-ci a composé pour l’occasion deux programmes illustrant le brillant éclectisme de la formation parisienne : le premier dans la tradition musicale qui est la sienne, le second dans le grand répertoire germanique (et en l’occurrence spécifiquement viennois). Quelque peu hétéroclite, le premier associait la Symphonie fantastique de Hector Berlioz (créée en 1830 par la Société des Concerts du Conservatoire, ancêtre de l’Orchestre de Paris), à une création de Charlotte Bray (A Sky Too Small), ainsi qu’à la 31ème Symphonie de W. A. Mozart (dite « Paris »). Outre la probable volonté de mettre en avant le travail d’une compositrice prometteuse, ce programme en forme de cadavre exquis unissant Mozart et Berlioz s’explique sans doute par un clin d’œil cocardier du chef à la ville qui l’a accueilli comme  directeur musical, cela à la veille de la fête nationale française.

 

 

En cherchant bien, on trouve même quelques fils rouges plus discrets, qui sont peut-être de simples effets d’écoute : ces œuvres disparates ont toutes affaire avec l’idée de l’ostinato, ou de « l’idée fixe » pour le dire en termes berlioziens. La création de Charlotte Bray oscillait en effet autour d’un point fixe, comme le début de la symphonie parisienne en ré majeur, si peu mozartien avec cette tonique trois fois répétée, suivie d’une gamme complète et d’un dernier triomphant : début étonnamment fixe pour un compositeur d’ordinaire si mobile… Mäkelä joue de ce rugissement initial en faisant commencer l’orchestre sans attendre la fin des applaudissements, comptant sur ce coup de poing sur la table d’un compositeur désireux d’en découdre avec le public parisien pour éveiller l’attention du public et le surprendre.

Jeune compositrice britannique de 42 ans, Charlotte Bray est surtout une ancienne artiste de l’Académie du Festival d’Aix. A Sky Too Small était ainsi une commande conjointe du Festival et de l’Orchestre de Paris. Les notes de programme présentent l’œuvre comme le récit d’un enfermement, à la fois réel et psychologique. Je me garderais bien de formuler un jugement précis sur une œuvre brève, écoutée une seule fois et impossible à réentendre immédiatement. L’œuvre constitue une musique essentiellement atmosphérique, un ciel harmonique sombre zébré de percussions et de timbres étranges, qui revient obstinément sur un intervalle de seconde. Sa singularité et sa brièveté empêchent peut-être l’envoûtement recherché d’opérer dès la première écoute, mais elles donnent envie de pouvoir la réentendre (ce qui sera possible le 4 décembre à la Philharmonie de Paris).

Quel contraste avec la bonne santé, presque un peu démonstrative, de la symphonie mozartienne ! Le choix de la 31ème symphonie, dite « Paris », est l’occasion de se réjouir que Klaus Mäkelä, à l’instar d’autres chefs comme Simon Rattle, ne délaisse pas de jouer Mozart avec un orchestre sur instruments modernes – et pas seulement les trois dernières symphonies. Le chef et l’orchestre y montrent un sens du rebond et de la théâtralité proprement réjouissant, avec une pâte symphonique bien charpentée et assise sur ses cordes graves et les timbales. Peut-être pourrait-on rêver plus de fruité et de verdeur aux timbres des vents, un peu plus de délié pour les articulations rapides du dernier mouvement ; mais ce Mozart avait beaucoup d’esprit et de jeunesse et, dans le théâtre fermé un peu froid d’Aix, comme un sentiment de plein air.

Pièce maîtresse de ce premier concert, la Symphonie fantastique de Berlioz, œuvre excessive s’il en est, visionnaire, et dont on a peine à s’imaginer qu’elle a été créée seulement 52 ans après la symphonie de Mozart ! À mes oreilles, Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris y ont atteint la quadrature du cercle, en en donnant une interprétation orgiaque, quoique parfaitement équilibrée dans ses proportions. De manière générale, Mäkelä choisit de ne pas partir en trombe, afin de ménager savamment ses effets, avec un sens dynamique proprement stupéfiant. Se succèdent ainsi une « Rêverie – Passions » fiévreuse mais sortant d’une douloureuse léthargie, un « Bal » gracieux et parfumé, sans aucune précipitation, une exceptionnelle « Scène aux champs », plongée dans une torpeur où chaque mouvement semble coûter (et où chaque frémissement est d’une expressivité maximale, notamment grâce au cor anglais quintessencié de Gildas Prado), une « Marche au supplice » d’une progression implacable, et un « Songe d’une nuit de sabbat » délirant et excessif comme il faut, mais qui ne sature jamais l’acoustique du GTP. Les cordes y sont délibérément râpeuses, les bois sous acide, les percussions explosives et les cuivres menaçants. Ce premier concert était l’occasion de célébrer sympathiquement le départ à la retraite du corniste Jean-Michel Vinit, célébré aux saluts avec banderoles dans la salle et cris dignes de supporters de l’Euro. Sans doute était- il heureux de quitter l’orchestre après un tel triomphe musical.

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Le second programme, le lendemain, proposait un ensemble plus cohérent constitué de la Nuit transfigurée d’Arnold Schönberg (1899) et de la Quatrième Symphonie de Gustav Mahler (1901). L’Orchestre de Paris s’y est montré à nouveau dans une forme éblouissante, et pas seulement dans son pupitre de bois, qui a toujours fait sa fierté. L’œuvre de Schönberg était justement l’occasion de montrer la cohésion des cordes, seules présentes sur scène. Le début est crépusculaire, comme sorti des profondeurs, et magnifique de timbres, avant que le magma ne s’anime peu à peu, jusqu’à atteindre la puissance d’une coulée de lave.Superbe interprétation, qui en souligne le post-romantisme ravageur plutôt que les prémices d’une écriture plus moderne. 

Seule la Quatrième Symphonie de Mahler m’a paru un petit cran en-dessous. Non que l’orchestre ne s’y montre également glorieux : l’attention que porte Mahler aux timbres des bois dans cette symphonie privée d’une partie des cuivres habituels (pour une fois, ni trombone, ni tuba) met particulièrement en valeur le raffinement des solistes de l’ensemble parisien, et les autres pupitres se placent à un même niveau d’excellence. Mais la recherche d’un son voluptueux et d’une ligne continue m’a semblé parfois lisser quelque peu le propos. Certes, la quatrième est sans doute la symphonie la plus lumineuse du compositeur ; mais j’aime quand cette lumière combat des moments plus dépressifs, quand les passages rayonnants alternent avec des moments où dominent l’instabilité et l’étrangeté, quand l’espérance et la confiance finale se gagnent sur des moments de vacillement. On parle souvent de la quatrième comme de la symphonie « classique » de Mahler ; dans son interprétation, Klaus Mäkelä me semble avoir pris ce qualificatif dans un sens presque littéral. J’y préférerais une dimension parodique plus affirmée et pas seulement dans le jeu discordant du scherzo – je pense par exemple à la version peu orthodoxe et pourtant passionnante de Vladimir Jurowski à la tête du London Philharmonic Orchestra (avec une soprano confidentielle mais radieuse : Sofia Fomina).

La quatrième de Mäkelä reste toujours d’une suprême élégance, n’abusant pas des glissandi des cordes (alors que j’aurais presque aimé un peu plus de « mauvais goût »…). Dans le Lied final qu’elle chante un peu partout dans le monde, Christiane Karg est authentiquement « céleste » (« himmlische »), mais on pourrait là aussi rêver plus de variété, d’épices, ou un côté plus primesautier – voire un timbre plus riche d’harmoniques, comme celui de la sublime Margaret Price avec Jasha Horenstein (et le LPO, décidément), qui darde son « Sanct Peter im Himmel sieht zu » comme nulle autre ! C’est toutefois sans la moindre réserve que la salle a applaudi la soprano, l’orchestre et son chef, ainsi qu’un violoniste du rang qui partait lui aussi à la retraite : visiblement ému par l’ovation, celui-ci a fait mine de remettre son violon sur l’épaule pour un bis, avant d’éclater de rire et de remercier ses collègues et le public. On lui souhaite à lui aussi une retraite où, comme dans le lied, « tout s’éveille à la joie ».

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CRITIQUE, concert. AIX-EN-PROVENCE, Festival d’Aix-en-Provence (Grand-Théâtre de Provence), les 13 et 14 juillet 2024. BRAY / MOZART / BERLIOZ / SCHOENBERG et MAHLER. ORCHESTRE DE PARIS / Christiane Karg (soprano), Klaus Mäkelä (direction). Photo (c) DR.

 

VIDEO : Bernard Haitink dirige la 4ème Symphonie de Gustav Mahler

 

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