Troisième concert symphonique du Festival Radio France Occitanie Montpellier, le programme Gustav MAHLER de l’Orchestre Philharmonique de Radio France est conduit par son chef, Mikko Franck. A l’Opéra Berlioz, deux facettes de l’art mahlérien tendent un miroir de vie au public. Celui sobrement tragique des Kindertotenlieder (« Chants pour les enfants morts« ) sur les poèmes de Friedrich Rückert précède celui céleste de la 4ème Symphonie en sol majeur. Par le biais de ce parcours ascendant, le concert est dédié à la soprano belge Jodie Devos, fauchée à 35 ans, dont le public festivalier peut se remémorer la talentueuse présence lors de l’édition 2022. Elle incarnait une Ophélie irrésistible dans Hamlet de Thomas, après avoir véritablement subi les coups de roulis de la Sea Symphony d’Elgar.
Pour l’heure, c’est l’alto Marianne Crebassa (formée au Conservatoire de Montpellier) qui se mesure au cycle des cinq Kindertotenlieder (1905). En croisant le contrepoint des vents (hautbois, cor anglais et cor solos de haut vol), sa voix mordorée a acquis une profondeur que conforte son identité expressive. Le grave à peine poitriné, le médium rempli d’harmoniques et les aigus susurrés pianissimi forgent une vocalité séduisante au service de l’intime et indicible poésie. Elle confère une aura douloureuse ou bien résignée aux poèmes funèbres. Sous la conduite attentive de Mikko Franck, la limpidité d’une orchestration géniale s’impose, avant que la rébellion portée par le dernier Lied – In diesem Wetter (« Dans cet orage ») – associe les instruments dits spéciaux (piccolo, clarinette basse, etc.) au chant. A contrario, la tendre berceuse qui clôt le cycle s’exhale de tout son être égaré, et rejoint curieusement la poignante Mater dolorosa que Marianne Crebassa incarnait dans Picture a Day like this de G. Benjamin en 2023. Quelle artiste !
Nous sommes moins séduit par l’interprétation de la 4ème Symphonie, bien que les cordes de la phalange assurent une parfaite osmose par pupitre au fil de l’hypnotique mouvement central, Ruhevoll (« Tranquille »). Mais ailleurs, les nuances seraient-elles trop uniformes, alors que le compositeur calibre celles-ci de manière différenciée au sein de sa polyphonie ? Les épisodes animando seraient-ils conduits sans la fébrilité viennoise fin-de-siècle ?
Habituellement, le « Philhar » n’a pas l’habitude de semer des imprécisions dans les reprises de tempo… Si le registre grinçant s’immisce avec le violon solo (en scordatura) au 2ème mouvement, le Lied conclusif ne diffuse pas suffisamment le radieux éclairage du poème Das Himmlische Leben (« La vie céleste »). La soprano Melody Louledjian semble en deçà des exigences de timbre et de projection que requiert le vaste vaisseau qu’est l’Opéra Berlioz. Pourtant, lorsque l’épilogue orchestral se désintègre peu à peu jusqu’au silence, l’auditoire retient son souffle… sans applaudir pendant une bonne minute : l’ombre portée de Mahler est bien tangible ! Et l’apaisement qu’offre la Chanson de Solveig extrait de Peer Gynt d’Edvard Grieg (donné en bis) agit comme une coda prolongeant la transparence du symbolisme.
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CRITIQUE, festival. MONTPELLIER, 44ème Festival de Radio France Occitanie Montpellier, le 10 juillet 2024. Oeuvres de Gustav MAHLER. Marianne Crebassa (mezzo), Melody Louledjian (soprano), Orchestre Philharmonique de Radio France, Mikko Franck (direction). Photos (c) Emmanuel Andrieu.
VIDEO : Gerhild Romberger interprète les « Kindertotenlieder » de Gustav Mahler