samedi 25 janvier 2025

CRITIQUE, festival. BEAUNE, 42ème Festival International d’Opéra Baroque et Romantique (Cour des Hospices), le 19 juillet 2024. HAENDEL : Alcina. A. M. Labin, A. Bré, F. Hasler, S. Marino… Les Epopées / Stéphane Fuget.

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

Après une magistrale trilogie montéverdienne, Stéphane Fuget et son ensemble Les Epopées s’attaquent avec brio à Alcina de Georg Friedrich Haendel, ce qui nous vaut une soirée magique dans l’écrin somptueux de la Cour des Hospices de Beaune (dans le cadre du Festival d’opéra baroque et romantique de Beaune). Une direction exceptionnelle autour d’un casting quasi idéal, malgré la défection de Luigi de Donato, souffrant, qui a tenu, malgré tout, à assurer les récitatifs.

 

Pour le premier opéra de Haendel des Épopées, c’est un coup de maître. La longue pratique du recitar cantando abordée dans le répertoire du Seicento est mis à bon escient au service d’un genre plus artificiel qui présente souvent les longues pages de récitatifs comme des bornes d’ennui, avant la séduction des airs, virtuoses, pathétiques, d’une extrême variété que compte l’opéra seria haendélien. Le théâtre vibre également dans les récitatifs qui sont toujours des joutes oratoires rhétoriques préparant le concentré de discours qu’est l’aria. D’emblée, l’ouverture nous plonge au cœur du drame, sans jamais nous lâcher durant les plus de trois heures trente de musique, et introduit le spectateur dans la scène liminaire du premier acte in medias res. Le passage de la musique éloquente à la parole qui ne l’est pas moins, se fait ainsi dans la plus idoine des manières.

La distribution réunie pour cette première frise l’idéal. Dans le rôle-titre, la soprano roumaine Ana Maria Labin est stupéfiante de justesse dramatique, incarnant avec passion son personnage en étant constamment attentive aux moindres inflexions du texte, capable de mille nuances pathétiques qui bouleversent à chaque instant. Elle nous offre un « Ah, cor mio » d’anthologie (même les oiseaux qui piaillaient une bonne partie au-dessus du ciel des Hospices se sont tus), et la tension dramatique ne baisse guère dans les récits animés d’une vigueur roborative, comme dans les deux autres airs fameux (« Ombre pallide » et « mi restano le lagrime »). Le Ruggiero d’Ambroisine Bré nous a moins convaincu. Si la voix est bien posée et suffisamment projetée (son « Sta nell’Ircana » est sans doute là où elle brille le mieux), elle pèche par une présence scénique trop sage, une absence de réelle incarnation (comme l’a montré son « Verdi prati », excessivement plat). Bradamante est superbement défendue par le timbre rond, chaleureux et véhément de la mezzo Floriane Hasler, qui fait mouche dans son air « È gelosia », où elle s’adresse à la fois à Oronte et à Morgana et est pleinement convaincante dans les récits qu’elle déploie avec une grande force dramatique. Il faut saluer l’exceptionnel tour de force de Gwendoline Blondeel, qui a remplacé la regrettée Jodie Devos (à qui un hommage a été rendu avant le concert), prévenue quinze jours seulement avant sa prise de rôle. Une voix aérienne, ample et parfaitement ciselée qui nous a enchanté dans chacune de ses interventions (magistrale « Tornami a vagheggiar » qui clôt le premier acte). Dans le rôle du prétendant déçu Oronte, Juan Sancho, une fois de plus émerveille. L’unique ténor de la distribution possède un don inné du théâtre, une technique qu’il met, avec le même entrain et la même force, au service des récitatifs (d’une expressivité rare dans ce répertoire) comme des airs, qu’il chante avec une facilité déconcertante, sans le moindre faux-pas. Samuel Mariño campe un Oberto encore trop maniéré, même si des efforts ont été manifestement accomplis. Mais sa prestation pèche une fois de plus par une diction brouillonne (un comble pour un latino) et son aisance manifeste dans le registre aigu semble faire fi du sens de ce qu’il chante. On oublie trop souvent que la séduction du chant ne doit jamais oblitérer la sémantique du discours qui est aussi, dans ce répertoire, le réceptacle essentiel des affects. Luigi de Donato complète la distribution dans le rôle secondaire du précepteur Melisso. Hélas, souffrant d’une laryngite, il a été incapable de chanter son unique air au début du deuxième acte, se contentant d’octavier dans le registre grave, donnant ainsi une étrange impression de « parlar recitando » des origines de l’opéra.

À la tête de son orchestre des Épopées, Stéphane Fuget, silhouette à la fois nerveuse et délicate, est dans son élément, qui nous ouvre de nouvelles perspectives fascinantes d’interprétation, dans l’ouverture, on l’a dit, mais aussi dans le ballet qui termine le deuxième acte, avec des couleurs inédites, d’une richesse harmonique proprement fabuleuse. Il semble anticiper d’une certaine façon le nouveau langage développé par le ballet dramatique qui suivra la réforme de Gluck : la musique a aussi une grammaire théâtrale qui peut se passer des mots. Ce soir, Stéphane Fuget en a été son illustre porte-parole.

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CRITIQUE, festival. BEAUNE, 42ème Festival International d’Opéra Baroque et Romantique de Beaune (Cour des Hospices), le 19 juillet 2024. HAENDEL : Alcina. Ana Maria Labin (Alcina), Ambroisine Bré (Ruggiero), Gwendoline Blondeel (Morgana), Floriane Hasler (Bradamante), Juan Sancho (Oronte), Luigi de Donato (Melisso), Samuel Mariño (Oberto), Orchestre Les Épopées, Stéphane Fuget (direction). Photos (c) Ars Essensia & DR.

 

VIDEO : Jane Archibald chante l’air « Ombre pallide » extrait d’Alcina de Haendel

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