vendredi 9 mai 2025
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CRITIQUE CD événement. MOZART Á PARIS 1778 : Antoine Albenese, Mozart (K 304, 310, 360), Arnaud De Pasquale (pianoforte Silbermann). Avec Perrine Devillers, soprano / Jérôme van Waerbeke, violon (1 cd CVS / Château de Versailles Spectacles)

A 22 ans, Wolfgang séjourne pour la 3ème fois à PARIS, ainsi de mars à sept 1778 : séjour nécessaire selon son père pour obtenir protection, financement voire emploi… Comme dans le concert – récital d’un salon parisien à la fin des années 1770, les interprètes éclairent ce raffinement sombre voire tragique que porte le jeune Mozart, il est vrai marqué par la mort de sa mère dans la Capitale…

 

La Sonate K 310, d’abord, jouée sur un instrument historique, dans le miroitement parfois instable de sa sonorité d’époque, mécanique à la clé (clavier Silbermann), exprime au plus juste, précisément dans son premier mouvement (Allegro maestoso), l’agitation parfois panique d’un cœur tourmenté (n’est-il pas tombé amoureux à Mannheim d’Aloysia Weber ?) ; surtout endeuillé par la mort de sa mère qui meurt en juillet 1778 du typhus. Le jeune compositeur parvient cependant à faire jouer sa musique à l’Académie royale et aussi au Concert spirituel (Symphonie en ré majeur K 297 « Parisienne »), institutions incontournables… Le Concerto pour flûte et harpe (K 299), commande du Duc de Guînes et de sa fille, marque l’étonnante maturité de Mozart dans le style galant… Une séduction qui allie raffinement et profondeur et qui explique que dans le prolongement du séjour, les œuvres mozartiennes sont désormais éditées et jouées à Paris.

 

En particulier les fameuses 3 Sonates « Palatines » (dédiées à l’Électrice Palatine et composées à Mannheim puis Paris) : la K 304 ( en mi mineur) ici choisie, rayonne par son équilibre et sa grâce trouble faisant dialoguer le violon et le clavier à parts égales, selon le modèle de Joseph Schuster ; s’y confirme une certaine langueur noire derrière leur distinction altière. Le format en véritable duo en deux mouvements, marque l’influence directe de Johann Christian Bach que Wolfgang admire et qu’il retrouve chez le Duc de Noailles dans son château de Saint-Germain à l’été 1778. La gravité et la profondeur de Mozart s’y déploient sans entrave avec une acuité inédite, en lien avec les difficultés du 3è séjour.

 

Le contraste est consommé avec les variations d’après les mélodies dans l’air du temps (Lison dormait dans un bocage… tiré de la Julie de Dezède, 1772)) où Mozart se plie à la mode avec la verve et la facilité qui le caractérisent : entre virtuosité et génie des audaces harmoniques (comme il le fera aussi d’après les opéras de Grétry ou la musique de Baudron pour Le Barbier de Séville de Beaumarchais)… L’intérêt du présent album est l’usage d’un pianoforte carré Silbermann qui est idéalement approprié aux œuvres jouées ; ce qui nous change des interprétations historiques précédentes souvent sur claviers viennois, bien postérieurs à Mozart.

Même facilité dans les Variations K 360 d’après la romance d’Albanèse « Au bord d’une fontaine… ». Ce compositeur apprécié pour ses romances dans les années 1770 fut un castrat fameux, recruté en 1747 pour chanter le dessus à la Chapelle du Roi à Versailles. Les interprètes en comprennent les défis et les enjeux expressifs, ce souci constant du renouvellement mélodique, dans un élan réalisé comme un jaillissement continu.

L’essor d’une expressivité ciselée s’accomplit ainsi dans les romances d’Albanese, ici particulièrement emblématiques : « Dans les erreurs d’un songe » (désarroi d’une âme amoureuse, proie des illusions d’un rêve) et la Romance de Rosemonde (paysage tragique et noble en miroir de l’inconsolable veuve), aux couleurs intérieures inédites qui inspirent à la parure instrumentale, accords et accents d’un exceptionnel raffinement. Dommage que la soprano n’articule pas suffisamment car le texte est souvent perdu, même si le timbre est très séduisant. Au diapason d’une vive attention aux nuances mozartiennes, révélant aussi la sensibilité déjà romantique du chanteur / compositeur Antoine Albanese (1728 – 1803), les interprètes nous régalent en éclairant différemment le 3è séjour de Mozart à Paris. La maturité d’un jeune homme plein de sensibilité, d’une vérité émotionnelle absolue, à l’image du portrait de jeune homme peint par Greuze (couverture du cd) dont la touche elle aussi, est déjà romantique.

 

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CRITIQUE CD événement. MOZART Á PARIS 1778 : Arnaud De Pasquale, pianoforte. Avec Perrine Devillers,soprano / Jérôme van Waerbeke, violon (1 cd CVS Château de Versailles Spectacles – enregistré à l’été  2022). CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2024

 

PLUS D’INFOS sur le site de CVS Château de Versailles Spectacles / BOUTIQUE / CD : https://www.operaroyal-versailles.fr/boutique/

ENTRETIEN avec Jean-Marie Machado à propos de son nouvel opéra La Falaise des lendemains, création mondiale à l’affiche de l’Opéra de Rennes, du 7 au 10 novembre 2024…

CLASSIQUENEWS : Quel est l’enjeu principal de votre opéra ?

JEAN-MARIE MACHADO : Pour moi, en tant que compositeur, le sujet central de ce projet demeure la vie de mon propre orchestre Danzas, créé en 2007. Je suis un compositeur particulièrement heureux de pouvoir disposer de mon propre ensemble instrumental. Chacun des musiciens qui le compose a un profil hybride. J’ai la chance d’avoir pu composer l’opéra sur mesure, en fonction de chaque individualité instrumentale et artistique. Ce sont des conditions optimales pour créer une partition nouvelle. De surcroît un premier opéra. Pour ma part, c’était le bon moment, dans le prolongement de mon travail sur la voix, et particulièrement du mini opéra réalisé avec la chanteuse Aurore Bucher, « Le bel indifférent » de Jean Cocteau. Pour La Falaise des lendemains, je retrouve une chanteuse avec laquelle j’ai déjà travaillé ; tous les autres rôles ont nécessité une audition ; chaque interprète est à la marge de plusieurs styles et esthétiques. J’ai proposé au conteur qui a écrit le livret, les éléments de l’action ; une action plutôt classique qui permette le déploiement de tableaux cinématographiques, comme une tragédie puissante qui s’inspire aussi de légendes pareilles à celle de Roméo et Juliette.

Photo portrait de Jean-Marie MACHADO © Cecil Mathieu

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Qu’est ce qui est au centre de votre écriture ? 

JEAN-MARIE MACHADO : Ce qui m’intéresse surtout c’est d’exprimer ce que ressent chaque personnage, ce qu’il vit, ce qu’il éprouve au moment de chaque situation. L’idée de surligner l’histoire ne m’intéresse pas. Ressentir les émotions des personnages à l’instant où ils les vivent, est très inspirant. La musique peut exprimer la pensée, les sentiments. A l’opéra ce qui est fascinant, c’est de vivre grâce à la musique chaque état, chaque sentiment de chacun des personnages.
Dans ce sens, le début sur les docks, où toutes les voix arrivent et forment une sorte de danse (la séquence s’intitule « poursuite et bravade ») est particulièrement intense ; de même à la fin du drame, le duo amoureux entre Lisbeth et Chris est construit à la manière d’Egberto Gismonti, à cinq temps, aérien, où je mêle au jazz une voix lyrique, tout cela tendant à exprimer la force et le mystère de l’amour…

 

 

CLASSIQUENEWS : Pourquoi avoir marié ainsi les langues (français, breton, anglais) ? 

JEAN-MARIE MACHADO : La présence du breton dans le texte de l’opéra découle d’une proposition du librettiste. L’histoire se passe à Roscoff dans les docks, en Bretagne, entre les deux guerres, à une époque où l’on parle le français et le breton. L’anglais s’invite aussi parce que l’action met en scène des Anglo-saxons venus des Iles de Guernesey qui organisent alors un spectacle dans la ville… Il était naturel d’inclure le breton ; c’est comme si je rendais à la Bretagne tout ce qu’elle m’a offert et transmis. Quand les personnages s’expriment en breton, cela renforce la vérité des situations. Enfant, j’ai été familier des métissages et des cultures mêlées ; je suis né au Maroc ; dans ma famille, nous parlions espagnol, italien, portugais (mon père était Portugais) ; tout cela au milieu de la langue arabe.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Pourquoi mêler sur le plateau musiciens et chanteurs, pour quel format musical ?

JEAN-MARIE MACHADO : L’opéra permet d’aborder une multitude de disciplines, tout ce que j’ai pu approcher en tant que compositeur, c’est à dire une grande diversité de formes musicales, comme le ballet, la musique de chambre. Le genre opéra est inspirant parce qu’il englobe tous les genres. Ce que j’apprécie à l’opéra c’est son côté cinéma vivant ; sa capacité à produire des tableaux spectaculaires ; des envolées qui nous transportent. C’est aussi un lieu d’expérimentation qui est stimulant ; il était important d’intégrer les musiciens sur le plateau ; à plusieurs reprises les chanteurs évoluent, entourés d’instrumentistes, grâce à un dispositif de passerelles. Tout cela fait partie des enjeux de l’opéra. Il était important d’inventer de nouveaux formats. Et je remercie les directeurs d’opéras, comme Matthieu Rietzler, Alain Surrans, Enrique Thérin ou encore Fanny Bertin de permettre ainsi la réalisation de spectacles qui ne se conforment pas aux canons du sérail opératique. A la confluence du classique, du jazz, des musiques traditionnelles qui composent ma famille musicale, l’opéra La Falaise des lendemains envisage d’autres pistes, d’autres expériences artistiques. Je viens du classique, j’ai appris le piano auprès de la concertiste Catherine Collard. C’est une chance de produire un tel opéra qui mêle autant d’écritures et de styles différents.

 

 

Propos recueillis en novembre 2024

 

 

Photos / production de l’opéra en création mondiale à l’Opéra de RENNES : La Falaise des lendemains, novembre 2024 © Laurent Guizard

 

 

 

 

LIRE notre présentation de la création mondiale de La Falaise des lendemains de Jean-Marie Machado, à l’affiche de l’Opéra de Rennes du 7 au 11 novembre 2024 : https://www.classiquenews.com/opera-de-rennes-du-7-au-11-nov-2024-creation-mondiale-jean-marie-machado-la-falaise-des-lendemains-diskan-jazz-opera/

 

 

Opéra contemporain repris à

NANTES, du 26 février au 1er mars 2025ANGERS, le 24 avril 2025TOURCOING, le 18 janvier 2025CRÉTEIL, le 24 janvier 2025

 

 

 

OPÉRA DE RENNES. Du 7 au 11 nov 2024. Jean-Marie MACHADO : La Falaise des lendemains / Diskan Jazz Opéra, création mondiale

 

ORCHESTRE NATIONAL AVIGNON PROVENCE. «  DESTIN », Ven 22 nov 2024. MOZART (Concerto pour piano n°23), TCHAIKOVSKI (Symphonie n°5)… Shani Diluka, piano / Débora Waldman, direction

« La musique est le souffle de l’esprit » a dit un jour Lūcija Garūta. Composée au départ pour son instrument, le piano, sa Méditation (1934) gagne une dimension épique, un caractère époustouflant quand elle est jouée par un orchestre symphonique comme ce soir, l’Orchestre National Avignon Provence.

 

Puis la pianiste Shani Diluka aborde tous les défis du Concerto pour piano n°23 (1786) de Mozart et son adagio prodigieux où le soliste et l’orchestre semblent méditer sur le sens de la vie. Le concert se poursuit avec la Symphonie n°5 (1888) de Tchaïkovski, une quête initiatique, un vaste labyrinthe qui nous mène du désespoir, l’espoir, de la résignation malheureuse et paralysante jusqu’au retour de la vie et de la joie. Dense, élégante, mais aussi grave, annonçant les vertiges et le passage dans l’au-delà, inscrit dans le dernier mouvement de la 6ème symphonie (« Pathétique »), la Symphonie n°5 est conçue en 1888, soit une décennie après la 4ème. Moment de doute et de questionnement intense sur le sens de la musique et de sa propre vie, le contexte explique la gravité qui sous-tend toute la symphonie. Tchaïkovski souligne la constance de son inspiration qui n’a jamais faibli et regrettera après les réserves des critiques, ce trop d’affectation, un manque de sincérité qui auraient soit disant nui à son travail… Quoiqu’il en soit c’est justement son ambivalence entre éclaircie ou dépaysante insouciance qui fonde la valeur de l’opus symphonique.

 

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Opéra Grand Avignon / Avignon
vendredi 22 novembre 2024, 20h

Lūcija Garūta, Meditàcija
Wolfgang Amadeus Mozart, Concerto pour piano n° 23
Piotr Ilitch Tchaïkovski, Symphonie n° 5

 

INFOS & RÉSERVATIONS directement sur l’Orchestre national Avignon Provence : https://www.orchestre-avignon.com/concerts/destin/?gad_source=1&gclid=Cj0KCQiAoae5BhCNARIsADVLzZf5T1EzF-twlF3BDpDOEu0pkq8DDAJjcJWn7HMmBA8a48tMp7QbuSYaAkUjEALw_wcB

Durée : 1h35 – Tarif : De 5 à 30 euros

Débora Waldman, direction
Shani Diluka, piano
Orchestre national Avignon-Provence
Avec les étudiants de l’IESM d’Aix-en-Provence

 

Réservations par téléphone au 04 90 14 26 40
 / La carte CLUB’OPERA est proposée au tarif de 20 euros. Valable un an après sa date d’achat elle ouvre droit à une réduction de 20% sur le prix des places, de tous les spectacles dont ce spectacle.

 

 

Avant-concert
Rencontre avec un membre de l’équipe artistique
 / Salle des Préludes de 19h15 à 19h45

Présentation du programme / « Demandez le programme »
Avec Elisabeth Angot, musicologue et compositrice
Bibliothèque CECCANO / AVIGNON
Jeudi 21 novembre 2024, 18h
Durée : 1h – entrée libre et gratuite
Si vous souhaitez en savoir plus sur les œuvres musicales de la saison 2024-2025, les Promenades orchestrales sont faites pour vous ! Ces rencontres vous invitent à parcourir et à vous immerger dans la programmation symphonique de l’orchestre.

 

CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 1er novembre 2024 : « Marie-Antoinette ». Sonya Yoncheva / Les Arts Florissants / William Christie.

Le 17 mai 1774, une jeune princesse autrichienne de 18 ans est couronnée reine de France. 40 ans auparavant, cette cérémonie eut été impensable par l’inimitié héréditaire qui opposait jadis le Royaume de France et la couronne multiple des Habsbourg. Il y a donc 250 ans, Louis le Seizième et son épouse Marie-Antonia de Lorraine d’Autriche devenaient les monarques d’une France déjà en ébullition sous le feu des Lumières. Contrairement aux poncifs de propagande xénophobe républicaine et aux caricatures vulgaires de Sophia Coppola, la jeune reine en princesse née dans la stricte étiquette de Vienne, n’avait pas de fantaisie de diva mais un esprit hautement cultivé et ouvert aux idées de son temps dans la mesure de ce que lui permettait son statut codifié.

 

On oublie souvent cela aujourd’hui que celle qu’on appelle Marie-Antoinette, depuis son arrivée en France, était surtout versée dans les arts de la scène, par la pratique, depuis son plus jeune âge. Outre les instruments, Maria-Antonia était une des plus jeunes membres d’une famille hautement musicale. En effet, son grand-père maternel, l’empereur Charles VI avait composé et était le protecteur de musiciens tels que Fux, Caldara, Porpora et même Vivaldi. Toute la fratrie de la princesse a pratiqué la musique à un très haut niveau sous la férule du compositeur Christoph Willibald Gluck. Ce dernier a composé des sérénades pour les sœurs de Marie-Antoinette dont le niveau vocal rivalisa avec les plus grands talents de la scène. Des tableaux à Vienne immortalisent la très jeune Marie-Antonia avec son frère Maximilien dans un petit ballet que Gluck a composé pour les enfants impériaux. 250 ans après le couronnement de la reine des « grâces » et l’appel qu’elle a fait à son maître de musique, c’est avec plaisir que l’annonce du programme du récital de Mme Sonya Yoncheva, à la Philharmonie de Paris, a attiré notre attention.

 

Las! Nous découvrons, comme d’habitude dans ce genre de concert, une suite d’airs et de morceaux instrumentaux sans lien dramaturgique ou narration. Il est temps que les artistes commencent à respecter le public et la musique, car quel plus beau moyen de transmettre des émotions qu’en racontant une histoire. Ici nous ne comprenons aucunement la présence d’extraits de Mozart ou de Cherubini, qui n’ont strictement rien à voir avec Marie-Antoinette, et encore moins avec sa relation avec le chevalier Gluck. 

 

Et pourtant, pour raconter cette histoire, il y avait tout le répertoire. William Christie, Sonya Yoncheva et Les Arts Florissants auraient pu carrément raconter l’histoire de la vie de la reine avec seulement des musiques de Gluck. Le concert aurait pu commencer par l’ouverture magnifique de l’Innocenza giustificata, créée quasiment un mois après la naissance de Maria-Antonia. On aurait pu entendre ainsi de Vienne à Paris des sublimes extraits de la production moins connue du Ritter Gluck de la deuxième version d’Ezio, la scène de Berenice de son Antigono, ou même un air des Pèlerins de la Mecque que nos chers Arts Flo ont déjà fait par le passé. Sonya Yoncheva aurait été impériale dans le « Tempeste il mar minaccia » du monumental Trionfo di Clelia. Tout ce voyage aurait aussi pu revisiter les grands moments du Gluck parisien et se finir dans le chaos révolutionnaire avec la « Danse des Furies » du sempiternel Orphée. Le tout montrerait deux vies parallèles quasiment tronquées en même temps. 

 

Crédit photographique © Pedro-Octavio Diaz

 

Parfois la question se pose : où est l’audace de ces magnifiques ensembles dont l’oriflamme était la redécouverte? Ont-ils épuisé à ce point le répertoire ? Tout ne serait que business et donc une sorte de « standardisation » sclérosée de la forme récital ? Si les grands interprètes ne prennent pas à bras le corps la rareté et l’inédit, comment enflammer à nouveau le public ? Espérons que bientôt ces merveilleux Arts Florissants nous révèleront des pépites et continueront de nous passionner pour leur formidable histoire. 

Fi du manque d’imagination pour le programme. Cette soirée nous a offert un très bel aperçu de la magnificence de cet ensemble dans le répertoire baroque réformé (dit « classique »). Les dynamiques sont souples et ciselées. Malgré des départs parfois un peu branlants, la justesse de tous les pupitres est parfaite. Nous saluons évidemment maestro Christie qui, d’un seul geste, peaufine une couleur ou ajoute une nuance, comme le grand musicien qu’il est. 

Sonya Yoncheva a une voix sublime, nous ne pouvons pas nier ses qualités vocales. Nous l’avions adoré dans ses rôles véristes d‘Iris de Mascagni ou de Stephana dans Siberia de Giordano à Montpellier. Dans ce répertoire, elle comprend le style et triomphe des difficultés liées à chaque compositeur. Cependant, ses moments chambristes avec un concertino réduit pour des petites romances reste un exercice difficile. Sa prosodie peine et l’on perd totalement la signification du texte alors qu’il est essentiel pour le dramatisme d’une telle musique dépouillée. Est-ce qu’il aurait fallu vraiment entrer dans la vie de Marie-Antoinette et construire un programme plus équilibré pour qu’on s’ennuie moins ? Mme Yoncheva nous a habitués à être intrépide, nous espérons que la prochaine fois elle ira un peu plus loin. 

Malgré les turbulences révolutionnaires, Marie-Antoinette est entrée dans l’inconscient collectif français. Héroïne romancée de son propre mythe, la reine qui périt sous les quolibets fut une des protagonistes d’un tableau de la cérémonie des JO Paris 2024. 250 ans après le début de son règne elle perturbe, elle fait entendre encore sa voix bien au-delà de Trianon et la laiterie de Rambouillet. Aux abords du périphérique, luisant diamantin tel ce collier qui l’a calomniée, c’est la veille de son 269e anniversaire que son image continue de hanter Paris.

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 1er novembre 2024 : « Marie-Antoinette ». Sonya Yoncheva / Les Arts Florissants / William Christie. Crédits photographiques © Pedro-Octavio Diaz

 

VIDEO : Sonya Yoncheva interprète l’air d’Agathe dans ‘Il Flaminio » de Pergolesi

 

CD événement, annonce. LAURE FAVRE-KAHN, piano.  » Dédicaces  » (1 cd Opus 47)

Sept ans après son dernier album « Vers la flamme », la pianiste Laure Favre-Kahn confirme un tempérament original et puissant, d’abord dans le choix des œuvres ainsi associées ; son nouveau cd intitulé « Dédicaces » regroupe 14 œuvres enregistrées jouées selon le choix et le goût de 14 personnalités que la pianiste a rencontrées au cours de sa trajectoire artistique.  Son éclectisme reflète en vérité la couleur inestimable des admirations, des complicités, des affections créatives…

 

« Pour la première fois, je n’ai pas choisi moi-même son contenu musical. En tant que musiciens, nos interprétations se nourrissent de nos inspirations, qui elles-mêmes s’enrichissent de nos rencontres. Ainsi notre ADN artistique se façonne et ne cesse d’évoluer, et certaines personnes jouent un rôle fondamental dans ce cheminement. C’est pourquoi j’ai souhaité réunir ceux et celles qui depuis longtemps m’apportent une multitude de sentiments et d’émotions.
Je suis heureuse d’avoir réuni 14 personnalités, dans différents domaines, pour qui j’ai tant d’admiration et un profond respect : Claude Lelouch (Francis Lai Un homme et une femme), Charles Berling (Chopin Nocturne en do dièse mineur), Nemanja Radulovic (Beethoven Sonate Pathétique 1er mouvement), Jean-Jacques Sempé (Debussy, Clair de Lune), Biréli Lagrène (Liszt, Sonnet de Pétrarque 104), Hugo Marchand (Tchaïkovski, Juin), Christian Lacroix (Ravel Alborada del grazioso), Matthieu Chedid (Glass, Opening) et bien d’autres. »

 

PARCOURS… Il en découle un programme personnel, artistiquement ciselé qui est aussi une célébration de l’amitié et des rencontres fraternelles.Étudiante au conservatoire d’Avignon, Laure Favre-Kahn obtient à 17 ans un premier prix de piano à l’unanimité au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (classe de Bruno Rigutto). Lauréate des révélations classiques de l’Adami en 1999, elle enregistre à 20 ans son premier album consacré à Schumann, suivi d’un disque Chopin (Arion). En 2001, lauréate du premier prix du Concours International Propiano à New York, elle donne un récital au Carnegie Weill Hall dans la foulée ; puis est nommée « ProPiano artist of the year » et enregistre un disque Reynaldo Hahn, choix original autant pertinent. Depuis 2005, elle joue avec le violoniste Nemanja Radulovic. En 2018, Laure participe à son dernier album « Baïka » paru chez Deutsche Grammophon, réalisant le rare Trio de Khachaturian, avec le clarinettiste Andreas Ottensamer. Son jeu est intense, imaginé, personnel : il a la capacité de conter, charmer, convaincre dans ses élans poétiques toujours intimes et pleinement assumés.

 

 

 

PLUS D’INFOS sur le site officiel de Laure Favre Kahn :
https://laurefavrekahn.com/

 

 

concerts

23 novembre 2024 : récital Dédicaces au festival Piano en fleurs à Marseille – Beaux Arts à Luminy
11 décembre 2024 : concert dans la saison Classique à l’Ecuje à Paris avec Pierre Genisson

CD événement, annonce. JEAN-NICOLAS DIATKINE, piano. BEETHOVEN, LISZT, WAGNER… LIVE 2021 & 2023 (1CD Solo Musica)

Dans son nouvel album 2024, le pianiste Jean-Nicolas Diatkine, que Beethoven, Liszt et Wagner inspirent au plus haut niveau, maîtrise les défis du live… Qu’est ce qui est enjeu ? L’enregistrement live permet de (re)vivre l’expérience musicale, dans l’imperfection et la fragilité de l’instant capté ; de saisir l’intensité et l’énergie de l’interprète dans une continuité temporelle qui en garantit l’authenticité voire la sincérité, et rétablit la gestion de sa respiration du début à la fin de la séquence. Nous sommes loin de l’abstraction recomposée du montage qui privilégie plutôt un assemblage de points parfaits réalisés en studio.

 

Cela étant dit, voilà un excellent programme qui assume de principe la prise live et en offre le plus convaincant des témoignages ; les récitals captés Salle Gaveau en 2021 et 2023 (nous y étions) est composé des Bagatelles de Beethoven, qui n’ont de léger et d’anodin que leur titre, tant le souffle dramatique et l’implication de l’interprète en expriment toute l’ambivalence et la double dimension (micro et macro). En grand spécialiste de Liszt, Jean-Nicolas Diatkine nous régale avec plusieurs pièces de choix, d’autant plus convaincantes qu’il les joue sur le long terme, un compagnonnage qui lui permet d’en faire jaillir aujourd’hui, l’essence spirituelle voire fantastique sur les cimes de la poésie pure ; ainsi, d’abord, la très faustéenne Sonate en si mineur ; puis la transcription (de Liszt) de la Mort d’Isolde ; enfin, sublime conclusion, la Ballade n°2 du prophète Liszt, aux écarts oniriques inouïs dont Jean-Nicolas Diatkine éclaire les miroitements surnaturels. Nouveau cd événement. Prochaine critique sur CLASSIQUENEWS – le CD décroche le CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2024

 

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CD événement, annonce. JEAN-NICOLAS DIATKINE, piano. BEETHOVEN, LISZT, WAGNER… LIVE 2021 & 2023 / Paris, Salle gaveau (1CD Solo Musica)

 

agenda

PARIS, Salle Gaveau. Récital Jean-Nicolas Diatkine, piano / Lundi 16 déc 2024, 20h30 – Bach, Schubert, Schubert – Liszt (transcriptions Auf dem Wasser zu singen, Serenade, Marguerite au rouet) – Beethoven : Sonate n°21 « Waldstein ».
Infos & réservations directement sur le site de la Salle Gaveau : https://www.sallegaveau.com/spectacles/jean-nicolas-diatkine-piano-5#

 

 

PLUS D’INFOS sur le site du label Solo Musica : https://solo-musica.de/jean-nicolas-diatkine-live-2021-2023/

CHAINE YouTube de Jean-Nicolas DIATKINE : https://www.youtube.com/user/jndmus

 

 

VIDÉO : Sonate en si mineur de LISZT – GAVEAU – 4 déc 2023

OPÉRA DE SAINT-ÉTIENNE. MASSENET : Thaïs. Les 15, 17 et 19 nov 2024. Ruth Iniesta, Jérôme Boutillier… Pierre-Emmanuel Rousseau / Victorien Vanossten

L’Opéra de SAINT-ÉTIENNE ouvre sa nouvelle saison lyrique 2024 – 2025 avec une nouvelle production de Thaïs de Massenet (1894). Oeuvre majeure du théâtre romantique français, la partition brosse deux portraits psychologiques flamboyants et qui selon le principe de correspondance croisée (et inversée) ne cesse d’aiguiser l’attention du spectateur …

 

… l’un, celui d’une pécheresse qui reçoit la révélation de Dieu (Thaïs); le second, celui du moine cénobite, Athanaël, tout autant foudroyé, saisi par la beauté de l’ancienne courtisane. D’après Anatole France, Thaïs de Massenet est un opéra prenant, certes orientalisant (l’action se passe à Alexandrie), surtout parcours psychologique où deux spiritualités, chacune éprise d’absolu, se croisent sans guère se comprendre et qui suivent chacune une trajectoire inverse : Thaïs s’élève en spiritualité tandis qu’Athanaël brûle et se perd sous l’emprise d’un désir sensuel irrépressible. Dans la fosse, Victorien Vanoosten dirige l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire et le Choeur Lyrique Saint-Étienne Loire, en complicité avec le metteur en scène Pierre-Émmanuel Rousseau dont les affinités avec le romantisme français ne sont plus à démontrer… La distribution promet elle aussi une réalisation mémorable avec deux chanteurs qui font une prise de rôle chacun dans les deux rôles principaux ; dans le rôle-titre, la soprano Ruth Iniesta que le public stéphanois a déjà applaudi in loco… et Jérôme Boutillier en Athanaël, l’homme de Dieu rattrapé par son désir brûlant. La version choisie est celle de 1894 (habituelle) mais agrémentée des ballets jamais donnés en général dont partie du dernier ballet dit des 7 esprits de la tentation, réalisé en solo par le danseur Carlo D’Abramo, avec lequel Pierre-Emmanuel Rousseau avait déjà travaillé pour La Rondine à Turin… Production lyrique événement dont les décors et costumes sont réalisés par 
les ateliers de l’Opéra de Saint-Étienne.

Illustrations et photos : Visuels saison 24-25 Opéra de Saint-Étienne © Agence Royalties

 

 

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Jules MASSENET : Thaïs
Opéra en 3 actes
GRAND THÉÂTRE MASSENET
Vendredi 15 nov. 2024 : 20h
Dimanche 17 nov. 2024 : 15h
Mardi 19 nov. 2024 : 20h

Tarif A • De 10 € à 63 €
Durée 2h50 environ, – entracte compris
langue : en français, surtitré en français
RÉSERVEZ vos places directement sur le site de l’Opéra de Saint-Étienne :
https://opera-saint-etienne.notre-billetterie.fr/billets?spec=1833

 

En juin 2022, la jeune soprano Ruth Iniesta subjuguait le public stéphanois dans le rôle de Violetta, dans La Traviata de Verdi. Elle revient à l’Opéra de Saint-Etienne, pour un rôle intimement lié au Grand Théâtre Massenet, celui de Thaïs. La statue de cette courtisane antique par Joseph Lamberton habille en effet le square Violette, en coeur de ville, hommage élégant à Massenet, l’enfant du pays. 
Jérôme Boutillier, un habitué de Saint-Étienne (notamment applaudi dans Hamlet en 2022 et Le Tribut de Zamora en 2024), interprète le moine Athanaël qui tente de convertir Thaïs au christianisme… avant d’être lui-même conquis par la beauté éclatante de la courtisane. Le public stéphanois redécouvrira aussi Léo Vermot-Desroches, révélation « Artiste lyrique » des Victoires de la Musique 2024, qui interprète Nicias, l’amant superbe de Thaïs. Il avait interprété à Saint-Étienne Des Grieux dans Une autre histoire de Manon, et marqué les esprits dans Le Tribut de Zamora de Gounod.

Cette nouvelle Thaïs est mise en scène par Pierre-Emmanuel Rousseau, metteur en scène particulièrement convaincant à l’opéra : il a signé des dizaines de productions, et, après avoir repris à Saint-Étienne, son Barbier de Séville il y a quelques années, assure enfin sa première création à Saint-Étienne : un événement incontournable.

Propos d’avant-spectacle
 : Par Cédric Garde, professeur agrégé de musique, une heure avant chaque représentation. Gratuit sur présentation du billet du jour.

 

 

Distribution

Direction musicale : Victorien Vanoosten
Mise en scène, décors, costumes : Pierre-Emmanuel Rousseau
Chorégraphie : Carmine De Amicis
Lumières : Gilles Gentner

Thaïs : Ruth Iniesta
Athanaël : Jérôme Boutillier
Nicias : Léo Vermot-Desroches
Palémon : Guilhem Worms
Crobyle : Marion Grange
Myrtale : Éléonore Gagey
La Charmeuse : Louise Pingeot
Albine, Abbesse : Marie Gautrot
Danseur : Carlo D’Abramo
Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire
Choeur Lyrique Saint-Étienne Loire
Direction : Laurent Touche

Décors et costumes réalisés par
les ateliers de l’Opéra de Saint-Étienne

 

 

3 photos de THAÏS, nouvelle production de l’Opéra de Saint-Étienne / Mise en scène Pierre-Emmanuel ROUSSEAU, nov 2024 © studio CLASSIQUENEWS

 

 

VIDÉO TEASER THAÏS de Jules MASSENET

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

VIDÉO présentation de la saison 2024 – 2025 par Éric Blanc de la Naulte, directeur général de l’Opéra de Saint-Étienne, Grand Théâtre Massenet :

 

 

 

LIRE aussi notre présentation de la nouvelle saison 2024 – 2025 de l’Opéra de Saint-Étienne / Grand Théâtre Massenet : https://www.classiquenews.com/opera-de-saint-etienne-nouvelle-saison-2024-2025-la-scene-est-tienne-temps-forts-et-productions-maison-thais-cavalleria-rusticana-i-pagliacci-lenle/

OPÉRA DE SAINT-ÉTIENNE. Nouvelle saison 2024 – 2025 : « La Scène est tienne ! »… Temps forts et productions maison (Thaïs, Cavalleria Rusticana / I Pagliacci, L’Enlèvement au Sérail, Samson et Dalila…), Créations (Un soir à Buenos Aires / Richard Galliano, Canticum Novum…), événements et rendez-vous publics…

 

 

CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 30 octobre 2024. AKIMENKO / RACHMANINOV / NOURBAKHSH / SCRIABINE. Khatia Buniatishvili (piano), Orchestre de Paris, Kirill Karabits (direction)

L’Orchestre de Paris et son chef invité Kirill Karabits présentent un « programme de résistance », qui met à l’honneur deux joyaux de la musique russe en l’encadrant de pièces composées par un Ukrainien et une Iranienne. Au-delà de ce geste politique, le programme fascine par sa cohérence musicale, entre post-romantisme et impressionnisme, malgré une interprétation trop fantasque au piano.

 

Si la grande Salle Pierre Boulez se montre une nouvelle fois pleine à craquer en cette rentrée automnale, on le doit certainement à la présence de la pianiste Khatia Buniatishvili (37 ans), qui créé l’événement à chaque représentation. On peut bien entendu regretter que le choix programmatique se soit finalement tourné vers le Concerto pour piano n°2 (1901) de Sergueï Rachmaninov, en lieu et place du Troisième (1909), initialement prévu. Quoi qu’il en soit, l’osmose entre la Géorgienne et Kirill Karabits est d’emblée patente, tant les interprètes se fondent dans une vision commune, aux contrastes particulièrement exacerbés. Tout du long, les deux trublions choisissent ainsi de ralentir les phrasés dans les parties mesurées, parfois à l’excès, pour mieux les accélérer dans les passages virtuoses, occasionnant un piano souvent couvert dans les tutti. On peut adorer ou détester ce piano volontiers caricatural dans ses excès démonstratifs, au niveau interprétatif comme visuel (à l’image des mimiques de Buniatishvili lors des fins de phrasés).

En jouant avant tout sur les tempi, le toucher tour à tour sobre et véloce met curieusement le piano en retrait, comme si Rachmaninov avait composé une symphonie concertante, éloignée des virtuosités attendues en maints endroits. Il est vrai que l’accompagnement rond et soyeux de Kirill Karabits joue la carte d’une souplesse un rien flottante et cotonneuse, tout en ponctuant les fins de phrasés d’accents plus marqués, comme s’il n’allait pas jusqu’au bout de sa logique finalement très analytique. Le mouvement lent est certainement le plus réussi dans cette optique excluant tout vibrato et sentiment d’urgence. En bis, Khatia Buniatishvili surprend le public en reprenant le clavier à trois reprises, entre la Sérénade D.957 de Schubert, un arrangement des Rhapsodies hongroises de Liszt, puis un hommage à La Bohème de Charles Aznavour.

Parmi les curiosités en début de soirée, la musique de Théodore Akimenko (1876-1945) s’épanouit autour d’un bref mais ravissant poème nocturne, Ange (1912). On entrevoit l’art d’un compositeur ukrainien encore tourné vers le post-romantisme, qui ose tisser un langage paré de lumières impressionnistes aussi chatoyantes qu’envoûtantes, toujours très inspiré au niveau mélodique. Gageons que cet intérêt pour la musique ukrainienne incitera les programmateurs à s’intéresser à la musique de Boris Liatochinski (1894-1965), qui mérite bien davantage que l’oubli poli dans laquelle elle est maintenue sous nos contrées. Après l’entracte, on découvre une autre compositrice, cette fois contemporaine, en la personne de l’Iranienne Niloufar Nourbakhsh (née en 1992). Sa brève pièce, appelée Knell, baigne dans une ambiance mystérieuse aux longues phrases sinueuses, avant de gagner progressivement en intensité et se conclure en un accord volontairement abrupt. Le programme de salle précise que cette pièce fonctionne comme un Prélude, ce qui explique pourquoi Karabits enchaîne directement sur la Symphonie n° 2 (1902) d’Alexandre Scriabine (1872-1915).

Si le compositeur russe reste indissociable de son legs pour piano et de son chef d’œuvre symphonique Le Poème de l’extase (1908), on se réjouit de retrouver un ouvrage plus méconnu, mais déjà joué par l’Orchestre de Paris (sous la baguette de Evgueni Svetlanov en 1974, et plus près de nous en 2019, avec Paavo Järvi). Avec Kirill Karabits, on reste sur une trajectoire volontiers cotonneuse, qui tire Scriabine vers le modèle impressionniste, même si le dernier mouvement altier fait entendre des réminiscences romantiques plus affirmées. Le langage déjà très personnel de Scriabine impressionne par sa capacité à lier naturellement l’entrecroisement des mélodies, toutes reprises en alternance par les pupitres, comme autant de vagues agitées par la houle. Ce va-et-vient entre groupes d’instruments, autant que les variations de dynamique entre piani et forte, évoquent souvent la manière de Bruckner, mais sans les éruptions abrasives dévolues aux cuivres. L’un des sommets de l’ouvrage est atteint au troisième mouvement, dont les chants d’oiseaux évocateurs baignent dans une atmosphère digne des passages semblables imaginés par Wagner. Le finale plus tempétueux retarde plus d’une fois l’apothéose triomphale par des digressions infinies : on se laisse perdre volontiers dans les méandres de l’inspiration de Scriabine, qui tisse des délices de raffinements harmoniques, admirablement contrastés avec la charge plus virile des cuivres, en forme de péroraison conclusive.

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CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 30 octobre 2024. AKIMENKO / RACHMANINOV / NOURBAKHSH / SCRIABINE. Khatia Buniatishvili (piano), Orchestre de Paris, Kirill Karabits (direction). Photos © Ondine Bertrand.

 

VIDEO : Kathia Buniatishvili interprète le Deuxième Concerto pour piano de Sergueï Rachmaninov (Gianandrea Noseda, direction)

 

CRITIQUE, opéra. OPÉRA GRAND AVIGNON, le 15 octobre 2024. VERDI : La Traviata. Julia Muzychenko, Jonas Hacker, Serban Vasile… Chloé Lechat / Federico Santi. 

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 Chloé Lechat a fouillé son approche de la famille Germont. Alors que Giuseppe Verdi expose vocalement le père et le fils (Rodolfo), la metteure en scène fait paraître physiquement la fille (qui pourtant n’est pas un rôle vocal, mais est juste citée dans le livret) : après tout c’est bien parce que son mariage risque d’être entaché que toute l’action se réalise ici même et contraint Violetta au sacrifice ultime.

 

N’est ce pas au nom de la morale bourgeoise et de la respectabilité qu’il est exigé à La Traviata de renoncer au seul amour de sa vie, le plus sincère, le plus miraculeux pourtant ? Ainsi cette figure féminine qui rappelle l’enjeu central occupe-t-elle régulièrement la scène, avec également l’aïeule qui traverse la scène en fauteuil roulant… Du reste, la victime Violetta Valéry, toute courtisane soit-elle, est expédiée sine die, sans ménagement, en particulier à l’acte III, où seule, abandonnée dans un Paris sinistre, une sépulture, pierre funéraire glaçante à jardin, lui est réservée… D’aucuns trouveront trop décalés ces signes visuels qui s’invitent sans ménagement et font effectivement de l’héroïne, Violetta, la seule victime sacrificielle du drame verdien. Pour autant la musique ne se suffit-elle pas pour en exprimer ce que la scénographie surligne parfois avec une insistance qui agace ?

 

Fort heureusement la distribution et la direction musicale sont elles … au sommet. L’avantage ici est l’âge de chaque soliste qui correspond de facto à chaque personnage conçus par Alexandre Dumas fils. La vérité, la justesse du chant et de la couleur vocale, l’incarnation de chacun réalisent sur les planches, un sans faute qui s’avère des plus convaincants. Après Olympia, Gilda ou Amina, Julia Muzychenko affirme un tempérament exceptionnellement riche et nuancé. Sûreté technique, beauté rayonnante d’un timbre flexible, juvénilité naturelle, la soprano russe saisit immédiatement par sa force tragique et sa candeur morale. Son sacrifice et toute sa trajectoire jusqu’à sa mort, sont autant de jalons éprouvants d’une descente psychologique bouleversante (déchirant « Addio del passato » de la jeune courtisane définitivement détruite et dépossédée). Même ardeur rafraîchissante pour l’Alfredo du ténor Jonas Hacker qui réussit ce soir son défi verdien car le chanteur ne nous a pas habitué à ce répertoire. Le chant est constamment naturel et vrai, le texte d’une évidence dramatique rare, le souci du beau chant idéalement partagé avec sa formidable consœur.

 

Leur sacrifice est d’autant plus déchirant que Germont père a toutes les qualités de la sincérité lui aussi : Serban Vasile tout en tendresse et noblesse fouille la complexité du personnage, ailleurs si souvent monolithique. Il se montre très proche voire compréhensif à la douleur sacrificielle de Violetta dans leur grand duo décisif du II. Le drame convainc grâce à la vraisemblance et la présence toute en nuances de chaque chanteur / acteur. D’autant que tous les comprimari partagent sans exception ce souci de la précision et de la sincérité : Albane Carrère (Flora), Sandrine Buendia (la camériste Annina), Geoffroy Buffière (le docteur Grenvil au III). Même le chœur excellemment préparé participe activement et lui aussi tout en finesse, à la vérité de chaque tableau.

 

 

En fosse, l’Orchestre National Avignon-Provence se perfectionne en cours de soirée, trouve les accents justes, la profondeur, la vérité sous la baguette attentive de Federico Santi, chef associé de l’Opéra Grand Avignon. La partition de Verdi rayonne au fur et à mesure de l’action – et de la lente et inéluctable descente aux enfers de Violetta. Des vertiges illusoires de la vie de courtisane, à la solitude finale, dans la misère de la mort. Et pour laquelle, rien n’aura été épargné. Une production vocalement et musicalement bouleversante.

 

Toutes les Photos © Studio Delestrade Avignon

 

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CRITIQUE, opéra. OPÉRA GRAND AVIGNON, le 15 octobre 2024. VERDI : La Traviata. Julia Muzychenko, Jonas Hacker, Serban Vasile… Chloé Lechat / Federico Santi.

 

VIDEO : Extrait de « La Traviata » de  Verdi : Choeur « Noi siamo le zingarelle » (Opéra de Paris)

 

OPÉRA DE RENNES. Kurt WEILL : Les 7 péchés capitaux. Les 25, 26 et 28 nov 2024. Natalie Pérez et Noémie Ettlin… Jacques Osinski / Benjamin Lévy

Janvier 1933, le monde bascule : Hitler arrive au pouvoir en Allemagne. En cette année noire où les Nazis brûlent les livres, Bertolt Brecht, exilé, écrit un seul texte : Les Sept Péchés capitaux des petits bourgeois. Un texte insolent, grinçant et courageux où il dénonce la bourgeoisie et le clergé se soumettant devant la loi du plus fort.

 

Interdit d’activité par la police nazie, le compositeur Kurt Weill s’expatrie à Paris dès mars 1933. Après que la Princesse de Polignac, mécène de Cocteau, lui ait commandé sa Symphonie n°2 (créée par Bruno Walter à Amsterdam en oct 1934), il reçoit la commande d’un nouveau ballet du jeune Balanchine et de Boris Kochno, qui co dirigent les Ballets 33. Pour ce faire, Weill se réconcilie avec Brecht avec lequel il s’était fâché : la pièce sera leur dernière collaboration. Face à un ordre autoritaire et barbare, chaque individu questionne son rapport à la liberté : se soumettre ou défier l’autoritarisme ? Le choix est ainsi incarné par le personnage central féminin, Anna. Entre gouaille mi-parlée, mi-chantée et choral (dans la plus pure tradition luthérienne), Kurt Weill explore toutes les ressources d’une pièce musicale en constante instabilité formelle, à l’image de la société qu’elle dépeint. Son écriture varie entre énergie, mélancolie (Malhlérienne), et aussi légèreté mozartienne etmême  weberienne… son imaginaire entend renouveler la magie populaire de La Flûte Enchantée de Mozart, modèle absolu. Le spectacle au carrefour des disciplines, ce qui fait sa richesse toujours très actuelle, est créée au TCE Théâtre des Champs Élysées le 7 juin 1933. Dans le public, Serge Lifar (probablement jaloux de Balachine) dénonce un spectacle scandaleux.

 

Exilé comme Brecht, Kurt Weill signe sa dernière partition relevant du théâtre musical, – après Mahagony (Leipzig et Berlin, 1930) et l’Opéra de Quat’sous (Berlin, 1928), une partition en sept mouvements comme autant de péchés, intégrant valse, fox-trot, marche, tarentelle, interprétée par l’Orchestre National de Bretagne dirigé par Benjamin Lévy.

 

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KURT WEILL / BERTOLD BRECHT : Les 7 péchés capitaux, 1933
3 représentations événements
Lundi 25 novembre à 20h
Mardi 26 novembre à 20h
Jeudi 28 novembre à 20h


Réservez vos places directement sur le site de l’Opéra de Rennes : https://opera-rennes.fr/fr/evenement/les-sept-peches-capitaux

Opéra chanté en allemand, surtitré en français
Durée : 1h – Dès 10 ans

 

 

Présentation
Le metteur en scène Jacques Osinski questionne ce que nous sommes prêts à sacrifier pour accéder à nos rêves. Dans ce spectacle (à l’origine un ballet destiné à Balanchine, chanté pour 5 voix : un femme et un quatuor masculin) fusionnent musique, chant, danse et vidéo, en une sorte de road movie à l’esthétique proche d’un David Lynch, faisant défiler les images d’une Amérique fantasmée. Originaire de Louisiane, Anna (le personnage principal) secondée par sa sœur (rôle dansé et la voix de soprano), entend faire fortune dans plusieurs villes des États-Unis. A chaque avancée, le quatuor masculin exprime les réactions de la famille d’Anna, uen famille qui attend d’elle qu’elle lui envoie de l’argent au fur et à mesure de ses pérégrinations. Mais Anna doit forcer sa nature que menace une propension initiale à la paresse… premier péché. A Memphis, elle doit infléchir son orgueil face au désir des clients. A Los Angeles, elle réfrène sa colère pour rester employée à Hollywood. Puis devenu danseuse à Philadelphie, Anna doit résister à la gourmandise pour ne pas prendre de poids… A Boston, c’est le défi de la luxure qui se présente à elle : elle renonce à l’amour d’un pauvre (Fernando) et accepte les avances d’Edward, plus riche et enviable. A Baltimore, les hommes se suicident pour elle : bonne fortune pour celle qui s’enrichit ; sa famille espère qu’elle ne codera pas à l’avarice et lui adressera de l’argent. A San Francisco, épuisée, Anna envie ceux qui se satisfont de ce qu’ils ont sans envier les mieux nantis. De retour chez elle, Anna découvre la maison que sa famille a pu construire grâce à ses transferts de fonds. Car tout cela a un prix… amer.

 

 

Prologue
La Paresse (Allegro vivace)
L’Orgueil (Allegretto, quasi andantino)
La Colère (Molto agitato)
La Gourmandise (Largo)
La Luxure (Moderato)
L’Avarice (Allegro giusto)
L’Envie (Allegro non troppo : alla Marcia, un poco tenuto)
Épilogue.

 

distribution

Benjamin Levy : direction musicale
Jacques Osinski : mise en scène
Yann Chapotel : scénographie et vidéos
Hélène Kritikos : costumes
Catherine Verheyde : lumières
Noémie Ettlin : mouvements

Natalie Pérez et Noémie Ettlin : Anna
Guillaume Andrieux : Père
Florent Baffi : Mère
Manuel Nùñez Camelino : Frère 1
Camille Tresmontant : Frère 2
Orchestre National de Bretagne

 

 

VIDÉO TEASER Les Sept péchés capitaux de Kurt WEILL

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CRITIQUE CD événement. Estelle REVAZ, violoncelle. DALL’ABACO (fils) : 11 Caprices pour violoncello solo (1 cd Solo Musica)

Pour quoi jouer à ce moment Joseph Clément Ferdinand Barone Dall’Abaco (1710 – 1805) ? Le choix du compositeur n’est probablement pas anodin à ce moment du parcours artistique de la violoncelliste romande Estelle REVAZ ; au moment où l’artiste s’est engagée en politique pour défendre entre autres le statut des artistes suisses particulièrement mis à mal pendant la covid-19, choisir Dall’Abaco, aussi rarement joué et enregistré que redoutable techniquement, permet d’affirmer une maîtrise nouvelle et une conscience voire une maturité artistique nouvelles ; dans la suite des Suites de JS Bach (1723), les 11 Caprices de Dall’Abaco fils affirme la liberté acrobatique et virtuose de l’instrument qui à l’époque des 2 compositeurs baroques, soit la première moitié du XVIIIème, fait considérablement évoluer le violoncelle, sa technique, sa formidable ductilité expressive.

 

Chaque Caprice est un défi technique autant que poétique ; le jalon d’un cheminement qui s’apparente à une ascension vers des cimes vertigineuses : le défi force ici le tempérament de l’interprète à s’engager comme jamais auparavant ; pour réaliser les combinaisons souhaitées par le compositeur, il faut se « tordre les doigts », « les positions sont toutes plus biscornues les unes que les autres » indique Estelle Revaz. Mais le résultat est souvent saisissant : d’une dramaturgie puissante, d’autant mieux articulée, ciselée sur son instrument Grancino de 1679, avec ses cordes en métal accordées en 442, soit plus aiguës qu’à l’époque de Dall’Abaco ; mais leur puissance naturelle n’aurait probablement pas déplu au compositeur alors en pleine recherche esthétique pour son instrument : il était lui-même virtuose et ainsi, compositeur. La violoncelliste tisse ainsi un fil ténu et profond entre les 6 Suites de Bach et ces 11 Caprices qui semblent en prolonger l’intensité, la force expérimentale, l’intelligence poétique, comme le souffle expressif. Grâce aux partitions décisives, les virtuoses de l’instrument ont pu affirmer leur stature d’immense interprète à travers un instrument capable de prouesses esthétiques jusque là inédites ; ainsi le père Dall’Abaco, Evaristo Felice, père de notre compositeur Joseph Clément Ferdinand Barone.

L’ampleur de l’écriture est soulignée dans la carrure polyphonique (qui tend à compenser les limites harmoniques naturelles de l’instrument) qu’Estelle Revaz éclaire avec une finesse à propos, des phrasés orfévrés, un jeu d’une souplesse inventive et très imagée qui rend hommage et célèbre la quête esthétique de Dall’Abaco fils.
Dès le premier Caprice (I), la Violoncelliste fait chanter mais aussi parler son instrument dans le sens d’une expressivité à la fois très précise et nuancée ; tout du long, c’est un jeu d’équilibre entre tension et lâcher prise, contrastes étonnement ciselés… Le chant du violoncelle exprime tourments et retenue comme le ferait un acteur dans un monologue particulièrement intense et exposé. Cependant que la vivacité du Caprice II semble embraser dans une agitation primitive, un chant traversé d’éclairs et de directions comme paniques dont le motif exposé tourne sur lui-même et engendre des réactions intérieures en chaîne. La violoncelliste réussit à exprimer toutes les nuances d’une très riche vie intérieure. Et toujours se révèle délectable la parfaite plénitude du son, un hédonisme sonore qui ne sacrifie jamais sa parfaite éloquence.

Dans le III, la Violoncelliste joue des voix doubles : chant premier qui expose le motif clair et proclamé, puis son double, ré exposé comme atténué, murmuré, commenté et sujet à variations. S’y déploie cette étonnante souplesse discursive, la capacité des cordes à parler et à exprimer les sentiments les plus ténus. Enchaîné, le IV contraste par son introspection suspendue, dans sa langueur secrète, belle ondulation suave qui exprime une profonde nostalgie.

Le Caprice VI ouvre d’autres perspectives : dans le sillon de Bach, Dall’Abaco perfectionne un chant d’une noblesse distanciée, toujours dansante, remarquablement articulée qu’Estelle Revaz approche et réalise avec une subtilité de nuances toujours renouvelée
Intériorité, respiration, rebonds, répétitions, réexpositions…. La vocalita du violoncelle est bien proche de la parole mais une parole qui se fait chant, miroir de l’âme. Cette virtuosité riche et jamais factice, en s’inscrivant dans une trajectoire intime, exprime l’activité première et tendre d’une pensée volubile [VIII] dont le cantabile tisse un lien avec la fluidité du X, comme une voix qui chante, berce, charme… Telle une sarabande (précédemment sublimé par JS Bach) dont la force allusive s’électrise en fulgurances volontiers frénétiques, mais toujours d’une acuité nuancée exaltante [XI].

Précision et intensité du geste, maîtrise des nuances et ciselure de phrasés maîtrisés, Estelle Revaz n’a rien perdu du charme qui a fait la réussite de ses albums précédents. Mais celui-ci va plus loin encore dans le sens d’une épure solo, d’un acte de maturation superlatif qui interrogerait la matière de ses derniers combats comme artiste des plus engagées.

 

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CRITIQUE CD événement. ESTELLE REVAZ, violoncelle. DALL’ABACO (fils) : 11 Caprices pour violoncello solo (1 cd Solo Musica) – Enregistré en nov 2022 à Saint-Maurice (Suisse) – 1 cd solo musica – Plus d’infos sur le site d’ESTELLE REVAZ : https://www.estellerevaz.com/

 

LIRE aussi notre critique du livre autobiographique d’Estelle REVAZ : « La Saltimbanque » (Slatkine) : https://www.classiquenews.com/critique-livre-evenement-estelle-revaz-la-saltimbanque-editions-slatkine/

 

CRITIQUE, livre, événement. ESTELLE REVAZ : La Saltimbanque (Editions Slatkine). Post covid et engagement politique…

 

Entretien

ENTRETIEN avec ESTELLE REVAZ, violoncelliste, à propos de son dernier album dédié aux 11 Caprices de Dall’Abaco…

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Comment s’est réalisé le choix des 11 Caprices de Joseph Dall’Abaco ? Pourquoi jouer aujourd’hui ce compositeur ? Quel est votre vision du compositeur, de son écriture ?

ESTELLE REVAZ : Un danseur m’a approchée, il voulait créer un spectacle sur ces caprices. Je ne connaissais le compositeur que de nom. Je me suis donc plongée dans son univers que j’ai rapidement adoré. En effet, je trouve fascinant la démarche de recherche qu’il a menée sur l’instrument. J’ai tout de suite eu l’impression que, pour lui, il n’y avait aucune limite et que son imaginaire sur l’instrument était infini. D’un point de vue technique déjà, car il explore des positions qui ont ensuite été abandonnées tellement elles étaient mal pratiques, mais aussi d’un point de vue musical. Comment transformer un instrument mélodique en un instrument harmonique en 11 épisodes. C’est peut-être le programme de ce cycle.

 

CLASSIQUENEWS : En quoi ces 11 Caprices vous permettent-ils d’enrichir et de libérer à la fois, votre geste musical ?

ESTELLE REVAZ : En fait, ces caprices laissent une liberté d’interprétation infinie puisqu’il n’y a ni indications de  tempo, ni indications de nuances. On peut laisser libre cours à son imagination et je trouve cela très libérateur. En plus, l’utilisation de la double reprise encourage à se montrer vraiment créatif. Ce qui me fascine dans ces pièces, c’est qu’à chaque concert, je donne une version différente de l’œuvre… alors que mon plan musical est plutôt très réfléchi et structuré.  Ces 11 Caprices ont l’art de titiller ma spontanéité au-delà des difficultés techniques et j’adore cela.

 

CLASSIQUENEWS : De quelle façon ces 11 Caprices permettent-ils de faire valoir les ressources expressives et polyphoniques de l’instrument ? Par rapport aux Suites de JS BACH, comment se situe Joseph D’all’Abaco ? D’ailleurs voyez-vous un lien entre eux ?

ESTELLE REVAZ : Chaque caprice est unique dans son genre et explore des ressources différentes de l’instrument. Certains sont clairement polyphoniques, puisqu’ils sont écrits en doubles ou triples cordes. D’autres jouent avec différentes voix qui cohabitent et se répondent, tandis que d’autres encore sont carrément harmoniques, seulement de façon déstructurée, ce qui donne des sonorités assez modernes. La polyphonie est assez proche de celle de J.-S Bach je trouve. On voit cependant que l’un était violoncelliste et l’autre pas forcément. Dall’Abaco était un virtuose de son époque, on voit qu’il a les mains dans le cambouis si j’ose dire. Il y a quelque chose de physique dans ses caprices. Bach était au service de la musique, Dall’Abaco au service de son instrument. Je dis cela avec beaucoup d’admiration pour les deux démarches qui bien sûr sont complémentaires. Comment servir un chef d’œuvre si on ne le comprend pas et si on n’est pas outillé techniquement pour le faire? Mission impossible.

 

CLASSIQUENEWS : Comment définissez-vous les qualités de votre violoncelle ? Comment l’avez vous « préparé » pour l’interprétation des 11 Caprices ?

ESTELLE REVAZ : Mon Grancino de 1679 s’appelle « Louis 14 ». Il a un âge vénérable qui m’a toujours impressionnée. Le fait de savoir qu’il a potentiellement connu la création de ces caprices est très stimulant. Il a des basses profondes et riches qui servent très bien ces caprices. En même temps, il peut être assez direct dans les aigus et cela sied bien à la vitesse. J’ai choisi d’interpréter ces caprices en étant accordée en 442 et avec des cordes en métal. En effet, je lis la démarche de Dall’Abaco comme une envie d’explorer. Le violoncelle a continué a beaucoup évoluer après la mort du compositeur et je pense qu’il aurait été curieux de toutes les nouveautés à disposition.

 

CLASSIQUENEWS : Comment ce nouvel album s’inscrit-il dans votre parcours et votre recherche personnelle ?

ESTELLE REVAZ : Il s’agit de mon 6ème album. J’en avais 2 avec orchestre, 2 en duo violoncelle-piano et c’est le 2ème violoncelle solo. Je cherche toujours des programmes un peu originaux. Ces pièces sont magnifiques et pourtant très peu jouées. Elles sont aussi très rarement enregistrées, et les rares enregistrements que j’ai trouvés sont sur violoncelle baroque. J’espère avoir contribué à faire connaitre ces caprices mais aussi à les faire découvrir sous un autre angle.

 

CLASSIQUENEWS : Vous êtes l’une des très rares musiciennes, élue politique… Quelles sont vos actions actuelles sur le plan politique ?

ESTELLE REVAZ :Effectivement… mais je suis heureuse d’avoir franchi le pas et d’avoir montré qu’il est possible d’être parlementaire à un niveau national et de mener en même temps une carrière artistique internationale au plus haut niveau. Au printemps, j’ai réussi à faire passer comme objectif prioritaire l’adaptation des régimes d’assurances sociales aux réalités plurielles des actrices et acteurs culturels. La semaine dernière, j’ai réussi à faire valider par les 2 chambres la prolongation de la plateforme nationale de lutte contre la pauvreté ainsi que l’adoption d’une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Dans un parlement très majoritairement à droite et en période de restrictions budgétaires, c’était un gros défi. Maintenant, je vais m’attaquer aux questions d’égalité dans les nouvelles technologie.

 

CLASSIQUENEWS : Comment réalisez-vous vos deux activités, politique et artistique ? Y a t il porosité entre les deux ? De quelle manière l’une enrichit-elle l’autre ?

ESTELLE REVAZ : Il faut beaucoup de rigueur. Surtout pendant les sessions parlementaires. Mais le système suisse est créé pour que les parlementaires aient une carrière professionnelle en parallèle de leur activité politique.  Je fais sinon de la politique comme je fais de la musique. En travaillant avec précision, en écoutant, en respectant mes valeurs profondes mais en étant aussi prête à accueillir celles des gens qui voient le monde différemment. Et puis la vision très large de la politique m’apporte une hauteur et un lâcher prise en musique que je ne parvenais pas toujours à trouver.

 

Propos recueillis en octobre 2024

 

 

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Autre cd ESTELLE REVAZ critiqué sur CLASSIQUENEWS :

CRITIQUE, CD. «  Inspiration populaire » : Ginastera, Schumann, De Falla… Estelle Revaz, violoncelle / Anaïs Crestin, piano (1 cd Solo Musica)

 

CRITIQUE, concert. LYON, Auditorium Maurice Ravel, le 28 octobre 2024. MAHLER / BRUCKNER. Dame Sarah Connolly (mezzo), Anima Eterna Brugge, Pablo Heras-Casado (direction)

Après une enthousiasmante exécution (par la phalange “maison”) de la 8ème Symphonie d’Anton Bruckner en février dernier (dirigée par Simone Young), l’Auditorium de Lyon continue d’honorer le Maître de Saint-Florian en invitant la prestigieuse phalange belge Anima Eterna Brugge, pour une exécution cette fois de la 3ème Symphonie (dite “Wagner”, mouture originale de 1873) – dirigée par rien moins que le directeur musical du Philharmonique de Berlin, alias Pablo Heras-Casado (également l’un des principaux chefs invités de la phalange flamande).

 

L’expérience à laquelle nous convie le chef andalou, pas encore quinquagénaire (né à Grenade en 1977), est une immersion intelligente et réfléchie, de Bruckner à Wagner, d’autant plus pertinente et convaincante que l’ambition des effectifs requis ici (Orchestre placée “à la viennoise”, contrebasses centrées au fond etc.) n’écarte jamais le souci de précision claire, de sonorité transparente et riche. C’est même un modèle de finesse et d’élégance à mettre à présent au crédit d’un jeune chef superbement doué (on le connaît davantage dans une fosse d’opéra que comme maestro symphonique). La Troisième Symphonie de Bruckner est une expérience d’abord spirituelle dont beaucoup de chefs ratent la réalisation soit par incompréhension et lourdeur déclamatoire, soit par réduction des nuances instrumentales. Or il y a beaucoup de finesse et de sensibilité ici dans l’alternance et le dialogue continu entre les pupitres : cordes, harmonie, cuivres. Lettré mais jamais pédant ni abstrait, Heras-Casado aborde les multiples (mais discrètes…) références de Bruckner aux opéras de Wagner, avec simplicité et franchise ; ainsi Tristan, bien présent et magnifiquement assimilé, dans le tissu orchestral du second mouvement, ainsi que Tannhäuser dans le Finale.

En orfèvre des équilibres orchestraux, veillant à la lisibilité comme à la cohésion du format et de la balance sonore, le chef révèle en définitive tout ce qui fait de la 3ème Symphonie de Bruckner une « oeuvre fondamentale » dans laquelle, après les deux premières, Bruckner trouve son écriture tout en demeurant dans le giron paternel, inspirant, de son modèle Wagner. La 3ème fut un four retentissant lors de sa création viennoise : confirmation d’une incompréhension totale au sujet du Bruckner symphoniste.

Dès le début du premier mouvement (noté « Mehr langsam, Misterioso »), le chef exprime l’humanité du parcours, celui d’un croyant sincère, qui doutant de lui-même comme artiste comme de sa foi ne transigent cependant pas sur les élans et l’ardeur qui portent toute la structure symphonique. Les multiples péripéties confiées aux pupitres des cordes, harmonie et aux cuivres, tour à tour, trouvent sous sa baguette, une évidence rhétorique, à la fois équilibrée et très détaillée. La somptuosité des timbres éblouit de part en part et confirme l’excellence artistique de l’orchestre flamand. Sur le plan expressif et poétique, le chef parvient surtout à concilier les faux ennemis, de l’intimité et du colossal. D’ailleurs, la symphonie – du moins dans ce premier mouvement – alterne constamment entre l’expression d’une aspiration personnelle profondément et viscéralement inscrite dans la chair la plus enfouie de l’auteur, invitation à un oubli suspendu extatique, et la présence terrifiante du colossal. C’est en relation avec l’être qui hésite et doute, propre de tout croyant qui se respecte, l’intime conviction et l’espérance enfouie confrontée à un destin voire une fatalité qui dépasse et submerge. L’épisode s’achève (et s’accomplit) en une série de fanfares puissantes et déclamatoires à l’énoncé irrésolu.

Le second mouvement – Adagio (cœur émotionnel du cycle), est murmuré dans la pudeur la plus intacte où percent les hautbois et les violons, gonflés, suractifs mais d’une rare finesse d’intonation. Tissant une irrésistible sensualité vibrante, portée par les somptueux cors, d’une noblesse infinie, le chef joue là encore la transparence et la clarté faisant surgir le songe et le rêve, ainsi l’accent du hautbois lointain d’une lueur (solitaire, poétique) toute tristanesque. Bruckner ainsi suggère par étapes et jalons progressifs, déploie des trésors de sensibilité dans une pâte flamboyante dont Heras-Casado parvient à capter la souple matière scintillante. Ses brumes wagnériennes éblouissant d’une intensité revivifiée, s’affirment dans le mystère. Dans le secret viscéral, moteur, central, qui n’appartient qu’à son auteur. Le souffle des cors structure tout l’épisode plus introspectif qu’au début, jusqu’à la dernière mesure énoncée, ténue basculant alors dans l’ombre.

Crédit photographique © Emmanuel Andrieu

Le 3ème épisode qu’est le Scherzo, vif et contrasté, permet enfin à la fanfare et aux cuivres pétaradants de revendiquer le premier plan, dans un sentiment de large insouciance. Les instruments comme libérés dialoguent avec les cordes, dont l’ivresse et la souple frénésie apportent libération et proclamation. Le dernier épisode rééquilibre l’écriture dans le sens d’une valse élégante, magnifiquement insouciante elle aussi aux cordes, bientôt rattrapée par le pupitre des cuivres aux déflagrations spectaculaires à chaque assaut; avant que les trombones n’éclairent différemment le final dans le sens d’un mystère qui s’épaissit puis enfin, une libération collective, victorieuse et lumineuse. Magistral !

En première partie de soirée, c’est Gustav Mahler qui était célébré, au travers de ses 5 “Rückert Lieder”, interprété par la mezzo britannique Dame Sarah Connolly (née en 1963), dont la grâce comme la profondeur (malgré le poids des ans…) sont d’emblée opérantes sur la scène du vaste auditorium lyonnais, même si la voix est parfois couverte par l’orchestre… Le somptueux mezzo de la chanteuse britannique incarne chaque caractère des 5 Chants (composés entre 1901 et 1902) entre équilibre, détente et respiration… Elle distille avec des moyens toujours assurés l’allure printanière du deuxième, dont l’esprit pastoral comme les thèmes instrumentaux rappellent le finale de la symphonie n°4, le désespoir du III aussi, sans omettre le souffle éperdu, distancié du IV (« Ich bin der Welt… »), aspiration vertigineuse dont le rêve extatique, cette expression d’une immobilité voluptueuse absolue, renvoie directement à l’Adagietto de la 5ème.

Malgré un public étonnamment clairsemé (vacances scolaires obligent ?…) , celui présent n’a pas boudé son plaisir, et a couvert d’une ovation mérité mezzo, chef et tous les excellents instrumentistes d’Anima Eterna Brugge !

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CRITIQUE, concert. LYON, Auditorium Maurice Ravel, le 28 octobre 2024. MAHLER / BRUCKNER. Dame Sarah Connolly (mezzo), Anima Eterna Brugge, Pablo Heras-Casado (direction). Crédit photographique © Emmanuel Andrieu.

 

VIDEO : Pablo Heras-Casado interprète la 4ème Symphonie (dite « Romantique ») d’Anton Bruckner à la tête d’Anima Eterna Brugge

 

CONCOURS / COMPÉTITION. 16ème CONCOURS INTERNATIONAL DE PIANO D’ORLÉANS 2024. Palmarès : 1er Prix : Svetlana ANDREEVA (Ukraine)

L’Ukrainienne Svetlana ANDREEVA triomphe au 16ème Concours International de piano d’Orléans. Après des semaines d’auditions et de performances exceptionnelles, à Chicago, Shanghai et Orléans, le jury a finalement rendu son verdict : c’est l’ukrainienne Svetlana ANDREEVA qui décroche la plus haute récompense, mais aussi le Prix Edison Denisov, le bourse Blanche Selva, le Prix Samson François… la pianiste ainsi distinguée a joué lors de la finale Grisey (Vortex Temporum, 1996), Dukas (Sonate en mi bémol mineur, 1901), Luigi Nono (…offerte onde sereine, 1976), Edvard Grieg (Efterklang, 1901). Aucun français parmi les lauréats ni les récipiendaires des prix, bourses et distinctions connexes…

 

1er Prix : Svetlana ANDREEVA (Ukraine)
2ème Prix : Leo GEVISSER (Grande-Bretagne)
3ème Prix : Misora Ozaki (Japon)

 

PLUS D’INFOS 16ème Concours international de piano d’Orléans : https://oci-piano.com/

 

VOIR ici le palmarès 2024 :
https://oci-piano.com/wp-content/uploads/2024/11/Palmares_2024.jpg

 

 

CONCERT DES FINALISTES AUX BOUFFES DU NORD / lundi 4 nov 2024, 20h – À l’issue de chaque édition du Concours international de piano d’Orléans, un concert des lauréats consacre les trois finalistes, au surlendemain de la Finale. Ce concert sera l’occasion d’une création mondiale, co-commande du Concours et de l’Ensemble intercontemporain : Je suis orage, concerto pour piano à six mains et ensemble, du compositeur Bastien David. Pour cette pièce, Svetlana Andreeva, Premier Prix Fondation ORCOM 2024 sera rejoint sur scène par deux membres du jury et anciens lauréats du Concours : Winston Choi et Imri Talgam et par l’Ensemble intercontemporain, dirigé par Léo Margue. Le reste du programme sera complété par quelques-unes des meilleures interprétations des programmes proposés par les trois finalistes : Svetlana Andreeva, Leo Gevisser et Misora Ozaki,  tout au long du Concours.

PLUS D’INFOS & BILLETTERIE : https://billetterie-bouffesdunord.tickandlive.com/reserver/concours-international-de-piano-dorleans/93283?ct=t%28DP_12e+edition1_21_2016_COPY_01%29&mc_cid=cc9547f057&mc_eid=06c8817a19

CRITIQUE, opéra. BRUXELLES, Théâtre Royal de la Monnaie (du 24 octobre au 2 novembre 2024). Chris DEFOORT : The Time of our Singing. C. McFadden, Mark S. Doss, S. Bailey, L. Segkapane… Ted Huffman / Kwamé Ryan.

The Time of our Singing”, quatrième opéra du jazzman et compositeur éclectique Kris Defoort (dont la première avait été donnée en 2021, en plein contexte de crise sanitaire), s’annonçait comme une reprise nécessaire, avec cette fois-ci… jauge pleine et chœur d’enfant en effectif complet !

 

Kris Defoort confirme son goût pour la littérature américaine : c’est l’adaptation du roman éponyme de Richard Powers qui sert de matériau de base à la nouvelle œuvre lyrique en vingt tableaux du compositeur belge. Le roman met en scène une saga familiale, celle des trois enfants Strom, de leur mère, noire, de leur père juif, et d’autres personnages apparentés. Les grands thèmes qui traversent le récit sont le temps (le père juif est également physicien de son état), l’identité et la musique. De ce fait, nombreuses sont par ailleurs les références musicales qui émaillent le roman. Kris Defoort en tient compte, son discours musical revêt un aspect à la fois sérieux et ludique. Le compositeur use et abuse de citations musicales, mais l’aspect volontairement hétéroclite de sa musique arrive, de façon paradoxale, à lier ensemble les bouts d’une intrigue longue, confuse, touffue. L’orchestre, sous la direction du chef afro-canadien Kwamé Ryan, est composé de solistes du Théâtre Royal de la Monnaie, et d’un quatuor de jazz comprenant Robin Verheyen au saxophone, Lander Gyselinck à la (batterie), Nicolas Thys à la basse électrique), et de Hendrik Lasure au piano.

 

Les chanteurs semblent prendre plaisir aux défis jetés par la partition hétérogène de Kris Defoort : le duo des parents, joué par la soprano américaine Claron McFadden (qui a l’habitude de travailler avec Kris Defoort) et le baryton britannique Simon Bailey (très “britennien”), campent ce couple mixte qui a tant de mal à être accepté dans une Amérique profondément raciste et ségrégationniste. La douceur, l’émotion et une profonde humanité se dégagent de leur jeu scénique et lyrique. Pour le trio des enfants, cela est plus compliqué.

 

L’aîné, Jonah, interprété par le rossinien Levy Sekgapane, semble parfait pour le rôle de cet enfant, puis adulte, doué pour la musique, qui s’envole vers le succès et les feux de la rampe quitte à s’aliéner certains autres membres de sa famille. Caractéristique du rôle et du réseau de références qui tapissent l’opéra : il chante sa réplique « But I refuse to be typecast before I’ve sung a single opera role » sur l’air de « Nessun Dorma » extrait de Turandot de Puccini. Le puîné, Joey, tiraillé entre différentes voies, hésite, puis finit par se consacrer à l’enseignement de la musique dans les quartiers défavorisés. Incarné par le baryton Peter Brathwaite, le rôle est plus théâtral que véritablement lyrique. La petite dernière, Ruth, a rejeté en bloc l’héritage « blanc » de sa famille, incluant dans l’ensemble, la musique « classique ». Elle est jouée par l’actrice Abigail Abraham, qui ne vient pas du monde lyrique : l’on retiendra la scène où elle “rappe” le point levé. Le rôle de Lisette, interprété par la mezzo norvégienne Lilly Jørstad, incarne à merveille la diva, maîtresse de Jonah. Le Chœur d’enfant Equinox (créé sous l’impulsion de Maria João Pires) a particulièrement marqué les esprits, en intervenant sur scène lors d’un moment les plus climatiques de l’opéra. Leur numéro est un plaidoyer pour le métissage des genres : le « Music for a while » de Purcell se mélange à un chant traditionnel « Toritoo karatasa » (il a été rejoué en « bis » après la représentation).

 

Crédit photographique © Simon von Rompay

 

L’on peut trouver à redire sur certains aspects du spectacle : la pauvreté du dispositif scénique, par exemple. La production est une redite “telle-quelle” de celle de 2020, et l’on peine à percevoir la contribution du scénographe Ted Huffman. Les chanteurs en plus d’avoir à se confronter aux difficultés techniques de leur partition se retrouvent à monter ou à démonter le décor eux-mêmes (ce dernier consistant en un vidéoprojecteur, un piano droit ainsi qu’une cinquantaine de tables…). Lors des scènes d’émeutes, il leur échoit en plus de jeter ces tables à terre, mais ce petit bémol quant à la mise en scène ne doit pas faire oublier les objectifs que s’était donnés ce projet ambitieux – dont la musique en est assurément son point fort.

 

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CRITIQUE, opéra. BRUXELLES, Théâtre Royal de la Monnaie (du 24 octobre au 2 novembre 2024). Chris DEFOORT : The Time of our Singing. C. McFadden, Mark S. Doss, S. Bailey, L. Segkapane… Ted Huffman / Kwamé Ryan. Toutes les photos © Simon von Rompay

 

VIDEO : Trailer de « The Time of our singing » de Kris Defoort au Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles

 

OPÉRA NATIONAL DU CAPITOLE DE TOULOUSE. Bruno MANTOVANI : Voyage d’Automne, création mondiale (du 22 au 28 novembre 2024) Marie Lambert-Le Bihan / Pascal Rophé

WEIMAR, automne 1941 : 5 écrivains célèbres français sont invitées par le régime nazi au Congrès des écrivains de Weimar. Quel est l’objectif de ce pacte démoniaque ? Les manipuler pour que rentrés chez eux, chacun loue les vertus de l’ordre totalitaire…

 

Ce séjour « tragicomique » dévoile les personnalités, fait tomber le masque d’un « vertigineux nihilisme ». Le nouvel opéra de Bruno Mantovani (livret de Dorian Astor) s’inspire des faits relatés dans l’ouvrage de François Dufay, Le Voyage d’automne ; il aborde le sujet brûlant des pièges de la compromission aveugle : lâcheté, courage, complaisance ou rébellion ?

A chacun d’agir selon ses convictions ou malgré elles… ; le texte explore un univers tout en intensité musicale et poétique. Pour exprimer les enjeux de cette création mondiale, le Capitole réunit une distribution prometteuse dans la mise en scène de Marie Lambert-Le Bihan (direction musicale : Pascal Rophé).

 

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Transfiguration fantasmagorique d’un épisode réel de la Collaboration
Bruno MANTOVANI : Voyage d’Automne
4 représentations
Création mondiale – nouvelle production
Opéra en trois actes – Livret de Dorian Astor
Commande de l’Opéra national du Capitole

Vendredi 22 novembre 2024, 20h
Dim 24 novembre 2024, 15h
Mar 26 novembre 2024, 20h
Jeu 28 novembre 2024, 20h

RÉSERVEZ vos places directement sur le site du Théâtre National du Capitole de Toulouse : https://opera.toulouse.fr/voyage-dautomne-6732968/

 

Crédit photo : Josef Sudek, Tramway du matin (Morning Tram), 1924. © I & G Fárová Heirs

 

distribution

Marcel Jouhandeau : Pierre-Yves Pruvot
Gerhard Heller : Stephan Genz
Ramon Fernandez : Emiliano Gonzalez Toro
Jacques Chardonne : Vincent Le Texier
Pierre Drieu La Rochelle : Yann Beuron
Robert Brasillach : Jean-Christophe Lanièce
Wolfgang Göbst : William Shelton
Hans Baumann : Enguerrand De Hys
La Songeuse : Gabrielle Philiponet

Orchestre national du Capitole

Chœur de l’Opéra national du Capitole

 

Illustration : Josef Sudek, Tramway du matin (Morning Tram), 1924. © I & G Fárová Heirs

Durée : 2h 20 mn

RÉSERVEZ vos places directement sur le site du Théâtre national du Capitole de Toulouse
https://opera.toulouse.fr/voyage-dautomne-6732968/

CRITIQUE, opéra. TURIN, Teatro Regio (du 18 au 28 octobre 2024). Massenet : Manon. E. Bakanova, A. Ayan, B. Bürger, R. Scandiuzzi… Evelino Pido / Arnaud Bernard

Au lendemain d’une exécution de la “première” Manon, celle de Daniel-François-Esprit Auber, le Teatro Regio poursuivait sa Trilogie consacrée à l’héroïne de l’Abbé Prévost avec celle de Jules Massenet, avant celle de Puccini le surlendemain, respectant ainsi la chronologie des créations. Et l’on retrouve donc, à la mise en scène, Arnaud Bernard – puisque Matthieu Jouvin lui a donné carte blanche pour mettre en images, avec un regard différent (mais avec un dénominateur commun, qui est le cinéma noir et blanc des années 30 à 60…), les trois Manon mises en musique par trois compositeurs de temps et d’esthétique différents. 

 

Ce soir, la représentation prend une direction encore plus radicale que la veille, avec l’idée du metteur en scène de relier la Manon de Massenet à l’histoire du cinéma d’auteur français, son choix se portant cette fois sur les années 1960, et le film “de référence” devient, cette fois, La Vérité de Henri-Georges Clouzot, avec la grande Brigitte Bardot dans le rôle de Dominique Marceau, cette fille belle et provocante, véritable femme fatale, tentatrice effrontée et rebelle, réfractaire à toute convention commune ou règle sociale, jugée pour le meurtre de son ex-petit ami, Gilbert Tellier (Sami Frey). Les séances d’accusation se succèdent mais il n’y aura pas de sentence, car avant qu’elle n’ait lieu, la jeune femme se donne la mort en prison en se taillant les veines du poignet avec un fragment de miroir. Le film, qui a fait grand bruit et après lequel Bardot a tenté de se suicider (dans la vraie vie) après une liaison infructueuse avec ce même acteur Sami Frey (!), utilise la technique du flash-back – qui viennent ici très naturellement s’intercaler dans les différents moments de la rame de l’opéra -, alternant la vision des phases du procès avec les moments de sa vie anticonformiste, désinvolte et superficielle qui la mènent à sa perte et pour lesquels Dominique se défend et pleure, montrée du doigt par tous avec sévérité, discriminée avec méchanceté et respectabilité insensée. 

En suivant fidèlement les phases du film cinématographique, Arnaud Bernard cherche un lien direct avec la Manon de Massenet et le fait de manière scrupuleuse, en racontant l’histoire de la protagoniste comme si elle sortait du grand écran et les différentes audiences qui anticipent la succession des tableaux de l’opéra, de sorte que les extraits du film en deviennent le reflet narratif. Ceci est confirmé par la disposition scénique d’Alessandro Camera, divisée en deux parties, conçue avec l’idée de toujours montrer, dans la partie supérieure, la salle d’audience, avec les juges et les avocats qui, au cours du procès, assistent au récit du passé houleux de l’accusée prêt à couler sous nos yeux, au niveau du proscenium, lorsque nous passons du film à l’opéra de Massenet et que, par conséquent, Dominique devient Manon. Des nuances de noir et de blanc sont choisies, et dans certaines scènes, comme celle très réussie du Cours-la-Reine, le quartier parisien surpeuplé se transforme en un atelier à la mode avec des vitrines de robes de haute couture et un podium où défilent d’élégantes mannequins ; Manon elle-même en fait partie et se pavane en chantant son aria et sa gavotte. Chaque image de l’opéra, dans les scènes comme dans les magnifiques costumes de Carla Ricotti, dans les éclairages de Fiammetta Baldiserri et dans les vidéos de Marcello Alongi, est le reflet de l’incroyable maîtrise avec laquelle Arnaud Bernard parvient à lier le film à l’histoire de Manon. 

 

 

Le réalisateur français choisit – comme ce sera à nouveau le cas dans la Manon Lescaut de Giacomo Puccini (donnée le lendemain), avec l’assassinat de Géronte di Revoir – de faire abattre Guillot de Morfontaine avec deux revolvers avant que l’héroïne de l’opéra ne soit arrêtée dans la salle de jeu de l’Hôtel de Transylvanie, où elle est également abusée sexuellement par Guillot, puis défendue par Des Grieux. Le final de l’opéra est un miroir fidèle des images du film, l’héroïne se taillant les veines en prison et étant rejointe par son bien- aimé sur son lit de mort lorsque l’écran du film passe à la scène. Cette alternance harmonieuse et logique entre le film et la dramaturgie de l’œuvre est rendue avec un minimum de force, réalisée techniquement avec une théâtralité engageante dans la recherche de l’innovation sans porter atteinte à l’intégrité substantielle des deux contextes narratifs différents, qui semblent même s’interpénétrer l’un l’autre, devenant presque spéculaires. Le défi auquel croit Arnaud Bernard est courageux, avec l’aide des masses artistiques du Teatro Regio – et d’une troupe de chanteurs à la hauteur des enjeux.

Même la baguette d’Evelino Pido, qui semble parfois reposer sur des respirations orchestrales détendues et amples, est exempte de langueur inutile ou de fioritures esthétisantes, et prend soin de mettre en place une concertation mesurée et très attentive, Elle suit assidûment les chanteurs et leur garantit un soutien adéquat, sensible à offrir le sentiment d’inquiétude que le spectacle véhicule en faisant palpiter le drame même sous les volutes les plus légères de l’opéra, ou en favorisant les séductions sentimentales sans les rendre trop complaisantes. C’est un lyrisme, celui recherché par Pidò, qui palpite émotionnellement, s’insinuant dans les mélodies et les passages brillants sans tomber dans la lourdeur ou les traits fiévreux, cherchant le drame dans les vibrations intimes d’un orchestre toujours élégant et doux. 

 

 

Enfin, du côté de la distribution vocale, on est d’emblée séduit par la belle force de conviction et de rayonnement de la jeune soprano russe Ekaterina Bakanova, presque débutante encore. Il y a là un talent hors pair, qui donne sa mesure dès sa première entrée : ce serait dangereux bien que courageux, si elle n’avait les moyens de poursuivre et de parfaire l’interprétation de son rôle au long de l’opéra. Le ton est donc donné dès le début du premier acte : une Manon dont le charme est authentique, même si la perversité convenue du personnage se dévoile aussi par intermittence. Touchante dans son fameux air du II « Adieu notre petite table », brillante dans le premier tableau du III « Je marche sur tous les chemins », électrisante dans le second tableau « Pardonnez-moi, Dieu de toute puissance », elle se montre enfin bouleversante au V, « N’est-ce plus ma main que cette main presse », alors qu’elle expire dans les bras de son amant. Bref, elle a ravi le cœur des turinois !

Son Des Grieux n’est autre que l‘excellent ténor brésilien Atalla Ayan, dont on retrouve les qualités propres à son chant, après l’avoir souvent entendu à l’Opéra de Stuttgart où il est resté un certain temps comme membre de la troupe : la beauté du phrasé, le souci du beau style, l’art des demi-teintes, le respect sourcilleux des nuances, et un lyrisme rayonnant. De leur côté, les rôles secondaires se montrent tous excellents dans leurs parties respectives. Le baryton allemand Björn Bürger offre un Lescaut de haute école, avec une voix superbement timbrée et une impressionnante présence scénique. Le vétéran Roberto Scandiuzzi dessine un Brétigny idéalement distant, très aristocratique, avec une voix sonore, mais souvent rebelle à la justesse – et au vibrato par trop envahissant désormais. Le Guillot de Morfontaine de Thomas Morris inspire toute l’inquiétude et le dégoût que requiert cette partie, tandis que le trio de coquettes formé par Marie Kalinine, Olivia Doray et Lilia Istratii s’avère aussi impeccable que réjouissant.

Nouveau triomphe au superbe Teatro Regio de Turin !

 

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CRITIQUE, opéra. TURIN, Teatro Regio (du 18 au 28 octobre 2024). Massenet : Manon. E. Bakanova, A. Ayan,B. Bürger, R. Scandiuzzi… Evelino Pido / Arnaud Bernard. Toutes les photos © Mattia Gaido & Simone Borrasi / Teatro Regio Torino

 

VIDEO : Trailer des 3 “Manon Lescaut” au Teatro Regio de Turin

 

CRITIQUE, livre, événement. ESTELLE REVAZ : La Saltimbanque (Editions Slatkine). Post covid et engagement politique…

Pandémie et engagement politique… Rédigée à la première personne, l’autobiographie de la violoncelliste romande Estelle Revaz respecte les codes du genre ; mais elle exprime surtout un éclairage neuf sur le milieu musical helvétique, si durement frappé par la covid-19 et la volonté de trouver des solutions.

 

La pandémie a laissé les artistes démunis, au bord du gouffre, dans une situation financière terriblement affaiblie, de surcroît aggravée par l’inaction et l’ignorance des politiques en place. Les pages qui décrivent la situation matérielle de la plupart d’entre eux choquent l’entendement ; il demeure inimaginable qu’un pays aussi riche que la Suisse ait pu ainsi négliger voire maltraiter ses forces vives artistiques et culturelles. En partant de ce constat qui renouvelle l’exercice même d’une biographie ailleurs si lisse et convenue, Estelle Revaz après avoir évoqué son enfance, sa formation, ses apprentissages, raconte la rupture imposée par la pandémie et vécue comme un traumatisme, d’autant plus dans une indifférence établie. Le texte décrit surtout son quotidien post-covid. Le retour au concert, l’obligation d’honorer les engagements et les programmes s’accompagne d’épreuves et de défis nombreux, qui affectent à terme l’équilibre psychique et éprouve le corps. Tout est dit, décrit avec force détails.

Le texte nous fait partager les coulisses de l’artiste : entretien des doigts, maintien de la pratique de l’instrument, préparation mentale, apprentissage des partitions par cœur… défis culturels mais surtout physiques. Le corps va-t-il suivre ? La violoncelliste exprime parfaitement sa force de dépassement et dans le même temps une fatigue extrême. Les pages qui décrivent l’obligation à jouer 2 voire 3 concertos dans une même soirée sont les plus éclairantes.

Mais cet électrochoc sanitaire produit une prise de conscience qui se meut peu à peu en engagement… politique. Et l’artiste raconte sa progressive prise de décision de rejoindre un parti politique afin de défendre concrètement les intérêts des artistes en Suisse.
Survient d’autres défis dont celui de concilier carrière artistique (concerts et enregistrements) et mandat d’élue.

Pas facile de faire face à des activités et actions aussi divergentes… Comment cultiver son imaginaire onirique et poursuivre un combat qui affronte l’ordinaire cynique de la politique ? Celle qui se présente à ses confrères politiciens au Parlement fédéral bernois comme « la Saltimbanque » gagne cependant à force de ténacité et de constance, le respect de ses pairs. Une place désormais reconnue grâce à la justesse de son combat. Rares autant qu’exceptionnels, les artistes comme Estelle Revaz capable d’un telle implication pour l’intérêt collectif. Admirable et passionnant.

A l’automne 2024, Estelle REVAZ fait paraître son nouvel album, dédié aux 11 Caprices de Dall’Abaco (170 – 1805) – LIRE notre critique ici des 11 Caprices de Dall’Abaco / album élu CLIC de CLASSIQUENEWS.

 

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CRITIQUE livre événement. ESTELLE REVAZ : La Saltimbanque (éditions Slatkine) – CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2024. Plus d’infos sur le site de l’éditeur Slatkine : https://www.slatkine.com/fr/editions-slatkine/75906-book-07211260-9782832112601.html

CRITIQUE, concert. PARIS, Salle Colonne, le 7 oct 2024. Centenaire du Surréalisme (Festival INVENTIO 2024), « Double-fil » (création), Scriabine (Sonate n°2), Liszt, Ravel,… Léo Marillier, violon / Orlando Bass, piano.
 


C’est un somptueux programme, autour du centenaire du Manifeste du surréalisme qu’offre le violoniste Léo Marillier, en complicité avec le pianiste Orlando Bass. Le concert Salle Colonne est aussi la clôture du Festival INVENTIO 2024, un événement francilien fondé par le dynamique violoniste d’autant plus incontournable, qu’il ne cesse de surprendre par la pertinence et l’originalité des programmes proposés. En ouverture, d’abord de splendides acrobaties : le Faust de Gounod, revisité par Wieniawski et Ravel, dont le goût virtuose et subtil permet de mettre au grand jour des facettes touchantes de thèmes célébrissimes à travers les gestes musicaux que sont les paraphrases et transcriptions, grande spécialité des deux instrumentistes.

 

Inventeur et virtuose, Franz Liszt préfigure le cubisme, par son goût pour les contrastes indomptés et un aspect machiniste immuable dans ces trois pièces. Le compositeur explore les possibilités d’une musique brutale, brute, sombre, où le geste de l’interprète virtuose, d’impressionnant, se fait troublant : le duo joue trois saynètes ainsi arrangées ; en son coeur, un pari musical, une « galipette » puisqu’il s’agit d’une création commune à Orlando Bass et Léo Marillier, commande de l’édition 2024 du Festival INVENTIO (fondé par Léo M) : « Double-fil« , composée à quatre mains, par le biais d’un système où l’un finit les gestes musicaux suggérés par l’autre, comme un aller-retour qui n’est pas sans rappeler le travail à contrainte de l’OuLiPo. Gestes tout autant puisque la musique explore l’idée même du jouer-ensemble, langage autant corporel que musical unissant des musiciens. D’où le titre de « Double-fil », le fil étant celui d’un funambule. Cette création est entièrement dévouée à cet exercice, ludique mais terriblement exigeant : tisser des liens entre les œuvres, produire un fil continu comme le chant recomposé d’une unité qui se dévoile dans le jaillissement du concert, à travers et cette fois à une échelle à la fois micro (matériau musical) et macro (une pièce de 10 minutes). Pour les deux interprètes démiurges, le défi de la pièce : construire à tâtons, avec courage et sentir monter la confiance et le respect dans un univers imaginaire partagé… Sur la forme, le geste commun formule une proposition d’objet-récital évolutif, nouveau… Quoi de plus surréaliste ?… et de plus convaincant ?

Pour finir, la seconde Sonate de Busoni, elle-même futuriste, et jouée dans son intégrité originelle est un pont géant entre piano et violon ; elle affirme son imaginaire foudroyant, sublime et subtile Sonate en mi mineur d’un compositeur toujours trop peu joué. Sur le thème « arrangements et création », les deux musiciens font entendre jusqu’où des œuvres musicales appartenant à un patrimoine connu peuvent être explorées, reprises, arrangées pour « subvenir » à la nécessité de l’imagination contemporaine, en quelque sorte. Ils s’emparent avec une acuité complice et très convaincante de la célèbre « Faust Fantaisie » de Wieniawski ; y tracent ce qui pourrait être une fantaisie musicale d’aujourd’hui, avec ses croisements, ses ellipses, ses changements de ton. Y sont intégrés Ravel, Edmond Dédé, Liszt, pour faire surgir un objet musical et spirituel final, plus… halluciné, surréaliste en définitive ! Superbe engagement interprétatif.

 

Leurs transcriptions commises tout autant sur trois œuvres de Liszt empruntent la voie du cadavre exquis pour permettre aux deux imaginaires de cohabiter et se déployer dans les œuvres-sources. Le concert permet ainsi une expérience où «  l’individualité du compositeur et de l’interprète se dissolvent dans l’œuvre » ; conjonction vivante où la musique parle autrement, avec une autorité issue d’une sorte d’inconscient collectif. Impulsif et à moitié improvisé, ce format semble être propice pour tenter de conquérir ce qui flotte dans l’air… du concert. Le spectateur abreuvé, et même enivré, est conquis.

Derrière chaque pièce, un train peut en cacher un autre, une musique peut en révéler une autre. Comme des Poupées russes, étrangement musicales. Ces réactions en chaîne active dans ce programme un jeu de cache-cache qui s’autorise des passerelles et met à jour des liens surprenants entre répertoires, entre instruments. Magistrale implication des deux instrumentistes.

 

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Salle Colonne, le 7 oct 2024. Centenaire du Suréalisme (Festival INVENTIO 2024), « Double-fil » (création), Scriabine (Sonate n°2), Liszt, Ravel,… Léo Marillier, violon / Orlando Bass, piano.

 

LIRE aussi notre présentation annonce du concert « Double-Fil », création … Léo Marillier / Orlando Bass. PARIS, le 2 oct 2024 -/ Concert de clôture du  FESTIVAL INVENTIO 2024 : https://www.classiquenews.com/festival-inventio-paris-salle-colonne-le-7-oct-2024/

 

PARIS, Salle GAVEAU, samedi 16 nov 2024. SEUNG-WON OH : « UMBRA », double concerto pour violoncelle et ondes Martenot (première mondiale), Musicus Soloists Hong Kong (MSHK)

PARIS se met à l’heure Hong-Kongaise. La Salle Gaveau accueille l’une des formations Hong-Kongaises parmi les plus convaincantes et engagées de l’heure : l’Orchestre de chambre Musicus Soloists Hong Kong (MSHK), fondé en 2022 par le violoncelliste Trey Lee ; il est composé de jeunes artistes hongkongais jouant au plus haut niveau. Pour le concert du 16 nov à PARIS, la phalange asiatique réalise la création mondiale du double concerto « UMBRA » de la compositrice Seung-Won Oh, avec la complicité de Nadia Ratsimandresy (ondes Martenot) et de Trey Lee au violoncelle.

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Photo : Musicus Soloists Hong Kong – MSHK © Musicus Society

 

Le programme célèbre ainsi les échanges interculturels et offre une grande diversité d’écritures et de styles ; il comprend la première mondiale du double Concerto « UMBRA » pour violoncelle et ondes Martenot, de la compositrice coréenne Seung-Won Oh, spécialement commandé pour l’occasion. Le son spécifique du MSHK se dévoilera tout autant dans « Sampling Tea », pièce spéciale d’inspiration chinoise pour violon, alto et pipa du compositeur hongkongais Willis Wong, le « Concert n° 5 en ré mineur », extrait des Concerts en sextuor de Jean-Philippe Rameau, mais aussi le Concerto pour 4 violons en si mineur de Vivaldi, sans omettre les modernes tels que Milhaud (Octuor) et Bartók (Danses roumaines pour orchestre de chambre).

 

Musicus Soloists Hong Kong
Musicus Soloists Hong Kong (MSHK) est le principal ensemble de chambre de Hong Kong. Fondé et dirigé par le violoncelliste Trey Lee, le MSHK est un collectif composé des meilleurs artistes émergents de la ville, tous solistes talentueux et anciens élèves de divers établissements d’enseignement nord-américains et européens et des lauréats de concours internationaux. MSHK associe le talent de ces jeunes musiciens à l’expérience d’artistes internationaux de premier plan, tant à Hong Kong qu’à l’étranger, pour offrir des interprétations musicales interculturelles.
Se produisant en grand et petit ensemble, MSHK interprète un large répertoire allant du baroque aux maîtres modernes. Depuis son lancement en 2022, l’ensemble a déjà collaboré avec des artistes de renommée internationale tels que les violonistes Florian Donderer et Barnabás Kelemen, le pianiste Louis Lortie et le London Chamber Orchestra.
MSHK est l’un des principaux piliers de la Musicus Society. Il favorise l’échange, le partage, la rencontre, promeut la collaboration interculturelle entre des artistes locaux et internationaux, encourage les talents musicaux de Hong Kong.

 

 

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PARIS, Salle Gaveau
Samedi 16 novembre 2024, 20h30
Musicus Soloists Hong Kong
/ Seung-Won Oh :  » Umbra  » – Première mondiale
Trey Lee, Nadia Ratsimandresy,
Musicus Soloists Hong Kong

RÉSERVEZ vos places directement sur le site de la salle GAVEAU : https://www.sallegaveau.com/spectacles/musicus-soloists-hong-kong

 

Trey Lee
« … superbe violoncelliste » pour Lorin Maazel, un « Miracle » pour Gramophone ou encore un « excellent violoncelliste… avec une richesse enveloppante et une sensibilité lyrique » pour le New York Times, Trey Lee travaille avec les chefs d’orchestre, des compositeurs et des orchestres estimés dans le monde entier tels que Vladimir Ashkenazy, Leonard Slatkin, Mikko Franck, Yuri Bashmet ; l’Orchestre philharmonique de la BBC, la Camerata Salzbourg et l’Orchestre philharmonique des Pays-Bas, … Il se produit souvent dans les plus grandes salles et festivals du monde entier, notamment au Carnegie Hall, au Teatro dal Verme de Milan, au Centre national des arts de la scène de Pékin, au Lincoln Center et au Concertgebouw d’Amsterdam. Trey Lee a partagé la scène avec les plus grandes stars de notre époque telles que Julia Fischer, Vilde Frang, Pekka Kuusisto et Alexander Sitkovetsky. Lauréat de grands concours internationaux, les albums de Trey Lee sont édités chez EMI. Depuis 2012, Trey Lee est ambassadeur de l’UNICEF à Hong Kong. Son dernier album, « Seasons Interrupted », en collaboration avec l’English Chamber Orchestra, est paru chez Signum Records (mai 2024).

 

Nadia Ratsimandresy
En tant que soliste, Ratsimandresy s’est notamment produite avec le Radio-Sinfonieorchester Stuttgart, l’Orchestre symphonique national du Danemark, l’Orchestre national de France et le London Sinfonietta. Dans sa propre pratique créative, Nadia Ratsimandresy a tracé une nouvelle voie pour l’onde Martenot en développant de nouveaux paysages sonores avec de l’électronique live et en allant chercher l’inspiration dans d’autres champs artistiques. Née et basée à Paris, elle s’est produite en tant que soliste dans les plus grands festivals de musique contemporaine du monde et a collaboré avec de nombreux compositeurs de renom, tout en poursuivant sa propre carrière de compositrice.
Seung-Won Oh
Résidente à Amsterdam, Seung-Won Oh est une compositrice récompensée à de multiples reprises et qui a reçu des commandes d’ensembles et de festivals tels que le Concertgebouw d’Amsterdam, le Huddersfield Contemporary Music Festival (Royaume-Uni), le Transit Festival (Belgique) et le Tanglewood Music Centre Festival (États-Unis).
Écrivant dans un idiome contemporain, Oh entremêle organiquement son héritage musical coréen avec un sens inné de la forme structurelle et du développement musical. Ses idées formelles, ainsi que son affinité avec la musique traditionnelle coréenne sont bien représentées dans la polyvalence de son écriture pour percussions. Elle a notamment écrit plusieurs œuvres pour quatuor et sextuor de percussions ainsi que de nombreux solos.

 

 

À propos de l’Onde Martenot
L’Onde Martenot est l’un des plus anciens instruments électroniques élaborés au début du XXe siècle par l’inventeur français Maurice Martenot. Il a été utilisé par de nombreux artistes et compositeurs, notamment les compositeurs Olivier Messiaen et Edgard Varèse, et les interprètes Thomas Bloch, Radiohead et Daft Punk.

PROGRAMME

JEAN-PHILIPPE RAMEAU
 :
Concert en sextuor No. 5, RCT 11

SEUNG-WON OH
 :
Umbra, Double Concerto for Cello, Ondes Martenot and String Orchestra*
Double Concerto pour violoncelle, ondes Martenot et orchestre à cordes (World Premiere)

-entracte-

ANTONIN VIVALDI
 :
Concerto pour 4 violons en ré mineur, RV 580, Op. 3 No. 10

WILLIS WONG
 :
Sampling Tea (première française)

DARIUS MILHAUD :
Octuor (Quatuors à cordes Nos. 14 & 15), Op. 291

BÉLA BARTÓK :
Dances roumaines pour orchestra de chambre, Sz. 56

 

 

entretien

 

 

 

ENTRETIEN avec le violoncelliste TREY LEE, directeur artistique du MUSICAL SOLISTS HONG KONG / MSHK à propos du concert HONG-KONG – PARIS, ce 16 nov 2024 prochain, à la SALLE GAVEAU.

 

CLASSIQUENEWS : Qu’est-ce qui rend l’orchestre unique? Comment fonctionne-t-il (profil / parcours des musiciens, répertoire, etc…). Quelle est sa place parmi les orchestres asiatiques ? 
TREY LEE : Hong Kong est célèbre comme l’une des villes les plus importantes du monde en matière d’affaires et de finances.  Musicus Soloists Hong Kong (MSHK) en présente une autre facette : c’est le premier ensemble de classe mondiale entièrement composé de musiciens de Hong Kong ; ses musiciens représentent la prochaine génération d’ambassadeurs musicaux de Hong Kong dans le monde. Les membres sont des lauréats de prix internationaux, travaillant ou étudiant dans les meilleurs conservatoires d’Europe et d’Amérique ; ils se réunissent chaque année pour jouer avec des artistes d’autres cultures.   Toutes ces caractéristiques en font un orchestre unique en Asie. Portrait Trey LEE © Keith HIRO.

 

 

CLASSIQUENEWS : En quoi le concert de la Salle Gaveau est-il représentatif de votre ligne artistique ? Quels sont les principaux défis ? 
Ce concert est un merveilleux point de rencontre entre Hong Kong et Paris.  La variété des musiques que nous jouons, est très symbolique de Hong Kong elle-même, qui a une riche histoire d’influences entre l’Europe et l’Asie. Pour ce concert du MSHK, les ondes Martenot et le pipa chinois offrent au public un vrai goût des saveurs internationales pour lesquelles Hong Kong est mondialement connue.

 

CLASSIQUENEWS : Pouvez-vous nous présenter la création mondiale “ UMBRA” composée par SEUNG Won Oh ?  Comment dialoguent l’orchestre, le violoncelle et les ondes de Martenot ?  Quel est le sens, le sujet, la trajectoire musicale ? 
Le titre « Umbra » est une bonne façon de décrire notre collaboration au cours de ce concert.  Signifiant la partie la plus noire d’une ombre, Umbra est aussi une chance qui permet aussi de révéler ce qui est caché ; de le faire émerger de l’obscurité — pour moi, le mélange des ondes Martenot et des instruments à cordes crée un effet céleste que chaque instrument seul ne peut pas atteindre.  C’est la première fois qu’une œuvre pour violoncelle et ondes Martenot sera présentée où les deux instruments sont solistes ; Nous sommes tous très excités d’écouter comment ces deux instruments ainsi associés, apporteront des expériences sonores nouvelles et fraîches au public !

 

CLASSIQUENEWS : Quels sont vos prochains projets artistiques ? Les points forts de votre agenda (après la France, en Europe, vos prochaines tournées, etc) ? 
TREY LEE : Immédiatement après le concert à Paris, nous allons présenter ce travail au Musicus Fest de Hong Kong pour la première asiatique.   En outre, je jouerai le concerto pour violoncelle de Dvorak avec la Sinfonia Varsovia, puis mon arrangement du « Rêve de la chambre rouge », basé sur l’une des plus grandes œuvres littéraires de la dynastie Qing.  Avec MSHK, nous avons une nouvelle et passionnante collaboration avec l’Orchestre de chambre de La Scala de Milan.  Enfin, je continuerai à tourner avec mon nouvel album, « Seasons Interrupted » (qui aborde le sujet de la crise climatique), enregistré avec l’English Chamber Orchestra : le programme met en lumière ma propre version des Four Seasons of Buenos Aires de Piazzolla, pour violoncelle et orchestre de cordes.

 

Propos recueillis en novembre 2024

 

 

 

TREY LEE © Keith Hiro

 

LIVRE événement. Arnold Schönberg : écrits 1890-1951 (éditions Contrechamps)

Pour célébrer le 150ème anniversaire de la naissance de Schönberg, les Editions Contrechamps et la Philharmonie de Paris publient (enfin) à l’adresse du lecteur francophone toute la diversité de ses écrits : textes sur la musique, textes autobiographiques, livrets, textes de fiction, projets théoriques ou pédagogiques, textes sur la question juive, textes sur des personnalités contemporaines ou sur des compositeurs du passé… dont des aphorismes percutants.

 

 

L’édition monumentale comprend plus de 330 textes, dont un très grand nombre sont inédits en français, et d’autres, inédits tout court. Traduits par Jean-Pierre Collot et édités par Jean-Pierre Collot et Philippe Albèra – Les textes sont présentés chronologiquement, de 1890 à 1951. 1562 pages.

Né en Bohème, Arnold Schönberg (1874-1951) a écrit tout au long de sa vie, depuis ses poèmes de jeunesse jusqu’aux Psaumes de la fin : pièces de théâtre, livrets (mis ou non en musique), fictions, aphorismes, écrits intimes, essais sur la musique, sur l’interprétation, sur la politique ou sur la religion, analyses musicales, remarques sur ses contemporains, sur la peinture et la littérature, sur les progrès technologiques, etc… Cette édition, la plus complète à ce jour, réunit un vaste ensemble d’écrits présentés sous forme chronologique, comme s’il s’agissait de feuilleter les pages d’un Journal intime.

On le pensait peintre ; Schönberg était donc aussi écrivain ; du moins en était-il convaincu. Sans défendre absolument la qualité de sa prose, sur un plan strictement littéraire, le corpus ainsi restitué, qui comprend nombre d’inédits, renseignent sur la personnalité du compositeur, ses intentions personnelles sans contingence d’aucune sorte ; ils témoignent d’une pensée propre, de sa logique. On y suit les évolutions du langage musical : le saut hors de la tonalité, puis la « méthode de composition avec douze sons » … ils révèlent entre autres sa propre vision de la musique qui « novatrice » peut-être qualifier de « structuraliste ». Clairvoyant, voire visionnaire (sur la question de la judéité qui le concerne), Schoenberg sait aussi griffer et se défendre, en particulier contre critiques et détracteurs.

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PLUS D’INFOS sur le site de l’éditeur Contrechamps : https://editions-contrechamps.org/livres/schonberg_ecrits/
 

Evénement à Genève autour des Écrits de Schönberg – mardi 12 novembre à 20h, rue du Général-Dufour 16,
Projection et rencontre en collaboration avec les Cinémas du Grütli

 

ENTRETIEN avec le compositeur Stéphane LEACH, à propos de son nouvel opéra « Le métronome de nos errances », création mondiale programmée du 6 au 9 nov prochains

A partir du livret de Babouillec, auteure autiste, aux fulgurances poétiques inspirantes, le compositeur Stéphane Leach compose une partition nouvelle, un opéra qui mêle les formes et les genres : « Le métronome de nos errances« . La création programmée du 6 au 9 nov prochains, réalise une première version du spectacle, où le dialogue convoqué et les enjeux de la communication questionnent le sujet de la conversation. L’écoute, la compréhension, le partage sont au cœur d’un ouvrage inédit qui interroge aussi les formes mêmes du dispositif opératique.
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Portrait de Stéphane Leach © Dominique Cherprenet

 

 

CLASSIQUENEWS : Les prochaines représentations sont-elles la création de votre opéra ? Avez vous modifié ou affiné pour la première certains points de la partition ? Pour quelles raisons ?

STÉPHANE LEACH : Oui, les représentations au théâtre de l’Opprimé sont l’aboutissement d’un long travail et nous présentons la première phase de la création de cet opéra, sous cette forme avec des éléments scéniques simples, en mettant l’accent sur la lumière. Par la suite, nous pourrons, avec plus de moyens, développer la scénographie et les costumes pour une version totalement aboutie. Le livret de Babouillec, auteure autiste reconnue,  a été écrit, à ma demande,  il y a déjà 7 ans, le processus compositionnel n’a cessé d’évoluer jusqu’à aujourd’hui. La partition a aussi évolué avec les répétitions et les chanteurs, leur voix, la présence de l’accordéon et du glassharmonica, la dramaturgie, la mise en scène. C’est un travail d’écoute et d’adaptation, le spectacle se révèle et nous guide, on passe de l’étape dirigiste et volontaire à une étape où les divers éléments se répondent, dialoguent, s’ajustent et nous indiquent la direction à prendre. Tout cela se traduit dans la musique, la mise en scène et l’ensemble des éléments constituant le spectacle.

 

CLASSIQUENEWS : Que renforce la musique pendant le spectacle ? Favorisez-vous certains personnages ou certaines situations ? Quels thèmes / quels sujets vous ont intéressé comme compositeur ?

STÉPHANE LEACH : Toute musique devrait permettre à l’auditeur, au spectateur, de l’amener à une écoute libératrice,  de le disposer à un voyage intérieur de grande intensité  et, par l’émotion, de le conduire à écouter, de souligner et de rendre clair et audible le livret, qu’il soit parlé ou chanté. Le texte de Babouillec n’est pas linéaire et logique comme peuvent souvent nous conduire nos pensées rationnelles. Il est sujet à fulgurances, à des évidences, à des images poétiques bouleversantes. La musique contribue en partie à cet univers, tout comme la mise en scène, la scénographie, la lumière, les costumes et maquillages et bien sûr la qualité des interprètes. Je ne favorise pas particulièrement certains personnages, mais je crée musicalement des couleurs qui permettent de rendre compte des diverses situations. J’ai pris le texte dans sa totalité, en abordant les différents thèmes avec des couleurs musicales en résonance aux situations.

 

CLASSIQUENEWS : Que dévoile et concrétise l’opéra, du livret proprement dit ? Que mettez vous en lumière sur le plan musical ?

STÉPHANE LEACH : L’opéra dévoile la possibilité à l’être humain de partager malgré tout leur propre expérience, d’écouter l’autre avec tolérance et générosité.
« Enlever vos masques, enlever vos casques ». Les quatre personnages portent le nom de leur personnalité: Certitude Rieuse est la voisine un peu folle dingue habitée par cette énergie si précieuse de l’amour et de la Joie ; les soucis glissent sur elle, mais elle se rendra compte que la vie est plus riche et complexe. Doute Onirique, le poète tourmenté qui vit dans ses affres et ses angoisses, réussira à sortir de cet état par le masque, le théâtre.  Indifférence ne comprend pas la spontanéité et la liberté des artistes. Son monde est régi par des normes, par le Métronome, l’instrument de la mesure. Choeur est comme le choeur antique, celui qui sait, qui acte et qui propose. C’est le démiurge de l’histoire. La musique met en lumière les différents personnages, mais aussi les diverses situations vécues.

 

CLASSIQUENEWS : La forme vocale est multiple : parlé, chanté,… comment se réalise l’intensité du débat entre les personnages ? En quoi cela vous inspire musicalement ?

STÉPHANE LEACH : Oui, j’aime la diversité des langues et des propos musicaux. J’ai beaucoup écrit pour le théâtre et aime proposer des univers musicaux variés et en correspondance avec la richesse infinie de notre monde. Le texte revient souvent de manière parfois répétitive, la musique donne l’intensité nécessaire à l’absorption du texte. Ce qui m’inspire est l’incessant dialogue musique- texte. L’alternance chant et texte parlé ponctue et donne une respiration et une clarté. J’ai été aidé pour cela par un dramaturge, Eugène Fresnel qui m’a beaucoup aidé à trouver la structure et l’équilibre chant-voix parlé.

 

CLASSIQUENEWS : Quelles qualités appréciez-vous dans le texte de Babouillec ? Avez vous pu façonner le texte en fonction du spectacle musical avec l’auteure ?

STÉPHANE LEACH : Je suis saisi par son audace,  sa liberté, sa manière de nous provoquer, de nous amener à des évidences, des fulgurances, je suis saisi par sa poésie, et par l’ouverture de ses propos. Nous découvrons toujours un nouvel éclairage au fil des relectures et des répétitions ; c’est un monde en mouvement perpétuel. Non, Hélène Babouillec a écrit le texte il y a déjà longtemps et très rapidement sans jamais revenir en arrière. Il y a eu ensuite les ajouts des didascalies dans le texte édité, J’avais le texte à l’état brut, toute liberté et sa confiance pour composer. Son enthousiasme et son être soi ont été révélateurs et très inspirants.

 

Propos recueillis en octobre 2024

 

 

Portrait de Stéphane Leach © Dominique Cherprenet

 

 

Agenda

PARIS, Théâtre de l’Opprimé. Stéphane LEACH : Le Métronome de nos errances, 6 > 9 nov 2024 (création). Babouillec, Stéphane Leach, Compagnie ArtOm, Karine Laleu… LIRE notre présentation de l’opéra Le Métronome de nos errances, création mondiale : https://www.classiquenews.com/paris-theatre-de-lopprime-le-metronome-de-nos-errances-6-9-nov-2024-babouillec-stephane-leach-compagnie-artom-karine-laleu/

 

PARIS, Théâtre de l’Opprimé. Le Métronome de nos errances, 6 > 9 nov 2024 (création). Babouillec, Stéphane Leach, Compagnie ArtOm, Karine Laleu…

 

 

 

 

STREAMING, opéra. Novembre 2024 sur OperaVision. 4 diffusions en différé, 1 direct… Wexford, Mannheim, Garsington, Oslo, Barcelone / Opéras de Donizetti, Verdi (La Traviata et La Force du Destin), Stravinsky, Rameau… Les 2, 9, 15, 22 et 30 novembre 2024

STREAMING, opéra. Novembre 2024 sur OperaVision. 4 diffusions en différé, 1 direct… Wexford, Mannheim, Garsington, Oslo, Barcelone, c’est un nouveau tour d’Europe, à travers les opéras de Donizetti, Verdi (La Traviata et La Force du Destin), Stravinsky, Rameau… Les 2, 9, 15, 22 et 30 novembre 2024

 

En novembre 2024, OperaVision affiche une programmation prometteuse, soit 5 opéras, entre comédie et tragédie. Le convenienze ed inconvenienze teatrali du Wexford Festival Opera est un opéra comique de Donizetti qui soumet les mauvaises habitudes du monde de l’opéra à une critique cinglante. La traviata de Verdi, en direct du Nationaltheater Mannheim, soumet la vie flamboyante d’une courtisane à la maladie. La comédie atypique Platée de Rameau, jouée à l’opéra de Garsington, n’est pas moins touchante. Elle raconte le faux mariage entre le dieu Jupiter, arrogant, cynique et farceur et une nymphe des marais laide et trop naïve… la batracienne fait les frais d’une mascarade ridicule et mordante. À Oslo, The Rake’s Progress de Stravinsky entraîne dans une spirale infernale vers la folie de Tom Rakewell. Enfin, direction le Liceu (de Barcelone) pour une nouvelle tragédie verdienne : La Forza del Destino, où le destin s’acharne contre le bonheur du couple maudit, déchiré, éprouvé, Leonora et d’Alvaro.

 

Toutes les infos et le détails des productions, des artistes à l’affiche : https://operavision.eu/fr

 

WEXFORD FESTIVAL OPERA
DONIZETTI : Le convenienze ed inconvenienze teatrali / streaming le 2 octobre 2024, 19h CET
Enregistré en 20 octobre 2024 – Danila Grassi, direction musicale / Orpha Phelan, mise en scène – VOIR : https://operavision.eu/fr/performance/le-convenienze-ed-inconvenienze-teatrali?utm_source=OperaVision&utm_campaign=c169533fb5-november-2024-fr&utm_medium=email&utm_term=0_be53dc455e-c169533fb5-100559298

 

NATIONALTHEATER MANNHEIM
VERDI : La traviata / Live streaming le 9 novembre 2024, 19h CET en DIRECT
Avec Seunghee Kho (Violetta Valéry) / Sung min Song (Alfredo) – Roberto Rizzi, direction musicale / Luise Kautz, mise en scène – VOIR : https://operavision.eu/fr/performance/la-traviata-3?utm_source=OperaVision&utm_campaign=c169533fb5-november-2024-fr&utm_medium=email&utm_term=0_be53dc455e-c169533fb5-100559298

 

GARSINGTON OPERA
RAMEAU : Platée / streaming le 15 novembre 2024  19h CET
Enregistré le 8 juin 2024 – Paul Agnew, direction / Louisa Muller, mise en scène – VOIR : https://operavision.eu/fr/performance/platee?utm_source=OperaVision&utm_campaign=c169533fb5-november-2024-fr&utm_medium=email&utm_term=0_be53dc455e-c169533fb5-100559298

 

OPÉRA ET BALLET NATIONAL NORVÉGIEN
STRAVINSKY : The Rake’s Progress / Streaming le 22 octobre 2024 , 19h CET
Enregistré le 1er octobre 2024 – Kirill Karabits, direction / Vidar Magnussen, mise en scène
VOIR : https://operavision.eu/fr/performance/rakes-progress?utm_source=OperaVision&utm_campaign=c169533fb5-november-2024-fr&utm_medium=email&utm_term=0_be53dc455e-c169533fb5-100559298

 

GRAN TEATRE DEL LICEU
VERDI : La forza del destino / Streaming le 30 novembre 2024, 19h CET
Enregistré le 15 nov 2024 – Jean-Claude Auvray, mise en scène / Nicola Luisotti –
VOIR : https://operavision.eu/fr/performance/la-forza-del-destino?utm_source=OperaVision&utm_campaign=c169533fb5-november-2024-fr&utm_medium=email&utm_term=0_be53dc455e-c169533fb5-100559298

 

 

CRITIQUE, opéra. TURIN, Teatro Regio (du 17 au 27 octobre 2024). AUBER : Manon Lescaut. R. Pérez, S. Guèze, F. Salvadori, A. Noguera… Guillaume Tourniaire / Arnaud Bernard

Événement au superbe Teatro Regio de Turin, et brillante idée qu’a eue son frigant nouveau directeur, le français Matthieu Jouvin, que de monter en même temps les 3 Manons adaptées pour la scène lyrique, signées dans l’ordre chronologique par Daniel-François-Esprit Auber, Jules Massenet et Giacomo Puccini, et ici confiées à un seul et même metteur en scène, en l’occurrence son/notre talentueux Arnaud Bernard ! Ainsi, du 26 septembre au 29 octobre, les 3 Manon se sont succédé (toutes avec deux distributions différentes) à un rythme effréné qui dit l’excellente santé des Forces vive du Teatro Regio de Turin (orchestre, chœurs… et tout son personnel “technique” !). Dénominateur commun des trois ouvrages, le cinéma en noir et blanc de la première moitié du XXe siècle, qui unifit les trois oeuvres scéniquement parlant, une vraie réussite qui fait d’Arnaud Bernard le grand triomphateur des trois superbes soirées lyriques auxquelles nous avons pu assister.

 

Mais commençons par le début, puisque nous avons débuté notre Trilogie par la Manon d’Auber (sur un Livret d’Eugène Scribe), de loin la plus rare des trois. L’ouvrage affronte les feux de la rampe de la Salle Favart (théâtre qui a repris pour la dernière fois en France, en 1990 avec Elisabeth Vidal dans le rôle-titre, l’ouvrage d’Auber) le 24 février 1856, le 42ème de… ses 48 ouvrages lyriques composés entre le début du Premier Empire et la fin du Second, soit un demi-siècle de composition que Richard Wagner résumera par un mot célèbre “Auber ?… De la petite musique de grand musicien” (propos rapporté par Rossini !). La première est un triomphe, avec une Marie Cabel en Manon qui ne fait qu’une bouchée de la plus célèbre scène de la partition, celle dite “des éclats de rire”, qui sera par la suite redouté par toutes candidates voulant se frotter au personnage de l’Abbé Prévost sous la plume d’Auber. Mais il ne faudrait pas oublier les autres superbes pages de l’opéra, dont la scène finale qui a toujours fait l’unanimité, de même que l’ouverture, les scène “exotiques” de l’avant-dernier tableau ou encore la citation des couplets de “La belle Bourbonnaise”, chanson célèbre à l’époque de l’Abbé Prévost. Au côté de la Manon si féminine et si troublante de Massenet, et de celle si passionnée et dramatique de Puccini, celle d’Auber nous offre une autre image attrayante de l’immortelle héroïne de Prévost, l’image d’une enfant joyeuse et insouciante, sans l’ombre d’une duplicité et tout entière consacrée à l’amour qu’elle porte à son Des Grieux de Chevalier. La fameuse scène finale, où le duo des amoureux imaginé par Auber s’élève jusqu’à une bouleversante inspiration dans un style mélodique dépouillée, est d’un style charmant et transfigure l’héroïne dans un élan d’amour purifié.

 

C’est ce soir la jeune soprano espagnole Rocio Pérez (en alternance avec l’italienne Stefania Russomanno et la québécoise Marie-Eve Munger) qu’incombe le rôle-titre, avec une voix facile et séduisante de soprano colorature, et une sincérité de bout en bout convaincante aussi bien dans les rires que dans les larmes (“Comme dans un doux rêve”). Alors qu’il défend désormais, aux quatre coins de la planète, les rôles d’ouvrages français les plus “lourds” (et en premier lieu Hoffmann), le ténor ardéchois Sébastien Guèze (Des Grieux) revient à ses premières amours (nous l’avions découvert dans “Fra Diavolo” du même Auber, au Théâtre Impérial de Compiègne, il y a bientôt 20 ans…), avec un grain de voix que l’on goûte toujours autant, et qui fait attention, la soirée durant, à ne pas forcer la voix, et à conserver l’esthétique vocale de son personnage sous la plume d’Auber, fait de tendresse et de suavité, avec ce qu’il faut d’éclat dans les moments plus dramatiques. Excellent comédien, la basse italienne Francesco Salvadori ne fait qu’une bouchée de Lescaut, avec son timbre sombre et autoritaire à la fois. En Marquis d’Hérigny, le baryton argentin Armando Noguera marque également les esprits, personnage qui lorgne (en anticipation) vers le Baron Scarpia? Quant aux comprimari, ils ne méritent que des louanges, à commencer par le bondissant Renaud de Guillaume Andrieux, le soprano opulent de Lamia Beuque (en Marguerite), ou encore la timbre de miel d’Anicio Zorzi Giustiani en Gervais.

 

Crédit photo © Simone Borrasi

Côté scénique, Arnaud Bernard amorce dès sa première Manon le parallélisme qui va lier chaque mise en scène entre elles, au travers d’une ode au cinéma noir et blanc (et même muet pour ce qui est de cette Manon d’Auber) de la première moitié du XXe siècle. Pour “illustrer” l’ouvrage d’Auber, le metteur en scène français choisit un film du cinéma américain muet de la fin des années 1920, When a Man Loves, du réalisateur Alan Crosland, avec John Barrymore et Dolorès Costello. Pendant la brillante Ouverture de l’opéra, au galop réjouissant, les images naïves du début du film défilent, avec la rencontre fatale entre Manon et Des Grieux, leur fuite audacieuse en calèche jusqu’au nid d’amour sur lequel se lève le rideau de l’opéra, racontant ce qu’Auber et Scribe n’avaient pas prévu. Chaque acte et tableau est ouvert par des extraits qui anticipent ou évoquent en quelque sorte les scènes, jusqu’au montage de quelques moments du film qui précèdent la scène finale de l’opéra et retracent avec nostalgie les moments cruciaux de l’histoire d’amour entre Manon et Des Grieux, faits de baisers passionnés mais aussi de clins d’œil ou de regards intenses. Cependant, contrairement aux mises en scène suivantes, Bernard utilise avec parcimonie les citations filmiques du film précité et préfère se concentrer sur une mise en scène qui semble être le décor même du tournage du film, imaginé à l’intérieur de l’usine de cinéma de Georges Méliès à Montreuil : un grand pavillon aux fenêtres modulables (les décors d’Alessandro Camera et les costumes de Carla Ricotti sont vraiment splendides), équipé de tout le nécessaire (caméras, tables de montage pour le tournage et accessoires de scène) pour la composition des différents décors.

 

Crédit photo © Simone Borrasi

L’installation, à sa manière majestueuse, ressemble à un laboratoire en constante évolution, comme le carton préparatoire à la succession fluide et coulante des différents environnements de l’opéra filmés en direct par les caméras. La référence au film est bien présente, mais le jeu scénique se déroule plus sur la scène elle-même que sur l’écran, avec une sophistication visuelle même maniaque dans le traitement des masses chorales. Le jeu des acteurs, comme dans les opéras suivants, est très précis, théâtral et dynamique, avec des moments de perfection atteints dans la gestion du beau concertato qui conclut le premier acte, l’une des pages les plus réussies de la partition, avec les tables du restaurant Bancelin et la foule qui l’anime ; un tableau qui atteint son apogée lorsque le protagoniste prend la guitare et chante le couplet bien connu qui fait s’extasier les clients du restaurant, au point qu’ils reçoivent de généreux pourboires pour payer l’addition laissée en suspens par Des Grieux. Le final de l’opéra est extrêmement efficace, lorsque le rideau qui, au fond, montre la forêt où Manon et Des Grieux se sont perdus, se lève et révèle les trois visages des actrices (Michèle Morgan, Dolorès Costello et Brigitte Bardot) qui ont inspiré au metteur en scène les références cinématographiques qu’il a choisies, toutes graciées avant le chœur qui demande une mort qui soit un rêve de rédemption prêt à les unir avec les mots “un doux rêve que l’amour achève et élève jusqu’à l’Éternel

Quant au chef français Guillaume Tourniaire, placé à la tête de l’excellent Orchestre du Teatro Regio, il dirige avec une parfaite maîtrise (et même amoureusement…), la délicate partition d’Auber, qu’il pare de toute l’élégance et de toute la sensibilité qui en font le charme, tout en atteignant, dans la scène finale, à une émotion vraie.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. TURIN, Teatro Regio (du 17 au 27 octobre 2024). AUBER : Manon. R. Pérez, S. Guèze, A. Noguera… Guillaume Tourniaire / Arnaud Bernard. Toutes les photos © Simone Borrasi.

 

VIDÉO : Trailer des 3 “Manon Lescaut” au Teatro Regio de Turin

 

CRITIQUE, LIVRE événement. Patrick Barbier : Giovanni Battista PERGOLESI (Pergolèse) – Bleu Nuit éditeur / Collection « Horizons » n°106

PERGOLESI méritait bien une biographie dans l’incontournable collection « Horizons », éditée par BLEU NUIT, référence en la matière pour tous les mélomanes. D’autant qu’ici l’auteur est grand spécialiste du baroque napolitain et des castrats. On ne s’étonnera donc pas que parmi les « révélations » du texte fait sens l’évocation très argumentée du Pergolesi compositeur lyrique qui reconnu, probablement recherché, travaille avec les grands chanteurs de son époque…

 

 

 

S’affirme ainsi l’itinéraire du génie né à Jesi (Marches, 1710) ; sa trajectoire fulgurante, portée il est vrai par un tempérament créateur exceptionnel, tour à tour soutenu par les familles puissantes à travers l’histoire politique de Naples… 
Autrichiens d’abord, puis espagnols dont l’avènement du jeune roi Charles II Bourbon (qui fait son entrée officiel en vainqueur à Naples en mai 1734). Le jeune souverain fut le spectateur convaincu de l’opéra seria « Adriano in Siria », sommet de la veine lyrique de Pergolesi ; l’auteur montre que le jeune auteur sait s’adapter en grand professionnel, aux desiderata sans limites du capricieux mais virtuose castrat Caffarelli (qui est de la même génération que le compositeur, né comme lui en 1710) pour son rôle de Farnaspe.

Une adaptabilité possible en liaison avec sa grande connaissance des voix et sa proximité avec les chanteurs (ce que montre aussi récemment le film Il Boemo (réalisé par Petr Vaclav avec Vaclav Luks) s’agissant de Myslivicek, le « Mozart praguois ») : comme chez Mozart, et ses vicissitudes dans la réalisation de Lucio Silla ou Idomeneo, la relation spécifique entre compositeur et chanteur est déterminante et décisive pour la réussite de l’ouvrage… D’ailleurs, durant sa courte carrière au théâtre, Pergolesi put bénéficier des meilleurs castrats de son temps. On ignorait jusque là de la même façon sa courte percée à Rome (grâce à son opéra suivant « L’Olimpiade » créé pour le Carnaval en janvier 1735, et l’un des meilleurs livrets transmis par Metastase). Le texte permet aussi de mesurer la pertinence de Pergolesi dans la veine comique, réussissant comme nul autre dans ce genre grâce à la perfection de sa comédie « La Serva Padrona » (1733), miracle d’espièglerie spirituelle qui annonce la grâce nuancée et subtile des Mozart puis Rossini à venir.

Le dernier chapitre évoque la mort du compositeur à Pouzzoles et la composition du célèbre Stabat Mater ; le sujet offre un regard nouveau sur le catalogue sacré ; reparaissent des Salve méconnus (en la mineur et en fa), la Messe di Sant’Emidio (déc 1732), …évidemment aux côtés du Stabat Mater final, le rayonnant Salve Regina, qui est en quelque sorte le pendant lumineux du premier ; le Stabat Mater proprement dit, composé fin 1734, est le sujet d’une présentation et d’une analyse fouillée (commandité et créé pour la confrérie des artistes à laquelle appartenait le compositeur et particulièrement dédiée à la Vierge des 7 douleurs ; aujourd’hui église San Ferdinando de Naples où d’ailleurs le Stabat continue d’être joué chaque vendredi précédent le dimanche des Rameaux). L’inspiration géniale y fusionne toutes les inspirations pergolésiennes, où le sens du théâtre et de l’opéra domine, sans pourtant jamais sacrifier ni la justesse ni la sincérité (sensibilité du Fac ut portem). C’est évidemment la partition la plus bouleversante laissée par son auteur (comme est le Requiem pour Mozart et dans les mêmes conditions tragiques) tel un testament spirituel par le compositeur rongé par la tuberculose et qui l’emporte le 16 mars 1736 à l’âge de … 26 ans.

En bonus et complément : un entretien avec Philippe Jaroussky ; entre autres sur l’évolution des voix de contre ténors et le souhait d’écouter un jour le Stabat avec une voix de sopraniste masculin et d’alto féminin… option pas si décalée que cela puisque, apport majeur du texte, Pergolèse travailla avec les castrats sopranos les plus prestigieux. L’éditeur ajoute aussi un tableau synoptique qui permet de rétablir Pergolesi dans son temps, une discographie sélective.

 

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CRITIQUE, LIVRE événement. Patrick Barbier : Giovanni Battista PERGOLESI (Pergolèse) – Bleu Nuit éditeur – 176 pages – Collection « Horizons » n°106 – CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2024

 

COFFRET CD événement, annonce. HOMMAGE 6 CD SEIJI OZAWA / The Berliner Philharmoniker and Seiji Ozawa : Berlioz, Tchaikovsky, Bruckner, Mahler, Hindemith…

Dans un coffret remarquablement édité, comprenant 6 CD et 1 BLU RAY aux contenus inédits, les BERLINER PHILHARMONIKER rendent les plus bel hommage au maestro SEIJI OZAWA, décédé le 6 février 2024. Y figurent des lectures saisissantes des symphonies de Berlioz, Tchaïkovsky, Bruckner, Mahler, Ravel, Hindemith…

 

Une « respiration commune de la musique » les unissait en une relation « extraordinaire » : le lien (fruit d’une entente professionnelle unique) entre les instrumentistes et le chef s’est ainsi fortifiée depuis leur première rencontre en 1966. Travailleur acharné, connaissant par coeur les partitions, le maestro au charisme fraternel puissant a su communiquer dans le respect et l’écoute collective pour des décisions collégiales ; il était nommé de l’avis unanime des musiciens alors, membre honoraire en 2016.
Voilà qui contredit l’image du chef omnipotent et autoritaire voire tyrannique.
« Le résultat fut un partenariat à parts égales », qui aura permis « une création musicale dans laquelle il y eut toujours de la liberté et de la spontanéité ». En témoigne cet automne ce coffret somptueux dont chaque gravure, – archives de l’Orchestre, de surcroît magnifiquement enregistrées- dévoile l’un des jalons esthétiques.

Les enregistrements radio documentent surtout les années 1980 et jusqu’en 2016 : une phase de collaboration particulièrement intense dans laquelle Seiji Ozawa était invité plusieurs fois chaque saison. S’y entend en particulier les qualités apprises auprès de ses maîtres Herbert von Karajan et comme assistant de Leonard Bernstein.

 

 

En artiste généreux et fraternel, Seiji Ozawa a construit des ponts géographiques vers les États-Unis et le Japon ; il a offre aussi aux Berliner Philharmoniker des découvertes musicales qui enrichissent leur expérience et étend le répertoire de l’Orchestre. La diversité stylistique d’Ozawa ainsi que ses préférences personnelles – musique classique germano-autrichienne, romantisme tardif, répertoire français et modernisme classique éclairent une période artistique très productive et même décisive pour les instrumentistes. Autant de compositeurs et d’esthétiques que le coffret hommage illustre idéalement. Chaque enregistrement véhicule l’idéal commun de la passion musicale et du dialogue humain : Ozawa et les Philharmoniker respirent ensemble pour le meilleur accomplissement musical..

 

 

En plus des 6 CD et du disque Blu-ray, l’édition éditée par l’Orchestre Berlinois, qui témoigne de la période 1980- 2016, comprend un livret d’accompagnement, très complet en 3 langues : japonais, allemand, anglais. Il contient de très nombreuses photos inédites dont celles du violoniste de l’orchestre Gustav Zimmermann. Le texte comprend des essais de l’ami et biographe d’Ozawa, Haruki Murakami, de sa fille Seira, du journaliste berlinois Frederik Hanssen : témoignages intimes, de leurs rencontres personnelles et de leurs expériences avec le chef d’orchestre japonais.  Seiji Ozawa est ainsi d’autant plus célébré qu’il avait participé à la conception initiale de cette édition événement. Prochaine critique complète sur CLASSIQUENEWS. CLIC de CLASSIQUENEWS

 

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COFFRET CD événement, annonce. COFFRET HOMMAGE 6 CD SEIJI OZAWA / The Berliner Philharmoniker and Seiji Ozawa / A tribute on 6 CD and 1 Blu-ray (Berliner Philharmoniker editions, Automne 2024 – CLIC de CLASSIQUENEWS – Infos sur le site des Berliner Philharmoniker : https://www.berliner-philharmoniker-recordings.com/ozawa-edition.html

 

 

 

Tracklisting / programme des 6 cd
Berliner Philharmoniker / 
Seiji Ozawa – recordings 1980 – 2016


Ludwig van Beethoven
Leonore Overture No. 2 in C major, Op. 72
Max Bruch
Concerto for Violin and Orchestra No. 1 in G minor, Op. 26
Pierre Amoyal, violin


Maurice Ravel
Concerto for Piano and Orchestra in G major
Martha Argerich, piano
Béla Bartók
Concerto for Viola and Orchestra, Sz 120
Wolfram Christ, viola
Joseph Haydn
Symphony No. 60 in C major “Il distratto”
Pyotr Ilyich Tchaikovsky
Symphony No. 1 in G minor, Op. 13 “Winter Dreams”
Anton Bruckner
Symphony No. 7 in E major
Gustav Mahler
Symphony No. 1
Paul Hindemith
Symphonia Serena


Hector Berlioz
Symphonie fantastique, Op. 14


Richard Strauss
Eine Alpensinfonie, Op. 64
Richard Wagner
Tristan und Isolde:
Prelude and Liebestod
Blu-ray (video)
Ludwig van Beethoven
Egmont, op. 84: Overture
Ludwig van Beethoven
Fantasy for Piano, Chorus and Orchestra in C minor, Op. 80 »Choral Fantasy«
Peter Serkin, piano
Rundfunkchor Berlin
Felix Mendelssohn
Elijah, oratorio, Op. 70
Annette Dasch, Gal James, soprano
Nathalie Stutzmann, Nadine Weissmann, contralto
Paul O’Neill, Anthony Dean Griffey, tenor
Matthias Goerne, baritone
Fernando Javier Radó, bass
Rundfunkchor Berlin
Anton Bruckner
Symphony No. 1 in C minor (Linz version)
Bonus
Seiji Ozawa named honorary member of the Berliner Philharmoniker (2006)

LES TALENS LYRIQUES. THE SOUND OF MUSIC IN VERSAILLES, Cathédrale de NICE, jeudi 28 nov 2024. Lambert, Lully, Montéclair, F. Couperin…Ambroisine Bré, Christophe Rousset

Après l’avoir joué aux States lors d’une tournée préalable en 4 dates (San Francisco, le 12 nov / Los Angeles, le 13 nov, San Diego, le 15 / Tucson, le 17 nov), puis au Canada à Montréal (Salle Bourgie, le 20 nov), le programme défendu par Les Talens Lyriques intitulé « The sound of music in Versailles (« Le son de la musique à Versailles »), soit la synthèse des meilleures partitions jouées pour le Roi Soleil à Versailles, fait escale à la Cathédrale de Nice, le 28 nov 2024.

 

La musique française baroque s’exporte ainsi aux Etats-Unis et l’expérience du ce programme emblématique, profite évidemment au concert de Nice, dans la Cathédrale Sainte-Réparate. Au programme un parcours qui souligne la filiation esthétique de plusieurs compositeurs ; d’abord les œuvres de Michel LAMBERT (airs de cour), beau-père de LULLY ; LULLY bien sûr (extraits de ses œuvres théâtrales), puis LECLAIR qui transmet ici l’un des fleurons de la cantate française au XVIIIème ; enfin surtout l’immense et si raffiné François COUPERIN, qui exprime dans l’union des styles réunis, français et italien, cet âge d’or musical, propre à la fin du règne de Louis XIV, quand s’affirme dans le goût versaillais et parisien, le chromatisme néo vénitien de Watteau… Soliste inspirée d’autant plus convaincante qu’elle soigne l’articulation lullyste des œuvres choisies, la mezzo-soprano Ambroisine Bré. Son tempérament de chanteuse et de tragédienne se dévoile dans l’extrait d’ISIS (« Terminez mes tourments », acte V), puis dans la Cantate « La Bergère » de Michel Pignolet de Montéclair (1728).

COUPERIN l’incontournable, en arbitre des élégances françaises, car son esprit de la mesure et des équilibres est bien français, referme en beauté ce programme baroque français, avec une pièce chambriste (La Steinkerque, Sonate en trio vers 1692 qui réunit Gilone Gaubert et Benjamin Chénier, violons et Emmanuel Jacques, violoncelle.
Le retour de la Paix, 2ème cantate de Montéclair au programme de ce fabuleux voyage, conclut un cycle enchanteur où la ciselure des timbres instrumentaux s’accorde idéalement avec la voix soliste. Des années 1670 / 1680 (Lully puis Lambert) à la fin des années 1720, 50 ans de création authentiquement française sont ainsi révélés dans leurs splendeurs poétiques, musicales et lyriques, grâce aux Talens Lyriques, ambassadeurs des mieux inspirés pour ce faire.

 

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LE SON DE LA MUSIQUE A VERSAILLES
LES TALENS LYRIQUES
Christophe Rousset, direction

NICE, Cathédrale Sainte-Réparate
Jeudi 28 nov 2024, 20h
Dans le cadre des moments musicaux des Alpes-Maritimes

INFOS & RÉSERVATIONS, réservez vos places directement sur le site des Talens Lyriques :
https://www.lestalenslyriques.com/event/the-sound-of-music-in-versailles/

 

 

 

Programme « The sounf of the music in VERSAILLES »

Michel Lambert (1610-1696)
Air de cour « Iris n’est plus » (1689)
Air de cour « Jugez de ma douleur » (1689)
Air de cour « Rochers vous êtes sourds » (ca. 1692)
Air de cour « Vous ne sauriez mes yeux » (1689)

Jean-Baptiste Lully (1632-1687)
Le Bourgeois gentilhomme, LWV 43 (1670)
Ritournelle italienne « Di rigori armata il seno » (acte V, 4e entrée)
Isis, LWV 54 (1677)
« Terminez mes tourments » (acte V scène 1)
Air italien, LWV 76/3 (1695)
« Scocca pur tutti tuoi strali »
Ballet royal des Amours déguisés, LWV 21 (1664)
Récit italien d’Armide « Ah Rinaldo ! dove sei ? », (8e entrée)

Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737)
La Bergère, cantate (1728)

François Couperin (1668-1733)
La Steinkerque, sonate en trio (ca. 1692)

Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737)
Le retour de la Paix, cantate (ca. 1709)

 

 

DISTRIBUTION

Ambroisine Bré, Mezzo-soprano
Gilone Gaubert, Violon
Benjamin Chénier, Violon
Emmanuel Jacques, Violoncelle
Christophe Rousset, direction & clavecin

CRITIQUE, opéra. MONACO, Salle Garnier, le 30 octobre 2024. PUCCINI : La Rondine. P. Yende, D. Breiwick, C. Castronovo, J. F. Gatell… Giacomo Sagripanti (direction).

Dommage que l’Opéra de Monte-Carlo ait fait l’économie d’une mise en scène pour la reprise historique de La Rondine de Giacomo Puccini, petit chef d’œuvre qui fut créé sur cette même scène… il y a un siècle ! La version de concert qu’on y a entendue fut cependant fort belle. S’il y a une chose que les « pucciniens, puccinistes, puccinophiles et puccinivores » attendaient de l’Opéra de Monte-Carlo cette année, c’est qu’il remonte La Rondine sur cette scène où l’ouvrage fut créé en 1917. Or les « pucciniens, puccinistes, puccinophiles et puccinivores » n’ont eu droit qu’à une version de concert. Regrettable ! La version de concert fut au demeurant séduisante, avec notamment la voix de velours de Pretty Yende.

 

Crédit photographique © Marco Borrelli

 

Petit rappel historique : en 1913, Puccini reçoit la commande d’un théâtre de Vienne d’un nouvel ouvrage au caractère plus léger que ses opéras précédents. L’idée le séduit. L’histoire sera celle de « L’Hirondelle » (« La Rondine » en italien), femme évoluant dans la haute société qui tombe amoureuse d’un pauvre étudiant et part avec lui sur la Côte d’Azur. La guerre éclatant, plus question de créer l’oeuvre à Vienne ! Monaco, qui est un pays neutre, peut l’accueillir. Et, tandis que le canon tonne en Europe, que la France s’effondre à Verdun et que le ministre de la guerre Lyautey vient de démissionner, la création de l’ouvrage a lieu triomphalement à Monaco le 27 mars 1917, lors d’une soirée de gala à laquelle assiste le prince Albert 1er – et où l’on joue pour commencer les hymnes nationaux français, italien et monégasque…

Cent sept ans après, alors que la situation internationale est quand même moins tragique, la Salle Garnier s’est à nouveau laissée emporter par la volupté de la musique puccinienne. Tout Puccini est là, dans ce petit chef d’œuvre : la tournure mélodique, les harmonies, la sensualité ! La soirée est dominée par la belle voix de Pretty Yende. La musicalité de cette pretty woman de la scène lyrique internationale nous a séduit. Et la beauté de son sourire ne fait qu’ajouter au charme de sa voix. Les duos qu’elle chante avec l’éclatant ténor Charles Castronovo (dont on connaît depuis longtemps les qualités)  font frémir. A leurs côtés, un très bon Prunier (le personnage de poète dans l’histoire…) interprété ici par le ténor Juan Francisco Gatell mais une Lisette à la voix bien pâle (Deanna Breiwick). Dans une distribution où le riche Rambaldo est bien délivré par Roberto de Candia, on remarque également le pétillant trio de jeunes femmes du monde constitué par Marta Pluda, Alexandrina Mihaylova, Valentina Coro.

Les Chœurs sont bien ceux de l’Opéra de Monte-Carlo, mais l’Orchestre venait lui du Teatro Carlo Felice de Gênes. On le sent rompu à la discipline lyrique, et c’est bien normal. Tout ce petit monde est dirigé aussi efficacement qu’élégamment par le chef italien Giacomo Sagripanti. Et c’est ainsi que cette Rondine tourna rond !

 

 

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CRITIQUE, opéra. Monaco, Salle Garnier, le 31 octobre 2024. PUCCINI : La Rondine. P. Yende, D. Breiwick, C. Castronovo, J. F. Gatell… Giacomo Sagripanti (direction). Crédit photographique © Marco Borrelli.

 

VIDÉO : Angela Gheorghiu chante l’air « Che il bel sogno » tirée de « La Rondine » de Puccini

 

GRAND-THEATRE DE LUXEMBOURG. Les 22 et 23 nov 2024. Léo TIRABASSO : « IN THE BUSHES » (nouvelle chorégraphie).

Lauréate du Lëtzebuerger Danzpräis en 2023, Léa Tirabasso (qui vit à Londres) avait précédemment décroché le prestigieux Prix Arts et Lettres de l’Institut Grand-Ducal ; elle est connue pour ses chorégraphies cultivant la tension, l’expression viscérale, l’investigation empirique. Son langage tout en exigeant du corps la quête insatiable du dépassement, malgré ses failles et sa transformation au fil du temps, cible au plus proche, dans le mouvant et le mobile, le sens et l’incohérence de nos sociétés humaines.

Photo : Léa Tirabasso © Camille Greenwell.

 

Plus que des mots ou des commentaires écrits, son écriture chorégraphique exprime le mieux les évolutions sociales et spirituelles dans leurs propres mouvements. « Pourquoi utiliser les mots quand un corps dans l’espace reflète tellement mieux le monde tel qu’il m’apparaît ? » interroge la chorégraphe. Léa Tirabasso, en auteure qui sait jouer avec l’organique et la pulsion, a questionné aussi le lâcher prise et l’acceptation du chaos intérieur dans « TOYS » (2017), après qu’on lui ait diagnostiqué un cancer de l’ovaire. La danse alors insuffle une énergie libérée, entre burlesque, excès, frénésie où la jeunesse exulte dans les excès et la fête jouant avec la mort pour mieux la tromper… Le Centre de création chorégraphique du Luxembourg est depuis une vingtaine d’année, sa seconde maison. C’est un laboratoire permanent où la chorégraphe innove, affine, cisèle chacune de ses nouvelles chorégraphies.

« In the bushes » / Dans les buissons, sa prochaine création, Léa Tirabasso s’inspire du livre de paléontologue Henry Gee, « The Accidental Species », qui remet en question la notion commune que l’homme est le sommet de l’évolution. Avec ses six danseurs, la chorégraphe embrasse l’humanité et toutes ses incohérences, explorant les questions de la honte, de la stigmatisation, des normes sociales ; elle révélant notre moi vulnérable et exposé avec une ferveur et une expressivité à l’inverse, foisonnante, exubérante. Le nouveau ballet est « un rite, une hypnose, une célébration de nos âmes nues, sauvages et exposées ».

Le sublime et si grave « Schicksalslied » de Brahms, op. 54, sert de base à la nouvelle partition électronique de Johanna Bramli et Ed Chivers, déployée pour cette chorégraphie envoûtante et mordante.

 

 

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Léa Tirabasso : In the bushes
Grand-Théâtre de la Ville de Luxembourg
Rond-point Schuman
L-2525 Luxembourg
Grand-Théâtre, studio – Durée : 1h sans entracte – à partir de 14 ans

Vendredi 22 novembre 2024, 20h
Samedi 23 novembre 2024, 21h

 

 

INFOS & RÉSERVATIONS, réservez vos places directement sur le site du Grand Théâtre de Luxembourg : https://theatres.lu/fr/leatirabasso

Vous pouvez également réserver par
[email protected]
+35247963901

 

Léa Tirabasso : In the bushes pour 6 interprètes
ANGLAIS / ENGLISH – The 2023 recipient of Lëtzebuerger Danzpräis, Léa Tirabasso is known for creating choreographies using tension, visceral expression, and empirical investigation. When developing In the bushes, Tirabasso was guided by palaeontologist Henry Gee’s book The Accidental Species, which challenges the common notion of humans being the pinnacle of evolution. She and her six dancers embrace humanity and all its incoherencies, exploring questions of shame, stigma, and societal norms, and revealing our vulnerable, exposed selves with exuberant fervour. Brahm’s Schicksalslied, Op. 54, serves as a base for Johanna Bramli and Ed Chivers’ new electronic score.

Chorégraphie :Léa Tirabasso
Lumières : Ben Moon
Costumes : Jennifer Lopes Santos
Composition : Johanna Bramli & Ed Chivers

Avec
Catarina Barbosa, Karl Fagerlund Brekke, Mayowa Ogunnaike, Laura Lorenzi, Stefania Pinato, Georges Maikel Pires Monteiro

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CRITIQUE, théâtre musical. GENEVE, La Cité Bleue, le 27 octobre 2024 : SEASONS. Mariana Flores, Arezki Aït-Hamou, Russell Kadima TK. La Cappella Mediterranea / Fabrice Murgia / Quito Gato.

La nouvelle structure musicale dont s’est dotée Genève (avec beaucoup de financement privé), La Cité Bleue, voulue et dirigée par le chef argentin Leonardo Garcia Alarcon, est placée au cœur de la Cité universitaire de la cité lémanique. Nous avions annoncé l’inauguration (mars 2024) de ce nouveau lieu culturel dans ces colonnes, dès l’année dernière (au lendemain d’une soirée pré-inaugurale, en novembre 2024), un lieu décidément très actif et “expérimental”, en mettant cette fois à son affiche un nouveau spectacle au carrefour des disciplines, et intitulé « SEASONS« . Ce bain artistique qui jongle avec les esthétiques et les rythmes simultanés prodiguent d’immenses qualités…

 

SEASONS était initialement programmé pour inaugurer la nouvelle salle genevoise. En miroir avec notre époque cataclysmique, l’action mêle trois destins individuels et tragiques ; la serveuse Mariana, victime encore marquée par sa relation amoureuse difficile ; Arezki, livreur, ex-taulard, en resocialisation ; TK, jeune black accro aux mondes virtuels, totalement décalé hors réalité, et rendu aveugle par ses lunettes virtuelles… Chant, musique, jeu scénique, tout fusionne… même si la diversité de ces vies brisées, ou en reconstruction, fait parfois éclater le fil fédérateur.

De fait, les actions se déroulent sans qu’on en comprenne toujours le sens ni la finalité, le spectacle versant ici dans l’éclatement. Justement, le livret nous parle de dernière chance ; dernière chance offerte à tous ceux qui souffrent, coupés des autres ; leur destin tragique les rassemble et le spectacle laisse envisager qu’ils pourraient se sauver les uns avec les autres, en solidarité : casser les solitudes, reconnecter les individus entre eux… avant la ruine annoncée. C’est pourtant l’esprit du « Let’s get it started » de The Black Eyed Peas, qui célèbre sur un mode festif, tout à fait assumé, le salut des fraternités recomposées.

Les trois chanteurs solistes (Mariana Flores, Arezki Aït-Hamou et Russell Kadima TK) réunis sur le plateau sont plus qu’investis : il sont éminemment convaincants. Mariana Flores incarne à ce titre plusieurs identités : Mariana, le personnage de cette action mais aussi la chanteuse “associée” à La Cappella Mediterranea (ici dans un format réduit de 6 musiciens, dirigés du piano par l’italien Jacopo Rafaelle), qui chante un air Barbara Strozzi (“Che si puo fare”) au moment où les auditeurs l’écoutent dans la salle de la Cité Bleue. Les réalités et les temps se mêlent : action de la scène, réalité des interprètes jouant leur partie… Le metteur en scène Fabrice Murgia joue de tous ses registres, y compris entre présent et passé ; la scène du spectacle se déroule dans un décor épuré que l’on découvre être celui qui va brûler en fin d’action. La soprano vedette de La Cappella Mediterranea trouve sa place dans ce spectacle pluriel ; passant avec naturel de l’écran à la scène : le chant est puissant, juste, voluptueux, captivant sur toute la durée. Avec un accent maîtrisé pour la “Lamentation” de Didon (« When i am laid in earth » de Purcell), repris en kabyle par Arezki Aït-Hamou qui incarne l’ex-taulard, le chanteur – révélé par The Voice en 2019 – force l’admiration par l’intensité et la sincérité de son chant comme de son jeu.

 

Pootos © François de Malleissiye

Comme une BO que l’on rembobine rétroactivement, le parcours musical déploie son éclectisme sonore : du Baroque donc (avec Strozzi) jusqu’à Rihanna, sans omettre Bizet, Haendel, Billy Joel, The Beatles et même Abba… auxquels q’ajoutent les superbes musiques « additionnelles » de Quito Gato, l’un des fondateurs de l’ensemble baroque aux côtés de Leonardo Garcia Alarcon.

joués par un quatuor à cordes que complète guitare, percussions et un pianiste, . Mêmes qualités multiples pour Russell Kadima TK, voix aux dons multiples : voix de tête pour le tube haendélien « Lascia ch’io pianga » (extrait de « Rinaldo« ) ou accents plus graves au service de rythmes et couleurs pop, disco, afrobeat… C’est aussi un danseur-acteur dont la gestuelle paraît fragile et précise à la fois, et façonne une vérité humaine qui bouleverse, celle d’un artiste à la confluence, aux visages multiples fusionnés avec maîtrise : une figure aussi juste qu’inclassable.

Tout converge bientôt vers la fin, spectaculaire et catastrophique, comme évacué dans un effondrement général (ou un incendie régénérateur ?… comme à la fin de la Tétralogie wagnérienne…). Il faut bien la main de la fatalité et le couperet du temps pour accomplir le désastre attendu : « Il est trop tard » répète en langue des signes Marianna Flores, comme la sibylle d’un temps à l’agonie. Même destructeur et crépusculaire, le spectacle « Seasons » questionne, stimule, provoque. Sa mise en forme hors des canons classiques, ouvre de nouvelles perspectives théâtrales et musicales qui s’avèrent des plus enthousiasmantes, pour les artistes comme pour le public.

Un spectacle à la fois rare, enchanteur et bouleversant !

 

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CRITIQUE, théâtre musical. GENEVE, La Cité Bleue, le 27 octobre 2024 : SEASONS. Mariana Flores, Arezki Aït-Hamou, Russell Kadima TK. La Cappella Mediterranea / Fabrice Murgia / Quito Gato. Toutes les photos © François de Malleissiye

 

VIDEO : Trailer de « Seasons » à la Cité Bleue de Genève

 

STREAMING, danse. Le Canard Sauvage / Norwegian National Opera & Ballet, Mardi 19 novembre 2024 sur Culturebox et sur france.tv

La chorégraphe Marit Moum Aune et le Ballet National de Norvège / Norwegian National Opera & Ballet, relisent la plus bouleversante des pièces d’Henrik Ibsen : Le Canard sauvage, sur une musique de Nils Petter Molvær.

 

Après les succès internationaux de Ghosts et Hedda Gabler, la metteuse en scène et chorégraphe Marit Moum Aune et le Ballet National de Norvège concluent ainsi leur trilogie d’Ibsen, avec le dernier volet : Le Canard Sauvage. Jusqu’à quel point supporter la vérité ? Chaque grenier recèle des secrets de famille, mais le coin le plus intime du grenier de la famille Ekdal cache le secret le plus précieux de tous : un canard sauvage blessé, à l’aile brisée. Hjalmar Ekdal, l’homme de la maison, est obsédé par le canard, mais il s’efforce de maintenir une façade familiale. La jeune Hedvig ne veut rien d’autre que l’attention de son père. Elle devient peu à peu aveugle, mais a contrario sa clairvoyance psychologique augmente ; elle capte mieux qu’avant les causes d’un dérèglement général : différences de classes, illusions, délires, mensonges, trahison des adultes.

 

De son côté, Gregers Werle, ami de la famille Ekdal bouleverse l’équilibre primordial dans un élan idéaliste en faisant éclater au grand jour les mensonges jusque là réservés sous le tapis. Les danseurs du Ballet National de Norvège dévoilent les sombres secrets du passé, et le réalisme psychologique d’Ibsen prend une toute nouvelle dimension. La musique de Nils Petter Molvær, qui joue également sur scène, intensifie le souffle dramatique de l’histoire ; en une course inexorable où au fil des révélations, implacablement, personne n’en sortira indemne.

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VOIR le STREAMING, danse. Le Canard Sauvage / Norwegian National Opera & Ballet, Mardi 19 novembre à 21h sur Culturebox et sur france.tv : https://www.france.tv/spectacles-et-culture/

Photo © Joerg Wiesner

CRITIQUE CD événement. RYAN WANG joue CHOPIN (Andante spianato et Grande Polonaise brillante, 24 Préludes) – 1 cd L’Esprit du piano (2023)

Révélé récemment lors d’un récital à la Fondation Louis Vuitton, le canadien RYAN WANG (né à Vancouver), actuellement scolarisé à Eton (Grande-Bretagne) et à l’école Cortot à Paris, affirme déjà un tempérament exceptionnellement mûr. Dans ce premier album de jeunesse – enregistré à …16 ans (!), s’imposent naturellement ses qualités de souplesse, de respiration, une musicalité sûre plus intérieure que réellement démonstrative, ce qui chez Chopin est particulièrement profitable. L’Andante spianato est déjà d’une carrure idéalement bellinienne : exposition enchantée, songeuse d’abord, puis aria majestueux, déclaratif.

 

La prise live ajoute à l’intensité et la vivacité de la captation dans sa continuité. Les 24 Préludes de 1839, qui suivent sont remarquablement investis, pensés, absorbés par une saisissante compréhension intérieure, une structuration progressive faite de retenue et d’élans irrépressibles, qui semblent mesurer chaque enjeu intime de chacune des 24 pièces (n°2). Cependant que l’agilité aérienne, bondissante et superbement ronde et fluide du Vivace (n°3 en sol majeur) passe comme une caresse dont l’ondulation dansante et vaporeuse demeure magistrale. Comme des autoportraits de Chopin lui-même, le jeune pianiste esquisse et brosse d’un jeu sûr, les traits psychologiques qui ciblent l’essentiel. Il a même fait le voyage jusqu’à Palma de Majorque pour y retrouver les traces des lieux (et des ambiances) où Chopin les a composés. L’Allegro molto n°5, comme le n°8 (Molto agitato), leurs syncopes schumaniennes transportent tout autant, et le n°6 (Lento assai) affirme d’étonnantes prédispositions pour une suspension hypnotique du son (qualité et caractère que l’on retrouve comme en écho dans le Lento en fa dièse majeur qui prépare à l’émergence du motif principal (n°13). Cette succession quasi schyzophrénique entre lent et vif, constellation ambivalente entre Eros et Thanatos, s’impose par la sureté intérieure, une éloquence impériale tissée dans la mesure et la nuance.

 

Le jeune Ryan Wang sait polir et construire une sonorité à la fois délicate, voire arachnéenne et d’une grande force intime. Bel effet de contrastes en ce sens que l’enchaînement des Préludes n°9 puis 10. Contemplation sereine mais large et ample, le n°14 prélude (c’est le cas de l’écrire) au plus développé n°15, Prélude de plus de 6mn et le plus chopinien de tous : Ryan Wang en saisit l’essence du songe là encore, ciselant chaque jaillissement mélodique comme l’essor fugace et impérial, souverain, du souvenir, lequel est toujours coloré d’une tendresse ineffable et d’une gravité presque douloureuse dans son acuité quasi véhémente et impérieuse… que le jeune pianiste renverse dans le mystère et l’énigme. Ne s’agirait-il pas ici de relier la texture musicale, ses racines tragiques aux poèmes de Shelley et de Byron qu’apprécie tant le pianiste, et qu’il aime évoquer s’agissant du cycle des 24 Préludes ? Le dernier Allegro Appassionato convainc, doué d’une terrible élégance digitale au service d’une activité émotionnelle, à la fois articulée et débordante ; Ryan Wang y explore une matière éruptive, grave et aussi d’une douceur préservée. Sublime accord des contraires.

 

L’intérêt demeure ici le repli et l’ineffable ; la séquence emblématique de sa sensibilité spécifique, est probablement la clé de tout le programme et reflète l’imaginaire captivant, d’un jeune pianiste qu’il faut désormais suivre.

 

 

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CRITIQUE CD événement. RYAN WANG joue CHOPIN (Andante spianato et Grande

1 cd L’esprit du piano – enregistré en 2023

Polonaise brillante, 24 Préludes) – 1 cd L’Esprit du piano (2023) / Enregistré sur un piano Steinway D en oct et nov 2023. CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2024.

 

 

 

 

 

 

 

VIDÉOS

 

Ryan WANG (15 ans) joue Chopin / Polonaise in A-flat major Opus 53

 

 

Ryan WANG (14 ans) joue Chopin / Etude Opus 10 n°10

 

 

VOIR aussi sur YOUTUBE :
https://www.youtube.com/@ryanwangpianist8416

ENTRETIEN avec le compositeur Pierre STORDEUR à propos de l’album « PULSIONS » / Concert de lancement le 9 nov 2024 au TAC de Bois-Colombes

De la rencontre entre le compositeur Pierre Stordeur et le pianiste Julien Blanc découle un disque conçu comme un parcours (« PULSIONS » édité par le label Nowlands), un dialogue musical où la poétique des sons inspire le jeu pianistique, établit de nouvelles connexions sonores avec les auteurs précédents : Ohana, Ligeti, Chopin, Crumb, Bach, Scriabine… Ce sont des arches nouvelles pour des correspondances inédites. Dans le sillon poétique voire expérimental de ses albums précédents (« Collisions », « Masse »), Pierre Stordeur suggère des directions forcément subjectives pour PULSIONS où l’ineffable probable, dessine un schéma mouvant qui a « à voir avec la nature humaine, avec le désir et l’illusion »… C’est un creuset pluriel aussi où s’invitent texte, parole peinture, en une synergie vivante et créative, « une odyssée subtile »…
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CLASSIQUENEWS : Comment avez-vous composé le programme de ce disque ? Comment avez vous sélectionné et agencé chaque œuvre, pour transmettre quel sens ?

PIERRE STORDEUR : Le projet de ce disque renvoie à une collaboration de longue date entre Julien Blanc et moi-même ; nous nous sommes rencontrés en 2015 lors de la 12ème édition du Concours International de Piano d’Orléans. Au fil des années, des projets successifs, nous avons obtenu un corpus d’oeuvres que nous voulions transmettre. C’est donc d’une initiative commune et suite à de nombreux échanges que l’idée du disque est née. Je souhaitais pour ma part éviter un enregistrement monographique. Julien quant-à lui désirait montrer l’étendue de son jeu pianistique. L’idée d’une perspective historique d’œuvres répondait au mieux à nos deux visions. La notion de timbre – la couleur du son – s’est ensuite imposée à nous.
Bien sûr, il ne s’agissait pas de reprendre des oeuvres du mouvement spectral, mais plutôt de trouver des pièces qui, par leur poétique et dans leur langage spécifique, investissaient ce paramètre. Car, au-delà du strict langage musical et des esthétiques différentes, les œuvres dialoguent, entre- elles, avec nous, et ce dialogue constituait déjà les prémices d’un parcours d’écoute du disque.
Ainsi, mes Trois Etudes ont à voir avec les Trois Caprices de Maurice Ohana ; elles en partagent une chatoyante harmonie. C’est une première étape du parcours d’écoute. Dans ce monde acoustique, les repères s’effacent, la pulsation devient alors moins perceptible, les couleurs sont à la fois riches et fugaces. Puis une deuxième phase commence avec Der Zauberlehrling de György Ligeti – une version tout à fait unique soit dit en passant. Le piano devient alors plus concret, plus vingtièmiste, plus prégnant. Mais rapidement ce caractère se dilue dans l’Exil, Prélude d’après… Chopin. L’énergie ligétienne s’évapore dans le suraigu. Fin de la deuxième arche. La dernière partie commence avec Constellations, Prélude d’après… Crumb. Un magma sonore intense donne naissance à une grande mélodie d’accords, vivifiante et dynamique, Le miroir, Prélude d’après… Bach. Mais c’est surtout lorsqu’elle s’arrête qu’on perçoit l’ultime liaison poétique ; celle d’un rétrograde imaginaire avec le début des Trois Etudes op.65 d’Alexandre Scriabine. Ces oeuvres dialoguent. Rien ne les y prédisposait. La brillance et la virtuosité scriabinienne terminent alors ce voyage musical et conclut le disque.

 

Pierre Stordeur © Grace Tian

 

CLASSIQUENEWS : Quelles en sont les sources d’inspiration (sujets, compositeurs précédents, …) ? Y a t il une direction, une architecture sous jacente pour chaque pièce ?

PIERRE STORDEUR : Travailler à l’élaboration d’un disque, c’est, en ce qui me concerne, proposer à l’auditeur de vivre un moment musical à la fois subjectif et assumé. Entrer dans un temps sensible qui, par définition, aura très peu à voir avec la rationalité ou avec l’objectivation des oeuvres. Les notions de sujet ou de thématique s’effacent. Le propos – bien que le terme soit en lui-même assez peu pertinent – se situe dans l’ineffable. Dès lors, on ne peut que très vaguement orienter l’auditeur. C’est le rôle, par exemple, des sous-titres de mes oeuvres – pour lesquels j’use principalement de mots-clés – qui proposent des évocations très lointaines et ouvertes. Ils décrivent parfois mes inspirations. Mais rien ne prouve qu’elles soient perçues en tant que telles par l’auditeur.
« Collisions » renvoient à l’instant historique de la confirmation de l’existence du boson de Higgs au Cern. J’imaginais alors des collisions harmoniques, puis des collisions secondaires et tertiaires jusqu’à la disparition complète de l’énergie initiale. C’est la forme de l’oeuvre, l’énergie se dissipe.
Dans « Masse », la physique est encore là, mais cette fois, les sons s’engluent dans une étrange force d’attraction et de résonance. « Pulsions » a à voir avec la nature humaine, avec le désir et l’illusion. D’ailleurs, elle se transforme en illusion de Shepard – un son continuellement ascendant – dans la partie centrale. L’illusion fonctionne. Presque. Elle devint alors une obsession ; une pulsion incontrôlable.
Les préludes d’après… constituent au contraire une oeuvre de prospection ; je tâche, depuis plusieurs années déjà, de développer un langage musical basé uniquement sur l’accélération ou le ralenti du mouvement. Trouver les outils et les moyens qui permettent la mise en oeuvre de cette vision devient alors une sorte de parcours initiatique dont chaque prélude constitue une étape, nouvelle et importante. C’est seulement ensuite que le sous-titre s’impose, indépendamment de la recherche technique qui lui est affilée. L’exil ? celui de Chopin ? Le Miroir déformant Bach ? Les Constellations du Zodiac des Makrokosmos de Crumb ? Tout cela est possible.

 

CLASSIQUENEWS : Pour les interprètes, pianiste et récitants, quels sont les enjeux, et les défis techniques, interprétatifs ?

PIERRE STORDEUR : Le défi principal a déjà été, pour nous tous, de vouloir sortir des sentiers battus et proposer une version revisitée à la fois du livret et mais aussi du récital de sortie du disque ! La notion de liaison poétique ne pouvait se limiter au simple programme musical, et il fallait bien qu’elle investisse aussi le paratexte ! Ainsi, Julien et moi avons souhaité qu’une synergie d’artistes s’exprime en lieu et place du traditionnel discours historique et analytique du livret. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec Arsène Caens, docteur en sociologie de l’art, pour qu’il organise et conçoive le livret. Il s’en est suivi une fructueuse collaboration avec les poètes contemporains Jacques Jouet, Samuel Deshayes et Guillaume Marie, l’illustrateur Ewen Blain, le pianiste Antoine Ouvrard ou encore la documentaliste Aurore Blaise. Tous interviennent dans un échange libre et improvisé – ayant en main le texte qui devait constituer à l’origine la note de livret – enregistré puis retranscrit a posteriori. Il en ressort une spontanéité qui ne peut que toucher le lecteur. L’aspect labyrinthique des informations disséminées dans la conversation a quelque chose de tout à fait ludique. On se révèle dans la lecture comme on se révèle dans l’écoute.
Il ne restait plus qu’à trouver un pendant visuel pour compléter cette synergie ; un rôle tenu par l’artiste Shuxian Liang. Ses oeuvres de textures, presque stochastiques, de grandes dimensions, incarnent les sons du disque. Elles les rendent visibles. Voilà donc quel était le véritable défi : aligner autant d’efforts, de tant d’artistes qui, par nature, sont si différents. Un enjeu de taille.
Rendre désormais vivant ce travail sur le livret, lui permettre d’envahir l’espace de la scène, tel est le défi qui nous attend le 9 novembre 2024. Julien, Arsène, Jacques et moi, nous serons là pour incarner la voix à cette synergie en temps réel. Nous invitons les spectateurs à un concert alliant musique, poésie, projections mais surtout à une odyssée subtile, à un dialogue entre nos oeuvres.
C’est à la fois un défi créatif – nous avons à faire à une dramaturgie poétique, rien de moins – mais aussi un défi d’interprétation car chacun devra s’inscrire dans un projet qui dépasse son propre domaine d’expertise. Il faudra alors tâcher d’apporter une personnalité, une individualité sans pour autant rompre l’équilibre collectif. Un challenge très excitant. Bienvenue à tous !

 

Pierre Stordeur © Jeanne Weyer-Brown

 

CLASSIQUENEWS : Vers quels thèmes ou réflexions, souhaitez-vous inviter l’auditeur ? pour quelle type d’expérience musicale ?

PIERRE STORDEUR : Ce qui est intéressant dans la notion même de lien poétique, c’est l’extrême richesse et l’extrême diversité des possibilités. Dans ce domaine, la créativité peut s’exprimer pleinement, affranchie de toutes contraintes matérielles, avec, pour seul but, le respect des matériaux artistiques mis en oeuvre. Par son honnêteté et par sa spontanéité, l’expression artistique captive et touche le spectateur, non par une explication rationnelle ou par le panégyrique élaboré. Ceux-ci ont une autre fonction. Alors, on peut s’interroger : comment se fait-il qu’un poème de Jacques Jouet, écrit en 2008, puisse entrer si bien en relation avec l’étude pour piano Pulsions composée en 2020 ?
Comment se fait-il qu’un pianiste habillé en tennisman arrive, raquette en main, pour donner des informations sur la musique d’Ohana et de Scriabine ? Ces liens sont-ils fortuits ? Peut-être, sans doute, mais ils existent bel et bien, ils investissent le réel. Les œuvres, par leur justesse, se rapprochent, nous le ressentons sans pour autant pouvoir l’expliquer clairement. C’est une immersion des sens et non de l’intellect. Telle est l’expérience que nous voulons proposer grâce au disque, au livret ou au récital. De sortir de l’écoute, de la lecture ou de la représentation comme l’on sortirait d’une projection cinématographique d’un Lynch ou d’un Tarkovsky, en s’interrogeant sur les mécanismes qui ont permis l’émotion, irrationnelle mais pourtant bien présente.

 

CLASSIQUENEWS : En quoi ce nouveau programme est-il en accord avec la ligne artistique du label Nowlands ?

PIERRE STORDEUR : Le label NOWLANDS n’a pas de ligne artistique définie. Il s’agit plutôt d’une invitation faite aux artistes à explorer des univers très personnels dans des axes ou des directions originales et sans a priori, dans lesquelles l’excellence musicale est la seule condition. Dans le cas de Pulsions, je dois admettre que le label nous a laissé une grande liberté et n’a jamais chercher à interférer dans la ligne artistique qui se dessinait au fil des sessions. Nous avons même pu bénéficier d’une grande plage de temps entre les premiers enregistrements et l’édition finale de l’objet, ce qui, je dois l’admettre, a permis d’aller au bout des idées. Enfin, je dois insister sur la qualité à la fois de la maîtrise technique – l’enregistrement, la prestation – mais aussi de l’échange humain. Nous avons trouvé en la personne d’Andy Sfetcu un interlocuteur remarquable, très ouvert aux recherches et aux expérimentations, mais aussi réceptif aux intentions et ce, malgré leur complexité. Nous le remercions donc chaleureusement ainsi que toute l’équipe, Diego Pittaluga, Luis Rigou, qui a su nous soutenir dans notre projet !

Propos recueillis en octobre 2024

Photos : Pierre Stordeur (DR)

 

Agenda

CONCERT « PULSIONS », BOIS-COLOMBES, sam 9 novembre 2024.
LIRE ici notre présentation du concert PULSIONS / Julien Blanc / Pierre Stordeur : https://www.classiquenews.com/bois-colombes-92-tac-sam-9-nov-2024-julien-blanc-pierre-stordeur-pulsions-concert-de-lancement-lecture-performance-entree-libre/

 

 

BOIS COLOMBES (92). TAC, sam 9 nov 2024. Julien Blanc / Pierre Stordeur : « PULSIONS », concert de lancement, lecture, performance… (entrée libre)

 

 

CRITIQUE, livre événement. Olivier BAUMONT : D’une partition m’apparaissait un dessin, roman (Bleu Nuit éditeur)

Le claveciniste Olivier Baumont réalise un remarquable texte d’évocation ; qui est donc ce jeune artiste originaire de Saxe et de Dresde, son héros principal, qui ayant rejoint Rome en 1776, rompt avec la tradition familiale (et quelle clan !) pour devenir peintre et non compositeur ?

 

Partant de cette question identitaire, les chapitres cultivent pas à pas la précision d’une époque qui paraît si proche (les années 1770) tout en ne dévoilant rien de l’identité du concerné ; dans la pension qui lui sert d’écrin (et d’atelier), le lecteur lève peu à peu les voiles de son quotidien dans la ville éternelle. Ses brèves rencontres, ses séances de contemplation dans la cité si inspirante, ses choix de sujets, ses dessins, son souci du détail, sa conception de la gravure, du dessin, et cette quête constante de reconnaissance… ses justifications permanentes sur le choix existentiel qui l’a bon gré mal gré séparé de sa tribu de musiciens.

Le style est maîtrisé, offrant une belle évocation de la Rome à l’époque des Lumières, berçant l’inspiration de tous les artistes par la seule présence de ses pins alanguis parmi les ruines antiques et les coupoles partout dans le paysage urbain. Ce cadre naturel inspire à Jean-Sébastien le Jeune, plusieurs vedutas (paysages), à la grande séduction pastorale ; à l’équilibre classique, dans le sillon des paysagistes français du Grand Siècle, Le Lorrain ou même Poussin.

Après les XIV (courts) chapitres du roman proprement dit, la dernière partie élucide l’énigme au cœur du projet littéraire, et présente la biographie de chaque personnage qui paraît dans une évocation très convaincante, développée avec précisions et vraisemblance. Incontournable.

 

 

 

Paysage idéal (DR)

 

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CRITIQUE, livre événement. Olivier BAUMONT : D’une partition m’apparaissait un dessin, roman (Bleu Nuit éditeur) – CLIC de CLASSIQUENEWS automne 2024.

Plus d’informations sur le site Bleu nuit éditeur : https://bne.fr/boutique2/page185.html

 

 

 

approfondir

Johann Sebastian Bach dit « le jeune » (Berlin, 26 Septembre 1748 – 11 Septembre 1778) fut un peintre saxon, décédé peu avant son 30è anniversaire. Il était le dernier fils de CPE Bach, et le petit-fils de celui dont il porta le nom, Jean-Sebastien Bach. Né à Berlin, il passe à Leipzig, Dresde (mai 1773), Hambourg (février 1776) où son père CPE était directeur de la musique. En septembre 1776, JS le Jeune rejoint Rome, la ville des peintres. Là il tombe malade dès février 1777, et meurt à l’âge de 29 ans en 1778 d’une cause encore indéterminée. En fidèle élève de Salomon Gessner, notre jeune peintre réalise de très nombreux dessins, autant d’esquisses préliminaires pour quelques paysages qu’il apprend à perfectionner en védutiste accompli.
Ses (rares) œuvres, paysages ou scènes mythologiques sont conservées dans plusieurs collections privées ou publiques à Coburg, Dresde, Hambourg, Leipzig, Vienne. Le seul portrait de JS Bach le jeune est l’œuvre gravée de Carl Wilhelm Grießmann (1765 – après 1805).

 

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STREAMING opéra. La Flûte enchantée de Mozart par Cédric Klapisch au TCE (novembre 2023). Streaming opéra, Mardi 5 novembre 2024 sur Culturebox et sur france.tv

La Flûte enchantée est l’offrande de Mozart dans le genre populaire. La partition d’inspiration maçonnique (car Mozart était franc-maçon), s’inscrit dans la tradition du Singspiel, version allemande de l’opéra comique français : l’ouvrage comme son équivalent français, associe dialogues parlés et chant.

 

Composée dans une urgence créative, quelques semaines avant la mort du musicien, La Flûte enchantée s’appuie sur le livret de Schikaneder (frère en maçonnerie de Mozart). Sa richesse poétique permet plusieurs lectures : récit symbolique, conte allégorique, fable populaire, comédie féerique, nouveau modèle théâtral et musical pour les planches lyriques…Confronté à la légèreté virevoltante d’un Mozart qui rit, s’émeut avec tendresse, exprime aussi une bouleversante gravité, le cinéaste et scénariste Cédric Klapisch réalise en nov 2023, sa première mise en scène ; il réalise une lecture claire et accessible axée sur le rapport de l’Homme à la Nature, qui fait glisser l’ouvrage, de la chronique familiale à la fable initiatique : la Reine de la Nuit symbolise la Nature sauvage, en opposition à Sarastro, qui représente la civilisation et le savoir…

 

Musicalement Les Siècles, en résidence au TCE depuis la saison 2022-2023 réalise une interprétation détaillée, articulée, mordante où les timbres scintillent comme le permettent les instruments dits historiques (cordes en boyau). Le plateau vocal réunit plusieurs chanteurs de premier plans : fidèle artiste du TCE, le ténor Cyrille Dubois (Tamino), la soprano colorature suisse Regula Mühlemann, le baryton Florent Karrer (Papageno), Anne-Sophie Petit (la Reine de la Nuit), mais aussi Jean Teitgen (Sarastro), Catherine Trottmann (Papagena) et Marc Mauillon (Monostatos) qui font tous les trois des prises de rôle.

 

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VOIR sur CULTUREBOX, La Flûte Enchantée de Mozart par Cédric Klapisch et l’orchestre sur instruments d’époque, Les Siècles, mardi 5 nov 2024, 20h :
https://www.france.tv/spectacles-et-culture/?gad_source=1&gclid=Cj0KCQjwsoe5BhDiARIsAOXVoUtFz6lrA040RBZ-l5kBhV0rYMVaTKD7M3cViiZfCz_KZrFZGCVN1rYaAk99EALw_wcB#at_medium=1&at_platform=2&at_offre=1&at_campaign=Campagne_Programme&at_adgroup=dsa&at_adgroupid=167224280158&at_adid=710491006294&at_term=

 

 

VIDÉO TEASER La Flûte enchantée de Mozart par Cédric Klapisch (nov 2023)

Réalisation : Cédric Klapisch, en collaboration avec Miguel Octave

 / Scénographie : Clémence Bezat / 
Création d’images digitales : Niccolo Casas / 
Illustrations animaux et monstres : Stéphane Blanquet 
/ Costumes : Stéphane Rolland et Pierre Martinez 
/ Lumières : Alexis Kavyrchine
Crédit photographique Théâtre des Champs-Élysées – Vincent Pontet

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GRAND THÉÂTRE DE GENEVE. 12 > 22 déc 2024. GIORDANO : Fedora. Aleksandra Kurzak / Roberto Alagna… Arnaud Bernard / Antonio Fogliani

Né dans les Pouilles, Umberto Giordano gagne une notoriété rénovée en cette année 2024. Son opéra Fedora est peu à peu remis à l’honneur des théâtres, en particulier en décembre prochain, à l’affiche du Grand Théâtre de Genève. Tous les grands chanteurs (d’Enrico Caruso à José Carreras, en passant par Placido Domingo face à Mirella Freni …) abordent son écriture car ils y trouvent une intensité dramatique souvent exacerbée voire crue que tempère et nuance idéalement, un sens inné des élans mélodiques et des vertiges lyriques… expression, beau chant, passion, sensualité, coups de théâtre parfois terrifiants, orchestration riche et colorée, … il ne manque rien aux œuvres de Giordano. D’autant que si son ouvrage précédent « Andrea Chénier », inspiré de la Révolution française et ses dérives sanglantes (1896), est plus célèbre, Fedora est d’une écriture mieux maîtrisée et mérite absolument d’être réestimée.

 

 

D’après la pièce de Victorien Sardou (1882), FEDORA est créée à Milan en 1898 (avec l’immense Caruso dans le rôle de Loris). Comme Tosca, Adrienne Lecouvreur, Turandot, Fedora – à l’origine conçue pour Sarah Bernhardt par Sardou comme Tosca de Puccini, exige de la cantatrice, un tempérament dramatique puissant et une habilité à exprimer les élans du cœur les plus nuancés… A Milan c’est « la Bellincioni » qui créa le rôle-titre ; à Genève, c’est Aleksandra Kurzak qui aux côtés de son époux à la ville, Roberto Alagna, incarnera le destin amoureux semé de rebondissements, de la princesse Fedora Romanov (attention pour certaines dates annoncées, les 12, 15, 17, 19, 22 décembre). Souhaitant venger l’assassinat de son fiancé Vladimir à Saint-Pétersbourg en 1881, la princesse croise à Paris le chemin de Loris Ipanov, l’anarchiste assassin et le dénonce à la police tsariste russe … mais contre toute attente, Fedora comprend la cohérence du geste de Loris (acte II). Pourtant le destin s’acharne, et la princesse vengeresse suscite d’autres assassinats malgré elle… qui la contraignent à s’empoisonner en Suisse à Gstaad (acte III), devant Loris prêt pourtant à tout pardonner. Passion, vengeance, … l’exacerbation des sentiments et des ressentiments engendrent des erreurs fatales. Autant d’effets saisissants que Giordano en compositeur vériste exceptionnel, sait exploiter à dessein.

 

LA PRODUCTION GENEVOISE DE FEDORA
Avec le scénographe Johannes Leiacker, le metteur en scène Arnaud Bernard opte à Genève pour un décorum luxueux, du palais pétersbourgeois aux ors parisiens, jusqu’au chic rutilant d’un hall d’hôtel inspiré du célèbre Gstaad Palace … « Mais il en accuse également le faste abusif, y juxtaposant des perspectives d’ombre qui révèlent le drame sous-jacent. Car la Russie de Fedora Romanova n’est plus ici celle des tsars, mais celle d’une ère post-glastnost, où les services secrets savent user du compromat pour ruiner la réputation de leurs victimes. En 1881, année de l’assassinat d’Alexandre II, Loris Ipanov était vu comme un possible anarchiste. Un siècle plus tard, sous l’œil impitoyable des caméras espionnes, la surveillance s’est accentuée et la sanction du pouvoir prend un tour plus technologique et glaçant. »
En alternance au couple vedette Aleksandra Kurzak / Roberto Alagna, Fedora et Loris seront incarnés aussi par un couple de grandes voix russes actuelles, Elena Guseva et Najmiddin Mavlyanov. De retour place de Neuve après Turandot (2022) et Nabucco (2023), le chef Antonino Fogliani dirige l’Orchestre de la Suisse Romande.

 

 

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INFOS & RÉSERVATIONS sur le site du GTG Grand Théâtre de Genève : https://www.gtg.ch/saison-24-25/fedora/

Fedora, opéra d’Umberto Giordano
Livret d’Arturo Colanti
Créé le 17 novembre 1898 au Teatro Lirico à Milan
Dernière fois au Grand Théâtre en 1902-1903
Nouvelle production – 7 productions
12, 14, et 21 décembre 2024 – 20h
15 et 22 décembre 2024 – 15h
17 décembre 2024 – 19h
19 décembre 2024 – 19h30
Chanté en italien avec surtitres en français et anglais
Durée : approx. 2h40 avec deux entractes inclus

 

 

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Direction musicale : Antonino Fogliani
Mise en scène : Arnaud Bernard

Princesse Fedora Romanoff : Aleksandra Kurzak
(12.12, 15.12, 17.12, 19.12, 22.12)
/ Elena Guseva (14.12, 21.12)
Comte Loris Ipanoff : Roberto Alagna
(12.12, 15.12, 17.12, 19.12, 22.12)
/ Najmiddin Mavlyanov (14.12, 21.12)
De Siriex, un diplomate : Simone Del Savio
Grech, inspecteur de police : Mark Kurmanbayev
Comtesse Olga Sukarev : Yuliia Zasimova
Lorek, chirurgien : Sebastiá Peris
Cirillo, cocher : Vladimir Kazakov
Pianiste Lazinsky : David Greilsammer
/ Jean-Paul Pruna (22.12)

Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande

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VERSAILLES, Chapelle Royale, le 30 nov 2024. Les Maîtres de la Chapelle Royale. Caroline Weynants, André Pérez-Muiño… Ensemble Correspondances

Puissance et raffinement de la musique sacrée du Grand Siècle (XVIIème)… Rien de plus harmonieux qu’une sélection d’œuvres sacrées dans l’écrin qui leur semble idéal : la Chapelle Royale de Versailles édifiée au début du XVIIIè, dernier grand chantier architectural du règne de Louis XIV. Or l’on sait les regrets du Souverain guerrier et au crépuscule de sa vie, son regain de ferveur… les 3 compositeurs semblent répondre à sa quête spirituelle.

 

En février 1704, après plusieurs années de bons et loyaux services à la Sainte-Chapelle, Marc-Antoine Charpentier s’éteint, laissant en héritage à la postérité, un catalogue de partitions parmi les plus raffinées et originales du Grand Siècle. Formé à Rome auprès de Carissimi, Charpentier maîtrise l’art subtil du beau chant français, l’harmonie délicate, la puissance d’un ensemble instrumental qui se pense déjà comme orchestre. Même s’il n’occupe aucune fonction officielle au sein de la Cour de Louis XIV, subissant comme tous les compositeurs, l’omniprésence de l’incontournable surintendant de la musique, Lully, Charpentier devient cependant un modèle pour de nombreux compositeurs… Ses contemporains le connaissaient, scrutaient ses œuvres, et lui vouaient une admiration particulière.

 

Ainsi au début du XVIIIè, André Campra et Nicolas Bernier notamment, s’en sont particulièrement inspirés, jusqu’à lui succéder, après sa disparition ; le premier au service des Jésuites de la rue Saint Antoine, le second comme maître de Musique de la Sainte-Chapelle. Le programme réunit trois artistes majeurs qu’il est urgent d’apprécier à leur juste immense valeur. De surcroît sous la nef majestueuse et raffinée de la Chapelle Royale de Versailles.

 

 

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Les Maîtres de la Chapelle Royale
Samedi 30 nov 2024, 19h
Durée : 1h10mn
INFOS & RÉSERVATIONS directement sur le site du Château de Versailles Spectacles : https://www.operaroyal-versailles.fr/event/les-maitres-de-la-chapelle-royale/

 

distribution

Caroline Weynants, Dessus
André Pérez-Muiño, Haute-contre
Vojtech Semerad, Haute-contre
Jacob Lawrence, Taille
Étienne Bazola, Basse-taille
Lysandre Châlon, Basse

Ensemble Correspondances
Sébastien Daucé, direction
Les Pages et les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles

Programme

Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)
Motet pour une longue offrande

Nicolas Bernier (1665-1734)
Cum Invocarem

André Campra (1660-1744)
De Profundis

ORCHESTRE SYMPHONIQUE D’ORLÉANS. Les 30 nov et 1er déc 2024. SURPRISES ! Haydn (Symphonie n°94 « Surprise »), Mozart (Concerto pour basson), Ravel. Lola Descours, Marius Stieghorst (direction)

Vous avez dit « magie de la musique classique » ? Comment en douter en écoutant ce programme surprenant, irrésistible, pétillant… Au programme une soirée pleine d’élégance, d’humour, de facéties et de grâce viennoises… (Haydn et Mozart), de raffinement sensible et néo classique (Ravel)…

 

Laissez-vous subjuguer par la sensibilité ardente, vive, ciselée de Lola Descours, soliste de renom, actuellement basson solo de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam, lauréate de plusieurs concours, elle est la première lauréate du prestigieux concours russe Tchaïkovsky en 2019. La bassoniste vous enchantera dans le concerto pour basson de Mozart. Sa virtuosité et son élégance apporteront une touche de grâce et de sophistication à cette œuvre magistrale, exaltant toute la beauté et la subtilité de la composition de Mozart.

L’occasion unique de vivre une soirée enchantée est ainsi proposée ; « Que vous soyez un amateur de longue date  ou un nouveau venu désireux de découvrir ses merveilles, ce concert promet une expérience inoubliable ». Donnant l’esprit et le caractère à l’ensemble du programme, la Symphonie n°94 de Haydn dite « Surprise », est créée en mars 1792, lors de la 6è saison londonienne Haydn-Salomon. Son orchestration pour 2 flûtes, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors et 2 trompettes avec timbales, exprime un sommet d’élégance et une inventivité naturelle qui écartent tout ce qu’avait encore de compassé et de majestueux la symphonie précédente n°93… Le coup de timbale à la mesure 16 de l’Andante, devait surprendre (et réveiller) les auditrices assoupies… bel humour pétillant dont Joseph Haydn avait le secret et dont ses symphonies sont subtilement imprégnées.

 

 

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Concert « Surprises ! : HAHN, MOZART, RAVEL, HAYDN
Samedi 30 novembre 2024 , 20h30
Dimanche 1er décembre 2024, 16h
Théâtre d’Orléans

INFOS & RÉSERVATIONS directement sur le site de l’Orchestre Symphonique d’Orléans : https://billetterie-orchestreorleans.mapado.com/event/375987-concert-surprises?utm_source=activetrail&utm_medium=email&utm_campaign=Newsletter%2077

Durée : 1h20 avec entracte

 

 

Programme :

Mozart, Ouverture – HAHN
Concerto pour basson et orchestre – MOZART
Le tombeau de Couperin – RAVEL
Symphonie 94 « Surprise » – HAYDN

INVALIDES. Lun 18 nov 2024, Grand Salon. De Gaulle par Francis Huster. Concert – lecture avec Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyel

La 31ème Saison musicale des Invalides promet bien des moments d’exception ; après un somptueux concert d’ouverture beethovénien (sur instruments d’époque…), le prochain temps fort convoque la figure admirable de Charles de Gaulle, dans un programme mêlant récit et musique. Portés par les lectures de Francis Huster, qui évoque des discours et déclarations emblématiques du Général et de ses alliés, deux instrumentistes, la violoncelliste Emmanuelle Bertrand et le pianiste Pascal Amoyel, proposent un florilège d’œuvres musicales en miroir, signées Saint-Saëns, Poulenc, Debussy, Messiaen, Fauré, Bridge, Chostakovitch, Bizet et Bernstein.

 

Dès la création de la France libre, le Général de Gaulle s’affirme comme le représentant d’institutions françaises, dotées des attributs du pouvoir régalien. Cette action s’inscrit également dans le domaine de la culture, avec la mise en place d’une véritable politique d’action culturelle dans les territoires ralliés mais aussi la volonté de conquérir les cœurs et les esprits des états neutres ou alliés, en encourageant l’action d’un réseau informel d’artistes et de personnalités en exil. En référence aux lectures, par Francis Huster, d’extraits de discours et déclarations du général de Gaulle et de hautes personnalités françaises ou étrangères s’étant ralliées à lui, Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyel réalise un parcours musical complémentaire. La soirée évoque la vie, l’œuvre, la gloire du Général ; le « souffle ardent et visionnaire » de son tempérament hors normes qui prit rendez-vous avec l’Histoire. Le choix des compositeurs ainsi joués, exprime aussi la force mais aussi la portée d’âme et la sensibilité teintée de pudeur de De Gaulle, figure légendaire, modèle et héros de l’Histoire de France.

Le concert fait partie du premier cycle de 14 concerts de la nouvelle saison 2024 – 2025 intitulé « Une certaine idée de la France », en référence à la première phrase des Mémoires de guerre du Général de Gaulle.

LIRE ci après notre ENTRETIEN avec Christine DANA-HELFRICH qui conçoit l’ensemble de la programmation musicale du Musée de l’Armée / Invalides.

 

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INVALIDES, Grand Salon
Lundi 18 novembre 2024, 20h
INFOS & RÉSERVATIONS directement sur le site des Invalides / saison musicale 2024 – 2025 : https://www.musee-armee.fr/au-programme/cette-semaine-au-musee/detail/de-gaulle-par-francis-huster-concert-lecture.html

 

Distribution
Francis Huster, récitant
Emmanuelle Bertrand, violoncelle
Pascal Amoyel, piano

Conditions d’accès :
Tarif A : 35€ / 8€

 

Approfondir

INVALIDES, le 10 oct 2024. Concert d’ouverture, BEETHOVEN : Symphonie n°5, Concerto pour piano n°1 (Mari Kodama), Le Cercle de l’Harmonie, Jérémie Rhorer (direction) : https://www.classiquenews.com/invalides-10-oct-2024-concert-douverture-beethoven-symphonie-n5-concerto-pour-piano-n1-mari-kodama-le-cercle-de-lharmonie-jeremie-rhorer-direction/

 

LIRE aussi notre ENTRETIEN avec Christine DANA-HELFRICH, conservateur en chef du patrimoine, chef de la mission musique et responsable artistique de la Saison Musicale du Musée de l’Armée aux Invalides – à propos de la saison 2024-2025 : https://www.classiquenews.com/entretien-avec-christine-dana-helfrich-conservateur-en-chef-du-patrimoine-chef-de-la-mission-musique-et-responsable-artistique-de-la-saison-musicale-du-musee-de-larmee-aux-invalides-a-propos-de/

 

LIRE aussi notre article présentation : INVALIDES 2024 – 2025. 31ème saison musicale. L’esprit de Locarno / Une certaine idée de la France, L’Exil / 350ème anniversaire de la Fondation des Invalides… Le Cercle de l’Harmonie, Les Talens Lyriques, Roberto Alagna, Karine Deshayes, Isabelle Druet, Ensemble Contraste, Johan Farjot, Orchestre Symphonique de la Garde Républicaine… : https://www.classiquenews.com/invalides-31e-saison-musicale-2024-2025-lesprit-de-locarno-une-certaine-idee-de-la-france-lexil-350e-anniversaire-de-la-fondation-des-invalides-le-cercle-de-l/

 

ORCHESTRE COLONNE. Mer 13 nov 2024. MOZART : Requiem. CHAMINADE : Concertino pour flûte. CHARUEL (création mondiale). Marc Korovitch, direction

Le Requiem de Mozart n’en finit pas de susciter les questions : œuvre mythique, la partition laissée inachevée par Mozart, est aussi considérée comme son testament spirituel. Et comme souvent la réalité dépasse l’imagination : il s’agit d’une œuvre que Mozart ne devait pas signer (!)… : le comte de Walsegg, le commanditaire, ayant exigé de pouvoir en revendiquer la paternité. Une œuvre ainsi réattribuée dont l’écriture fut maintes fois interrompue.

 

Et qui fut probablement influencée par le Requiem de Michael Haydn (Mozart ayant assisté, ébloui, à sa création 20 ans auparavant). C’est enfin l’histoire d’une veuve, Constance Mozart, qui fit croire au commanditaire que la partition de son mari avait pu parvenir jusqu’à son terme, occasionnant un enchevêtrement invraisemblable de plumes pour achever la partition (Freystädtler, Eybler, puis Süssmayr sont les compositeurs qui après la mort de Mozart, travaillent à partir des indications manuscrites laissées par le compositeur). Et si le Requiem de Mozart, était une partition médiane, essentielle faisant le lien entre les derniers feux du classicisme des lumières et le fantastique surnaturel du Romantisme à venir ?

 

Très récemment nommée Flûte solo à l’Orchestre National de l’Opéra de Paris, la toute jeune Iris Daverio ressuscite l’éclat et l’élégance du Concertino de Cécile Chaminade, charmante et lumineuse petite pièce composée en 1902. Puis, l’Orchestre Colonne aura l’honneur de présenter en 1ère audition la toute dernière création de la compositrice Clémentine Charuel. Enfin, poursuivant une tradition initiée durant la saison dernière, ce concert propose en fin de programme, comme une adresse au public, une « œuvre mystère », une invitation au voyage : il s’agit de présenter une œuvre sans en révéler le nom ni son compositeur (avant l’écoute), plaçant ainsi l’auditeur en état de réceptivité totale. Et vous, devinerez-vous l’identité de son auteur ? Venez participer au voyage que propose les fabuleux instrumentistes de l’Orchestre Colonne !

 

 

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ORCHESTRE COLONNE
Mozart : Requiem
Mercredi 13 novembre 2024, 20h
Salle Gaveau
 – 45 Rue La Boétie, 75008 Paris
INFOS & RÉSERVATIONS directement sur le site de l’ORCHESTRE COLONNE : https://www.orchestrecolonne.fr/agenda/saison-2024-25/symphonique/mozart-requiem/
Durée : 1h35 (avec entracte)

 

 

Programme

CHAMINADE
Concertino pour flûte et orchestre

CHARUEL
Ouverture sur un fragment d’histoire (création mondiale)

MOZART : 
Requiem

L’Invitation au voyage
Oeuvre mystère à découvrir lors de ce concert

Distribution
Iris DAVERIO · Flûte
Gloria TRONEL · Soprano
Lisa BENSIMHON · Soprano
Gisèle DELGOULET · Alto
Boris MVUEZOLO · Ténor
Max LATARJET · Basse

Ensemble Vocal Bergamasque
Pierre-Louis DE LAPORTE · Chef de chœur

ORCHESTRE COLONNE
Marc KOROVITCH, direction

CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra-Comique, le 25 octobre 2024. G. BENJAMIN : Picture a day like this. M. Crebassa, A. Prohaska, J. Brancy… Christine Soma / Georges Benjamin.

Reprise d’une production aixoise de cet été, “Picture a day like this”, le quatrième opus lyrique de Georges Benjamin fascine toujours autant. Encore une réussite exemplaire !

 

Après le flamboyant Lessons in Love and Violence sur le destin tragique d’Edward II d’après Marlowe, George Benjamin et son fidèle dramaturge Martin Crimp reviennent vers la forme brève de l’opéra en un acte qu’ils avaient éprouvé avec leur premier opéra Into the Little Hill. Commande du Festival d’Aix-en-Provence, cette fable ordinaire mâtinée de merveilleux fascine par sa rigoureuse linéarité dramatique. Et comme toujours, texte et musique frémissent à l’unisson, retrouvant l’idéal du genre à sa création. Sur une scène dépouillée, entourée de miroirs, une femme pleure la mort de son enfant – évoquée par les sonorités délicates de la harpe – qui ne pourra revenir à la vie que si elle rencontre, dans l’espace d’une seule journée (l’unité de temps de la tragédie classique) une personne heureuse qui voudra bien lui donner un bouton de sa veste. Elle fera successivement la rencontre d’un couple amoureux, d’une compositrice bipolaire flanquée de son assistant, d’un artisan, d’un collectionneur ; tous se révèleront, à la fin, malheureux, malgré les apparences trompeuses. La dernière encontre achève le conte dans la plus complète ambiguïté quant à l’issue du drame, puisque la jeune mère rencontre une femme, Zabelle, sorte de miroir inversé de l’héroïne, qui se dit heureuse précisément parce qu’elle n’existe pas. Une création virtuelle qui est aussi une allégorie de la création littéraire. Au cours de ces tableaux successifs, la Femme ne rencontre donc que l’apparence du bonheur, derrière laquelle se cachent en réalité la jalousie, l’aliénation, la vanité et la solitude, constituant autant de péripéties du drame, alors que la jeune femme, au terme d’un véritable parcours initiatique, découvre dans sa main le fameux bouton du salut.

 

Crédit photographique © Stefan Brion

 

Le décor imaginé par Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma, responsables également de la mise en scène, des lumières et de la dramaturgie, évoque la traversée du miroir, idée reprise d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll ; trois murs aux portes réfléchissantes et pivotantes qui laissent apparaître quelques rares éléments de décor : un lit pour le couple d’amants, une cage de verre pour l’Artisan, un tapis roulant pour la compositrice avant que n’apparaisse l’élément le plus spectaculaire du drame, le jardin paradisiaque de Zabelle, fait de plantes en croissance et de concrétions de minéraux, superbement imaginé par le vidéaste Hicham Berrada, qui permet de multiplier les effets de miroirs et les perspectives et devient à son tour une allégorie de la création artistique.

Dans le rôle principal, la mezzo Marianne Crebassa – pour qui le rôle a été écrit – impressionne de bout en bout par son timbre chaud, sombre et rond, et magnifiquement projeté, en particulier dans les dernières pages de la partition, vocalement plus exigeantes. Anna Prohaska campe une Zabelle sans faille, dont la voix de soprano est censée apporter une réponse au questionnement de la Femme, dans une idéale complémentarité vocale et dramaturgique. Les autres chanteurs, tous excellents, interprètent deux rôles. Beate Mordal incarne tour à tour et magistralement l’Amante puis la Compositrice, dans les deux cas, dans un rapport distancé des plus efficaces à l’égard de la Femme. Amant, puis assistant de la Compositrice, Cameron Shahbazi prête son timbre flûté de contre-ténor pour exprimer l’insolence éclatante de sa jeunesse dans le premier rôle, et l’insolence tout court pour le second. Enfin, remarquable Artisan puis Collectionneur, le baryton John Brancy révèle à la fois ses dons exceptionnels d’acteur et une voix d’une étincelante puissance.

À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, aux effectifs réduits mais d’une densité et d’une précision de métronome, le compositeur dirige une partition luxuriante qui mêle harpe, célesta, cuivres, bois et cloche, et envoûte le spectateur dès les premières notes qui l’installe dans une atmosphère mystérieuse qui ira crescendo. Avec Picture a Day like this, Benjamin et Crimp signent un nouveau chef-d’œuvre.

 

 
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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra-Comique, le 25 octobre 2024. G. BENJAMIN : Picture a day like this. M. Crebassa, A. Prohaska, J. Brancy… Christine Soma / Georges Benjamin.

 

VIDÉO : TEASER de « Picture a day like this » de G. Benjamin l’Opéra-Comique (oct 2024)