dimanche 19 janvier 2025

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 6 décembre 2024. POULENC : Dialogues des Carmélites. V. Santoni, M. Lamaison, S. Koch, V. Gens, P. Petibon… Olivier Py / Karina Canellakis

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Brigitte Maroillat
Brigitte Maroillat
De formation juridique, et passionnée de musique et d’opéra depuis l’adolescence, Brigitte Maroillat a collaboré à Opera Online en 2017/2018 puis à Forumopera.com de 2018 à 2024 avant de rejoindre ClassiqueNews. Elle est aussi administratrice de la page Facebook du baryton-basse José van Dam.

La reprise de Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc dans la mise en scène d’Olivier Py au Théâtre des Champs Elysées, montre à quel point sa saisissante approche traverse le temps avec un succès sans cesse renouvelé. L’on a pu en effet, en ce vendredi 6 décembre, mesurer tout l’impact émotionnel du spectacle dans l’intensité du religieux silence avec lequel le public a accueilli chaque tableau, presque pictural, de cette fresque grandeur nature.

 

L’on sait la puissance de l’esthétisme en clair-obscur de la proposition scénique d’Olivier Py, de ce noir criant dans la lumière aveuglante, exprimant la noirceur glaçante de la peur avant que la mort ne blanchisse les cadavres. Sans oublier ces mots inscrits à la craie sur les murs qui portent la force évocatrice de la mise en scène à son paroxysme. Dans ce ballet d’ombre et de lumière, Olivier Py met aussi en lumière la face obscure des personnages qui se sont longtemps cherchés ici-bas et trouvent leur raison d’être dans l’ultime sacrifice de leur vie. La succession de tableaux d’une sombre luminosité expose à nos regards toute l’abomination d’une situation désespérée dans une époque chaotique de l’Histoire qui fait et défait les destins. Certaines scènes ont été travaillées au cordeau sur le plan dramaturgique, comme celle de la longue agonie de Madame de Croissy, un plan en contre-plongée très cinématographique, d’un réalisme saisissant qui glace le spectateur d’effroi. Tout comme la scène finale, évocation à la fois violente et poétique de la montée au ciel des quinze carmélites sacrifiées sur l’autel de la Terreur, au son pétrifiant du couperet de la guillotine qui résonne en écho dans la salle.

 

Quant à la caractérisation des personnages, on est ici loin des standards de l’enregistrement de Pierre Dervaux, servis par les interprètes de la création de 1958. Sur la scène du Théâtre des Champs Elysées en 2024, chacune des interprètes semble réinventer son personnage à l’aune de son tempérament, ce qui peut d’emblée surprendre, mais qui n’est pas pour déplaire, et amène une inspiration nouvelle à ces Carmélites dans la tourmente. Vannina Santoni confère à Blanche une force décuplée qui rend hommage à son patronyme mais qui diffère sensiblement de l’image habituelle du personnage par essence craintive. Avec une voix à l’aisance absolue et une présence lumineuse, la soprano corse, à l’évidence transcendée par le destin de son personnage, délivre un portrait tourmenté mais pétri de convictions. Par des aigus faciles, et un léger et charmant vibrato, Manon Lamaison donne ici une certaine étoffe à Sœur Constance, moins candide qu’à l’habitude. Patricia Petibon interprète une Mère Marie plus fébrile que Blanche ne l’est ici, ce qui est paradoxale tant elle est censée tempérer les angoisses de la jeune sœur. Elle ne semble pas particulièrement à l’aise dans ces habits de chef de communauté, ce qui se sent dans l’émission de la voix parfois tendue et des aigus manquant d’arrondi. Véronique Gens campe une Lidoine à la digne posture qui enrobe à merveille, par une voix souple, une bienveillance qu’elle tente de dissimuler. Loin de jouer les seconds couteaux, Sophie Koch habite pleinement Madame de Croissy avec une santé vocale, et une énergie qui redonne couleurs et vie à un personnage pourtant à l’article de la mort !

 

Côté masculin, Alexandre Duhamel en Marquis de La Force se distingue par la noblesse du timbre et une exceptionnelle présence scénique dans le premier tableau. L’aigu n’a toutefois pas dans ce répertoire l’éclat ni la vaillance auxquels le baryton nous a habitués. La révélation de la soirée est sans nul doute Sahy Ratia, ténor au style Mozartien, qui délivre une leçon de chant, par un phrasé impeccable, une ligne d’une grande pureté, et une diction exemplaire. Une virtuosité qui atteint son point d’orgue dans le duo du parloir avec Blanche, où les deux voix s’étreignent dans un émouvant ballet. Une mention spéciale sera délivrée à l’Aumônier de Loïc Felix qui, par son bel instrument, a fait entrer la lumière dans le couvent des Carmélites.

 

 

Découverte dans un programme Wagner au festival de Saint Denis un soir de juillet 2021, la cheffe Karina Canellakis avait retenu toute notre attention par un travail minutieux sur les lignes mélodiques. Ce soir, dans Dialogues des Carmélites, se gardant de toute lecture éthérée de la partition, elle épouse le parti d’une lecture alerte dont l’efficacité dramatique se déploie en subtile harmonie avec la dimension spirituelle de la partition. Elle sait trouver les lignes de tension et porter l’orchestre dans des crescendos d’une grande intensité notamment dans les trois points culminants de l’œuvre que sont La mort de la Prieure, le duo du parloir entre Blanche et son frère et le « Salve Regina » d’une grande puissance grâce à un Chœur Unikanti ici à son meilleur.

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 6 décembre 2024. POULENC : Dialogues des Carmélites. V. Santoni, M. Lamaison, S. Koch, V. Gens, P. Petibon… Olivier Py / Karina Canellakis. Toutes les photos © Vincent Pontet

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