Le GSTAAD NEW YEAR MUSIC FESTIVAL ne cesse d’impressionner : il est devenu en quelques années la destination clé pour tout amateur d’opéras, pour tout amoureux des grandes voix et des grands interprètes. De quoi s’élever encore et toujours, à l’image des cimes enneigées qui surplombent les paysages alpestres locaux.
Après un premier récital lyrique des plus convaincants, donné la veille (Rosa FEOLA, 27 déc), en ouverture de cette 19è édition, voici le premier volet des soirées dédiées aux duos de choc. Et quel duo ! Pour se chauffer, les deux solistes qui sont sur la scène des interprètes particulièrement investis, affirment d’emblée, chacun, un tempérament dramatique, très en situation, prolongement naturel de leur expérience scénique qui n’est plus à prouver ; ce sont deux incarnations d’abord verdiennes, immédiates et intenses, qui annoncent la couleur et qui font de l’église de Saanen, le temps du programme, une scène lyrique particulièrement percutante. En particulier vériste. Photos : © Patricia Dietzi / 19ème Gstaad New Year Music Festival 2024-2025.
D’abord place à la prima donna de ce soir : la mezzo ELINA GARANCA. Présence volcanique, regard affirmé, la diva chante l’implacable ambition de Lady Macbeth [« La luce langue »] ; portait vocal d’une ambitieuse devenue criminelle et déjà reine, prête à tout pour satisfaire son obsession du pouvoir et qui n’hésite pas à morigéner son époux s’il ne s’exécute pas. Intense, ardente, l’actrice brûle la scène grâce à une caractérisation vocale remarquable, aussi nuancée que percutante. C’est le cerveau du couple Macbeth : démoniaque, habitée, et comme possédée par la pensée du personnage, sa Lady Macbeth, affirme une aisance dramatique doublée d’un chant puissant et velouté, d’une somptuosité naturelle qui captive. Puis stylé et tout autant investi, son partenaire, le ténor vedette JONATHAN TETELMAN, affirme dans « Quando le sere al placido », des aigus ardents pour l’invocation de Rodolfo, âme tragique et noire, dévastée, éperdue telle que l’a conçu Schiller, dans son ouvrage source : Luisa Miller. Le Rodolfo de Jonathan Tetelman a cette vaillance, l’énergie et ce fruité vocal proche d’un Corelli ; ce qui fonde tout l’attrait actuel de ses Verdi, Puccini, sans omettre ses rôles véristes.
Bellini les réunit dans le premier duo ; certes engagé mais pour nous le moins convaincant, plus enclin au volume sonore qu’à la ciselure d’un belcanto idéalement nuancé. Cependant la tension et l’urgence de la situation l’exige car ici, le romain Pollione, vaillant, vainqueur, décidé à quitter Norma (dont le fameux Casta diva nous a été remarquablement offret par Rosa Feola la veille à Rougemont), entend séduire définitivement Adalgisa et l’emmener avec elle à Rome.
La meilleure séquence en justesse dramatique et intonation demeure la série des 3 extraits de Cavalleria Rusticana qui convoque dans tout son réalisme psychologique, le théâtre tragique, éruptif de Mascagni.
D’abord, Jonathan Tetelman affirme un Turridu éperdu, enflammé, d’emblée, incandescent. Aigus pleins, ardents, portés par une énergie continue, irradiante ; puis « la Garanca » n’a rien à lui envier bien au contraire : sa Santuzza est exceptionnelle, en expressivité, sensualité, abattage textuel. La diva ne force en rien tant son incarnation demeure de bout en bout évidente, déployant peu à peu la rage amoureuse, l’ampleur du sentiment de trahison dont elle est la victime, à la fois impérieuse et inconsolable.
Son intensité tragique s’avère bouleversante jusque dans ses imprécations finales bientôt criminelles… La diva exprime avec un tempérament impérial sa lave implacable qu’inspire l’immensité de son amour trahi ; la puissance de l’incarnation est d’autant plus convaincante que son chant déploie une volupté jamais tendue ; c’est une rage caressante dont la réussite fait rappeler son Eboli écoutée applaudie sur la scène de Bastille.
Tout en savourant chaque tirade d’un texte remarquablement vécu, l’auditeur se délecte de couleurs vocales aussi séduisantes, d’harmoniques aussi riches, d’un médium aussi large et coloré. Sans omettre des aiguës déchirants et eux aussi, toujours magnifiquement timbrés. Leur duo, entre rage et outrage (« Tu qui, Santuzza?… ah ! Lo vedi ») confirme les affinités irrésistibles des deux acteurs chez Mascagni. Leur confrontation demeure mémorable.
Changement de ton et de langue, (passant de l’italien à l’allemand), voici pour la 3e et ultime séquence, 3 airs d’ouvrages signés Franz Lehar. Elina Garanca déploie un tout autre registre entre coquetterie royale et légèreté feinte ; son Ilona [Zigeunerliebe] est altère et facétieuse ; d’une noblesse de ton souveraine avant la seconde partie de son air, qui emprunte au folklore hongrois le plus échevelé.
Jonathan Tetelman se montre tout aussi convaincant en ardent séducteur dans l’air d’Octavio [Giuditta] et les deux concluent en complicité et élégance le récital par le duo fameux extrait de La Veuve Joyeuse [Die lustige Witwe], « Lippen schweigen » qui fusionne deux cœurs fiers et racés, ceux d’Hannah et de Danilo, enfin reconnectés. D’une suavité complice, en partage, les deux chanteurs déploient leur passion accordée, grandissante, des plus enivrées, qu’une première idylle avait rapprochés et que l’action finale réunit définitivement dans l’un des duos les plus fameux du genre opérette viennoise.
Récital généreux, percutant, magistral. Voilà qui souligne la très haute tenue du Gstaad New Year music festival, où décidément les plus grandes voix lyriques du moment aiment à déployer leurs qualités les plus enivrantes.
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CRITIQUE, récital. GSTAAD NEW YEAR MUSIC FESTIVAL, Saanen, le 28 déc 2024. Récital lyrique Elina Garanca, Jonathan Tetelman… airs et duos de Verdi, Mascagni, Bellini, Lehar… Frédéric Chaslin, piano.19ème GSTAAD NEW YEAR MUSIC FESTIVAL, jusqu’au 11 janvier 2025. https://www.classiquenews.com/gstaad-suisse-gstaad-new-year-music-festival-gnymf-du-27-decembre-jusquau-11-janvier-2025-jonathan-tetelman-elina-garance-sonya-yoncheva-michele-lariviere-bohdan-luts-karen-kuronu/
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