Initialement dirigé par Nathalie Stutzmann, que toutes les grandes salles symphoniques du monde s’arrachent désormais, la cheffe française a été contrainte d’annuler sa venue pour raison de santé, et c’est le non moins excellent chef ukrainien Kirill Karabits qui a repris le flambeau en dernière minute. Dans un programme 100% Chostakovitch, compositeur qu’il connaît et fréquente depuis toujours, il fait des étincelles dans la magistrale 5ème Symphonie du compositeur russe, à la tête d’un Orchestre National de Lyon des grands soirs…
Mais avant le plat de résistance que constitue une symphonie en seconde partie de programme, place au Concerto pour violoncelle N°1 du même Chostakovitch, composé (en 1959) à l’intention de Mstislav Rostropovitch, et défendu ce soir par le jeune virtuose français Edgar Moreau, que l’on ne présente plus tant il occupe désormais une place de choix parmi le paysage des grands violoncellistes de notre époque…
Le compositeur souffrant de poliomyélite à l’époque de sa composition, il y exprime de manière particulièrement dramatique ses états d’âme du moment. Pour autant, et se référant à J. S. Bach, il utilise les quatre lettres de l’abréviation de son patronyme pour en faire l’évocation même du thème de son concerto : DSCH (ré-mi bémol-do-si). Il est consrtuit en quatre mouvements, depuis l’insouciance désinvolte jusqu’à l’ironie sarcastique, si caractéristique de la musique de Chostakovitch. Le final est terrifiant, utilisant la mélodie préférée de Staline, Suliko, mais en la défigurant sous la forme d’un cri de désespoir – en souvenir macabre de l’homme qui lui avait infligé tant de persécutions. Rostropovitch lui-même a évoqué les grandes difficultés d’exécution de ce mouvement, demandant de la part de son exécutant une énergie quasi surhumaine, ce sont le jeune Moreau ne manque pas, ne reculant devant aucune des violences, des accents heurtés, des apeurements, ou des véhémences de cette musique aux accents déchirants. Le public lyonnais lui fait un triomphe, et il le remercie en lui offrant, en bis, les doux accents d’un mouvement d’une des Suites de Bach…
En seconde partie de soirée, place à la grandiose Cinquième Symphonie, sans doute la plus jouée de Chostakovitch, mais surtout la plus autobiographique de son compositeur, qui reflète, malgré sa fausse insouciance, les angoisses des purges staliniennes en cours à l’époque de sa composition. Les incessants “La” – répétés inlassablement pendant le 4ème et dernier mouvement qui se veut plein d’emphase – traduisent bien le sentiment d’oppression et démentent la “bonne humeur” à laquelle prétend la symphonie.
Et tant Karabits que tous les pupitres de l’OnL nous régalent. Techniquement, tout d’abord : l’aisance des cordes, la qualité des attaques, la concentration de tous les instants laissent pantois. Musicalement, ensuite : la sûreté du jeu et la liberté des solistes fascinent. Leur manière de changer radicalement d’atmosphères, de varier les couleurs au sein même de leur pupitre, de laisser s’épanouir un thème sans rupture de tension et avec une dynamique incroyable est remarquable. Tel solo de basson offre une impulsion dramatique immédiate dans laquelle l’orchestre s’engouffre avec délices. Pas un excès qui ne soit ici musicalement justifié, tandis que le chef ukrainien fait évoluer avec une vraie maestria les phrases entre climats inquiets et héroïsme de façade. Du grand art que l’audience ne manque pas de saluer avec fracas, plébiscitant cette grande soirée Chostakovitch au sein de l’Auditorium Maurice Ravel !
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CRITIQUE, concert. LYON, Auditorium Maurice Ravel, les 19 et 20 décembre 2024. CHOSTAKOVITCH. Edgar Moreau (violoncelle), Orchestre National de Lyon, Kirill Karabits (direction). Toutes les photos (c) Emmanuel Andrieu
VIDEO : Mikko Franck dirige la 5ème Symphonie de Dmitri Chostakovitch (à la tête de l’OPRF)