dimanche 19 janvier 2025

CRITIQUE CD événement. MONTEVERDI : Vespro della Madonna 1643. Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre (2 cd Château de Versailles Spectacles)

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A 46 ans, le Crémonais Monteverdi déjà célèbre arrive à Venise (1613), comme maître de chapelle à San Marco. La chapelle du doge méritait bien le meilleur d’entre tous les compositeur de ce premier baroque italien (Seicento). Vincent Dumestre imagine une célébration à la gloire de Marie, un Vespro inédit qui utilise les pièces vénitiennes les plus dramatiques conçues par le grand Claudio, tout en respectant le plan d’une Messe historique… Il en découle ce Vespro inédit, furieusement spirituel, intensément fervent dont le geste et la restitution interprétative forcent l’admiration. Voici assurément l’une des réalisations les plus convaincantes portées, éditées par Château de Versailles Spectacles. C’est notre connaissance de la musique du dernier Monteverdi qui est ainsi totalement renouvelée…

 

A Venise, cité moderne avant toute autre, musicalement aux avant postes de l’expérimentation la plus audacieuse (stile concertato vénitien, style polychoral basilical,…), le Crémonais perfectionne encore son écriture comme en témoignent pour le comte Mocenigo, son sublime Combattimento de Tancredi e Clorinda (1624) ; nombre de musiques cérémonielles (pour les funérailles de Cosme II de Medici en 1621 à Santi Giovanni e Paolo ; en août 1623, à San Rocco ; surtout le lancement du chantier de la Salute en 1631 avec le Gloria a 7 ; en 1635 aux Frari, devant la Pala du Titien !)… ; sans omettre l’apport majeur des partitions les plus tardives : la Selva morale (1640, qui comprend entre autres, le Gloria précité) ainsi que le recueil posthume de 1650, Messa a quatro voci e salmi.

 

Sur la base du témoignage de Constantin Huygens le 24 juin 1620 à Venise, à propos d’une célébration des Vêpres à San Giovanni Battista in Bragora – témoignage plus que dithyrambique, Vincent Dumestre rétablit une nouvelle version des Vêpres montéverdiennes ; non pas celles bien connue de 1610, mais une célébration en tant que directeur de la musique basilicale du Doge ; dans les faits, la Messe des Vêpres connaît dans la cité lagunaire, un essor exceptionnel, en raison de la dévotion spéciale à la Vierge ; chaque célébration est composée de 5 psaumes, d’un hymne et d’un Magnificat ; chacun des 5 psaumes (Dixit Dominus, Laudate Pueri, Laetatus sum, Nisi Dominus, Lauda Jerusalem) étant suivi d’un motet ou concerto sacro dans le style authentiquement vénitien, fusionnant spiritualité et sensualité. Le choix des pièces concerne surtout l’activité du compositeur à Venise, entre 1614 et 1643 ; ses compositions déposées dans les 2 derniers recueils : Selva morale et recueil posthume de 1650. Ainsi surgit le Monteverdi le plus tardif, le plus accompli. Le plus inspiré aussi, car la dévotion mariale concerne plusieurs partitions parmi les plus ambitieuses du compositeur.

 

Les interprètes éclairent surtout l’ampleur, la démesure et les audaces harmoniques d’un Monteverdi dont le geste spirituel est permis par une musique des mieux inspirées (étirement extatique et idéalement mystérieux du motet Stabat Virgo Maria / SV96, réalisé après le 2è Psaume principal Laudate pueri primo).
Comme un sublime théâtre sacré, ou un opéra dramatique et spirituel, le cycle ainsi construit met en avant l’acuité et le relief expressif de chaque séquence, cette faculté unique qu’a Monteverdi à caractériser, sublimer, animer un texte (ainsi les vertiges vocaux et choraux du Laetatus sum primo réalisés ici avec une élasticité expressive superlative entre grandeur et respirations profondes, à la fois doxologiques et fortement individualisées : une équation joyeuse, exclamative à 6 voix, qui relève du miracle absolu ! plage 10 cd 1).
Le choix de la couverture du double cd est bienvenu : l’esthétique réaliste et spirituel du Caravage rappelle tout à fait l’éclairage que favorise Monteverdi sur chaque texte liturgique (Madone des Pèlerins, 1604). Le parallèle est tout à fait pertinent. Chacun des deux créateurs aura révolutionné l’art à son époque ; comme souvent, le peintre avant le musicien.

Le Salve Regina SV 284 est encore plus intéressant, éblouissant et dramatique pour les 2 voix féminines, à la fois implorantes et aussi architectes d’une cathédrale fervente ancrée dans la certitude de la foi la plus infaillible.
La passion théâtrale culmine – si redevable à l’essence dramatique du Livre VIII de madrigaux, dans le 4è Psaume : Nisi Dominus où se détache un travail spécifique sur la dramatisation du texte en stile concitato, halluciné, alternant avec des grandes plages planantes quasi abstraites (« Vanum est vobis »).
Autant d’expressionnisme vocal, de radicalité dans le geste interprétatif ne s’étaient guère autant épanouis que récemment et toujours sous le label du Château de Versailles Spectacles… dans les Grands Motets, revisités, totalement régénérés par Stéphane Fuget et ses troupes des Épopées (dont on retrouve certains complices comme Cyril Auvity…).
Trombone, cornet à bouquin, harpe triple… Vincent Dumestre sait ajouter le relief particulier de timbres idéalement calibrés, qui associé à l’implication des voix solistes, atteint des prodiges sonores.
Le trouble pathétique, sommet de la douleur demeure le Pianto della Madonna joué dans le prolongement du Nisi Dominus (ici 4è et avant dernier Psaume de tout l’édifice) – la pièce parfaitement placée est le contrafactum du Lamento d’Arianna de 1623, sa version « spirituelle » ; sa forme qui relève de la secunda prattica s’insère idéalement dans le cycle de ce Vespro marial inédit.

De rigueur pour chaque Vêpre, l’ultime Magnificat (ici émergeant après le dépouillement réalisé par l’hymne précédent : Ave Maris stella) affirme une ferveur rayonnante et dynamique, jubilation vécue individuellement par les voix solistes (2 sopranos, joute des 2 ténors sur le mot « Gloria »,…). C’est un accomplissement collectif qui exprime avec un relief vivace, dans le grandiose et la sincérité, le vertige de la ferveur, la sincérité d’une dévotion franche et partagée. Remarquable recréation qui vient à propos réformer notre connaissance du dernier Monteverdi vénitien. L’enregistrement décroche logiquement notre CLIC de CLASSIQUENEWS !

 

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CRITIQUE CD événement. MONTEVERDI : Vespro della Madonna 1643. Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre (2 cd Château de Versailles Spectacles) – enregistré à la Chapelle Royale de Versailles, en avril 2024 – CLIC de CLASSIQUENEWS

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