Ce n’est pas une sempiternelle opérette qui clôt l’année à l’Opéra de Lyon, où Richard Brunel lui a préféré un opéra (drôle) de Gioacchino Rossini, Il Turco in Italia, en faisant appel au très farceur Laurent Pelly pour la mise en scène (on se rappelle d’un hilarant Comte Ory en 2014 in loco…), et l’on pouvait compter sur lui pour parer le spectacle de couleurs “festives”.
L’homme de théâtre français transpose ainsi l’action dans l’Italie des Seventies, où Fiorilla s’échappe de la grisaille de sa vie avec Don Geronio dans un pavillon de banlieue en se noyant dans les romans-photos nés en Italie à la même époque. C’est de l’un d’eux, mais plus encore de sa fertile imagination, que Selim jaillira, tout de blanc vêtu et poitrail à l’air, dans une scène qui provoque l’hilarité du public. Avec la fidèle Chantal Thomas, il imagine une scénographie constituée de pages de magazines, tandis que des cadres blancs descendent des cintres, pour immortaliser certaines poses des protagonistes. Autre grand moment de la soirée, celui du grand imbroglio de l’acte II, quand les différents couples, vêtus de la même façon se démultiplient à l’infini, en mimant les mêmes gestes saccadés, exemple typique de folie absurde toute “pellyienne”.
Dans le rôle-titre, le baryton roumain Adrian Sampetrean se montre parfaitement à l’aise dans cette difficile écriture rossinienne destinée à une basse-colorature : il y fait étalage de l’extraordinaire verve scénique et vocale que nous lui connaissons. Souffrante, la soprano catalane Sara Blanch s’est vue contrainte de mimer le rôle, pendant que sa consoeur italienne Giuliana Gianfaldoni chantait la partie de Fiorilla, côté cour. L’une scéniquement comme l’autre vocalement, les deux sopranos confèrent à leur personnage toute la gaieté insouciante, l’arrogance, la pétulance et l’espièglerie de cette femme mariée à un homme bien plus âgé qu’elle, en quête d’aventures épicées. Et Gianfaldoni se joue des pièges de sa partition, s’affirmant avec autant d’éclat dans son grand air du deuxième acte que dans celui qu’elle délivre à la fin du premier. Dans le rôle de Narcisso, le ténor britannique Alasdair Kent possède également un timbre séduisant, à la technique sûre, mais la voix manque néanmoins de l‘italianità requis par sa partie.
De son côté, notre baryton “national” Florian Sempey n’a pas de mal à faire du poète Prosdocimo le maître d’œuvre du spectacle, en adhérant avec une formidable conviction à ce personnage d’impresario sans scrupule, qui manipule son entourage au gré de sa fantaisie et des caprices de son imagination, avec une voix toujours plus éclatante de santé et de verve. De son côté, le vétéran italien Renato Girolami ne manque pas d’impressionner dans le rôle de Don Geronio, ce cocu magnifique à la fois comique et touchant, auquel il apporte son art consommé du chant sillabato. Saluons enfin les prestations de la mezzo Jenny Anne Flory, qui confère beaucoup de fraîcheur, mais aussi de précision, au rôle de Zaïda, quand le ténor letton Filipp Varik (Albazar), également membre de l’Opéra Studio de l’Opéra de Lyon, se tire avec honneur de ses quelques interventions.
En fosse, sous la battue pleine de panache du chef italien Giacomo Sagripanti, l’Orchestre national de l’Opéra de Lyon crépite d’allégresse, irrésistible et « spumante » comme un grand verre d’Asti.
Un spectacle parfait pour les Fêtes !
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CRITIQUE, opéra. LYON, opéra de Lyon (du 11 au 29 décembre 2024). ROSSINI : Il Turco in Italia. A. Sampetrean, S. Blanch, A. Kent, F. Sempey… Laurent Pelly / Giacomo Sagripanti. Toutes les photos © Paul Bourdel
VIDEO : Trailer du « Turc en Italie » selon Laurent Pelly à l’Opéra de Lyon