vendredi 9 mai 2025
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CRITIQUE CD événement. JEAN-NICOLAS DIATKINE, piano : Beethoven, Liszt, Wagner… LIVE 2021 & 2023 / Récitals à Gaveau (1 cd Solo musica)

A partir de 2 récitals mémorables à Gaveau en 2021 et 2023, le pianiste Jean-Nicolas Diatkine (né en 1964) publie un programme idéal, par sa force dramatique, son imagination ciselée, sa construction poétique, soulignant les filiations ténues, organiques entre Liszt et Wagner…

 

Les Bagatelles de Beethoven tout d’abord, composent une entrée fabuleuse : respirations, articulation naturelle, suggestions des contrechamps, évocations des mondes parallèles et toujours cet allant qui coule comme une onde magicienne (2è séquence : « Allegro ») ; le pianiste nous gratifie de son art suprême, apparemment bénin mais si essentiel dans la construction et la conception : « bagatelles », elles n’en ont que le nom – bien davantage que des esquisses fugitives ou des « petits riens » insignifiants ; au contraire car leur énoncé si vital s’inscrit nécessaire dans la réalisation des 6 épisodes – Jean-Nicolas Diatkine en exprime aussi la méditation existentielle où la puissance de l’architecture (conçus simultanément à la 9è symphonie) courtise l’élégance, nous rappelant les valeurs si justes qui présentait Beethoven dans la filiation des grands génies qui l’ont précédé et dont il réalise la synthèse : équilibre facétieux de Haydn (son maître à Vienne), grâce divine de Mozart.

 

La Sonate en si de Liszt illustre davantage encore la notion de jaillissement spontané, propre au live, a contrario de l’esthétique studio fabriquée, composée d’une multitude de séquences qui sont des reprises dans le détail, réalisées en sacrifiant le principe même d’écoulement, donc d’expérience continue comme le vivent interprète et auditeurs au concert. Ou comme ici au disque. Jean-Nicolas DIATKINE délivre sa conception supérieure de la Sonate la plus captivante du sorcier Liszt qui se fait grand dramaturge, l’égal au piano de la source goethéenne, celle qui dresse et cisèle les figures démoniaques / angéliques de Faust, Marguerite, Mephistofélès… les 4 épisodes s’assimilent à un opéra pianistique, sans paroles aux vertiges particulièrement dessinés dans un souffle continu : les trajectoires expressives, personnifiées s’y croisent à chaque extrémité : le gouffre et les tourments infernaux pour le docteur trop audacieux, l’apothéose et le salut final pour Marguerite, victime sacrifiée et béatifée au final (comme chez Berlioz et son opéra sur le thème, La Damnation de Faust). Nuancé, mystérieux, somptueusement expressif, le pianiste- en alchimiste de la grande forge pianistique, a bien raison de publier cette prise live du concert salle Gaveau (décembre 2023) où toute sa science digitale sert un formidable imaginaire constellé de crépitements et de vertiges maîtrisés, l’alanguissements solitaires, d’interrogations profondes, de renoncements, de désirs insatisfaits… On se souviendra longtemps de la direction conclusive de la « Stretta quasi presto » / IV qui exprime au final le sentiment d’une exténuation, le point ultime d’une extase spirituelle, – élévation conquise de haute lutte.

 

Bel effet de filiation / admiration que d’enchaîner ensuite avec la transcription du même Liszt, de la mort d’Isolde du Tristan und IsoldeIsolde Liebestod ») de (son gendre) Wagner, lequel contrairement aux époux Schumann, avait immédiatement capté comme Richard Strauss, le génie à l’œuvre dans la Sonate en si mineur… Jean-Nicolas Diatkine en suggère avec une justesse mesurée, le souffle suspendu, cet appel à l’extase infinie, à la fois évanescence et accomplissement, dans un jeu d’une souplesse dansante.

Autre prodige absolu, la Ballade n°2 est contemporaine de la Sonate et comme elle en si mineur (1853) ; la partition s’immerge dans un bain primitif de création du monde ; maelstrom d’où surgit le chant essentiel d’un piano en totale extase aux confins d’une grâce énigmatique et elle aussi dansante. Liszt semble parcourir et traverser de façon répétitive et jusqu’à l’obsession, tout le spectre sonore et expressif de l’instrument, de l’ombre à la lumière ; récapitulant en quelque sorte son propre itinéraire terrestre ; de l’ombre à l’éblouissement chantant ; cette ascension primitive dans son cas réalise et permet le jaillissement du geste créateur ; domptant l’énergie, travaillant la matière sonore vers ce qui l’anime et le porte toujours, une révélation finale, un éblouissement espéré…

 

Il faut de la candeur et le sentiment d’une grâce vécue, intime, préservée pour exprimer l’angélisme tendre et caressant des motifs dans l’aigu ; sous des doigts aussi inspirés, voici le grand Liszt, conteur hors pair ; il fait rugir la matière sonore, la hissant vers des cimes inexplorées (jusqu’au grandioso final), transformant la ballade en rite, en passage qui éprouve la conscience et fortifie toujours l’exigence, la puissance de l’élan spirituel.
Le sens architectural, la finesse des phrasés, la justesse des respirations expriment, et la force des évocations et l’urgence du sentiment qui les portent, vers cette exténuation douce finale qui dévoile le Liszt conquérant, le barde et poète… Difficile d’éprouver expérience plus aboutie et juste. Jean-Nicolas Diatkine nous régale de bout en bout dans ce programme très emblématique de son art. Magistral.

 

 

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CRITIQUE CD événement. JEAN-NICOLAS DIATKINE, piano : Beethoven, Liszt, Wagner… LIVE 2021 & 2023 / Récitals à Gaveau (1 cd Solo musica). CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2024

 

 

 

 

Prochain concert

PARIS, Salle GAVEAU, lundi 16 déc 2024, 20h30. Récital de Jean-Nicolas Diatkine – Au programme : BACH (Concerto italien BWV 971), SCHUBERT (4 Impromptus opus 90), SCHUBERT-LISZT (Auf dem Wasser zu singen, Serenade, Marguerite au rouet), BEETHOVEN (Sonate n°21 opus 53 « Waldstein »). Infos & réservations directement sur le site de la Salle Gaveau: https://www.sallegaveau.com/spectacles/jean-nicolas-diatkine-piano-5#

 

 

VIDÉO – témoignages du public à la sortie du récital à Gaveau, 16 déc 2024 :

 

 

CRITIQUE, concert. PARIS, Théâtre des Champs Elysées, le 3 décembre 2024. Bruce Liu, piano

Il y aurait 50 millions de pianistes en Chine (amateurs ou professionnels). Certains disent 60 millions. On n’est pas à 10 millions près ! En plus, il y a les pianistes chinois qui sont hors de Chine. Lui fait partie de ceux-là. Lui, c’est le pianiste qui nous a éblouis au Théâtre des Champs Elysées hier soir. Lui s’appelle Liu : Bruce Liu.

Bruce Liu est cet extraordinaire virtuose qui a remporté en 2021 le concours Chopin de
Varsovie. Voyez arriver sur scène, d’un pas nonchalant, ce beau jeune homme aux longues mains. Il s’installe au piano. Dès la première note, la magie commence. On parle parfois de « jeu perlé ». Aucune expression ne convient mieux au jeu de Liu. Il est d’une éblouissante clarté, d’une rondeur parfaite, d’une précision absolue. Ce jeu a une perfection d’ordinateur – avec, bien sûr, un frémissement humain. Au long de la soirée, il a feuilleté Les Saisons de Tchaïkovski, ce recueil de jolies pièces évoquant tous les mois de l’année. Lorsqu’il arriva à la célèbre barcarolle du mois de juin, la salle s’immobilisa. Avec quelques notes simples, il tenait en respect tout son public. On constata une fois de plus que lorsqu’un grand artiste s’exprime, il n’a pas besoin de faire de grandes démonstrations de virtuosité acrobatique pour éblouir une salle, quelques notes paisibles superbement jouées suffisent !

Par la suite, Bruce Liu nous prouva quand même qu’il pouvait aussi être un transcendant
virtuose. Se lançant dans la 4ème Sonate de Scriabine, il déploya une rage sauvage – surtout dans le « Prestissimo volando » du final. Puis, dans le même registre, il aborda la 7ème Sonate de Prokofiev. Elle aussi nécessite une phénoménale virtuosité. Dans cette œuvre, le piano devient un instrument à percussion, en particulier dans le final « Precipitato ». Des accords d’acier s’enchaînent dans une mesure à 7 temps, la main gauche joue en mineur tandis que la droite en majeur. Il faut « attaquer » le clavier, au sens presque guerrier du terme. On est proche de l’art martial. Bruce Liu fait du Bruce Lee. Mais il garde toutefois une sorte d’élégance dans sa fureur. Bruce Liu a la rage distinguée. Son jeu clair fait merveille. Parfois on l’aimerait un peu plus charnu, avec un brin d’âme en plus. Mais il est déjà magnifique ainsi.

Arrivé à la fin du récital, il nous manquait quelque chose : du Chopin ! C’est ce qu’on
attendait du vainqueur du concours de Varsovie. Il nous l’apporta en bis avec la Fantaisie-
Impromptu. Jouée avec une grâce d’elfe, elle valait à elle seule un récital entier ! On fut
comblé.

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CRITIQUE, concert. PARIS, Théâtre des Champs Elysées, le 3 décembre 2024. Bruce Liu, piano

CRITIQUE, opéra. ISTANBUL, Atatürk Cultural Center, le 29 novembre 2024. ROSSINI : Maometto II. D. Özkan, D. Bilgi, A. Karayavuz, U. Toker… Renato Bonajuto / Z. Lazarov

Maometto Secondo représente l’ultime ouvrage que Gioacchino Rossini composa pour le San Carlo de Naples, après les éclatants succès remportés in loco par Elisabetta en 1815, Otello (1816), Armida (1817), Mosè (1818) et La Donna del lago (1819). Composé sur un livret que Cesare Della Valle avait écrit d’après sa propre tragédie Anna Ezio, Maometto II est créé le 3 décembre 1820 dans le prestigieux théâtre napolitain avec la star absolue du chant lyrique de l’époque, la mythique Isabella Colbran, dans le rôle d’Anna. Disparu assez vite de l’affiche après la révision (avec lieto fine) donnée à la Fenice de Venise pour le carnaval de 1823, Maometto devint, le 9 octobre 1826, Le Siège de Corinthe – qui marqua les débuts de Rossini à l’Opéra de Paris. Traduit aussitôt en italien, c’est sous le titre d’Assedio di Corinto que l’œuvre de Rossini fit carrière ensuite, jusqu’à ce que le Festival de Pesaro ne ressuscite, pour son édition de 1985, la première mouture de l’opéra – partition originale que l’Opéra national d’Istanbul (Grande salle de l’AKM) reprend en ce moment (et jusqu’au 25 décembre), en ses murs.

 

Ce qui frappe de prime abord, à son écoute, ce sont les saisissantes beautés qu’elle recèle, s’avérant par ailleurs bien supérieure à l’édition française, où Rossini simplifie beaucoup son discours musical. Maometto II possède probablement beaucoup plus de hardiesse que n’importe quel autre opéra napolitain, non seulement dans l’exploitation des instruments (ici utilisés au complet et dans toutes leurs possibilités) mais aussi dans le choix même du sujet (une histoire d’amour au cœur de la guerre entre Vénitiens et Turcs au XVe siècle) où Rossini va à l’encontre des règles du mélodrame, ne serait-ce qu’à propos du suicide final d’Anna – supprimé dans la seconde mouture vénitienne de 1823, qui inspirera plus d’un opéra de Donizetti… – dans laquelle toute l’ambivalence de l’héroïne romantique qui choisit de se supprimer, obéissant à son devoir de patriote, renonçant à son amour coupable pour le Turc envahisseur, est une porte ouverte sur le théâtre de Verdi. Musicalement les exemples que l’on pourrait prendre pour souligner l’importance de cette partition sont à citer à la pelle, de la prière extatique d’Anna « Giusto Ciel » à l’éblouissante page de Calbo « Non temere d’un basso affetto » précédée par une introduction orchestrale d’un effet saisissant, en passant par l’entrée de Maometto d’une fière et franche allure. Mais ce serait détruire en quelque sorte la beauté première de cet opéra dont la continuité bannit les numéros si agaçants dans ce type de répertoire, Rossini refusant l’accord final pour introduire aussitôt la mélodie suivante.

Cette composante essentielle de continuité, le chef bulgare Zdravko Lazarov et le metteur en scène italien Renato Bonajuto l’ont bien intégrée, pour la reprise de cette production étrennée en février dernier. Le premier sait lier chaque phrase musicale dans une lecture tellement présente et tellement précise qu’elle ne laisse pas se relâcher l’attention du spectateur qui écoute un premier acte d’une heure et demie subjugué par cette musique coulant comme une source d’eau rafraîchissante. Maestro Lazarov, déjà en fosse le mois passé dans L’Enlèvement au sérail de Mozart au Surreya Opera (le second opéra d’Istanbul, sis du côté asiatique de la mégalopole turque) sait aussi faire partager à son auditoire son visible amour pour cette musique, apportant cette note de jouissance sensorielle qui est le secret même de l’esthétique rossinienne.

Confiée au jeune metteur en scène Renato Bonajuto, la mise en scène repose beaucoup sur l’imposante scénographie imaginée par Zeki Zarayoglu, avec ses hauts murs gris amovibles, auxquels viennent s’adjoindre des draperies pour les scènes d’intérieur, ou la statue colossale de quelque guerrier grec. Le jeu savant des lumières (conçues par Ahmet Defne), renforcé par de nombreuses vidéos projetées en arrière plan (montrant des cieux rougeoyants ou menaçants, ou un beau clair de lune…), et enfin la beauté palpable des costumes (signés par Gizem Betil, blancs pour les Grecs rouges pour les Ottomans), sont soulignés par le port impeccable des chanteurs, qui ne semblent même plus sur scène tant ils vivent le drame avec vérité.

 

Ainsi l’autorité et la présence scénique de la formidable basse turque Dogukan Özkan  (Maometto II) – découvert par nous cet été dans L’Italienne à Alger du même Rossini à l’excitant Rossini Festival de Bad Wildbad (en Allemagne) qui allie à une puissance dramatique constante, un art consommé de la vocalisation rapide. En se jouant de manière si déconcertante des difficultés techniques de son rôle, il apparaît comme un plausible successeur aux grands titulaires du rôle du passé. Dans la partie de Calbo, sa compatriote Asude Karayavuz rend la dignité qui sied à son personnage, grâce à une authentique noblesse d’accent et de geste. Confrontée à ce rôle, l’un des plus vertigineux jamais écrits par Rossini, la mezzo turque sort triomphante, jouant franc jeu avec une tessiture qui l’oblige à pousser sa voix aux limites extrêmes de son grave et de son aigu. De son côté, Diruba Bilgi, (Anna) – si elle n’a certes pas la voix de Colbran, véritable soprano coloratura dramatique à la limite du mezzo -, elle connaît bien les règles du chant. Avec une musicalité qui ne lui fait jamais défaut, elle sait mettre en relief l’élégance de son phrasé, ainsi que la beauté de sa ligne mélodique. Entièrement sur le souffle, son « Giusto ciel » montre les possibilités d’une émission qui, dans le registre extatique, peut faire merveille. Enfin, dans l’écrasante scène finale, la soprano turque sait faire ressortir tout le fatalisme tragique et la profonde résignation d’un personnage voué à la mort. Ce n’est pas le moindre de ses mérites. Les deux ténors en présence – Ufuk Toker en Paolo Erisso et Yoel Kesap en Condulmiero – n’auront pas droit aux mêmes éloges, sans démériter non plus. Mais la vocalisation et les suraigus propres à leur personnage sont souvent hors de portée pour eux, en plus de posséder deux timbres sans grande séduction, et que Rossini appelle. Très bien préparés par leur chef de choeur italien Paolo Villa, les nombreuses interventions des tout aussi nombreux choristes (70 en tout !) participent pleinement à la réussite du spectacle.

Une grande soirée belcantiste à l’Opéra national d’Istanbul !

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CRITIQUE, opéra. ISTANBUL, Atatürk Cultural Center, le 30 novembre 2024. ROSSINI : Maometto II. D. Özkan, D. Bilgi, A. Karayavuz, U. Toker… Renato Bonajuto / Z. Lazarov. Toutes les Photos (c) Opéra national d’Istanbul

 

ORCHESTRE NATIONAL DE LILLE. Concert de fin d’année : les 11, 15, 17 décembre 2024. Feliz Navidad ! Albéniz, Chabrier, De Falla, Granados, (concerto d’Aranjuez de) Rodrigo… ONL / Milos (guitare) / J-M. Zeintouni (direction)

Hommage aux paysages ensoleillés pour les fêtes de fin d’année : l’Orchestre National de Lille rêve de soleil et plonge dans les délices des musiques hispaniques. En préambule, le guitariste monténégrin Miloš, « le plus en vogue de la planète » selon le Sunday Times,…

 

Le soliste invité captive et envoûte dans le célébrissime Concerto d’Aranjuez de Rodrigo (1939) : une évocation nostalgique d’une Espagne traditionnelle et enchantée, dans l’esprit des Nuits dans les jardins d’Espagne de De Falla. Pour autant, Aranjuez reste un souvenir tragique pour le compositeur qui, avec son épouse, aurait perdu un enfant mort né, comme en témoigne en particulier la couleur sombre voire funèbre de l’Adagio… où caresse le timbre lointain et évanescent du cor anglais. Photo : grand portrait du guitariste MILOS © DR / https://milosguitar.com/media/

 

Le chef québécois Jean-Marie Zeitouni, qui fut percussionniste est grand amateur de musique latine : le rythme, la couleur, l’énergie des partitions choisies à Lille, l’inspirent au plus haut point. Aux côtés d’Albéniz (Suite espagnole) et de De Falla (Le tricorne) qui ont su sublimer les airs du folklore le plus authentique, chef et orchestre abordent aussi l’Espagne rêvée, fantasmée, brossée avec génie par Rimsky (splendide Capriccio espagnol opus 34, 1887) et par Chabrier. Autre joyau, la partition de Boccherini très narrative voire anecdotique intitulée « Musique nocturne des rues de Madrid », d’une verve inspirée, riche en pittoresque et contrastes : à la Cour du roi d’Espagne, l’italien Luigi Boccherini évoque une « retraite » où les soldats de la garnison impose dans la rue madrilène, le couvre-feu à minuit. Sur le rythme d’une marche percussive, Luciano Berio en 1975, passionné de relectures d’après des mélodies populaires, réécrit la partition de Boccherini du XVIIIè, en déduit une nouvelle œuvre qui fusionne 4 versions de la mélodie originelle, laquelle suscita un immense succès du vivant de Boccherini.

 

Les musiciens jouent aussi un extrait du Tricorne de De Falla, ballet de 1919 pour les Ballets Russes à Paris : place aux rythmes flamencos de la danse du Meunier (réalisée à la création par le danseur Leonid Massine) avant l’ivresse débridée des castagnettes de la Danse finale… Le maestro conclut la soirée avec Danzon n°2 du compositeur mexicain Arturo Márquez. Un concert qui enivre et emporte… dont on ressort la tête pleine de rythmes et d’allégresse.

 

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CONCERT DE FIN D’ANNÉE
Orchestre National de Lille

Mercredi 11 décembre 2024 – 20h
Dimanche 15 décembre 2024 – 16h
Mardi 17 décembre 2024 – 20h

INFOS & RÉSERVATIONS, réservez vos places directement sur le site de l’ON LILLE, ORCHESTRE NATIONAL DE LILLE : https://onlille.com/choisir-un-concert/categories/concert-de-fin-dannee

 

 

Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908)
Capriccio espagnol op.34 [1887] — 15’
Alborada (Vivo e strepitoso) / Variations (Andante con moto) / Alborada (Vivo e strepitoso)
Scène et chant gitan [Allegretto] / Fandango asturiano
Joaquin Rodrigo (1901-1999)
Concerto d’Aranjuez [1940] — 21’
Allegro con spirito / Adagio / Allegro gentile

 

Entracte

 

Emmanuel Chabrier (1841-1894)
España [1883] — 7’
Isaac Albéniz (1860-1909)
Suite espagnole op.47 [1887] — 4’
Cataluña
Luigi Boccherini (1743-1805) / Luciano Berio (1925-2003)
Quatre versions originales de « Ritirata notturna di Madrid » [1975] — 6’
Isaac Albéniz (1860-1909)
Suite espagnole op.47 [1887] — 6’
Asturias
Manuel de Falla (1876-1946)
Le Tricorne, suite n°2 – Extraits [1919] — 10’
Danse du Meunier / Danse Finale

 

Jean-Marie Zeitouni, direction
Miloš, guitare
Orchestre National de Lille
Jan Orawiec, violon solo

 

OFFRE SPÉCIALE NOËL 2024
Dès le 3 décembre, pensez à notre Abonnement Noël ! -25% sur toutes les catégories avec le pack contenant les trois concerts suivants : – Une vie de héros le 16 janvier à 20h – Rameau, Mozart & Schubert le 28 février à 20h – Mozart, Rachmaninov & Chin le 2 avril à 20h

 

Milos – DR

CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 2 décembre 2024. DEBUSSY / PROKOFIEV / BRAHMS. Lisa Batiashvili (violon) / Orchestra dell’Academia Nazionale di Santa Cecilia di Roma / Daniel Harding (direction)

Les musiciens de l’Orchestre de l’Académie Sainte-Cécile de Roma ont débarqué à la Philharmonie de Paris. Ils ont ensoleillé le répertoire de Debussy, Prokofiev et Brahms. La musique de Brahms eut soudain des allures de bel canto. Brahms était-il devenu cousin germain de Puccini ? Tout cela a un charme fou. Grazie Roma !

 

C’est dans sa magnifique série des concerts d’orchestres internationaux que la Philharmonie de Paris a accueilli l’Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia. Rien qu’à dire son nom, on entend déjà du Verdi ! A première vue, rien ne le distingue d’un autre grand orchestre symphonique. Mais à voir de plus près, on remarque que les seconds violons sont à droite, les contrebasses, surélevées, au fond à gauche. Cela n’est pas commun. Ce qui n’est pas commun, non plus, c’est l’arrivée de son violon-solo Andrea Obiso, les bras largement ouverts vers le public, tel un jeune premier de cinéma italien saluant son fan club. Par la suite, tout au long du concert, il faudra l’observer, accompagnant de mouvements du buste les élans de la musique, se soulevant de son siège dans les crescendi comme s’il était assis sur une chaise à ressort !

Pour anglais qu’il fût, l’admirable chef Daniel Harding, s’était mis lui aussi au diapason de l’Italie. Son interprétation de la Deuxième symphonie de Brahms eut une chaleur inaccoutumée. Il donna, oui, à ses nuances, à ses changements de tempi, à ses contours mélodiques des allures de bel canto. Il fallait entendre le vibrato qu’il réclama dans le premier thème du premier mouvement de la symphonie. Le second thème, à trois temps, avait presque des allures de valse. Dans les dix dernières mesures de ce même mouvement, lorsque les bois et les violons jouent en contretemps, on était proche du swing ! Il fallait aussi entendre l’entrée des violoncelles dans le début de l’Adagio : c’était du Puccini ! Quant aux grands éclats du Finale, ils auraient pu être de Verdi. Tout cela eut un charme fou. On adora et le public acclama !

Au début du concert, le Prélude à l’après-midi d’un faune, fut joué dans un tempo plutôt ralenti, avec un soin extrême du détail, comme si toutes les couleurs de l’orchestre se superposaient en un jeu subtil camaïeu. Le flûtiste Andrea Oliva fit merveille dans ses solos. Le Concerto de la soirée était le Deuxième de Prokofiev. Dressée comme une flamme dans sa robe-fourreau rouge, la violoniste Lisa Batiashvilli en fut une interprète idéale, aussi rythmique que lyrique, aussi virtuose que précise, mettant en relief tous les contrastes de l’œuvre. Prenant la parole, elle dédia sa performance à son peuple géorgien qui se bat pour la liberté. Le public l’approuva. Elle joua, en bis, un arrangement d’une aria de Bach pour violon et orchestre à cordes.

S’il fallait émettre une critique – il en faut toujours une ! – ce serait que les castagnettes ne fussent pas assez sonores dans le final du concerto. Prokofiev les avaient sollicitées de manière fort inattendue dans la perspective de la création de son concerto à Madrid. Elles ne furent pas assez mises en valeur. Et on eut droit, en bis, à un passage symphonique de Manon Lescaut de Puccini. L’extrait fut puissant, sonore, onctueux. Aucun doute, il ressemblait à du Brahms…

 

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 2 décembre 2024. DEBUSSY / PROKOFIEV / BRAHMS. Lisa Batiashvili (violon) / Orchestra dell’Academia Nazionale di Santa Cecilia di Roma / Daniel Harding (direction). Toutes les photos (c) Ava du Parc

 

ORCHESTRE NATIONAL DES PAYS DE LA LOIRE. Grand concert de Noël dirigé par Sascha Goetzel, 15 déc 2024 > 6 avril 2025

Noël approche : pour vous faire vivre en musique toute la magie des fêtes de fin d’année, Sascha Goetzel, directeur musical de l’ONPL Orchestre National des Pays de la Loire, propose deux oeuvres majeures du répertoire ; deux superbes partitions romantiques, française et russe. Aux sons angéliques des voix du Choeur de l’ONPL et de solistes spécialement invités, le très fervent Oratorio de Noël de Camille Saint-Saëns s’affirme comme une partition idéale pour Noël, pourtant trop rare au concert…

 

Lumineuse et intense, l’œuvre rend hommage par sa construction parfaite à Bach et Beethoven. C’est « une petite madeleine de Proust  » où se dévoile le mystère de la Nativité. En complément, orchestre et chef déploient la féérie plurielle de Casse-Noisette, ses bouquets de friandises, ses valses de neige et de fleurs, ses trésors musicaux dont la Danse de la fée Dragée… En 1857, après la création de sa Messe solennelle op.4, Saint-Saëns est nommé organiste titulaire de l’église de La Madeleine. L’édifice achevé en 1842, dispose d’un magnifique orgue Cavaillé-Coll. Le poste est prestigieux – la paroisse, considérée comme la plus riche de Paris. Saint-Saëns obtient une consécration enviable. Son oratorio de Noël est composé pour le 24 décembre 1858 et créé sous la direction du compositeur. La référence à l’oratorio de Noël de JS Bach (1734) y est perceptible (prélude pastoral, éclatant) mais Saint-Saëns structurant son œuvre ambitieuse en 10 parties, prolonge les grandes fresques de ses prédécesseurs, dont surtout Le Sueur (1760-1837). Tandis que le Quare fremuerunt cite Beethoven… En réalité fidèle à son époque, Saint-Saëns, citant les baroque, les grands romantiques, inspiré par le texte biblique (n’a-t-il pas conçu son opéra biblique Samson et Dalila, d’après les saintes Écritures?), assume totalement son éclectisme musical. L’édifice musical qui en découle affirme une étonnante séduction formelle qui étonnamment demeure trop rare au concert. L’ONPL Orchestre National des Pays de la Loire permet de réestimer ainsi, non sans raison, une partition sincère et impériale, idéalement adaptée pour célébrer la ferveur de Noël. Photo : portrait du maestro Sascha Goetzel © Sébastien Gaudard.

 

 

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Le grand concert de Noël dirigé par Sascha Goetzel

ANGERS, Centre de congrès, dim 15 décembre 2024, 17h
NANTES, La Cité : mardi 17 décembre 2024, 20h30
ANGERS, Centre de congrès, mercredi 18 décembre 2024, 20h30
CHÂTEAUBRIANT, 6 avril 2025, 16h
Théâtre de verre (Clément Lonca, direction)

Camille Saint-Saëns (1835-1921) :
Oratorio de Noël
Lauranne Oliva, soprano / Lotte Verstaen, mezzo-soprano / Julia Brian, alto / Grégoire Mour, ténor / Francesco Salvadori, baryton / Choeur de l’ONPL – Valérie Fayet, cheffe de choeur

Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Casse-Noisette

 

ORCHESTRE NATIONAL DES PAYS DE LA LOIRE
Sascha Goetzel, direction

INFOS & RÉSERVATIONS directement sur le site de l’ONPL Orchestre des Pays de la Loire : https://onpl.fr/concert/le-grand-concert-de-noel-dirige-par-sascha-goetzel/
Durée : Saint-Saëns 40′ / Tchaïkovski 50′

Nouveauté : Avant-scène / 
Angers et Nantes uniquement
  –  Présentation du concert par le chef ou un artiste invité
de 20h à 20h10 (concerts de 20h30), 
de 16h30 à 16h40 (concert de 17h)

 

TEASER VIDÉO
https://youtu.be/21S61e_ovng

LIRE le programme du concert de Noël par l’ONPL Ochstre National des Pays de la Loire :
https://onpl.fr/wp-content/uploads/2024/09/CONCERT-DE-NOEL.pdf

 

 

 

CRITIQUE, comédie musicale. PARIS, Théâtre du Châtelet (du 20 novembre 2024 au 2 janvier 2025). BOUBLIL / SCHÖNBERG : Les Misérables. B. Rameau, S. Duchange, C. Pérot, D. Alexis… Orchestre du Théâtre du Châtelet / Ladislas Chollat / Charlotte Gauthier .

Parler des Misérables est équivalent à décrire un des plus beaux monuments qui dessinent la silhouette de Paris. Le génie de Victor Hugo a su puiser dans les blessures profondes de Paris et de la France de son temps pour donner voix aux êtres invisibles parce noyés dans la misère et l’oubli. Du galérien Jean Valjean, et sa conversion à la filouterie, au couple Thénardier, tout le kaléidoscope de la nature humaine est décliné dans l’immense roman du génie Hugo, et ils sont statufiés tels des bas-reliefs de légende. 

 

« Tant qu’il y aura sur terre ignorance et misère, des œuvres de la nature de celle-ci pourront ne pas être inutiles ». Victor Hugo

 

Des multiples versions cinématographiques se sont succédé. La plus aboutie est celle de 1958 avec Jean Gabin, Bernard Blier, Bourvil, Giani Esposito et Silvia Montfort, signée par Jean-Paul Le Chanois avec une adaptation de René Barjavel et une musique de Georges Van Parys. En revanche, l’opéra ne s’est pas trop intéressé dans cette histoire éminemment sociale… En 1980, Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg ont associé leur talent pour adapter ce chef d’œuvre littéraire dans une partition magistrale pour la fosse et la scène. Quintessence même de la comédie musicale, Les Misérables réussit à concentrer l’immensité du livre et proposer un fil dynamique avec des situations riches en rebondissements propres au genre. Chaque rôle a son moment central et des airs se succèdent aussi beaux et émouvants que peuvent l’être les épisodes du livre. L’emblématique air de Fantine, la sublime prière de Jean Valjean et les airs d’Eponine restent dans le cœur et l’esprit. Alors quel bonheur de voir ce bijou du théâtre musical contemporain sur le plateau emblématique du Théâtre du Châtelet, au cœur de Paris. 

 

Cette nouvelle production, signée par Ladislas Chollat, et qui fera assurément date, a investi le Théâtre du Châtelet depuis le 20 novembre 2024 – et court jusqu’au 2 janvier 2025. La production à grand spectacle rappelle les plus belles réalisations du West End ou de Broadway. Heureusement que Paris compte désormais avec une institution centrale qui donne ses lettres de noblesse à la comédie musicale. Cette musique touche tout autant que n’importe quelle partition d’opéra, dès lors qu’elle est provoquée par la création, toute émotion est légitime. 

 

 

Une des plus belles promesses tenues de cette nouvelle production est l’incarnation de Jean Valjean par Benoît Rameau. Fantastique ténor aux médiums sombres et riches, il nous bouleverse par son jeu et sa musicalité. Sa prière d’anthologie nous a fait frémir. La scène du trépas est fabuleuse. On connaissait déjà le grand talent de Benoît Rameau dans l’opéra, désormais il est indispensable dans la comédie musicale. Jacques Preiss porte avec élégance et finesse le rôle de Marius. On découvre un très beau talent sur scène doté d’une belle qualité vocale. David Alexis et Christine Bonnard incarnent le couple Thénardier de façon iconique, ils sont inénarrables et aussi fabuleux que le couple du film de 1958, interprété par Bourvil et Elfriede Florin. Alors que Claire Pérot n’arrive pas à relever les défis vocaux de Fantine, Océane Demontis est une révélation dans le rôle de la malheureuse Eponine. On sent à la fois la fébrilité et la délicatesse dans le timbre, nous espérons l’entendre dans d’autres comédies musicales à l’avenir, elle sait émouvoir avec subtilité. 

L’Orchestre constitué par le Théâtre du Châtelet (spécialement pour cette production) est mené avec enthousiasme par la cheffe Charlotte Gauthier. Nous apprécions la précision des phrasés, la beauté des ensembles et une ligne dramatique richement ornée et un souci des tempi et des balances lors des airs pour ne jamais couvrir les chanteurs. Charlotte Gauthier est une cheffe d’un immense talent, espérons qu’elle entrera dans les fosses de tous les théâtres à l’avenir. 

En sortant sur la Place du Châtelet, au cœur battant de Paris qui a tellement éprouvé, on a senti encore et toujours les esprits de celles et ceux qui, anonymes, sont devenus les forces vives de l’histoire de la ville. Sur l’autre rive, hiératique et immense se dresse la Conciergerie, là où Victor Hugo a commencé un autre chef d’œuvre qui dénonce et éveille les consciences. Comprendrons-nous à la fin que nous sommes toutes et tous des Jean Valjean en quête de rédemption ? 

 

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CRITIQUE, comédie musicale. PARIS, Théâtre du Châtelet (du 20 novembre 2024 au 2 janvier 2025). BOUBLIL / SCHÖNBERG : Les Misérables. B. Rameau, S. Duchange, C. Pérot, D. Alexis… Orchestre du Théâtre du Châtelet / Ladislas Chollat / Charlotte Gauthier. Toutes les photos (c) Thomas Amouroux

 

 

 

 

INVALIDES. Musiques de l’exil, lundi 16 déc 2024 : Sonia Wieder-Atherton (violoncelle), Alexander Paley (piano). Messiaen, Dutilleux, Bartok…

La violoncelliste Sonia Wieder-Atherton et le pianiste Alexander Paley présentent, aux Invalides, un programme autour de l’EXIL : au travers de Chants juifs au violoncelle seul, de « Louange à l’éternité de Jésus » de Messiaen en duo et d’œuvres de Dutilleux, Bartók et Martinů. La thématique est l’un des nombreuses mises à l’honneur au cours de la saison 2024 – 2025.

 

 

LIRE notre ENTRETIEN avec Christine DANA-HELFRICH, conservateur en chef du patrimoine, chef de la mission musique et responsable artistique de la Saison Musicale des Invalides… https://www.classiquenews.com/entretien-avec-christine-dana-helfrich-conservateur-en-chef-du-patrimoine-chef-de-la-mission-musique-et-responsable-artistique-de-la-saison-musicale-du-musee-de-larmee-aux-invalides-a-propos-de/  –  Sonia Wieder-Atherton avait affirmé sa profonde personnalité dans l’enregistrement emblématique réalisé en 1989 de Chants juifs « entre en intime résonance avec sa sensibilité propre ». Le programme interroge en particulier la musique juive liturgique, une musique aux racines si anciennes, qui a accompagné le peuple juif durant des siècles de pérégrinations. Entre autres révélations, s’est affirmé le chant des cantors ou hazans, son expressivité intérieure, intime, contenant surtout une grande force d’expression.

 

« Dans cette musique, le populaire et le sacré se confondent. J’ai senti que je connaissais cette musique depuis toujours », précise la violoncelliste. « Louange à l’éternité de Jésus« , extraite du Quatuor pour la fin du temps, se fonde sur un passage du chapitre 10 de l’Apocalypse de saint Jean ; la pièce fait référence à la détresse et à l’exil intérieur dans lequel se réfugie Messiaen, en captivité au Stalag VIII. A de Görlitz, aspirant à une forme d’éternité hors du temps.

 

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INVALIDES, Grand Salon
Lundi 16 décembre 2024, 20h
Infos & réservations : https://www.musee-armee.fr/au-programme/cette-semaine-au-musee/detail/musiques-de-lexil.html

 

 

 

Musiques de l’exil

Les Trois strophes composées sur le nom de Sacher (1976) constituent un hommage appuyé à Paul Sacher, généreux mécène qui soutient notamment Dutilleux, Bartók et Stravinski durant les heures les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale. Dutilleux y affirme ainsi son engagement au sein du Front national des musiciens, organe de résistance créé à l’instigation d’Elsa Barraine et Roger Désormière, en mai 1941.
De son côté, Bartók fuyant le nazisme, doit émigrer aux États-Unis en 1940 et Martinů en 1941, grâce au soutien financier du même Paul Sacher.
Si les célèbres Danses roumaines de Bartok datent de 1915, la 2ème sonate de Martinů a été composée en 1941. Les deux compositeurs poursuivent leur carrière aux États-Unis, écourtée par la maladie pour Bartók mort en 1945, Martinů devenant citoyen américain en 1952. Aucun des deux auteurs ne purent retourner dans leur pays natal.

D’origine moldave et s’étant formé, comme Sonia Wieder-Atherton, au conservatoire de Moscou auprès des plus illustres maîtres, le pianiste Alexander Paley joue en complicité avec la violoncelliste américaine Sonia Wieder-Atherton.

 

Programme
Chant juif liturgique (traduction et arrangement Sonia Wieder-Atherton)
Bloch, Prière, Extr. de Jewish Life
Bartók, Danses roumaines
Janacek, Poème morave (arrangement Sonia Wieder-Atherton et Franck Krawczyk)
Messiaen, Louange à l’éternité de Jésus, Extr. du Quatuor pour la fin du temps
Dutilleux, Trois strophes sur le nom de Sacher
Martinu, Sonate n°2 H. 286

 

Distribution
Sonia Wieder-Atherton, violoncelle
Alexander Paley, piano

 

 

 

entretien

 

ENTRETIEN avec Christine DANA-HELFRICH, conservateur en chef du patrimoine, chef de la mission musique et responsable artistique de la Saison Musicale du Musée de l’Armée aux Invalides – à propos de la saison 2024-2025.

 

CONJONCTURE. Angers Nantes Opéra alerte sur la menace sérieuse que fait peser sur la culture en Pays de la Loire, les coupes budgétaires annoncées par la Région

Comme « Adjoints à la culture des Maires de Nantes et d’Angers aux orientations politiques différentes », Nicolas DUFETEL et Aymeric SEASSAU, respectivement, Président et Vice-Président d’Angers Nantes Opéra, prennent la parole, dans un communiqué édité le 2 déc 2024, en particulier après les récentes déclarations de la présidente de la Région des Pays de la Loire qui entend réduire de 73% les subventions actuelles de la Région, allouées à la culture. Une bombe dans le Landerneau culturel français, de surcroît mal accuelllie car elle concerne l’une des régions de l’Hexagone parmi les mieux dotées culturellement, dont le maillage territorial est le plus actif, et l’accès à la culture, profitant à tous, exemplaire.

 

Inquiet et rassurant, le communiqué souligne combien la culture est un enjeu de société, un rouage majeur pour la société démocratique. Les économies demandées récemment, affectent Angers Nantes Opéra et l’ONPL, Orchestre National des Pays de la Loire. L’espoir exprimé est que les baisses annoncées seront  » contenues « . Les conséquences d’un arrêt des actions actuelles seraient catastrophiques, en particulier dans un climat social, déjà très tendu : « À court terme, c’est l’accès à ces lieux pour nos milliers de jeunes, nos collégiens, nos lycéens qui est menacé, tout comme le rayonnement culturel de ces établissements sur un grand nombre de territoires au-delà de nos métropoles. À moyen terme, c’est mettre en danger la possibilité pour un public de tous âges et de tous milieux de se retrouver pour vivre ensemble des émotions artistiques, exigeantes et populaires à la fois. »

 

Les coupes budgétaires annoncées et leurs conséquences seraient d’autant plus néfastes après la pandémie et le retour enfin important des publics dans les salles (au Grand- Théâtre et au Centre de Congrès d’Angers, au Théâtre Graslin, à la Cité des Congrès de Nantes).  Les signataires posent la question « comment s’y résigner ? » et soulignent ainsi combien les actions menées jusque là, concernent en premier chef, les habitants de la Région et des territoires, ainsi impliqués, invités au miracle du vivre ensemble, grâce à une culture diverse, vivante, accessible, inclusive, participative :
« Comment s’y résigner alors que le public, en nombre, vient chanter ensemble à l’opéra, réunissant professionnels et amateurs de tous âges, dans les concerts populaires et participatifs et vibrer d’un seul cœur quand plus de 55 000 personnes partagent les retransmissions d’opéra sur écrans ? Comment s’y résigner alors que des milliers de jeunes et étudiants ont participé, partout dans la région, à des actions de terrain permettant de construire ensemble l’avenir par l’éducation artistique culturelle ? »

(…)

« Comment s’y résigner alors que l’originalité de ces deux établissements, l’opéra sur ses deux salles, l’orchestre avec ses phalanges nantaises et angevines, forment un si beau trait d’union à l’image de notre région et un modèle de coopération au niveau national ? Conscients de la nécessité d’interroger les modèles et de les faire évoluer dans un monde en changement, nous pensons aussi qu’il ne faut pas briser les digues, mais plutôt les aménager et garder le sens des politiques publiques vitales pour les arts et les lettres, afin de ne pas « tarir les sources mêmes de la vie publique », comme l’a dit Victor Hugo. »

 

Souhaitons que l’appel soit écouté, compris, retenu, pris en considération. A suivre.

 

 

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LIRE aussi notre dépêche : CONJONCTURE. La région Pays de la Loire annule sa subvention pour La Folle Journée de Nantes 2025, et entend réduire de 70% son budget alloué à la culture... https://www.classiquenews.com/conjoncture-la-region-pays-de-la-loire-annule-sa-subvention-pour-la-folle-journee-de-nantes-2025-et-entend-reduire-de-70-son-budget-alloue-a-la-culture/

 

CONJONCTURE. La région Pays de la Loire annule sa subvention pour La Folle Journée de Nantes 2025, et entend réduire de 70% son budget alloué à la culture…

 

CRITIQUE, opéra en version de concert. VERSAILLES, Salon d’Hercule, le 25 novembre 2024. MONTEVERDI : L’Orfeo. J. Prégardien, J. Mey, I. Druet, L. De Donato… Ensemble Les Épopées / Stéphane Fuget (direction).

L’Orfeo, créé en 1607, considéré comme le premier opéra digne de ce nom de l’histoire musicale, impose un génie de la scène, un poète musicien. Créé dans un des Salons du Palais de Mantoue, c’est dans le superbe Salon d’Hercule du Château de Versailles que Les Épopées et leur chef Stéphane Fuget font retentir la sublime musique composée par Claudio Monteverdi – après Le Retour d’Ulysse en sa patrie en décembre 2021, et Le Couronnement de Poppée en décembre 2023 (nous y étions).

 

Comme à son habitude, le chef bourguignon, longtemps chef de chant avant d’être chef d’orchestre, se penche ce soir sur la moindre inflexion, tant orchestrale que vocale, réussissant l’exploit de rendre caduque l’écoute polie, en usage jusque là, de récitatifs à la (fausse) réputation de “pensum”. Du relativement sobre instrumentarium des vingt instrumentistes des Épopées, Stéphane Fuget (également au clavecin et à l’orgue) obtient un son plein et nourri. Le discours est sans cesse relancé, et l’impression générale est vraiment celle d’une mélodie continue, malgré l’entracte dont généralement on fait (pourtant) l’économie dans cet ouvrage d’une durée de deux heures environ. Rarement la musique de Monteverdi aura sonné avec une telle liberté et inventivité, un tel degré d’émotion dans les parties de déploration et avec autant d’expressivité dans les parties joyeuses ou dramatiques, avec un mention pour la harpe idyllique de Marina Bonetti

 

Malgré l’exiguïté de la scène, les solistes (retranchés côté cour quand il forment le choeur, et rejoints alors par la soprano Tanaquil Ollivier et la mezzo Céleste Ingrand), trouvent leur place et s’imposent chacun dans les parties qui leur sont dévolues. Triomphateur de la soirée, Julian Prégardien est le plus bel Orphée que nous ayons jamais entendu sur une scène, offrant un chant à la densité et d’une émotion sans pareille. Sa stature physique, son investissement scénique, son ténor velouté, son sens poétique et déclamatoire (allant du plus imperceptible pianissimo au cri de rage…), et ses réelles aptitudes à la virtuosité, font du ténor autrichien un titulaire d’exception pour ce rôle, pourtant si difficile à assumer. L’équipe qui l’entoure est cependant digne de lui, à commencer par l’incontournable jeune mezzo française Juliette Mey, dans le rôle très bref d’Eurydice (mais elle incarne aussi, pour notre plus grand bonheur, La Musica), qui lui laisse néanmoins le temps de prendre suffisamment d’assurance vocale pour nous transporter. La magnifique mezzo Isabelle Druet, tour à tour douce Speranza et sentencieuse Messagiera, captive elle aussi : son timbre généreux et rond, sa diction fine et fluide, son charisme tranquille libèrent une émotion palpable. Avec ses graves profonds, la basse italienne Luigi De Donato se montre d’une grande efficacité dans le double rôle de Caron et Pluton. Dans ceux de Proserpine et Ninfa, Claire Lefilliâtre tour à tour séduit ou émeut, avec son timbre chaud et rond, la voix se faisant caressante pour parvenir à ses fins auprès de Pluton. Le ténor espagnol Juan Sancho campe un Apollon au timbre superbement projeté, tandis que les Bergers du baryton Vlad Crosman et du contre-ténor Paul Figuier enthousiasment par leur engagement tant vocal que scénique. Enfin, le jeune baryton-basse Samuel Guibal complète dignement la distribution en tant qu’Esprit. 

 

Transporté, le public offre une standing ovation et hurle littéralement sa joie et son bonheur, conscient d’avoir vécu un concert mémorable, en même temps qu’un moment rare, et après de multiples rappels, la soirée se termine par un bis qui donne à (ré-)entendre le choeur “Vanne Orfeo, felice a pieno”… une “félicité entière” que nous éprouvons tous au sortir du sublime Salon d’Hercule versaillais !

 

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CRITIQUE, opéra en version de concert. VERSAILLES, Salon d’Hercule, le 25 novembre 2024. MONTEVERDI : L’Orfeo. J. Prégardien, J. Mey, I. Druet, L. De Donato… Ensemble Les Épopées / Stéphane Fuget (direction). Toutes les photos (c) Emmanuel Andrieu

 

AUDIO : Julian Prégardien chante l’air « Possente Spirito » dans L’Orfeo de Monteverdi sous la direction de Stéphane Fuget à la tête de son ensemble Les Epopées

 

 

DANSE. OPÉRA DE NICE, nomination de Pontus Lidberg, nouveau directeur du Ballet Nice Méditerranée

Sur proposition de Bertrand Rossi, directeur général de l’Opéra Nice Côte d’Azur, Christian Estrosi, Maire de Nice et Président de la Métropole Nice Côte d’Azur, confirme la nomination du chorégraphe suédois Pontus Lidberg comme nouveau directeur du Ballet Nice Méditerranée, à compter de décembre 2024. Il succède ainsi au regretté Éric Vu-An, disparu le 8 juin 2024.

 

 

Un chorégraphe de renommée internationale
Originaire de Stockholm, Pontus Lidberg étudie la danse à l’école du Ballet royal de Suède et au Conservatoire National Supérieur de Danse et Musique de Paris, puis les arts vivants à l’Université de Göteborg. Il devient rapidement l’un des chorégraphes les plus demandés et crée plus de quarante chorégraphies pour des compagnies telles que le New York City Ballet, le Ballet de l’Opéra national de Paris, la Martha Graham Dance Company, les Ballets de Monte-Carlo, le Semperoper Ballet de Dresde, les Ballets Royaux de Suède et du Danemark, le Ballet du Grand Théâtre de Genève, le Beijing Dance Theatre, le Ballet National de Cuba et pour sa propre compagnie à Stockholm et à New York ; sans omettre ses créations pour la Biennale de Venise et le Joyce Theatre

De 2018 à 2023, Pontus Lidberg est directeur artistique de la compagnie Danish Dance Theatre à Copenhague. Reconnu pour son travail novateur qui allie avec subtilité danse classique, danse contemporaine, cinéma et arts visuels, Pontus Lidberg inscrit sa démarche artistique dans une vision où tradition et modernité se rejoignent pour réinventer la danse.

Une nouvelle ère pour le Ballet Nice Méditerranée


En rejoignant le Ballet Nice Méditerranée, Pontus Lidberg souhaite développer une programmation audacieuse et accessible à tous, en plaçant la création au cœur de son projet. Fidèle à sa philosophie, il entend promouvoir le dialogue entre les disciplines artistiques et encourager les collaborations avec des chorégraphes et artistes reconnus et émergents.

Sous sa direction, le Ballet Nice Méditerranée poursuivra son travail de rayonnement à l’échelle nationale et internationale. Pontus Lidberg souhaite revisiter les grands classiques du répertoire tout en introduisant des créations inédites qui abordent des thématiques contemporaines : « Je veux insuffler à la compagnie une renaissance, lui apporter une énergie nouvelle qui ancrera le ballet dans le présent tout en honorant ses racines classiques. Je souhaite faire évoluer la compagnie au niveau national et international afin qu’elle soit le reflet de l’une des plus dynamiques villes de France. Il s’agit de positionner le Ballet Nice Méditerranée comme un acteur incontournable à travers des créations novatrices, des collaborations interdisciplinaires et un lien fort avec les acteurs territoriaux. Mon ambition est de transformer la compagnie en une institution artistique phare de ce siècle et au-delà. »

La nomination d’une figure aussi prestigieuse renforce la présence d’un ballet au sein de l’Opéra Nice Côte d’Azur, engagement fermement défendu par son directeur général, Bertrand Rossi.

Christian Estrosi, Maire de Nice et Président de la Métropole Nice Côte d’Azur souhaite la « bienvenue à Nice à l’un des plus grands danseurs et chorégraphes du monde. C’est un honneur pour notre Ville que d’accueillir une personnalité artistique de son envergure. Une nouvelle fois, Nice montre qu’elle sait attirer les plus grands talents de la scène culturelle internationale. Je suis convaincu qu’il fera rayonner Nice sur toutes les scènes du monde, où il s’est déjà illustré avec brio. »

Photos : PONTUS LIDBERG © Luca Ianelli

CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 25 novembre 2024. Johannes BRAHMS. Sir András Schiff (piano) / Budapest Festival Orchestra / Ivan Fisher (direction)

Qu’il est bon de retrouver, presque chaque année, le Budapest Festival Orchestra accompagné de son directeur musical et fondateur Ivan Fischer. Rendez-vous dans la Grande Salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris avec deux invités de marque : Sir András Schiff et Johannes Brahms : Premier Concerto pour piano et Première Symphonie ! Il est de plus en plus rare, avec un orchestre de ce niveau, d’avoir chaque année des tournées sous la direction d’un même chef, dans des répertoires variés (pas seulement les grandes symphonies post-romantiques…). Le Budapest Festival Orchestra possède une voix qui lui est propre, une vision cohérente qui le guide vers un son distinctif, une façon particulière de faire de la musique. Cela tient bien sûr au niveau hallucinant des instrumentistes qui le composent, ainsi qu’à la longue collaboration entre l’orchestre et Ivan Fischer, fondateur de l’ensemble.

 

On retrouve dans ce Premier Concerto de Brahms le Budapest Festival Orchestra que l’on aime tant : couleurs, décontraction, cordes puissantes et souples… une merveille ! La sophistication du phrasé de l’orchestre sonne toujours de manière naturelle. Chaque année, le BFO sous la direction de Fischer apparaît comme l’orchestre offrant la vision la plus hédoniste de la musique. Un plaisir pris au jeu, où chaque micro-transition est abordée avec sérieux, mais présentée de manière joueuse, sublimée, et servi par un niveau de réalisation qui le place au sommet des orchestres symphoniques. Le tout est magnifiquement unifié par la personnalité d’Ivan Fischer, mêlant chaleur, générosité, honnêteté et bonté.

 

Sir András Schiff n’est peut-être pas le choix le plus évident pour un concerto de Brahms. Le pianiste possède l’art du storytelling : il construit ses œuvres avec soin, réfléchissant aux plans sonores, à la structure de chaque phrase musicale. L’écouter revient à suivre un professeur que l’on apprécie, dont chaque mot semble pesé et précieux. Cependant, le son de Schiff n’a jamais suscité l’enthousiasme. Il projette peu, manque parfois de densité. Ce Concerto n°1, qui appelle une puissance brute, une fougue de jeunesse – ce qu’il évoque lui-même par l’image de « Brahms sans sa barbe ». Schiff propose un piano trop limité dans sa propre esthétique, qui manque de matière pour nous amener au bord du gouffre ! L’Intermezzo op.118/2 donné en bis nous offre le Schiff que l’on veut entendre, Brahms retrouve ici sa barbe ! Un tempo allant qui enlève la sentimentalité de surface de l’œuvre, digne du conteur que l’on pourrait écouter des heures durant au coin du feu.

 

En deuxième partie, la Première Symphonie de Brahms. L’ouverture est telle qu’on l’attend : un souffle large, imposant mais pas violent. Le BFO propose une pâte orchestrale vivante, organique, colorée, le tout sans jamais aucune scorie : tout est balancé, pensé, mais offert si naturellement. Chaque pupitre semble être le meilleur au monde, s’assemblant pour former un orchestre d’exception, magnifiquement unifié par le geste d’un grand chef (avec, au passage, Guy Braunstein au cœur des premiers violons !). Les solos de cor et de flûte du quatrième mouvement sont immenses, s’élèvent au-dessus de l’accompagnement orchestral et des timbales, si intenses, si concentrées… quelques mesures de Sibelius perdues dans l’œuvre de Brahms. Après le violon tzigane d’un de leurs musiciens lors de leur dernière venue, le BFO revient à un de ses grands classiques : le bis en chœur a cappella ! Les musiciens se lèvent pour interpréter, sous la direction de Fischer, le Lied « Es geht ein Wehen durch den Wald ».

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 25 novembre 2024. BRAHMS. Sir András Schiff (piano) / Budapest Festival Orchestra / Ivan Fisher (direction)

 

VIDEO : Ivan Fischer dirige la 3ème Symphonie de Brahms à la tête du BFO

 

STREAMING, opéra. VERDI : La forza del destino, sam 30 nov 2024 (Gran Teatre del Liceu). Anna Pirozzi, Brian Jadge, Artur Rucinski… Jean-Claude Auvray / Nicola Luisotti

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Ce soir, sam 30 nov 2024, 20h : OperaVision diffuse en streaming, La forza del destino depuis le Gran Teatre del Liceu à Barcelone. Le drame de Verdi qui mêle amour tragique, conflits familiaux et  vendettas terrifiantes, profite d’une distribution prometteuse : la soprano Anna Pirozzi dans le rôle de Leonora, le ténor Brian Jagde dans celui de son bien-aimé, Don Alvaro, et le baryton Artur Ruciński dans le rôle de son frère vengeur, Don Carlo.

 

Dans le sillon du romantisme noir de la pièce originelle de Baquedano, une mélancolie vénéneuse et implacable innerve la partition, nourrie par le moto du fatum, l’arme de la fatalité qui accable ses proies désignées dont le salut final est le sujet le plus impérieux. Dans la mise en scène de Jean-Claude Auvray, l’action sacrifie tout rêve et tout amour ; et c’est essentiellement le chant d’exhortation des amants en souffrance qui émeut : ainsi l’air final de Leonora « Pace, pace », prière et appel à la paix intérieure où Verdi atteint le sublime en offrant à la soprano vedette, l’un de ses airs les plus bouleversants. Au Liceu, les interprètes profitent de la direction ample et nuancée de Nicola Luisotti.

 

VOIR l’opéra La Forza del destino de Verdi, depuis le Liceu de Barcelone, diffusé sam 30 nov 2024, 19h : https://operavision.eu/fr/performance/la-forza-del-destino?utm_source=OperaVision&utm_campaign=f6afaac928-forza_destino_2024_fr&utm_medium=email&utm_term=0_be53dc455e-f6afaac928-100559298

Disponible en REPLAY jusqu’au 30 mai 2025
Enregistré le 15 nov 2024

La fortune éprouve les deux amants Don Alvaro et Leonora ; ce dernier a tué sans le vouloir le père de Leonora ; ils doivent fuir, chacun de son côté, victimes damnées d’un destin contraire. Quatre ans après Un ballo in maschera, La forza del destino concentre le meilleur Verdi, pourtant sur une intrigue passablement complexe… terrible même dans ses rebondissements romantiques ibériques, d’après la pièce Don Álvaro o la fuerza del sino, drame en cinq journées en prose et en vers d’Ángel María de Saavedra y Ramírez de Baquedano, duc de Rivas (créé au Teatro del Príncipe de Madrid en 1835). Verdi et son librettiste Piave s’inspirent de Baquedano, devenu célèbre dramaturge et qui même sera président du gouvernement pendant deux jours en 1854. Art et politique fusionnent ici, comme c’est le cas de Verdi lui-même, qui en 1861, sera élu député pour défendre en républicain, les idéaux que ses opéras savaient défendre, exalter, incarner (avec des chœurs enivrés, portant l’espérance du peuple italien).

 

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STREAMING opéra, ce soir sam 30 nov 2024, 20h sur OperaVision : https://operavision.eu/fr/performance/la-forza-del-destino?utm_source=OperaVision&utm_campaign=f6afaac928-forza_destino_2024_fr&utm_medium=email&utm_term=0_be53dc455e-f6afaac928-100559298

CRITIQUE, concert. GENEVE, Victoria Hall, le 27 nov 2024. AVETIS BAROQUE ORCHESTRA (concert de lancement). Varduhi Khachatryan (sop), Sara Mingardo (mezzo), Bruno Procopio (direction)

Au moment où les orchestres en France luttent pour leur survie, étranglés par la baisse des subventions et l’incohérence des politiques culturelles, la naissance de l’Avetis Baroque Festival Orchestra à Genève résonne ce soir a contrario comme un acte de résistance artistique. Sous l’impulsion de l’audacieuse soprano Varduhi Khachatryan, l’exemplaire projet, audacieux s’est dévoilé pour la première fois, ce 27 novembre, dans un Victoria Hall à guichet fermé, et vibrant d’attentes.

Toutes les photos © Baroque Avetis Orchestra

 

Pour ce baptême musical, le choix du chef franco-brésilien Bruno Procopio s’avère judicieux. Reconnu pour sa créativité et sa capacité à fédérer des talents exceptionnels, Bruno Procopio s’est taillé une sérieuse réputation d’artisan miraculeux, sachant en quelques répétitions, d’obtenir le meilleur des musiciens réunis sous sa baguette, de surcroît en quelques séances de répétition. Ce n’est pas le concert genevois, « préparé », affiné en quelques… 3 séances seulement (!), qui contredira une telle performance.
Bruno Procopio s’est déjà illustré en co-fondant l’Orchestre Baroque Simón Bolívar au Venezuela et en créant le Jeune Orchestre Rameau (JOR), qui a rassemblé des musiciens baroques de premier plan issus d’Europe, d’Asie et des Amériques. À Genève, il confirme sa vision audacieuse, sa maîtrise du répertoire baroque, une aptitude rare aujourd’hui à optimiser les conditions du travail collectif.

 

La direction du maestro révise notre perception du Stabat Mater de Pergolesi : il opte pour des tempi renouvelés, des enchaînements inattendus, une verve rarement entendue dans une partition aussi emblématique que le Requiem de Mozart. Sa lecture, fruit d’une réflexion minutieuse sur les indications de la partition, a révélé des nuances inédites. Comme il l’a expliqué dans une interview à paraître prochainement, « les indications dynamiques (piano et forte) ne doivent pas être interprétées de manière strictement analytique, mais comme des indices de phrasé. Ainsi, les pianos marquent le début d’une phrase qui s’achève par un forte, donnant une expressivité narrative et cohérente à l’œuvre ». Une telle conception renouvelle de façon décisive l’interprétation ; elle a conféré une fraîcheur saisissante à une œuvre souvent jouée de façon répétitive.

 

Le programme, finement conçu, oscillait entre la profondeur spirituelle et l’exubérance profane. Maître de l’expression dramatique, Pergolesi pense musique sacré et opéra de façon perméable. Point culminant, le Stabat Mater de Pergolesi a littéralement suspendu le temps. D’autant que la cantatrice invitée, aux côtés de la soprano Verdhui Khachatryan, connaît son Pergolesi comme peu, ayant chanté le Stabat mater, au moins 100 fois : Sara Mingardo éblouit par la sincérité immédiate de son chant ; sa voix sombre et nuancée, articule le texte latin avec un naturel expressif qui incarne chaque séquence dans la prière voire l’exhortation mariale ; le chef obtient des accents millimétrés, une couleur et un son à la fois plein et subtil qui sait exprimer aussi la pensée tragique, l’ampleur des vertiges émotionnels contenus dans la partition. A ce titre, programmer aussi le Stabat Mater de Vivaldi (pour alto solo) renforce la charge bouleversante du texte latin où Marie, mère endeuillée, inconsolable, prend directement à témoin l’auditeur. Il revient à la direction particulièrement orfévrée de Bruno Procopio d’en révéler comme jamais auparavant, la vibration intime, profondément éplorée. D’autant plus que l’orchestre ne comptant que des cordes, semblait scintiller de mille couleurs, compensant opportunément l’absence des bois et des vents. Un comble expressif qui appelle un prochain enregistrement…

 

 

Dans le Stabat Mater de Pergolèse, la voix de Sara Mingardo s’est magnifiquement harmonisée avec le timbre lumineux et captivant, rond et velouté de Varduhi Khachatryan. Le duo vocal a créé une alchimie rare, profondément émouvante. Mention spéciale pour Varduhi Khachatryan : à chacune de ses prestations, s’affirme le charisme d’une diva célébré en Arménie, à l’Opéra d’Erevan, dont la carrière opératique prestigieuse (Grand Prix Maria Callas d’Athènes, 1er Prix du Concours Montserrat Caballé) ne l’empêche pas ce soir d’exceller dans le répertoire baroque sacré, aussi exigeant soit-il. Sa flexibilité vocale et son intelligence musicale ont impressionné, tout comme son interaction subtile et complice avec Bruno Procopio : leur entente complice, le soin ciselé à chaque séquence, le geste commun qui soigne la portée des silences, l’attention partagée dans l’expression de l’affliction et de la compassion pour la Vierge douloureuse, composent alors l’un des points culminants de la soirée.

 

 

Mais au-delà de la performance musicale, ce concert inaugural était un manifeste artistique : une volonté de réinventer et de revitaliser le répertoire baroque au sein de la scène culturelle suisse, tout en visant un rayonnement international. Sous la direction artistique de Varduhi Khachatryan, l’Avetis Baroque Festival Orchestra a tout le potentiel pour s’imposer comme une formation de référence, capable de marquer le paysage musical européen.

Dans un contexte politico-économique où l’art est relégué au second plan, voire est même la variable d’ajustement pour équilibrer les comptes publiques, la soirée a rappelé que la créativité et l’excellence artistique restent des réponses puissantes aux défis de notre époque. Saluons l’initiative de l’association AVETIS, portée par sa directrice Varduhi Khachatryan : la naissance de l’Avetis Baroque Festival Orchestra, associant un collectif artistique aussi convaincant, promet de prochains concerts mémorables. A suivre.

 

 

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CRITIQUE, concert. GENEVE, Victoria Hall, le 27 nov 2024. AVETIS BAROQUE ORCHESTRA, Varduhi Khachatryan, Sara Mingardo, Bruno Procopio (direction) / concert de lancement. VIVALDI, PERGOLESI : Stabat Mater… Toutes les photos © AVetis Baroque Orchestra 2024

 

INVALIDES. Jeudi 12 déc 2024. MILHAUD, BARTOK… Orchestre de la musique de l’Air et de l’Espace / Roustem Saitkoulov (piano) / Claude Kesmaecker (direction)

Suite de la saison 2024 – 2025 aux Invalides. Le concert évoque les compositeurs exilés aux USA… Le 15 juin 1940, Darius Milhaud quitte la France pour les Etats-Unis, où il est accueilli par Kurt Weill, et où le rejoindra Bartok. Ses Fanfares de la liberté de 1942 ouvrent ce concert avec éclat… quand les Fanfares liturgiques de Henri Tomasi, composées en 1947, le referme.

 

Au centre de ce programme original, sous la voûte de la Cathédrale Saint-Louis, l’Orchestre de la musique de l’Air et de l’Espace joue la Suite Elisabéthaine de Jacques Ibert, dont une unique représentation est donnée le 27 juillet 1942 à l’initiative de la comtesse Lily Pastré, mécène et protectrice de nombreux artistes et intellectuels, qu’elle protège et cache dans sa bastide provençale et dont elle favorise aussi l’émigration. De Bartok, le pianiste Roustem Saïtkoulov est l’ardent soliste du 3ème Concerto (dernier ouvrage du compositeur hongrois, composé en 1945 et laissé inachevé). Sa création posthume est dirigée en 1946 par Eugene Ormandy, à la tête de l’Orchestre de Philadelphie.

 

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INVALIDES, Cathédrale Saint-Louis
Jeudi 12 déc 2024, 20h
INFOS & RÉSERVATIONS directement sur le site des INVALIDES, saison musicale 2024 – 2025 : https://www.musee-armee.fr/au-programme/saison-musicale-invalides/les-concerts-2024-2025.html

 

 

 

Distribution
Orchestre de la musique de l’Air et de l’Espace
Claude Kesmaecker, direction
Roustem Saitkoulov, piano

 

Programme

Milhaud, Fanfares de la liberté
Ibert, Suite élisabéthaine,
Musique de scène pour le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare


Bartók, Concerto n° 3, pour piano et orchestre
Tomasi, Fanfares liturgiques

JUSTICE. Le réalisateur Tom Volf poursuit en justice le coréalisateur de son film Maria Callas [avec Monica Bellucci], pour contrefaçon…

Par l’intermédiaire de son avocat Paul Le Fèvre, le réalisateur et biographe reconnu de Maria Callas, fondateur du Fonds de Dotation Maria Callas en 2017, TOM VOLF, poursuit en justice le coréalisateur de son film MARIA CALLAS… La version actuellement projetée dans divers festivals internationaux, inachevée, n’ayant pas été validée par ses soins…

 

Communiqué de Mr Paul Le Fèvre, avocat de TOM VOLF :

Tom Volf, réalisateur, metteur en scène, et auteur de l’ouvrage « Maria Callas : Lettres & Mémoires » publié aux éditions Albin Michel en 2019, a adapté cette œuvre littéraire au théâtre la même année, offrant à Monica Bellucci un rôle sur mesure pour ses débuts sur scène. Suite au succès d’une tournée de trois ans, il a entrepris de transposer cette adaptation dans un film éponyme.

Le film en question, présenté pour la première fois en octobre 2023 au Festival du Film de Rome l’a été en violation de ses droits d’auteur, puisqu’il s’agit d’une version inachevée qui n’a jamais reçu son approbation pour être présentée au public.

Malgré ses demandes incessantes depuis plus d’un an pour que cette situation illicite cesse et pour pouvoir finaliser le montage de ce film, Monsieur Tom Volf a constaté que cette projection à Rome a été suivie de projections en Grèce, en Espagne, à New York et, plus récemment, au Festival Lumière à Lyon.

Ces agissements l’ont contraint à citer directement les producteurs du film devant le Tribunal correctionnel. Ils devront y répondre du délit de contrefaçon.

Les organisateurs de festivals ont été alerté quant au caractère illicite de la divulgation au public de cette oeuvre inachevée n’ayant pas reçu l’approbation de son auteur. Cette démarche a conduit à l’annulation de la projection prévue en octobre 2024 au Festival de Montréal pour laquelle Monica Bellucci était annoncée.

Plus récemment, Monsieur Tom Volf a appris avec stupeur l’annonce de la projection de son film dont le titre a été modifié à son insu, renommé « Maria Callas, Monica Bellucci : une rencontre » le 1er décembre prochain au Festival International du Cinéma de Marrakech, projection à laquelle la présence de Monica Bellucci a été annoncée par le festival et dans la presse.

Pire, le nom de Tom Volf a été retiré, le film apparaissant désormais comme réalisé par Yannis Dimolitsas, qui jusqu’à présent était uniquement crédité comme co-réalisateur de Tom Volf.

Monsieur Tom Volf n’a pas d’autre choix aujourd’hui que de prendre la parole pour informer les professionnels du secteur et le public de cette situation.

J’ai vécu chaque projection depuis un an
comme une profonde trahison humaine

Il a déclaré : « Je suis choqué et bouleversé de voir Monica Bellucci agir avec autant de mépris des travaux de son réalisateur. Je ne comprends pas comment l’actrice pour qui j’avais tant de respect et à qui j’ai offert ce rôle peut ainsi bafouer les droits d’auteur et tout ce que nous avons partagé pendant plus de trois ans. J’ai vécu chaque projection depuis un an comme une profonde trahison humaine. »

 

À propos de Tom Volf

Réalisateur, auteur, producteur, Tom Volf a conquis le monde artistique par sa passion dévorante pour Maria Callas. Il a exhumé des trésors inédits de la vie de la diva, tissant un récit fascinant à travers films, livres, expositions. Son œuvre maîtresse, “Maria by Callas”, révèle non seulement la cantatrice légendaire, mais aussi la femme derrière le mythe, dans un dialogue intime avec le public. Volf, par son approche novatrice et sa dévotion, a su capturer l’essence même de Callas, offrant au monde un portrait saisissant de l’artiste qui transcende les frontières du temps et de l’art. Photo Tom Volf (DR)

Le Fonds de Dotation Maria Callas

Le Fonds de Dotation Maria Callas, créé en 2017 avec le soutien des proches de la cantatrice, est une organisation à but non lucratif dédiée à la préservation de son patrimoine et la promotion de son héritage artistique. Présidé par Tom Volf, ce fonds est le gardien d’un trésor inestimable d’archives, notamment des enregistrements inédits. Il œuvre à la restauration et à la diffusion de documents rares, comme le film du récital historique “Callas, Paris 1958” sorti en salles en décembre 2023 à l’occasion du centenaire de l’artiste. Cette fondation joue un rôle crucial dans la perpétuation de la mémoire de Maria Callas, permettant aux générations futures de découvrir et d’apprécier le talent exceptionnel de cette artiste qui a marqué l’histoire de l’opéra.

 

 

approfondir

LIRE notre entretien avec TOM VOLF à propos de la projection au cinéma du récital Marias Callas Paris 1958 : https://www.classiquenews.com/entretien-avec-tom-wolf-president-du-fonds-de-dotation-maria-callas-paris-a-propos-de-la-restauration-du-film-du-recital-parisien-du-19-decembre-1958/

ENTRETIEN avec TOM VOLF, président du Fonds de dotation Maria Callas (Paris) à propos de la restauration du film du récital parisien du 19 décembre 1958…

 

 

CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Théâtre du Capitole, le 26 novembre 2024. Bruno MANTOVANI : Voyage d’automne (création mondiale). Marie Lambert-Le Bihan / Pascal Rophé

Evénément au Théâtre du Capitole que la création mondiale du dernier ouvrage lyrique de Bruno Mantovani : « Voyage d’Automne«  ! Le livret de Dorian Astor, d’après le livre éponyme de François Dufay, est concis et précis à la fois. Un beau travail qui permet une lisibilité de l’action tout en laissant une ambiguïté nécessaire à cette histoire fascinante. La séduction exercée sur ces intellectuels français, en 1941, par le régime nazi est un fait historique dérangeant. Ce voyage de 5 poètes français en Allemagne, leur retour faisant l’éloge du régime totalitaire également, sont avérés. Un sujet si noir, avec uniquement des voix masculines, a peu à voir avec les canons de l’opéra. Le Théâtre du Capitole a mis toutes ses forces pour faire de cette création, une réussite.

 

 

La distribution, nous y reviendrons en détail, s’y montre exemplaire. Le livret de Dorian Astor, nous l’avons dit, est de grande qualité. Les décors d’Emanuele Sinisi sont très symboliques, simples, suggestifs. Les costumes d’Ilaria Ariemme font voyager dans cette époque terrible. Les lumières et vidéos de Yaron Abulafia sont complexes et donnent beaucoup d’épaisseur au tragique de l’action. La mise en scène et la direction d’acteurs sont de Marie Lambert-Le Bihan. C’est un magnifique travail à la fois d’ensemble et de détails. Les relations complexes entre les personnages sont très abouties. Chacun incarne la névrose qui l’amène à vendre son âme aux démons. Le désir de Marcel Jouhandeau pour une supposée force virile allemande incarnée par Heller est pathétique. Il ne s’agit pas d’amour mais de désir visant à s’abaisser. Ramon Fernandez avec un bagout artificiel est volubile. Mais le plus excité par une sorte d’enthousiasme hystérique est Robert Brasillach. Jacques Chardonne est l’incarnation de la vanité autocentrée. Quant à Pierre Drieu La Rochelle, il promène avec élégance et une morgue condescendante sa « suicidalité » latente. Côté allemand, les trois rôles sont également très bien campés. Heller partage une forme de désir pour Jouhandeau et entretient ce dernier dans sa dépendance avilissante en y mêlant Gerhard Baumann. Pourtant il essaiera avec lucidité de dire qu’il n’est lui-même pas plus qu’un exécutant. Baumann est le soldat discipliné, impeccable et exemplaire. C’est surtout Wolfgang Göbst, le ministre de la Propagande qui nous interpelle par une allure robotique très inquiétante. Le dernier personnage est une femme, une « songeuse » qui intervient trois fois. En une longue robe blanche elle n’est pas vraiment consolatrice mais offre un peu d’humanité et de sentiments (même si c’est de la tristesse) dans cette action si sombre.

 

 

Évoquons à présent la partition de Bruno Mantovani. Il écrit une sorte de récitatif pour les voix qui permet la fluidité du texte, mais fuit le chant. L’orchestre intervient surtout entre les dialogues et sonne fort, complexe et riche. Cette alternance crée une forme hypnotique. Il y a également de beaux moments d’ostinato tant pour le voyage en chemin de fer que pour la descente aux enfers des protagonistes. Je regrette que Mantovani se range dans ces compositeurs d’opéra qui ne mettent pas en valeur les voix, ne jouent pas avec les codes de l’opéra. Avec une distribution pareille, il aurait pu proposer des moments vocaux plus complexes. Le petit madrigal « a capella » nous a mis l’eau à la bouche sans véritable suite. C’est finalement le chœur qui aura les moments les plus lyriques. L’Orchestre et le Chœur du Capitole de Toulouse sont magnifiques. La direction de Pascal Rophé est précise et nuancée. LIRE aussi notre ENTRETIEN avec Bruno Mantovani à propos de « Voyage d’Automne » (nov 2024).

 

 

La distribution mérite tous les éloges : Pierre-Yves Pruvost – que nous avons connu en Klingsor dans Parsifal sur cette même scène – ne peut donner toute sa voix de baryton-basse, dans le rôle de Marcel Jouhandeau, mais reste celui qui chantera le plus. Il est un peu un monsieur tout le monde, banal. Son jeu est très subtil suggérant – plus que montrant – son attachement de midinette à Heller. Stephan Genz en Heller a une voix de baryton percutante et qui peut être mielleuse, lui permettant de mettre en valeur toute la complexité de son personnage. Emiliano Gonzalez Toro de sa voix de ténor capable d’ombre exprime l’agitation de Ramon Fernandez nous le rendant presque sympathique par moments. Vincent le Texier est un Jacques Chardon à la suffisance puante. Très beau travail de composition mais sa belle voix de basse n’est pas beaucoup mise en valeur. Yann Beuron, ténor de grâce, joue de son beau timbre et de sa ligne de chant contrôlée pour faire de Drieu La Rochelle un personnage redoutablement complexe, à la fois mélancolique et séducteur. Jean-Christophe Lanièce est Brasillach, il joue de sa jeunesse pour se démarquer, et avec lucidité, se dit journaliste plus qu’écrivain et témoin. Sa faillite au retour n’en est que plus tragique, il sera témoin aveugle lors de l’arrêt du train. Cet arrêt est le moment le plus terrible car les cinq hommes devant l’exécution sommaire des juifs ne voudront « pas en croire leurs yeux », alors que leur description des faits barbares est très précise. La plus grande réussite en termes de voix est le contre-ténor William Shelton dans le rôle de Wolgang Göbst. Jamais – avec cette allure robotique et sa seule voix de tête – une « désincarnation » aussi fascinante n’a été créée. Ce robot sans âme et une voix sans corps est tout à fait effrayant. Enguerrand de Hys en Baumann, avec sa belle voix de ténor, allie également séduction malhabile dans son air et obéissance de soldat la plupart du temps. Reste la belle Gabriel Philiponet en Songeuse. Ses trois interventions sont très attendues car c’est la seule voix féminine. Si elle s’exprime dans une sorte de cantilène pas assez éloignée de la matière du récitatif des hommes, nous sommes loin des interventions nocturnes si lyriques de Brangäne par exemple…

 

 

La plus grande réussite de la dramaturgie est de montrer la banalité du mal ; comment chacun, y compris aujourd’hui, est capable de se laisser séduire par le mal. Notre époque peut prendre exemple sur cette « aventure intellectuelle » et ne pas la juger si sévèrement. Ne rien vouloir voir reste la plus grande plaie de ce monde et nous n’avons rien à envier (climat, guerres, pauvreté …). Les moyens considérables mis par le Théâtre du Capitole pour cette production sont magnifiques. La mise en scène de Marie Lambert-Le Bihan est de très grande qualité. Les partis pris de Bruno Mantovani sont intéressants mais laissent un peu sur leur faim les amateurs de voix. Le livret de Dorian Astor est habile, la distribution est superlative, l’orchestre et les chœurs sous la direction de Pascal Rophé sont parfaits… bref, une grande soirée !

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Théâtre du Capitole, le 26 novembre 2024. Bruno MANTOVANI : Voyage d’automne (création mondiale). Marie Lambert-Le Bihan / Pascal Rophé. Toutes les photos © Mirco Magliocca

 

 

 

 

VIDÉO – Christophe Ghristi présente « Voyage d’Automne » de Bruno Mantovani au Théâtre du Capitole :

CRITIQUE, opéra. RENNES, opéra de Rennes, le 28 nov 2024. Kurt WEILL : Les 7 péchés capitaux. Natalie Pérez, Noémie Ettlin, Guillaume Andrieux… Orchestre National de Bretagne. Jacques Osinski / Benjamin Lévy

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Dans leur 3ème et dernier ouvrage musical,  Kurt Weill et Bertold Brecht cumulent les originalités ; plus que jamais pour « Les 7 péchés capitaux » (créé à Paris en 1933), il s’agit de pousser loin les frontières d’une expérimentation à deux ; le duo imagine le parcours d’Anna à travers les métropoles américaines, illustrant ainsi chacun des 7 péchés capitaux, chaque ville étant le lieu des tentations moralement condamnables ; le tout ponctué par un chœur d’hommes exhortant leur chère et tendre sœur, à ne pas céder aux mirages urbains, soit aux 7 péchés précités. Pour autant chacun est bienheureux de collecter les fruits de cette épopée incertaine… Ici les hommes, fébriles, attendent, et les femmes travaillent jusqu’à l’épuisement. Les gains de ce périple incertain doit à terme financer la construction de la maison familiale, en Louisianne, au bord du Mississipi.

 

 

Fidèle à son génie inclassable, à la fois raffiné, éclectique, réformateur, Kurt Weill mêle les styles et les genres avec une authentique inspiration : swing jazz, fox trot, tarentelle, cabaret, chanson ; surtout mélodie française et bien sûr, sprechgesang opératique.
Sur les planches, deux femmes dont l’élégance captive immédiatement ; leur danse millimétrée, en un tango envoûtant est le sommet de la conception générale. Les deux visages d’Anna l’héroïne, chanteuse et danseuse, sont ainsi unis dans la dureté d’une aventure qui devient épreuve éreintante. C’est bien connu, l’adversité éprouve et révèle nos propres limites. Anna, à travers chaque ville rejointe, souffre davantage, en perdant chaque fois une nouvelle partie d’elle-même. Ces hommes qui la convoitent, ne l’aiment pas pour elle-même ; ils ne voient pas la femme mais l’objet fantasmatique, lequel est d’ailleurs superbement incarné par la danseuse au corps sculptural [et quel corps ! : sublime Néomie Ettlin], qui à partir de Philadelphie, devient danseuse étoile ; puis à Baltimore, courtisane convoitée de tous ; … une déesse pour laquelle les hommes se suicident. Rien que ça. Théâtralement le spectacle est un régal, de surcroît dans un format court [1h sans entracte], conçu comme un condensé du ballet original jalonné par les 3 chansons en français, soit les 3 moments les plus intenses et les plus brûlants : « Je ne t’aime pas », la complainte de la Seine, et bien sûr « Youkali », à l’ivresse nostalgique inénarrable [et qui nous vaut le tango à deux, précité]. S’y trouvent concentrés les sentiments les plus emblématiques du compositeur : nostalgie, amour, désillusion (cf les larmes de la Complainte de la Seine) et dans le même temps, force poétique irrésistible.

 

Vocalement le mezzo solide de Natalie Pérez affirme tout du long une musicalité à toute épreuve, plus à l’aise dans le sprechgesang que la chanson française ; c’est que la mélodie en français conçue par Weill exige certes une voix lyrique mais aussi du mordant, un brin canaille et cabaret, au carrefour du burlesque et de la tragédie lyrique. Cette alliance si particulière continue de rendre inégalable à notre avis l’interprétation de la québécoise Diane Dufresne, qui a enregistré plusieurs chansons de Weill, de surcroît avec le chef Yannick Nezet-Seguin (album édité chez Atma et depuis lors, devenu mythique). Mais la jeune cantatrice française sait titiller sa sœur, lui rappelant les valeurs d’une bonne conduite, comme une gardienne compréhensive et moralisatrice.
Sa partenaire danseuse (Néomie Ettlin)  est impeccable du début à la fin, jouant toutes les facettes de la jeune Lolita prête à tout pour dominer les hommes et exploiter leur désir. Au risque d’y perdre sa candeur voire son identité. Car c’est bien la morale de l’ouvrage : tout se paie ici bas au prix le plus fort.

 

Photo : Natalie Pérez, Noémie Ettlin, les 2 visages de l’héroïne Anna © Laurent Guizard

 

Le temps file d’autant plus rapidement que la fosse pétille au diapason d’une action fabuleusement barbare où comme il l’avait fait dans son opéra précédent « Grandeur et Décadence de la ville de Mahagony » (1930), Weill, sur un mode orchestral léger, badin, parfois facétieux, exprime les travers les plus terrifiants de l’âme humaine, abandonnée au seul pouvoir de l’argent… (entre autres). Sous la baguette, dynamique, impétueuse de Benjamin Lévy, les musiciens de l’Orchestre National de Bretagne, redoublent de couleurs, de rythmes ; Kurt Weill ose et revendique des combinaisons de timbres savoureuses où brillent entre autres, les bois insolents, séducteurs ; les percussions (trompette non moins inspirée) ; l’orchestre joue d’ailleurs une orchestration particulièrement réussie de Youkali.

Saluons les choix artistiques de Matthieu Rietzler, directeur de l’Opéra de Rennes, qu’un authentique respect des artistes et une proximité constante avec les idées et les projets, rendent exemplaires ; à la façon d’un labo artistique, innovant en terme de sujets et de formes de spectacle, l’Opéra de Rennes ose, réalise, et réussit des « objets musicaux » qui relèvent davantage du théâtre musical que de l’opéra proprement dit. C’est une conception qui répond très exactement aux attentes les plus actuelles ; d’autant plus que preuve est faite qu’avec un dispositif raisonnable, la magie théâtrale et musicale opère sans réserve (ce soir dans la mise en scène efficace et très juste de Jacques Osinski). Un décor mesuré qui prend en compte les contraintes écologiques du réemploi et de l’économie, laisse l’art musical et le jeu théâtral se déployer sans contraintes.

 

 

 

Ces 7 péchés illustrent idéalement cette quête permanente de la régénération formelle et de l’exigence artistique. Ainsi face à la scène chacun peut suivre l’action selon « l’offre visuelle » qui s’y déploie; écran vidéo au-dessus des actrices, qui communique l’idée du « road movie » américain, d’étape en étape, de villes en mégapoles… Weil et Brecht détricotent en réalité le mythe américain qui pourtant sera le refuge espéré. Fuyant l’Europe envahie par les nazis, Weill fait une dernière étape en Europe à Paris, livrant ses 7 péchés irrésistibles ,avant de rejoindre les States. Il meurt à New York en 1950.
Une installation métallique, industrielle avec néons recentre l’espace de l’action ; elle permet d’accueillir les hommes attablés qui forment le chœur d’exhortation, tandis qu’à cour, un simple portique regroupe les costumes que revêtent les 2 interprètes, selon la situation de chaque tableau. On passe ainsi de Philadelphia à Baltimore,… où cynisme et séduction calculée brossent un portrait particulièrement désenchanté de l’humanité… Miroir de ce qu’a vécu probablement Weill en Allemagne, témoin de l’ascension des nazis dans la place. Mordant mais poétique, critique et raffiné, le spectacle, fidèle à l’esprit de Weill, est un sans faute délectable où l’équilibre chant et jeu théâtral (dont celui dansé) est idéal.

 

 

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CRITIQUE, opéra. Opéra de Rennes, le 28 nov 2024. Kurt WEILL : Les 7 péchés capitaux. Natalie Pérez, Noémie Ettlin, Guillaume Andrieux… Orchestre National de Bretagne. Benjamin Lévy (direction) / Jacques Osinski (mise en scène). Photo © Opéra de Rennes

 

LIRE aussi notre annonce de l’opéra de Kurt WEILL : Les 7 péchés capitaux à l’Opéra de Rennes : https://www.classiquenews.com/opera-de-rennes-kurt-weill-les-7-peches-capitaux-les-25-26-28-nov-2024-natalie-perez-et-noemie-ettlin-jacques-osinski-benjamin-levy/

 

Prochain spectacle événement à l’Opéra de Rennes :

Le Couronnement de Poppée de Monteverdi, sam 14 déc 2024, 18h- La Banquet Céleste… Catehrine Trottmann (Poppée), Ray Chenez (Néron), Paul-Antoine Bénos-Djian (Othon), Ambroisine Bré (Octavie)… Ils sont de retour ! Après leurs représentations triomphales en 2023, les artistes réunis par l’Opéra de Rennes et Le Banquet Céleste pour Le Couronnement de Poppée de Monteverdi se retrouvent pour une tournée en version de concert… Une nouvelle étape rennaise s’imposait. Infos & Réservations directement sur le site de l’Opéra de Renens : https://opera-rennes.fr/fr/evenement/le-couronnement-de-poppee-0

 

 

CRITIQUE, concert. VERSAILLES, Chapelle Royale, le 24 novembre 2024. MOZART : Requiem. M. Perbost, B. Rimondi, M. Ortscheidt, E. Fardini. Choeur et Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles, Théotime Langlois de Swarte (direction)

C’est avec la casquette de chef d’orchestre que le jeune violoniste Théotime Langlois de Swarte, Premier violon “chouchou” des Arts Florissants et de l’ensemble Le Consort, se présente ce soir sous les admirables voûtes de la Chapelle Royale de Versailles, pour une exécution du Requiem de W. A. Mozart (et de son fameux Concerto pour clarinette), placé à la tête du Chœur et de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles. Le jeune musicien prodige fait ici rayonner les deux ensembles “royaux” dans une version épurée du Requiem, tandis que le clarinettiste José-Antonio Salar-Verdu poétise avec lui le Concerto K.622

 

Et pour explorer une fois encore cette œuvre, aussi fréquentée qu’au demeurant énigmatique, un Théotime Langlois de Swarte à la renommée grandissante, et à l’énergie ré-inventive, doublée d’un tempérament à la fois savant et intuitif. Il y a déjà un son “Langlois de Swarte”, une tonalité passionnelle et rigoureuse, et plus discrètement, poétique : le croisement en concert de deux partitions ultimes de Mozart met en valeur – dans le Concerto pour clarinette K.622 daté d’octobre 1791 – cette dernière vertu, en face du Requiem si universellement connu que certains croient en avoir sondé tous les secrets. Oui, le Requiem K.626 est-il « comme d’autres » ? Génial(e), à l’évidence, et comme tant d’œuvres de Mozart. Mais Symphonie (funèbre) inachevée, entourée d’une aura étrange – celle de la « chronique d’une mort annoncée » -, avec son commanditaire, le Comte Walsegg, l’homme en noir qui poursuit l’auteur et l’enjoint d’en terminer au plus vite, en une atmosphère de thriller implicite donnant même lieu post-mortem à un “délire” sur ce pauvre Antonio Salieri qui aurait empoisonné ce pauvre “Wolfie” – les réseaux “X” de l’époque « inspirant » Pouchkine, Rimsky-Korsakov, et jusqu’à Milos Forman…

 

Et il y a une fièvre étonnante dans la version qu’en donne Langlois de Swarte, avec des numéros successifs qui ont trait à la mise en place d’un opéra du sacré catholique, mais aussi une sorte de “work in progress”, qui contient aussi bien la réminiscence dans le terrible (la damnation de Don Giovanni) que la menace sournoise (début de l’œuvre), une agogique de course à l’abîme, une pulsation visible ou souterraine, des moments suspendus qui appellent de futures mélodies de timbres (le Recordare) et une conception étale du temps… Tout est lié par une direction d’énergie inlassable, souvent d’un tempo  accéléré, et malgré la rigueur absolue de la mise en place, analogue à une improvisation en recherche d’elle-même, des buts techniques et philosophiques poursuivis. Pour cela, les très subtils Orchestre et Chœur de l’Opéra Royal de Versailles homogènes, inventifs et amples, font bien saisir un nouveau regard. Les quatre solistes vocaux ne sont plus des « chargés d’air de concert », mais les protagonistes sans auto-valorisation d’une œuvre en recherche : la mezzo Mathilde Ortscheidt, le ténor Bastien Rimondi, la basse Edwin Fardini, et la soprano Marie Perbost, si délicieusement humble et intimiste.

 

En cette lumière si contrastée, parfois violente, du Requiem, on saisit mieux la précieuse éclaircie du début de concert, le Concerto pour clarinette K.622, lui aussi écrit en octobre 1791, pour l’instrumentiste Anton Stadler – un bon compagnon de fêtes comme les aimait Mozart, et qui rappelle aussi les relations moqueuses de Wolfgang avec le corniste (et marchand de fromages) Leitgeb -, mélangeant l’ardeur constructrice (Allegro), le jeu (Rondo-Finale) et en son centre un Adagio qui idéalise l’inspiration, la reliant au maçonnisme (le cor de basset cher au compositeur), et à ce que murmure le sublime. Un clarinettiste d’exception, José-Antonio Salar-Verdu, fait constamment se demander s’il « chante » ainsi la beauté du monde, l’espace de l’intime, les couleurs en bleu et or de Tiepolo ou Watteau, s’estompant jusqu’à l’imperceptible de ses fins de phrase… Et aussi, parfois, il semble citer les femmes tant aimées de Mozart, Aloysia Weber et Nancy Storace, ses cantatrices si désirées mais absentées, la Comtesse, Pamina ou Fiordiligi, les créations de son rêve plus réelles encore d’être passées dans l’écriture.

 

 

En guise de bis, l’Ave Verum apporte une teinte plus optimiste et douce, avant que le Lacrimosa ne résonne une seconde et dernière fois dans la Chapelle des Rois de France, replongeant l’auditoire dans une pure et bienfaitrice émotion.

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CRITIQUE, concert. VERSAILLES, Chapelle Royale, le 24 novembre 2024. MOZART : Requiem. M. Perbost, B. Rimondi, M. Ortscheidt, E. Fardini. Choeur et Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles, Théotime Langlois de Swarte (direction). Toutes les photos (c) Emmanuel Andrieu

 

VIDEO : James Gaffigan dirige le « Requiem » de Mozart à la Basilique de St Denis

 

CONJONCTURE. La région Pays de la Loire annule sa subvention pour La Folle Journée de Nantes 2025, et entend réduire de 70% son budget alloué à la culture…

Tendance de fond ou décision singulière, la Région Pays de la Loire retire sa subvention initialement promise à La Folle Journée de Nantes 2025, ce à quelques semaines seulement de l’événement.

 

La Région annonce par ailleurs une baisse de 70% de ses aides à la culture en 2025, alors que dans un climat social déjà dégradé, la plupart des actions de sensibilisation, de démocratisation, autant d’actions culturels qui améliorent le vivre ensemble, dépendant directement des subventions concernées. Des décisions qui vont encore aggraver l’état de la société comme mettre en péril festivals, associations, théâtres, opéras, salles de concert…

A dix jours de l’ouverture de sa billetterie : La Folle Journée de Nantes apprend ainsi l’annulation des quelques 180.000 euros habituellement alloués par la région Pays de la Loire, à l’événement prévu du 29 janvier au 2 février 2025 et qui fête ainsi ses 30 ans. Un cadeau régional dont se serait volontiers dispensé le Festival pour son anniversaire.

Fonctionnant avec un budget total de 4,7 millions d’euros, La Folle Journée dont le principe s’exporte à l’international [jusqu’à Tokyo], perd un partenaire politique symbolique dans une région française qui jusqu’alors brillait par sa forte réputation artistique. C’est même son attractivité qui en est égratignée : l’accès à la culture comme la grande diversité des propositions artistiques, étant plus qu’ailleurs, particulièrement favorisés jusque là.

« Cette annonce brutale, sans aucun respect des organisateurs ni des publics, met à bas une mobilisation partagée qui avait traversé les clivages politiques ces dernières décennies pour la vie musicale du territoire », ont déclaré, démunis et atterrés, les représentants du festival nantais dans leur communiqué.

Fort heureusement pour cette prochaine édition 2025, la Ville et la Cité des Congrès de Nantes, cette dernière produisant le festival, combleront le trou budgétaire, afin de préserver pour le moment l’édition à venir. Cette décision surprenante, annoncée dans des délais pour le moins cavaliers, s’inscrit-elle dans une décision politique plus générale qui annonce des temps incertains ? En effet l’objectif déclaré par la région Pays de la Loire comprend une baisse générale de ses soutiens à la culture à hauteur d’au moins 70% !

La présidente du conseil régional Christelle Morançais (Horizons) entend maintenir ce cap afin de réaliser au moins 100 millions d’euros d’économies [alors que le gouvernement Barnier ne lui en aurait demandé que 40 !]. La culture doit se réinventer et devenir rentable… Aux acteurs culturels de trouver les moyens de s’autofinacer sans bénéficier d’argent public. À chacun de juger. En période de crise budgétaire et de chasse aux économies à tout va, la culture a toujours été une variable d’ajustement en particulier de la part des politiques pour lesquels elle n’était qu’un bien de consommation comme les autres. Dans la région Pays de la Loire, l’exception culturelle à la française serait-elle en passe de devenir lettres mortes ?

  • Déjà un collectif d’artistes de Nantes [et d’ailleurs dans l’Hexagone] ont signé une pétition dénonçant la décision d’annuler jusqu’à 70% des subventions actuelles pour la Culture en région Pays de la Loire [pétition en ligne sous le titre « 73% en moins pour la Culture » : presque 70 000 signatures ont été collectées, à ce jour, dont entre autres celle de la pianiste Vanessa Wagner, du danseur Étoile Hugo Marchand, du chorégraphe Angelin Preljocaj…
  • Signez ici la pétition : https://www.change.org/p/pays-de-la-loire-plus-de-1000-artistes-et-professionnels-de-la-culture-se-mobilisent

La culture concerne tout le monde et il semblerait raisonnable d’interroger à ce stade, les contribuables nantais eux-mêmes sur leur conception de la culture, de sa nécessité sociale et des moyens pour son accès le plus facile pour tous et partout, au nom de l’égalité à la culture. Mais la France n’est pas comme d’autres pays européens [comme la Suisse], adepte des consultations ni des référendums… À suivre.

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle aux grains, le 23 novembre 2024. TCHAÏKOVSKY / BERG / SCHOENBERG. Orchestre National du Capitole de Toulouse, Kristi Gjezi (violon), Tarmo Peltokoski (direction)

Moins de deux mois après avoir dirigé une Deuxième Symphonie (dite “Résurrection”) de Gustav Mahler qui restera dans la mémoire de ceux qui ont eu la chance d’y assister, le jeune prodige finlandais Tarmo Peltokoski est de retour dans les murs de la Halle aux grains à la tête de “son” Orchestre National du Capitole de Toulouse, dans un programme plus varié, mettant à l’honneur Tchaïkovski, Berg et Schoenberg, avec comme soliste le chef d’attaque de la phalange toulousaine, le violoniste albanais Kristi Gjezi

 

Et avec lui que débute la soirée, pour une exécution du fameux Concerto pour violon en Ré majeur de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Une fois encore, le magnifique ouvrage que le maître russe composa à l’âge de 38 ans, inspire la pénétrante interprétation du toujours très convaincant Premier violon supersoliste de l’ONCT qu’est Kristi Gjezi. Artiste virtuose, il se montre étincelant et, sous son archet, l’on ressent à la fois les influences occidentales (Schumann, Beethoven) et russes (Glinka, le folklore, l’âme russe) de Tchaïkovski. La difficile gestion des conflits personnels profonds de Tchaïkovski se fondent et s’entre-enrichissent ici pour concevoir une très intéressante lecture de l’œuvre. À la fois virtuose, inspiré et pénétrant, le violon de Gjezi plonge dans une conception romantique dénuée de pathos, mais de toute beauté et de juste introspection. De son côté, sous la gestique toujours aussi chaloupée et fascinante du jeune Peltokoski, la phalange toulousaine s’avère, comme à son excellente habitude, d’une superbe tenue, et accentue, avec talent et nuances, la richesse et la puissance d’une partition tantôt émouvante tantôt épique. Malgré les nombreux rappels, le public n’obtiendra pas de bis…

 

Après l’entracte, c’est à la rare transcription pour orchestre de la Sonate pour piano d’Alban Berg (par Theo Verbey) qui est donnée à entendre, où l’orchestre conjugue précision dans l’étagement des plans sonores et grands élans post-romantiques. Mais c’est la pièce d’après que le public attendait surtout (à commencer par votre serviteur…), la sublime “Nuit transfigurée” d’Arnold Schoenberg, un des chefs-d’œuvres absolus de tout le XXe siècle. La Nuit transfigurée de Schoenberg sonne comme un hymne hédoniste à l’intelligence et la beauté dans une relation fusionnelle. Ce mouvement unique emporte immanquablement le public dans les émotions vertigineuses des poèmes si morbides et sublimes de Richard Dehmel, “Die Verklärte Nacht”. Sous la vigilance de chaque instant de Peltokoski, la perfection technique de l’orchestre toulousain est mise au service d’une interprétation tenue et impressionnante qui recrée l’émotion par l’admiration. L’écoute et la fusion des timbres est celle de vrais musiciens de chambre et l’ampleur des sonorités de chaque pupitre est bien digne des plus grandes formations symphoniques européennes. Des qualités qui semblent pourtant opposées sont ici entremêlées dans un véritable vertige, et c’est un triomphe d’applaudissements que le public adresse à son orchestre bien aimé… Heureux toulousains !

 

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CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle aux grains, le 23 novembre 2024. TCHAÏKOVSKY / BERG / SCHOENBERG. Orchestre National du Capitole de Toulouse, Kristi Gjezi (violon), Tarmo Peltokoski (direction). Toutes les photos © Mirco Magliocca

 

VIDEO : Kristi Giezi interprète le Concerto pour violon de Tchaïkovski

 

EXPOSITION. PARIS, Philharmonie : « RAVEL BOLÉRO », du 3 déc 2024 au 15 juin 2025. 150ème anniversaire de la naissance de Maurice Ravel

Maurice Ravel le plus grand génie français musical avec Rameau, Berlioz, ou son contemporain et confrère Debussy ? Assurément, il mérite les plus grands égards. Ne serait-ce que pour une seule partition, géniale, inclassable : « Boléro » qui créé en 1928, destiné à la mécène et danseuse Ida Rubinstein, demeure une œuvre clé, énigmatique autant qu’irrésistible… que propose de décrypter sans en atténuer la force poétique, cette exposition événement, proposée par la Philharmonie de Paris, dans les espaces exposition de la Cité de la musique. L’événement est d’autant plus opportun que 2025 marque le 150ème anniversaire de la naissance du compositeur (1875).

 

Le Boléro synthétise la pensée et l’écriture de Ravel. L’exposition propose pour le 150e anniversaire de la naissance du compositeur, « un portrait de l’artiste en forme de kaléidoscope ». Le parcours comprend une « expérience audiovisuelle saisissante », expose plusieurs objets patrimoniaux issus des collections françaises les plus prestigieuses, notamment la maison-musée Ravel à Montfort-l’Amaury (où fut composé le Boléro).

 

Hymne à la danse
La composition reste paradoxale, pour Ravel et pour le public. « Mon chef-d’œuvre ? Le Boléro, bien sûr ! Malheureusement, il est vide de musique », écrivait le musicien en 1928, comme pour souligner davantage la construction que le contenu mélodique : une économie extrême de moyens, un ostinato rythmique, deux motifs mélodiques, un crescendo orchestral et une modulation inattendue,… voilà objectivement le schéma d’une œuvre qui décortiquée ainsi, reste d’une « simplicité » déconcertante. Mais Ravel crée un chef-d’œuvre universel, fruit d’une réflexion musicale radicale. Commande de la danseuse et chorégraphe Ida Rubinstein, le Boléro est d’abord une chorégraphie, pensée pour la danse. Son rythme hypnotique (évoquant les castagnettes) captive l’auditeur immédiatement, et ne le lâche plus, l’entraînant dans une transe irrésistible qui exige de tout l’orchestre. Maquettes de décors et dessins de costumes ressuscitent les différentes productions du Boléro tout en évoquant d’autres partitions chorégraphiques de Ravel : Pavane pour une infante défunte, Daphnis et Chloé, La Valse.

 

Musique en images
Le visiteur éprouve dès la première salle l’expérience physique de ce crescendo orchestral envoûtant, grâce à un dispositif cinématographique unique dédié à l’interprétation du Boléro par l’Orchestre de Paris et son directeur musical Klaus Mäkelä. Le parcours évoque aussi les multiples réinterprétations musicales et chorégraphiques de l’œuvre – dont celles des chorégraphes Maurice Béjart, Aurél Milloss ou Thierry Malandain – … Leurs réalisations se déploient en une partition audiovisuelle qui montre que, depuis 1928, le Boléro n’a cessé de fasciner.

 

L’Espagne revisitée
Le Boléro – d’abord intitulé Fandango – s’inscrit dans une lignée d’œuvres ravéliennes inspirées par l’Espagne, la Habanera de sa jeunesse jusqu’à sa dernière pièce, Don Quichotte à Dulcinée, sans omettre l’opéra L’Heure espagnole. Né à Ciboure, près de Saint-Jean-de-Luz, Ravel hérite de sa mère le goût de la musique espagnole ; il fait sien un imaginaire fait de sensualité et de rêve qu’il partage avec ses contemporains musiciens. Plusieurs œuvres picturales, comme Lola de Valence de Manet, restitue le goût général pour une Espagne haute en couleur.

 

Une mécanique de précision
À la manière d’un enfant, Ravel se passionne pour toutes sortes de mécanismes, ceux des jouets et casse-têtes qui peuplent sa maison du Belvédère à Montfort-l’Amaury. Dans une lettre de 1928, il parle du Boléro comme d’une « machine ». Fils d’un ingénieur-inventeur, soucieux du moindre détail d’écriture et d’orchestration, Ravel excelle dans la production d’œuvres ciselées au mécanisme à la fois implacable et subtil, comme le Boléro. Il partage cette fascination avec de nombreux artistes de son temps, comme František Kupka ou Fernand Léger.

Commissaire
 : Pierre Korzilius
Conseillère musicale : 
Lucie Kayas

 

 

 

 

 

TOUTES les INFOS et les réservations directement sur le site de la Philharmonie de Paris / exposition « Ravel Boléro » : https://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/exposition/27890-ravel-bolero

 

 

 

catalogue / beau-livre

LIRE aussi notre présentation critique du catalogue de l’exposition RAVEL BOLÉRO à la Philharmonie de Paris / 3 déc 2024 – 15 juin 2025 : https://www.classiquenews.com/livre-evenement-ravel-bolero-catalogue-dexposition-editions-la-martiniere-philharmonie-de-paris/

 

LIVRE événement. « RAVEL BOLÉRO » – Catalogue d’exposition (Éditions La Martinière / Philharmonie de Paris)

 

ENTRETIEN avec Anne-Lise Gastaldi, directrice artistique du festival CLASSICAVAL, à l’occasion de l’édition 2025

CLASSICAVAL fait partie de l’ADN du village de Val d’Isère. Au centre du projet artistique : le partage et le plaisir de la musique classique pour tous. Pour cette 31è édition 2025 (13 – 16 janvier 2025), Anne-Lise Gastaldi, directrice artistique, précise les fondamentaux d’un festival devenu majeur dans l’agenda annuel avalin. Rencontre avec le public le lundi, cocktail après le concert du mardi, rencontre avec les scolaires, diversité des programmes (musique de chambre, récital de piano,…), et pour chaque concert, complicité entre musiciens chevronnés et célèbres, et jeunes instrumentistes… chaque édition est une promesse de découvertes, d’expériences musicales et humaines qui le temps de Classicaval, pendant une semaine, fait de Val d’Isère, la destination culturelle la plus incontournable au début de l’année.
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CLASSIQUENEWS : Pouvez-vous nous présenter le trompettiste Clément Saunier ? Pourquoi l’avoir invité et pour quel(s) programmes(s) ?
 
ANNE-LISE GASTALDI : A chaque édition, une personnalité ou un instrument est mis en avant. Cette année, en accord avec David Hemelsdael, responsable de l’événementiel à l’Office de Tourisme de Val d’Isère, c’est la trompette qui a été choisie. Elle a été peu présente depuis la création du festival et la magnifique église baroque Saint-Bernard de Menthon est un écrin idéal pour l’accueillir. Parmi les grands noms de l’instrument, Clément Saunier, soliste de l’Ensemble Intercontemporain, est une référence. Lauréat de prestigieux concours internationaux, dont le Prix Maurice André de Paris et le concours Tchaïkovski à Moscou, il a collaboré et collabora avec les grands noms que sont Peter Eötvös, Pierre Boulez, Simon Rattle, Philippe Manoury, Hèctor Parra, Yann Robin. Il enseigne au CNSMD de Lyon avec lequel Classicaval a initié un partenariat concernant l’opus 1.
Le programme du 15 janvier 2025, centré sur la trompette, permettra de découvrir cet instrument en tant que leader de formations diverses de musique de chambre intégrant quasiment tous les autres artistes invités de Classicaval pour un tour d’horizon musical qui couvre plus de 200 ans de compositions … car la trompette est un instrument ancien, que l’on retrouve même dans le sarcophage de Toutânkhamon ! Au programme de ce 15 janvier un septuor pour trompette, cordes et piano de Saint-Saëns et 3 concertos pour trompette et cordes. PHOTO : grand portrait d’Anne-Lise Gastaldi © Lyodoh Kaneko.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : 2 – Quel est l’enjeu du partenariat avec le CNSMD de Lyon ? Comment se manifeste-t-il en 2025 ? Comment avez-vous choisi les étudiants instrumentistes invités, et conçu les programmes ? Quels en sont les enjeux ?

ANNE-LISE GASTALDI : Les jeunes musiciens ont toujours été la colonne vertébrale de Classicaval depuis sa création par son fondateur Jean Reizine. Lors des toutes premières années beaucoup d’entre nous étaient encore des étudiants ! Il est donc logique que Classicaval garde cette identité et cela se manifeste de 2 façons :
– En mélangeant musiciens confirmés et futurs jeunes talents dans les programmes, ce qui est une façon de les préparer de manière fluide à leurs futures échéances professionnelles. C’est tout l’objet du partenariat avec le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon. Je remercie d’ailleurs Mathieu Ferey, le directeur du CNSMD de Lyon, et David Hemelsdael qui ont totalement cautionné l’idée et s’y investissent pour la deuxième année consécutive.
Le type de musiciens est choisi en fonction des besoins liés au programme. Une fois les instruments nécessaires cernés, en concertation avec la direction et les professeurs, sont retenus quelques étudiants remarqués pour leurs qualités musicales et leur esprit d’équipe … c’est essentiel dans tous les choix que je fais, en tant que directrice artistique, pour Val d’Isère.
– Cette année trois jeunes musiciens qui sont déjà impliqués de manière remarquable dans une jeune carrière seront présents.  Ainsi, toutes les générations d’artistes sont représentées.

 

 

CLASSIQUENEWS : Chaque édition, le Festival privilégie une rencontre avec l’école primaire de Val d’Isère. Quel en est le but et la forme ?
 
ANNE-LISE GASTALDI : Le but est de faire découvrir, de manière ludique, un domaine parfois inconnu pour de très jeunes enfants : la musique classique. Aller à la rencontre de ces jeunes est chaque année une source de joie et de bonheur. Cette rencontre est un moment privilégié et se prépare en amont du festival, avec l’école. Nous essayons toujours d’intervenir, dans la mesure du possible, sur des thèmes abordés par les enfants avec leurs enseignantes.  Là encore, c’est un travail d’équipe dans un esprit de bienveillance. De plus, je suis persuadée que la Culture est un des ciments de notre société qui, hélas, par beaucoup de côtés, semblent se dégrader parfois. Donc, en semant dans ce jeune terreau que sont les scolaires de Val d’Isère, j’espère susciter une envie, une curiosité, faire comprendre que l’Art n’est pas réservé à une élite mais est à la portée de toutes et de tous ; surtout qu’il est essentiel à l’épanouissement.

 

 

CLASSIQUENEWS : D’une façon plus générale, au moment de la 31è édition, comment a évolué le festival artistiquement, son ancrage territorial, les formes de concert… En quoi le climat et la configuration des lieux et des sites lui confèrent-ils une identité propre ?
 
ANNE-LISE GASTALDI : Classicaval est inscrit maintenant dans l’ADN de Val d’Isère et donne la main à la montagne et plus particulièrement au ski. Classicaval fait partie du patrimoine de la station et nombre de résidents, avalins de souche ou étrangers venant pour l’occasion, notamment beaucoup d’Anglais (c’est d’ailleurs pourquoi les présentations sont faites en français et en anglais lors des concerts) attendent avec impatience cette semaine de concerts, du mardi au jeudi. La rencontre avec nos partenaires est un moment important également, c’est un épisode chaleureux et informel de présentation des musiciens qui a lieu le lundi chez notre partenaire hôtelier, aujourd’hui « La Savoyarde », que je remercie très chaleureusement.
Les concerts de l’opus 1 sont généralement bâtis sur un modèle que je pérennise car le public, avec qui je suis en contact chaque année, l’apprécie beaucoup : musique de chambre les deux premiers jours avec, si possible, une formation étoffée le mercredi, et récital de piano le jeudi.
L’identité de Classicaval se trouve, au-delà de la qualité et de l’originalité des programmes, dans la notion d’échanges avec le public dans un esprit de découverte. Cet esprit est la base du projet soutenu par l’Office de Tourisme et son Responsable de l’Evénementiel, David Hemelsdael : rencontre avec le public à l’hôtel partenaire le lundi, cocktail après le concert du mardi, rencontre avec les scolaires, tout est pensé et organisé dans cet esprit de partage qui est certainement l’essence du festival et qui est parfaitement assuré par la configuration même du village avec la proximité de l’Office de tourisme, de l’église, des partenaires (Maison Chevallot, Jean Sport …).

 

Propos recueillis en novembre 2024

 

 

 

LIRE notre présentation du 31è Festival CLASSICAVAL, les 13, 14, 15 et 16 janvier 2025 à VAL D’ISERE : https://www.classiquenews.com/val-disere-31eme-festival-classicaval-les-13-14-15-et-16-janvier-2025-anne-lise-gastaldi-direction-artistique/

 

(VAL D’ISERE) 31ème Festival CLASSICAVAL : les 13, 14, 15 et 16 janvier 2025 (Anne-Lise Gastaldi, direction artistique). Schubert, Brahms, Saint-Saëns, Stravinski…

 

CRITIQUE, opéra. RAVENNE, Teatro Alighieri, le 19 novembre 2024. MONTEVERDI : Il Ritorno d’Ulisse in Patria. M. Borgioni, D. Galou, V. Contaldo… Pier Luigi PIZZI / Ottavio DANTONE

Aux côtés de son fameux Festival d’été, qui a lieu chaque année (depuis 2012) au début de l’été, la ville de Ravenne, en Italie, célèbre pour ses somptueuses mosaïques paléochrétiennes, organise aussi un festival d’Automne, consacrée entièrement à la voix. Cette “Trilogia d’autunno” – intitulée cette année “Eroi erranti in cerca di pace” (“Héros errants à la recherche de la paix”) – mettait à l’affiche trois spectacles : un récital du contre-ténor star Jakub Josef Orlinski – et deux opéras, tous deux mis en scène par l’immarcescible Pier Luigi Pizzi (94 ans !), et dirigés par Ottavio Dantone à la tête de son Accademia Bizantina : Didon et Enée de Henry Purcell, mais surtout le sublime Il Ritorno d’Ulisse in Patria de Claudio Monteverdi.

 

Dans le testament du maître de Crémone, en dirigeant du clavecin son ensemble Accademia Bizantina, Ottavio Dantone a taillé et retaillé dans la partition, pour que l’esprit et le rythme de la musique épousent ceux de la mise en scène. En effet, il soutient que ce répertoire ne doit pas être traité comme une pièce de musée, mais réinterprété, comme cela se faisait au XVIIe siècle. Assimilant son travail à celui d’un tailleur qui met au goût du jour un vêtement « rétro », mais à l’étoffe toujours de bonne qualité, le chef manie les ciseaux sans vergogne, ajoutant même au besoin quelques morceaux de tissu pour remplir les vides. 

 

De son côté, Pier Luigi Pizzi – qui comme à son habitude – signe également les décors et les costumes, conçoit un espace qui sera commun aux deux mythes (ceux d’Ulysse et Penélope et de Didon et Enée). La patrie d’Ulysse, comme celle de la Reine de Carthage le lendemain, est montrée comme un environnement blanc et rectangulaire, fait de hauts murs et de portes. Le plafond est noir, ressemblant à un ciel nocturne. L’espace n’est pas entièrement fermé, et les portes s’ouvrent pour faire découvrir d’autres lieux, dont notre regard ne perçoit que des couleurs vives. L’admirable perfection des proportions et la succession des portes suffisent à définir un espace nu et accueillant, idéal pour mettre en valeur les figures humaines qui prennent ici une importance archétypale, en proie à des sentiments, des douleurs, des passions, des pensées et des mouvements de l’âme qui varient selon le contexte mais pas dans la substantialité.

 

Et la sobriété de la scénographie n’a d’égale que l’austérité des costumes, des gestes et des objets, peu nombreux mais symboliques : le métier à tisser, le lit nuptial, le trône. Certains accessoires définissent les personnages, comme les attributs des dieux (la foudre, le trident, le casque) ou le bâton de mendiant pour Ulysse. Coup de théâtre qui est aussi un coup de génie, Jupiter est ici précédé d’un fauconnier qui promène un aigle majestueux sur son bras, un fier rapace tout ce qu’il y a de plus vivant… et une image qui fait sensation sur le public. La mise en scène de Pier Luigi Pizzi est fidèle au texte et au mythe, avec le mérite de ne pas imposer des structures interprétatives à un imaginaire qui relève de plein droit au bagage de tout spectateur sensible. Pizzi parvient également à définir, en quelques traits efficaces, les dix-neuf personnages qui jouent sur scène, dont aucun n’est négligeable, ni au point de vue dramaturgique, ni musical.

 

 

Un plateau soigneusement composé habite l’ensemble. Il est dominé par Mauro Borgioni, l’un des Ulisse du moment. Son ”Dormo ancora o son desto ?” déploie d’entrée une palette dynamique grandiose, donnant véritablement la stature héroïque du personnage, nonobstant la beauté de timbre préservée dans les plus subtils piani. La mezzo française Delphine Galou possède la même séduction vocale, et l’actrice nuance supérieurement le mélange doux-amer propre à l’épouse d’Ulisse. Tout à fait persuasifs, le Telemaco de de Valerio Contaldo, dont la vigueur de timbre est bien en situation dans ce rôle d’adolescent, et le touchant Eumete de Luca Cervoni, qui interprète avec émotion ce personnage incarnant la fidélité et l’humanité. De même, la mezzo Margherita Maria Sala incarne une touchante nourrice Euryclée, avec une voix ample et corsée, pétrie d’humanité. Et encore, ouvrant le Prologue, le superbe contre-ténor de Danilo Pastore, ou la vigoureuse Minerva d’Arianna Vendittelli, dont on retrouve avec plaisir la voix chaleureuse, à travers ses multiples et toujours percutantes métamorphoses. De son côté, Robert Burt brûle les planches en Iro, sans tomber dans les facilités de la caricature, jusqu’à son émouvant suicide. Moins éclatant, le reste du plateau n’appelle pourtant aucun reproche. On y relève l’abattage de la jolie Melanto de Charlotte Bowden, comme la drôlerie du Nettuno de Federico Domenico Eraldo Sacchi, ou encore le Jupiter plus vrai que nature, avec ses muscles saillants de bodybuilder, de Gianluca Margheri. Finalement, seule Candida Guida affiche, sans démériter vraiment non plus, des moyens un peu minces et parfois instables, en Giunone

Une salle (presque) comble  fait un triomphe mérité à ce très beau succès d’ensemble.

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CRITIQUE, opéra. RAVENNE, Teatro Alighieri, le 19 novembre 2024. MONTEVERDI : Il Ritorno d’Ulisse in Patria. M. Borgioni, D. Galou, V. Contaldo… Pier Luigi PIZZI / Ottavio DANTONE. Toutes les photos © Zani-Casadio

 

CRITIQUE, récital lyrique. PARIS, Musée Grévin, le 25 novembre 2026. Haendel, Purcell, Eccles, Weldon… Brice Sailly (clavecin) / Evolène Kiener (flûte), Zachary WILDER (ténor)

Il y a six ans, Zachary Wilder avait donné son premier récital parisien au Théâtre Grévin. Il nous présentait alors son album “Eternità d’amore – The Venice Project”, un disque gravé avec le luthiste Josep Maria Martí Duran. Nous y étions et avions découvert un artiste orfèvre, à l’élégance rare. Et c’est de nouveau dans le haut lieu insolite du Boulevard de Montmartre, le Musée Grévin (et dans le cadre des concerts de Philippe Maillard Productions), qu’il nous convie pour accomplir à son bras un voyage à Londres sur les traces des successeurs d’Henry Purcell, fer de lance de l’Opéra anglais. Dans ce programme serti de raretés, se côtoient Daniel Purcell, le frère, mais aussi Georg Frideric Haendel, John Weldon, John Eccles, auxquels est venu se joindre également Johann Christoph Pepusch, anglais si ce n’est de naissance, tout au moins de cœur, qui tire notamment sa notoriété de sa composition de Beggar’s opera sur le livret de John Gay.

 

Entouré de Brice Sailly au clavecin et Evolène Kiener, au basson et à la flûte, le ténor américain cherche, comme toujours, à interpréter les pièces choisies dans le style de l’époque qui leur est propre. Et à cet égard, le choix du Théâtre Grévin n’est sans doute pas un hasard. L’acoustique du lieu permet, en effet, de déployer toutes les couleurs et les nuances tant des véhéments éclats de « Oh take him gently from the pile » de John Eccles que des pianissimi délivrés à fleur de lèvres de « Morpheus Thou Gentle God » de Daniel Purcell. Et le résultat est d’une grâce et d’un naturel désarmant. Zachary Wilder cultive l’art de nous mettre en apesanteur dont son « Take those lips away » de John Weldon, à l’infini douceur extatique, est une éclatante illustration.

 

A la mention de ces œuvres, on réalise que c’est tout un répertoire méconnu que Zachary Wilder nous révèle ici et dont il s’approprie avec aisance le langage. Dans la cantate de Daniel Purcell « By Silver Thames’ Flowr’y side », avec laquelle il ouvre le programme, il déploie dans les récitatifs une admirable maîtrise du legato et place la beauté du son avant toute chose : le timbre et les couleurs les plus suaves servent pareillement tendresse et désespoir. En peintre subtil et élégant des émotions humaines, Zachary Wilder confère à la coloration déploratoire et plaintive de l’aria « In vain the Springs discloses » une lumière éclatante. Fin musicien, il est ici dans son jardin. Et il le prouve d’autant plus que le programme lui donne l’occasion de faire valoir sa virtuosité en venant à bout, avec une facilité déconcertante, des vocalises escarpées « I go to the Elysian Shade » d’Henry Carey.
Sur scène, Zachary Wilder est un comédien de premier ordre qui se fait volontiers showman avec une lecture ironique et mordante, mais avec infiniment de chic et d’esprit, de « The Musical Hodgepodge » de Henry Carey qui se raille ici de ceux qui venaient se pâmer devant Farinelli. L’interprétation du ténor américain est d’autant plus savoureuse qu’elle a comme témoins muets, de part et d’autre de la scène de Grévin, les statues de cire de Philippe Jaroussky et de Cecilia Bartoli, deux artistes ayant rendu un vibrant hommage, dans leurs styles propres, au même Farinelli. Zachary Wilder, le comédien au tempérament facétieux, s’en donne également à cœur joie dans la chanson à boire d’Haendel « Bacchus » et aussi dans « The je ne sçai quoi » qui cherche désespérément une once de charme à une belle au physique ingrat.

 

Mais le point d’orgue des pièces proposées est sans nul doute l’extrait de Acis and Galatea HWV 49, « Would you gain the tender creature », toujours de Haendel, dont la beauté est sublimée par la grâce de l’artiste qui nous envoûte littéralement. Tragédien, Zachary Wilder sait également se faire crooner en osant quelques formes de notes, soupirs, et légère ornementation mélodique. La ligne de chant est simple, pure. Les mots sont pesés sans verser dans la préciosité. Dans les recitativi et les arie de la cantate de Johann Christophe Pepusch, « When Loves Soft Passion », qui clôt le programme, Zachary Wilder fait montre d’un sens inouï du phrasé, et d’une musicalité exemplaire, délivrant un texte pleinement investi et surtout articulé. L’art du dire n’étant pas chez lui la moindre des vertus, et qui témoigne d’une belle compréhension de la prosodie de la langue anglaise.

La réussite de la soirée tient aussi à la connivence profonde, pour ne pas dire aux affinités électives, du chanteur avec les deux musiciens l’accompagnant. Brice Sailly au clavecin et Evolène Kiener tissent le plus bel écrin pour le chanteur et l’aident ainsi dans la caractérisation de chacune des pièces. Fraîcheur juvénile, virtuosité pétillante, mais aussi profondeur et émotion, donnent à ce récital l’éclat d’un bijou précieux poli par un artiste, engagé et habité, à la personnalité rayonnante, apte à traduire tous les climats, de la plainte à la tendresse, des éclats d’humeur à la joie intense. Un constant régal.

 

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CRITIQUE, récital lyrique. Haendel, Purcell, Eccles, Weldon… Brice Sailly (clavecin) / Evolène Kiener (violon), Zachary WILDER (ténor). Crédit photographique © Maximilien Hondermarck

 

VIDEO : Zachary Wilder interrète l’Agnus Dei du Requiem d’André Campra

 

PARIS, Théâtre de l’Atelier. 9 déc 2024. Récital de VÉRONIQUE BONNECAZE, piano. Schubert, Rachmaninoff : Moment musicaux

Passionnante dans ses choix de répertoire comme par son jeu investi et sensible, souvent remarquablement nuancé, la pianiste Véronique Bonnecaze propose au Théâtre de l’Atelier le concert de lancement de son nouveau disque édité chez PARATY, annoncé le 6 déc, intitulé « Moments musicaux ».

 

C’est une captivante confrontation Schubert / Rachmaninoff dont les « 6 moments musicaux » dévoilent la passion et l’intensité, nostalgique et crépusculaire chez le Russe ; onirique, tendre, fraternel chez Franz. Le programme particulièrement prometteur permettra de redécouvrir l’imaginaire des deux compositeurs romantiques sous les doigts d’une interprète parmi les plus captivantes…

 

Un « Moment musical » est une invitation à vivre un instant dérobé au flux du temps ; la sensation de revivre un souvenir ou de réaliser un songe, de ressusciter un rêve. Rachmaninoff apprécie l’idée d’une esquisse, rapide, fougueuse, miniature ou paysage intensément évocateur… Schubert pour lequel les réunion entre amis et personnes affectionnées étaient essentielles, y exprime la sensation d’une intimité en partage… Le viennois compose son cycle des 6 Moments musicaux en 1827, un an avant sa mort, comprenant des pages plus anciennes. Tous les grands compositeurs pianistes ont exploré dans la forme fugace, fugitive, la profondeur des sentiments les plus cachés… d’autant plus sincère qu’elle paraît improvisée. « Bagatelle »(Beethoven), « Intermezzi » (Brahms), bambochades enivrées et d’autant vertigineuses chez Schumann, le roi inégalé du brio et de la profondeur… sans omettre les « impromptus » de Chopin et du même Schubert… comme les « Préludes » du même Chopin et de… Rachmaninoff.

 

Confronter ainsi les moments musicaux de Schubert et de Rachmaninoff est légitime : Rachmaninoff s’inspire de son prédécesseur dont il a aussi transcrit le lied « Wohin ? » extrait du cycle « La belle Meunière ». Il lui rend hommage même ainsi dans son propre cycle de 6 Moments musicaux composés en 1897, soit l’offrande d’un jeune génie de 23 ans.  Mais si le plus ancien, Schubert se love toujours dans une intimité rentrée, parfois mystérieuse, Rachmaninoff sans perdre la profondeur ni la sincérité (nocturne enchanté du 5è), insuffle une énergie dramatique, un lyrisme échevelé qui embrase la flamme romantique. Son admiration pour Tchaikovsky n’y est pas étrangère… (le 3è moment). Tandis que le 4è, déploie son chant fabuleux et fougueux, impétueux qui cite Chopin, mais aussi l’étonnante virtuosité libérée et fantastique du grand Liszt. Autant de défis que relève avec finesse et intensité Véronique Bonnecaze.

 

 

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Récital de Véronique Bonnecaze, piano
Moments Musicaux : Schubert / Rachmaninoff
PARIS, Théâtre de l’Atelier
Lundi 9 déc 2024, 20h

Infos & réservations, directement sur le site du Théâtre de l’Atelier : https://www.theatre-atelier.com/event/veronique-bonnecaze-concert-piano-2024/

 

Récital Schubert / Rachmaninoff  –  durée : 1h30
Théâtre de l’Atelier – 1 place Charles Dullin
75018 PARIS

 

 

 

MOMENTS MUSICAUX
Rachmaninoff / Schubert
Véronique Bonnecaze, piano

 

Sergei Rachmaninoff / 1897
6 Moments musicaux, Op. 16
No. 1, Andantino in B-flat Minor
No. 2, Allegretto in E-flat Minor
No. 3, Andante cantabile in B Minor
No. 4, Presto in E Minor
No. 5, Adagio sostenuto in D-flat Major
No. 6, Maestoso in C Major

 

Franz Schubert / 1827
6 Moments musicaux, Op. 94, D. 780
No. 1, Moderato in C Major
No. 2, Andantino in A-flat Major
No. 3, Allegro moderato in F Minor
No. 4, Moderato in C-sharp Minor
No. 5, Allegro vivace in F Minor
No. 6, Allegretto in A-flat Major

 

CRITIQUE CD événement. MINIMALIST : Glass, Nehring, Górecki, Holt, Kancheli, Pärt, Kilar. SZYMON NEHRING, piano. Polish Radio Orchestra. Michal Klauza, direction (1 cd IBS classical)

Le jeu très investi du pianiste polonais Szymon NEHRING (né en 1995) s’affirme ici dans un programme particulièrement bien construit qui sait habilement mesurer les tensions et les détentes, dans un crépitement rythmiquement maîtrisé, entre fougue et précision (superbe Étude n°4 de Philip Glass, jouée en ouverture), à laquelle succède sa propre composition « Bridge », qui semble faire la synthèse du Glass initial et prépare idéalement au premier mouvement du Concerto de Górecki

 

l’énergie impérieuse de ce dernier, joue la répétition d’une série harmonique, dense, profuse, au caractère obsessionnel, soudain, résolue, libérée par la joie insouciante du second (« vivace marcantissimo »), une indication que suivent avec caractère et facétie, pianiste et orchestre (le Polish Radio Orchestra, sous la direction de Michal Klauza). Les interprètes en expriment le délire mécanique lié à la répétition obstinée, retirant toute idée de respiration ou de geste, dans une série là encore d’accords millimétrés d’une impeccable coupe. On retrouve cette même construction dans le Concerto ultime signé Wojciech Kilar. Beau contraste avec le Canto ostinato de Simeon Ten Holt dont la chanson rompt la tension et tel principe répétitif strict qui a prévalu dans les 3 précédentes séquences. Mais ici la répétition sait varier et changer à chaque reprise sa carrure rythmique en laissant librement respirer l’idée de la variation finale.

 

D’une immatérialité flottante, Valse Boston de Kancheli explore un monde tout à l’opposé de ce qui a précédé ; autant Glass et Gorecki inscrivent la trace musicale dans une urgence de l’instant que renforce l’idée de répétition qu’elle soit obsessionnelle ou heureuse (Holt), autant Kancheli évoque, suggère, brosse en demi teinte des surgissements furtifs qui vont crescendo comme la construction progressive d’un souvenir, … lequel qui affirme très vite sa propre urgence. Précis, évocateur, le pianiste fusionne avec l’énergie de l’orchestre, dans la fureur, le cri ou… le mystère. Chez Arvo Pärt, le jeu solo du pianiste,- dans la série égrenée, répétée (Variations Arinushka), n’assène en rien, mais convoque l’imaginaire, la divagation suspendue, jouant sur la résonance que suscite chaque hauteur de son, faisant émerger le chant de l’intime. Le pendant final de ce premier tabelau, « Für Anna Maria » dans son épure recomposée, superbement équilibrée, atteint la sobriété signifiante des airs les plus dépouillés de JS Bach. Le moins peut le plus : minimalisme mais puissance de l’essentiel. La pièce très courte, aussi badine et faussement légère, rentre exactement dans la thématique du cd.

 

Enfin le pianiste polonais conclut ce récital avec orchestre, en jouant le Concerto de son compatriote Wojciech Kilar : l’andante con moto, répétitif, dense, hypnotique produit un état de suspension, que reprend aussi le mouvement central (Corale), plus épuré encore, où les cordes à la fois unies et denses, répondent au piano dans une série de tutti opulents, comme embrasés exprimant l’épiphanie d’un moment de révélation.
Le parcours de ce programme est orignal, puissant, personnel ; il dévoile la pensée d’un jeune interprète que le thème de la répétition épurée, inspire, en complicité avec l’orchestre, en particulier, conclusion plus recueillie qu’exclamative, dans l’ultime mouvement du Concerto de Kilar, dont le pianiste se fait guide d’une succession de visions hallucinées, particulièrement intenses voire frénétique (Toccata), dont la finalité martèle le triomphe là encore du principe de répétition, dans une rythmique débridée (qui pour le coup ne suit pas le sens d’un dépouillement sonore, bien au contraire) : le dernier tutti met fin à une transe portée par tout l’orchestre, incandescent et trépidant. Belle révélation.

 

 

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CRITIQUE CD événement. MINIMALIST : GLass, Hehring, Górecki, Holt,Kancheli, Pärt, Kilar. SZYMON NEHRING, piano. Polish Radio Orchestra. Michal Klauza, direction (1 cd IBS classical) enregistré en janvier et février 2024 – durée : 1h19 mn. CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2024.

 

 

 

 

 

LIRE aussi notre présentation du concert de Szymon Nehring à la Seine musicale, sam 23 nov 2024 : Brahms, Concerto pour piano n°1 (Marzena Diakun, direction) : https://www.classiquenews.com/la-seine-musicale-sam-23-nov-2024-szymon-nehring-piano-brahms-concerto-pour-piano-n1-symphonie-n4-orchestre-pasdeloup-marzena-diakun-direction/

 

LA SEINE MUSICALE, Sam 23 nov 2024. SZYMON NEHRING, piano. BRAHMS : Concerto pour piano n°1. / Symphonie n°4. Orchestre Pasdeloup, Marzena Diakun (direction)

 

CRITIQUE, opéra. BERGAME, Teatro Sociale (du 16 novembre au 1er décembre 2024). DONIZETTI : Zoraide di Granata. Z. Markova, C. Molinari, K. Kim… Alberto Zanardi / Bruno Ravella

Au lendemain d’une inoubliable soirée d’ouverture, un triomphale Roberto Devereux (avec Jessica Pratt et John Osborn notamment…), le Donizetti Opera Festival offrait un titre très rare du compositeur bergamasque : Zoraida di Granata

 

Gaetano Donizetti n’a que 24 ans quand, le 28 janvier 1822, il propose, au Teatro Argentina de Rome, Zoraida di Granata, sur un livret de Bartolomeo Morelli. Comme pour Il barbiere di Siviglia de Rossini, six ans plus tôt, la malchance s’acharne sur le nouvel opéra : les partisans de Pacini, amant officiel de Pauline Borghèse, ont organisé une véritable cabale et, quelques semaines avant la première, le ténor Amerigo Sbigoli, prévu dans le personnage d’Abenamet, déclare forfait, obligeant Donizetti à adapter le rôle pour la contralto Adelaide Mazzanti ! Le succès est pourtant au rendez-vous, le compositeur révisant sa partition, en 1824, pour le même théâtre… avec un heure de musique supplémentaire. C’est cette partition, d’une durée de 3h20, qu’a retenue le festival bergamasque, en coproduction avec le Festival de Wexford en Irlande – qui a eu droit à la primeur de l’événement, en octobre 2023. 

 

Nous avons appris à oublier les conventions des livrets de l’époque (ici, les amours contrariées de Zoraida, dans une Grenade en guerre contre les Maures), quand la musique apporte le soutien nécessaire à l’intrigue. Mais nous savons également que Donizetti n’a pas été un génie précoce, comme Rossini ou Bellini, et qu’il n’a pas découvert son identité dès son troisième opéra, comme Verdi. En ces années d’apprentissage, le jeune Gaetano n’est encore qu’un élève très doué, très appliqué, auquel le grand Giovanni Mayr apporte avec raison son soutien (au point de le recommander au Teatro Argentina, pour la composition de Zoraida). Et c’est davantage dans l’opera buffa que Donizetti trouve sa voie à l’époque, avec Il fortunato inganno (Naples, 1823) ou le plus connu Ajo nell’imbarazzo (Rome, 1824). Dans l’univers serio, Donizetti, à la manière du jeune Mercadante, se réfugie du côté de Rossini et de Pacini, comme d’ailleurs dans son Alahor in Granata, autre drame se déroulant dans la ville andalouse, composé deux ans plus tard (en 1826). Et il lui faudra attendre 1830, avec l’Anna Bolena milanaise défendue par une Pasta au zénith, pour véritablement s’affirmer sur ce terrain.

 

Sublimée par des voix divines, comme les compositeurs du belcanto romantique avaient la chance d’en posséder, une partition telle que Zoraida peut prendre son envol et nous réserver quelques grands moments de plaisir musicaux et vocaux. Et c’est le cas ce soir, avec le trio de choix qui porte l’ouvrage. Dans le rôle-titre, la soprano tchèque Zuzanna Markova fait étalage de tout l’art belcantiste qu’on lui connaît, faisant fi de toute les pyrotechnies vocales associées à sa partie, doublée d’une belle puissance vocale et d’une rare musicalité. Le baryténor coréen Konu Kim est une révélation, alliant une voix surpuissante à un timbre flatteur, des aigus puissamment émis en longuement tenus à un cantabile digne des meilleurs chanteurs belcantiste du moment. En Abenamet, la mezzo italienne Cecilia Molinari cherche un peu ses graves, mais endosse néanmoins crânement ses habits de guerrier, dardant des aigus sûrs autant que puissants, et ne reculant pas devant les sauts d’intervalles (avec plus de bonheur dans le registre aigu que grave cependant, comme déjà explicité). Enfin, les comprimari – tous issus de la “Bottega Donizetti”assurent tous dignement leur tâche. Ainsi de l’Almanzor de Tuty Hernandez, de l’Ines de Lilla Takacs et de l’Ali de Valerio Morelli, une basse colorature au timbre superbe.

 

Côté scénique, Bruno Ravella a décidé d’inscrire la soirée dans un lieu emblématique d’un conflit plutôt récent, et en l’occurrence la Bibliothèque Nationale de Bosnie-Herzégovine, construite à Sarajevo, à la fin du XIXe siècle, en style néo-mauresque, ici fidèlement reproduite par Gary McCann dans son état de destruction, juste après le bombardement de 1992. Toute l’action se déroule dans ce cadre très sombre, y compris quand, au II, Zoraida chante la beauté et le doux parfum d’un jardin de roses. Pendant plus de trois heures, le spectateur reste confronté à ce décor invariable, sauf lorsque descendent ou remontent dans les cintres un grand moucharabieh brisé (semblant indiquer une scène d’intérieur plutôt que d’extérieur) et un pilier, lui aussi brisé… L’action est transposée à la fin du XXe siècle : Almuzir est en costume trois pièces et cravate, Abenamet en battle-dress, et Zoraida en jupe plissée, gilet de laine et brushing millimétré. La violence du livret est inégalement suggérée par la direction d’acteurs, avec des moments de grande tension dramatique, surtout au second acte, mais aussi des baisses de régime à d’autres moments. On reconnaîtra, en tout cas, la lisibilité et la cohérence d’un spectacle qui, en respectant le lieto fine obligé du seria, est porteur d’espérance. 

Dirigés par le chef italien Alberto Zanardi, les musiciens de la formation Gli Originali jouent sur instruments d’époque, formant un ensemble très équilibré avec le plateau vocal. Si certains montrent quelques défaillance (notamment du côté des cuivres), nos éloges iront vers un pianofortiste toujours éloquent pendant les nombreux récitatifs d’une partition qui méritait d’être (re)découverte !

 

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CRITIQUE, opéra. BERGAME, Teatro Sociale (du 16 novembre au 1er décembre 2024). DONIZETTI : Zoraide di Granata. Z. Markova, C. Molinari, K. Kim… Alberto Zanardi / Bruno Ravella. Toutes les photos © Gianfranco Rota

 

VIDEO : Une Interview de Bruno Ravella au sujet de sa production de « Zoraida di Granata » de Donizetti au Festival de Wexford, reprise à Bergame

 

CHÂTEAU DE VERSAILLES SPECTACLES, Opéra Royal. MOZART : La Flûte enchantée (en français), les 27, 28, 29, 31 déc 2024, 1er janvier 2025. Hervé Niquet / Cécile Roussat et Julien Lubek

En 1791 au Theater auf der Wieden (Vienne), Mozart dirige la première de son singspiel « Die Zauberflöte / La flûte enchantée ». Le livret en allemand d’Emanuel Schikaneder, qui signe également la mise en scène dans son propre théâtre, casse les codes de l’opéra traditionnel, en italien. L’ouvrage sait parler à un public populaire dans sa propre langue. Succès immédiat : contrastes dramatiques, séquences délirantes, oniriques (les airs de la Reine de la nuit), la musique irrésistible, entre justesse, sincérité, élégance du dernier Mozart, fonde une œuvre devenue mythique, qui suscite 100 représentations en un an, succès jamais démenti depuis lors.

Photo : Opéra Royal de Versailles © Agathe Poupeney

 

La production présentée par l’Opéra Royal entend toucher de la même façon le public, en adoptant le français. L’action ainsi mise en scène par Cécile Roussat et Julien Lubek renforce la part onirique voire féerique de la partition… Sous la direction du chef Hervé Niquet, fédérateur et engagé, un plateau prometteur défend chaque caractère en acteurs – comédiens accomplis : que penser de la Reine de la Nuit ? Le prêtre Sarastro est-il réellement toxique ? Quel chemin parcourent les deux « initiés / élus » : Tamino et Pamina à travers les épreuves qui leur sont imposées ? Et pourquoi Papageno, l’oiseleur qui croise la route du prince Tamino, est-il affublé d’un cadenas qui l’empêche de (trop) parler ?

 

 

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Wolfgang Amadeus Mozart (1756 – 1791)
LA FLÛTE ENCHANTÉE, en français
VERSAILLES, Opéra Royal
Singspiel en deux actes sur un livret
d’Emanuel Schikaneder (traduction française
de 1897), créé à Vienne en 1791
5 représentations

Vendredi 27 décembre 2024 · 19h | · 18h30
Samedi 28 décembre 2024 · 19h
Dimanche 29 décembre 204 · 15h
Mardi 31 décembre 2024 · 20h
Mercredi 1er janvier 2025 · 17h

INFOS & RÉSERVATIONS directement sur le site de l’Opéra Royal de Versailles / La Flûte enchantée en français : https://www.operaroyal-versailles.fr/event/mozart-la-flute-enchantee/

Spectacle en français surtitré en français et anglais
Durée : 3h entracte inclus

 

Offres spéciales :
27, 28 décembre 2024, 1er janvier 2025
Tarif B : de 45 à 270€
+ Catégorie Doge

29 décembre 2024, tarif B : de 45 à 162€
31 décembre 2024, tarif A : de 63 à 286€
+ Catégorie Doge

 

distribution

Florie Valiquette, Pamina
Mathias Vidal, Tamino
Marc Scoffoni, Papageno
Julia Knecht, La Reine de la Nuit
Nicolas Certenais, Sarastro
Pauline Feracci, Papagena
Olivier Trommenschlager, Monostatos
Suzanne Jerosme, Première Dame
Lucie Edel, Deuxième Dame
Mélodie Ruvio, Troisième Dame
Alexandre Baldo, L’Orateur
Matthieu Chapuis, Premier prêtre,Homme en armure
Nicolas Brooymans, Deuxième prêtre, Homme en armure

Isaure Brunner, Marthe Davost et Alice Ungerer, Trois enfants
Le Concert Spirituel Chœur et Orchestre
Hervé Niquet, direction
Cécile Roussat et Julien Lubek, mise en scène,
scénographie, lumières
Sylvie Skinazi, costumes

SPÉCIALE SOIRÉE du 31 déc : La flûte et le Feu d’artifice
Pour célébrer la nouvelle année, passez un moment mémorable, en famille ou entre amis, avec La Flûte enchantée à l’Opéra Royal le 31 décembre 2024, une expérience inoubliable : le spectacle sera couronné d’un exceptionnel feu d’artifice à admirer depuis la Galerie des Glaces pour un instant magique et festif. Incontournable. PLUS D’INFOS : https://www.operaroyal-versailles.fr/event/mozart-la-flute-enchantee/

 

 

 

à venir

Prochaine production lyrique événement à l’Opéra Royal de Versailles : CARMEN de Bizet, nouvelle production, du 14 au 22 janvier 2025, avec Adèle Charte / Éléonore Pancrazi dans le rôle-titre, aux côtés de Julien Behr / Kevin Amiel en Don José… Choeur et Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles – Hervé Niquet, direction / Romain Gilbert, mise en scène : https://www.operaroyal-versailles.fr/event/bizet-carmen/

 

 

CRITIQUE, concert. PARIS, Salle Gaveau, le 16 nov 2024. MSHK Musicus Soloists Hong-Kong, Trey Lee (violoncelle). Rameau / Vivaldi / Bartok / Seung-Won Oh : « Umbra » (création mondiale). Nadia Ratsimandrey (Ondes Martenot)

La volubilité est à l’affiche de ce concert éclectique dont la richesse des styles européens et asiatiques, exige une adaptabilité et une souplesse expressive ; ce que réalise au fur et à mesure du concert l’orchestre de chambre hongkongais, «  Musicus Solists Hong-Kong » / MSHK, qui se composent de 16 instrumentistes, uniquement des cordes.

 

Leur forte cohésion et le sens des équilibres entre pupitres relèvent les nombreux défis du concert, distincts selon les compositeurs ; baroques, avec Rameau et Vivaldi ; modernes avec Bartok ; encore plus récent avec le Concerto pour violon, alto, pipa du compositeur hong-kongais Willis Wong ou la création mondiale du double Concerto « Umbra » pour violoncelle et ondes Martenot de la compositrice coréenne Seung-Won Oh.

Le jeu des instrumentistes se chauffe en cours de soirée ; encore légèrement instables et un soupçon timides dans les premiers Rameau (extraits des Concerts en sextuor) – une difficulté étonnamment programmée en début de programme ; mais qui finit par porter ses fruits ; après les Forqueray (belle articulation et fluidité) et Cupis (languissante et transparente), saluons la cohérence agogique de la pièce finale, La Marais : élégance, suggestion, mise en place et clarté de la trame contrapuntique en assurent la séduction nostalgique. La pièce principale du programme demeure le double Concerto de Seung-Won Oh, joué en première mondiale ainsi à Paris : un beau cadeau pour Gaveau, dans le premier concert français de la phalange hong-kongaise. D’abord le jeu staccato des cordes tisse un tapis heurté, vivant, palpitant sur lequel s’élancent et s’inscrivent les longues phrases du violoncelle (Trey Lee, fondateur de l’ensemble MSHK) et des ondes Martenot (accents mordants). Dès le début de la pièce, la compositrice sait exploiter toutes les performances du spectre sonore ample et comme angoissé, des Ondes Martenot (jeu très précis et nuancé de Nadia Ratsimandrey), la capacité du clavier électronique à produire toute une palette d’accents : large ondes sonores du clavier, coups et attaques des notes qui se rapprochent des coups d’archet des cordes (sans omettre le dispositif de réverbération avec haut parleur) ; l’écriture est contrastée et souvent facétieuse. L’œuvre dessine un parcours vivace, bondissant, et même âpre, comme une course, une poursuite électrique où les ondes Martenot chantent dans l’aigu, repris par le violoncelle en relation (parfois) très intime et complice avec le clavier.

Se détache en particulier une séquence centrale délirante dans les aigus avec un humour à peine voilé, comme une remise à zéro dans les suraigus. Le clavier joue sur les glissandi suscitant le violoncelle qui l’imite, dans le sens d’une amplification avec des effets de fritures d’ondes radios… Toute la partie finale exprime une lente et irrépressible élévation, passage désormais jalonné, de l’ombre à la lumière.

Dans le 2è partie, les jeunes instrumentistes relèvent haut la main les autres défis d’un programme particulièrement diversifié ; ils se montrent tout aussi convaincants dans les danses roumaines de Bartok dont ils expriment la saveur folklorique, en rien factice mais douée d’une sincérité de couleurs et une belle vitalité rythmique (les cordes sont en cela finement articulées). Les amateurs de rapprochement et d’échange entre Paris et Hong-Kong ont été comblés, avec l’autre partition contemporaine : « Sampling Tea », pièce spéciale d’inspiration chinoise pour violon, alto et pipa du compositeur hongkongais Willis Wong.

Éclectique, le programme des MSHK Musicus Soloists Hong Kong à Gaveau souligne les qualités expressives des musiciens, tous solistes dont le sens de l’écoute, le plaisir du jeu collectif réalisent un superbe parcours stylistique. La présence des caméras pendant la performance laisse présager une captation ou a minima des extraits vidéo de ce concert plutôt convaincant. A suivre.

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Salle Gaveau, le 16 nov 2024. MSHK Musicus Soloists Hong-Kong, Trey Lee (violoncelle). Rameau / Vivald / Bartok / Seung-Won Oh : « Umbra » (création mondiale). Nadia Ratsimandrey (Ondes Martenot).

CHÂTEAU DE VERSAILLES SPECTACLES. Opéra Royal. GALUPPI : L’Uomo femina, recréation mondiale. Les 13, 14, 15 déc 2024. Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre / Agnès Jaoui

Déjà présentée en création à l’Opéra de Dijon, cette production événement ose produire un opéra du vénitien Baldassare Galuppi de 1762 ; un compositeur aussi brillant qu’oublié ; le sujet et la particularité de l’intrigue trouvant un écho sensible avec notre actualité la plus brûlante, la question du genre et l’égalité des sexes, inspirent manifestement la metteure en scène invitée pour cette résurrection, Agnès Jaoui.

 

Baldassare Galuppi (1706 – 1785) a laissé deux opéras : Il Mondo alla reversa (Le monde à l’envers) sur un livret de Goldoni de 1750, auquel succède cet Uomo femina, drame giocoso, sur le livret de Pietro Chiari, créé au Teatro San Moisé de Venise en 1762, soit en pleine esthétique « Emfindsamkeit » (sentiment / sensibilité). La partition a été retrouvée de façon récente, en 2006. Ici l’audace du sujet s’accompagne d’une expressivité aiguë qui sait exploiter toutes les situations dans le sens d’une comédie délirante, souvent bouffonne dont le questionnement dialogue avec nos propres interrogations sociales.
Deux naufragés débarquent sur une île gouverné par de fières amazones. Cassandra (Victoire Brunel) et Ramira (Lucile Richardot), mais aussi la reine elle-même Cretidea (Eva Zaïcik) s’éprennent des deux étrangers. Ce qui provoque la jalousie du favori en titre, Gelsomino… quiproquos, malentendus croisent comme d’habitude jeux amoureux et enjeux de pouvoir.

Roberto (Victor Ricard) taillé pour la guerre moins la tendresse, Giannino (François Rougier), serviteur avisé, préfigurant le Figaro de Mozart et Rossini, sèment le trouble et provoquent des situations qui révèlent la complexité des portraits. En particulier le personnage délirant du favori de la reine, Gelsomino (Anas Séguin). L’Opéra Royal de Versailles accueille ainsi le spectacle en création mondiale qui dévoile le génie de Galuppi. D’autant mieux articulé orchestralement que Vincent Dumestre et les instrumentistes du Poème Harmonique redoublent d’articulation, de nuances expressives, de vivacité dramatique (y compris dans la réalisation des récitatifs). Agnès Jaoui revient à l’opéra (après sa vision de Tosca en 2019). Son regard sur cet « homme / femme » laisse l’action au devant de la scène dans un décor vaguement mauresque. Les costumes eux aussi délirants soulignent la confusion des genres et la domination des femmes dans une société qui sait corseter les hommes.

 

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Opéra royal de Versailles
Du vendredi 13 au dim 15 décembre 2024
vendredi 13 déc 2024, 20h
samedi 14 déc 2024, 19h
dimanche 15 déc 2024, 15h
GALUPPI : L’Uomo fémina, 1762
Opéra mis en scène – 2h30 mn

Infos & réservations – réservez vos places directement sur le site de château de Versailles Spectacles : https://www.operaroyal-versailles.fr/event/galuppi-luomo-femina/

Photo © Mirco Magliocca

 

Distribution
Eva Zaïcik Cretidea
Lucile Richardot Ramira
Victoire Bunel Cassandra
Anas Seguin Gelsomino
Victor Sicard Roberto
François Rougier Giannino

Le Poème Harmonique
Vincent Dumestre, direction
Agnès Jaoui, mise en scène

 

CRITIQUE, opéra. BERGAME, Teatro Donizetti (les 14, 23 et 28 novembre 2024). DONIZETTI : Roberto Devereux. J. Osborn, J. Pratt, R. Luppinacci, S. Piazzola… Riccardo Frizza / Stephen Langridge

C’est avec une production de Roberto Devereux, l’un des ouvrages qui compose la “Trilogie Tudor”, que le Donizetti Opera Festival de Bergame a inauguré sa Dixième édition, dans une nouvelle mise en scène que Francesco Micheli, le directeur de la manifestation lombarde, a confié à son “collègue” Stephen Langridge, actuel directeur artistique du prestigieux Festival de Glyndebourne. Et le choix de la direction artistique s’est porté sur la version originale de la création napolitaine de 1837, une mouture qui fait l’impasse sur l’habituelle Ouverture, que Gaetano Donizetti ajoutera cependant l’année suivante, en 1838, pour le Théâtre des Italiens à Paris.

 

Le principal artisan de la réussite de la soirée (en coproduction avec le Teatro Sociale de Rovigo) est incontestablement le chef italien Riccardo Frizza, auteur d’un authentique tour de force, en imposant une lecture d’une virtuosité époustouflante, tour à tour ample et soucieuse du détail, expansive et intimiste, à la tête d’un Orchestre Donizetti Opera qui brille de 1000 feux. Sa marque se retrouve également dans l’impeccable préparation des solistes, les meilleures que l’on puisse trouver aujourd’hui dans ce répertoire.

 

A commencer par Jessica Pratt (Elisabetta) de bout en bout fascinante, au chant impeccablement contrôlé et à la présence vocale et dramatique plus féminine que ce qu’on a l’habitude de voir et d’entendre dans ce rôle, trop souvent transformé en dragon. Ses incroyables notes aiguës filées et autres pianissimi la rendent profondément humaine et totalement bouleversante ! A ses côtés, le ténor américain John Osborn a fière allure dans le rôle de son amant, le Comte d’essex, avec sa voix de ténor lyrique de tout premier ordre, son chant constamment séduisant, possédant toute l’étoffe et le métal nécessaires pour traduire la dimension pré-verdienne de la grande scène de la prison, à l’acte III.  Il ne brille pas moins dans son duo avec Sara (un des sommets de la soirée !), incarnée ici par la fabuleuse mezzo italienne Raffaella Lupinacci (applaudie l’an passé dans le même rôle dans la Trilogie Tudor donnée à La Monnaie de Bruxelles sous forme de “pasticcio”), aussi ardente vocalement que physiquement stupéfiante, et qui remporte un triomphe personnel méritée aux saluts. Las, l’excellent baryton italien Simone Piazzola, est en méforme ce soir (le fait de se pincer continuellement le donner et de mettre sa main devant son oreille gauche sont des signes qui ne trompent pas…), et il n’a malheureusement pu faire étalage de ses pourtant magnifiques et impressionnants moyens. Enfin, le ténor bien projeté de David Astorga (Cecil) et le beau timbre du baryton-basse lithuanien Ignas Melnikas (Gualtiero) ajoutent au bonheur distillé par la soirée.

 

Selon ses notes d’intention, le metteur en scène britannique signé unemise en scène contemporaine dans un monde élisabéthain fantasmé”. Stephen Langridge y parvient avec beaucoup de goût, même si celui-ci est volontiers macabre, avec la morte qui règne de toute part, à travers un squelette fantomatique, actionné par deux marionnettistes, qui suit la Reine dans ses pas, mais également ce crâne qui trône sur une grande table placée à jardin, aux côtés de divers autres objets symboliques qui rappellent les Natures Mortes du XVIIe siècle hollandais.

 

 

Des écrits du rôle éponyme, Robert Devereux (1565-1601), écrivain et poète à ses heures, sont projetés par moments sur les surfaces noires qui constitue l’essentiel de la scénographie lugubre imaginée par Katie Davenport (qui signe aussi les costumes, dont la robe d’Elisabetta qui reprend, en motif, le même crâne que celui posé sur la table). Unique autre élément de décor, le lit rouge vif de Sara suspendu à mi-hauteur, pendant le deuxième acte, ainsi que le trône d’Elisabetta, de la même couleur. Enfin, il faut saluer les superbes éclairages dramatiques de Peter Mumford, qui tiennent une place primordiale, notamment dans la scène conclusive, avec des projecteurs qui descendent des cintres pour se placer au niveau du sol, inondant la salle de leur lumière aveuglante.

C’est un triomphe qui est fait à l’ensemble de l’équipe artistique de la part d’un public survolté, et le Donizetti Opera Festival ne pouvait débuter sous de meilleurs augures !…

 

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CRITIQUE, opéra. BERGAME, Teatro Donizetti (les 15, 23 et 28 novembre 2024). DONIZETTI : Roberto Devereux. J. Osborn, J. Pratt, R. Luppinacci, S. Piazzola… Riccardo Frizza / Stephen Langridge. Toutes les photos © Gianfranco Rota

 

AUDIO : Jessica Pratt chante l’air « Vivi ingrato » dans Roberto Devereux au Festival Donizetti de Bergame 2024

 

ORCHESTRE NATIONAL DU CAPITOLE DE TOULOUSE. Jeudi 12 décembre 2024. DALBAVIE : Concerto pour flûte (Emmanuel Pahud, flûte), HAYDN, RESPIGHI… Omer Meir Wellber (direction)

Un grand concert symphonique de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, sous la direction du chef Omer Meir Wellber, avec la complicité du flûtiste Emmanuel Pahud, membre soliste de l’Orchestre philharmonique de Berlin.

 

En un jeu de miroirs entre passé et présent, le programme fait dialoguer deux symphonies de Haydn et des pièces des XXe et XXIe siècles, Metamorphoseon, partition tardive du bolonais Respighi composée en 1930 et le Concerto pour flûte de Marc-André Dalbavie, datant de 2006 : impétueux, virtuose, fulgurant. L’audace des pièces de Haydn, formellement équilibrées mais riches en invention, facétie, surprises, les rend étonnamment modernes, – leurs défis éprouvent les instrumentistes dans un « exercice » toujours particulièrement formateur. C’est probablement la raison pour laquelle Haydn reste toujours au programme des orchestres soucieux de « maîtriser » le style viennois « classique ».

 

De son côté, Respighi (qui fut l’élève de Rimski à Saint-Pétersbourg) s’inspire d’un thème archaïsant « pour un jeu de transformations virtuose » ; Marc-André Dalbavie (né en 1961) lui, revient à un orchestre « mozartien », cet esprit solaire, équilibré, viennois, qui favorise la fluidité, l’expressivité, l’éloquence du dialogue entre soliste et orchestre. Le Concerto fougueux, fauve, d’une énergie féline, séduit par sa grande virtuosité chantante. L’écriture ambitieuse et claire, soucieuse du jeu des timbres, fait référence en une filiation réjouissante au Concerto pour flûte de Jacques Ibert, lui aussi liquide, aérien, atmosphérique. En arbitre et acteur principal de cette arène argumentée, le flûtiste Emmanuel Pahud, retrouve Toulouse pour jouer ce concerto qui exige une agilité ardente et flexible et dont il est le dédicataire, assurant sa création en 2006.

Photo / portrait grand format Emmanuel Pahud © Fabien Monthubert

 

 

 

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TOULOUSE, Halle aux grains
Grand concert symphonique
Omer Meir Wellber / Emmanuel Pahud
Jeudi 12 décembre 2024 – 20h

Infos & réservations sur le site de de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse : https://onct.toulouse.fr/agenda/omer-meir-wellber-emmanuel-pahud/

Tout public – De 18 € à 68 €

 

Joseph Haydn : Symphonie n°26 « Lamentations »
Marc-André Dalbavie: Concerto pour flûte
Joseph Haydn : Symphonie n°49 « La Passion »
Ottorino Respighi : Metamorphoseon

 

 

VIDÉO Concerto pour flûte de Dalbavie / Emmanuel Pahud
Avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France (2008)

 

 

VIDÉO DALBAVIE | CONCERTO FOR FLUTE · EMMANUEL PAHUD Louisiana Museum channel – Dessin animé sur la musique du Concert de Dalbavie – Film de Grégoire Pont / pour le Louisiana Muséum of modern art

CRITIQUE CD événement. MOZART : Le Devoir du premier commandement / Die Schuldigkeit des Ersten Gebots (Salzbourg, 1767). Gwendoline Blondeel, Adèle Charvet, Sargsyan, Mouaissia… Il Caravaggio, Camille Delaforge (direction) – 1 cd CVS Château de Versailles Spectacles

On avait en tête un enregistrement marquant de l’oratorio de jeunesse « La Betulia Liberata » (partition postérieure, créée 4 ans après Le Devoir, en 1771), témoignage légendaire par sa cohérence, son élan général, dans ce qui nous semblait une caractérisation palpitante des figures et personnages (version Vittorio Negri, 1976, à l’époque chez Philips). C’était alors une captivante révélation du style éblouissant du (très) jeune Wolfgang, à peine adolescent et déjà porteur d’une hypersensibilité psychologique, orfévrant et la ligne vocale et l’écriture orchestrale, avec une subtilité inédite.
A l’époque nous tenions là le son propre au jeune Wolfgang, à la fin de l’enfance, pré-adolescent…

 

Disons-le d’emblée, la lecture de l’ensemble Il Caravaggio du « Devoir du premier commandement / Die Schuldigkeit des Ersten Gebots » est aussi enthousiasmanteelle va même plus loin encore. Le choix des voix dont la pétillante et bouleversante soprano Gwendoline Blondeel, la tenue de l’orchestre (entre souplesse et crépitements, rebonds et nuances intimes), la cohésion de la direction réalisent un enregistrement de référence. Mozart adolescent n’a que 11 ans quand il compose ce drame sacré (geistliches singspiel), – pour l’infect prince-archevêque de Salzbourg (Colloredo). Le jeune compositeur est déjà maître de l’écriture musicale à la mode alors (forme métastasienne privilégiant les arias da capo) ; il insuffle surtout une vivacité émotionnelle spécifique, totalement inédite. Voilà qui révèle un génie authentique qui, dès mars 1767, possède toutes les ficelles de l’écriture opératique. Et dans Le Devoir, toutes les infimes nuances de l’écriture ciselée de CPE Bach dont les oratorios concentrent le meilleur du courant « Empfindsamkeit » ( / sensibilité), en particulier « Die letzten Leiden des Erlösers »  de la même période 1769.

Les rôles ici sont certes des allégories (l’Esprit chrétien, Miséricorde, Justice et l’Esprit du monde, ces deux derniers sont ici chantés par la soprano Gwendoline Blondeel) : ils débordent de vie et de sentiments, portés constamment par un orchestre nerveux, élégantissime. Allaient ensuite s’enchaîner les ouvrages dramatiques comme La Finta Simplice (Salzbourg, 1769) dont tous les chanteurs avaient créé auparavant l’oratorio qui nous occupe. Chacun s’active, voire s’ingénie de subterfuges en péripéties (hautement dramatiques) pour édifier l’homme perdu. La Loi divine est dure mais juste et l’enveloppe musicale produite par Mozart la rend d’autant plus admirable. Chaque entité entend insuffler au Chrétien, trop tiède au début, la certitude de la foi et son devoir à suivre certains principes. L’écarter des voluptés trompeuses (activées par le séducteur Esprit du monde), se soucier de son salut… C’est le commandement le plus noble (du Décalogue): « Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme… ». Tel est le cheminement du Chrétien que l’obtention de la grâce (aux cotés du salut si nécessaire) préoccupe au plus haut point. L’obtention du salut et de la grâce marque les esprits dans une période tendue sur ce sujet, entre jansénistes et jésuites en Autriche. En dépit de l’enjeu spirituel du sujet, la langue de Mozart délivre un message fraternel et hautement humaniste.

Il Caravaggio / Camille Delaforge
éblouissent en révélant le génie lumineux
du premier Mozart à Salzbourg (1767)

De quoi ravir les auditeurs pour les célébrations de Pâques de mars 1767. A l’origine, la partition du jeune Wolfgang était destinée à la première partie du vaste oratorio programmé en 1767 sur le livret de Weiser ; les deux autres parties (perdues à ce jour) étant signées Michael Haydn et Adlgasser. L’écriture de Wolfgang exalte les aspirations de chacun, exprime au plus juste les émotions avec une sincérité saisissante, en particulier dans les airs de La Justine Divine (pétillante, agile, lumineuse Gwendoline Blondeel, suscitant notre pleine enthousiasme dans son grand air n°3 « Erwache, fauler knecht / réveille toi serviteur paresseux », dont l’évocation de l’enfer est orchestralement et vocalement spectaculaire), comme de l’Esprit chrétien (Artavazd Sargsyan et son air non moins développé « Manches übel will zuweilen / Certains maux requièrent parfois… ») ; sans omettre le sujet de toutes les attentions, ce « serviteur paresseux », soit le Chrétien (excellent Jordan Mouaussia) qui s’extirpe du sommeil, et donc doit choisir sa voie et les valeurs jalonnant le chemin : « Wie, wererwecket mich ? / Mais qui donc me réveille ? » (récitatif accompagné annonciateur de tous les opéras à venir…).

La Sinfonia d’ouverture dépeint immédiatement, avec vitalité et finesse, le « buisson de fleurs »… La discussion entre les allégories se déploie alors que le Chrétien « tiède dort entre jardin et bois » ; a-t-il conscience de ce qui s’est dit pendant son sommeil ?, tout est là… Après l’air n°2, se réalise l’éveil du Chrétien (symboliquement à naître spirituellement) ; il est immédiatement assailli, tenté, séduit par les douces paroles de l’Esprit du monde qui le fait rêver en évoquant les délices et la volupté terrestre (air n°4)… D’ailleurs, à la fin de la partition de Wolfgang, le Chrétien a quitté la scène pour rejoindre les plaisirs qui l’attendent (et qui lui a tant loué l’Esprit du monde) ; alors que les 3 allégories, Justice divine, Miséricorde et L’Esprit chrétien s’entendent pour ne pas l’abandonner et le recueillir in fine dans le giron de Dieu en l’obligeant à son devoir …

Les récitatifs secs et accompagnés (aux moments forts), la parure instrumentale de chaque air sont superbement caractérisés ; flûtes, hautbois, bassons, cors… Il Caravaggio exprime l’éblouissante vitalité du jeune Mozart, apte à nourrir son drame, l’acuité de chaque péripétie, mais aussi la grande tendresse du jeune compositeur pour ses personnages, en particulier dans la ligne du Chrétien, humain souvent apeuré, victime démunie, arrachée des bras de Morphée…

Tous les interprètes soignent leur partie, la cheffe d’Il Caravaggio, Camille Delaforge veille à l’unité, à l’allant formidable du plateau dans son intégralité. La proposition démontre la maturité artistique du collectif, son acuité expressive, sa force d’implication à nuancer chaque inflexion dramatique de l’œuvre.Saluons CVS Château de Versailles Spectacles d’avoir choisi d’enregistrer cette somptueuse production. L’enregistrement rétablit le génie mozartien dans son acuité sensible et expressive. Ce Devoir est un pur chef d’oeuvre enfin restitué dans sa finesse originelle. Magistral donc CLIC de classiquenews.

 

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CRITIQUE CD événement. MOZART : Le Devoir du premier commandement / Die Schuldigkeit des Ersten Gebots (Salzbourg, 1767). Gwendoline Blondeel, Adèle Charvet, Sargsyan, Jordan Mouaissia… Il Caravaggio, Camille Delaforge (direction) – 1 cd CVS Château de Versailles Spectacles – enregistré dans la salle des croisades du Château de Versailles, juin 2023. CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2024

 

 

 

VIDÉOS

TEASER – https://www.youtube.com/watch?v=wo1okN1Ur6s

 

 

WOLFGANG AMADEUS MOZART (1756-1791)
DIE SCHULDIGKEIT DES ERSTEN GEBOTS · K. 35 – (N°CD : CVS137)
Le Devoir du Premier Commandement – Oratorio créé le 12 mars 1767 à l’Archevêché de Salzbourg, sur un livret de Ignatz Anton von Weiser

Le jeune Wolfgang, âgé de 10 ans seulement, compose l’oratorio « Die Schuldigkeit des ersten Gebots (Le Devoir du Premier Commandement) » en 1767, alors qu’il est de retour à Salzbourg après une fabuleuse tournée en Europe avec son père Leopold et sa sœur. L’orchestration riche et variée révèle déjà le talent précoce de Mozart, utilisant l’instrumentation pour enrichir la narration musicale et accentuer les émotions du drame. Le livret met en scène un Chrétien tiède qui, grâce à la Miséricorde et la Justice divines, est ramené sur le chemin de la vertu par l’Esprit chrétien, face aux tentations de l’Esprit du monde. Camille Delaforge et Il Caravaggio soulignent avec grâce toute la science de l’harmonie du plus célèbre des musiciens.
Enregistré du 19 au 20 juin 2023 en Salle des Croisades du Château de Versailles.

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CLAP DE FIN pour l’enregistrement du Devoir du premier commandement, premier opéra de Mozart dirigé par Camille Delaforge

https://www.facebook.com/EnsembleIlCaravaggio/videos/clap-de-fin-pour-lenregistrement-du-devoir-du-premier-commandement-premier-op%C3%A9ra/1724366311334767/

 

D’autres critiques cd Ensemble Il Caravaggio / Camille Delaforge, édités par CVS Château de Versailles Spectacles :

CRITIQUE CD événement. Mademoiselle DUVAL : Les Génies ou les Caractères de l’Amour. Il Caravaggio / Camille Delaforge (2 CD Château de Versailles Spectacles – mars 2023) : https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-mademoiselle-duval-les-genies-ou-les-caracteres-de-lamour-il-caravaggio-camille-delaforge-2-cd-chateau-de-versailles-spectacles-mars-2023/

CRITIQUE CD événement. Mademoiselle DUVAL : Les Génies ou les Caractères de l’Amour. Il Caravaggio / Camille Delaforge (2 CD Château de Versailles Spectacles – mars 2023).

 

 

CRITIQUE CD événement. Héroïnes : Ensemble Il Caravaggio / Camille Delaforge – 1 CD Château de Versailles Spectacles :
https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-heroines-ensemble-il-caravaggio-camille-delaforge-1-cd-chateau-de-versailles-spectacles/

 

CRITIQUE CD événement. Héroïnes : Ensemble Il Caravaggio / Camille Delaforge – 1 CD Château de Versailles Spectacles

 

ORCHESTRE NATIONAL AVIGNON PROVENCE. Ven 6 déc 2024. « Héros » : Beethoven, Bernstein, Milhaud… Carolin Widmann (violon), Case Scaglione (direction)

Concert exceptionnel à l’Opéra Grand Avignon entre amis ou en famille… L’Orchestre National Avignon Provence joue la Symphonie n°6 dite « Pastorale » de L. van Beethoven, un monument de la musique classique, la Sérénade de Bernstein avec la violoniste de Carolin Widmann.

 

Hymne à la sainte Nature, la Symphonie « Pastorale » (1808) de Beethoven est contemporaine de la 5ème ; la partition émerveille par ses chants d’oiseaux, ses danses paysannes, … son souffle onirique et tout autant expressif : davantage « expression » que « peinture » de l’élément pastoral. Sans omettre sa tempête et son orage aussi qui en font une œuvre climatique d’exception – aussi captivante sur ce point que les quatre saisons de Vivaldi. A la fois narrative et poétique, sublimée par le génie architectural de Beethoven. Le concert dévoile aussi deux bijoux méconnus (rarement joués en concert) : la Symphonie de chambre n°1 « Le Printemps » (1917) de Darius Milhaud, une miniature charmante aux accents jazzy ; et la Sérénade d’après le Banquet de Platon (1954) de Leonard Bernstein qui propose une galerie de portraits de philosophes grecs inspirée du plus beau texte sur l’amour jamais écrit ; pour en exprimer les vertiges et la justesse, Bernstein réserve au violon solo, une partie expressive dont il a le secret. A l’Opéra Grand Avignon, c’est la violoniste Carolin Widman qui dialoguera avec les instrumentistes du National Avignon Provence, sous la direction de Case Scaglione, directeur musical de l’Orchestre National d’Île-de-France.

La Symphonie Pastorale de Beethoven… La Sixième Symphonie, dite Pastorale, fut composée et créée au même moment que la Cinquième, le 22 décembre 1808, à Vienne. Outre son génie de symphoniste, Beethoven, âgé de 38 ans, révélait une aptitude exceptionnelle à renouveler son inspiration : difficile de concevoir œuvres aussi différentes et cohérentes, en un même moment ! Le compositeur précise l’esprit de l’œuvre : davantage « expression » que « peinture » de l’élément pastoral. D’ailleurs, au moment de sa publication, en 1826, la partition indique : « Symphonie Pastorale ou souvenir de la campagne ». Il s’agit moins d’une évocation descriptive que suggestive du motif rural, sylvestre, naturel. Pour conduire l’auditeur dans ce cycle de paysages plus brossés que dessinés, il a lui-même indiqué pour chacun des mouvements, un titre indicatif. Beethoven privilégie la sensation sur le réalisme. L’accueil fut mitigé, et le public resta sur l’ennui suscité par la longueur du deuxième mouvement !

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Opéra Grand Avignon / Avignon

vendredi 6 décembre 2024 à 20h
Héros : Beethoven, Bernstein, Milhaud
Direction musicale, Case Scaglione
Violon, Carolin Widmann

Orchestre national Avignon-Provence
Programme
Darius Milhaud : Symphonie de chambre n°1 « Le Printemps »
Leonard Bernstein : Sérénade d’après le banquet De Platon
pour violon solo et orchestre de chambre
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 6 « Pastorale »
Infos & réservations sur le site de l’ONAP Orchestre National Avignon Provence : https://www.orchestre-avignon.com/concerts/heros/
Durée : 1h20 – Tarif : De 5 à 30 euros

 

 

Avant-concert
Rencontre avec le chef Case Scaglione et la violoniste Carolin Widmann
Salle des Préludes de 19h15 à 19h45

Réservations par téléphone au 04 90 14 26 40
  /  La carte CLUB’OPERA est proposée au tarif de 20 euros. Valable un an après sa date d’achat elle ouvre droit à une réduction de 20% sur le prix des places, de tous les spectacles dont ce spectacle.

 

 

approfondir

Fiche Symphonie / Symphonie « Pastorale » n°6 en fa majeur, opus 68.
Cinq mouvements dont les trois derniers sont enchaînés. L’allegro ma non troppo (1) intitulé « éveil d’impressions joyeuses » dont le premier thème reprend la mélodie d’un air populaire de Bohême où séjourna le compositeur à l’été 1806 chez les Brunswick. L’andante molto mosso (2) évoque « une scène au bord du ruisseau » où le chant des oiseaux détaillés par Beetoven (rossignol, caille et coucou) permet aux bois de se détacher, respectivement : flûte, hautbois et clarinette. L’allegro qui suit (3) intitulé « réunion joyeuse de paysans » est un scherzo structuré sur le thème descendant ( sur huit mesures) exposé pianissimo par les cordes. Puis, se développe une mélodie rustique brusquement interrompu par un tutti fracassant : c’est l’annonce de l’orage (allegro en fa mineur, 4). Fulgurance de l’éclair puis descente, apaisement. Enfin, l’allegretto final (5) exprime le « chant des pâtres, sentiment de contentement après la fin de l’orage ».

Hymne à la nature souveraine, célébrée par une humanité joyeuse tel serait le programme énoncé sans plus de précision par un Beethoven, plus impressionniste que méticuleusement naturaliste. Beaucoup d’amateurs voire de musiciens et non des moindres ont tenu « la Pastorale » pour une œuvre réduite du fait de son intention descriptive, inscrite dans son titre. C’était faire bien peu de cas des précisions pourtant sans ambiguïté de son auteur. Claude Debussy, dans « Monsieur Croche » n’a pas épargné Beethoven : il voit dans la Sixième Symphonie, une œuvre plus faible que les autres opus symphoniques. Un raté « inutilement imitatif ». L’écoute objective de l’œuvre révèle qu’il s’agit d’une partition dense et sauvage, dont la force énergique et la vitalité affirment le génie beethovénien, évocatoire, poétique, sensitif. Un immense panthéiste, écolo avant l’heure !

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LUXEMBOURG, Grand Théâtre. Link in my Bio (opéra), les 7 et 8 décembre 2024. Charlotte Marlow & Dirty Freud

« Link In My Bio » est un ouvrage lyrique composé par Charlotte Marlow et Dirty Freud, sur un livret de Jennifer Farmer.

 

Ce nouvel opéra interactif et expérimental raconte le voyage d’un groupe de jeunes dans un bus public à travers le sud de Londres, détourné soudain par des terroristes d’extrême droite. Comment un groupe d’adolescents peut-il réagir face à l’extrémisme radical qui impose la terreur et la violence comme leurs armes ordinaires ? L’opéra est un récit bouleversant qui se déroule de façon non linéaire ; il plonge au cœur de ce que signifie être un jeune dans notre monde contemporain violent et barbare.

Link In My Bio a connu une première phase de recherche lors de l’enoa LAB à Luxembourg, dans le cadre du programme « Opera Creation Journey », avec un groupe d’artistes luxembourgeois impliqué dans le projet, dont Marie-Christiane Nishimwe (vue dans De Geescht oder d’Mumm Séis la saison dernière) et United Instruments of Lucilin dans la mise en scène de Seta White. Sensible, directe, parfois crue, l’action dévoile et l’inacceptable, et souligne ce qui demeure les ferments de notre humanité. Opéra contemporain en connexion avec la réalité de notre monde, Link In My Bio épingle un monde déglingué dont il faudra coûte que coûte rétablir les équilibres vitaux, pour tous les êtres vivants ; retrouver le sens de l’entente et du respect fraternel… L’opéra Link In My Bio exprime en réaction aux convulsions de nos sociétés, à l’émergence inquiétante des extrémismes et des communautarismes, la recherche de nouvelles formes théâtrales et dramatiques. La britannique Charlotte Marlow expérimente une nouvelle narration, des dispositifs en liaison directe avec la violence et la brutalité de ce début de siècle… 2 représentations événements.

 

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Charlotte Marlow & Dirty Freud : Link In My Bio
Focus adolescence generati#n·s

Samedi 7 déc 2024, 20h
Dim 8 déc 2024, 20h
Grand Théâtre, studio
1h30 & entracte Public : + 15 ans.
En anglais / surtitres en français

INFOS & RÉSERVATIONS sur le site des théâtres de la Ville de Luxembourg : https://theatres.lu/fr/linkinmybio

 

INTRODUCTION
Introduction à la pièce par Anne Simon 30 minutes avant chaque représentation (EN : en

anglais).

Photo, grande illustration : © Britten Pears Arts

 

TEASER VIDÉO – premier état ENOA Community

 

The creative team worked on the project Link In My Bio with the support of Britten Pears Arts in January 2023.

 

Approfondir

Visitez le site enOa : https://www.enoa-community.com/

Visitez le site de l’artiste britannique Charlotte MARLOW : https://www.charlottemarlow.co.uk/

 

 

saison 2024 – 2025 du Grand Théâtre de LUXEMBOURG

 

Tom Leick-Burns, directeur, nous présente la nouvelle saison à l’affiche du Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg, phare culturel luxembourgeois depuis son inauguration en 1964. Engagé, ouvert, curieux… le Grand Théâtre poursuit une activité exemplaire qui inscrit le spectacle vivant au centre de la cité : sollicitant, interpellant, impliquant tous les publics, en particulier cette saison, les adolescents, auxquels tout un volet et de nombreuses actions de médiations (sous le label spécifique « focus adolescence ») sont développés. Opéra, danse, spectacle musical… il y en a pour tous les goûts, ce jusqu’en juin 2025 !

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ENTRETIEN avec Tom LEICK-BURNS, directeur général des Théâtres de la Ville de Luxembourg, à propos de la saison 2024 / 2025

 

CRITIQUE, Livre événement. Dominique Huybrechts : Les Alpes et les compositeurs (éditions du Mont-Blanc)

Le beau-livre édité par les éditions du Mont-Blanc propose un remarquable tour d’horizon des compositeurs, des franco-flamands et Muffat aux plus modernes de Poulenc à Zulawski… (soit de 1400 à 1953) qu’inspirent puissamment les cimes alpestres. En grand format, l’édition est un somptueux cadeau à glisser sous le sapin pour Noël 2024.

 

La présentation chronologique met surtout l’accent sur les sites et les parcours suivis, éprouvés par les musiciens sur le motif ; peu de portraits des auteurs, sinon une brève biographie pour chacun d’eux, mais de nombreuses cartes et les itinéraires renseignés de chaque excursion voire ascension préparé, qui récapitulent le cheminement des explorateurs, et des artistes grimpeurs dans les montagnes… Evidemment Wagner qui hôte et réfugié bien accueilli en Suisse, a parcouru les Alpes de bout en bout ; c’est assurément celui qui connaît les pistes d’excursion le mieux ; évidemment aussi, Liszt (son confrère et beau-père) et ses « Années de pèlerinage » ; …

 

… évidemment Richard Strauss qui dédie une symphonie parmi les plus spectaculaires jamais composées sur le sujet alpestre (137 instrumentistes) restituant les étapes et jalons d’une journée de randonnée, de l’aube au crépuscule (1915) ; mais encore Brahms, ce dernier marcheur matinal à l’inflexible discipline… et Hugo Wolf dont l’existence fulgurante et tragique connaît ses heures les plus heureuses dans le paysage alpestre… Chacun sait se bercer des cloches à vaches, aux sonorités emblématiques, motifs chers au cœur de chaque musicien randonneur. Le texte et chaque présentation célèbrent en définitive la majesté indiscutable des massifs alpestres, comme le rappelle également le peintre suisse Ferdinand Hodler dont la vue sur la Jungfrau dans le brouillard (1908), ses bleutés lointains, émergeant d’une mer nuageuse, sert ici de couverture du livre, plus qu’évocatrice. La lecture souligne combien ce sont les Romantiques germaniques et français qui se sont passionnés pour les Alpes y trouvant une source d’émerveillement, de réconfort physique comme psychique, si féconds pour leur propre équilibre intérieur comme leur inspiration.

Mozart, Blondeau et Berlioz, Weber, mais aussi Rossini, Bellini, Donizetti, Verdi, artisans d’un bel canto « alpestre », sans omettre Hérold, Spohr, Mendelssohn, Schubert, Schumann, Niedermeyer, Gounod, Meyerbeer, Joachim Raff… et tant d’autres compositeurs, parcourent, s’émerveillent, reviennent aussi comme un rituel qui réconforte et régénère : Mahler dans son cabanon de Maiernigg (où il compose chaque été, de 1901 à 1907), Webern, Bartok (et sa passion des cimes, de la beauté vertigineuse après l’effort…), Dutilleux. Tous partagent la fascination du motif naturel ce que l’auteur belge Dominique Huybrechts exprime avec clarté et une érudition vivante et accessible.

« Ce grelot de vache me tient à cœur, il me donne une très violente impression de repos, de calme, d’éloignement et d’immensité. Je me sens fondre dans toute la nature : ma croûte d’orgueil et de froideur voulue éclate ; c’est un moment d’envolée qui fait du bien et rend meilleur », s’exprime Ernest Chausson.

 

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CRITIQUE, Livre événement. Dominique Huybrechts : Les Alpes et les compositeurs (éditions du Mont-Blanc) – parution : novembre 2024 – CLIC de CLASSIQUENEWS – PLUS D’INFOS sur le site de l’éditeur Éditions du Mont-Blanc : https://www.editionsdumontblanc.com/

 

Présentation du livre Les Alpes et les compositeurs : https://www.editionsdumontblanc.com/accueil/193-les-alpes-et-les-compositeurs.html

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CRITIQUE, opéra. AMSTERDAM , De Nationale Opera, le 15 Novembre 2024. MONTEVERDI, CACCINI, PERI : Le Lacrime di Eros. G. Orendt, J. De Bique, K. Ledoux, Z. Wilder… Romeo Castellucci / Raphaël Pichon

La nouvelle et très attendue création de Raphaël Pichon et Romeo Castellucci a été présentée avec beaucoup de succès à l’Opéra National d’Amsterdam. Fresque poétique découpée en six « Libri », comme le faisaient les poètes de la Renaissance et du XVIIe, cette œuvre composite se construit autour de l’âme humaine, de l’amour et de la souffrance. Aboutissement d’un projet de plus de 7 ans, Raphaël Pichon avait déjà enregistré un certain nombre de pièces (ré-utilisées ici) dans le très beau disque “Stravaganza d’amore” (Harmonia mundi 2022).

 

 

Romeo Castellucci est un génie incontestable de la beauté. Il n’est pas une seconde de ce spectacle qui ne soit d’une beauté parfaite : composition, couleurs, choix des costumes, lumières… Tout hypnotise le regard et se marie avec le caractère parfois très abstrait de la musique du XVIIe. La violence de certains tableaux (torture, mises à mort, faux sang) n’enlève rien à cette beauté et ne provoque jamais au dégoût. Au contraire, on entre au plus profond de ce que veut dire le mot “baroque”. Au-delà de ça, Castellucci y mêle avec beaucoup d’intelligence ce qui a inspiré les artistes du début du XVIIe dans leur invention de l’opéra : la noblesse poétique du XVIe siècle. Les « Libri » qui divisent l’œuvre sont illustrées par des grandes couvertures élégantes sur lesquelles le titre est inscrit, et l’économie de mouvement participent de cet imaginaire renaissant.
On peut pourtant questionner le sens des choix artistiques de la mise en scène par rapport à la partition (ou bien des choix musicaux par rapport à une mise en scène…), l’image exprimant parfois un sentiment opposé au texte des airs ou des madrigaux choisis. Quand bien même le sens ne serait pas celui du texte, il est dommage que ce soit si difficile de trouver le lien.

 

Musicalement, l’Ensemble Pygmalion, ici à son plus haut niveau, sert un plateau de choix. La soprano Janine de Bique nous touche au plus profond de notre âme. Son expressivité passe par un arc en ciel de couleurs et de nuances, allant jusqu’à des pianissimi déchirants, notamment dans ce qui est un des chefs-d’œuvre de Monteverdi : « La Lettera amorosa », à la fin de l’avant-dernier « libro ».
À ses côtés, jusqu’à un suicide final, le baryton roumano-hongrois Gyula Orendt est à l’aise avec ce répertoire difficile et exigeant qu’il sert avec puissance et précision. Katia Ledoux fait montre de beaucoup de caractère, de puissance et d’assurance. Parfois, la diction manque de clarté. Zachary Wilder, enfin, est un ténor des plus gracieux dont la légèreté et la clarté font honneur au texte musical. Son dynamisme très précis et sa connaissance de ce répertoire en font l’artiste idéal pour cette musique.

Enfin les 5 madrigalistes Camille Chopin, Perrine Devillers, Renaud Brès, Constantin Goubet et Guillaume Gutierrez donnent un impression de cohésion et d’unité magnifique grâce à un travail de dentelle avec Raphaël Pichon. Ce dernier a fait pour ce spectacle un travail des plus titanesques. L’agencement des pièces les unes par rapport aux autres est parfait, tout se tuile avec un grand naturel, en passant de pièces anonymes du milieu du XVe siècle, à la musique contemporaine composée pour l’occasion par Scott Gibbons.
Et comme toujours avec l’Ensemble Pygmalion, nous sommes subjugués par ce chœur inoubliable, souple, exact, coloré et touchant.

Un grand moment musical et scénique où nous n’avons pas vu le temps passer !

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CRITIQUE, opéra. AMSTERDAM , De Nationale Opera, le 15 Novembre 2024. MONTEVERDI, CACCINI, PERI : Le Lacrime di Eros. G. Orendt, J. De Bique, K. Ledoux, Z. Wilder… Romeo Castellucci / Raphaël Pichon. Toutes les photos © Monika Ritterhaus

 

ENTRETIEN avec BRUNO MANTOVANI à propos de son nouvel opéra : « Voyage d’Automne », création mondiale, à l’affiche du Capitole de Toulouse du 22 au 28 nov 2024

Pour son 3ème ouvrage lyrique, Bruno Mantovani (né en 1974) aborde un thème qui lui est cher : le rapport de la création et du pouvoir, en particulier autoritaire. « Voyage d’Automne », à travers le séjour de 5 écrivains français dans l’Allemagne nazie, évoque l’aveuglement assumé et l’allégeance commode, le confort préservé … d’une indécence partagée. L’auteur explique les sujets qui l’intéressent (les mécanismes psychologiques à l’œuvre), comme les formes opératiques qui l’inspirent. Figure allégorique de la poétesse, orchestration, structure dramatique, moment de bascule…
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Photo portrait de Bruno Mantovani © Caroline Doutre
Toutes les photos de la production du Voyage d’hiver de Bruno Mantovani au Théâtre national du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Qu’est ce qui vous a inspiré particulièrement dans le sujet de ce nouvel opéra ?

BRUNO MANTOVANI : Le sujet offre tout ce que j’aime à l’opéra ; c’est une intrigue historique, d’après des faits réels et plusieurs sources dont le livre de François Dufay, qui porte le même titre « Le Voyage d’Automne ». Il y a tous les ingrédients d’un drame lyrique complet : des caractères très incarnés (pour moi c’est une priorité), à travers les échanges des 5 écrivains ; une trajectoire (le voyage évidemment des protagonistes dans l’Allemagne nazie) ; des intrigues mêlées, de pouvoir, amoureuses ; des coups de théâtre… ; j’y exploite la « caisse à outils » léguée par les compositeurs lyriques qui ont précédé, en assumant totalement la forme du « grand opéra » que j’aime. En réalité tout se déploie dans le sens de la représentation ; tout s’inscrit dans l’action théâtrale et dramatique. La veine qui est la mienne n’est pas celle de l’imaginaire musical, où tout est suggéré plutôt que montré, comme celui du lied ; l’opéra, c’est l’action et le drame représenté. Voilà la forme qui m’intéresse.
Je me souviens des cours de mon professeur Rémy Stricker au Conservatoire de Paris ; l’histoire musicale nous apprend que les compositeurs sont, soit opératiques, soit suggestifs, soit pour le théâtre et la représentation, soit pour l’univers de la poésie et de la suggestion. On constate que la plupart sont l’un ou l’autre, et rarement les deux ; voyez Beethoven ; il s’affirme à l’opéra moins dans les lieder ; c’est l’inverse pour Schubert et Robert Schumann. Je me suis longtemps interrogé sur ma propre sensibilité. Quelle forme, quelle direction défendre ? « Voyage d’automne » s’inscrit clairement dans la représentation ; c’est ma réponse.

 

CLASSIQUENEWS : De quelle façon votre nouvel opus lyrique s’inscrit-il par rapport aux précédents ?

BRUNO MANTOVANI : Avec le recul et sans que j’en ai fait le projet préalable, « Voyage d’automne » est un nouvel ouvrage qui comme les deux précédents, traite de la tyrannie. Il interroge la relation entre la création et un pouvoir autoritaire. Dans « Akhmatova » (2011), il s’agissait d’évoquer la poétesse Anna Akhamtova au temps de Staline ; « L’Autre côté » créé à Strasbourg (2006) est une fable fantastique dont le héros est un graveur dans une société qu’il pense idéale et qui est, en réalité une tyrannie. L’autoritarisme est un sujet qui me parle ; le sujet croise ma propre histoire ; mes grands parents ont fui le franquisme. A toutes les époques, le pouvoir despotique interdit les artistes et les créateurs. Sauf à les manipuler. Ce que « Voyage d’Automne » illustre aucune sans ambiguïté.
De fait, l’enchaînement des ouvrages se présente comme un triptyque. Pourtant tout cela s’est réalisé sans plan d’origine. Le sujet central du pouvoir autoritaire et de la création me concerne profondément ; cela explique probablement que je sois si touché et inspiré par ce thème. D’ailleurs, je peux vous avouer qu’au moment où les dernières répétitions s’achèvent avant la prochaine création, je reste choqué par ce que j’ai écris. Je sors de son écoute (je l’ai écouté déjà 3 fois dans la continuité), très troublé et ému. C’est une œuvre qui ne laisse pas indemne.

 

CLASSIQUENEWS : Qu’exprime et montre « Voyage d’automne » sur scène ?

BRUNO MANTOVANI : Les 5 écrivains sont des courtisans ; leur complaisance au régime nazi est le fait d’égo qui négocie dans le sens de leur intérêt personnel. Ils sont tous autocentrés et n’hésitent pas à fermer les yeux sur ce qui ne les avantage pas ou les gêne. Ce que l’opéra exprime ouvertement dans la scène où leur train passe à côté d’une fosse où les nazis réalisent un massacre de juifs. A ce moment précis, j’ai composé un quintette a capella où chacun, sans ambiguïté, ferme les yeux pour ne pas voir ce qu’ils ont tous compris. L’œuvre dénonce cette indécence, et les mécanismes psychologiques qui mènent à cette allégeance assumée.
Avec Dorian Astor, l’auteur du livret, nous avons créé un personnage inventé, la poétesse qui s’inspire d’une réelle poétesse gazée à Auschwitz (mais postérieure au moment où se passe l’action de « Voyage d’Automne »). La poétesse est une figure allégorique qui paraît 3 fois pendant l’action. Elle est d’abord silencieuse puis chante. C’est elle qui rétablit la place de l’humanité et de la fraternité dans un monde qui en totalement dépourvu.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Quelle en est l’écriture musicale ?

BRUNO MANTOVANI : Sur le plan de la forme, j’assume les éléments traditionnels de l’écriture opératique : airs, récitatifs, dialogues, ensembles (comme le quintette vocal dont j’ai parlé, juste après le massacre des juifs) ; j’ai même écrit un récitatif arioso et une cabalette… La structure de l’ouvrage est « classique », composé de 12 tableaux ; chacun des 3 actes est composé de 4 tableaux. J’aimerai citer à nouveau mon professeur Rémy Sticker qui ne cessait de souligner l’efficacité des moyens mis en œuvre par Mozart par exemple, dans ses opéras. C’est une formidable « boîte à outils » comme je l’ai dit, que l’on aurait tort de mettre de côté.

 

CLASSIQUENEWS : Et l’orchestration ?

BRUNO MANTOVANI : Orchestralement, la partition n’est pas écrite pour un grand effectif. L’orchestre est par 2, sans tuba ; avec harpe, percussions, piano, et aussi un accordéon que je souhaitais pour sa couleur nostalgique. Il en ressort un effet de résonance ; l’écriture orchestrale favorise la diversité, les contrastes comme la grande caractérisation de chaque tableau.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Y-a-t-il un point de bascule dans la continuité du drame ?

BRUNO MANTOVANI : Le point de bascule se situe justement au moment de la scène de massacre dont j’ai parlé. Les deux premiers actes sont d’action ; ils permettent d’exposer le contexte, les caractères. Avec l’acte III qui commence avec le massacre, l’opéra est plus psychologique ; c’est le moment où Drieu la Rochelle évoque son suicide. L’acte IV réalise le commentaire de ce qui s’est passé au cours des actes précédents.

 

Propos recueillis en novembre 2024

 

 

 

Toutes les photos de la production du Voyage d’hiver de Bruno Mantovani au Théâtre national du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca

 

 

présentation / annonce

LIRE aussi notre présentation du Voyage d’hiver, nouvel opéra, création mondiale de Bruno Mantovani à l’affiche du Capitole de Toulouse, du 22 au 28 nov 2024 :
https://www.classiquenews.com/opera-national-du-capitole-de-toulouse-bruno-mantovani-voyage-dautomne-creation-mondiale-du-22-au-28-novembre-2024-marie-lambert-le-bihan-pascal-rophe/

 

OPÉRA NATIONAL DU CAPITOLE DE TOULOUSE. Bruno MANTOVANI : Voyage d’Automne, création mondiale (du 22 au 28 novembre 2024) Marie Lambert-Le Bihan / Pascal Rophé

 

 

METZ, cité musicale. ARSENAL, ven 29 nov 2024 : La Valse de Ravel. DUTILLEUX, Lili BOULANGER… Orchestre national de Metz Grand Est, David Reiland, Edgar Moreau (violoncelle)

Vertiges symphoniques à l’ARSENAL DE METZ. Quatre symphonistes coloristes sont à l’affiche de ce programme des plus poétiques. Inspiré par Baudelaire, « Tout un monde lointain » est un sublime Concerto pour violoncelle signé Henri Dutilleux, un hymne aux mystères et à l’invisible que dévoile la divine musique, d’autant plus vertigineux voire hallucinants que l’Arsenal invite en soliste le crépitant violoncelliste Edgar Moreau.

 

 

Place ensuite aux crépuscules tout aussi étranges voire inquiétants du soir frémissant et « triste », parfois angoissé, de LILI BOULANGER dont « Un soir triste » est le testament musical et spirituel ouvragé à seulement 24 ans : l’auteure mourra quelques mois plus tard d’une maladie. Même enchantements oniriques et porteurs, de Debussy puis Ravel : le premier peint les envoûtantes et douces irisations comme les déferlements de l’océan ; quand le second, tout aussi inspiré mais capable de déferlements raffinés, en 1920, ose dérouler une valse déglinguée, et très / trop vivace… sur les ruines encore fumantes de la vieille Europe. Comme son Boléro, trait de génie mondialement célébré, la si délicate Valse de Ravel, hymne à la danse et aussi orgie progressive de rythmes et de couleurs, dévoile la double personnalité du compositeur; Maurice le si mesuré et le si pudique, « ose » faire imploser le tissu symphonique jusqu’à la transe la plus débridée, jusqu’à l’obsessionnelle ivresse des sons et des sens (comme le Boléro). Irrésistible cheminement qui s’achève dans une apothéose orchestrale jamais écoutée auparavant. Programme symphonique événement.

 

D’UN SOIR TRISTE… SYMPHONISME POETIQUE DE LILI BOULANGER : Même atteinte d’une pneumonie incurable qui finit par l’emporter trop jeune (1918), Lili Boulanger (Prix de Rome, 1913) rayonne ici à travers deux partitions flamboyantes, dont la gravité et la très riche texture (surtout l’ample poème atmosphérique « D’un soir triste » qui dépasse 11mn, clairement debussyste) imposent un tempérament exceptionnellement dramatique voire tragique dont les couleurs et la subtilité harmonique fascinent littéralement. Volets fonctionnant en diptyque, les deux partitions (« D’un matin de printemps » puis « D’un soir triste ») éblouissent en révélant la riche activité poétique d’une jeune femme de 24 ans qui en 1918, au soir de sa trop courte existence, semble se savoir condamnée par la tuberculose. Le traitement des masses, la prodigieuse texture des timbres, d’une sensualité mystérieuse et toujours suggestive comme alanguie et irrésolue, l’intelligence de l’orchestration imposent le cycle double comme un sommet de l’art orchestral post wagnérien, post franckiste dont la finesse de la structure et du rayonnement sonore égale les Debussy, Roussel, Ravel. C’est dire la qualité musicale en jeu.

 

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La Valse de Ravel
Orchestre national de Metz Grand Est / David Reiland / Edgar Moreau

METZ, Arsenal
vendredi 29 novembre 2024, 20h

Durée : 1h50 + entracte

INFOS & RÉSERVATIONS : https://www.citemusicale-metz.fr/fr/programmation/saison-24-25/arsenal/la-valse-de-ravel-1

 

 

Programme

Henri Dutilleux : 
Concerto pour violoncelle « Tout un monde lointain »
Lili Boulanger
 : D’un soir triste
Claude Debussy : 
La Mer
Maurice Ravel
 : La Valse

Orchestre national de Metz Grand Est
David Reiland, direction
Edgar Moreau, violoncelle

 

CLÉS D’ÉCOUTE – présentation du programme
ven 29 nov 19h (entrée libre)
INFOS PRATIQUES LOCALES
Ouverture des portes et du bar à 19h – Début du concert à 20h
Placement numéroté, assis – Vestiaire disponible – Restauration sur place

 

Programme repris le samedi 30 novembre 2024, 20h
LIEGE, Salle Philharmonique – Plus d’infos : https://www.citemusicale-metz.fr/fr/programmation/saison-24-25/arsenal/la-valse-de-ravel-1

 

approfondir

Retrouvez D’un soir triste de Lili Boulanger sur le CD Poétesses symphoniques par l’Orchestre national de Metz Grand Est sous la direction de David Reiland pour La Dolce Volta. LIRE ici notre critique du cd Poétesse symphoniques / CLIC de CLASSIQUENEWS – janvier 2023 : https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-poetesses-symphoniques-betsy-jolas-bonis-boulanger-holmes-orchestre-national-de-metz-grand-est-david-reiland-direction-1-cd-la-dolce-volta/

 

CRITIQUE CD événement. Poétesses Symphoniques. Betsy Jolas, Bonis, Boulanger, Holmès. Orchestre National de Metz Grand Est. David Reiland, direction (1 cd La Dolce Volta)