mardi 18 février 2025

CRITIQUE, concert. MONACO, Auditorium Rainier III, le 12 janvier 2015. BEETHOVEN [Triple Concerto], BRUCKNER [symphonie n°7], Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo (OPMC), Bertrand de Billy (direction)

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Souffle, grandeur, voire sensation et proportions du colossal, le chef suisse (né à Paris) Bertrand de Billy – en complicité avec l’OPMC / Orchestre Philharmonique de Monte Carlo – réalise un superbe Bruckner, à la fois marmoréen et ciselé ; le chef retrouve les instrumentistes monégasques dans un programme particulièrement copieux qui nécessite de la puissance et même un sens des déflagration sonores ; la 7ème Symphonie de Bruckner dépasse en proportions ce qu’un Beethoven n’avait imaginé et que prolongera Mahler. Tandis que le Triple Concerto du dit Beethoven convoque l’esprit chambriste et concertant le plus imaginatif et le plus courtois [tout en privilégiant aux côtés du violon et du piano, le chant moteur du violoncelle]. Chef et instrumentistes convainquent dans un programme complet, riche, contrasté.

 

 

BRUCKNER EXPÉRIMENTAL & FLAMBOYANT… La 7ème d’Anton Bruckner est essentielle dans la trajectoire esthétique du compositeur. C’est avec la 6ème, l’œuvre d’un auteur enfin reconnu pour son génie symphonique ; l’inspiration jaillit avec l’énergie que nourrit le sentiment d’être enfin compris  ; c’est aussi la célébration de son modèle absolu : Wagner ; car au moment où il conçoit la partition, Bruckner découvre Bayreuth en 1882, subjugué par la création de Parsifal ; il rencontrera alors pour une dernière fois, l’auteur du Ring. La profondeur et le développement complexe du sublime Adagio, pièce copieuse et la mieux développée, peuvent se comprendre comme un hommage à Wagner et aussi l’ambition du disciple d’en recueillir l’essence pour en prolonger toute la dimension… expérimentale.

 

L’écoute permet en particulier de saisir les bénéfices de la direction du chef, particulièrement déterminants dans le travail de ce 2 ème mouvement [noté « d’une très lente solennité  /  Sehr Feierlich und sehr langsam » ] le plus fascinant car outre le dialogue alterné des pupitres cuivres, cordes bois,… – opposition habituelle et emblématique, le compositeur pousse très loin les limites de la texture sonore ; Bruckner y édifie une cathédrale aux proportions impressionnantes : l’écriture joue aussi de la matière sonore entre transparence et épaisseur de la pâte musicale. Des alliages inouïs se font entendre ; ils annoncent directement Mahler tout en s’étant forgé une texture très aboutie à l’école de Wagner [son grand modèle]. Déjà remarqués, supérieurs, souverains, dans le premier mouvement, les fabuleux violons tissent une soie impériale, aérienne que le chef sait détacher et faire planer comme une force irrépressible qui finit par entraîner tous les pupitres.

Le développement de ce 2ème mouvement semble explorer la matière orchestrale elle-même, sa  puissance, ses tensions,… Bruckner étire les dimensions, dilue toute notion de cadre, il opte pour un développement imprévu [conduit comme un cheminement mystérieux], des associations de timbres inédits, inattendus, dont les fabuleux tubens [empruntés directement au drame Wagnérien] , qui doublant les cors traditionnels, expriment l’essence même de la noblesse [comme la profondeur active du mystère à l’œuvre].
Un point central est atteint quand après les noces somptueuses des cordes et des cors, les flûtes marquent un jalon qui ouvre alors la 2e partie du mouvement, d’un dramatisme plastique qui mène vers le fameux coup de cymbale, coup de lumière, libérateur, saisissant célébrant la victoire des forces célestes sur les ténèbres, évolution essentielle chez Bruckner qui en croyant sincère, cite aussi le thème du « in te Domine speravi« … évoquant Dieu, comme une source [trop fugace] de réconfort. Tout le vaste mouvement sonde la profondeur vertigineuse du mystère qui se dresse à chaque homme, surtout s’il croit.
Le final souligne l’échelle colossale des forces en présence dans le surgissent d’un vaste thème portique qui sonne comme une synthèse des chorals, genre auquel tient Bruckner. Contrastée, voire abrupte, cette dernière architecture, fait surgir de nouvelles sonorités spectaculaires, voire monstrueuses comme brossées avec une nouvelle sauvagerie, cependant parfaitement ancrée dans l’opulence des cuivres. C’est à nouveau un sentiment primitif qui immerge le spectateur dans la forge orchestrale, un bouillonnement titanesque qui bien avant Mahler, ose des proportions jamais écoutées jusque là. À ce titre les ultimes accords font résonner une texture ample, profonde et riche  qui suggère une plénitude orchestrale où rayonne l’irrésistible texture des cuivres. C’est une conclusion en majesté et aussi la vibration d’un commencement primordial, claire référence à l’opéra Wagnérien, au début de l’Or du Rhin et aussi à sa fin quand les dieux montent au Walhala… L’Orchestre de Bruckner dans ce final en apothéose égale son maître dont il produit une étonnante et vertigineuse synthèse. Au mérite du chef revient un souci constant de la lisibilité voire de la transparence, s’appuyant sur le brillant éthéré des violons, l’énergie fugace des bois, la royale splendeur ce soir, des cuivres…

 

 

BEETHOVEN CHAMBRISTE ET VIENNOIS… En première partie l’OPMC joue le triple concerto de Beethoven en complicité avec les 3 jeunes instrumentistes du trio belge Zeliha, récemment formé depuis 2018. Une certaine raideur et des aigus fragiles au violon au début laissent peu à peu se déployer en cours de soirée une franchise de ton, une délicatesse juvénile dont l’énergie et l’entrain entraînent tout l’Orchestre. Le violoncelliste (Maxime Quennesson) très à l’écoute de sa consœur (Manon Galy) s’avère vivant et ludique même, en particulier dans les cascades vibrionnantes de la dernière séquence.
La belle complicité entre les deux cordes n’atteint cependant pas l’articulation enflammée et précise du pianiste  [Jorge G. Buajazan], enjoué, facétieux comme un lutin percutant dont le jeu affûté, millimétré comprend idéalement l’esprit de cette partition composée en 1804 pour le Prince Lobkowitz, à la fois virtuose et aimable d’un Beethoven traversé par l’envie de jouer et une grâce toute viennoise. Celle que n’auraient renié ni Mozart ni Haydn. C’est dire.

 

 

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CRITIQUE, concert. MONACO, Auditorium Rainier III, le 13 janvier 2015. BEETHOVEN [triple concerto / Trio Zeliha], BRUCKNER [symphonie n°7], Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo OPMC), BERTRAND DE BILLY. Photos © Emma Dantec / OPMC communication

 

DIFFUSION sur Radio Classique, samedi 15 février 2025, 20h. Incontournable.

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