
Après un passage par la Philharmonie de Paris, c’est à celle de Luxembourg que fait étape la fameuse formation internationale qu’est l’Orchestre Symphonique du Venezuela “Simon Bolivar”, dirigé depuis de longues années par l’actuel directeur musical de l’Opéra National de Paris, le chef vénézuélien Gustavo Dudamel. Au programme, sur deux soirées, la monumentale Troisième Symphonie de Gustav Mahler, puis la 4ème Symphonie de Piotr Illitch Tchaïkovski, les deux roboratives symphonies étant précédées de pièces symphoniques et chorales de compositeurs vénézuéliens.
C’est ainsi que, le premier soir, sont données à entendre deux courtes pièces chorales composées par José Antonio Abreu, fondateur du non moins fameux Orchestre “El Sistema”, créé il y a tout juste 50 ans, et dont le chef ainsi que de nombreux instrumentistes sont issus. Le public luxembourgeois a la chance de goûter à la beauté de la polyphonie de ces deux pièces pour chœur de femmes et d’enfants, la première toute emplie de poésie “Sol que das vida a los trigos” (“Soleil qui donne la vie au blé”), d’après un poème de Manuel Felipe Rugeles, tandis que la deuxième “Luz, tú” (“Toi, la Lumière”), s’avère plus spirituelle et religieuse, d’après un poème de Juan Ramon Jimenez. Fiers de leur patrimoine musical, les jeunes instrumentistes vibrent à l’unisson de cette musique qui reçoit un accueil particulièrement chaleureux. Le lendemain, ce sont deux morceaux symphoniques qui sont mis à l’honneur, “Todo terreno” de Ricardo Lorenz, d’un optimisme ravageur, et “Odisea por Cuarto venezolano”, pièce plus longue mais aussi plus anecdotique, de Gonzalo Grau, le “Cuarto” étant une petite guitare à quatre cordes, typiquement vénézuélien, ici joué par Jorge Glenn. Virtuose de l’instrument, ce dernier offre deux bis qui mettent le public dans sa poche, et lui valent même une standing ovation.
Mais revenons à l’événement que constitue toute interprétation de la Troisième Symphonie de Gustav Mahler, la plus longue et le plus grandiose (auprès de sa Seconde Symphonie) du compositeur autrichien. Dès le grand fracas inaugural des huit cors, on reste impressionné par l’homogénéité et la puissance de l’articulation, et débute alors un état de grâce pour l’orchestre – comme pour les spectateurs – que l’on ne quittera plus pendant les 1h40 que dure l’ouvrage mahlérien. Chaque pupitre se hisse à son summum : élégance des cordes, sonorité expressive des instruments à vents et infaillibilité des cuivres. Les trompettes et les trombones se couvrent notamment de gloire, à commencer par le trombone solo d’Alejandro Diaz, au timbre velouté et doux, à lui seul porteur d’émotion, et le cor de postillon de Pacheco Flores, d’une virtuosité à toute épreuve. Si l’on se doit de citer également les percussions, saisissantes par leur exactitude rythmique et stylistique, c’est bien la qualité collective de l’orchestre – et son extraordinaire équilibre de timbres – qui suscite ce soir notre admiration et soulève notre enthousiasme. Cependant, le moment le plus magique et bouleversant de la soirée, on le doit bien à la mezzo héraultaise Marianne Crebassa qui offre au public le plus émouvant « O Mensch ! » que l’on ait pu entendre : la tenue de la voix, la couleur du timbre, l’intelligence du phrasé, la pureté du grave, et surtout l’ineffable émotion qu’elle parvient à distiller par son chant, le public présent s’en souviendra longtemps comme un pur moment d’éternité…
Le lendemain, c’est la non moins grandiose 4ème Symphonie de Piotr Illitch Tchaïkovski qui est à l’honneur. Irréprochable de bout en bout, la phalange vénézuélienne enthousiasme au plus haut point dans cette interprétation éminemment romantique et lyrique, qui préfère l’hédonisme à l’âpreté de certaines lectures russes, par exemple. Ouvert par la fanfare de cuivres, on apprécie, dans l’Andante sostenuto initial, le lyrisme et le legato des cordes tandis que les cuivres entretiennent un sentiment d’urgence, de menace et d’accablement. Gustavo Dudamel utilise les masses orchestrales pour appuyer le climat de menace latente, sans sacrifier la clarté de discours, ni l’équilibre entre les pupitres. L’Andantino offre un moment plus serein, cantabile et hédoniste, riche en nuances et variations rythmiques, sur un tempo plutôt lent où se distinguent plus particulièrement hautbois, basson et cordes. Célèbre et toujours très attendu, le Scherzo affiche une belle dynamique, festive, entretenue par des pizzicati particulièrement tranchants, faisant contraste avec les stridences des bois. Le Finale, très théâtral, presque hollywoodien, sait judicieusement entretenir une atmosphère d’inquiétude avant la cavalcade finale, incandescente, ponctuée par les sonneries du destin… Mais c’est cependant dans la joie que s’achève la soirée, avec le tube qu’est “Mambo” extrait de West Side Story, un incontournable de tous les concerts donnés la phalange sud-américaine, dans lequel les instrumentistes changent de siège, tout en hurlant les fameux “Mambo !” – à la plus grande joie d’un public… qui finit à nouveau debout !
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CRITIQUE, concerts. LUXEMBOURG, Philharmonie, les 18 et 19 janvier 2025. MAHLER / TCHAÏKOVSKI. Orchestre Symphonique du Venezuela « Simon Bolivar », Marianne Crebassa (mezzo), Gustavo Dudamel (direction). Toutes les photos © Alfonso Salgueiro
VIDEO : « Mambo » extrait du « West Side Story » de Bernstein par l’Orchestre Syùphonique du Venezuela « Simon Bolivar » dirigé par Gustavo Dudamel
