
Pour le promeneurs solitaire des champs et des bois, loin, bien loin du bruit mécanique des villes, c’est la rumeur du sous-bois qui invite aux cérémonies secrètes de la nature. Sommes-nous encore équipé.e.s pour être officiants dans ces communions ou tenons nous plutôt la place des intrus? Outre l’aspect scientifique ou militant, le rapport que nous avons à la nature n’est plus celui qui serait le plus sain, celui qui inspire et décomplexe, celui de la contemplation. Cette contemplation qui est le creuset de toute création artistique, et encore plus un lien invisible avec toute chose vivante. Bach lui même n’a pas simplement vu la nature comme résultat de la main divine, mais dans ses cantates on entend les saisons, les oiseaux, les éléments déchaînés. Dans le même état d’esprit de rapport simple et honnête à la nature, Leos Janacek s’est toujours soucié de la nature et c’est bien dans la partition de La Petite renarde rusée qu’il a fait un manifeste contemplatif et émouvant de son attachement au sous-bois et la prairie. Créée il y a un siècle, La petite renarde rusée est un chant passionné, un cri déchirant sur la cruauté humaine et finalement notre propre ineptitude. A l’égal du Chantecler d’Edmond Rostand, le livret écrit par Janacek, montre comment la voix animale est aussi puissante, voire bien plus émouvante que celle des humains, toujours préoccupés dans des tâches sans intérêt. Les moments les plus passionnés sont dévolus aux bêtes, ces êtres qui nous observent dans les buissons et gardent leurs secrets dans leur langage énigmatique.
Reprenant la mise en scène de 2008 d’André Engel, la saison 2024/2025 de l’Opéra national de Paris commence l’année 2025 avec ce manifeste de Janacek. Si parfois on a craint que cette mise en scène tombe dans la caricature ou le simplisme, rien de tel. La mise en scène est d’une sincérité désarmante, dès le premier tableau on est plongé dans un univers à la poésie émouvante. Ce rêve d’enfance nous mène bien au delà des klaxons et sirènes hystériques de la Place de la Bastille, et nous plonge dans le silence fourmillant de vie d’une campagne onirique. Le mystère absolu étant le mariage glorieux de la Renarde et le Renard dans un décor blanc éclatant, comme le tabernacle joyeux d’une cérémonie secrète. Cette mise en scène révèle à la fin de l’opéra son tableau le plus beau. Le garde chasse couronné de fleurs tel un poète de jadis qui plonge dans une mer de tournesols pour épouser à jamais la terre, la fleur et la feuille et devenir un tournesol de plus, tournant toujours au gré de l’astre du jour.
La distribution est menée tambour battant par la Renarde fascinante d’Elena Tsallagova aux aigus riches et brillants. Le Garde-chasse émouvant à l’extrême de Milan Siljanov a des extraordinaires couleurs dans les phrasés. Le Renard de Paula Murrihy a une belle présence théâtrale tout comme Eric Huchet dans le rôle pathétique de l’Instituteur et Frédéric Caton dans celui du Prêtre. La palme absolue est dévolue aux petits génies intégrant le Prague Philharmonic Children’s Choir, créatures et esprits zéphyrins de cette belle reprise. A la tête des forces extraordinaires de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, le maestro Juraj Valcuha a su révéler les dynamiques et la grandeur généreuses de la musique de Janacek dans ces pages magnifiques.
Serions-nous prêts comme le Garde-chasse à nous délester des mondanités et partir à travers champ vers l’horizon? Ou bien attendons-nous l’éclair roux d’un renard qui nous guide vers une liberté que l’on n’ose pas prendre à pleines mains? Janacek est mort suite à une longue promenade en forêt en 1928 et, selon sa volonté, le finale de sa Petite renarde a été joué à ses funérailles. Dès lors, sur sa tombe veille alerte la Petite renarde dont il a fait une diva absolue des feux de la rampe au même titre que Tosca, Violetta ou Manon.
