On avait en tête un enregistrement marquant de l’oratorio de jeunesse « La Betulia Liberata » (partition postérieure, créée 4 ans après Le Devoir, en 1771), témoignage légendaire par sa cohérence, son élan général, dans ce qui nous semblait une caractérisation palpitante des figures et personnages (version Vittorio Negri, 1976, à l’époque chez Philips). C’était alors une captivante révélation du style éblouissant du (très) jeune Wolfgang, à peine adolescent et déjà porteur d’une hypersensibilité psychologique, orfévrant et la ligne vocale et l’écriture orchestrale, avec une subtilité inédite.
A l’époque nous tenions là le son propre au jeune Wolfgang, à la fin de l’enfance, pré-adolescent…
Disons-le d’emblée, la lecture de l’ensemble Il Caravaggio du « Devoir du premier commandement / Die Schuldigkeit des Ersten Gebots » est aussi enthousiasmante : elle va même plus loin encore. Le choix des voix dont la pétillante et bouleversante soprano Gwendoline Blondeel, la tenue de l’orchestre (entre souplesse et crépitements, rebonds et nuances intimes), la cohésion de la direction réalisent un enregistrement de référence. Mozart adolescent n’a que 11 ans quand il compose ce drame sacré (geistliches singspiel), – pour l’infect prince-archevêque de Salzbourg (Colloredo). Le jeune compositeur est déjà maître de l’écriture musicale à la mode alors (forme métastasienne privilégiant les arias da capo) ; il insuffle surtout une vivacité émotionnelle spécifique, totalement inédite. Voilà qui révèle un génie authentique qui, dès mars 1767, possède toutes les ficelles de l’écriture opératique. Et dans Le Devoir, toutes les infimes nuances de l’écriture ciselée de CPE Bach dont les oratorios concentrent le meilleur du courant « Empfindsamkeit » ( / sensibilité), en particulier « Die letzten Leiden des Erlösers » de la même période 1769.
Les rôles ici sont certes des allégories (l’Esprit chrétien, Miséricorde, Justice et l’Esprit du monde, ces deux derniers sont ici chantés par la soprano Gwendoline Blondeel) : ils débordent de vie et de sentiments, portés constamment par un orchestre nerveux, élégantissime. Allaient ensuite s’enchaîner les ouvrages dramatiques comme La Finta Simplice (Salzbourg, 1769) dont tous les chanteurs avaient créé auparavant l’oratorio qui nous occupe. Chacun s’active, voire s’ingénie de subterfuges en péripéties (hautement dramatiques) pour édifier l’homme perdu. La Loi divine est dure mais juste et l’enveloppe musicale produite par Mozart la rend d’autant plus admirable. Chaque entité entend insuffler au Chrétien, trop tiède au début, la certitude de la foi et son devoir à suivre certains principes. L’écarter des voluptés trompeuses (activées par le séducteur Esprit du monde), se soucier de son salut… C’est le commandement le plus noble (du Décalogue): « Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme… ». Tel est le cheminement du Chrétien que l’obtention de la grâce (aux cotés du salut si nécessaire) préoccupe au plus haut point. L’obtention du salut et de la grâce marque les esprits dans une période tendue sur ce sujet, entre jansénistes et jésuites en Autriche. En dépit de l’enjeu spirituel du sujet, la langue de Mozart délivre un message fraternel et hautement humaniste.
Il Caravaggio / Camille Delaforge
éblouissent en révélant le génie lumineux
du premier Mozart à Salzbourg (1767)
De quoi ravir les auditeurs pour les célébrations de Pâques de mars 1767. A l’origine, la partition du jeune Wolfgang était destinée à la première partie du vaste oratorio programmé en 1767 sur le livret de Weiser ; les deux autres parties (perdues à ce jour) étant signées Michael Haydn et Adlgasser. L’écriture de Wolfgang exalte les aspirations de chacun, exprime au plus juste les émotions avec une sincérité saisissante, en particulier dans les airs de La Justine Divine (pétillante, agile, lumineuse Gwendoline Blondeel, suscitant notre pleine enthousiasme dans son grand air n°3 « Erwache, fauler knecht / réveille toi serviteur paresseux », dont l’évocation de l’enfer est orchestralement et vocalement spectaculaire), comme de l’Esprit chrétien (Artavazd Sargsyan et son air non moins développé « Manches übel will zuweilen / Certains maux requièrent parfois… ») ; sans omettre le sujet de toutes les attentions, ce « serviteur paresseux », soit le Chrétien (excellent Jordan Mouaussia) qui s’extirpe du sommeil, et donc doit choisir sa voie et les valeurs jalonnant le chemin : « Wie, wererwecket mich ? / Mais qui donc me réveille ? » (récitatif accompagné annonciateur de tous les opéras à venir…).
La Sinfonia d’ouverture dépeint immédiatement, avec vitalité et finesse, le « buisson de fleurs »… La discussion entre les allégories se déploie alors que le Chrétien « tiède dort entre jardin et bois » ; a-t-il conscience de ce qui s’est dit pendant son sommeil ?, tout est là… Après l’air n°2, se réalise l’éveil du Chrétien (symboliquement à naître spirituellement) ; il est immédiatement assailli, tenté, séduit par les douces paroles de l’Esprit du monde qui le fait rêver en évoquant les délices et la volupté terrestre (air n°4)… D’ailleurs, à la fin de la partition de Wolfgang, le Chrétien a quitté la scène pour rejoindre les plaisirs qui l’attendent (et qui lui a tant loué l’Esprit du monde) ; alors que les 3 allégories, Justice divine, Miséricorde et L’Esprit chrétien s’entendent pour ne pas l’abandonner et le recueillir in fine dans le giron de Dieu en l’obligeant à son devoir …
Les récitatifs secs et accompagnés (aux moments forts), la parure instrumentale de chaque air sont superbement caractérisés ; flûtes, hautbois, bassons, cors… Il Caravaggio exprime l’éblouissante vitalité du jeune Mozart, apte à nourrir son drame, l’acuité de chaque péripétie, mais aussi la grande tendresse du jeune compositeur pour ses personnages, en particulier dans la ligne du Chrétien, humain souvent apeuré, victime démunie, arrachée des bras de Morphée…
Tous les interprètes soignent leur partie, la cheffe d’Il Caravaggio, Camille Delaforge veille à l’unité, à l’allant formidable du plateau dans son intégralité. La proposition démontre la maturité artistique du collectif, son acuité expressive, sa force d’implication à nuancer chaque inflexion dramatique de l’œuvre.Saluons CVS Château de Versailles Spectacles d’avoir choisi d’enregistrer cette somptueuse production. L’enregistrement rétablit le génie mozartien dans son acuité sensible et expressive. Ce Devoir est un pur chef d’oeuvre enfin restitué dans sa finesse originelle. Magistral donc CLIC de classiquenews.
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CRITIQUE CD événement. MOZART : Le Devoir du premier commandement / Die Schuldigkeit des Ersten Gebots (Salzbourg, 1767). Gwendoline Blondeel, Adèle Charvet, Sargsyan, Jordan Mouaissia… Il Caravaggio, Camille Delaforge (direction) – 1 cd CVS Château de Versailles Spectacles – enregistré dans la salle des croisades du Château de Versailles, juin 2023. CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2024
VIDÉOS
TEASER – https://www.youtube.com/watch?v=wo1okN1Ur6s
WOLFGANG AMADEUS MOZART (1756-1791)
DIE SCHULDIGKEIT DES ERSTEN GEBOTS · K. 35 – (N°CD : CVS137)
Le Devoir du Premier Commandement – Oratorio créé le 12 mars 1767 à l’Archevêché de Salzbourg, sur un livret de Ignatz Anton von Weiser
Le jeune Wolfgang, âgé de 10 ans seulement, compose l’oratorio « Die Schuldigkeit des ersten Gebots (Le Devoir du Premier Commandement) » en 1767, alors qu’il est de retour à Salzbourg après une fabuleuse tournée en Europe avec son père Leopold et sa sœur. L’orchestration riche et variée révèle déjà le talent précoce de Mozart, utilisant l’instrumentation pour enrichir la narration musicale et accentuer les émotions du drame. Le livret met en scène un Chrétien tiède qui, grâce à la Miséricorde et la Justice divines, est ramené sur le chemin de la vertu par l’Esprit chrétien, face aux tentations de l’Esprit du monde. Camille Delaforge et Il Caravaggio soulignent avec grâce toute la science de l’harmonie du plus célèbre des musiciens.
Enregistré du 19 au 20 juin 2023 en Salle des Croisades du Château de Versailles.
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CLAP DE FIN pour l’enregistrement du Devoir du premier commandement, premier opéra de Mozart dirigé par Camille Delaforge
D’autres critiques cd Ensemble Il Caravaggio / Camille Delaforge, édités par CVS Château de Versailles Spectacles :
CRITIQUE CD événement. Mademoiselle DUVAL : Les Génies ou les Caractères de l’Amour. Il Caravaggio / Camille Delaforge (2 CD Château de Versailles Spectacles – mars 2023) : https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-mademoiselle-duval-les-genies-ou-les-caracteres-de-lamour-il-caravaggio-camille-delaforge-2-cd-chateau-de-versailles-spectacles-mars-2023/
CRITIQUE CD événement. Héroïnes : Ensemble Il Caravaggio / Camille Delaforge – 1 CD Château de Versailles Spectacles :
https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-heroines-ensemble-il-caravaggio-camille-delaforge-1-cd-chateau-de-versailles-spectacles/