lundi 24 mars 2025

CRITIQUE, opéra. BORDEAUX, Grand-Théâtre (du 29 janvier au 6 février). BELLINI : Norma. K. Deshayes, J. F. Borras, O. Syniakova… Anne Delbée / Paolo Carignani

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Lorsque s’ouvre le rideau sur cette Norma de Vincenzo Bellini au Grand-Théâtre de Bordeaux, le décor, majestueux, impose aussitôt son inventivité plastique. De chaque côté du plateau, de longues toiles déploient des motifs inquiétants, encres étalées qui figurent de sombres branchages, de chênes forcément. Une fois retirées, elles laisseront voir comme les coques d’un paquebot ou d’un astronef, donnant alors à l’autel central, fortement incliné, l’allure d’une rampe de lancement. S’y dresse le Dieu Cerf, un druide chamanique, longue robe blanche en couches de drapés imposants, heaume argenté surmonté de bois de cerf. D’autres bois, stylisés, s’imposent à l’avant-scène et l’on verra aussi un druide brandissant une serpe géante rappelant cette forme tourmentée, acérée comme une griffe de vélociraptor. Le jeu des lumières tire parfaitement profit de cet écrin, pour dessiner de voluptueux nocturnes comme des cérémonies d’un blanc écrasant, virant au gris métallique, voire au noir et blanc. Les costumes sont à l’avenant, tout aussi réussis et offrant d’intéressantes passerelles entre Gaule imaginaire et modernité intemporelle.

 

La mise en scène d’Anne Delbée n’en tire pas toujours profit, qui n’évite pas le statisme et laisse parfois les chanteurs désemparés. Ainsi de Jean-François Borras dont le Pollione agite les bras de manière désordonnée mais préfère visiblement se dresser face au public pour chanter sans trop se préoccuper de vérité scénique. Karine Deshayes impose une Norma digne, parfois hiératique mais l’on peut aussi s’interroger sur certaines postures, telle celle où elle semble faire une imposition des mains sur Pollione ! A quelques reprises, le chamane récite des textes certes issus de la religion celte mais abscons, couvrant en partie la musique de Bellini sans que l’on sache l’intérêt de ces ajouts. S’y joint un recours à la vidéo parfaitement inutile, qui appuie lourdement certains effets : Norma chérissant les vêtements de ses enfants (acte II, sc. 1) est assez expressive de pour que l’on n’ait nul besoin à l’écran de la frimousse d’un bambin soufflant sur un pissenlit !

 

En revanche, outre qu’ils sont impeccables de bout en bout, les Chœurs de l’Opéra de Bordeaux s’acquittent parfaitement des mouvements de foule les plus divers, du recueillement à l’ire guerrière. Vocalement, le plateau est de bonne tenue. Dans le rôle-titre, Karine Deshayes sait intelligemment accompagner l’évolution de son personnage par une prestation de plus en plus dramatique. Casta diva est ainsi susurré, tout en retenue et délicatesse, lorsque la prêtresse fera preuve d’un imposant tranchant au tableau final. Tout aussi solide, Jean- François Borras compense par la voix ce qui pèche scéniquement. En dépit du temps, le timbre demeure métallique et la projection solaire, avec un vibrato habilement distillé. En Adalgisa, la mezzo ukrainienne Olga Syniakova restitue parfaitement les nuances d’un personnage tourmenté malgré, là encore, des choix scéniques étranges tel celui où elle se saisit d’une rose comme le ferait une rockstar d’un micro. On saluera aussi la puissance et la profondeur de voix de la basse géorgienne Goderdzi Janelidze, impressionnant Oroveso. Les différents ensembles couronnent ces prestations, montrant la complicité des chanteurs. Peut-être faut-il alors rendre justice à une mise en scène qui, malgré ses tâtonnements, leur laisse suffisamment d’espace pour s’épanouir vocalement, au détriment de l’incarnation.

 

On a connu l’Orchestre de l’Opéra national de Bordeaux en meilleure forme. En dépit d’une direction rigoureuse de la part du chef italien Paolo Carignani, il manque ici l’élan, la flamme qui devraient nourrir la tragédie. Comme si la direction routinière se contentait de soutenir le plateau. En définitive, une production plutôt réussie malgré quelques faiblesses..

 

 

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CRITIQUE, opéra. BORDEAUX, Grand-Théâtre (du 29 janvier au 6 février). BELLINI : Norma. K. Deshayes, J. F. Borras, O. Syniakova… Anne Delbée / Paolo Carignani. Toutes les photos © Christian Dresse

 

VIDÉO : Trailer de « Norma » de Bellini selon Anne Delbée à l’Opéra national de Bordeaux

 

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