
Le mois de janvier 2025 a couvert d’une brume persistante la peau de zinc et d’ardoise de Paris. Dans la teinture onctueuse du brouillard l’on pourrait soupçonner quelque illusion de Constantin Guys ou des réminiscences de gris de Caillebotte se détacher aux abords du Palais Garnier. Mais non, nul spectre autre que des sirènes en goguette ou des pas pressés aux abords des bouches du métro. 2025, année commémorative de la mort précoce d’Alexandre-César dit Georges Bizet. Enfant choyé de la haute bourgeoisie parisienne et entrée plus tard par alliance dans la parentèle des Halévy, Boieldieu et Auber. Bizet n’a pas connu la gloire immédiate malgré un Prix de Rome en 1857 remporté à seulement 19 ans. Destin tragique de tous les enfants prodiges ou complexité d’une époque symptomatique de ce qu’un jour Degas répondait à un jeune artiste: « De mon temps, monsieur, on n’y arrivait pas. » Ce sarcasme pourrait quasiment être la devise de tout artiste du passé dont le chemin vers la gloire a été une voie douloureuse. Bizet tel Mozart ou Linley le jeune, ont été fauchés alors qu’ils n’avaient pas atteint le pinacle tellement mérité. Promis à un destin fulgurant, la foudre même qui les fit naître parmi les hommes. L’année Bizet verra ainsi les théâtres de France célébrer l’étoile la plus brillante du firmament musical français du XIXème siècle.
Pour ce concert de l’Académie de l’Opéra national de Paris, les solistes ont interprété des larges extraits de Bizet dont des œuvres rarement entendues comme Le Docteur Miracle, Djamileh ou Don Procopio et d’autres contemporains comme Massenet ou Gounod. Nous eussions souhaité aussi entendre peut-être un peu de Halévy ou même pourquoi pas du Thomas, mais le programme était suffisamment fourni et bien agencé. Et surtout quel talent celui des formidables Solistes de l’Académie de l’Opéra national de Paris. Malgré quelques voix un peu en retrait, globalement les performances ont été ravissantes et fabuleuses. Nous remarquons notamment la soprano étasunienne Isobel Anthony dont le timbre sublime a donné à Leïla tout son pathos et sa grâce. Face à elle le Zurga de Igor Mostovoi a été tout aussi spectaculaire. Dans un autre style peut-être un peu plus sobre dans le théâtre mais d’un raffinement certain, le baryton autrichien Clemens Frank porte à la fois le bouffe et le sérieux à des hauteurs insoupçonnées, c’est un immense talent! Le ténor norvégien Bergsvein Toverund malgré un Don José qui laisse un peu à désirer est un Nadir ravissant aux couleurs débordantes et puissantes. Sima Ouahman et Lisa Chaïb-Auriol aux personnalités contrastantes nous ont offert une excellente scène de la Mireille de Gounod. En général, toutes et tous ont rendu cette soirée unique.
Sur le plateau, les musiciennes et les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris est un bijou de contrastes dans cette musique. Sous la baguette de Patrick Lange, on sent la maîtrise de ce répertoire pour ce chef où il excelle bien plus que dernièrement dans le Comte Ory au Théâtre des Champs-Elysées. Au fond du temple saint de la musique française, sur l’autel mordoré du Palais Garnier, c’est Bizet qui apparaît transfiguré dans les voix diamantines de la jeunesse. On peut saluer ainsi le brillant Apollon de l’opéra français, génie tutélaire des promesses musicales de l’avenir.
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CRITIQUE, concert. PARIS, Opéra Garnier, le 17 janvier 2025. BIZET et ses contemporains. Solistes de l’Académie de l’Opéra national de Paris, Patrick Lange (direction). Crédit photo © Vincent Lappartient Studio
