Inspiré par George Sand et son roman musical Consuelo, le violoncelliste Victor Julien-Laferrière a fondé son propre orchestre dont le profil chambriste de chaque instrumentiste fonde un rapport humain renouvelé, et aussi une autre conception des partitions choisies… L’orchestre souple et adaptable, de 15 à 50 musiciens, peut ainsi ciseler chaque détail (articulation, nuances, phrasés…). L’intégrale Beethoven en cours en témoigne, le résultat sonore découle de sessions préparatoires de plusieurs mois. Dans le futur, la phalange souhaite jouer des partitions méconnues comme servir les fondamentaux du répertoire symphonique, un jeu d’équilibre qui stimule la créativité et promet dans les mois à venir, de nouvelles réalisations passionnantes. Début février, paraît le nouvel album de l’Orchestre Consuelo : les Suites n°1 et 2 de Tchaikovski, nouveau jalon d’une trajectoire artistique avec laquelle il faut désormais compter.
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CLASSIQUENEWS : Pourquoi avoir baptisé votre propre orchestre » Consuelo » ? Quelle en est la référence / l’intention et le projet sous-jacent ?
Victor Julien-Laferrière : Consciemment ou non, j’étais attiré par le fait de nous placer sous la figure tutélaire de George Sand, personnage considérable de l’histoire de la musique de par son lien profond avec plusieurs compositeurs de son temps. Puis m’est revenu en mémoire la lecture de son roman Consuelo, qui m’avait marqué par évocations multiples de la musique. C’est un roman très particulier dans la littérature française, puisqu’il faudra ensuite attendre Proust pour retrouver autant de musique dans un roman.
CLASSIQUENEWS : Quel est le profil des instrumentistes de Consuelo ? Comment les sélectionnez-vous ? Y a-t-il un fonctionnement spécifique à l’orchestre ?
Victor Julien-Laferrière : Il y a deux profils principaux : le premier, celui du « chambriste », spécialiste du trio, quatuor, quintette voire qui peut venir aussi du baroque ou de la musique contemporaine, un profil « free lance » en quelque sorte. Il est attiré par le répertoire symphonique et par le fait de l’aborder dans un cadre d’orchestre plus « humain » que les très grandes institutions. Cadre qui permet un contact plus direct au sein de l’orchestre du fait de sa taille réduite (40/50 musiciens). L’autre profil, c’est celui de membres de grands orchestres français ou européens qui cherchent à aborder le répertoire symphonique différemment et certainement aussi à côtoyer les musiciens chambristes, attirés par un autre profil de collègues, et cela leur est possible à Consuelo.
CLASSIQUENEWS : Dans les répétitions sur quels points travaillez-vous spécifiquement avec les instrumentistes ?
Victor Julien-Laferrière : Difficile de répondre car je suis souvent trop immergé dans le processus pour avoir le recul de comparer. Un observateur extérieur noterait probablement une attention précise à l’endroit du texte musical. D’ailleurs ce rapport à la partition est très différent selon les compositeurs et les éditions. Par exemple, selon que le manuscrit est une version définitive ou non, ou que le compositeur ait bénéficié d’un bon travail de l’éditeur ou non. Généralement, cette attention au détail passe aussi par un travail minutieux de l’articulation, des nuances et des phrasés. On profite de la particularité de notre fonctionnement pour apporter une attention à certains aspects qu’il n’est pas aisé d’aborder habituellement.
CLASSIQUENEWS : En quoi votre approche des Symphonies de Beethoven est-elle une expérience formatrice pour l’orchestre ?
Victor Julien-Laferrière : C’en est une par le simple fait d’aborder ce cycle immense et incroyable, sur le temps long. Cela dure 4 ans avec des séquences de plusieurs mois pour chaque symphonie ce qui, au regard de ce qui est pratiqué généralement dans le monde des orchestres, est conséquent. C’est exaltant de les enregistrer dans ces conditions, avec un ensemble qui n’a pas de tradition préconçue. Cela nous donne une vraie liberté dans le choix d’interprétation.
CLASSIQUENEWS : Quel est le répertoire type de l’Orchestre ? Après Beethoven, quels sont les prochains compositeurs et programmes abordés ?
Victor Julien-Laferrière : Nous avons deux grands piliers en ce qui concerne le répertoire. Le premier est celui qui n’est pas tellement abordé par les institutions car elles ont souvent moins de souplesse dans la taille d’orchestre (nous pouvons descendre jusqu’à 15 musiciens ou monter à plus de 50). On a donc une place toute naturelle pour jouer un répertoire injustement délaissé. Les Suites pour orchestre de Tchaïkovski s’inscrivent dans cette démarche, comme c’était le cas d’une certaine façon avec les Sérénades de Brahms pour notre premier album. L’autre pilier, c’est le répertoire éternel, les classiques, fondamentaux, que chaque génération doit, selon moi, aborder pour développer sa vision, son rapport à cet héritage commun. A l’avenir, il y aura sûrement un grand projet des Symphonies de Schubert, encouragé par la célébration du bicentenaire de sa mort. Pour les œuvres moins jouées, j’aimerais beaucoup aborder certaines de Liszt, redécouvrir des compositeurs français méconnus et créer une œuvre écrite pour nous !
CLASSIQUENEWS : En quoi votre propre activité comme violoncelliste peut-elle enrichir voire singulariser votre activité de chef et votre travail avec les instrumentistes de Consuelo ? Quels sont les œuvres prévues où vous jouerez avec l’Orchestre comme soliste ? Qui dirige alors ?
Victor Julien-Laferrière : Ce n’est pas la vocation de l’orchestre de m’accompagner en soliste. Le cœur de notre projet est bien le répertoire symphonique. Je me joins en tant que soliste de façon sporadique, ce qui est un grand plaisir. J’ai surtout beaucoup de bonheur à accompagner d’autres solistes. Sur l’apport de mon profil de violoncelliste, je penserais à l’inverse : depuis que je suis chef, je prends peut-être encore plus de plaisir à jouer en tant que violoncelliste, c’est un équilibre assez exceptionnel et un peu fou par l’intensité que cela requiert que de pouvoir vivre les deux activités simultanément.
CLASSIQUENEWS : Quel sera votre approche des œuvres de Tchaïkovski ? En quoi cela complète, prolonge-t-il le travail chez Beethoven ?
Victor Julien-Laferrière : Dans le rapport au texte, c’est très différent de Beethoven. Tchaïkovski nous livre des manuscrits extrêmement détaillés et propres. Bien sûr il y a eu des changements auprès de l’éditeur ou d’autres versions, mais se plonger dans ses manuscrits est un vrai plaisir. C’est assez inégal dans l’édition de ses œuvres, on trouve des choses peu cohérentes, donc ce retour aux sources est important. Enfin, il y a une énorme partie de la production de Tchaïkovski qui n’est pas bien connue en France ou à l’Ouest. Je l’ai mieux connue quand j’ai joué en Europe de l’Est ou en lisant des ouvrages liés à la musique russe. Ce qui est très agréable dans ces suites c’est d’aborder du Tchaïkovski sans le connaître. La plupart du temps c’est impossible car on connait très bien ses symphonies ou ses musiques de ballet, .
CLASSIQUENEWS : Les premiers enregistrements sont des prises live. Comparé aux prises studio quelle en est la qualité et en quoi cela reflète-t-il votre démarche artistique ?
Victor Julien-Laferrière : Beethoven ce sont des prises live, alors que Tchaïkovski c’est en studio. Dans les prises live, le point le plus intéressant c’est qu’on obligé d’être sans filet, on doit avoir cette honnêteté intellectuelle de se plonger dans le moment présent. C’est très agréable car on doit aller à l’essentiel et s’interdire toutes circonvolutions comme c’est parfois tentant en studio. C’est un live à peine corrigé, au sein d’un festival d’été avec le bouillonnement qui le caractérise. On se sert de la dynamique du moment pour colorer ces symphonies de Beethoven. Pour les suites de Tchaïkovski, c’est un peu différent : on créé une énergie initiée lors des concerts car on enregistre après avoir joué plusieurs fois la pièce. On essaye malgré tout de garder un naturel. Mais ces œuvres exigent de l’orchestre une grande agilité dans toutes les sections et le temps passé en studio pour les enregistrer était plus que nécessaire !
Propos recueillis en janvier 2025
actualités de CONSUELO / agenda
Evénements sélectionnés par CLASSIQUENEWS
ORCHESTRE CONSUELO. TCHAIKOVSKI : Suites d’orchestre n°1 et 2. Concerts les 7, 12, 13, 14 février 2025 – Victor Julien-Laferrière (direction). Nouveau CD (Mirare – parution : 31 janv 2025) : https://www.classiquenews.com/orchestre-consuelo-tchaikovski-suites-dorchestre-n1-et-2-concerts-les-7-12-13-14-fevrier-2025-victor-julien-laferriere-direction-nouveau-cd-mirare-parution-31-janv-2025/
ORCHESTRE CONSUELO. La Coursive de La Rochelle, le 7 fév 2025. Beethoven, Dvorak, Tchaikovsky. Liya Petrova (violon), Victor Julien-Laferrière (violoncelle et direction) : https://www.classiquenews.com/orchestre-consuelo-beethoven-dvorak-tchaikovsky-la-rochelle-le-7-fev-2025-liya-petrova-violon-victor-julien-laferriere-violoncelle-et-direction/
Orchestre CONSUELO. Nantes, Folle Journée, les 31 janvier puis 1er février 2025. Tchaikovski : Suite n°3, La tempête, Concert pour violon (Bomsori Kim), Victor-Julien Laferrière, direction : https://www.classiquenews.com/orchestre-consuelo-nantes-folle-journee-les-31-janvier-puis-1er-fevrier-2025-tchaikovski-suite-n3-la-tempete-concert-pour-violon-bomsori-kim-victor-julien-laferriere-direction/