samedi 10 mai 2025
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ORCHESTRE COLONNE. Paris, Salle Colonne, les 12, 14, 15 janvier 2025. OFFENBACH : La Vie parisienne (1866). Solistes du Département Supérieur pour Jeunes Chanteurs du CRR de Paris / Orchestre Colonne

Vie débridée dans un Paris insouciant, son rythme est follement trépidant, rêvé par un Jacques Offenbach qui signe ici un pur chef-d’œuvre : La Vie Parisienne mêle légèreté, élégance, délire enivré,  entrain grisant, et avant La Chauve Souris de son contemporain autrichien Johann Strauss fils, ivresse jubilatoire!

 

On y croise un jeune dandy qui est guide touristique, à seule fin de séduire une jolie baronne suédoise. On y rencontre une demi-mondaine, Métella, qui séduit, captive, fait chavirer les cœurs. On s’amuse devant l’inventivité de Bobinet, un autre dandy qui organise de fausses soirées mondaines, déguisant son espiègle gantière en veuve d’un colonel et ses domestiques en personnages de la « haute société parisienne »… Le champagne coule à flot, les rires fusent, et tout le monde, de délices affichés en sourires masqués, s’étourdit en savoureux quiproquos et folles péripéties.

 

La verve irrésistible de la musique séduit le public parisien dès la création (en 1866), propulsant cette Vie Parisienne dans toutes les capitales européennes. Johann Strauss lui-même sera conquis ; il s’en servira comme modèle pour composer sa Chauve-Souris, son chef-d’œuvre (Die Fledermaus, 1874). Spectacle irrésistible.

 

 

 

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JACQUES OFFENBACH (ARR. ROLLAND)
La Vie Parisienne – 3 représentations

Dimanche 12 janvier 2025 · 16h
Mardi 14, Mercredi 15 janvier 2025 · 20h
PARIS, Salle Colonne

 

Infos & réservations directement sur le site de l’ORCHESTRE COLONNE :
https://www.orchestrecolonne.fr/agenda/saison-2024-25/operette/la-vie-parisienne/
Durée : 2h30 (2 entractes)

 

 

 

Distribution

Pierre-Louis DE LAPORTE · Chef de choeur
Agnès ROUQUETTE – Stéphane PETITJEAN ·
chefs de chant
Florence GUIGNOLET · Mise en scène
Solistes du Département Supérieur pour Jeunes Chanteurs du CRR de Paris · Chanteurs

Tarif plein · 25€  | Tarif réduit · 10€
Salle Colonne | 94 Bd Auguste Blanqui, 75013 Paris

 

GRAND-THÉÂTRE DE GENEVE. R. STRAUSS : Salomé (nouvelle production). Du 22 janvier au 2 février 2025. Kornél Mundruczó / Jukka-Pekka Saraste

La jeune Salomé est une figure parmi les plus provocantes de l’opéra : sensuelle, éblouissante, voluptueuse et barbare : elle fait décapiter le prophète Jokaanan (/ prophète Jean le Baptiste) pour mieux baiser ses lèvres écarlates… l’image renvoie au fantasme le plus torride, sulfureux même, sexuel et cannibale. D’autant plus glaçant et insupportable de la part d’une très jeune fille.

 

Première victime de sa lascivité triomphante, son beau-père Hérode, tétrarque de Galilée, cède à son caprice et donne l’ordre de lui livrer la tête sur un plateau. En 1904, Richard Strauss saisi par l’horreur fascinante qui se dégage de la pièce d’Oscar Wilde se passionne pour l’épisode biblique et l’adapte en opéra. Et quel opéra ! Comme son sujet et son héroïne, d’un symphoniste flamboyant, enivrant voire écœurant… En 1905 à Dresde, l’opéra et deux scènes insupportables alors (la danse des 7 voiles quand l’adolescente suave se dénude totalement devant Hérode ; puis quand Salomé se délecte en baisant les lèvres de la tête coupée…) suscitent un scandale retentissant qui révèle surtout le génie du jeune Strauss, alors au début d’une carrière lyrique parmi les plus importantes de l’Histoire. Orientalisante, organique voire orgiaque, convulsive et lascive, la fosse orchestrale éblouit, captive, envoûte jusqu’à la transe. Elle exprime la cruauté franche d’une antiquité fantasmée et aussi les pulsions inconscientes du désir de chaque personnage. Richard Strauss récidivera en 1909 avec Elektra, tout aussi éruptive où là encore c’est la puissance de la psyché qui emporte les âmes tourmentées. Salomé est submergée par son désir ; Elektra par sa haine et son désir de vengeance…

 

Les spectateurs du Grand Théâtre de Genève retrouve le metteur en scène et réalisateur hongrois Kornél Mundruczó ; après L’Affaire Makropoulos de Leoš Janáček (2020), Sleepless de Peter Eötvös (2022), Voyage vers l’Espoir de Christian Jost (2023), son regard sur Salomé est tout aussi radical et explicite. Avec la complicité de Monika Pormale, qui signe décors et costumes, il éclaire Salomé d’un jour contemporain que la psychanalyse ne renierait pas. Exit le palais galiléen antiquisant, lieu de stupre et de pouvoir, … le metteur en scène imagine un vaste penthouse luxueux à New York dans un style à la Buñuel, entre féerie et cauchemar, surréalisme et expressionnisme cru. L’appartement est la scène où se déchire la famille recomposée d’Hérodiade, épouse du tétrarque voyeur, Hérode, et sa fille, la sublime et si jeune Salomé, héroïne qui cristallise toutes les passions, entre érotisme et obsessions.

 

Le chef finlandais Jukka-Pekka Saraste dirige l’Orchestre de la Suisse Romande, portant le chant juvénile et trouble d’Olesya Golovneva aux côtés de Gábor Bretz (Jokanaan déjà remarqué à Salzbourg 2018 dans la mise en scène de Roméo Castellucci), Tanja Ariane Baumgartner (Hérodiade), figure maternelle elle aussi radicale, déjà applaudie depuis sa Clytemnestre dans Elektra (2022)… Nouvelle production événement.

 

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GRAND-THEATRE DE GENEVE
Richard STRAUSS : Salomé – 
Livret d’Oscar Wilde, traduction allemande de Hedwig Lachmann et arrangé par le compositeur – 
Créé le 9 décembre 1905 à l’Opéra Royal de Dresde. Dernière fois au Grand Théâtre de Genève en 2008-2009. Nouvelle production
Les 22, 25 et 31 janvier 2025 – 20h
 / 27 janvier 2025 – 19h / 
29 janvier 2025 – 19h30 enfin 
2 février 2025 – 15h
Infos et réservations directement sur le site du Grand Théâtre de Genève :
https://www.gtg.ch/saison-24-25/salome/

 

Chanté en allemand avec surtitres en français et anglais – 
Durée : approx. 1h45 sans entracte*

 

DISTRIBUTION


Direction musicale Jukka-Pekka Saraste
Mise en scène Kornél Mundruczó

Collaborateur à la mise en scène : Marcos Darbyshire
Scénographie et costumes : Monika Korpa
Lumières : Felice Ross
Dramaturgie : Kata Wéber
Chorégraphie : Csaba Molnár

 

Orchestre de la Suisse Romande

Salomé, fille d’Hérodias Olesya Golovneva
Jochanaan, le prophète Gábor Bretz
Herodes, tétrarque de Judée John Daszak
Herodias, femme d’Herodes Tanja Ariane Baumgartner
Narraboth Matthew Newlin
Le page d’Herodias Ena Pongrac
Premier soldat Mark Kurmanbayev
Deuxième soldat Nicolai Elsberg
Premier Juif Michael J. Scott
Deuxième Juif Alexander Kravets
Troisième Juif Vincent Ordonneau
Quatrième Juif Emanuel Tomljenović
Cinquième Juif Mark Kurmanbayev


Premier Nazaréen Nicolai Elsberg
Deuxième Nazaréen Rémi Garin
Un cappadocien Peter Baekeun Cho

 

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CHÂTEAU DE VERSAILLES SPECTACLES. José de TORRES : Requiem pour Louis Ier d’Espagne… le 28 janvier 2025. Los Elementos. Alberto Miguélez Rouco, alto et direction

Le Roi Philippe V d’Espagne (1683-1746), petit fils de Louis XIV installé sur le trône d’Espagne en 1700, mène une politique étrangère très active à partir de 1722, favorisant un rapprochement avec la France, notamment par le mariage de sa fille Marie-Anne-Victoire d’Espagne, avec le jeune Roi Louis XV, et celui de son fils aîné le Dauphin Louis d’Espagne, Prince des Asturies, avec Louise-Elisabeth, fille de Philippe d’Orléans, Régent de France.

 

La jeune mariée française qui apporte une dot de quatre millions de livres, n’a que douze ans et refuse de paraître à la Cour d’Espagne et même de parler à son royal époux. Philippe V abdique en 1724 en faveur de son fils Louis, pour sceller fermement la nouvelle alliance avec la France. Il y a exactement trois cents ans, le 15 janvier 1724, Louis Ier devient Roi d’Espagne à dix-sept ans. Malhabile par sa jeunesse, entouré de fidèles qu’il cherche à placer, le jeune roi organise des fêtes somptueuses. Mais il contracte la variole qui le tue le 31 août 1724, sans héritier. Son règne est des plus éphémères.

 

REQUIEM POUR LE ROI DE 150 JOURS… Philippe V reprend immédiatement le trône, pour deux décennies… Il renonce rapidement à l’alliance française, et la jeune Louise-Elisabeth est … renvoyée en France sans ménagement après la rupture des fiançailles de Marie-Anne-Victoire et Louis XV décidée par la France. L’ex-Reine veuve d’Espagne vivra dans l’oubli et la piété jusqu’ à sa mort en 1742. Malgré la brièveté de son règne, Louis Ier le Bien-Aimé, Roi de 150 jours, reçut pour ses funérailles un splendide Requiem à deux chœurs signé par son Maître de Chapelle José de Torres (1670-1738, maître de la Chapelle de Madrid durant trente et un ans).

 

Le talentueux Alberto Miguélez Rouco, à la direction de son ensemble Los Elementos et de plusieurs interprètes français, exhume cette œuvre inédite, qui fait retentir la musique de la Real Capilla de Madrid à la Chapelle Royale de Versailles. Le chef et son ensemble viennent de publier un excellent disque, une première également : Venus y Adonis, pastorale de José de NEBRA, le Haendel espagnol, dans une recréation captivante de bout en bout (CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2024 – 2025)

 

 

 

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REQUIEM pour LOUIS 1er d’ESPAGNE
Mardi 28 janvier 2025
VERSAILLES, Chapelle Royale
20h | 1h10 sans entracte
Infos & réservations directement sur le site de Château de Versailles Spectacles : https://www.operaroyal-versailles.fr/event/jose-de-torres-requiem-pour-louis-1er-despagne/

 

 

 

Distribution

Emmanuelle de Negri, Soprano
Déborah Cachet, Soprano
Alberto Miguéles Rouco, Alto
Jacob Lawrence, Ténor
Lisandro Abadie, Basse
Les Pages du Centre de musique baroque de Versailles
Chœur de l’Opéra Royal
Los Elementos
Alberto Miguélez Rouco, direction

Ce programme sera enregistré en CD à paraître au label Château de Versailles Spectacles.
Concert enregistré par France Musique pour une diffusion prochaine.

CRITIQUE, récital lyrique. GSTAAD NEW YEAR MUSIC FESTIVAL, Eglise de Saanen, le 2 janvier 2024. Sonya Yoncheva (soprano), Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles, Stefan Plewniak (direction)

C’est une véritable pluie de stars du chant lyrique qui s’abat lors de cette 19ème édition du Gstaad New Year Music Festival, et après Rosa Feola en ouverture de festival, le 27 décembre, puis le duo explosif formé par Jonathan Tetelman et Elina Garanca le lendemain, c’était au tour de Sonya Yoncheva de briller, en ce jeudi 2 janvier, accompagnée par rien moins que l’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles (et cinq membres du Choeur de l’Opéra Royal), dans la charmante Eglise de Saanen. Chef “chouchou” de la formation versaillaise, c’est le polonais Stefan Plewniak qui est aux commandes, dans un programme consacré à Noël, donné quelques jours plus tôt à la Chapelle Royale du Château de Versailles.

 

C’est le chœur versaillais, aussi brillant qu’homogène, qui ouvre les festivités avec le chant traditionnel “Hymn to the joy”, avant que la diva arrive, du fond de la nef, dans une superbe robe couleur rouge passion. Et c’est avec deux arias extrait du Messie de Haendel (« I Know That My Redeemer Liveth » et « For unto us a child is born »), revenant à ses premières amours de la musique baroque. La soprano bulgare y distille tout ce qui fait l’essence de sa voix : un timbre pulpeux et volumineux, des aigus aussi vaillants que des graves sonores, un legato parfait, un souffle aussi maîtrisé qu’il paraît infini, une palette de couleurs d’une richesse inouïe, et cette émotion à fleur de peau qui est sa principale qualité. 

On change d’époque avec le “Repentir” extrait de la Messe de Sainte Cécile de Charles Gounod, car la musique de l’âge romantique et celle de la fin du 19e lui siéent à merveille, avec un juste dosage entre ferveur et piété, lyrisme et humilité. Des qualités que l’on retrouve dans “Il Sogno” de Puccini, que le compositeur italien reprendra quelques années plus tard dans son opéra La Rondine, et plus encore dans l’”Ave Maria” extrait de Cavalleria Rusticana de Mascagni, introduit par les cinq choristes, et dans lequel la voix de la soprano rayonne d’une infinie grâce. Le fameux Intermezzo (tiré du même ouvrage) permet d’apprécier la battue toujours nerveuse, mais sensible, de Stefan Plewniak – et l’excellence de ses 12 musiciens, qui exécutent un Concerto pour la nuit de Noël op. 6 n°8, puis le célébrissime Canon de Pachelbel, qui leur permettent de faire montre de toute leur musicalité et virtuosité. L’un d’entre eux étant natif du Honduras, Sonya Yoncheva lui dédie le “Arru, Arrurru”, chant traditionnel de ce pays (auquel se mêle le chœur,) qui vient apporter une touche “exotique” à la soirée. Le choeur accompagne également la chanteuse dans le rare « Pie Jesu » d’Andrew Lloyd Weber, qu’elle  interprète an duo avec Natalia Kawalek (l’épouse du chef !), les deux timbres se complétant à merveille, tandis que le “White Christmas” d’Irving Berlin qui suit apporte une touche supplémentaire de tradition… de même que le fameux et inévitable “Stille Nacht” de Joseph Mohr :

Et c’est le magnifique “Ave Maria” de Franz Schubert que l’ensemble des artistes chante en guise de bis, qui suscite de vives acclamations et chauds applaudissements dans une Eglise de Saanen pleine à craquer et surchauffée… tandis qu’il fait – 10 degrés à l’extérieur…

 

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CRITIQUE, récital lyrique. GSTAAD NEW YEAR MUSIC FESTIVAL, Eglise de Saanen, le 2 janvier 2024. Sonya Yoncheva (soprano), Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles, Stefan Plewniak (direction). Toutes les photos (c) Emmanuel Andrieu

 

VIDEO : Sonya Yoncheva chante « Still nacht » à Versailles

 

ENTRETIEN avec la pianiste ETSUKO HIROSE, à propos de son nouveau cd « Sheherazade » – dans lequel l’interprète joue sa propre transcription de la pièce de Rimsky-Korsakov…

En transposant elle-même la si chatoyante et redoutable Shéhérazade de Rimski-Korsakov, la pianiste Etsuko Hirose réalise un tour de force qui tout en s’inscrivant dans la tradition d’un Liszt ou d’un Kalbrenner (autres transcripteurs géniaux), rend surtout hommage à l’écriture prodigieuse du Russe comme aux possibilités infinies que permet le clavier. Pour exprimer toutes les nuances de l’orchestre, la pianiste s’inspire du jeu particulier des bois, mais aussi du bel canto, celui transmis par Jessye Norman ou Maria Callas… Exploratrice, au tempérament curieux, Etsuko Hirose ajoute les mondes flamboyants du compositeur très éprouvé entre Allemagne et Russie, Bortkiewicz (et les 10 séquences de son propre ballet d’après les 1001 nuits) mais aussi, les écritures contrastées de 3 compositeurs contemporains du « groupe des 12 »…
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CLASSIQUENEWS : Pourquoi vous être passionnée pour Shéhérazade de Rimski-Korsakov ?

ETSUKO HIROSE : J’ai toujours été captivée par cette musique envoûtante, teintée de parfums d’épices, de couleurs vives, de délices sensuels qui nous plongent dans l’imaginaire de l’exotisme moyen-oriental. Ayant joué de nombreuses fois cette œuvre en concert, dans une version à 4 mains, je savais que cela fonctionnait très bien au piano, mais parfois ce n’est pas très commode d’être à deux sur un seul piano… Pour moi, Shéhérazade est une fresque monumentale, qui décrit les multiples facettes de l’âme humaine, et pour rendre toutes ces subtilités de nuances et de couleurs au clavier, je tenais à réaliser ma propre version solo.

 

 

CLASSIQUENEWS : Quels sont les défis et les points de travail dans la réalisation de cette transcription ? Comment entre autres distribuer chaque partie à la main gauche ou droite ?

ETSUKO HIROSE : J’ai essayé d’être le plus fidèle possible à l’atmosphère et aux effets sonores de la version originale. Pour ce faire, j’ai évidemment étudié la partition orchestrale et écouté divers enregistrements, afin de me rendre compte de ce que l’on perçoit réellement. Partant de cette base, j’ai distribué les parties essentielles aux dix doigts, en privilégiant les changements de registres et les effets rythmiques, afin d’obtenir une palette sonore multicolore et exotique. Surtout, j’ai veillé à ne pas trop surcharger la partition, à l’instar des peintres impressionnistes dont les tableaux représentent souvent une synthèse qui ne s’attache pas aux détails, et ce afin de garder le fil conducteur du discours, sa pulsation et l’élan musical. Les transcriptions des immenses prédécesseurs tels Liszt, Busoni, Kalkbrenner ou Pletnev que j’ai beaucoup joués dans ma carrière, m’ont évidemment permis de connaître et d’apprivoiser la tradition en la matière et m’ont aidée pour réaliser cet arrangement.

 

 

CLASSIQUENEWS : Comment outre l’ivresse mélodique, exprimer au piano les couleurs de l’orchestre ?

ETSUKO HIROSE : A travers mes concerts en musique de chambre, j’ai eu maintes occasions d’observer de près comment les autres musiciens font chanter leurs instruments. Ainsi j’essaye de reproduire, par exemple, la sonorité humaine et pénétrante du hautbois créée par la puissante pression d’air sur l’anche, le timbre rond et solennel
du basson ou le vibrato expressif des instruments à cordes… D’autre part, tout au long de mon adolescence, j’ai écouté, en boucle, les enregistrements de Maria Callas, de Jessye Norman ou de Margaret Price, d’où mon goût pour le bel canto… et cette écoute m’a permis de « voler » les secrets de l’ivresse mélodique. J’ai également beaucoup appris en accompagnant des chanteurs. Instrument à percussion, le piano, dont le son, une fois émis ne fait que diminuer, fait appel entre autres à l’art du chant, partie de la technique pianistique
que je continue toujours à approfondir, un travail sans fin…

 

CLASSIQUENEWS : Dans la perspective de votre précédent album dédié aux œuvres pour piano de Moszkowski, comment s’inscrit ce nouvel album ?

ETSUKO HIROSE : Certes, j’ai déjà enregistré plusieurs disques consacrés aux compositeurs russes comme Balakirev ou Lyapunov, mais je suis surtout en quête de « trésors cachés » car il y a tant d’œuvres qui sont injustement méconnues et qui mériteraient d’être jouées ! C’est ainsi que j’ai gravé des albums dédiés à la 9e symphonie de Beethoven transcrite par Kalkbrenner, et chantée en français, et au compositeur bulgare Pancho Vladigerov, publié en 2021 (quatre albums sont sortis sous le label Mirare).
J’ai effectivement une affinité pour les compositeurs russes, j’aime particulièrement leur lyrisme, à la fois noble et mélancolique, qui reflète les tourments d’une âme russe, et qui évoque l’univers des écrivains tels Dostoïevski ou Tolstoï que j’ai beaucoup lus dans ma jeunesse.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Pouvez-vous présenter le ballet oriental de Bortkiewicz ? Qu’apporte-t-il comparé à Rimski- Korsakov sur le thème des 1001 nuits ? En quoi son style vous a-t-il intéressée ?

ETSUKO HIROSE : Afin de garder une forme de cohérence au sein de l’album, j’ai trouvé intéressant de réunir ces deux œuvres, toutes deux inspirées par les 1001 nuits. La musique, que Bortkiewicz a continué à écrire malgré la dureté de sa vie, dans une époque tourmentée, est un « vrai bijou », d’une beauté indescriptible, et j’ai guetté l’occasion
d’enregistrer ce compositeur presque oublié. Ce ballet oriental est sans aucun doute du même niveau d’excellence que les Pièces lyriques de Grieg. Un recueil composé de 10 pièces conçues au départ pour
orchestre symphonique, parsemées de touches orientales et quasi cinématographiques. Contrairement à Rimsky-Korsakov qui a finalement supprimé les titres de chaque mouvement par trop évocateurs, les 10 pièces de Bortkiewicz font référence à différents épisodes de contes anciens, qui portent des titres descriptifs : « Histoire du pauvre pêcheur », « Le château enchanté », « Le méchant sorcier sort de la bouteille » …

 

 

CLASSIQUENEWS : Pouvez-vous nous présenter le programme de votre concert du 25 janvier prochain ? Quel est ce groupe des « 12 » ? Qu’est-ce qui vous intéresse dans les pièces choisies de Tiziana de Carolis, de Béatrice Thiriet et de Henri Nafilyan ?

ETSUKO HIROSE : Voici le programme :
– Tiziana de Carolis : Sense & Sensibility, Androgynous
– Béatrice Thiriet : Ce soir-là, Soir de neige, La Nuit
Henri Nafilyan : Noèmes
Rimsky-Korsakov / Hirose : Shéhérazade

J’ai ainsi conçu le programme du concert du 25 janvier prochain en sélectionnant les œuvres de certains membres des 12 pour la première partie et de Shéhérazade pour la seconde. Les « douze » sont un groupe d’entraide de compositeurs et de compositrices réunis par affinités esthétiques et esprit de solidarité. Chacun a pour objectif de faire jouer les œuvres des autres membres du groupe, au moins une fois tous les deux ans. Font actuellement partie du groupe : Henri Nafilyan (fondateur), Pierre Thilloy, Jean-Claude Wolff, Pierre- André Athané, Michael Sebaoun, Béatrice Thiriet, Françoise Choveaux, Tiziana De Carolis… Pour mon programme de ce 25 janvier 2025, il s’agit de 3 compositeurs assez contrastés … Si les œuvres de De Carolis, sont débordantes d’amour et d’émotions à fleur de peau avec des harmonies parfois jazzy, la musique minimaliste et épurée de Thiriet, et les Noèmes de Nafilyan, extrêmement virtuoses et riches en couleurs, s’affirment tout autant. Il est de notre responsabilité de faire vivre les partitions des compositeurs de notre temps et je suis heureuse de vous faire découvrir ces magnifiques œuvres.

 

Propos recueillis en janvier 2025

 

 

en concert

PARIS, Espace Bernanos. Récital d’Etsuko HIROSE, piano, sam 25 janvier 2025. Rimsky-Korsakov : nouvelle transcription de Shéhérazade (version originale d’Etsuko Hirose)… LIRE notre présentation du concert de la pianiste Etsuko Hirose : https://www.classiquenews.com/paris-espace-bernanos-recital-detsuko-hirose-piano-sam-25-janvier-2025-rimsky-korsakov-nouvelle-transcription-de-sheherazade-version-originale-detsuko-hirose/

Son précédent disque avait particulièrement convaincu la Rédaction de Classiquenews : une collection de joyaux pianistiques remarquablement réalisés révélant l’inspiration fluide et aérienne de Moszkowski ; sans artifices ni effets de manchette, l’art de la japonaise ETSUKO HIROSE (1er Prix du Concours Marta Argerich 1999), née à Nagoya, captive car sa fabuleuse technicité digitale sert exclusivement l’essence des pièces. Son art épuré, entre clarté et transparence, sait écarter toute théâtralité,révélant une musicalité souvent fascinante.

OPÉRA DE MASSY. VERDI : Le Trouvère, les 16, 17, 18 et 19 janvier 2025. Aquiles Machado / Constantin Rouits

Grande soirée lyrique à l’Opéra de Massy, dès ce mois de janvier 2025. A partir du 16 janvier (et pour 4 représentations…), la scène massicoise affiche Le Trouvère de Giuseppe Verdi, ouvrage clé dans la carrière du compositeur, volet central de la trilogie majeure, avec Rigoletto et La Traviata.

 

Inspirée du drame El Trovador d’Antonio García Gutiérrez (1836), Le Trouvère de Verdi (créé au Teatro Apollo de Roma, le 19 janvier 1853) se situe au XVème siècle dans les provinces espagnoles de Biscaye et d’Aragon ; là s’insinue la vengeance de la sorcière Azucena qui abat sa haine contre la lignée des princes de Luna, le Comte et celui qui s’avère être son jeune frère (révélation de fin d’action), le troubadour Manrico.

 

Tous deux rivalisent pour l’amour de la belle Leonora éprise du plus jeune. Bûcher criminel, échange de bébés, imprécation et jalouse haine… rien ne manque à une intrigue captivante, qui mêle les éléments d’un héroïsme impuissant et ceux fantastiques, d’une fantasmagorie à la fois enivrée et maudite.

 

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Opéra de MASSY
4 représentations
Jeudi 16 janvier 2025 • 20h
Vendredi 17 janvier • 20h
Samedi 18 janvier • 20h
Dimanche 19 janvier • 16h

Infos & réservations directement sur le site de l’OPÉRA DE MASSY :
https://www.opera-massy.com/fr/il-trovatore.html?cmp_id=77&news_id=1087&vID=3

 

 

VIDÉOS : Le Trouvère / IL Trovatore de Verdi

 

Duo Leonora / Manrico, Le trouvère avec Anna Netrebko et Jonas Kaufmann (BERLIN, été 2011)

 

 

« D’amor sull’ali rosee… Miserere…Tu vedrai » (Berlin, 2011)

 

 

Il Trovatore par Opera 2001

 

Distribution
Direction musicale : Constantin Rouits
Mise en scène : Aquiles Machado
Décors et costumes : Alfredo Troisi

Comte de Luna : 
Paolo Ruggiero
 / Nicola Ziccardi
Leonora
 : Yeonjoo Park
 / Irina Stopina
Azucena
 : Jiujie Jin / 
Chinara Shirin
Manrico
 : David Baños / 
Haruo Kawakami / 
Vicent Romero
Ferrando : 
Viacheslav Strelkov
Ines
 : Leonora Ilieva
Ruiz
 : Pietro Di Paola / Alberto Munafò / 
Federico Parisi
Un Vieux Gitan : 
Aurelio Palmieri

Orchestre de l’Opéra de Massy
Coro Lirico Siciliano

Informations
• TARIFS :
Cat.1 : 60€ | massicois 45€
Cat. 2 : 55€ | massicois 41€
Cat. 3 : 41€ | massicois 31€
-18 ans : -50%
Étudiants : 10€ (Cat. 2 et 3)
• DURÉE : : 2h15 entracte compris

CRITIQUE CD événement. JOSEPH CHABANCEAU DE LA BARRE : Airs à deux parties. Les Epopées, Stéphane Fuget (1 cd Ramée)

Héritier d’une lignée prestigieuse de musiciens au service du Roi, Joseph Chanceau de La Barre, né parisien en 1633, est organiste de la Chapelle du roi (1656). Ses « concerts spirituels » sont particulièrement réputés, car s’y produit aussi sa sœur Anne, chanteuse très réputée (qui d’ailleurs est la première femme musicienne obtenant un brevet à la Musique de la Chambre du Roi en 1661).

 

Les deux De La Barre se dédient en particulier pour les airs à la mode, ceux amoureux, bénéficiant entre autres, des textes de Mademoiselle de Scudéry, entre autres, qui tient elle aussi l’un des salons parisiens les plus convoités du moment. « Le tendre et le plaintif » sont les deux sujets de cette nouvelle lyre sentimentale qui évoque le labyrinthe des sentiments. La courtoisie et la galanterie inspirent nombre d’airs « sérieux », eux même hérités de l’air de cour, mais à présent non plus polyphonique mais monodique : autant de morceaux collectés dans le « recueil des vers mis en chant », publié entre 1661 et 1680 par Bertrand de Bacilly. Au moins 9 airs de Joseph y paraissent dans un subtil mélange entre tradition française et teintes italiennes (dont témoigne l’air en italien, ici intégré « Sospiri, Ohimé » pour soprano) ; dont « il faut aimer une bergère » (ce dernier à 2 parties) ; De La Barre invente et développe pour le second couplet (dit « double »), l’art de la diminution selon les possibilités du chanteurs, roulades, coulades, ports de voix et autres cadences… telle ornementation devait demeurer élégante et naturelle, soit de bon goût selon l’agilité du vocaliste (dont les plus réputés furent alors Michel Lambert ou le Bacilly précité).

Se distinguent entre autres des éléments de danse qui enrichissent l’allant et l’énergie rythmique des airs (chaconne pour « Si c’est un bien que l’espérance » / passacaille dans « Quand une âme est bien atteinte » / sarabande dans « Vous demandez pour qui mon coeur soupire… », sommet à 2 voix dans l’art de l’élégance suggestive).

Les Épopées et Stéphane Fuget cisèlent la verve inspirée de 19 airs parmi les plus beaux du Grand Siècle. L’accord clavecin / viole de gambe s’avère idéalement calibré dans l’exploration des sentiments des couples éprouvés par la passion : Sylvie, Amaranthe, Phillis, et même Climène errent, se perdent, et se réalisent aussi dans la tension et les vertiges d’émotions contraires.

Le travail des interprètes soigne en particulier l’articulation d’une déclamation la plus respectueuse des images émotionnelles de chaque texte ; voix non vibrée, droite, claire, longue, profonde (Claire Lefilliâtre, dessus, soliste dans « Forêts solitaires » d’une couleur essentiellement lacrymale voire désespérée, avec son « double », variation ornementée de la première strophe qui en définitive creuse davantage l’ampleur doloriste de la plainte). L’équilibre et le dosage du geste vocal servent la caractérisation dramatique, tout en permettant aux deux chanteurs de diversifier les effets dans l’art d’éclairer, de commenter, d’exprimer tous les registres signifiants du texte.
Tout cela va dans le sens d’un approfondissement très convaincant du sens (langueur elle aussi doloriste du berger trahi par l’ingrate Sylvie, d’ « Ah je sens que mon coeur » où la basse Luc Bertin-Hugault sait articuler en souplesse, maîtrisant ports de voix et legato). D’une délicate expressivité au clavecin, Stéphane Fuget veille à l’équilibre global entre expressivité, intelligibilité, grande pudeur intérieure.

Autant de qualités qu’exige une réalisation dans le cadre éduqué d’un salon raffiné à Paris dans les années 1660-1680. Tourments, soupirs, impuissantes larmes… aucun affect ne manque dans ce parcours du Tendre où toujours c’est la palpitation du cœur qui se consume. Seul l’air « Récit sur la convalescence du Roy », en hommage à Louis XIV (pour soprano) tempère ici les vertiges doloristes et cette vallée de langueurs suspendues.

Instrumentistes (délectable théorbe de Nicolas Watinne dans la pièce purement instrumentale « Cessez Climène… ») et chanteurs sont tous au diapason d’une éloquente sensibilité ; et c’est toute l’ambiance des airs chantés dans les salons du XVIIème qui se révèle ainsi, sur-expressive, élégantissime. Comme il l’a développé dans l’articulation des Grands Motets de Lully, mais aussi dans la tenue des récitatifs des opéras italiens (Monteverdi, Haendel…), Stéphane Fuget dévoile sa passion pour l’articulation de la langue vocale, véritable geste dramatique,toujours au service de l’intelligibilité du texte. Très convaincant.

 

 

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CRITIQUE CD événement. JOSEPH CHABANCEAU DE LA BARRE : Airs à deux parties. Les Epopées, Stéphane Fuget (1 cd Ramée, enregistré en juin 2023 à Sens) – CLIC de classiquenews hiver 2024-2025.

INSULA ORCHESTRA. La SEINE MUSICALE, jeu 23 janv 2025. Aux origines du symphonisme romantique… Kraus, CPE Bach, Beethoven (Andrea Marcon, direction)

Aux origines du symphonisme germanique… Grands maîtres, nouveaux chefs-d’oeuvre ! Le chef italien Andrea Marcon, connu pour ses lectures du répertoire baroque (précisément vénitien), dirige les instrumentistes d’Insula orchestra dans un programme consacré aux « classiques » allemands.

 

A l’époque des Lumières, du Baroque tardif au préclassicisme déjà romantique, Joseph Martin Kraus, surnommé le “Mozart suédois”, impose son écriture lumineuse, aux côtés du dernier fils de Jean-Sébastien, le génialissime Carl Philip Emmanuel Bach… Insula orchestra évoque l’effervescence musicale des territoires germaniques à la fin du XVIIIe siècle, ce moment de bascule à l’orée de la révolution beethovenienne. Naissance de l’orchestre moderne, échanges entre les compositeurs, émergence et essor du genre symphonique. Chacun de ces trois maîtres, à sa manière, pose les jalons de l’orchestre et grâce à leurs œuvres, l’essor du symphonisme comme véhicule majeur de l’art romantique. Ce concert est interprété sur instruments anciens

 

Le Bavarois Joseph Martin Kraus, né la même année que Wolfgang (et mort comme lui trop jeune… à 36 ans), est surtout célébré pour son activité musicale à la Cour de Gustave III à Stockholm (Suède) dès 1778. La symphonie en ut mineur (écrite pour Haydn à Vienne est le sommet de son art orchestral, alliant équilibre, éloquence, expressivité. Portrait ci contre : Joseph Martin KRAUS (Graff).

 

 

 

 

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BOULOGNE-BILL, LA SEINE MUSICALE
Auditorium Patrick Devedjian
jeu 23 janvier 2025, 20h

Infos & réservations sur le site de la Seine Musicale / Insula Orchestra :
https://www.insulaorchestra.fr/evenement/bach-beethoven/?mtm_campaign=BB-CLNEWS

 

Tarifs : de 10 € à 45 €

 

Programme

Joseph Martin Kraus
 : Symphonie en do mineur

Carl Philipp Emanuel Bach :
Symphonie in mi bémol majeur
Symphonie en ré majeur

Beethoven
 : Symphonie n°1

VIDÉO Symphonie in c-moll – Andrea Marcon / HR Sinfonieorchester

 

ANGERS NANTES OPERA. VERDI : La Traviata de Silvia Paoli, 14 janvier – 18 mars 2025. L. Campellone (direction)

Pour la metteure en scène Silvia Paoli, le destin de l’héroïne centrale de La Traviata (créée à Venise en 1853), Violetta Valery, est scellé par la maladie ; elle a d’autant plus de courage que la société bourgeoise qui la porte aux nues, la juge tout autant et au nom de la morale, la cloue même au pilori en lui imposant un sacrifice abject. La courtisane est une femme suspecte.

 

Ainsi s’impose à elle, la morale parfaitement hypocrite de Germont père qui négocie une porte de sortie en faisant croire à l’héroïne qu’elle pourrait certes mourir mais comme une sainte. Sacrifiée mais rachetée. C’est une femme désirable mais moralement indigne. L’hypocrisie règne, voire le cynisme le plus ignoble. Ceux la même qui la flattent (voire sollicitent ses charmes) dans des salons dorés, la critiquent sans réserve… n’est-elle pas une courtisane qui s’est dévoyée ? Verdi qui a lui-même subi la vindicte bourgeoise en raison de son union avec la soprano Giuseppina Strepponi (sa 2ème compagne), – qu’il finira par épouser beaucoup plus tard (en 1859), épingle la perversité toxique d’une société puritaine, patriarcale, bigote…

 

Dans la mise en scène de Silvia Paoli, Violetta paraît à une époque plus tardive que le Second Empire, celle des premières divas et vedette du théâtre, telle Sarah Bernhardt ou Colette. L’heure est aux stars, aux grandes interprètes, talentueuses mais scandaleuses. Donc méprisables. Elle est condamné à la solitude. Portée par la musique ciselée de Verdi, voici l’un des plus beaux personnages de toute l’histoire de l’opéra. Une soprano « absolue », soulevée par les émotions. Et un orchestre qui l’écoute et lui répond avec la même intensité…

 

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NANTES – THÉÂTRE GRASLIN
JANVIER 2025
Théâtre Graslin
Mardi 14 – 20h
Jeudi 16 – 20h
Vendredi 17 – 20h
Dimanche 19 – 16h (garderie gratuite à partir de 3 ans sur réservation)
Mardi 21 – 20h
OPÉRA DE RENNES
Du 25 février au 4 mars 2025
ANGERS – GRAND THÉÂTRE
MARS 2025
Dimanche 16 – 16 h (garderie gratuite à partir de 3 ans sur réservation)
Mardi 18 – 20 h
Infos & réservations directement sur Angers Nantes Opéra : https://www.angers-nantes-opera.com/la-traviata
Opéra en italien, surtitré en français
Durée : 2 h 30, avec entracte

 

 

Distribution

Livret de Francesco Maria Piave d’après le roman d’Alexandre Dumas fils, La Dame aux camélias

Direction musicale : Laurent Campellone
Mise en scène : Silvia Paoli
Chorégraphie : Emanuele Rosa
Scénographie : Lisetta Buccellato
Costumes Valeria : Donata Bettella

Violetta Valéry : Maria Novella Malfatti (14, 17, 21 janvier et 16 mars) / Darija Augustan (16, 19 janvier et 18 mars)
Flora Bervoix : Aurore Ugolin
Annina : Marie-Bénédicte Souquet
Alfredo Germont : Giulio Pelligra (14, 17, 21 janvier et 16 mars) / Francesco Castoro (16, 19 janvier et 18 mars)
Giorgio Germont : Dionysios Sourbis
Gastone, vicomte de Létorières : Carlos Natale
Baron Douphol : Gagik Vardanyan
Marquis d’Obigny : Stravos Mantis
Docteur Grenvil : Jean-Vincent Blot
Giuseppe : Sung Joo Han (artiste du Chœur d’Angers Nantes Opéra)
Comissionario : Jean-François Laroussarie (artiste du Chœur d’Angers Nantes Opéra)
Domestico di Flora : Yann Quemener (artiste du Chœur d’Angers Nantes Opéra)

Chœur d’Angers Nantes Opéra
Direction : Xavier Ribes

Orchestre National des Pays de la Loire

CRITIQUE, concert. GENEVE. Concert du Nouvel An, Grand-Théâtre, le 31 décembre 2024. Camilla Nylund (soprano), TOBS, Yannis Pouspourikas (direction)

Pour son Concert du Nouvel an, le Grand-Théâtre de Genève a choisi non pas le jour J, mais le soir de la Saint-Sylvestre (qui se poursuivait par un dîner de gala sous les ors du Grand Foyer…), et a invité le fameux TOBS (l’Orchestre de l’Opéra de Bienne/Soleure), l’Orchestre de la Suisse Romande se produisant de son côté dans la très chic station alpine de Crans-Montana. C’est son chef principal Yannis Pouspourikas qui le dirige, avec comme guest star, la soprano finlandaise Camilla Nylund venue interpréter les plus célèbres airs et Czardas des opérettes de Franz Lehar et Emmerich Kalman – pour mieux célébrer le passage vers l’an 2025.

 

Toute la première partie du concert leur est dédié, tandis que la seconde sera exclusivement réservée au Roi de la valse, Johann Strauss II, d’autant que cette nouvelle année marque le 200ème anniversaire de sa naissance. Et quoi de plus indiqué en effet – pour fêter l’entrée dans le deuxième quart du 21ème siècle – que les airs charmants et entêtants, élégants et inoxydables d’une Vienne légendaire ? À Genève, Camilla Nylund avait marqué les esprits dans Rusalka. Partout dans le monde entier, la soprano est à son aise chez Richard Strauss et Richard Wagner, mais elle excelle aussi à chanter la magie de la tradition autrichienne : n’a-t-elle pas été nommée « Kammersängerin » à l’Opéra de Vienne en 2019 ? Un couronnement mérité pour la soprano dramatique qui fait un sort, avec une voix plus charnue et puissante que de coutume dans ce répertoire, aux airs d’Emmerich Kalman (“Heai, Heai in der Bergen” extrait de “Die Csardasfürstin”, et “Höre ich Zigeunergeigen” tiré de “Gräfin Mariza”), ainsi qu’ à ceux du non moins célèbre Franz Léhar (“Einer Wird Kommen” extrait de “Der Zarewitsch” ou encore le fameux “Meine Lippen” tiré de sa “Giuditta”). Elle y offre sa voix mordorée et chaude, avec des aigus aussi assurés que puissants, et ce “chien” dont ce répertoire ne saurait faire l’économie. Les pièces chantées sont entrecoupées par des valses d’auteurs méconnus tels que Joseph Hellmesberger II ou du suisse Julien-François Zbinden
 
 
En seconde partie de soirée, place aux valses de Johann Strauss II, dont on entend les principaux tubes, du Beau Danube bleu à Sang viennois, de l’Ouverture de La Chauve-Souris à la Tik Tak Polka… A la tête de sa phalange suisse allemande, le chef d’origine grecque Yannis Pouspourikas offre à toutes ces valses et épisodes symphoniques de Strauss fils, cet esprit léger et ce caractère spécifique entre abandon et allusion, suggestion et subtilité, qu’appelle cette musique. C’est bien évidemment, et comme de coutume, Le Beau Danube bleu qui clôt la soirée. Le chef en amorce les premières mesures pianissimo, puis en livre une lecture efficace et nerveuse, dans plus pure tradition viennoise. Mais la véritable interaction avec le public se réalise ensuite dans la célébrissime Marche de Radetski, de Strauss père, qui permet au public de frapper dans ses mains simultanément aux reprises de l’orchestre… clôturant le concert de la plus festive des façons !

 

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CRITIQUE, concert. GENEVE. Concert du Nouvel An, Grand-Théâtre, le 31 décembre 2024. Camilla Nylund (soprano), TOBS, Yannis Pouspourikas (direction). Toutes les photos (c) Emmanuel Andrieu

 

VIDEO : Camilla Nylund chante « Vilja » extrait de La Veuve joyeuse de Franz Léhar

 

CRITIQUE CD événement. José de Nebra : Venus y Adonis (Los Elementos, Alberto Miguélez Rouco (2 cd aparte, nov 2023)

Le chef Alberto Miguélez Rouco et ses Elementos enregistrent le mélodrame « Venus y Adonis » de José de Nebra (1702 – 1768), représentant majeur de l’opéra espagnol au XVIIIe siècle. Le mélodrame pastoral est une première, rétabli, près de 300 ans après sa création, à partir d’autres partitions de Nebra.

 

La partition est chantée en espagnol, uniquement par des femmes, regorge de saveurs et rythmes entraînants (cf l’air “Calquiera mozuela”, qui fusionne fandango, zarambeque et castagnettes), emprunte à la zarzuela. Nous tenons là une révélation. Il nous manquait des éléments probants pour mesurer la verve dramatique voire le génie opératique de Nebra. Cet enregistrement y contribue, de magistrale façon. Se distingue immédiatement la vitalité superlative du continuo d’un bout à l‘autre bondissant, souple et hautement expressif (chaque timbre cuivres, cordes, bois déploie une surenchère mesurée d’accents musicaux) ; l’écriture de Nebra, ne se rapproche pas de celle de Rameau comme il est annoncé dans le matériel promo, mais du meilleur Haendel. Le geste palpitant du chef, l’éloquence onctueuse des instrumentistes quand ils sont associés aux meilleurs solistes, expriment au plus juste ce théâtre des passions sensibles propre à José de Nebra, le Haendel ibérique donc.

Première historique :
la verve lyrique de José de Nebra
enfin révélée !

C’est le cas après la formidable ouverture en 3 parties (réemploi de la musique de Nebra d’autres œuvres), de l’air de Marte (« Tu suspensa ») : brillance caressante du timbre, lumineux, enivré de la soprano Jone Martniez ; même expressivité mordante, d’une impérieuse urgence dans le duo Marte / Vénus (Paola Valentina Molinari) : « Pues al estrago »… , comme l’aria piquant, facétieux de l’irrésistible Clarín (Judit Subirana, au bel abattage vocal), tandis que l’Adonis de la soprano française Natalie Pérez exprime toute la profondeur et l’épaisseur psychologique du bel adolescent dans ses deux airs (« Ay, Venus bella » ; puis « Bate a la navecilla ») et que Paola Valentina Molinari dans son air très développé « Trompas venatorias » évoque tous les tourments de la tempête amoureuse (avec l’excellent corniste).

Toute la 2è partie (cd2) enchaîne des perles lyriques tout aussi brillamment réalisées (qu’il s’agisse du grand air d’Adonis avec trompette obligée : « Slibo del aire » ; ou du duo surexpressif des deux sopranos électrisées, enivrées Clarin / Celfa (Ana Vieira Leite), idéalement associées dans une séquence qui emprunte à la scène comique la plus délirante (duo des poules), entre parodie, sensualité, urgence. Un sommet dramatique qui reflète parfaitement l’écriture picaresque de De Nebra, son intelligence autant dramatique que psychologique, et aussi, surtout son sens chorégraphique des contrastes.

Quel écart émotionnel avec l’air plus sombre des adieux d’Adonis (« Adios, venus bella »), énoncé tel une prière intérieure, intimisme sur un tapis de cordes des plus épurés… (excellente Natalie Pérez).  Sous l’impulsion de leur chef, les instrumentistes de Los Elementos, regorgent de vitalité, d’éloquence surexpressive pour restituer toutes les nuances et couleurs d’un théâtre hautement passionné. La révélation est totale et les qualités multiples de l’écriture de José de Nebra, idéalement restituées. La partition méritait bien d’être ainsi rétablie dans son intégralité, dans ce qui s’avère être une première mondiale absolument incontournable.

 

 

 

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CRITIQUE CD événement. José de Nebra : Venus y Adonis (Los Elementos, Alberto Miguélez Rouco (2 cd aparte, nov 2023) CLIC de CLASSIQUENEWS janvier 2025

CRITIQUE, Concert du Nouvel An. VIENNE, Musikverein, mer 1er janvier 2025. Johann Strauss I et II, Josef et Eduard Strauss, Constanze Geiger… Wiener Philharmoniker, Riccardo Muti (direction)

Formidable nouveau concert du Nouvel An au MUSIKVEREIN de Vienne, certes au départ un peu sec et mécanique, – mais efficace et expressif. Au fur et à mesure la complicité (réelle) entre chef et instrumentistes, se dévoile ; elle se déploie pour deux pièces majeures de Johann fils (ouverture du Baron Tzigane,  » Wein, Weib und Gesang « ), pour une somptueuse partition de son frère cadet Josef (valse de la transaction), pour une autre pièce – révélation de cette édition, de la compositrice inconnue Constanze Geiger (la valse de Ferdinandus), surtout pour les 2 rappels ritualisés de la fin : Le Beau Danube Bleu puis la Marche de Radetzky… Le programme exauce nos souhaits : souligner le génie de Johann II (2025 marque son bicentenaire), s’ouvrir à l’écriture d’une compositrice viennoise, réussir l’équation de la continuité et de l’innovation. Se sont joints les danseurs du Ballet de l’Opéra d’État de Vienne pour deux séquences, dans une chorégraphie millimétrée mais avec des costumes au delà du kitsch (c’est à dire dans un style hautement et typiquement autrichien)…
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La première partie souligne la permanence d’un compositeur toujours à l’honneur lors du concert le plus médiatisé au monde : 
Johann Strauss I, le père, qui signe la dernière partition du programme (La Marche de Radetzky) dont les musiciens jouent auparavant, en ouverture une autre marche, la Marche pour la liberté / Freiheits-Marsch, op. 226. L’œuvre est écrite en pleine révolution de 1848, malgré les barricades (soutenues par ses fils), et conçue comme signe d’allégeance au pouvoir impérial : s’y expose propre au patriarche, une couleur militaire, expression de l’autorité et du pouvoir impérial, avec caisse claire et trompettes obligées ; l’orchestre produit alors une musique joyeuse et conquérante avec en particulier, bien exposés, les cuivres de la fanfare dite « la Diane ».
Puis, Riccardo Muti qui depuis 1971, a dirigé l’orchestre au moins 500 fois, souligne le raffinement de Josef Strauss : Valse des hirondelles villageoises d’Autriche / Dorfschwalben aus Österreich, valzer / valse, op. 164. Avec son aîné Johann II, Josef dit « Pépi » sait développer la valse comme un véritable poème symphonique. Le sujet convoque le motif naturel et même pastoral, appeaux à l’appui (imitant les séduisants volatiles). La partition commence dans les graves, tapis des cordes suggestif pour le solo de la clarinette doublé par le hautbois. La direction expose la caresse de la clarinette… son chant velouté comme hymne à la nature, célébrant le chant des oiseaux. Le chef déploie ensuite tout en nervosité bondissante, les motifs hongrois, tziganes, développés comme un appel à l’ivresse (harpe et cor associé aux cordes). La direction sait produire l’insouciance, la finesse, la subtilité propre au frère cadet de Johann II, avec apport d’un Muti affûté, incisif, une intensité criante, un engagement parfois dur, aux contrastes (trop) nettement surlignés. La partition inspirée d’un roman à succès de l’époque, souligne le génie du frère de Johann II, Josef, orchestrateur exquis, qui reprend la succession de Johann quand celui ci empêché le lui demande, alors qu’il était ingénieur, architecte et qui meurt à 42 ans, exténué.

Avec Josef, c’est Johann II qui occupe la majorité du programme. En témoignent les 2 œuvres suivantes : la Polka des démolisseurs / Demolirer-Polka, polka francaise, op. 269, à la fois sereine, enivrée. Immédiatement se distingue l’orchestration si emblématique de Johann le fils : équilibrée entre chaque pupitre des vents, bois, cordes ; brillante, facétieuse, conçue comme un festival permanent de nuances… explosion de couleurs et de timbres, idéalement calibrés, avec toujours les flûtes à la fête ; s’en dégage ce son fruité, rond, velouté et d’une expressivité et d’une finesse jubilatoires. Puis la Valse de la lagune (de l’opérette Une nuit à Venise) / Lagunen-Walzer, op. 411 célèbre la beauté des femmes. Brillante et suave, la partition permet cet enivrement mesuré et élégantissime (avec la caisse claire du père, mieux intégrée dans la sonorité globale). Muti en déduit une mécanique légère, ses rebonds, ses phrasés enivrés (avec cor lointain).
Pour autant le petit dernier du clan Strauss n’est pas oublié et les musiciens interprètent d’Eduard Strauss : « Aérien et léger / Luftig und duftig », polka schnell, op. 206, mot à mot « aérée et parfumée ». S’y affirment activité, entrain du plus jeune de la fratrie Strauss lequel après avoir reprit le flambeau, dissoud l’orchestre familial et probablement par rancœur, brûle pendant 2 jours, les archives du clan, dont certainement plusieurs joyaux signés Johann et Josef… à jamais perdus. Incroyable péripétie.

Après la pause, la deuxième partie révèle enfin toutes les qualités propres au chef visiblement en complicité avec les Wiener Philharmoniker dans un répertoire qu’ils connaissent chacun parfaitement.

La première pièce affirme l’ampleur et le raffinement de l’orchestre de Johann II : l’Ouverture de son opérette Le Baron tzigane / « Der Zigeunerbaron » est un condensé opératique, ambitieux par son développement et sa durée ; il est aussi (titre oblige) très marqué « Europe centrale », c’est à dire avec ce panache et cette nostalgie qui s’inspire de motifs populaires hongrois – c’est avec le recul l’une des pages les plus réussies du programme de ce concert du Nouvel An à Vienne ; son relief, son accentuation idoine viennent opportunément contredire le caractère un peu lisse de la première partie. Riccardo Muti souligne subrepticement combien les instrumentistes ce matin sur la scène du Musikverein, s’ils sont experts en vertiges symphoniques, sont aussi de fait, dans la fosse de l’Opéra de Vienne : leurs aptitudes se dévoilent autant dans le cadre orchestral que lyrique. Et cela s’entend : chaque solo instrumental affirme un tempérament dramatique parfaitement assumé ; de ce point de vue, l’expertise et la maîtrise sont explicites : d’abord, la première mélodie, intérieure et nostalgique, à la clarinette, reprise par la flûte traversière, aérienne, suspendue, auxquelles répond la fougue passionnée des cordes. Tous les instruments défendent leur partie : se détachent l’air brillant libérateur du hautbois qui introduit le motif second principal ; mais aussi toute l’orchestration subtile d’un raffinement des plus exquis, où entre autres, convainquent des alliages de timbres savoureux, dont la harpe et les violoncelles ; s’y déploie peu à peu, une volupté nostalgique souveraine… avant la valse rapide, frénétique, d’une urgence impétueuse (motricité des 6 contrebasses). Une telle intelligence de l’orchestration fait comprendre pourquoi Wagner, Richard Strauss, … et Brahms (qui fut son ami) admirèrent à ce point le style de Johann II.
La pièce qui suit est la première (des deux) où paraissent les danseurs du Ballet de l’Opéra de Vienne : Accélérations / Accelerationen, valse / walzer, op. 234 – composée en 1860 pour le bal des ingénieurs et mécaniciens. La séquence est filmée dans les pièces du Südbahn hotel, somptueux établissement qu’appréciait tant l’impératrice Sissi. Depuis les rideaux d’une chambre puis dans la salle de bal de l’Hôtel légendaire, une danseuse semble traverser et visiter toutes les pièces (avec effet de fondus qui la fait traverser les murs comme un elfe aérien). La soliste rencontre plusieurs danseurs, croise des duos,… dans une chorégraphie conçue par Kathy Marston, directrice du Zurich Ballet.

 

Après la pièce de celui qui fut premier violon de l’orchestre, Joseph Hellmesberger fils (Frères fidèles / Fidele Brüder, Marche de l’opérette La Fille-Violette / « Das Veilchenmädchen » , dosage subtile entre sentiment martial de la marche et suractivité enjouée d’un galop léger et badin), place à la partition attendue de la compositrice viennoise Constanze Geiger. Le choix est historique car c’est la première fois qu’une compositrice fait partie du Concert du Nouvel An viennois. Il était temps ! La phalange continue de traîner une image conservatrice voire phallocratique. Certes, il a ouvert ses auditions pour le concours d’entrée aux instrumentistes femmes en 1997. Tout cela prend du temps et la parité des pupitres n’est pas encore d’actualité (ni l’heure où une cheffe d’orchestre dirigera le concert du Nouvel An, ne rêvons pas !). Le choix de cette année est de bonne augure. Saluons cette avancée.
La Valse de Ferdinandus, op. 10 / Ferdinandus-Walzer, op. 10 [arrangement Wolfgang Dörner] dirigé à sa création par Johann père en 1848, est l’œuvre d’une jeune compositrice de …13 ans qui rend hommage à l’Empereur éphémère Ferdinand, lequel précède François-Joseph. Constanze Geiger est devenue Baronne après avoir épousé le prince de Saxe-Gotha. Elle habita à Paris, rue Pergolesi, occupant la Villa Dupont ; et meurt à Dieppe. Elle repose à Paris (cimetière Montmartre). L’œuvre programmée, est donc celle d’une auteure encore en devenir, plutôt convenue, dans le style de l’époque, légère et brillante, elle permet entre autres de savourer l’unisson flexible des cordes, la facétie des bois (clarinettes).

 

Dans la « La valse de la transaction / Transactionen », valse, op. 184, Josef Strauss célèbre le monde de la finance mais aussi les caprices amoureux de l’imprévisible Cupidon ; la partition est une curiosité qui souligne là encore le raffinement dont est souvent capable le compositeur : l’intro grave et sombre (avec motif pastoral au hautbois plein de noblesse) est repris par la flûte ; tout l’orchestre participe en un somptueux lever de rideau qui prépare au motif principal avec harpe, flûtes, violons enivrés aux phrases onctueuses et souples… Dans cette page très suggestive, le chef veille aux équilibres et à la transparence. C’est surtout une partition riche en surprises (en particulier dans les associations de timbres et aussi la succession des combinaisons harmoniques), très emblématique de Josef dit « Pépi » dont Johann II disait qu’il était le plus talentueux des deux … L’œuvre rarement donnée est de son meilleur cru.

Puis 3 pièces évoquent les épisodes de la vie intime de Johann Strauss II. D’abord, la polka rapide (Schnell) : « Entweder – oder! », Soit… soit ! op. 403, date de 1882 pourrait être traduite par « ou bien c’est lui, ou bien, c’est moi! » ; Johann se sépare alors de son épouse qui l’avait trompé… Son énergie rythmique permet de retrouver les danseurs de l’Opéra de Vienne, au musée des techniques de Vienne. Des écoliers visitent le musée, enfilent chausson et costumes pour exprimer la fièvre des techniques , avec comme décor une sublime locomotive historique… 4 ballerines et 2 danseurs suggèrent l’euphorie et l’enthousiasme pour les nouvelles techniques à l’époque des Strauss, au diapason d’une musique vive et alerte. Ensuite, la Polka d’Anne / Annen-Polka, op. 117 est un hommage à la mère de Johann, Josef, Eduard, la très digne épouse du père Johann I, Maria Anna à laquelle les fils doivent d’avoir une éducation musicale (quand le père ne le souhaitait pas).
C’est un chef d’oeuvre absolu de finesse facétieuse (avec le concours quasi permanent percutant de la flûte piccolo). Enfin, « Potins-potins / Tritsch-Tratsch », polka schnell / Polka rapide, op. 214, qui a été composée comme la réponse aux diffamateurs… Après une tournée en Russie, Johann est le sujet d’une campagne de presse qui lui reproche d’innombrables aventures galantes : il répond en exprimant en musique qu’il s’agit de potins infondés, soit du « tritsch-tratsch » ; comme dans la pièce précédente, l’opus 214 déploie la même facétie mordante, la même vivacité électrisée, à la fois raffinée et bouillonnante.
Enfin les musiciens honorent à nouveau le génie musical de Johann Strauss II en jouant « Aimer, boire et chanter / Wein, Weib und Gesang », valse / walzer, op. 333 (datée de 1869). S’affirme immédiatement le motif initial des cordes (repris par bois et vents), d’une douceur nostalgique, auquel répond ensuite la douce mélopée des bois doublé par les cors ; émerge alors la seconde mélodie principale au violoncelle et au cor, plongeant l’auditeur dans une volupté de plus en plus somptueuse (enrichie par la harpe) ; la pièce s’achève comme un hymne solennel, une déclaration souveraine. Voici assurément une autre valse symphonique, riche et développée, parmi les plus poétiques et dramatiques, avec moult surprises mélodiques et somptuosité harmoniques.

Le programme officiel est alors fini ; il a démontré la maîtrise avec laquelle le maestro Riccardo Muti, 83 ans, sait transmettre aux instrumentistes, sa haute idée du génie des frères Strauss. Au moment des saluts, il fait se lever l’orchestre, et remet à l’une des musiciennes de la phalange (violoncelliste), le bouquet qu’il venait de recevoir. 
Chaque concert du Nouvel An à Vienne est le théâtre d’un dernier rituel (avec le public) qui ferme la séance. L’heure est ainsi venue pour les 3 rappels habituels : une polka de Johann Strauss II (ici Les Bayadères, polka schnell / rapide, extraite de l’opérette « Indigo et les 40 voleurs » ; avec le piccolo lumineux, facétieux, là encore très présent). Puis ce sont les deux ultimes pièces (parmi les plus connues). Signées du fils puis du père. D’abord Le Beau Danube Bleu : selon la tradition, à peine les premières mesures amorcées (pizzs des violons), le chef interrompt l’orchestre, se retourne vers le public et prononce les mots de circonstance : ses vœux de bonne nouvelle année auxquels se joignent tous les membres de l’orchestre. Puis le chef prend la parole (en italien) et souhaite pour le monde : « paix, fraternité, amour universel ». Les saluts crépitent et Le Beau Danube Bleu se déroule sans heurts, dans l’éloquence et l’opulence sonore, la tension des contrastes, la souplesse d’un geste collectif particulièrement convaincant. C’est un final en forme d’apothéose qui se prolonge encore avec la réalisation de la Marche de Radetsky de Johann père ; la pièce scelle la victoire des troupes impériales (menées par le général Joseph Wenzel Radetzky) contre les émeutiers italiens, – sardes, à Custozza en juillet 1848. Marche brillante, conquérante qui permet surtout aux spectateurs de marquer le rythme en claquant des mains, à l’invitation du chef qui indique les séquences où la claque est de rigueur. Belle image de partage entre artistes et public. Souhaitons que les bons vœux du maestro et des musiciens se réalisent enfin. Notre monde en a bien besoin.

 

LIRE aussi notre présentation du Concert du Nouvel An à Vienne, mer 1er janvier 2025 : https://www.classiquenews.com/vienne-musikverein-concert-du-nouvel-an-mercredi-1er-janvier-2025-orchestre-phil-de-vienne-wiener-philharmoniker-riccardo-muti-direction/

Année Johann Strauss II à Vienne : bicentenaire 2025 / l’agenda des événements Johann Strauss à Vienne, et en Autriche : https://www.johannstrauss2025.at/

LIRE aussi notre critique du concert du Nouvel An du 1er janvier 2024 (Christian Thielemann, direction) : https://www.classiquenews.com/critique-concert-vienne-le-1er-janvier-2024-concert-du-nouvel-an-johann-i-ii-josef-eduard-strauss-hellmesberger-ziehrer-bruckner-wiener-philharmoniker-philharmonique-de-vienne/

 

CRITIQUE CD événement. MONTEVERDI : Vespro della Madonna 1643. Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre (2 cd Château de Versailles Spectacles)

A 46 ans, le Crémonais Monteverdi déjà célèbre arrive à Venise (1613), comme maître de chapelle à San Marco. La chapelle du doge méritait bien le meilleur d’entre tous les compositeur de ce premier baroque italien (Seicento). Vincent Dumestre imagine une célébration à la gloire de Marie, un Vespro inédit qui utilise les pièces vénitiennes les plus dramatiques conçues par le grand Claudio, tout en respectant le plan d’une Messe historique… Il en découle ce Vespro inédit, furieusement spirituel, intensément fervent dont le geste et la restitution interprétative forcent l’admiration. Voici assurément l’une des réalisations les plus convaincantes portées, éditées par Château de Versailles Spectacles. C’est notre connaissance de la musique du dernier Monteverdi qui est ainsi totalement renouvelée…

 

A Venise, cité moderne avant toute autre, musicalement aux avant postes de l’expérimentation la plus audacieuse (stile concertato vénitien, style polychoral basilical,…), le Crémonais perfectionne encore son écriture comme en témoignent pour le comte Mocenigo, son sublime Combattimento de Tancredi e Clorinda (1624) ; nombre de musiques cérémonielles (pour les funérailles de Cosme II de Medici en 1621 à Santi Giovanni e Paolo ; en août 1623, à San Rocco ; surtout le lancement du chantier de la Salute en 1631 avec le Gloria a 7 ; en 1635 aux Frari, devant la Pala du Titien !)… ; sans omettre l’apport majeur des partitions les plus tardives : la Selva morale (1640, qui comprend entre autres, le Gloria précité) ainsi que le recueil posthume de 1650, Messa a quatro voci e salmi.

 

Sur la base du témoignage de Constantin Huygens le 24 juin 1620 à Venise, à propos d’une célébration des Vêpres à San Giovanni Battista in Bragora – témoignage plus que dithyrambique, Vincent Dumestre rétablit une nouvelle version des Vêpres montéverdiennes ; non pas celles bien connue de 1610, mais une célébration en tant que directeur de la musique basilicale du Doge ; dans les faits, la Messe des Vêpres connaît dans la cité lagunaire, un essor exceptionnel, en raison de la dévotion spéciale à la Vierge ; chaque célébration est composée de 5 psaumes, d’un hymne et d’un Magnificat ; chacun des 5 psaumes (Dixit Dominus, Laudate Pueri, Laetatus sum, Nisi Dominus, Lauda Jerusalem) étant suivi d’un motet ou concerto sacro dans le style authentiquement vénitien, fusionnant spiritualité et sensualité. Le choix des pièces concerne surtout l’activité du compositeur à Venise, entre 1614 et 1643 ; ses compositions déposées dans les 2 derniers recueils : Selva morale et recueil posthume de 1650. Ainsi surgit le Monteverdi le plus tardif, le plus accompli. Le plus inspiré aussi, car la dévotion mariale concerne plusieurs partitions parmi les plus ambitieuses du compositeur.

 

Les interprètes éclairent surtout l’ampleur, la démesure et les audaces harmoniques d’un Monteverdi dont le geste spirituel est permis par une musique des mieux inspirées (étirement extatique et idéalement mystérieux du motet Stabat Virgo Maria / SV96, réalisé après le 2è Psaume principal Laudate pueri primo).
Comme un sublime théâtre sacré, ou un opéra dramatique et spirituel, le cycle ainsi construit met en avant l’acuité et le relief expressif de chaque séquence, cette faculté unique qu’a Monteverdi à caractériser, sublimer, animer un texte (ainsi les vertiges vocaux et choraux du Laetatus sum primo réalisés ici avec une élasticité expressive superlative entre grandeur et respirations profondes, à la fois doxologiques et fortement individualisées : une équation joyeuse, exclamative à 6 voix, qui relève du miracle absolu ! plage 10 cd 1).
Le choix de la couverture du double cd est bienvenu : l’esthétique réaliste et spirituel du Caravage rappelle tout à fait l’éclairage que favorise Monteverdi sur chaque texte liturgique (Madone des Pèlerins, 1604). Le parallèle est tout à fait pertinent. Chacun des deux créateurs aura révolutionné l’art à son époque ; comme souvent, le peintre avant le musicien.

Le Salve Regina SV 284 est encore plus intéressant, éblouissant et dramatique pour les 2 voix féminines, à la fois implorantes et aussi architectes d’une cathédrale fervente ancrée dans la certitude de la foi la plus infaillible.
La passion théâtrale culmine – si redevable à l’essence dramatique du Livre VIII de madrigaux, dans le 4è Psaume : Nisi Dominus où se détache un travail spécifique sur la dramatisation du texte en stile concitato, halluciné, alternant avec des grandes plages planantes quasi abstraites (« Vanum est vobis »).
Autant d’expressionnisme vocal, de radicalité dans le geste interprétatif ne s’étaient guère autant épanouis que récemment et toujours sous le label du Château de Versailles Spectacles… dans les Grands Motets, revisités, totalement régénérés par Stéphane Fuget et ses troupes des Épopées (dont on retrouve certains complices comme Cyril Auvity…).
Trombone, cornet à bouquin, harpe triple… Vincent Dumestre sait ajouter le relief particulier de timbres idéalement calibrés, qui associé à l’implication des voix solistes, atteint des prodiges sonores.
Le trouble pathétique, sommet de la douleur demeure le Pianto della Madonna joué dans le prolongement du Nisi Dominus (ici 4è et avant dernier Psaume de tout l’édifice) – la pièce parfaitement placée est le contrafactum du Lamento d’Arianna de 1623, sa version « spirituelle » ; sa forme qui relève de la secunda prattica s’insère idéalement dans le cycle de ce Vespro marial inédit.

De rigueur pour chaque Vêpre, l’ultime Magnificat (ici émergeant après le dépouillement réalisé par l’hymne précédent : Ave Maris stella) affirme une ferveur rayonnante et dynamique, jubilation vécue individuellement par les voix solistes (2 sopranos, joute des 2 ténors sur le mot « Gloria »,…). C’est un accomplissement collectif qui exprime avec un relief vivace, dans le grandiose et la sincérité, le vertige de la ferveur, la sincérité d’une dévotion franche et partagée. Remarquable recréation qui vient à propos réformer notre connaissance du dernier Monteverdi vénitien. L’enregistrement décroche logiquement notre CLIC de CLASSIQUENEWS !

 

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CRITIQUE CD événement. MONTEVERDI : Vespro della Madonna 1643. Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre (2 cd Château de Versailles Spectacles) – enregistré à la Chapelle Royale de Versailles, en avril 2024 – CLIC de CLASSIQUENEWS

STREAMING opéra, le 10 janvier 2025. BIZET : Carmen (version de la création de 1875, Opéra de Rouen) – CARMEN, le retour aux sources

Parmi les cigarières des manufactures de Séville, Carmen est l’ouvrière la plus séduisante. Arrêtée pour s’être battue avec une autre ouvrière, elle séduit le brigadier Don José qui la laisse s’échapper. Pour elle, José abandonne son amour de jeunesse (Micaëla), renonce à son grade, déserte l’armée, devient contrebandier… Mais Carmen est femme libre : elle n’hésite pas à jeter José pour… le trop séduisant toréador Escamillo.

 

 

Les premiers spectateurs parisiens de l’Opéra Comique, sont saisis, choqués d’assister à l’incarnation d’une héroïne aussi affranchie : un personnage qui est une provocation dans la société française de la fin du XIXè. Qu’ont-ils vu en réalité en 1875 lors de la création ? L’Opéra de Rouen Normandie ainsi une Carmen de Bizet, originelle et dépoussiérée, plus « authentique »… avec les costumes, les décors et la mise en scène originaux de la première représentation en 1875.

 

C’est un voyage dans l’esthétique parisienne des années 1870, une immersion inédite d’autant plus appréciée à notre époque où règnent et s’imposent les mises en scènes pseudo actualisée « régénératrices »… Dans les faits, l’ouvrage de Bizet, qui meurt quelques semaines après la création, est joué partout immédiatement à Vienne, Bruxelles, Saint-Pétersbourg, New York… puis finalement triomphe à Paris en 1883.

 

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CARMEN de BIZET, version 1875 – Diffusé le 10 janvier 2025 à 19h CET
En REPLAY jusqu’au 10 juillet 2025 à 12h CET
Enregistré le 24 septembre 2023 à l’Opéra de Rouen
VOIR CARMEN de BIZET sur operavision :
https://operavision.eu/fr/performance/carmen-4

Chanté en français / sous titres en anglais, français, italien, allemand

 

 

distribution

CARMEN, Deepa Johnny
DON JOSÉ, Stanislas de Barbeyrac
MICAËLA, Iulia Maria Dan
ESCAMILLO, Nicolas Courjal
FRASQUITA, Faustine de Monès
MERCEDES, Floriane Hasler
ZUNIGA, Nicolas Brooymans…

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie
Chœur Accentus – Maîtrise du Conservatoire de Rouen

Ben Glassberg, direction
Romain Gilbert, mise en scène
Antoine Fontaine, décors
Christian Lacroix, costumes

 

agenda

La production de Carmen 1875 est à l’affiche de l’Opéra Royal de Versailles, du 14 au 22 janvier 2025 prochains : https://www.classiquenews.com/opera-royal-de-versailles-bizet-carmen-du-14-au-22-janvier-2025-version-1875-adele-charvet-eleonore-pancrazi-florie-valiquette-vannina-santoni-orchestre-de-lopera-royal-her/

ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE MONTE CARLO. BEETHOVEN (Triple Concerto), BRUCKNER (7ème symphonie), dim 12 janvier 2025. Bertrand de Billy, direction

Depuis son utilisation dans la bande-originale du film de Lucchino Visconti, Senso, la Septième Symphonie d’Anton Bruckner a beaucoup oeuvré pour la reconnaissance du compositeur, et tend, à tort ou à raison, à supplanter les autres symphonies dans l’évaluation globale de son oeuvre. L’opus ainsi mis en avant incarne à son apogée l’inspiration musicale du symphoniste : architecture limpide, ampleur des thèmes, orchestration flamboyante et maîtrisée.

 

 

Dans la carrière du musicien, l’opus A. 109, valut, lors de sa création par Arthur Nikisch, à Leipzig, le 30 décembre 1884, un triomphe qui mit en oeuvre sa tardive notoriété. Contrairement aux autres symphonies, la Septième n’a pas été retouchée du vivant de l’auteur : elle ne suscite donc pas de polémique sur la version historique à choisir et à interpréter. Il subsiste cependant l’affaire du « coup de cymbales » , au sommet de l’Adagio : indiqué sur un papier ajouté en marge de la partition autographe, avec la mention de Bruckner, « non valable ». Clairement abandonnée par l’auteur, l’utilisation des cymbales reste d’actualité : les chefs d’aujourd’hui, la cite, contre tout respect des indications finales du compositeur, tant sa réalisation coule de source et produit un effet saisissant… L’oeuvre est dédiée à Louis II de Bavière et porte un hommage continu à Wagner (citation maîtrisée des tubes wagnériens).

 

C’est d’ailleurs pendant la composition, en 1882, que Bruckner se rend à Bayreuth pour la première de Parsifal, et rencontre Wagner. L’Adagio est une ample déploration d’un musicien pour un autre musicien, conçu comme un « in memoriam », particulièrement poignant. Auteur d’une Septième célébrée à sa juste valeur, le compositeur confirmé entreprend la composition de sa Huitième symphonie qui est son ultime ouvrage.

 

La 7ème Symphonie de Bruckner en mi majeur opus A. 109,
l’oeuvre d’un compositeur enfin reconnu

 

PLAN
Quatre parties. Durée indicative : 65-70 mn.
1. Allegro moderato
2. Adagio (Sehr feierlich und langsam, « d’une très lente solennité ») : intensité du sentiment de deuil, qui cite « In te Domine speravi« , extrait du Te deum, partition contemporaine de la Septième, s’épanouit par le chant lugubre et grave des quatre tuben wagnériens.
3. Scherzo vivace, « très rapide »
4. Finale, « mouvementé mais pas trop rapide ».

 

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Dimanche 12 janvier 2025, 18h
MONACO, Auditorium Rainier III

Ludwig van BEETHOVEN
Triple concerto en do majeur, op. 56
Anton BRUCKNER
Symphonie n°7 en mi majeur, A. 109

 

 

Infos & réservations directement sur le site de l’OPMC Orchestre Philharmonique de Monte Carlo :
https://opmc.mc/concert/concert-symphonique-12-jan-2025/

 

Trio Zeliha (Triple Concerto de Beethoven)
Manon GALY, Violon
Maxime QUENNESSON, Violoncelle
Jorge GONZÁLEZ BUAJASÁN, Piano

ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE MONTE CARLO
Bertrand de Billy, direction

Durée 2h avec entracte
En prélude au concert, présentation des œuvres à 17h par André Peyrègne.

 

LE TRIPLE CONCERTO DE BEETHOVEN (Vienne, 1807) est une oeuvre élégante propre à l’esprit des mondanités viennoises (dédié au Prince Lobkowitz) : la complicité progressive entre les 3 instrumentistes solistes qui devant s’accorder au tempérament du chef, doit savoir aussi préserver l’intimité d’une pièce de grand format, symphonique certes, mais résolument chambriste (polonaise du rondo final – la séquence la mieux écrite)…

TRIBUNE. Le claveciniste et chef d’orchestre BRUNO PROCOPIO souligne les mérites du Sistema, un modèle dont la France devrait bien s’inspirer si nous souhaitons maintenir l’exception culturelle française

A chaque début d’année, place à l’espoir et aux bonnes résolutions. Si la France atteinte par un déficit abyssal jamais vu, commence de ronger voire détruire ce qui faisait fièrement son « exception culturelle » [à coup de coupes budgétaires jamais vues jusque là…], les 50 ans du Sistema montre à l’inverse la pérennité d’un modèle artistique et social qui s’est inscrit au Venezuela tel un emblème national.

 

Le dispositif perdure au delà des contingences politico-économiques. En soulignant la réussite exemplaire du Sistema, le maestro franco brésilien Bruno Procopio souligne les mérites du Systema vénézuélien avec d’autant plus de justesse qu’il a contribué et contribue toujours à son activité : régulièrement invité comme chef, Bruno Procopio apporte sa connaissance du Baroque français entre autres, que les instrumentistes vénézuéliens continuent d’explorer sous sa conduite… Alors que les politiques français n’hésitent plus à sacrifier la culture, le Venezuela affirme à l’inverse une continuité et un engagement qui considèrent toute offre culturelle autrement que comme une variable d’ajustement. A l’occasion de la tournée européenne du Sistema pour ses 50 ans, dont une escale déjà très attendue à Paris [Philharmonie de Paris, concerts événements les 11 et 12 janvier 2025, lire ci-après], Bruno Procopio pose les bonnes questions, en rappelant que le Sistema incarne aujourd’hui plus qu’hier, un modèle admirable que la France gagnerait à suivre, autant sur le plan artistique, social qu’économique.

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tribune

Bruno Procopio :
« Oui, il faudra avoir du courage ! »

 

Cette année, le Sistema des orchestres du Venezuela célèbrera ses 50 ans. Depuis douze ans, j’ai eu l’immense privilège de diriger des formations telles que l’Orchestre Symphonique Simón Bolívar, avec lequel j’ai enregistré un album dédié à Rameau, couronné de succès, et l’Orchestre Baroque Simón Bolívar, que j’ai contribué à créer au sein du Sistema. Voilà douze années que la musique française a trouvé au sein du Sistema une place honorée et essentielle. Elle a contribué de manière significative à l’évolution musicale de ces orchestres, témoignant de son importance et de son rayonnement dans ce contexte unique. Des compositeurs comme Rameau, Gossec, Méhul, Reicha, et tant d’autres font désormais partie intégrante du répertoire des orchestres vénézuéliens.

En avril 2025 prochain, j’aurai l’honneur de diriger à Caracas l’un des concerts anniversaires. Cet événement, qui sera largement couvert par la presse internationale, marquera également la tournée européenne de l’Orchestre Symphonique Simón Bolívar sous la direction de Gustavo Dudamel.

Face à cette réussite, symbole de persévérance et de vision collective, je ne peux m’empêcher de réfléchir à la situation actuelle de la musique classique en France. Le Sistema, né de l’ambition presque utopique du Maestro José Antonio Abreu de transformer la société par la musique, reste aujourd’hui un modèle. Malgré les immenses défis auxquels le Venezuela fait face – crises politique, économique et sociale – le Sistema continue de produire des orchestres d’un niveau exceptionnel et de tracer un cap clair pour une nouvelle génération de musiciens.

En France, nous vivons un tout autre moment. Les baisses de subventions ne sont pas seulement une menace pour le fonctionnement des institutions culturelles ; elles révèlent une crise plus profonde : une perte de sens et de direction. La musique classique, dans ses formes actuelles, semble s’effacer des priorités de la société et, par conséquent, des agendas politiques.

Mais ce déclin n’est pas uniquement financier. Il traduit une crise de vision, une absence de narration mobilisatrice. Il manque à notre pays un projet audacieux, une ambition capable de réinventer la place de la musique classique dans le monde contemporain. En tant que musiciens, nous portons cet art à bout de bras par notre engagement quotidien. À nous d’être les leaders qui rappellent que la musique classique n’est pas un luxe, mais une force vivante, une puissance de transformation sociale et culturelle.

Le Sistema nous enseigne qu’un projet collectif peut traverser les pires tempêtes si l’on garde une vision et un cap. La musique classique n’aura pas, comme jadis, une Cathédrale pour nous sauver du bûcher. Ce qui nous sauvera, c’est notre créativité, notre audace et notre solidarité.

En 2025, ne laissons pas notre héritage musical sombrer dans l’oubli. Oui, il faudra du courage et une bonne dose de créativité, mais nous en sommes capables. Comme l’a prouvé le Venezuela, une vision claire et partagée peut tout transformer.

Pour ma part, je suis prêt à relever ce défi. Et vous ? »

 

Bruno Procopio – chef d’orchestre & claveciniste

 

 

agenda

PARIS, Philharmonie, le 11 janvier 2025
Concert Marianne Crebassa, Yuja Wang, Orchestre symphonique Simon Bolivar, Gustavo Dudamel. Abreu (Sol que das vida a los trigos, Luz Tú), Mahler (Symphonie n°3).
Infos & réservations : https://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/concert-symphonique/27474-orchestre-symphonique-simon-bolivar-gustavo-dudamel

Même programme : LUXEMBOURG, Philharmonie, le 18.

 

 

PARIS, Philharmonie, le 12 janvier 2025 (16h)
Lorenz (Todo Terreno), Grau (Odisea – Concerto pour cuatro et orchestre), Tchaikovski (Concerto pour piano n°1), Ravel (Boléro).
Infos & réservations : https://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/concert-symphonique/27710-orchestre-symphonique-simon-bolivar-gustavo-dudamel

Même programme : LUXEMBOURG, Philharmonie, le 19.
BRUXELLES, Bozar, le 23.

 

 

Tournée des 50 ans du SISTEMA, concerts aussi à Londres, Berlin, Munich, Madrid…

CRITIQUE, récital. GSTAAD NEW YEAR MUSIC FESTIVAL, Saanen, le 28 déc 2024. Récital lyrique Elina Garanca, Jonathan Tetelman… airs et duos de Verdi, Mascagni, Bellini, Lehar…

Le GSTAAD NEW YEAR MUSIC FESTIVAL ne cesse d’impressionner : il est devenu en quelques années la destination clé pour tout amateur d’opéras, pour tout amoureux des grandes voix et des grands interprètes. De quoi s’élever encore et toujours, à l’image des cimes enneigées qui surplombent les paysages alpestres locaux.

 

Après un premier récital lyrique des plus convaincants, donné la veille (Rosa FEOLA, 27 déc), en ouverture de cette 19è édition, voici le premier volet des soirées dédiées aux duos de choc. Et quel duo ! Pour se chauffer, les deux solistes qui sont sur la scène des interprètes particulièrement investis, affirment d’emblée, chacun, un tempérament dramatique, très en situation, prolongement naturel de leur expérience scénique qui n’est plus à prouver ; ce sont deux incarnations d’abord verdiennes, immédiates et intenses, qui annoncent la couleur et qui font de l’église de Saanen, le temps du programme, une scène lyrique particulièrement percutante. En particulier vériste. Photos : © Patricia Dietzi / 19ème Gstaad New Year Music Festival 2024-2025.

 

D’abord place à la prima donna de ce soir : la mezzo ELINA GARANCA. Présence volcanique, regard affirmé, la diva chante l’implacable ambition de Lady Macbeth [« La luce langue »] ; portait vocal d’une ambitieuse devenue criminelle et déjà reine, prête à tout pour satisfaire son obsession du pouvoir et qui n’hésite pas à morigéner son époux s’il ne s’exécute pas. Intense, ardente, l’actrice brûle la scène grâce à une caractérisation vocale remarquable, aussi nuancée que percutante. C’est le cerveau du couple Macbeth : démoniaque, habitée, et comme possédée par la pensée du personnage, sa Lady Macbeth, affirme une aisance dramatique doublée d’un chant puissant et velouté, d’une somptuosité naturelle qui captive. Puis stylé et tout autant investi, son partenaire, le ténor vedette JONATHAN TETELMAN, affirme dans « Quando le sere al placido », des aigus ardents pour l’invocation de Rodolfo, âme tragique et noire, dévastée, éperdue telle que l’a conçu Schiller, dans son ouvrage source : Luisa Miller. Le Rodolfo de Jonathan Tetelman a cette vaillance, l’énergie et ce fruité vocal proche d’un Corelli ; ce qui fonde tout l’attrait actuel de ses Verdi, Puccini, sans omettre ses rôles véristes.

 

Bellini les réunit dans le premier duo ; certes engagé mais pour nous le moins convaincant, plus enclin au volume sonore qu’à la ciselure d’un belcanto idéalement nuancé. Cependant la tension et l’urgence de la situation l’exige car ici, le romain Pollione, vaillant, vainqueur, décidé à quitter Norma (dont le fameux Casta diva nous a été remarquablement offret par Rosa Feola la veille à Rougemont), entend séduire définitivement Adalgisa et l’emmener avec elle à Rome.

La meilleure séquence en justesse dramatique et intonation demeure la série des 3 extraits de Cavalleria Rusticana qui convoque dans tout son réalisme psychologique, le théâtre tragique, éruptif de Mascagni.

 

D’abord, Jonathan Tetelman affirme un Turridu éperdu, enflammé, d’emblée, incandescent. Aigus pleins, ardents, portés par une énergie continue, irradiante ; puis « la Garanca » n’a rien à lui envier bien au contraire : sa Santuzza est exceptionnelle, en expressivité, sensualité, abattage textuel. La diva ne force en rien tant son incarnation demeure de bout en bout évidente, déployant peu à peu la rage amoureuse, l’ampleur du sentiment de trahison dont elle est la victime, à la fois impérieuse et inconsolable.
Son intensité tragique s’avère bouleversante jusque dans ses imprécations finales bientôt criminelles… La diva exprime avec un tempérament impérial sa lave implacable qu’inspire l’immensité de son amour trahi ; la puissance de l’incarnation est d’autant plus convaincante que son chant déploie une volupté jamais tendue ; c’est une rage caressante dont la réussite fait rappeler son Eboli écoutée applaudie sur la scène de Bastille.
Tout en savourant chaque tirade d’un texte remarquablement vécu, l’auditeur se délecte de couleurs vocales aussi séduisantes, d’harmoniques aussi riches, d’un médium aussi large et coloré. Sans omettre des aiguës déchirants et eux aussi, toujours magnifiquement timbrés. Leur duo, entre rage et outrage (« Tu qui, Santuzza?… ah ! Lo vedi ») confirme les affinités irrésistibles des deux acteurs chez Mascagni. Leur confrontation demeure mémorable.

Changement de ton et de langue, (passant de l’italien à l’allemand), voici pour la 3e et ultime séquence, 3 airs d’ouvrages signés Franz Lehar. Elina Garanca déploie un tout autre registre entre coquetterie royale et légèreté feinte ; son Ilona [Zigeunerliebe] est altère et facétieuse ; d’une noblesse de ton souveraine avant la seconde partie de son air, qui emprunte au folklore hongrois le plus échevelé.
Jonathan Tetelman se montre tout aussi convaincant en ardent séducteur dans l’air d’Octavio [Giuditta] et les deux concluent en complicité et élégance le récital par le duo fameux extrait de La Veuve Joyeuse [Die lustige Witwe], « Lippen schweigen » qui fusionne deux cœurs fiers et racés, ceux d’Hannah et de Danilo, enfin reconnectés. D’une suavité complice, en partage, les deux chanteurs déploient leur passion accordée, grandissante, des plus enivrées, qu’une première idylle avait rapprochés et que l’action finale réunit définitivement dans l’un des duos les plus fameux du genre opérette viennoise.

 

 

Récital généreux, percutant, magistral. Voilà qui souligne la très haute tenue du Gstaad New Year music festival, où décidément les plus grandes voix lyriques du moment aiment à déployer leurs qualités les plus enivrantes.

 

 

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CRITIQUE, récital. GSTAAD NEW YEAR MUSIC FESTIVAL, Saanen, le 28 déc 2024. Récital lyrique Elina Garanca, Jonathan Tetelman… airs et duos de Verdi, Mascagni, Bellini, Lehar… Frédéric Chaslin, piano.19ème GSTAAD NEW YEAR MUSIC FESTIVAL, jusqu’au 11 janvier 2025. https://www.classiquenews.com/gstaad-suisse-gstaad-new-year-music-festival-gnymf-du-27-decembre-jusquau-11-janvier-2025-jonathan-tetelman-elina-garance-sonya-yoncheva-michele-lariviere-bohdan-luts-karen-kuronu/

 

 

 

 

approfondir : présentation

LIRE aussi notre présentation annonce du 19è GSTAAD NEW YEAR MUSIC FESTIVAL 2024-2025 : https://www.classiquenews.com/gstaad-suisse-gstaad-new-year-music-festival-gnymf-du-27-decembre-jusquau-11-janvier-2025-jonathan-tetelman-elina-garance-sonya-yoncheva-michele-lariviere-bohdan-luts-karen-kuronu/

 

CRITIQUE, opéra-comique. AVIGNON, Opéra Grand Avignon, les 27, 29 et 31 décembre 2024. C. LECOCQ : La Fille de Mme Angot. H. Guilmette, V. Lemercier, E. de Hys, P. N. Martin… Richard Brunel / Chloé Dufresne

Voilà près de dix ans, la production d’Ali-Baba montée à l’Opéra-Comique nous rappelait combien l’héritage lyrique de Charles Lecocq, rival d’Offenbach en son temps, ne pouvait se réduire à son seul chef d’oeuvre La Fille de Madame Angot (1872). C’est précisément ce titre, pilier incontournable d’un répertoire à mi-chemin entre opéra-comique et opérette, que l’on retrouve à l’Opéra Grand Avignon, après être passé par la Salle Favart et l’Opéra Nice Côte d’Azur – avant de remonter le Rhône jusqu’à Lyon, quatrième maison coproductrice du spectacle -, en partenariat avec les équipes du Palazzetto Bru Zane. Le Centre de musique romantique française s’était déjà illustré, voilà quatre ans, en donnant une version de concert dirigée par Sébastien Rouland, en habituel prélude à la nouvelle intégrale de l’ouvrage gravée pour la collection « Opéra français ».

 

Comme souvent, cette exécution « en live » l’emporte largement sur le disque précité, mettant au coeur de ses intentions la double exigence redoutable de ce type d’ouvrage, à savoir posséder autant des qualités vocales que théâtrales poussées pour parvenir à une expressivité haute en couleur et sans cabotinage. L’artisan incontestable de cette réussite est Chloé Dufresne, qui montre là tout son amour pour ce répertoire, en empoignant la partition d’une vitalité rythmique enjouée, à même de faire vivre le plateau. La jeune cheffe française parvient à faire pétiller cette musique comme du champagne, grâce aux  forces de l’Orchestre National Avignon-Provence, très engagé pour l’occasion.

 

Que dire aussi de l’excellent Choeur de l’Opéra Grand Avignon, très bien préparé par  Alan Woodbridge ? Qu’il donne à chacune de ses interventions un entrain millimétré, à même de rendre l’énergie populaire propre à l’ouvrage, autour d’une attention notable au niveau de la diction. Très réussie également, la prestation des seconds rôles impressionne par son abattage comique, tout particulièrement les superlatifs Enguerrand de Hys (Pomponnet), avec un juste mélange de tendresse et de ridicule et Matthieu Lécroart (Larivaudière), à juste titre très applaudi également en fin de représentation. On aime aussi la prestation toute d’aisance dramatique du baryton Philippe-Nicolas Martin (Ange Pitou), qui sait porter l’ambivalence de son personnage. Il se montre époustouflant d’aisance dans l’air « Certainement, j’aimais Clairette » – et de séduction dans son ravissant duo avec Mademoiselle Lange, au deuxième acte. Et puis, quel galbe, quelle netteté dans la diction ! Enfin, dans le rôle-titre, la soprano québécoise Hélène Guilmette arrache Clairette aux stéréotypes de la divette, en la rapprochant de Leila des Pêcheurs de perles et de Micaëla, sans rien lui ôter de sa fraîcheur ni de sa gouaille. Son timbre se marie par ailleurs idéalement avec celui de Valentine Lemercier, Mademoiselle Lange physiquement éblouissante, notamment dans le délicieux duo « Jours fortunés de notre enfance ».

 

La mise en scène de Richard Brunel transpose l’action dans les conflits sociaux de la fin des années 1960, afin de restituer la compréhension des enjeux au public d’aujourd’hui, moins connaisseur de la période du Directoire : l’opposition entre monarchistes et républicains prend ici des allures de lutte des classes, avec les bourgeois nantis opposés aux ouvriers contestataires. Le propos est sympathique, sans jamais prendre une ampleur plus élaborée, compte tenu des limites du livret, mais reste surtout séduisant dans son illustration visuelle : l’impressionnante structure métallique imaginée par Bruno de Lavenère donne autant un festival de couleurs que du volume à l’ensemble, permettant à l’énergie des artistes de se déployer sur un espace étendu. Avec le plateau tournant, ce décor astucieux sait aussi réserver quelques surprises, tel que ce cinéma magnifié par la beauté des éclairages variés de Laurent Castaingt, avec plusieurs clins d’oeil savoureux aux films de l’époque (dont ceux de Jacques Demy).

 

 

Un spectacle tout a fait réjouissant pour (bien) clore l’année (lyriquement) !

 

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CRITIQUE, opéra-comique. AVIGNON, Opéra Grand Avignon, les 27, 29 et 31 décembre 2024. C. LECOCQ : La Fille de Mme Angot. H. Guilmette, V. Lemercier, E. de Hys, P. N. Martin… Richard Brunel / Chloé Dufresne.  Toutes les photos © Dominique Jaussein

 

VIDEO : Trailer de « La Fille de Madame Angot » de R. Lecocq selon Richard Brunel

 

 

CRITIQUE, récital. GSTAAD NEW YEAR MUSIC FESTIVAL, Eglise de Rougemont, le 27 déc 2024. Récital lyrique de ROSA FEOLA. Iain Burnside, piano. Rossini, Bellini, Puccini, Verdi…

Situé dans les Alpes Vaudoises entre les régions de Gruyère et Gstaad, le Pays-d’Enhaut constitue une destination riche en découvertes : patrimoniales, écologiques, gastronomiques et… désormais culturelles précisément lyriques et chambristes comme le confirme d’édition en édition, le très convaincant Gstaad New Year music Festival.

 

 

On ne saurait suffisamment souligner la justesse de la Princesse Caroline Murat, directrice artistique, qui sait chaque année surprendre et enchanter grâce aux interprètes ainsi invités. Superbe récital que le concert d’ouverture de cette 19ème édition dans l’Eglise de Rougemont, pleine à craquer ; le ton est déjà donné dès ce démarrage grâce au tempérament entier, franc, immédiat de la soprano italienne ROSA FEOLA… La cantatrice vient de chanter Gilda à l’Opéra de Paris [1er-24 décembre 2024 / Rigoletto dans la mise en scène de Paul Guth]. Les spectateurs la retrouvent ainsi dans un cadre intimiste et enneigé, d’autant plus que l’église de Rougemont s’avère bénéfique : son acoustique même réverbérée ne dilue pas le relief spécifique du chant ni les détails du jeu pianistique. Photos :© Patricia Dietzi / 19ème Gstaad New Year Music Festival 2024-2025

 

Très à son aise, la diva italienne occupe tout l’espace, suggère la situation dramatique dans des attitudes très justes. Rosa Feola affirme un tempérament audacieux ; se révèle chez elle une sensibilité vocale taillée pour la prière éperdue comme la facétie conquérante… C’est tout le propos des 3 pièces du début qui jouent de l’art de la suggestion et du faussement badin : « La Regata veneziana » d’un Rossini, à la fois mordant et séduisant, d’une suavité tendre, jamais superficielle. Outre la beauté séduisante du timbre s’affirme une gestion du souffle admirable et ce soin particulier réservé à chaque dernière note, soutenue, portée au-delà de l’habituel.

 

Sa Mimi inaugure une série d’incarnations lyriques de plus en plus convaincantes ; elle ne manque ni de charme ni de juvénile candeur, et a toutes les qualités d’une jeune femme qui s’ouvre à l’amour, à sa première rencontre avec le poète Rodolfo. Rosa Feola exprime avec justesse la naissance du sentiment amoureux. Belle volubilité qui fait passer ensuite à la dignité conquérante de la Semiramide de Rossini dont « Bel Raggio lusinghier » démontre agilité et caractère, couleurs et puissance dans un style plus aristocratique, plus altier et fier, mais d’une égale tendresse.

 

 

 

Là encore, la cantatrice affirme ce chant viscéral qui semble traverser tout son corps, réalisant alors une vocalité des plus ardentes, sincère, organique, superbement habitée.
Après un bref intermède – où son complice, le pianiste Iain Burnside, brille par sa fluidité suggestive (« Improvisation », extrait des 10 pièces pittoresques n°8 d’Emmanuel Chabrier), voici les « Tre pezzi » opus 84 du moins connu Giuseppe Martucci ; la séquence permet de mesurer toute l’onctuosité expressive de la chanteuse entre ferveur et élévation, avec une justesse troublante de l’intonation dans la pièce centrale (« Pianto antico »), exprimant cette douleur ciselée, sur le souffle, auquel succède l’intériorité comme blessée de « Nevicata », ultime volet, entre gravitas et souplesse, d’un triptyque ainsi particulièrement convaincant.

En français, l’air de Lia « Azael, pourquoi m’as tu quittée? » de la cantate pour le Prix de Rome, « L’Enfant prodigue », révèle avec plus d’évidence encore, la somptuosité du timbre au service d’une sensibilité passionnée. Rosa Feola souligne combien le jeune Debussy n’a rien à envier à Massenet. Puis, la diva captive en souffle et nuances, dans deux airs qui exigent autant d’intériorité que de technique vocale : « Casta diva », suspendu et respirations très justes là encore ; puis « E strano ! » qui convoque une Traviata touchante par sa vérité émotionnelle : puissance, intensité, nuances. Rien ne manque au belcanto de Rosa Feola. La diva régale l’auditoire réuni à Rougement en chantant en bis final, une chanson italienne, claire référence à ses attaches personnelles pour le répertoire napolitain. La cantatrice italienne ouvre de bien belle façon le Festival concocté par la princesse Caroline Murat. De nombreux autres événements lyriques attendent les festivaliers au Pays d’En-Haut, jusqu’au 11 janvier 2025.

 

 

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VIDÉO : la soprano Rosa Feola ouvre le 19ème GSTAAD NEW YEAR MUSIC FESTIVAL (RTS journal du 28 déc 2024 / 19h30) :

https://www.rts.ch/play/tv/19h30/video/la-soprano-italienne-rosa-feola-ouvre-le-new-year-music-festival-de-gstaad-dans-la-boheme?urn=urn:rts:video:15381269

 

approfondir : présentation

 

LIRE aussi notre présentation annonce du 19è GSTAAD NEW YEAR MUSIC FESTIVAL 2024-2025 : https://www.classiquenews.com/gstaad-suisse-gstaad-new-year-music-festival-gnymf-du-27-decembre-jusquau-11-janvier-2025-jonathan-tetelman-elina-garance-sonya-yoncheva-michele-lariviere-bohdan-luts-karen-kuronu/

 

 

 

PARIS, INVALIDES, jeudi 23 janvier 2025. «  Ici Londres » : Beethoven, Bizet, Chausson, Ravel… Orchestre symphonique de la Garde républicaine, Svetlin Roussev, violon / Bastien Stil, direction

LONDRES, Royal Albert Hall, le 4 avril 1943… Capitale de la résistance européenne, Londres devient le quartier général des chefs des Nations alliées.

 

L’Orchestre symphonique de la Garde républicaine restitue le programme de la soirée musicale organisée le dimanche 4 avril 1943, avec le violoniste Yehudi Menuhin en soliste, au prestigieux Royal Albert Hall de Londres ; la soirée musicale était à l’initiative du délégué général de la France combattante, au nom des Amis des volontaires français. Dans le sillon du légendaire Yehudi Menuhin, Svetlin Roussev relève les multiples défis du programme ; les pièces choisies composent une redoutable prestation violonistique, dont l’envoûtant Poème de Chausson qui fait suite au bouleversant Concerto de Beethoven.

 

La programmation associe à Beethoven, plusieurs perles françaises (dont l’exceptionnel Poème d’Ernest Chausson) témoignent d’une poignante aspiration à la réconciliation franco-allemande et à la paix, grâce à la musique. Poème de Chausson… « Poème » de Chausson est l’un des chefs d’œuvre de l’élève immensément doué de Franck, Ernest Chausson signe alors en 1896, une œuvre aussi bouleversante et énigmatique que la mythique Sonate de Vinteuil. Sa matière hallucinée, produit d’une romantisme exacerbé [son titre originel était « chant de l’amour triomphant »] mais ici plus sombre comme empoisonné que réellement tendre, annonce directement dans le feu intense, entre songe féerique et envoûtement, leurs crépitements expressifs et crépusculaires… Les plus grands interprètes font du Poème, une source poétique riche, aux climats impénétrables, le miroir d’un vague à l’âme, une brume entêtante, fruit d’un état second entre hypnose ou ivresse, support à maintes visions postromantiques voire surréalistes…

 

Programme :
La Marseillaise
Bizet, Patrie, Ouverture
Beethoven, Concerto en ré majeur, pour violon et orchestre
Ravel, Pavane pour une infante défunte
Chausson, Poème, opus 25, pour violon et orchestre
Berlioz, Le Carnaval romain, Ouverture

 

Distribution
Orchestre symphonique de la Garde républicaine
Bastien Stil, direction
Soliste : Svetlin Roussev, violon

 

 

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Jeudi 23 janvier 2025, 20h
INVALIDES, Cathédrale Saint-Louis :
Infos & réservations directement sut le site des INVALIDES, saison musicale 2024 – 2025 : https://www.musee-armee.fr/au-programme/cette-semaine-au-musee/detail/ici-londres.html
Revivez l’émotion d’une soirée historique au Royal Albert Hall de 1943, où le violoniste Yehudi Menuhin se produisait pour soutenir la résistance.

 

 

Important
Accès unique pour les concerts de 20h par le 129 rue de Grenelle (Face au pont Alexandre III).
Il est nécessaire d’acheter ses billets à la billetterie sur place de 10h à 17h30 ou en ligne
lien direct billetterie Invalides, saison musicale : https://billetterie.musee-armee.fr/fr-FR/accueil?_gl=1*17j19j1*_gcl_aw*R0NMLjE3MzQ2MTYwNDIuQ2p3S0NBaUFwWS03QmhCakVpd0FRTXJyRWVsU2ctVnlObDNqMVlubFp5OXJvVUpxdHBpYUxwUHhoaHhpZ1dSblhfOW1sQTJJYWhvM3pCb0NGQkFRQXZEX0J3RQ..*_gcl_au*MzEwMTYxNTk4LjE3MzAyMDg2OTA.

 

CRITIQUE, opéra. LYON, opéra de Lyon (du 11 au 29 décembre 2024). ROSSINI : Il Turco in Italia. S. Blanch / G. Gianfaldoni, A. Sampetrean, A. Kent, F. Sempey… Laurent Pelly / Giacomo Sagripanti

Ce n’est pas une sempiternelle opérette qui clôt l’année à l’Opéra de Lyon,Richard Brunel lui a préféré un opéra (drôle) de Gioacchino Rossini, Il Turco in Italia, en faisant appel au très farceur Laurent Pelly pour la mise en scène (on se rappelle d’un hilarant Comte Ory en 2014 in loco…), et l’on pouvait compter sur lui pour parer le spectacle de couleurs “festives”.

 

L’homme de théâtre français transpose ainsi l’action dans l’Italie des Seventies, où Fiorilla s’échappe de la grisaille de sa vie avec Don Geronio dans un pavillon de banlieue en se noyant dans les romans-photos nés en Italie à la même époque. C’est de l’un d’eux, mais plus encore de sa fertile imagination, que Selim jaillira, tout de blanc vêtu et poitrail à l’air, dans une scène qui provoque l’hilarité du public. Avec la fidèle Chantal Thomas, il imagine une scénographie constituée de pages de magazines, tandis que des cadres blancs descendent des cintres, pour immortaliser certaines poses des protagonistes. Autre grand moment de la soirée, celui du grand imbroglio de l’acte II, quand les différents couples, vêtus de la même façon se démultiplient à l’infini, en mimant les mêmes gestes saccadés, exemple typique de folie absurde toute “pellyienne”. 

 

Dans le rôle-titre, le baryton roumain Adrian Sampetrean se montre parfaitement à l’aise dans cette difficile écriture rossinienne destinée à une basse-colorature : il y fait étalage de l’extraordinaire verve scénique et vocale que nous lui connaissons. Souffrante, la soprano catalane Sara Blanch s’est vue contrainte de mimer le rôle, pendant que sa consoeur italienne Giuliana Gianfaldoni chantait la partie de Fiorilla, côté cour. L’une scéniquement comme l’autre vocalement, les deux sopranos confèrent à leur personnage toute la gaieté insouciante, l’arrogance, la pétulance et l’espièglerie de cette femme mariée à un homme bien plus âgé qu’elle, en quête d’aventures épicées. Et Gianfaldoni se joue des pièges de sa partition, s’affirmant avec autant d’éclat dans son grand air du deuxième acte que dans celui qu’elle délivre à la fin du premier. Dans le rôle de Narcisso, le ténor britannique Alasdair Kent possède également un timbre séduisant, à la technique sûre, mais la voix manque néanmoins de l‘italianità requis par sa partie. 

 

 De son côté, notre baryton “national” Florian Sempey n’a pas de mal à faire du poète Prosdocimo le maître d’œuvre du spectacle, en adhérant avec une formidable conviction à ce personnage d’impresario sans scrupule, qui manipule son entourage au gré de sa fantaisie et des caprices de son imagination, avec une voix toujours plus éclatante de santé et de verve. De son côté, le vétéran italien Renato Girolami ne manque pas d’impressionner dans le rôle de Don Geronio, ce cocu magnifique à la fois comique et touchant, auquel il apporte son art consommé du chant sillabato. Saluons enfin les prestations de la mezzo Jenny Anne Flory, qui confère beaucoup de fraîcheur, mais aussi de précision, au rôle de Zaïda, quand le ténor letton Filipp Varik (Albazar), également membre de l’Opéra Studio de l’Opéra de Lyon, se tire avec honneur de ses quelques interventions.

 

En fosse, sous la battue pleine de panache du chef italien Giacomo Sagripanti, l’Orchestre national de l’Opéra de Lyon crépite d’allégresse, irrésistible et « spumante » comme un grand verre d’Asti.

Un spectacle parfait pour les Fêtes !

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CRITIQUE, opéra. LYON, opéra de Lyon (du 11 au 29 décembre 2024). ROSSINI : Il Turco in Italia. A. Sampetrean, S. Blanch, A. Kent, F. Sempey… Laurent Pelly / Giacomo Sagripanti. Toutes les photos © Paul Bourdel

 

VIDEO : Trailer du « Turc en Italie » selon Laurent Pelly à l’Opéra de Lyon

 

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-grains («Les Grands Interprètes »), le 21 décembre 2024. PROKOFIEV / SCRIABINE / RAVEL/ MENDELSSOHN. Martha Argerich, Akane Sakai et Ido Zeev (piano), Tedi Papavrami (violon), Jing Zhao (violoncelle)

Martha Argerich a plus de 80 ans. Elle entretient la flamme de la musicalité la plus pure depuis l’âge de ses 5 ans. Toute sa vie est musique. La voire si alerte et heureuse de faire de la musique pour son public avec ses amis est une chose merveilleuse, un véritable trésor. Depuis que Martha Argerich a décidé de chasser le trac paralysant en ne jouant plus seule sur scène, elle garde, telle une vestale, la flamme du piano fait musique.

 

Une carrière généreuse de par le monde, le Festival de Lugano durant des années et, depuis peu le festival de Hambourg, lui permettent de partager la musique avec des pairs choisis. De vieux amis dont Nelson Freire, trop tôt disparu, comme de très jeunes talents qu’elle propulse sur le devant de la scène. En fait, toutes les générations de musiciens se retrouvent autour d’elle, toujours si charismatique. Répondant présente à l’invitation des Grands Interprètes, Martha Argerich propose un exemple parfait de ce mélange de générations de musiciens qu’elle affectionne. Le début du programme associe Martha Argerich et Akane Sakai, chacune à un piano pour une étrange adaptation de la Symphonie classique de Prokofiev. Cette partition de Riyaku Terashima a été écrite pour Martha Argerich et ses amis. L’entente entre les deux pianistes basée sur une longue collaboration est visible. Elle se sont connues à Lugano et actuellement codirigent le festival de Hambourg. Le style de chacune est complémentaire. Brillante, virtuose et audacieuse la pianiste d’origine japonaise joue souvent les notes les plus aiguës. Martha est plus souple, féline, mais pas moins virtuose. Elle assure souvent une structure rythmique impeccable. Peu satisfaite du dernier mouvement, Martha négocie quelque temps avec sa partenaire et les deux pianistes reprennent avec plus de fougue et de folie ce mouvement si spectaculaire.

Avec Tedi Papavrami, Martha Argerich forme un duo amical de longue date. Leur interprétation de la Deuxième sonate de Prokofiev ce soir semble sage et d’une grande élégance. Les sonorités sont superbes chez le violoniste, les phrasés subtiles et la virtuosité est mise au service de la musicalité. La pianiste semble très à l’écoute de son partenaire elle aussi plus sage que d’habitude. Finalement il naît un équilibre entre ses deux œuvres de Prokofiev dans la première partie.

En deuxième partie de soirée, le pianiste israélien Ido Zeev se lance avec panache dans la Deuxième sonate de Scriabine. C’est un piano puissant, capable de nuances très subtiles et d’un rythme implacable. Pour la suite, le pianiste de 25 ans nous propose une paraphrase de son cru bien d’avantage qu’une transcription de la Pavane de Maurice Ravel écrite originalement pour violon et piano. Sachant Tedi Papavrami dans la coulisse (ainsi que Martha Argerich), certains ont pu regretter un moment la version originale. L’engagement total du jeune pianiste nous convainc de sa valeur. Le début de cette adaptation est fait avec la seule main gauche. Une puissance tellurique s’en dégage. Puis, avec une virtuosité assumée et jubilatoire, le pianiste déploie des moyens phénoménaux. Le final propose un rythme carrément diabolique.

Pour finir le concert en apothéose Martha et Tedi sont rejoints par la violoncelliste de grand talent Jing Zhao. Le Trio de Mendelssohn n°1 op.49 est une vaste pièce au romantisme assumé. Le dialogue entre les musiciens est d’une grande subtilité et tous les affects musicaux possibles nous sont proposées par une si belle interprétation : la flamme amoureuse, le pathos mais également l’élégie et la mélancolie. Le Scherzo est un des plus magiques de Mendelssohn. Il sera d’ailleurs bissé encore plus gracieux et virtuose. Cette apothéose de musique chambriste ravi le public. Cette véritable fête musicale se termine avec une adaptation à six mains sur un seul piano d’une Etude de Rachmaninov.

Le charisme musical de Martha Argerich est intact. Ayons une petite pensée pour le grand ami de Martha, le violoncelliste Mischa Maisky, qui devait l’accompagner dans une série de concerts dont celui de Toulouse. Espérons que sa santé se remettra au plus vite…

 

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CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-grains («Les Grands Interprètes »), le 21 décembre 2024. PROKOFIEV / SCRIABINE / RAVEL/ MENDELSSOHN. Martha Argerich, Akane Sakai et Ido Zeev (piano), Tedi Papavrami (violon), Jing Zhao (violoncelle). Crédit photo © Adriano Heitman

CRITIQUE, Opéra-Ballet. PARIS, Théâtre national de l’Opéra Comique (du 13 au 21 décembre 2024). RAMEAU : Les Fêtes d’Hébé. E. de Negri, M. Mauillon, L. Desandre, C. Auvity…. Robert Carsen / William Christie

Pour la période des Fêtes, l’Opéra-Comique régale le public parisien en proposant une nouvelle production d’une oeuvre rare de Jean-Philippe Rameau, avec les Arts Florissants en fosse, dirigés par leur fondateur William Christie (dont on fête les 80 ans en ce mois de décembre 2024!). Le chef paraît à fait à son aise dans un répertoire qu’il connaît parfaitement, et retrouve un complice de longue date… le metteur en scène canadien Robert Carsen !

 

Opéra-ballet premier dans la catalogue du divin Rameau, « Les Fêtes d’Hébé ou Les Talents lyriques » affirment, dès 1739, un genre éclectique entre théâtre, chant et danse. C’est un type de spectacle dont la diversité des « entrées » pose un problème immédiat de cohésion ; pourtant, ici, le plan est simple et logique : les 3 entrées célèbrent les talents artistiques ainsi associés (poésie avec Sapho / musique avec Iphise et Tyrtée / danse avec Eglé). Peu d’interprètes comprennent la spécificité du genre dont l’unité découle surtout de la toute puissante musique : ses rythmes, ses rebonds, son activité réalisant le lien qui en unit toutes les parties. Sur le plan vocal s’affirme peu à peu la Sapho / Iphise de la mezzo franco-italienne Lea Desandre, vocalement très à l’aise, à la présence scénique aussi naturelle qu’évidente. Mais reconnaissons notre préférence pour l’Hébé, aussi affirmée que subtile, de l’excellente Emmanuelle de Negri, malheureusement absente dans la 2ème entrée : la soprano excelle à caractériser la figure centrale d’Hébé, déesse de la jeunesse.

 

Même sentiment pour le non moins crédible Cyril Auvity, hélas trop peu présent sur la scène, tandis que le Mercure de Marc Mauillon (entrée III) assume timbre et articulation si spécifiques au messager facétieux des dieux… ici déguisé en berger pour mieux tromper et ravir la belle Églé. La direction du grand « Bill » reste fidèle à elle-même, efficace avec de beaux passages, en particulier dans la veine héroïque et majestueuse de la 2ème entrée (apologie de la musique) où Rameau se montre particulièrement inspiré. C’est d’ailleurs cette entrée alliant dramatisme, vivacité et rythme dansant, qui fonde le succès immédiat de l’opéra (sans omettre le très bel air d’Iphise, l’un des plus émouvants de la littérature ramélienne).

 

Avouons en revanche notre réserve quant à la mise en scène de Robert Carsen, lequel nous avait habitué à davantage d’esthétisme comme de finesse. L’homme de théâtre collectionne tous les poncifs dans l’air du temps, au risque de sacrifier à la facilité, ce qui voisine souvent avec un goût douteux : pendant tout le Prologue, les acteurs n’arrêtent pas de se prendre en selfies devant le Palais de l’Élysée (avec apparition du couple présidentiel…), tandis que Vénus y est caricaturée en… influenceuse des réseaux sociaux. Les idées tournent vite à vide et les « trouvailles » restent des gadgets anecdotiques. Pas sûr que cette actualisation, répétitive à outrance, serve au mieux le théâtre de Rameau…

 

 

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CRITIQUE, Opéra-Ballet. PARIS, Théâtre national de l’Opéra Comique (du 13 au 21 décembre 2024). RAMEAU : Les Fêtes d’Hébé. E. de Negri, M. Mauillon, L. Desandre, C. Auvity…. Robert Carsen / William Christie

Les Talens Lyriques. Haendel : Orlando (nouvelle production). PARIS, Théâtre du Châtelet, du 23 janvier au 2 février 2025. Katarina Bradić… Jeanne Desoubeaux / Christophe Rousset

Les Talens Lyriques servent l’un des piliers de leur répertoire : le théâtre de Haendel. Le spectacle est d’autant mieux défendu qu’il propose une représentation éloquente du labyrinthe humain où se croisent folie et amour…

 

L’opéra de Haendel créé le 27 janvier 1733 au King’s Théâtre de Londres, représente la trajectoire du Roland furieux de Roncevaux, tirées de l’Orlando furioso de L’Arioste (poète italien, 1474-1533). La folie de Roland (dans cette production parisienne, la contralto Katarina Bradić), est ce guerrier détruit face à la puissance de l’amour ; fidèle au réalisme parfois cynique de L’Arioste, l’ouvrage de Haendel brosse l’errance d’un être saisi, atteint, profondément fragilisé. A la création, c’est le castrat légendaire Senesino (grand rival de Farinelli) qui incarne le fier et vaillant paladin, cœur démuni qui découvre l’infidélité de son Angélique, partie avec son rival Medoro… Haendel exprime la chute émotionnelle de son héros dans une écriture qui se fond à la force du texte, passant du récitatif à l’arioso… avec une acuité psychologique aiguë que la musique enrichit.

 

Selon son goût et aussi une tradition avérée (Medoro à la création est finalement chanté par une femme et non un castrat), Christophe Rousset préfère les voix féminines aux falsettistes. Timbre, rondeur, souplesse naturelle… l’option paraît aujourd’hui plus crédible. Haendélien reconnu, le fondateur des Talens Lyriques aborde pour la première fois Orlando. Dans cette nouvelle production, la metteur en scène Jeanne Desoubeaux imagine au début de l’action, la visite d’un groupe d’enfants dans un musée, faisant voyager de façon magique du passé au présent…

 

ORLANDO… la figure du chevalier fou, vainqueur et pour le moins preux et loyal au combat, mais détruit par l’amour a inspiré avant Haendel par Vivaldi qui lui dédie pas moins de deux ouvrages passionnants et musicalement flamboyants (Orlando finto pazzo puis Orlando furioso, 1714). Les deux opus vivaldiens ont été abondamment réalisés et enregistrés, fers de lance des baroqueux les plus exigeants.
19 ans plus tard, Haendel à Londres entend affirmer sa propre voie dramatique et lyrique au moment où Rameau scandalise et révolutionne milieu et histoire de la musique avec son inclassable Hippolyte et Aricie (1733). La folie de Roland / Orlando est d’autant plus déchirante que le guerrier fidèle aime vainement Angelica, laquelle lui préfère le Maure Medoro… Une attraction qui trahit aussi le sens de son combat contre les Sarrasins.
Mais en pourchassant celle qui la trahit et son amant détestable, Roland apprend les dangers de sa force, les dérèglements que causent sa folie. Retrouvant la raison, le paladin maître de ses passions, peut enfin se dédier au seul combat qui donne un sens : la guerre contre l’ennemi. Le sujet offre aux compositeurs de traiter toutes les nuances de la palette psychologique, toutes les émotions les plus ténues dont est capable le cœur humain. Haydn traitera également le sujet du labyrinthe amoureux où se perd Oralndo dans un opéra remarquablement conçu lui aussi, créé à laCour des princes Esterhazy en déc 1782.

 

 

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Paris, Théâtre du Châtelet
Du 23 janvier au 2 février 2025
6 représentations
jeudi 23 janvier 2025, 19h30
samedi 25 janvier 2025, 15h
lundi 27 janvier 2025, 19h30
mercredi 29 janvier 2025, 19h30
vendredi 31 janvier 2025, 19h30
dim 2 février 2025, 15h

Infos & réservations sur le site des Talens Lyriques : https://www.lestalenslyriques.com/event/orlando/

 

 

Georg Friedrich Händel (1685-1759)
Opéra en trois actes sur un livret de Carlo Sigismondo Capece, d’après l’Orlando furioso de l’Arioste, créé le 27 janvier 1733 au King’s Theatre de Londres. Dramma giocoso en deux actes sur un livret de Lorenzo da Ponte, créé le 26 janvier 1790 au Burgtheater de Vienne.

Nouvelle production Théâtre du Châtelet – Coproduction Théâtre de Caen, Grand Théâtre du Luxembourg, Opéra National de Lorraine

Mise en scène : Jeanne Desoubeaux – 
Scénographie : Cécile Trémolières – 
Costumes : Alex Costantino – 
Lumières : Thomas Coux dit Castille – 
Chorégraphie: Rodolphe Fouillot

 

DISTRIBUTION
Katarina Bradić : Orlando
Siobhan Stagg : Angelica
Elizabeth DeShong : Medoro
Giulia Semenzato : Dorinda
Riccardo Novaro : Zoroastro
Les Talens Lyriques
Christophe Rousset, direction et clavecin

 

VIENNE. Les musiciennes de l’Orchestre Philharmonique fondent La Philharmonica et proposent un autre concert du Nouvel An…

Alternative et féministe, l’offre nouvelle (« La Philharmonica« ) entend dénoncer la misogynie ancrée au sein de l’Orchestre Philharmonique de Vienne ; un phénomène déjà dénoncé depuis plusieurs années, et à chaque édition nouvelle du concert du Nouvel An, rendez-vous médiatique le plus important du calendrier, quand se pose la question si le concert sera enfin dirigée par une cheffe d’orchestre.

 

 

Ce n’est pas les excellentes maestras qui manquent à présent… de même, le concert retransmis dans plus de 90 pays, ne comporte aucune partition de compositrices… un comble surprenant ; c’était sans compter ce prochain programme, du 1er janvier 2025, où Riccardo Muti dirigera les instrumentistes dans une œuvre signée de la compositrice viennoise Constanze Geiger … (une première absolue pour ce 1er janvier 2025 : il était temps). LIRE notre annonce présentation du Concert du NOUVEL AN à VIENNE, le 1er janvier 2025 : https://www.classiquenews.com/vienne-musikverein-concert-du-nouvel-an-mercredi-1er-janvier-2025-orchestre-phil-de-vienne-wiener-philharmoniker-riccardo-muti-direction/ – Or la phalange la plus prestigieuse au monde, non sans raison, semble s’obstiner à n’inviter que des hommes… et ne programmer que des œuvres de compositeurs.

 

Voilà pourquoi « LA PHILHARMONICA » propose un concert alternatif où 7 musiciennes (cordes et vents) du Wiener Philharmoniker, présentent leur propre récital à la Ehrbar Saal de Vienne (le 1er janvier 2025 à 16h). Au programme plusieurs compositrices dont les œuvres alternent avec les valses emblématiques et de circonstance de Johann Strauss II dont 2025 marque le bicentenaire de la naissance.

 

 

LA PHILHARMONICA
Lara Kusztrich et Adela Frăsineanu-Morrison (violon),
Ursula Ruppe (alto),
Ursula Wex (violoncelle),
Anna Gruchmann (contrebasse),
Andrea Götsch (clarinette),
Sophie Dervaux (basson)

 

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Dans les faits, le Philharmonique de Vienne en regroupait jusqu’en 1997 que des hommes. Il ne comprend que 24 femmes (14 violons, 2 altos, 2 violoncelles, une contrebasse, 2 harpes, une flûte, une clarinette et un basson) parmi les quelques 145 membres de l’orchestre. La Philharmonica entend ainsi dénoncer la misogynie factuelle qui règne au sein de l’orchestre le plus prestigieux au monde. La parité au sein des pupitres, le choix de nommer des cheffes d’orchestre à la direction musicale ou à la tête de nouveaux projets symphoniques, de même que la présence de compositrices au sein des programmes et concerts planifiées … demeurent toujours de vains mots, de vagues intentions… A suivre.

 

 

GSTAAD (Suisse). GSTAAD New Year Music Festival / GNYMF, du 27 décembre jusqu’au 11 janvier 2025. Jonathan Tetelman, Elina Garança, Freddie De Tommaso, Lise Davidsen, Sonya Yoncheva, Michèle Larivière, Bohdan Luts, Karen Kuronuma…

La Princesse Caroline Murat,  directrice artistique du Festival suisse, mais aussi pianiste accomplie, invite chaque hiver la crème de la scène musicale internationale à Gstaad, Rougemont, Lauenen, Saanen… dans le Saanenland, où les cimes enneigées, les paysages alpins, et les immanquables chalets authentiques composent un cadre féerique, idéal pour les fêtes de fin d’année et pour l’avènement de l’an neuf.

 

Le cycle propose une vingtaine de programmes des plus réjouissants dont l’Orchestre et le Choeur de l’Opéra Royal de Versailles, acteurs de deux soirées très attendues [des 2 puis 3 janvier]… Parmi les autres temps forts et les rendez-vous incontournables de cette 19è édition, vertiges lyriques avec la soprano ROSA FEOLA (ven 27 déc, 19h), ELINA GARANCA et JONATHAN TETELMAN (sam 28 déc, église de Saanen, 19h) ; SONYA YONCHEVA (chants de Noël, jeu 2 janvier 2025), LISE DAVIDSEN et FREDDIE DE TOMMASO (ven 3 janvier 2025), sans omettre l’art de diseur du très grand schubertien, ANDRE SCHUEN (sam 4 janvier 2025)… emboitant le pas au légendaire Dietrich Fischer Dieskau, source d’inspiration de sa lecture du Chant du cygne…

Les amoureux de musique de chambre pourront tout autant se délecter d’une collection de programmes prometteurs : Sara Isabelle Ispas (violon) et Bohdan Luts (violon) avec la GNYMF Camerata (7 janvier 2025, église de Lauenen), Karen Kuronuma (piano, récital le 8 janvier 2025), soirée Brahms (Sergey Ostrovsky, violon) et Natalia Morozova (piano, jeudi 9 janvier 2025) ; Virgil Bouteilles-Taft, violon et Anaïs Cassiers, piano (ven 10 janvier 2025), enfin « Rhapsody in Blue », hommage à Quincy Jones par Paul Lay, piano (avec Clemens Van Der Feen, contrebasse et Donald Kontomanou, batterie), église de Rougemont, le 11 janvier 2025.

 

Vous ne manquerez pas non plus la conférence de Michèle Larivière avec Christophe Crapez (ténor) et Nicolas Boyer-Lehmann (piano) sur le thème des « Médailles d’art des Jeux Olympiques », ven 3 janvier 2025, 15h, grande salle du Château d’Œx. En somme, cette nouvelle édition du GSTAAD New Year Music Festival propose l’opportunité de vivre cette fin d’année et le début de 2025, dans un cadre des plus préservés et même des plus enchanteurs. Irrésistible. En 2025 / 2026, le festival soufflera ses 20 ans, songez à réserver dès à présent votre séjour à cette occasion.

 

 

Infos & réservations directement sur le site  du GSTAD New Year Music Festival : https://gstaadnewyearmusicfestival.ch/

 

PARIS, Espace Bernanos. Récital d’Etsuko HIROSE, piano, sam 25 janvier 2025. Rimsky-Korsakov : nouvelle transcription de Shéhérazade (version originale d’Etsuko Hirose)…

Son précédent disque avait particulièrement convaincu la Rédaction de Classiquenews : une collection de joyaux pianistiques remarquablement réalisés révélant l’inspiration fluide et aérienne de Moszkowski ; sans artifices ni effets de manchette, l’art de la japonaise ETSUKO HIROSE (1er Prix du Concours Marta Argerich 1999), née à Nagoya, captive car sa fabuleuse technicité digitale sert exclusivement l’essence des pièces. Son art épuré, entre clarté et transparence, sait écarter toute théâtralité,révélant une musicalité souvent fascinante.

 

Son nouvel album (à paraître en janvier 2025 – 1 cd dana cord) comprend deux morceaux ambitieux et aussi puissants qu’originaux : la version pour piano de la Suite « 1001 nuits » du ballet signé Sergei Bortkiewicz (1877 – 1952) ; surtout la sublime Shéhérazade de Rimsky-Korsakov (1844 – 1908), certes très connue mais ici abordée dans une forme méconnue et même inédite : la Suite Symphonique, déduite du ballet et transcrite pour piano par Etsuko Hirose elle-même.

 

A l’occasion du lancement de ce nouvel album intitulé logiquement « Shéhérazade », Etsuko Hirose joue sa transcription de Shéhérazade, mais aussi plusieurs œuvres de 3 auteurs du groupe « les Douze » : Tiziana de Carolis, Béatrice Thiriet, Henri Nafilyan…

 

 

 

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PARIS, Espace Bernanos
4 rue du Havre 75009 Paris

SAMEDI 25 JANVIER 2025, 17h30
Récital de la pianiste ETSUKO HIROSE
à l’occasion de son nouvel album « Shéhérazade »

Programme
Tiziana de Carolis : Sens & sensibility, Androgynous
Béatrice Thiriet : La Nuit
Henri Nafilyan : Noèmes
Compositeurs et compositrices du groupe « Les Douze »

Rimsky-Korsakov : Shéhérazade, transcription pour piano
version transcription originale d’Etsuko Hirose

Tarif unique : 10 euros

 

Infos et réservations : Les Amis du conservatoire de musique Marietta Alboni
helloasso.com/les Amis du conservatoire de musique Marietta Albani

En LIRE plus sur le site officiel de la pianiste ETSUKO HIROSE : https://www.etsukohirose.com/

VIDÉOS : https://www.youtube.com/channel/UCib5FOal2BQOd7bBfIFfdQQ

 

 

 

 

prochain concert

NANTES, La Folle Journée, 30 janvier 2025

Saint-Saëns : Le Cygne
Mahler : Quartettsatz en la mineur, 1er mvt.
Chaminade : Les Sylvains op.60
Massenet : Méditation de Thaïs
Fauré : Quintette pour piano et cordes no.1 op.89, 1er mvt.

avec le Psophos Quartet

 

 

 

approfondir

 

SERGUEI BORTKIEWICZ, de Kharkiv à Vienne…
L’ukrainien Sergei Bortkiewicz, né à Kharkiv, étudie la musique au Conservatoire impérial de Saint-Pétersbourg auprès de Van Arc (piano) et Lyadiv (théorie musicale) ; puis rejoint Leipzig où il suit l’enseignement d’un élève de Liszt, Reisenauer, avant de décrocher le prestigieux Prix Schumann en 1903. Les tensions nées pendant la première guerre mondiale l’obligent à quitter l’Allemagne pour rejoindre l’Ukraine ; mais sa famille perd toutes ses propriétés suite à la Révolution de 1917. Bortkiewicz rebondit en Turquie où il parvient à donner de nombreux concerts, rejoint Vienne en 1922, Berlin en 1928 où russe, il est de nouveau pourchassé par les nazis. Il est heureux de dédier partie du programme à son œuvre laquelle fut écartée systématiquement et même perdue à cause des bombardements alliés sur Leipzig. Après la guerre, Bortkiewicz obtint un poste au Conservatoire de Vienne : un grand concert hommage lui fut consacré en février 1952, pour ses 75 ans au Musikverein de Vienne. Enfin reconnu, le compositeur – pianiste tant de fois éprouvé s’éteignit le 25 octobre 1952.
Son ballet des 1001 nuits fut créé dans sa version orchestrale en 1927. Le cycle des 10 séquences très contrastées, débute par le portrait du Calife Haroun al-raschid, souverain de l’Empire abbasside.

 

 

GENEVE, Grand Théâtre. Soirée viennoise NOUVEL AN, mardi 31 déc 2024. Camilla Nylund, Orchestre Symphonique Bienne Soleure, Yannis Pouspourikas (direction). Johann Strauss II, Lehar…

A l’invitation du Grand Théâtre de Genève, la soprano finlandaise Camilla Nylund vient valser pour mieux célébrer le passage vers l’an 2025.

 

D’autant que cette nouvelle année marque le 200ème anniversaire de la naissance de Johann Strauss Fils, comme son père, roi de la valse viennoise et aussi raffiné et inspiré que son frère (le trop méconnu) Josef, orfèvres tout deux d’une orchestration ciselée. Quoi de plus indiqué pour fêter l’entrée dans le deuxième quart du 21e siècle que les airs charmants, entêtants, élégants, inoxydable d’une Vienne légendaire que le clan Strauss incarne au plus haut niveau ? Serviteurs des Strauss, ainsi que du compositeurs Franz Lehár (autre génie de l’opérette), les instrumentistes de l’Orchestre symphonique de Bienne Soleure jouent en complicité sous la baguette de leur chef principal, Yannis Pouspourikas.

 

À Genève, Camilla Nylund a maqué les esprits dans Rusalka. Partout dans le monde entier, la soprano est à la maison chez Strauss et Wagner mais elle excelle aussi à chanter la magie de la tradition autrichienne : n’a-t-elle pas été nommée en 2019, « Kammersängerin » à l’Opéra de Vienne? Un couronnement mérité pour la soprano dramatique qui dévoilera ainsi l’étendue de ses qualités à Genève.

 

 

Concert de Nouvel An / Une soirée à Vienne
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Grand Théâtre de Genève
Soirée spéciale NOUVEL AN
mardi 31 déc 2024, à partir de 19h30

Informations et réservations directement sur le site du Grand Théâtre de Genève :https://www.gtg.ch/saison-24-25/concert-de-nouvel-an-une-soiree-a-vienne/

 

Camilla Nylund, soprano
Orchestre symphonique Bienne Soleure TOBS!
Yannis Pouspourikas, direction musicale

Valses, polonaises, airs et polkas de Johann Strauss II, Franz Lehár et Emmerich Kálmán.
Durée : approx. 2h avec un entracte inclus

 

 

Dîner de Gala

Réveillonnez au Grand Théâtre à l’issue du programme viennois. Pour le 31 décembre 2024, le Grand Théâtre de Genève propose une soirée de réveillon exceptionnelle dans une ambiance festive et conviviale. À l’issue du concert, un dîner de Gala vous attendra dans le Grand Foyer pour un passage inoubliable dans la nouvelle année !
OFFRE spéciale : concert + dîner d’après spectacle (dîner de réveillon) : CHF 267 – réservez ici : https://billetterie.gtg.ch/selection/package?productId=10229209474129

 

 

MENU DÎNER DE GALA : bon appétit !

Le menu est disponible également en option végétarienne*, il inclut une coupe de champagne à votre arrivée, une coupe de champagne à minuit ainsi que les vins et minérales pour accompagner vos plats.
AMUSE-BOUCHES
1 coupe de Champagne Deutz
Sablé croustillant au chèvre et aux noisettes du Piémont
Cromesquis de cuisse de volaille de Bresse à l’ail noir
Pommes de terre rattes confites, œufs de truite et mayonnaise aux herbes
ENTRÉE
Carpaccio de Saint-Jacques de plongée, rémoulade de navet, bouillon aux agrumes et dashi
Alternative végétarienne : Raviole de céleri-rave à la truffe melanosporum (noire), émulsion café et pickles de céleri
PLAT PRINCIPAL
Filet mignon de veau cuisson basse température, crémeux de pommes de terre à la truffe et jus au poivre long
Alternative végétarienne : Gnocchi de pommes de terre aux champignons, jus de céleri réduit et carpaccio de champignons
DESSERT
1 coupe de Champagne Deutz
Biscuit croustillant à la fleur de sel, ganache de noisette du Piémont et chouchoux
BOISSONS
Eaux minérales et softs
Les Frères Dutruy, Viognier Les Romaines, La Côte, Suisse, 2022
Le Puy, Émilien, Bordeaux, France, 2022
*Il n’est pas possible de mélanger les plats entre la proposition végétarienne et le menu, votre choix doit être précisé au moment de la réservation

CRITIQUE, CD événement. M. A. CHARPENTIER : Noël baroque au temps de Louis XIV. La Capella Reial de Catalunya, Le Concert des Nations, Jordi Savall (1 cd ALIA VOX)

Réalisé en déc 2020 (avec un réglage acoustique exemplaire), ce concert de Noël, conçu à partir des musiques les plus tendres et pastorales du divin Marc-Antoine Charpentier atteste de la justesse musicale de La Capella Reial de Catalunya, du Concert des Nations sous la direction si inspirée de leur fondateur et chef, Jordi Savall.

 

Le chef catalan réunit plusieurs genres sacrés dont Charpentier fait une spécialité plus que convaincante à partir de volets apparemment hétéroclites, mais « résolus » ainsi en un accomplissement autant musical que …spirituel. Pastorale (de 1684), Noëls populaires (en français), Messe (de minuit de 1694) évoquent ainsi en cohérence, une nuit de Noël parmi les plus enchanteresses qui soient, à laquelle comme il a été précisé précédemment, la prise de son apporte sa couleur spécifique : le réglage sonore permet à l’acoustique idéalement réverbérée, de ne rien perdre ni du relief des instruments ni de l’acuité vocale du chant, tout en préservant la résonance d’une nef (Collégiale de Cardona). Chronologiquement, le programme offre une excellente idée de ce que pouvait être alors une messe de Noël à l’époque de Louis XIV. Le choix du visuel de couverture (la Nativité de Charles Lebrun) s’avère lui aussi idéal ; exprimant picturalement cette grande douceur inspirée et à travers elle, le mystère de la Nativité. Voilà qui éclaire la capacité d’un peintre – comme le compositeur, son contemporain, à demeurer dans la sobriété et la sincérité de ton, fût-il artiste officiel…

Formé à Rome dans la connaissance des Foggia, Melani, Beretta et évidemment de Carissimi, Marc-Antoine Charpentier, lui n’obtint aucune fonction officielle à la Cour de Louis XIV, lequel lui témoigna cependant une réelle estime. Après Rome, Charpentier perfectionne ensuite à Paris, dès son retour dans la capitale française à la fin des années 1660, un art dramatique et sacré comme peu à son époque ; il se distingue par sa très grande sensibilité instrumentale autant que vocale et l’art des nuances ; un expressivité jamais grandiloquente comme peut l’être parfois le très versaillais (et compositeur officiel) Lully ; a contrario de toute démesure, Charpentier cultive l’échelle humaine, en particulier celle des bergers qui veillant à la dignité morale de leur troupeau, savent demeurer dans le sentiment d’humble dévotion, loin de tout décorum.

Tout cela s’écoute ici grâce au geste à la fois très mesuré et d’une exceptionnelle cohérence de Jordi Saval. L’intérêt et la valeur de la lecture vient de la fusion réussie, idéale entre geste vernaculaire et élévation spirituelle. Tout l’esprit de la crèche est présent : la ferveur tendre enchantée du peuple des bergers, et le mystère de la Nativité, la fragilité de l’Enfant nouvellement né et le saisissement que chacun éprouve dans la conscience de son destin, jusqu’au sentiment tragique du Sauveur bientôt sacrifié…

La Pastorale H 483 (1684) en français incarne la simplicité et la profonde tendresse qui fondent le caractère de la pièce, trop rare au concert, curieusement, y compris au moment de Noël. Le chœur des anges, Marie, Joseph et les bergers composent une assemblée des plus convaincantes, dont la douceur pénétrée est constamment relancée, bondissante, dramatiquement souple par la vigueur et la vitalité des bois, des cordes, où brille et caresse la couleur spécifique des flûtes célestes.
Un pas complémentaire est franchi dans la réalisation de la Messe de minuit H 9, de 10 ans plus tardive que la Pastorale (1694). Qu’il s’agisse de l’effusion idéalement souple et cohérente du somptueux Gloria, du plus dramatique Credo, évoquant la Crucifixion mais aussi la Résurrection, lesquelles donnent le sens du cycle, Jordi Savall convainc par la sobriété du geste, la grande cohésion sonore qui équilibre drame tragique et éloquente tendresse, le tout comme enveloppé et résolu dans une pensée qui avance et réconforte aux teintes d’un enchantement continu.

L’unité comme la source populaire dérivent de l’usage approprié que réussit Charpentier de 11 noëls traditionnels ici « recyclés » ; l’humilité de la prière, l’esprit compassionnel, la précision et l’équilibre sonore fondent ici une remarquable compréhension des enjeux d’une célébration de Noël, entre pathétique et tragique. Jordi Savall ajoute non sans justesse, le sentiment du Mystère qui est au cœur de toute l’épopée christique. L’enregistrement qui remonte à 2020, opportunément édité pour la fin d’année 2024, ne pouvait mieux tomber. Magistral.

 

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CRITIQUE CD événement. Marc Antoine CHARPENTIER. Noël Baroque au temps de Louis XIV (Jordi Savall – 1 cd Alia Vox AVSA9961, 2020 – durée : 1h13mn) – CLIC de CLASSIQUENEWS –  Plus d’infos sur le site de l’éditeur ALIA VOX: https://www.alia-vox.com/de/producte/charpentier-noel-baroque-au-temps-de-louis-xiv/

PASTORALE SUR LA NAISSANCE
DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST H. 483 (1684)
MESSE DE MINUIT H. 9 (ca 1694)
La Capella Reial de Catalunya
Le Concert des Nations
JORDI SAVALL, dessus de viole & direction

 

 

VIDÉO : Pastorale et Messe de Noël de MA CHARPENTIER / Jordi Savall

 

THEATER NORDHAUSEN (Allemagne). MOZART : Idomeneo. Benjamin PRINS (mise en scène), du 24 janvier au 29 mars 2025. Nouvelle production

On parle souvent du coup de génie du jeune Mozart : »Idomeneo« est conçu en 1780, commande de Karl Theodor, l’électeur bavarois et ancien prince-électeur du Palatinat, qui avait une excellente troupe d’opéra et un orchestre non moins compétent.

Ainsi, le jeune compositeur relève tous les défis du genre opera seria : cisèle des personnages ardents et bouleversants ; conçoit même un souffle véritablement symphonique grâce à l’excellence de l’orchestre de la Cour de Karl Theodor ; sans omettre les choeurs d’une somptueuse expressivité. Mozart s’intéresse ainsi avec le librettiste Giambattista Varesco à un épisode de l’Odyssée d’Homère, dont ils déduisent un drame passionnant sur l’amour et la famille, le sens du sacrifice, le devoir et l’engagement aux dieux… Le roi de Crète, Idomeneo, de retour de la guerre de Troie, doit d’avoir été sauvé lui et ses hommes, en promettant à Neptune (Poséïdon) de lui sacrifier le premier homme, qu’il rencontre à son arrivée. Horreur et tragédie : c’est le fils d’Idomeneo, Idamante, qui doit ainsi être offert aux dieux inflexibles.
Que peut le père malgré sa promesse et le devoir de servir Neptune ? Doit-il sacrifier son fils ? La musique de Mozart explore une large palette de sentiments contrastés qui disent la fragilité et la complexité des hommes ; l’écriture approche parfois l’oratorio dans de grands passages choraux.

 

 

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MOZART : Idomeneo
Benjamin PRINS, mise en scène
24 janvier 2025, 19h30
31 janvier 2025, 19h30
9 février 2025, 14h30
22 février 2025, 19h30
9 mars 2025, 18h
29 mars 2025, 19h30

Infos & Réservations directement sur le site du theater nordhausen (Allemagne):
https://theater-nordhausen.de/musiktheater/idomeneo

 

 

 

Wolfgang Amadeus Mozart : Idomeneo

Dramma per musica en trois actes KV 366 (1780/81)
Livret de Giambattista Varesco,
Nouvelle version du texte proposé par le Théâtre Nordhausen – En italien avec surtitres, récitatifs et textes narratifs allemands

45 minutes avant chaque représentation, le Théâtre Nordhausen propose une introduction à « Idomeneo » .

 

Theater Nordhausen
/ Loh-Orchester Sondershausen GmbH
Käthe-Kollwitz-Straße 15
99734 Nordhausen – Allemagne

 

 

VIDÉO Idomeneo au Théâtre Opéra Nordhausen (Allemagne, 2025)

 

 

 

 

 

 

 

entretien avec Benjamin PRINS

Un relecture audacieuse entre apocalypse, rituels antiques et tensions familiales, vu par un metteur en scène inspiré par l’opéra et l’humain… la nouvelle production d’Idomeneo présenté par le Théâtre Nordhausen créé l’événement lyrique en Allemagne en ce début 2025. L’approche recentre le propos théâtral au coeur des enjeux propres à l’opéra ; c’est aussi une réalisation qui recueille tout le métier d’un metteur en scène à suivre : Benjamin Prins. Photo DR

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CLASSIQUENEWS : Votre lecture de l’opéra dépasse le cadre classique. Vous évoquez pour Idomeneo une esthétique post-apocalyptique. Pourquoi ce choix ?

BENJAMIN PRINS: Mon intention est de réinscrire cette histoire dans un contexte qui résonne avec nos angoisses contemporaines. Le monde d’Idomeneo est celui d’une civilisation en ruines, d’un univers dévasté où les survivants tentent de reconstruire un lien avec les dieux. Avec Birte Walbaum aux costumes et Wolfgang Rauschning à la scénographie, nous nous sommes inspirés d’esthétiques cinématographiques comme celles de Mad Max, Dune ou Waterworld, où les personnages évoluent dans un environnement hostile, marqué par la guerre et la désolation écologique. Dans notre mise en scène, les vestiges d’une civilisation perdue — les rituels, les croyances, les offrandes — reprennent vie. C’est une manière de rappeler que, dans les moments de crise, l’humanité retourne toujours à des formes primaires de spiritualité.

 

 

CLASSIQUENEWS: Ces rituels occupent une place centrale dans votre vision. Quels sont vos points de référence ?

BENJAMIN PRINS: L’un de mes principaux points de départ a été le livre d’Adeline Grand-Clément, Au plaisir des dieux. Ce texte explore les pratiques rituelles de la Grèce antique, et notamment les dimensions sensorielles de ces cérémonies : les danses, les parfums, les offrandes. Nous avons cherché à recréer sur scène cette expérience totale de la dévotion.

Dans l’opéra, les prières à Neptune deviennent une chorégraphie (Luca Villa) presque organique, où les corps, la musique et la lumière fusionnent. C’est une tentative de réconcilier les spectateurs avec une idée de sacré, non pas comme une abstraction, mais comme une expérience physique, tangible, presque viscérale.

 

 

CLASSIQUENEWS: L’opéra traite aussi de la relation père-fils. Vous semblez y accorder une place particulière.

BENJAMIN PRINS: Absolument. La relation entre Idomeneo et Idamante est le cœur battant de cet opéra. C’est une dynamique universelle, celle d’un père et d’un fils qui s’aiment, se craignent et se déchirent. Il y a un parallèle évident avec la relation entre Mozart et son propre père, Leopold. Ce n’est pas un hasard si Mozart écrit cet opéra à un moment où il cherche à s’émanciper, à affirmer son identité artistique.

Pour enrichir cette lecture, j’ai donc introduit un narrateur, hanté par son fils mort à la guerre . Ce personnage, à la fois extérieur et intime, agit comme un double d’Idomeneo : il est sa conscience, son juge, son alter ego. À travers lui, on perçoit non seulement la culpabilité d’Idomeneo, mais aussi son incapacité à se réconcilier avec son fils.

Cette approche crée donc une double perspective comme une double intrigue : nous voyons l’histoire se dérouler, mais aussi la manière dont elle est reconstruite, réinterprétée dans le cadre d’un deuil impossible.

 

 

CLASSIQUENEWS: Cette complexité psychologique est-elle une marque de votre travail ?

BENJAMIN PRINS: Absolument. Je pense que tout metteur en scène cherche à révéler les fractures, les ambiguïtés des personnages. Dans Idomeneo, ces tensions sont particulièrement riches : c’est une œuvre qui parle de filiation, de pouvoir, mais aussi de la fragilité humaine face au divin.

 

 

CLASSIQUENEWS: Cette œuvre marque-t-elle une étape dans votre parcours de metteur en scène ?

BENJAMIN PRINS: Oui, indéniablement. Elle s’inscrit dans une réflexion que je mène depuis plusieurs années sur la tragédie et le monde contemporain. Dans Roméo et Juliette, j’explorais la passion face aux interdits. Dans Turandot, c’était la quête d’identité et la confrontation à la peur de l’autre. Et dans Carmen, la tension entre liberté et fatalité.

 

 

CLASSIQUENEWS: Vous avez mentionné une collaboration avec Pavel Baleff. Quelle est son importance dans cette production ?

BENJAMIN PRINS: Cette production marque notre troisième collaboration, après Don Giovanni et Roméo et Juliette. Pavel Baleff est un partenaire artistique de premier plan. Sa direction musicale est à la fois précise et profondément instinctive. Il sait comment donner vie à chaque nuance de la partition, tout en dialoguant avec ce que nous proposons sur scène. C’est une alchimie rare, et elle est essentielle pour un opéra aussi riche et complexe.

 

 

CLASSIQUENEWS : Le Theatre Nordhausen a reconnu votre talent en vous nommant directeur artistique en 2022. Que représente ce poste pour vous, en tant que metteur en scène d’opéra français ?

BENJAMIN PRINS : Beaucoup d’excitation, bien sûr ! Rejoindre l’équipe de Nordhausen, c’est l’occasion de vivre pleinement une certaine utopie du théâtre où l’art est intrinsèquement lié à l’humain. Le théâtre est un espace démocratique par excellence, un lieu de rencontre, de réflexion et de catharsis, où le spectateur explore des réalités autres que la sienne.

Pour moi, diriger un opéra, c’est bien plus que produire des spectacles. Il s’agit de fédérer une micro-société d’artistes, techniciens et administrateurs autour d’une vision commune, tout en ouvrant le lieu à son public. L’opéra est un lieu de justesse : il oblige à écouter l’autre, soi-même, et l’ensemble de l’orchestre. Cette discipline, à la fois exigeante et collective, nous rappelle que les frontières ou les identités figées sont des illusions.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Vous avez construit votre carrière en Allemagne. Est-ce révélateur d’un désintérêt de la France pour ses metteurs en scène d’opéra ?

BENJAMIN PRINS : Plus qu’un désintérêt, je dirais que la France n’a pas véritablement intégré le métier de metteur en scène d’opéra dans son paysage artistique. Cela n’existe pas en tant que tel. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis parti. Dans l‘espace germanophone, le système valorise cette profession : après des études spécifiques comme celles que j’ai suivies à Vienne – où j‘ai appris auprès du talentueux Reto Nickler, on commence souvent comme assistant avant de devenir metteur en scène.

En France, c’est différent. La politique culturelle est orientée vers la décentralisation et valorise les compagnies de théâtre. Un metteur en scène peut accéder à l’opéra après avoir fait ses preuves ailleurs. Cela crée une situation où l’opéra est parfois confié à des personnalités reconnues dans d’autres disciplines, mais qui ne mesurent pas toujours les spécificités et l’ampleur du travail opératique.

 

 

CLASSIQUENEWS : vous en êtes à votre troisième saison au Theater Nordhausen. Que dit votre programmation de votre personnalité et de votre vision artistique ?

BENJAMIN PRINS : Mon but n’est pas de conforter les attentes du public, mais plutôt de les bousculer. J’aime provoquer la surprise, et surtout explorer ce point de tension entre l’extravagance et la délicatesse. Pour inaugurer mon mandat, j‘avais choisi Don Giovanni de Mozart. La mise en scène s’appuyait de références contemporaines pour questionner le narcissisme toxique des prédateurs sexuels.

Un autre axe de mon travail est la danse. Plutôt que la vidéo, je préfère l’universalité des corps en mouvement comme contrepoint à la musique et au texte. Cela tombe bien : Nordhausen a un corps de ballet d’exception, dirigé par Ivan Alboresi.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Vous parlez souvent d’identité dans votre travail. Pour vous, qu’est-ce qu’un artiste heureux ?

BENJAMIN PRINS : Un artiste heureux, c’est quelqu’un qui a trouvé son style. Pour moi, le style est une forme d’identité, un langage propre qui permet de transmettre un message à travers l’œuvre. Cela ne signifie pas détourner l’œuvre, mais comprendre ses ressorts pour mieux s’y conformer ou, au contraire, les transformer.

Mon parcours m’a amené à explorer une multitude de genres – de la tragédie lyrique au One Woman Opera – et à collaborer avec des équipes internationales. Chaque projet est un défi d’adaptation, une rencontre entre la pièce et mes outils d’interprétation.

Ce chemin, semé d’incertitudes, m’a aussi poussé à chercher des ressources intérieures. Par exemple, j’ai découvert la Technique Alexander avec l’extraordinaire Agnès de Brunhoff, qui m’a appris à mieux utiliser mon corps et mon esprit. Cette méthode, utilisée par des artistes comme John Cleese ou des sportifs comme Roger Federer, m’aide à mieux diriger et vivre pleinement mon métier.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : La mise en scène d’opéra est-elle comparable à celle du théâtre ou du cinéma ?

BENJAMIN PRINS : L’opéra est un art total… Chant, jeu, danse, arts plastiques, dramaturgie : tout s’y croise. Cela exige une approche très spécifique et une grande humilité. Contrairement à une idée reçue, toutes les pièces ne se prêtent pas à une profusion d’idées. Certaines appellent une grande sobriété, d’autres une audace totale.

Il est tentant, pour les producteurs, d’inviter des grands noms issus du théâtre ou du cinéma à s’essayer à l’opéra. Mais ces expériences sont souvent décevantes. La mise en scène d’opéra demande un savoir-faire particulier, un équilibre entre l’artisanat et la vision.

 

 

CLASSIQUENEWS : Pour conclure, que souhaitez-vous que le public retienne de votre mise en scène d’Idomeneo ?

BENJAMIN PRINS: Je voudrais que le public ressente autant qu’il réfléchisse. Cette production est une plongée dans l’univers sensoriel et émotionnel d‘une légende qui était très connue à l’époque de Mozart et j’espère que tous nos efforts pour rendre cette histoire d’aujourd’hui ouvriront les cœurs et les pensées des spectateurs qui seront confrontés aux questions éminemment actuelles: comment vivre ensemble après la guerre ? ou comment la réconciliation peut-elle émerger des décombres laissés par la guerre ?

 

Propos recueillis en décembre 2024

 

 

TOULOUSE, Opéra national du Capitole. OFFENBACH : Orphée aux enfers, du 24 janvier au 2 février 2025. Nouvelle production. Olivier Py / Chloé Dufresne

Nouvelle production événement au Capitole de Toulouse. Jacques Offenbach (1819-1880) s’empare de la mythologie grecque mais sur le mode parodique et délirant.  Le couple mythique formé par Orphée et Eurydice bat de l’aile : les époux infidèles se détestent cordialement.

 

Faut-il y voir une satire en règle contre les puissants, ceux que le Second Empire porte dans la majesté, le spectaculaire, le faste… ? Lorsqu’Eurydice meurt enfin, Orphée s’en trouve soulagé ! Mais l’Opinion publique le rappelle à son devoir d’époux, et l’obligation à respecter la légende : le violoniste doit sauver son épouse en rejoignant les enfers…… Comédie désopilante, ce premier grand succès d’Offenbach, où dieux et héros dansent au rythme grivois du french cancan, inaugure un genre nouveau et d’une irrévérencieuse modernité. A Toulouse, la fine fleur du chant français s’associe au talent théâtral du metteur en scène Olivier Py « bien décidé à déployer une monumentale et infernale folie ! »

 

POÉTIQUE DÉLIRANTE... Offenbach souligne combien les Olympiens, tout héros, demi-dieux et dieux qu’ils soient, ne sont pas moins traversés par les mêmes sentiments humains et le vertige des passions mortelles. Eurydice ne supporte plus son violoneux de mari, Orphée. Elle le trompe sans scrupule avec le bel Aristée, en réalité Pluton transformé en séduisant berger… Comble parodique foutraque, Jupiter auquel Orphée s’est plaint des infidélités outrageantes de son épouse, emmène avec lui tout l’Olympe aux enfers pour y retrouver… la belle Eurydice que sert John Styx. Là, le dieu des dieux déploie des prodiges de séduction pour mieux envoûter et tromper Euryidce, sous la forme d’une… mouche. Délirante scène courtoise et grivoise de l’acte II qui synthétise alors tout le génie de l’Offenbach déluré.

Le compositeur provocateur, génie de l’irrévérence ose piétiner les légendes antiques grecques et les joyaux de la mythologie. Aux multiples décalages et grivoiseries du livret, la musique d’Offenbach, le Mozart des boulevards, captive par son élégance et sa poésie délirante qui n’est jamais vulgaire. L’Opéra du Capitole de Toulouse propose la version de 1874, en 4 actes, plus complète et équilibrée que conçut Offenbach à partir de la 1ère version de 1858.

 

 

 

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Opéra national du Théâtre du Capitole
OFFENBACH : Orphée aux enfers  /  nouvelle production
du 24 janvier au 2 février 2025
Infos & réservations : https://opera.toulouse.fr/orphee-aux-enfers-1976063/

7 représentations événements
Vendredi 24 janvier 2025, 20h
Dim 26 janvier 2025, 15h
Mardi 28 janvier 2025, 20h
Mercredi 29 janvier 2025, 20h
Ven 31 janvier 2025, 20h
Sam 1er février 2025, 20h
Dim 2 février 2025, 15h

 

NOUVELLE PRODUCTION
Opéra-féerie en quatre actes – 
Livret d’Hector Crémieux et Ludovic Halévy
 – Première version créée le 21 octobre 1858 au Théâtre des Bouffes-Parisiens
 – Version définitive créée le 7 février 1874 au Théâtre de la Gaîté

Chloé Dufresne, direction
Olivier Py, mise en scènes

 

distribution

Orphée : Cyrille Dubois
Eurydice, Marie Perbost
Aristée / Pluton : Mathias Vidal
Jupiter : Marc Scoffoni
L’Opinion publique : Adriana Bignani Lesca
John Styx : Rodolphe Briand
Diane : Anaïs Constans
Vénus : Marie-Maure Garnier
Mercure : Engerrand de Hys…

Orchestre national du Capitole
Chœur et Maîtrise de l’Opéra national du Capitole
Enfants du projet Demos

 

ENTRETIEN avec Marc Korovitch, directeur musical de l’Orchestre Colonne, à propos de la saison 2024 – 2025 en cours

Créé en 1873 par Edouard Colonne, l’ORCHESTRE COLONNE n’a jamais paru aussi investi, généreux, accessible et actif… comptant parmi les plus anciens orchestres français (soufflant en 2023 – 2024 ses 150 ans), il occupe une place centrale dans la vie musicale parisienne comme hexagonale. La phalange qui a tant œuvré pour la diffusion de la musique française (et aussi de Wagner) ne cesse de faire évoluer son offre et le contenu de chaque saison. C’est un équilibre exemplaire entre exploration, défense du patrimoine musical, tremplin pour la nouvelle génération d’instrumentistes et de talents prometteurs, une curiosité surtout pour des programmes innovants, sachant combiner les partitions connues, nouvelles et oubliées. Autant de qualités et d’actions qui font de lui un acteur incontournable dans le paysage musical national. Explications, entretien avec Marc Korovitch, directeur musical depuis 2022, digne et éloquent successeur des maestros qui l’ont précédé tels Edouard Colonne, Gabriel Pierné, Paul Paray, Charles Munch, Pierre Dervaux, Laurent Petitgirard…
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CLASSIQUENEWS : Quelle est la couleur générale / le fil conducteur de cette nouvelle saison 2024 – 2025 ?

Marc Korovitch : Nous essayons de faire rêver notre public par des sujets, des thèmes forts, l’amour, la mort, la mer, la danse. Les émotions humaines sont au cœur de nos saisons.

 

 

CLASSIQUENEWS : Y a t il des éléments que vous prolongez, renforcez, en comparaison des éditions précédentes ? Lesquels et pourquoi ?

Marc Korovitch : L’Invitation au voyage, œuvre mystère dévoilée en fin de concert, œuvre inconnue en France mais dont on garantie l’extrême beauté. Celle-ci devient emblématique, le public sait que c’est un trésor qui va lui être donné d’entendre. Les avants et après concerts, nous avons à cœur d’être le plus proche de notre public. La musique française est au cœur de notre ligne artistique ainsi que la découverte des jeunes talents.

 

 

Daniel Korovitch et lOrchestre Colonne (DR)

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Y a t il des éléments nouveaux qui enrichissent votre offre musicale ? Lesquels et pourquoi ?

Marc Korovitch : Cette saison, un concert 100% musique de chambre de femmes compositrices, faire connaître des talents cachés par l’histoire. De nouveaux compositeurs proches de la musique de film qui ont écrit pour notre orchestre et de nouvelles solistes, cheffe ou choeur qui enrichissent notre famille, Fiona Monbet, Iris Daverio, Juliette Journaux, Camille Schnoor, Anaïs Benoit, Emilie Heurtevent et l’ensemble vocal Bergamasque !

 

 

CLASSIQUENEWS : Avez-vous tissé des compagnonnages artistiques qui marquent certains concerts de cette saison? Lesquels ?

Marc Korovitch : Nous sommes très désireux que nos invités se sentent faire parti d’une famille et nous sommes heureux de pouvoir les suivre sur le long terme comme Jean-Paul Gasparian ou Elise Bertrand.
Nous travaillons avec des chœurs proches de nous comme le Jeune Chœur de Paris.
Le partenariat avec le CRR de Paris et le Département Supérieur pour Jeunes Chanteurs demeure avec une Opérette par an à la Salle Colonne.

 

 

CLASSIQUENEWS : Quels sont les temps forts de cette saison (3/4 exemples idéalement) ? En quoi sont ils chacun emblématiques de l’Orchestre Colonne ?

Marc Korovitch : Un prochain concert le 2 février à la Seine Musicale dirigé par Fiona Monbet autour des concordances entre le Jazz et la musique classique avec comme pièce centrale l’arrangement de Casse-Noisette de Tchaïkovsky par Duke Ellington.
Une recréation de la Mer de Debussy, sur le manuscrit inédit que possède l’Orchestre Colonne, annoté et corrigé par Debussy lui même ! Le 9 mars à la Seine Musicale. C’est historique !  Un dernier concert qui lie Wagner et Saint-Saëns, compositeurs ardemment défendus par Edouard Colonne sur le thème de la force de l’amour, salle Gaveau le 11 mai.

 

 

CLASSIQUENEWS : Avez vous noté une évolution, de nouvelles tendances de la part du public, dans ses pratiques, ses comportements d’achat, ses goûts ?

Marc Korovitch : Le public est moins « prédictible », il achète des places plus tardivement, c’est plus impulsif ! Il aime les sensations fortes et c’est ce que nous essayons de lui procurer.

 

 

CLASSIQUENEWS : Qu’a apporté la saison des 150 ans de l’Orchestre ? Qu’est ce qui fait aujourd’hui la singularité de l’Orchestre Colonne ? En particulier au sein des orchestres parisiens ?

Marc Korovitch : La saison des 150 ans a mis un coup de projecteur sur le nouveau projet de l’orchestre. Nous sommes un orchestre engagé pour la musique française, les jeunes talents, solistes, chefs, compositeurs, pour la parité, engagé pour l’écologie aussi. Nos programmes sont différents d’autres orchestres parisiens dans le choix des œuvres, leurs combinaisons entre partitions connues, rares, contemporaines, grâce aux mélanges inédits que nous proposons tout au long de la saison. La communion avec nos solistes ou compositeurs qui rentrent dans la « famille » Colonne est grande. L’âme de l’orchestre est ancienne mais son énergie, nouvelle et sans cesse renouvelée.

 

Propos recueillis en décembre 2024

 

 

 

Toutes les infos, tous les programmes, le détail des artistes invités, la billetterie en ligne, directement sur le site de l’ORCHESTRE COLONNE : https://www.orchestrecolonne.fr/

 

 

Saison 2024 – 2025 : les temps forts

 

LIRE aussi notre présentation de la saison 2024-2025 de l’Orchestre Colonne (saison des 151 ans !) / Mozart, Offenbach, De Granval, Saint-Saëns, Wagner, Tchaikovski, Debussy, Charuel, Mulsant, Manoukian… : https://www.classiquenews.com/orchestre-colonne-saison-2024-2025-la-saison-des-151-ans-mozart-offenbach-de-granval-saint-saens-wagner-tchaikovski-debussy-charuel-mulsant-manoukian-marc-korovitch-directeur-mus/

 

ORCHESTRE COLONNE. Nouvelle saison 2024 – 2025 : la saison des 151 ans ! Mozart, Offenbach, De Granval, Saint-Saëns, Wagner, Tchaikovski, Debussy, Charuel, Mulsant, Manoukian… Marc Korovitch (directeur musical)

 

 

VIDÉOS : consultez la chaîne YouTube de l’ORCHESTRE COLONNE, ici :

https://www.youtube.com/@orchestrecolonne/videos

 

 

Prochains concerts 2025

 

 

PARIS EST UNE FÊTE
concert-éveil
PARIS, SALLE COLONNE
Dim 12 janvier 2025, 10h-11h30
La vie Parisienne de Jacques Offenbach
avec les solistes du Département Supérieur pour Jeunes Chanteurs du CRR de Paris
https://www.orchestrecolonne.fr/agenda/saison-2024-25/eveil/paris-est-une-fete/

 

 

PARIS, SALLE COLONNE
JACQUES OFFENBACH : La Vie Parisienne
Opérette
dim 12 janvier 2025, 16h
mar 14 janvier 2025, 20h
mer 15 janvier 2025, 10h
Durée : 2h30 (2 entractes)
Florence GUIGNOLET · Mise en scène
Solistes chanteurs du Département Supérieur pour Jeunes Chanteurs du CRR de Paris
Offenbach évoque le Paris insouciant, léger, raffiné des années 1860. Créé en 1866, La Vie Parisienne triomphe immédiatement, s’exportant dans tous les théâtres d’Europe, comme l’emblème d’une vie facile, grisante… Un dandy se fait guide touristique pour séduire une jeune baronne suédoise… tandis que Metella, femme à fort tempérament et demi mondaine mène son petit monde à la baguette en dominatrice irrésistible. C’est aussi Bobinet qui organise de fausses soirées bourgeoises où les domestiques et la gantière jouent les parisiens distingués. Comme dans La Chauve Souris de Johann Strauss II, le champagne coule à flot et la musique pétille à chaque mesure…
https://www.orchestrecolonne.fr/agenda/saison-2024-25/operette/la-vie-parisienne/

 

 

LA SEINE MUSICALE
Dim 2 février 2025, 16h
CLAZZIK – concert symphonique
Fiona Monbet, direction
GERSHWIN (Suite de Porgy and Bess, Catfish Row), WILLIAMS (Escapades pour saxophone alto, soliste : Emilie Huertevent), TCHAIKOVSKI : Suite de Casse-noisette

 

 

LA SEINE MUSICALE
Dim 9 mars 2025, 16h
La MER de Debussy – Concert Symphonique
Marc Korovitch, direction
DEBUSSY (La mer, version inédite du manuscrit « colonne »  de Debussy), MULSANT (Concerto pour piccolo, soliste : Anaïs Benoit), RACHMANINOV (Prélude opus 3 n°2, soliste : Juliette Journaux, piano)

 

 

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-grains, le 19 décembre 2024. TCHAIKOVSKI : Extraits de Casse-Noisette et du Lac des cygnes. Orchestre national du Capitole / Tugan Sokhiev (direction)

Ce concert représente un véritable cadeau pour la ville rose. C’est le seul concert de la saison qui permettra à Tugan Sokhiev de retrouver son orchestre « de cœur ». Évidemment, le charme opère et les musiciens, même s’ils sont en partie renouvelés, retrouvent Tugan avec plaisir. Le programme tout Tchaïkovski est le cœur du répertoire du chef russe. Les extraits choisis de ses plus beaux ballets ont un caractère festif.

 

Dirigeant tout le concert à mains nues, Tugan Sokhiev déguste cette musique et partage son enthousiasme avec l’orchestre et le public. Ses gestes sont d’une élégance, d’une délicatesse inouïes. Tout le corps danse et participe à la direction. Les nuances qu’il obtient de l’orchestre sont somptueuses. La puissance dégagée par le geste autorise les musiciens à donner toute la beauté de leurs sonorités. Les extraits de Casse-Noisette apportent une part de la magie de Noël. La harpe et le célesta ont des parties solistes de toute beauté. Les bois rivalisent de nuances, de phrasés et de couleurs. La liberté qui règne dans l’orchestre est pure jubilation. Les cuivres dans les moments de puissance sont majestueux sans lourdeur. La beauté et la richesse de l’orchestration de Tchaïkovski se trouvent sublimées par cette interprétation si exacte.

 

Les extraits du Lac des cygne invitent le drame et davantage de théâtralité. Le son est plus dense et la gestuelle du chef encore plus expressive. La harpe revient pour des moments magiques. Le hautbois tendre, triste ou goguenard apporte beaucoup d’expressivité, les flûtes avec des sonorités de rêve sont admirables. Clarinette, basson, trompette, cors et gros cuivres participent à la fête. Le solo de violon et violoncelle avec la harpe est un moment de musique de chambre comme suspendu dans le temps et l’espace. La direction de Tugan Sokhiev reste de toute beauté. Plus d’un- à le voir diriger si efficacement et si simplement -, pourrait imaginer que la direction d’orchestre est chose facile. C’est pourtant un long travail personnel – au milieu d’un orchestre qu’il connai :t très bien – que Tugan Sokhiev a su trouver l’apparente évidence de sa direction. Il n’est pas étonnant qu’un tel talent soit reconnu mondialement, les orchestres le plébiscitent, son succès est international auprès des publics les plus exigeants. Tugan Sokhiev reste fidèle à Toulouse, l’Orchestre national du Capitole, et son cher public.

 

Véritable cadeau de Noël, ces retrouvailles sont d’un soir… mais quelles retrouvailles ! La Halle-aux-Grains pleine à craquer a fait un triomphe aux artistes !

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CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-grains, le 19 décembre 2024. TCHAIKOVSKI : Extraits de Casse-Noisette et Lac des cygnes. Orchestre national du Capitole / Tugan Sokhiev (direction). Crédit photographique © ONCT

 

CRITIQUE, concert. LYON, Auditorium Maurice Ravel, les 19 et 20 décembre 2024. CHOSTAKOVITCH. Edgar Moreau (violoncelle), Orchestre National de Lyon, Kirill Karabits (direction)

Initialement dirigé par Nathalie Stutzmann, que toutes les grandes salles symphoniques du monde s’arrachent désormais, la cheffe française a été contrainte d’annuler sa venue pour raison de santé, et c’est le non moins excellent chef ukrainien Kirill Karabits qui a repris le flambeau en dernière minute. Dans un programme 100% Chostakovitch, compositeur qu’il connaît et fréquente depuis toujours, il fait des étincelles dans la magistrale 5ème Symphonie du compositeur russe, à la tête d’un Orchestre National de Lyon des grands soirs…

 

Mais avant le plat de résistance que constitue une symphonie en seconde partie de programme, place au Concerto pour violoncelle N°1 du même Chostakovitch, composé (en 1959)  à l’intention de Mstislav Rostropovitch, et défendu ce soir par le jeune virtuose français Edgar Moreau, que l’on ne présente plus tant il occupe désormais une place de choix parmi le paysage des grands violoncellistes de notre  époque…

Le compositeur souffrant de poliomyélite à l’époque de sa composition, il y exprime de manière particulièrement dramatique ses états d’âme du moment. Pour autant, et se référant à J. S. Bach, il utilise les quatre lettres de l’abréviation de son patronyme pour en faire l’évocation même du thème de son concerto : DSCH (ré-mi bémol-do-si). Il est consrtuit en quatre mouvements, depuis l’insouciance désinvolte jusqu’à l’ironie sarcastique, si caractéristique de la musique de Chostakovitch. Le final est terrifiant, utilisant la mélodie préférée de Staline, Suliko, mais en la défigurant sous la forme d’un cri de désespoir – en souvenir macabre de l’homme qui lui avait infligé tant de persécutions. Rostropovitch lui-même a évoqué les grandes difficultés d’exécution de ce mouvement, demandant de la part de son exécutant une énergie quasi surhumaine, ce sont le jeune Moreau ne manque pas, ne reculant devant aucune des violences, des accents heurtés, des apeurements, ou des véhémences de cette musique aux accents déchirants. Le public lyonnais lui fait un triomphe, et il le remercie en lui offrant, en bis, les doux accents d’un mouvement d’une des Suites de Bach…

 

En seconde partie de soirée, place à la grandiose Cinquième Symphonie, sans doute la plus jouée de Chostakovitch, mais surtout la plus autobiographique de son compositeur, qui reflète, malgré sa fausse insouciance, les angoisses des purges staliniennes en cours à l’époque de sa composition. Les incessants “La” – répétés inlassablement pendant le 4ème et dernier mouvement qui se veut plein d’emphase – traduisent bien le sentiment d’oppression et démentent la “bonne humeur” à laquelle prétend la symphonie. 

Et tant Karabits que tous les pupitres de l’OnL nous régalent. Techniquement, tout d’abord : l’aisance des cordes, la qualité des attaques, la concentration de tous les instants laissent pantois. Musicalement, ensuite : la sûreté du jeu et la liberté des solistes fascinent. Leur manière de changer radicalement d’atmosphères, de varier les couleurs au sein même de leur pupitre, de laisser s’épanouir un thème sans rupture de tension et avec une dynamique incroyable est remarquable. Tel solo de basson offre une impulsion dramatique immédiate dans laquelle l’orchestre s’engouffre avec délices. Pas un excès qui ne soit ici musicalement justifié, tandis que le chef ukrainien fait évoluer avec une vraie maestria les phrases entre climats inquiets et héroïsme de façade. Du grand art que l’audience ne manque pas de saluer avec fracas, plébiscitant cette grande soirée Chostakovitch au sein de l’Auditorium Maurice Ravel !

 

 

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CRITIQUE, concert. LYON, Auditorium Maurice Ravel, les 19 et 20 décembre 2024. CHOSTAKOVITCH. Edgar Moreau (violoncelle), Orchestre National de Lyon, Kirill Karabits (direction). Toutes les photos (c) Emmanuel Andrieu

 

VIDEO : Mikko Franck dirige la 5ème Symphonie de Dmitri Chostakovitch (à la tête de l’OPRF)

 

STREAMING opéra. Teatro Real Madrid. VERDI : Rigoletto, jeu 26 déc 2024. Camarena, Tézier, Viotti, Berthon… Miguel del Arco / Nicola Luisotti

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Inspiré par la pièce Le Roi s’amuse de Victor Hugo, Verdi s’empare de la source littéraire pour épingler en un fabuleux brûlot satirique (Rigoletto), l’arrogance des puissants indignes et les intrigues de cour. Ici un Duc volage, s’enivre de sa propre insouciance quitte à trahir, manipuler, tromper… quand le bouffon, lui aussi trop prétentieux et d’une ironie déplacée (au début de l’action à l’égard du Comte de Monterone), paie le prix le plus élevé : il perdra sa propre fille (Gilda)…

 

 

Les fanfaronnades de Rigoletto, le bouffon de cour à la langue acérée, lui valent une malédiction. Il doit protéger sa fille Gilda de son maître licencieux, le Duc de Mantoue. Pour le bossu de Verdi, le paradis n’est autre qu’un foyer et une famille qu’il faut défendre à tout prix. Il y a du Shakespeare dans l’opéra de Verdi qui cisèle chaque scène, dont les contrastes relancent constamment la tension tragique. Le cynisme s’y déverse sans limite et le pouvoir y apparaît sans valeurs morales : jouissance, irresponsabilité, vénalité, manipulation… Hugo puis Verdi se confrontèrent à la censure pour faire représenter l’un sa pièce, le second, son opéra. Finalement, la censure autrichienne l’autorise après des modifications imposées : le roi initial est devenu duc pour diminuer – ou tenter de diminuer – l’ampleur de l’assassinat qui constitue le nœud de l’intrigue.

Pourtant à travers les monologues du bouffon (Pari siamo et Cortigiani) exprime de façon inédite la protestation et le ressentiment du héros contre le prince. Cruauté, humour noir, manipulation… Rigoletto est aussi un hymne à l’amour paternel, sentiment cher à verdi et qui se retrouve dans la construction de plusieurs opéras… A Madrid, sous la baguette de Luisotti, une distribution très convaincante, exprime au plus juste tous les enjeux dramatiques d’un opéra parmi les plus réussis voire saisissants de Verdi : Javier Camarena, Ludovic Tézier, Marina Viotti, Adela Zaharia

 

 

 

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STREAMING opéra. VERDI : Rigoletto, jeudi 26 déc 2024, 19h CET
Enregistré le 17 déc 2023
En REPLAY jusqu’au 26 juin 2025, 12h.
https://operavision.eu/fr/performance/rigoletto-2
Chanté en italien / Sous-titres : italien, anglais, espagnol

 

 

 

 

distribution

Le Duc de Mantoue : Javier Camarena
Rigoletto : Ludovic Tézier
Gilda : Adela Zaharia
Sparafucile : Peixin Chen
Maddalena : Marina Viotti
Giovanna : Cassandre Berthon
Le comte Monterone : Jordan Shanahan

Choeur et orchestre du Teatro Real Madrid
Nicola Luisotti, direction
Miguel del Arco, mise en scène

 

 

VIDÉO Rigoletto par Ludovic Bézier

CRITIQUE, concert. METZ, Grande Salle de l’Arsenal, le 18 décembre 2024. HAENDEL : Laudate Pueri, Nisi Dominus, Dixit Dominus. Ensemble Vox Luminis, Lionel Meunier (direction)

Fondé en 2004 par son directeur artistique Lionel Meunier, l’ensemble vocal (et désormais) instrumental Vox Luminis, basé en Belgique, a acquis une réputation sans pareille dans le répertoire qui est le sien : la musique vocale de la Renaissance jusqu’à l’époque de Haendel – compositeur qui constitue l’intégralité du concert mis à l‘affiche de la pléthorique saison de la Cité musicale de Metz. Fêtes de Noël obligent, c’est son répertoire sacré – Nisi Dominus, Laudate Pueri et Dixit Dominus (entrecoupée d’extraots de ses Concertos pour orgue op. 4) – qui est mis ce soir à l’honneur.

 

Le concert débute par une exécution d’extraits des Concertos pour orgue op. 4 du Caro Sassone, interprété ici par le claveciniste Anthony Romaniuk, entouré des instrumentistes de Vox Luminis. C’est dans sa période londonienne que Haendel inventa la forme du concerto pour orgue et orchestre pour servir (justement) d’intermèdes à ses Oratorios et Cantates… Le public était très friand de ces interludes instrumentaux où le compositeur lui-même tenait la partie d’orgue, donnant libre cours à sa virtuosité dans des improvisations très remarquées de ses contemporains – auxquelles Anthony Romaniuk fait à son tour un sort, avec un superbe sens du phrasé et une belle liberté dans les cadences improvisées. Le Psaume Laudate Pueri (HWV 237) qui leur fait suite fut composé en 1707 par Haendel, alors à Rome pour un séjour prolongé qui laissera de profondes traces dans son œuvre. Deux chœurs, placés à droite et à gauche de l’ensemble instrumental, y encadrent une suite d’airs, ici délivrés par la soprano Perrine Devillers, tandis que Lionel Meunier (basse) se tient à droite de l’orgue, pour donner les départs (de la tête ou de la main). La jeune soprano possède cette combinaison gagnante de pureté vocale, de légèreté et de distiller une large gamme d’émotions, qui n’a ainsi pas de mal à gagner le cœur du public messin.

 

En seconde partie de concert, nous avons la chance d’écouter deux (autres) Motets « romains ». Le Nisi Dominus est une œuvre pour trois solistes (un contre-ténor, un ténor et une basse), chœur et orchestre. C’est un hommage à la qualité des chanteurs de Vox Luminis qui tous pourraient très bien être solistes à part entière, comme les trois chanteurs sortis du chœur pour interprété la partie solo le démontre amplement, tandis que le reste de ’ensemble du chœur gère à la perfection le contrepoint du « Gloria » final. Mais le point culminant de la soirée est sans conteste le Motet final : Dixit Dominus. Écrit alors que Haendel n’avait que 22 ans, c’est une composition remarquable, employant un contrepoint virtuose, un cantus firmus complexe et des accords staccato surprenants, illustrant la destruction des rois et des dirigeants, le tout chanté avec une vigueur et une énergie extraordinaires. Cette fuite en avant est interrompue par le calme paisible du duo de soprano qui crée les sons les plus ravissants. La fugue du passionnant “Gloria” est habilement négocié par Lionel Meunier, permettant à la tension de monter de manière rythmique et dynamique jusqu’à ce qu’elle éclate en une joyeuse conclusion, un véritable tour de force de virtuosité compositionnelle contrapuntique, vocale et orchestrale. Cette œuvre conclut en beauté un concert qui mérite largement les nombreux rappels qu’il suscite de la part d’un public messin venu en nombre pour assister à ce concert de Noël !

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CRITIQUE, concert. METZ, Grande Salle de l’Arsenal, le 18 décembre 2024. HAENDEL : Laudate Pueri, Nisi Dominus, Dixit Dominus. Ensemble Vox Luminis, Lionel Meunier (direction). Crédit photographique (c) Emmanuel Andrieu

 

VIDEO : Emmanuelle Haïm dirige le « Dixit Dominus » de G. F. Haendel

 

CONJONCTURE. L’Association française des Orchestres et de nombreux autres acteurs culturels alertent sur les dangers des coupures budgétaires imposées sur la culture

Dans une « Déclaration commune du 18 décembre 2024 », l’AFO Association française des Orchestres alerte sur la situation très préoccupante des acteurs culturels en France.

 

 

En prenant pour référence un célèbre discours de Victor Hugo de novembre 1848, où l’écrivain mettait en garde le politique contre sa tentation de « faire des économies sur les arts et les lettres », l’AFO souligne l’importance des décisions actuelles et à venir concernant les subventions allouées à la culture.

Les pouvoirs publics – État et collectivités territoriales – « se sont engagés dans une politique de réduction des dépenses publiques qui touche aujourd’hui violemment le secteur des arts et de la culture. » En soulignant en particulier « la contribution décisive du secteur culturel à la dynamique sociale et économique de notre pays », l’AFO signe conjointement à plusieurs autres associations et collectifs, un manifeste en forme de défense argumentée du secteur culturel, représenté précisément par « les artistes, les compagnies, les ensembles, les opéras, les orchestres, les théâtres, les salles de spectacles et de concerts, les cirques, les festivals,… », autant d’acteurs essentiels qui œuvrent pour « la vitalité » des territoires. Des décisions non rationnelles détruiraient un réseau dense d’actions multiples, culturelles et sociales, bâti depuis des décennies, et qui font aujourd’hui cette « exception culturelle française » qui est l’ADN de la France et qui constitue notre « identité ».

 

LIRE ici l’intégralité du communiqué / déclaration commune de l’AFO / 18 décembre 2024 : https://france-orchestres.com/actualites/declaration-commune-du-18-decembre-2024/

CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 13 décembre 2024. HONEGGER : Jeanne d’Arc au bûcher. M. Cotillard, E. Genovèse, J. Dran, N. Courjal, I. Druet… Wiener Singverein / Choeur d’enfants de l’Orchestre de Paris / Orchestre symphonique de la Radio de Francfort, Alain Altinoglu (direction)

« Etait-ce oeuvre divine ? Etait-ce stratagème humain ? » – c’est de cette manière que le pape Pie II Piccolomini (1458-1464) qualifiait l’épopée de Jeanne d’Arc dans ses mémoires. Le Pontife était son contemporain exact, puisque né en 1405. Consignant dans ses réflexions déjà la légende de la Pucelle, Aeneas Sylvius Piccolomini plaçait l’action de la jeune femme entre la réalité et la fiction, le calcul politique et l’oeuvre pieuse. A l’égal de bien de personnages féminins de fiction, Jeanne d’Arc dépasse la réalité de son époque. Non, ce n’est pas uniquement l’image pieuse qui a été conçue en 1920, ni la bergère d’Epinal au visage en pâmoison, et surtout pas l’effigie mordorée entourée des éructations des extrémistes. Jeanne d’Arc est quichottesque dans sa geste ; elle suit un idéal, une quête bien plus grande qu’elle. Elle est sublime dans ce qu’elle devient au fur et à mesure de ses actes. Elle entre ainsi dans l’imaginaire collectif en tant qu’ancêtre directe des héroïnes de Jane Austen, Djuna Barnes et des Chicas Almodovar !

 

Outre la connotation religieuse et la foi sincère de Paul Claudel et Arthur Honegger, cet oratorio n’a pas seulement Jeanne d’Arc comme protagoniste mais également le bûcher. Sans la flamme au sens propre et au figuré, la Pucelle n’aurait pas le même impact, elle serait une martyre de plus, non pas une icône féminine. A l’image de l’interrogation double de Pie II, la flamme de Jeanne d’Arc la dévore dès son premier cri et son dernier soupir. Le bûcher de Jeanne n’est plus un dénouement mais le point culminant de son existence, le feu l’appelle depuis toujours. Cet oratorio est une partition monumentale et subtile à la fois, on aime à la parcourir comme un livre d’images. Honegger a su porter le texte de Paul Claudel dans des émotions insoupçonnées jusqu’à la fin. Le dernier silence nous consume encore plus que tout le feu de cette oeuvre, Honegger a su écrire même l’indicible et le mystère ineffable du mystique.

Jeanne d’Arc au bûcher avait déjà compté sur Marion Cotillard par le passé dans une version de concert avec l’Orchestre National de Catalogne dirigée par Marc Soustrot. Heureusement que ce concert a été fixé dans un enregistrement discographique paru sous le label Alpha. Cependant, ce soir, la divine comédienne nous éblouit par une interprétation bouleversante et subtile. Seul le jeu de Renée Falconetti dans le film de Carl Dreyer est comparable à celui de Mademoiselle Cotillard. Son interprétation dans la dernière scène nous ébahit par la force et la vérité des émotions qu’elle communique. L’apparente simplicité du texte de Claudel ne réussit son estocade qu’avec une comédienne de la trempe de Marion Cotillard. Grand diseur et comédien, Eric Genovèse est un Frère Dominique aussi touchant que sublime. Il rappelle dans le détail de ses gestes un certain Antonin Artaud dans le film de 1927. Benjamin Gazzeri et Jean-Baptiste Le Vaillant sont deux fières et belles silhouettes hiératiques et gothiques dans la narration.

Côté voix nous tenons à saluer la Vierge stupéfiante de justesse d’Ilse Earens. Avec un timbre multicolore, elle encourage Jeanne à se livrer au feu dans une myriade de nuances. Les solistes qui incarnent les divers personnages sont la fine fleur du chant français et nous émerveillent par leur interprétation. Les Wiener Singverein et le Choeur d’enfants de l’Orchestre de Paris offrent des moments de pur bonheur avec une prosodie parfaite et une musicalité à couper le souffle.

A la tête des musiciennes et musiciens de l’Orchestre symphonique de la Radio de Francfort, le maestro Alain Altinoglu est chez lui dans ce répertoire. Ses attaques sont vives et éloquentes. Ses tempi et ses dynamiques brossent les tableaux de Claudel / Honegger avec une force impressionnante et des teintes iridescentes. Alain Altinoglu, tel un maître verrier, a su donner vie à cet immense vitrail comme l’astre du jour qui fait danser les bleus, les jaunes et les carmins de cette belle rosace fougueuse et recueillie à la fois.

Dans son film de 1927, Carl Dreyer a laissé Jeanne d’Arc se consumer dans son brasier. La musique de Léo Pouget et Victor Alix ont su saisir la force de la flamme qui métamorphose Jeanne. Sacrifice ouranien ultime, elle en devient élémentaire. Un burin incandescent du lustre éternel du monde. Ce n’est pas pour rien que Christine de Pizan, autre étoile filante de la fin du Moyen-Âge a chanté la Pucelle dans un poème. La Cité des dames de Christine luit sous l’éclat de l’astre de Jeanne. Outre l’artifice hagiographique, Jeanne d’Arc n’a rien de la grâce des statues, elle est devenue ce feu qui brise toutes les chaînes, qui affranchit et qui dévore; ce n’est plus une sainte, c’est une passion.

 

 

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 13 décembre 2024. HONEGGER : Jeanne d’Arc au bûcher. M. Cotillard, E. Genovèse, J. Dran, N. Courjal, I. Druet… Wiener Singverein / Choeur d’enfants de l’Orchestre de Paris / Orchestre symphonique de la Radio de Francfort, Alain Altinoglu (direction)

CRITIQUE, opéra. COMPIEGNE. Théâtre Impérial, le 14 déc 2024. POULENC : Dialogues des Carmélites. Patricia Petibon, Vannina Santoni, Sophie Koch, Véronique Gens… Les Siècles. Karina Canellakis (direction)

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Première historique à Compiègne ! Il aura fallu attendre ainsi décembre 2024 pour que le Théâtre Impérial ressuscite héroïnes et faits qui ont marqué l’histoire du lieu et de la ville de Compiègne. 230 ans après leur exécution, 67 après la création milanaise de l’opéra [1957], les Carmélites retrouvent vie sur la scène lyrique compiégnoise.

 

 

Dans les faits « Dialogues des Carmélites » est l’un des sommets lyriques français du XXème. Saluons le directeur Eric Rouchaud d’inscrire au répertoire du Théâtre, un ouvrage qui enrichit encore sa riche tradition française ; d’avoir choisi la production en provenance du TCE à Paris (nous y étions) pour cette première absolue dans le lieu de son action ; certes sans décors ni mise en scène mais avec l’acuité d’un jeu collectif qui prolonge l’expérience dramatique antérieure. La session de ce soir couronne en réalité la série des représentations parisiennes. Et son décor est le plus adapté : les instrumentistes de l’orchestre Les Siècles ; une phalange qui se révèle idéale, fidèle à l’acuité de sa démarche philologique et aussi ses affinités stylistiques naturelles, puisque le collectif a joué et enregistré nombre de chefs d’œuvre français du XXème, avec une indiscutable pertinence, à commencer par Debussy (La Mer) ou Stravinsky (Le Sacre du Printemps)… explorant plus loin encore les spécificités de l’orchestre français au milieu du XXème, Les Siècles se révèlent tout autant inspirés ; placés sur scène, à l’arrière des chanteurs, ils illuminent ce soir la performance, grâce à l’exposition inédite de certains timbres et alliages sonores totalement sidérants ; tout cela ré-éclaire l’orchestration de Poulenc et renforce encore la fusion électrique entre chant et instruments.

Le spectateur suit la trajectoire de Blanche, jeune femme qui a la révélation de la foi, reste d’une dignité inflexible, incarne un sommet de résilience sacrificiel en rejoignant ses sœurs pour être avec elles, exécutée par le tribunal révolutionnaire en juillet 1794, comme le rappelle la plaque commémorative situé dans le hall du théâtre. Ce soir Compiègne a rendez-vous avec l’histoire et la production qu’a choisie Eric Rouchaud même en version de concert, se montre digne de l’événement. Elle comble même nos attentes.

 

Dialogues incandescents
sur le lieu de leur action

Dès l’ouverture, s’affirme le scintillement continu des couleurs et des timbres à tel point que l’impression générale est celle de re-découvrir la partition, du début à la fin, en particulier un équilibre sonore et des alliages de timbres qui s’avèrent d’une nouvelle expressivité, dans la mesure où ils dévoilent le travail et la sensibilité du Poulenc orchestrateur.
On ne saurait jamais assez souligner l’apport des instruments d’époque et de l’approche historiquement informée : tout s’entend ici et s’écoute avec jubilation. Avec d’autant plus de relief voire de mordant que l’Orchestre est placé sur scène et enveloppe littéralement les voix des chanteurs qui circulent à l’avant scène derrière la cheffe.

La distribution d’abord réunit plusieurs tempéraments lyriques parmi les plus convaincants et qui sont depuis longtemps familiers du répertoire français. Véronique Gens en madame Lidoine, Sophie Koch en Prieure, surtout Vannina Santoni incarnant Blanche de La Force et sa jeune consœur, Constance [Manon Lamaison] qui se confrontent à la rectitude rêche, brûlante de Mère Marie (splendide Patricia Petibon qui incarne de bout en bout le respect à la règle et l’ordre au martyre collectif). Vannina Santoni confirme un tempérament captivant ; on retrouve cette séduction vocale et la justesse de sa présence scénique déjà constatée il y a près de 10 ans, sur les planches de l’Opéra de Tours quand elle chantait Suor Angelica (Trittico de Puccini, mars 2025), ou plus récemment dans la remarquable album des mélodies de Debussy (avec le Philharmonique de Radio France et Franck / cd distingué par notre CLIC de CLASSIQUENEWS).
On se délecte tout autant des rôles masculins : le père (Alexandre Duhamel) et le frère (Sahy Ratia) de Blanche, sans omettre le père confesseur du couvent (Loïc Félix). Chacun affine voire cisèle les arêtes vives de leur personnage (tout en soignant leur intelligibilité, vertu décisive) ; tous emportés par la bourrasque révolutionnaire et l’hystérie dogmatique qui ainsi au nom de la République, décide l’expulsion puis l’exécution des Carmélites.

 

Ce climat à la fois tragique, passionnel, mais aussi tendre, s’exprime surtout à l’orchestre, qui placé ainsi revêt un relief particulier, sous la direction autant détaillée que dramatique de la cheffe Karina Canellakis. Bois magistraux, cuivres étincelants, harpes (2) continûment sollicitées, cordes autant soyeuses qu’éruptives : tout ici façonne ce flux irrépressible vers le sacrifice final, ce avec d’autant plus de tension et de rythme que l’allant général de l’orchestre s’assimile à une marche continue, que le chant orchestral enrichit et creuse dans la profondeur de plus en plus ténébreuse, comme s’il s’agissait désormais d’une action au temps compté.
Avec le recul, l’œuvre qui fut à l’origine d’abord le projet d’un ballet, bénéficie beaucoup des dialogues incandescents de Bernanos (fondé en particulier sur des scènes multiples qui sont autant de confrontations). Poulenc en déduit musicalement une réflexion à la fois prenante, intime, spectaculaire sur la mort ; en cela la scène de l’ultime agonie de la Prieure, en proie au gouffre et à l’angoisse – sous les yeux de la jeune novice Blanche, aux côtés de Sœur Marie, est un moment très intense, défendu par Sophie Koch. La figure abandonnée à l’effroi fait contraste avec celle de plus en plus lumineuse et droite de Blanche dont Poulenc souligne la certitude et la force grandissante, surtout sa délivrance intérieure car à la fin, la nouvelle Carmélite écarte toute peur de la mort : elle n’hésite pas à rejoindre ses sœurs sur l’échafaud. Un cheminement remarquablement exprimé ce soir grâce à une interprète habitée et un orchestre des plus éloquents.

 

 

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CRITIQUE, opéra. COMPIEGNE. Théâtre Impérial, le 14 déc 2024. POULENC : Dialogues des Carmélites. Patricia Petibon, Vannina Santoni, Sophie Koch, Véronique Gens… Orchestre Les Siècles / Karina Canellakis (direction)

 

ORCHESTRE NATIONAL DU CAPITOLE DE TOULOUSE. Sam 11 janv 2025. VAUGHAN WILLIAMS : A Sea Symphony. Tarmo Peltokoski, direction

Ralph Vaughan Williams (1872 – 1958) est le père du symphonisme moderne, une figure pionnière du XXè britannique : entre 1910 et 1958, il a laissé 9 symphonies, comme Beethoven et Bruckner ; pourtant qui les connaît ?

 

S’il reste peu joué en concert, son œuvre est cependant estimée à sa juste mesure par le milieu musical : il est inhumé au côté d’Henry Purcell, autre étoile de la musique anglaise. Le style de Vaughan W., qui fut l’élève de Max Bruch à Berlin et de Ravel à Paris (1908), rend hommage aux grands compositeurs élisabéthains dont il puise le raffinement introspectif de ses propres œuvres… Sa première symphonie « A sea symphony », créée au Festival de Leeds en oct 1910, prolonge la tradition chorale anglaise et sollicite sans pause, un plateau de chanteurs qui chantent le texte de Walt Whitman, sur le sujet de la mer.

 

Les quatre mouvements font se succéder des atmosphères particulièrement contrastées : célébration joyeuse (I), contemplation méditative (II), scherzo purement orchestral (III), dernier épisode en forme de cantate (IV)… L’œuvre exalte la beauté de la mer comme sa cruauté et ses mystères, sa contemplation presque hypnotique qui suscite un questionnement profond. Solistes et chœur y chantent presque sans interruption : avec Chen Reiss, Sir Simon Keenlyside et le chœur Orfeón Donostiarra. Flamboyant et habité, le directeur musical de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, Tarmo Peltokoski entame ainsi un voyage au long cours puisqu’il dirigera à la Halle aux grains l’intégralité des 9 symphonies de Vaughan Williams avec l’Orchestre capitolin. Le cycle est d’ores et déjà annoncé sous l’étiquette Deutsche Grammophon.

 

 

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Samedi 11 janvier 2025, 20h
Toulouse, Halle aux grains
Grand concert symphonique

Orchestre National du Capitole de Toulouse
Tarmo Peltokoski, direction
Chen Reiss, soprano | Sir Simon Keenlyside, baryton
Orfeón Donostiarra chœur | José Antonio Sainz Alfaro, chef de chœur

 

 

VAUGHAN WILLIAMS
Symphonie n°1 « A Sea Symphony »

Réservations : 05 61 63 13 13 / Tarifs : 18 € à 68 €
Infos & réservations directement sur le site de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse :
https://onct.toulouse.fr/agenda/tarmo-peltokoski-2431440/

Photo de la Mer © Anddrey Pol