CLASSIQUENEWS : Quel est l’enjeu principal de votre opéra ?
JEAN-MARIE MACHADO : Pour moi, en tant que compositeur, le sujet central de ce projet demeure la vie de mon propre orchestre Danzas, créé en 2007. Je suis un compositeur particulièrement heureux de pouvoir disposer de mon propre ensemble instrumental. Chacun des musiciens qui le compose a un profil hybride. J’ai la chance d’avoir pu composer l’opéra sur mesure, en fonction de chaque individualité instrumentale et artistique. Ce sont des conditions optimales pour créer une partition nouvelle. De surcroît un premier opéra. Pour ma part, c’était le bon moment, dans le prolongement de mon travail sur la voix, et particulièrement du mini opéra réalisé avec la chanteuse Aurore Bucher, « Le bel indifférent » de Jean Cocteau. Pour La Falaise des lendemains, je retrouve une chanteuse avec laquelle j’ai déjà travaillé ; tous les autres rôles ont nécessité une audition ; chaque interprète est à la marge de plusieurs styles et esthétiques. J’ai proposé au conteur qui a écrit le livret, les éléments de l’action ; une action plutôt classique qui permette le déploiement de tableaux cinématographiques, comme une tragédie puissante qui s’inspire aussi de légendes pareilles à celle de Roméo et Juliette.
Photo portrait de Jean-Marie MACHADO © Cecil Mathieu
CLASSIQUENEWS : Qu’est ce qui est au centre de votre écriture ?
JEAN-MARIE MACHADO : Ce qui m’intéresse surtout c’est d’exprimer ce que ressent chaque personnage, ce qu’il vit, ce qu’il éprouve au moment de chaque situation. L’idée de surligner l’histoire ne m’intéresse pas. Ressentir les émotions des personnages à l’instant où ils les vivent, est très inspirant. La musique peut exprimer la pensée, les sentiments. A l’opéra ce qui est fascinant, c’est de vivre grâce à la musique chaque état, chaque sentiment de chacun des personnages.
Dans ce sens, le début sur les docks, où toutes les voix arrivent et forment une sorte de danse (la séquence s’intitule « poursuite et bravade ») est particulièrement intense ; de même à la fin du drame, le duo amoureux entre Lisbeth et Chris est construit à la manière d’Egberto Gismonti, à cinq temps, aérien, où je mêle au jazz une voix lyrique, tout cela tendant à exprimer la force et le mystère de l’amour…
CLASSIQUENEWS : Pourquoi avoir marié ainsi les langues (français, breton, anglais) ?
JEAN-MARIE MACHADO : La présence du breton dans le texte de l’opéra découle d’une proposition du librettiste. L’histoire se passe à Roscoff dans les docks, en Bretagne, entre les deux guerres, à une époque où l’on parle le français et le breton. L’anglais s’invite aussi parce que l’action met en scène des Anglo-saxons venus des Iles de Guernesey qui organisent alors un spectacle dans la ville… Il était naturel d’inclure le breton ; c’est comme si je rendais à la Bretagne tout ce qu’elle m’a offert et transmis. Quand les personnages s’expriment en breton, cela renforce la vérité des situations. Enfant, j’ai été familier des métissages et des cultures mêlées ; je suis né au Maroc ; dans ma famille, nous parlions espagnol, italien, portugais (mon père était Portugais) ; tout cela au milieu de la langue arabe.
CLASSIQUENEWS : Pourquoi mêler sur le plateau musiciens et chanteurs, pour quel format musical ?
JEAN-MARIE MACHADO : L’opéra permet d’aborder une multitude de disciplines, tout ce que j’ai pu approcher en tant que compositeur, c’est à dire une grande diversité de formes musicales, comme le ballet, la musique de chambre. Le genre opéra est inspirant parce qu’il englobe tous les genres. Ce que j’apprécie à l’opéra c’est son côté cinéma vivant ; sa capacité à produire des tableaux spectaculaires ; des envolées qui nous transportent. C’est aussi un lieu d’expérimentation qui est stimulant ; il était important d’intégrer les musiciens sur le plateau ; à plusieurs reprises les chanteurs évoluent, entourés d’instrumentistes, grâce à un dispositif de passerelles. Tout cela fait partie des enjeux de l’opéra. Il était important d’inventer de nouveaux formats. Et je remercie les directeurs d’opéras, comme Matthieu Rietzler, Alain Surrans, Enrique Thérin ou encore Fanny Bertin de permettre ainsi la réalisation de spectacles qui ne se conforment pas aux canons du sérail opératique. A la confluence du classique, du jazz, des musiques traditionnelles qui composent ma famille musicale, l’opéra La Falaise des lendemains envisage d’autres pistes, d’autres expériences artistiques. Je viens du classique, j’ai appris le piano auprès de la concertiste Catherine Collard. C’est une chance de produire un tel opéra qui mêle autant d’écritures et de styles différents.
Propos recueillis en novembre 2024
Photos / production de l’opéra en création mondiale à l’Opéra de RENNES : La Falaise des lendemains, novembre 2024 © Laurent Guizard
LIRE notre présentation de la création mondiale de La Falaise des lendemains de Jean-Marie Machado, à l’affiche de l’Opéra de Rennes du 7 au 11 novembre 2024 : https://www.classiquenews.com/opera-de-rennes-du-7-au-11-nov-2024-creation-mondiale-jean-marie-machado-la-falaise-des-lendemains-diskan-jazz-opera/
Opéra contemporain repris à
NANTES, du 26 février au 1er mars 2025
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