vendredi 6 décembre 2024

CRITIQUE, opéra. RENNES, Opéra, le 9 nov 2024. JEAN-MARIE MACHADO : La Falaise des lendemains (création mondiale). Yete Queiroz, Vincent Heden, Florian Bisbrouck… Orchestre Danzas, Jean-Charles Richard, direction. Jean Lacornerie, mise en scène

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Le sujet central de LA FALAISE DES LENDEMAINS, est celui d’un amour miraculeux qui est sacrifié, tué, plus précisément torturé ; les deux êtres véritablement aimantés dès leur première rencontre (après la représentation des marionnettes) suscitent ainsi un superbe trio (le premier temps fort de la partition) ; celui des deux cœurs saisis, auxquels se joint le joueur de tuba (très subtil François Thuillier), jouant debout sur scène entre les deux protagonistes. D’ailleurs ce sont souvent les duos qui inspirent le mieux le compositeur Jean-Marie Machado. La force du spectacle tient à son dispositif qui mêle sur scène jeu scénique des chanteurs et  instrumentistes de l’Orchestre Danzas, l’orchestre du compositeur. Du reste c’est au final l’orchestre et sa palette sonore des plus variées qui mêlant les timbres et les styles, est l’un des piliers de la performance.

 

HYMNE A L’AMOUR ET AUX LÉGENDES BRETONNES…. C’ est un festival raisonné de timbres mêlés, fusionnant des mondes sonores que l’on pensait trop étrangers pour être associés, qui s’avère très convaincant ; l’inspiration de Jean-Marie Machado cultivant [et réussissant] l’art des métissages, ose marier des registres ailleurs séparés ou distincts ; ainsi le duo qui associe voix lyriques et voix de comédie musicale : comme en témoigne le duo de l’infirmière – nurse qui soigne Chris infirme à Guernesey (Cécile Achille et Vincent Heden) : admirable mariage des genres dont la fusion réussie accrédite les vertus du métissage des styles ; métissage qui est à la source de tout le projet artistique. Précisément, le spectacle présenté par le compositeur comme un « Jazz Diskan Opéra », relève davantage du théâtre musical que de l’opéra pur.

En évidence, c’est toujours l’écrin musical qui tisse le flux poétique unifiant toutes les composantes du spectacle malgré son éclectisme. La mise en forme grâce au livret de Jean-Jacques Fdida, mêle très habilement les légendes et le choc des épisodes historiques sur les quais de Roscoff… l’action convoque l’amour entre deux êtres de culture différentes, pris dans les rets d’une jalousie barbare et abjecte, en l’occurrence celle du maquereau Dragon, un monstre sans foi ni loi qui violente toutes les femmes qu’il prostitue, et qui commet l’irréparable quand celle qu’il désire en vain, Lisbeth, ose en aimer un autre. De surcroît un étranger…
Lieu fort et emblématique de l’action symbolique comme réelle, la « falaise des lendemains » (Oh Tornaod an Ontronz, en breton) cristallise la tension qui grandit, c’est le lieu des catastrophes [où l’on crie ses espoirs à vif, ses voeux furieux…) ; d’où aussi, Lisbeth se jette par désespoir et pour échapper à l’agressivité du violeur Dragon. Elle y perdra ses jambes en devenant une femme tronc sur fauteuil… Aucune image des plus crues n’est épargnée.

A travers l’absolu d’un amour massacré qui cependant s’inscrit dans l’éternité de la légende bretonne, les auteurs développent surtout ce cynique écœurant, vrai carburant de l’action lyrique… C’est pourquoi tout du long du spectacle, on suit les [ex] actions de la bande de Dragon, escrocs à la petite semaine et vrais criminels profiteurs, proxénètes terroristes, truands tortionnaires et assassins ignobles, au début du drame, puis trafiquants opportunistes sans morale pendant la première guerre… La force scénique comme musicale du spectacle tient au contraste de ces deux réalités. Les auteurs ajoutent en outre comme un préambule qui en adoucit la violence générale, l’épisode du jeune homme musicien auquel une « Morgane », sirène humaine, offre la grâce de se souvenir de son propre hymne musical pour lui apparaître à l’envi … Un épisode qui tout en reliant l’histoire de Lisbeth la bretonne et de Chris le marionnettiste English avec les héros de ce conte sentimental et tragique primordial, dessine dans une boucle générale, un ouvrage dont l’enveloppe et la langue expressive restent surtout oniriques et légendaires.

 

C’est aussi une prouesse et une première de choisir 3 langues dans le livret au cours de la soirée ; l’anglais évidemment pour évoquer la présence des britanniques à Roscoff ; le français qui est dévolu aux échanges parfois agressifs, salaces, cyniques des deux lascars (Dragon et son acolyte) avec les deux prostituées qui leur sont totalement soumises. Le breton enfin, qui approfondit la vérité des rapports, la crudité et la violence des individus mais aussi le surgissement de la légende, celle du monde de la falaise… pic dont la présence est allusivement permanente, et qui surplombe cette humanité barbare, à la dérive.

Avec beaucoup de délicatesse et de sensibilité [l’apothéose finale jouée au piano seul, qui pourrait être le tombeau musical de Chris, exténué, arrivé au terme de ses souffrances), Jean-Marie Machado offre une parure captivante qui reste constamment à l’écoute des élans poétiques du drame amoureux, la capacité du sacrifice à glorifier les deux cœurs suppliciés.

Parmi les solistes, au sein d’une équipe plutôt homogène, saluons les incarnations immédiatement convaincantes, naturelles et évidentes : d’abord la Lisbeth de Yete Queiroz (timbre velouté et ardent, toujours très juste), sa « confidente » et partenaire d’un autre duo ciselé, Alys (impeccable Karine Sérafin), puis le très connu ténor au timbre angélique Vincent Heden, Chris lumineux dans sa souffrance radicale (qui réussit entre autres le mariage des codes de la comédie musicale avec l’opéra). Distinguons aussi le baryton Florian Bisbrouck qui confère à Dragon, son épaisseur démoniaque, une présence virile forgée dans la haine et la pure cruauté. Très efficace, la direction du chef Jean-Charles Richard veille au réalisme filigrané d’une partition qui assume son vérisme brûlant, ses accents d’une tendresse infinie, ses rythmes francs, parfois sauvages, toujours suggestifs. Dernière ce jour à 16h à l’Opéra de Rennes. Création reprise à ANGERS NANTES OPERA à partir du 26 février et jusqu’au 24 avril 2025.

 

Photos / production de l’opéra en création mondiale à l’Opéra de RENNES : La Falaise des lendemains, novembre 2024 © Laurent Guizard

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. RENNES, Opéra, le 9 nov 2024. JEAN-MARIE MACHADO : La Falaise des lendemains. Yete Queiroz, Vincent Heden, Florian Bisbrouck… Orchestre Danzas, Jean-Charles Richard, direction. Jean Lacornerie, mise en scène.

 

 

LIRE aussi notre présentation de la création mondiale à l’Opéra de Rennes, La Falaise des lendemains de Jean-Marie MACHADO : https://www.classiquenews.com/opera-de-rennes-du-7-au-11-nov-2024-creation-mondiale-jean-marie-machado-la-falaise-des-lendemains-diskan-jazz-opera/

 

 

Lire aussi notre entretien avec Jean-Marie MACHADO à propos de son opéra en création mondiale La Falaise des lendemains : https://www.classiquenews.com/entretien-avec-jean-marie-machado-a-propos-de-son-nouvel-opera-la-falaise-des-lendemains-creation-mondiale-a-laffiche-de-lopera-de-rennes-en-novembre-2024/

 

 

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