Un des morceaux les plus connus de toute la musique baroque est « Lascia ch’io pianga« . Ce tube a été inspiré par une sarabande issue d’un opéra de Keiser que Georg Friedrich Haendel a repris dans sa jeunesse, à Hambourg en 1705, dans son premier opéra, Almira. Cette mélodie entêtante est le point de bascule à la fois de l’Oratorio Il Trionfo del Tempo e del Disinganno et de Rinaldo, tout premier opéra du Caro Sassone à Londres, en 1711. Haendel aimait remanier ses opéras, surtout entre deux créations, ou pour remplir les caisses de sa compagnie. En 1731, Haendel voyait son étoile diminuer avec une opposition de plus en plus féroce face à son monopole peu ou prou justifié. Rinaldo, grand succès en 1711, est remanié et repris en 1717, est monté une troisième fois par Haendel sous une nouvelle mouture reprenant quelques airs des opéras Lotario et Admeto. Ayant désormais une soprano comme Anna Maria Strada del Pò, ou des mezzos et contraltos telles que Francesca Bertolli ou Antonia Merighi, en plus du ténor Annibale Pio Fabbri, Häaendel pouvait donner à Rinaldo des couleurs nouvelles et une force théâtrale rutilante.
Marco Angioloni et son ensemble Il Groviglio nous surprennent positivement avec chaque projet qu’ils portent, comme dernièrement la résurrection de Sosarme du même Haendel au Château de Versailles. C’est encore à l’initiative de ce jeune ténor (et désormais chef d’orchestre…) que des merveilles tels Poro, Re delle Indie (toujours de Haendel) ou la Santa Editta de Stradella sont revenues parmi nous avec toutes leurs nuances. Marco Angioloni s’engage dans la défense et la restitution du répertoire avec un courage digne du grand Rinaldo et ses compagnons, en affrontant tous les obstacles et entouré d’une équipe parfaitement bien choisie.
Pour le retour de ce Rinaldo dans sa version de 1731, Marco Angioloni a d’abord enregistré l’intégralité de l’œuvre dans un disque paru… Il y a trois jours, vendredi 14 février ! Mais en avant-première, c’est au coeur même de la Capitale que Marco Angioloni avait réuni une équipe réduite de ses musiciennes et musiciens pour célébrer la sortie de l’album, et faire résonner sous la coupole de l’Église Saint-Louis-en-l’île des extraits de ce Rinaldo 1731 (en première française !). A la fois à la baguette et en incarnant le rôle de Goffredo, Marco Angioloni transmet avec enthousiasme toutes les nuances de cette partition. Avec un timbre généreux et une très belle énergie, il campe le rôle de Goffredo dans sa réécriture pour Annibale Pio Fabbri.
Il a par ailleurs convié l’extraordinaire soprano kazakh Anara Khasserova – que l’on souhaiterait voir plus souvent dans les distributions en France. Anara Khasserova chante à la fois des extraits d’Almirena et d’Armida avec un sens égal de la musique et du théâtre. Le timbre est d’une magnificence extraordinaire tant de grave que dans la précision des aigus. En Rinaldo et Argante c’est le superbe contre-ténor Logan Lopez Gonzalez qui nous ravit avec la belle ligne vocale subtilement ponctuée de magnifiques nuances. Logan Lopez Gonzalez manie l’agilité avec virtuosité mais toujours avec le sens d’un goût très sûr et une émission claire : il est l’une des plus belles voix de contre-ténor de sa génération. A suivre absolument !
Rinaldo 1731 est une mouture aux trésors insoupçonnés, finalement rendue à la postérité grâce à l’énergie enthousiasmante de Marco Angioloni et de son ensemble Il Groviglio. Sous les dorures et les marbres de Saint-Louis-en-l’île, l’esprit rebelle du Tasse épouse les lambris et moulures baroques, alors qu’à l’entrée de l’église un formidable Jacques Stella garde depuis des siècles l’enceinte de ce haut lieu de musique, avec une explosion de couleurs dans un brillant silence.
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CRITIQUE, opéra. PARIS, Eglise de Saint-Louis-en-l’île, le 24 janvier 2025. HAENDEL : Rinaldo (version de 1731 / Extraits). Ensemble Il Groviglio, A. Khasserova (soprano), L. Lopez Gonzalez (contre-ténor), Marco Angioloni (ténor et direction). Crédit photo © Droits réservés