lundi 24 mars 2025

CRITIQUE, CD. Seong-Jin CHO, piano. RAVEL : the complete solo piano works / intégrale des œuvres pour piano (2 DG Deutsche Grammophon)

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Tempérament vif, nuancé, Seong-Jin CHO signe pour DG Deutsche Grammophon un double album Ravel, idéalement opportun pour le 150è anniversaire Maurice Ravel 2025. Premier jalon qui s’annonce telle une somme des plus convaincantes, un premier double cd réunissant toutes les partitions pour piano seul du divin magicien Ravel…

 

 

CD 1 – Le pianiste coréen Seong-Jin CHO (né à Séoul en mai 1994), très à son aise, dévoile tout ce qu’a de Stravinskien la première « Sérénade grotesque ». Délirante et enivrée. Puis il éclaire la vitalité percutante de Menuet antique, excellant à matérialiser cette équation expressive qui n’appartient qu’au magicien Ravel : sous le feu, la candeur et le pur esprit de la grâce baroque. Large et d’une douceur jamais sacrifiée, Pavane pour une infante défunte est l’un des joyaux de ce double album : naturel et sobre, évident et juste.

 

Les deux cycles qui referment le premier cd, d’abord la Sonatine et ses 3 mouvements puis Miroirs-, confirment les réelles affinités du pianiste coréen avec la poétique ravélienne : la Sonatine est abordée comme un jaillissement aux teintes atmosphériques ; « Miroirs », parmi les polyptiques les plus redoutables de la littérature ravélienne (5 séquences) s’imposent tout autant par leur évanescence fulgurantes, leur crépitement libre et d’une intensité suggestive superlative car le pianiste maîtrise virtuosité et économie, nuances miroitantes et franchise structurante. Ce qui est le moins est le plus : son style et ses choix interprétatifs expriment au plus juste ce défi posé comme une équation énigmatique à tout pianiste. Seong-Jin Cho en poète maître de ses capacités et de son art, ensorcèle par un savoir poétique qui révèle dans chaque épisode, toute la magie intérieure, l’urgence et le feu incandescent que dissimule l’extrême pudeur ravélienne. « Oiseaux tristes » enchante comme un réflexion sur l’infini trouble sonore de ses harmonies rares, suspendues… tandis qu’« une barque sur l’océan » enchante par ses ondulations souples et scintillantes, idéalement énoncées entre immatérialité vaporeuse et flux aérien. Quel somptueux contraste avec le caractère hispanisant et ici d’un raffinement non moins scintillant, d’un tempérament plus dramatique et conquérant, d’Alborada del gracioso… La magie ravélienne opère, s’y déploie avec une finesse et des nuances au charme d’une ineffable tendresse.

 

CD 2 – Autre cycle majeur de la poétique ravélienne, GASPARD DE LA NUIT confirme les mêmes impression. Seong-Jin CHO aborde Ravel avec toute la verve et la mesure, idéales : C’est d’abord une plongée et une immersion dans la matière liquide, aux ondulations océanes d’une action qui paraît jaillir comme la réitération d’une apparition ou d’un rêve d’une ineffable fragilité scintillante (Ondine). La matière musicale engendre la poésie la plus pure. Le pianiste éclaire la vibration surtout impressionniste de la partition, écartant le drame, comme la parfaite clarté du flux pianistique, pour une dimension picturale, comme diluée et d’une souplesse expressive assumée. Sachant aussi dans la construction de l’onde mélodique exprimer le caractère d’insouciance hallucinée de l’ondine qui se dérobe toujours, frétillante, inaccessible, qui disparait dans le secret.
Le Gibet avance (opportunément avec lenteur, comme il est indiqué sur le manuscrit) ici comme l’élan d’une complainte tout aussi esquissée, sortant de l’ombre, presque immatérielle, et peu à peu, cadre d’une révélation secrète, indicible, aux crépitements ténus, presque murmurés. Le pianiste cisèle cette étoffe délicate, avec une finesse impressionnante, cultivant toutes les nuances de l’intime. Seong-Jin Cho inscrit ce poème dans l’ombre, l’imprécis, le diffus.
Scarbo fusionne le style aquarellé déjà constaté et une digitalité électrique, évanescente qui nourrit le caractère moins diabolique qu’énigmatique voire enivrant du 3è poème d’après Aloysius Bertrand. L’interprète suit avec beaucoup de nuances la trajectoire jalonnée d’éclairs et d’acoups prophétiques, qui mène de l’ombre à la transe ; délivrant peu à peu tout ce qui advient et se révèle effrayant, miroitant, hypnotique… et à la fin, dans la 8è minute, halluciné, évanescent.

 

Sérénité tout aussi secrète, intime du Menuet sur le nom de Haydn, au néo classicisme attendri ; aussi contrastées qu’élégantes, au tempérament vif, les 8 valses nobles et sentimentales captivent tout autant; la ciselure atteint une clarté plus incisive dans le Tombeau de Couperin, cycle filigrané, néo antique, comme des gravures d’une exquise délicatesse d’intonation ; prélude, fugue, forlane, rigaudon, menuet et Toccata finale affirment plus que l’hommage de Ravel aux formes baroques ; en réalité sa passion pour le raffinement suggestif que permet la forme ancienne au firmament de son inspiration poétique : le menuet «  à la mémoire de Jean Dreyfus » exprime la vibration naturelle d’une délicatesse printanière, quand l’ultime épisode (Toccata « à la mémoire du capitaine de Marliave »), crépite avec un panache idéalement assumé. Beau tempérament, intérieur, éloquent, superbement nuancé.

 

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CRITIQUE, CD. Seong-Jin CHO, piano. RAVEL : the complete solo piano works / intégrale des œuvres pour piano (2 DG Deutsche Grammophon) – enregistré à Berlin en sept 2024.

PLUS D’INFOS sur le site de DG Deutsche Grammophon : https://www.deutschegrammophon.com/en/catalogue/products/ravel-the-complete-solo-piano-works-seong-jin-cho-13661

 

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