Le chef Joshua Weilerstein, nouveau directeur musical depuis sept dernier (somptueuse Symphonie n°5 de Mahler), dirige les instrumentistes de l’Orchestre national de Lille dans l’un des programmes phares de la saison 2024 – 2025 en cours, première saison musicale qu’il a concoctée. Le programme « Survivant de Varsovie » est un vibrant plaidoyer contre l’antisémitisme, les 16 (Lille) et 17 mars prochain (Paris).
Évoquant les victimes d’hier, ce programme alerte et rappelle, comme l’écrivait Bertolt Brecht, que « le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde ».
Composée au sortir de la guerre, la cantate Un survivant de Varsovie célèbre le souvenir des victimes de la Shoah. Composant texte et musique, Schönberg convoque le destin tragique d’un de ses coreligionnaires qui n’a pas eu, comme lui, la chance de fuir la barbarie nazie. La partie du récitant, en anglais, ne doit jamais être chantée, quand bien même ce serait une partie vocale soliste, tandis que le chœur incarne tour à tour les nazis, en allemand, et les juifs, en hébreu. Sous-titrée « Babi Yar », en référence au massacre de plus de 33 000 juifs par les nazis et leurs collaborateurs locaux dans ce ravin près de Kiev, la Symphonie n° 13 de Chostakovitch dénonce l’antisémitisme.
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Survivant de Varsovie / Orchestre National de Lille
Joshua Weilerstein, direction
Dimanche 16 mars 2025, à 16h
Auditorium du Nouveau Siècle – LILLE
Lundi 17 mars 2025 à 20h
Philharmonie – PARIS
RÉSERVEZ vos places directement sur le site de l’Orchestre National de Lille : https://onlille.com/choisir-un-concert/categories/un-survivant-de-varsovie
Photo : © Ugo Ponte / ON LILLE
Programme et distribution
Arnold Schönberg
Un Survivant de Varsovie op. 46
pour récitant, choeur d’hommes et orchestre
Dmitri Chostakovitch
Symphonie n° 13 « Babi Yar »
Lambert Wilson, récitant
Dmitry Belosselskiy, basse
Orchestre National de Lille & Joshua Weilerstein, direction
Philharmonia Chorus Gavin Carr, chef de chœur
Coproduction Orchestre national de Lille, Philharmonie de Paris
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Symphonie n°13 « BABI YAR »
Cantate en plusieurs mouvements ou symphonie pour soliste ? Comme l’opus qui suit (Symphonie n°14), Chostakovitch organise sa Symphonie n°13 en associant instruments et voix. L’œuvre n’a de disparate ou d’éclectique, en apparence, que ses options formelles. L’unité en est assurée par le prétexte littéraire : la symphonie suit le cycle de cinq poèmes d’Evguenei Evtouchenko : « Babi Yar », « l’Humour », « Au magasin », « les terreurs » et « la Carrière ». Le poète né en 1933, s’est fait connaître dès 1957, en dénonçant au nom de l’idéal révolutionnaire la corruption du système stalinien. Son poème affûté, « Babi Yar », dénonce en 1961, l’antisémitisme du pouvoir. Evtouchenko sera comme Chostakovitch déçu par les nouveaux décisionnaires politiques qui ont succédé au Stalinisme. Le retour à un pouvoir centralisé, à ses dérives conformistes au nom du réalisme socialiste, ne fera qu’aiguiser l’opposition du poète, cependant de moins en moins militant, comme il l’avait été au début des années 60 (quand Chostakovitch s’engage pour sa prose et ses revendications), en organisant des meetings poétiques qui réunissaient plusieurs milliers de personnes.
Au départ, le compositeur ne souhaitait « illustrer » que le premier poème, découvert en 1961. Une première partition sur ce seul poème fut achevée en avril 1962. Puis, Chostakovitch décida de compléter l’œuvre en lui associant les poèmes complémentaires. La partition sur les 4 autres poèmes fut terminée en trois mois. Et l’auteur put entendre la création de sa Symphonie n°13, intitulée « Babi Yar », le 18 décembre 1962, sous la direction de Kirill Kondrachine (avec le soliste Vitaly Gromadski).
Fiche symphonie : Symphonie n°13, « Babi Yar»
Orchestre : percussions abondantes, comprenant castagnettes, xylophone, célesta, cloches… Contrebasses à 5 cordes.
Commentaires des cinq mouvements : l’adagio initial (1) peint l’horreur. La vision d’un charnier « Babi yar », le ravin des femmes, contenant de nombreux cadavres de juifs soviétiques martyrisés par les nazis. Atmosphère oppressante sur un rythme de marche, sons de cloches. Les courtes vagues chorales contrastent avec les phrases du soliste plus développées. L’allegretto (« l’humour ») (2) est porté par le sarcasme léger et mordant du compositeur : l’humour qui y est célébré, est le plus irrévérencieux, c’est l’apologie de l’insolence contre toute forme d’oppression et d’autorité. L’adagio d’ « Au magasin » (3) est durablement construit sur un registre doux et songeur. Le quotidien des femmes russes y est évoqué : faire de longues queues devant les magasins. Le largo (« les terreurs ») (4) s’inscrit contre la période de la déstalinisation. Le compositeur, inspiré par la poète y exprime la terreur des temps où « parler à sa propre femme » était une « terreur »… Dans l’allegretto final (« la carrière »)(5), Chostakovitch évoque les hommes de bonne volonté qui par leurs idées, ont pris des risques. Lui-même inquiété et menacé par le régime soviétique, semble inspiré tour à tour par une apparente insouciance puis une profondeur méditative : il se confesse à lui-même, non sans un cynisme terrifiant : « je fais une carrière en ne la faisant pas ».