samedi 5 juillet 2025
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Mozart, Lucio Silla (1772)Festival de Salzbourg, à partir du 25 juillet

Lucio Silla est un ouvrage marquant dans la carrière lyrique de Mozart. Il s’agit de son dernier opéra écrit en Italie, pour le Teatro Regio Ducale de Milan, qui lui avait déjà commandé, Mitridate, créé le 26 décembre 1770. Le succès de cet opéra seria précédent fut tel que le jeune compositeur de… 14 ans, se vit commandé un second seria, Lucio Silla pour le 26 décembre 1772.

Le choix du livret
et du héros semble suivre la chronologie des opéras de Mozart. Dans la réalité, Lucio Silla, fin calculateur, devient consul en 88 et, concordance frappante… écrase Mitridate en 82, – celui-là même que Mozart avait traité deux années auparavant, pour devenir dictateur de Rome. Giovanni de Gamerra, auteur du livret, s’inspire des sources latines, en particulier des Vies parallèles de Plutarque. En Sylla, il faut reconnaître la figure détestable de la perversité politique, prêt à tout et sans scrupules ni élégance humaine ; or, ce personnage exécrable renonce à tous les objectifs qu’il s’était fixés, avec un détâchement aussi brutal qu’imprévisible. Voici donc, en 1772, une manifestaiton éloquente de l’Esprit de l’Aufklärung ou Esprit des Lumières, dont l’opéra seria est le manifeste permanent,tout au long du XVIIIème siècle.

Le seria occupe la pensée du musicien. Ses règles strictes sont un défi pour le créateur. Or en dépit de ses obligations formelles : héroïsme édifiant et moralisateur de l’histoire et des personnages, succession mécanique des récitatifs et des airs, rareté des ensembles (duos et trios), Mozart créée déjà un continuum musical qui organise l’œuvre non pas en une succession d’épisodes, mais en tableaux cohérents et unitaires.
Comme il le fera avec une ampleur maîtrisée dans la Clemenza di Tito, son dernier seria (1791), Mozart superpose en un tout unifié, plusieurs lignes dramatiques dont la somme expressive est saisissante : à la fin de l’acte I, le couple amoureux Cecilio/Giunia erre dans la nécropole romaine, le chœur souligne leur désarroi, puis leur étreinte se réalise en un duo libre. La sobriété de la fresque antique rejoint l’élévation sentimentale des personnages. Cette tendresse et cette humanité à l’œuvre sont la marque du compositeur.
La riche texture expressive de la partition lui donne sa valeur. D’autant que l’histoire donne un prétexte pour traiter le cynisme du politique avide (Lucio Silla est ici le dictateur de Rome et veut épouser Giunia) mais aussi, par opposition, l’intensité des émotions des individus, en particulier les deux vrais héros de Lucio Silla : les mêmes Giunia et Cecilio. A la profondeur de l’écriture correspond pour chacun, deux chanteurs en lesquels Mozart avait trouvé de superbes acteurs : la soprano, Anna de Amicis et le castrat, Venanzio Rauzzini.

La gravité, la mort. Mozart y dévoile un premier aspect de son génie, confronté à la mort (justement Cecilio dans la nécropole romaine médite sur la vanité de l’homme et réfléchit sur la mort). Ne serait-ce pas ici une vibration annonciatrice des Souffrances du Jeune Werther que Goethe achèvera quelques mois après le Lucio de Mozart, en 1774? La présence de la gravité est désormais inscrite dans son écriture et teinte toute l’inspiration. Après Lucio, Mozart exprimera plus ouvertement enore ce sentiment profond dans la Symphonie en Sol Mineur (1773).
La fascination de l’œuvre laisse imaginer un adolescent, -Mozart n’a que 16 ans au moment de la création-, en prise avec une forme lyrique difficile mais dont l’intuition donne une première ampleur naturelle et tendre au désarroi profond de ses personnages.

Les critiques
fustigeant un ouvrage irrégulier et déséquilibré par l’inconsistance du personnage de Lucio Silla oublie que nous sommes ici dans un cadre contraignant, et par principe invraisemblable. Que le pervers Lucio, tyran des cœurs et dictateur politique, se transforme à la fin en prince des Lumières, compatissant et ému, laissant pouvoir et amour (permettant par la même aux amoureux Giunia/Cecilio de s’aimer librement), n’est pas en soi une trame dramaturgique des plus faciles. Tout au moins, elle offre les mêmes contraintes que Mozart éprouvera pour son Titus, précédemment cité, et dont on reproche aussi, l’aspect inabouti et l’insignifiance du rôle-titre. Même genre, mêmes reproches. On oublie aussi que le jeune Mozart, dut reprendre sa partition après que Gamerra ait soumis le livret au poète officiel de la Cour de Vienne Métastase, lequel inspire alors dans le genèse de l’ouvrage, certains réaménagements. Le compositeur doit suivre et s’adapter à ces imprévus. La soumission du musicien est totale : il ira encore jusqu’à reprendre les tonalités et les cadences des airs afin de satisfaire les caprices des chanteurs, à Milan.

Eloge du politique éclairé, surtout métamorphoses à l’œuvre chez les personnages sentimentaux, ici Giunia/cecilio : tout est en place pour les prochains serias de Mozart : Idoménée (1781), surtout, Titus, dix ans plus tard, (1791) qui partage plus d’une analogie avec Lucio Silla dont le couple Cecilio/Giunia permet l’approfondissement sur un autre registre du duo Sesto/Vitellia.

Mozart, Lucio Silla K.135 (Milan, 26 décembre 1772)
Dramma per musica en trois actes, opera seria
Livret de Giovanni de Gamerra, révisions de Métastase
D’après les Vies parallèles de Plutarque

Festival de Salzbourg, les 25, 27, 30 juillet

Direction musicale : Tomàs Netopil
Mise en scène : Jürgen Flimm
choeurs et ochestre du Théâtre de la Fenice, Venise

Lucio Silla, Roberto Saccà
Giunia, Annick Massis
Cecilio, Monica Bacelli
Lucio Cinna, Veronica Cangemi
Celia, Julia Kleiter
Aufidio, Stefano Ferrari

Discographie

1989, Nikolaus Harnoncourt
Peter Schreier (Lucio Silla), Edita Griberova (Giunia), Cecilia Bartoli ( Cecilio), Dawn Upshaw, Yvonne Kenny, Chœur Arnold Schönberg, concentus muiscus de Vienne (Teldec, 2 cds).
Presque dix ans après avoir donné un Lucio d’anthologie en 1981, avec le metteur en scène Jean-Pierre Ponnelle, dans une production présentée à Zurich, Nikolaus Harnoncourt fixe pour le disque une version qui en dépit de certaines faiblesses (coupures et même suppresion du personnage d’Aufidio, le confident de Silla), demeure la référence actuelle. Bartoli/Gruberova donne toute l’ampleur tragico-sentimentale, l’exaltation de leur couple, au duo Cecilio/Giunia. On peut reprocher les coupures mais l’analyse de l’orchestre, d’une texture tranchée et vive restitue à Lucio Silla, sa véhémence sanguine.

Illustrations
Jacques-Louis David, Les Adieux d’Eucharie et de Télémaque (dr)
Barbara Krafft, Portrait posthume de Mozart (dr)

Antonio Vivaldi, Bajazet (1735)Festival Montpellier et Radio France, les 24 et 25 juillet à 20h.

L’essor des cds consacrés aux opéras de Vivaldi a dévoilé un
tempérament inestimable de la scène. Mieux, cette profusion d’enregistrements signés Virgin classics, CPO, DG ou Naïve (intégrale des opéras vivaldiens en cours) indique indiscutablement un égal
de Haendel.
Pourtant, nos théâtres d’opéras demeurent frileux à monter
une production de Pretre Rosso. C’est pourquoi, ce Bajazet
programmé à Montpellier, pour deux dates, dans le cadre du festival de Montpellier et
Radio France est un événement incontournable de cet été. D’autant que
les interprètes, pour une partie, ont enregistré la partition dans une
gravure particulièrement saluée à l’époque de sa sortie (Virgin classics, 2005).

Les
discophiles retrouveront en effet le chef italien, Fabio Biondi et son
orchestre Europa Galante, ainsi que seule voix de la distribution
gravée chez Virgin classics, Vivica Genaux, dans le rôle d’Irene. Souhaitons qu’auprès de ses
nouveaux partenaires à Montpellier, la mezzo canadienne retrouve l’état
de grâce du disque.

Une œuvre de réemplois

Bajazet est
un pasticcio, c’est à dire, une partition composée d’airs anciens, déjà écrits
pour des opéras antérieurs, puisés par Vivaldi, dans son catalogue ou dans celui de
ses contemporains (Hasse, Broschi, Giacomelli). Les mélodies sont
réutilisées, les textes réécrits, comme les recitatifs repensés selon
un ordre et une succession dramatiquement recontruits.
Pour Idaspe, par exemple, le compositeur recycle l’air Nasce rosa lusinghiera, antérieurement composé pour Giustino et Farnace.
Vivaldi a recours
en de multiples occasions à ce principe, qui d’ailleurs est familier à
tous les compositeurs du XVIII ème siècle. La nécessité de présenter à chaque saison des
ouvrages « nouveaux », a certainement inspiré au musicien, le réemploi
de matériau tout aussi efficaces, s’ils sont habilement recyclés.
D’autant plus, s’il s’agit d’airs à succès. A ce titre, pour son Bajazet, Vivaldi fait
mieux que ses autres pasticcios, tels Dorilla in Tempe (1734) ou
Rosmira fedele (1738), oeuvres qui encadrent Bajazet.
Mais Vivaldi entre deux réemplois, subtilement retravaillés pour le respect de la continuité et de la cohérence dramaturgique, écrit des airs nouveaux d’un indicutable souffle tragique, en particulier pour les personnages de Bajazet (Odi, Perfida! puis l’arioso, Verro crudel, spietato...), et d’Asteria (E morto, si tiranno… puis, Svena, uccidi, abbatti atterra…).

Un héros à l’antique

En reprenant le sujet de Bajazet, Vivaldi
s’attaque à un sujet auparavant mis en musique par son maître
Gasparini, en 1711. D’après Tamerlan ou la mort de Bajazet, pièce
écrite par la français Jacques Pradon en 1675, le livret existant de
Piovene évoque l’héroïsme tragique de Bayazid Ier, sultan arrogant,
défiant la puissance des nations européennes, en ayant promis, non sans
provocation, que son cheval mangerait son avoine sur le trône de
Saint-Pierre à Rome. Insulte suprême en ses temps où la guerre contre
les turcs battait son plein. Or l’insolent fut écrasé et fait
prisonnier par un plus fort que lui, Tamerlan, le tyran mongol,
-Timour-Lang, le Seigneur boîteux-, prince cruel et pervers,
incarnation de la barbarie la plus atroce. Ainsi, l’Europe Baroque
confrontée aux Turcs menaçants, trouvait dans l’histoire de Bajazet, la
preuve de la faillibilité et du diabolisme de leurs ennemis.

Une troupe de chanteurs accomplis

Pour
Bajazet, Vivaldi sélectionne une troupe de chanteurs remarquables. Impresario
intuitif et pertinent, il s’entoure des meilleures voix dont Anna
Giro
, sa muse, sa secrétaire ou peut-être davantage, comme on l’a
supposé dès son vivant, à tout le moins, sa secrétaire personnelle,
puisqu’il souffrait d’une maladie chronique des poumons, et pour
l’opéra qui nous intéresse, chantait Asteria donnant à son personnage
hautement tragique, l’étoffe de son contralto sombre.
A ses côtés,
Vivaldi avait choisi une soprano vénitienne, Margherita Giacomazzi,
véritable acrobate des pyrotechnies vocales pour le rôle d’Irene. Ce
phénomène vocal allait par la suite mener une grande carrière à Naples,
et jusqu’à Londres, dans les opéras comiques de Traetta.
L’autre
vedette était le baryton Marc-Antonio Mareschi, dans le rôle
clé de Bajazet. Car le sujet donne prétexte à Vivaldi de glorifier la
dignité tragique du personnage éponyme de l’opéra. Plutôt qu’un indigne
barbare, Bajazet meurt en héros antique. Et sa mort, c’est à dire sa
condition d’homme, sa vulnérabilité et son stoïcisme face au gouffre
fatal, l’anoblissent. De sauvage sanguinaire, l’opéra vivaldien en fait
un martyr de la cruauté personnifiée par Tamerlano. Un tel humanisme anticipe déjà l’esprit des
Lumières.

Accueil de Bajazet

Présenté à Vérone, au
Nuovo Teatro dell’Academia pour le Carnaval de 1735, Bajazet fut un
succès. L’œuvre marquait une nouvelle série de succès, malgré la
concurrence de plus en plus redoutable des napolitains. Vivaldi créait
sa Griselda au Teatro san Samuele en mai 1735, l’un des théâtres les
plus prestigieux de Venise. Et deux ans plus tard, en 1737, il
renouvelait un nouveau triomphe à Vérone, mais dans une partition
totalement originale, Catone in Utica.

Antonio Vivaldi, Bajazet (Vérone, 1735)
Tragédie en trois actes RV 703
Livret de Agostino Piovene d’après
la tragédie Tamerlan ou la mort de Bajazet
de Jacques Pradon (1675)

(révision de Fabio Biondi)

Carlos Mena : Tamerlano
Christian Senn : Bajazet
Marina de Liso : Asteria
Lucia Cirillo : Andronico
Vivica Genaux : Irene
Maria Grazia Schiavo : Idaspe
Marc Labonnette : Cadmus

Europa Galante
Fabio Biondi : direction
Davide Livermore: mise en scène

Lundi 24 et mardi 25 juillet
Festival de Montpellier et radio France
Opéra comédie, à 20h.

Illustrations
Portrait d’Antonio Vivaldi
Jean-Etienne Liotard, Monsieur Levett et Mademoiselle Giovanni, en costumes turc (Musée du Louvre, Paris)

Denis Raisin-Dadre,Invité de Radio Classique, Jeudi 29 juin à 21h

Parcours et formation. Né en 1956, Denis Raisin-Dadre étudie la musicologie à Lyon et la flûte à bec avec Gabriel Garrido. Dès 1981, il est flûtiste pour divers ensemble de musique ancienne I Dilletanti, Ensemble baroque de Limoges, Ensemble Jean-Marie Leclair, Ensemble baroque de Nice.

Passionné par la voix, la création de son propre ensemble le démange et il créée en 1990, l’Ensemble Doulce Mémoire, dont le nom reprend le titre d’une chanson composée par le roi François Ier. POur Doulce Mémoire, Denis Raisin-Dadre réunit autour de lui, chanteurs et instrumentistes prêts à redécouvrir les techniques d’interprétations propres à la musique de la Renaissance (XV ème et XVI ème siècle, en Italie et en France).

Depuis cette date, Denis Raisin-Dadre se consacre entièrement à Doulce Mémoire, avec des concerts dans les grandes scènes et festivals français et internationaux, et une production discographique unanimement saluée par la critique.

Un esprit défricheur qui jette des passerelles entre musique et peinture. Il nous a fait nous recueillir pour l’Office funèbre des Rois de France (Requiem d’Eustache du Courroy) ; il a de la même manière, avec la rigueur musicologique du chercheur et la vivacité de l’interprète, explorer les musiques des peintres majeurs de la Renaissance italienne, jetant désormais des passerelles à approfondir (Musiques de Léonard de Vinci : « l’harmonie du Monde« , mais aussi « le Siècle du Titien » : musiques à Venise entre 1490 et 1576). Tous ses disques sont parus chez le label Naïve. Voir notre lien vers la discographie de l’ensemble Doulce-mémoire, en fin d’article.

Denis Raisin Dadre cherche, élargit nos horizons musicaux et esthétiques. Il déploye une curiosité sans a priori. Ce sens du risque et de la quête musicale vécue comme un superbe moyen de connaissance et de partage, l’a mené aux confins de l’art de la Renaisance, bientôt aux portes du Baroque… et c’est pure délectation que de le suivre, pas à pas, dans ses contrées aux senteurs et sonorités inconnues.

Toute la discographie de l’ensemble Doulce-Mémoire

Radio classique, jeudi 29 juin à 21h
Denis Raisin-Dadre répond aux questions de Radio classique.

Giuseppe Verdi, Aïda (1871)Arte, samedi 21 juin à 20h40

arte, spécial Fête de la musique 2006. Composer une partition sur le sujet de l’histoire égyptienne enthousiasme immédiatement le compositeur italien. Le vice-roi d’Egypte, Ismaïl Pacha veut donner au Pays des Pyramides, ancien berceau culturel de la Méditerranée, le prestige d’une puissance nouvelle, à l’égal des nations européennes. Pour l’achèvement simultané de l’Opéra du Caire et du percement du Canal de Suez, son Rigoletto est représenté dans le nouvel Opéra, le 1er novembre 1869. Mais la contribution du compositeur italien à l’essor lyrique de la capitale égyptienne ne s’arrête pas là. Il s’agit bientôt d’illustrer l’histoire de l’Egypte Ancienne, en particulier la gloire et la puissance des Pharaons.

C’est Auguste Mariette, égyptologue français résidant au Caire, qui validera la vraisemblance et le respect historique d’une nouvelle production pour l’Opéra caïrote. Il contrôle la conformité des décors et des costumes.
Camille Dulocle, alors directeur de l’Opéra-Comique de Paris, qui vient de valider la création du Don Carlo, fournit un scénario.
L’accueil triomphal et la réussite de la partition, tout en servant le besoin de spectaculaire, sait aussi être raffinée et suivre les évolutions psychologiques des personnages. Aïda impose sur la scène international, le génie de Verdi. L’air des trompettes, accueillant le général victorieux, Radamès, à l’Acte II, sera même l’hymne national choisi par les égyptiens.

Opposition dans le cœur d’Aïda, entre son amour pour le général égyptien Radamès et son amour filial pour son père le Roi d’Ethiopie, Amonasro, ennemi de Pharaon ; souffrance de la fille de Pharaon, Amnéris qui aime en vain Radamès ; retour triomphal du général Radamès ; chœur des prètres… la succession des tableaux conçus par Dulocle et Mariette offre au compositeur de traiter toutes les échelles de la représentation : scènes intimistes, grand monologue, fresque collective que beaucoup de metteurs en scène ont traités de façon hollywoodienne. Le don du Verdi poète des climats et même paysagiste, s’accomplit dans l’acte du Nil (Acte III) tandis qu’il compose une sépulture musicalement époustouflante, à l’Acte IV, quand Radémès condamné à être enterré vivant retrouve dans la fosse, celle qu’il aime et qui l’a rejoint pour mourir avec lui, Aïda.


arte, samedi 21 juin à 20h40

Giuseppe Verdi, Aïda (1871).
Livret de Camille du Locle et de l’égyptologue français Auguste Mariette, traduit en italien par Antonio Ghislanzoni.
Opéra en 4 actes, créé le 24 décembre 1871 à l’Opéra du Caire
.

Production de l’Opéra de Zurich
Présentée du 28 mai au 7 juillet 2006
Direction musicale : Adam Fischer
Mise en scène : Nicolas Joël

Nina Stemme, Aïda
Luciana d’Intino, Amnéris
Salvatore Licitra, Radamès
Juan Pons (Amonasro)
Laszlo Polgar, Ramfis
Günther Groissböck, Pharaon
Christiane Kohl, une prêtresse

Choeurs et orchestre de l’Opéra de Zürich

Réalisation : Andy Sommer
Le dvd de cette production paraîtra chez Bel Air classiques fin 2006
Durée : 3h

Illustrations
Nina Stemme et Salvatore Licitra : Aïda et Radamès. Roméo et Juliette sous le ciel de l’Egypte ancienne.

Claudio Monteverdi, les Vêpres de la Vierge (1610)

Les Vêpres sont l’aboutissement d’une maîtrise. Monteverdi en homme qui connaît sa dramaturgie – il l’a magistralement démontré avec son Orfeo de 1607, lequel fixe un premier modèle pour le genre de l’opéra naissant-, déploie avec un sens non moins sûr et même somptueux, toute la science musicale dont il est capable en cette année 1610. La pluralité des effets, la diversité des modes et des effectifs requis pour les 14 pièces composant cette ample portique dédié à la Vierge impose un tempérament exceptionnel, autant mûr pour le théâtre que pour l’église.

Le désir de démontrer ses compétences est d’autant plus important qu’il souffre de sa condition de musicien à la Cour des Gonzague de Mantoue. Les relations avec son employeur, le Duc Vincenzo de Gonzague ne sont pas parfaits, pire, son patron est un mauvais payeur. A peine estimé, Monteverdi doit supplier pour être payé. Les Vêpres sont bien l’acte accompli et mesuré d’un musicien courtisan qui recherche un nouveau protecteur, des conditions et un mode de vie plus agréables. Déjà avant Mozart, le Monteverdi des Vêpres est un homme peu reconnu, du moins pas à la mesure de son génie, une figure « gâchée » de la musique de son temps.

Genèse
Avant d’être le Vespro que nous connaissons aujourd’hui, l’oeuvre religieuse qui nous concerne a vécu sous une première forme, non liée au culte virginal. Monteverdi après la mort du maître de la chapelle de la Basilique Palatine de Santa Barbara à Mantoue, – Gastoldi, décédé en 1610-, se met sur les rangs pour offrir ses services. Il souhaite diriger officiellement l’activité d’une institution musicale sacrée digne de sa qualité. Mais là encore les autorités mantouanes en décidèrent autrement et le musicien dépité, transforma son œuvre qui faisait initialement les louanges de Sainte-Barbe à laquelle par exemple le motet Duo Seraphin – absolument étranger au culte de la dévotion mariale-, renvoie immanquablement.

Autour du premier axe développé sur le thème de la Sainte locale, Monteverdi ambitionne une œuvre plus spectaculaire dédiée à la Vierge pour saisir l’attention d’autres possibles mécènes et patrons.
Maître de chœur du Duc Vincenzo de Gonzague, depuis 1595, Monteverdi a le sentiment de piétiner à Mantoue. C’est pourquoi, il reprend totalement son œuvre première, y combine tout ce qu’il lui semble témoigner à cette date, de son éblouissante maestrià. Selon son assistant à Mantoue, Bassano Cassola, le compositeur ambitionnait d’aller lui-même apporter un exemplaire au Pape Paul V à Rome, à qui d’ailleurs, le recueil des Vêpres est dédié.
Au final pas de poste nouveau au sein d’une église prestigieuse. Il lui faudra encore attendre trois années, quand il sera pressenti pour diriger la chapelle du Doge à Venise, au sein de la Basilique San Marco. Pour le concours et l’audition de principe, le matériel éclectique et foisonnant de ses Vêpres lui sera très probablement utile.

La qualité et la fascination de la partition, qui n’a peut-être jamais été jouée d’un seul tenant comme les interprètes baroques ont coutume de le faire aujourd’hui du vivant de l’auteur, apparaissent clairement dans l’alliance de l’ancien et du moderne dont Monteverdi fait une arche entre deux mondes. Le compositeur offre une synthèse quasi encyclopédique de toutes les formes possibles à son époque. Les Vêpres de ce point de vue, dessinent une superbe passerelle édifiée pour la réconciliation de deux tentations ou deux directions esthétiques et musicales, apparemment antinomiques.

Le passé et l’avant-garde ici dialoguent. Cette facilité est à la fois troublante et totalement convaincante. Tradition ancestrale héritée du Grégorien avec son cantus firmus, avec le plain-chant aussi (Sonata sopra sancta Maria), d’un côté ; liberté du geste vocal, en solo (Nigram sum pour ténor), ou en duo (Pulchra es pour deux sopranos), par exemple, de l’autre, dont les hymnes incantatoires, la projection dramatique du texte (l’écho de l’Audi Caelem sur le nom de Maria, répété comme une incantation obsessionnelle et tendre à deux voix…) désigne en pleine fresque paraliturgique, le dramaturge dont la magie fut capable d’infléchir les âmes les plus insensibles, par le chant de son Orfeo de 1607. L’opéra n’est pas loin de la ferveur virginale. Disons même qu’il s’invite à l’église.
Le Vespro est bien l’archétype des grandes messes et célébrations religieuses baroque à venir, préludant à Bach, Haendel, Vivaldi.

A 43 ans, Claudio le Grand affirme son art de la synthèse, son intuition innovatrice, une vision grandiose qui confine à un langage universel. Avec le Vespro, le musicien se révèle comme le penseur le plus génial de son époque. Mais la partition n’était qu’une étape qui le mènera vers les deux ouvrages de la pleine maturité. Une contradiction ou une singularité qui lui est spécifique, entre le profane et le sacré, se précise. Musicien des divertissements et du théâtre pour la Cour ducale de Mantoue, il écrit le chef-d’oeuvre des grandes célébrations sacrées. Maître de chapelle à partir de 1613 pour le Doge de Venise , il composera pour la scène lyrique, le Couronnement de Poppée puis le Retour d’Ulisse dans sa patrie qui marque sur le plan profane cette fois, un nouvel accomplissement après les Vêpres. Sous la voûte de San Marco, sur la scène des théâtres d’opéra de Venise, l’homme transmet un même témoignage, saisissant d’émotion et de vérité.

Illustrations
Bernardo Strozzi, deux portraits de Monteverdi
Canaletto, la piazza San Marco, la Basilique.

Robert Schumann, sonates pour violon et pianoFrance Musique, le 23 juin à 10h

Lorsque Schumann écrit en une semaine (du 26 octobre au 2 novembre
1851) sa seconde sonate pour violon opus 121, nous sommes à trois
années de sa tentative de suicide dans le Rhin. Après Dresde, c’est
Düsseldorf où il tente à nouveau d’être directeur musical mais c’est
encore l’échec, une fuite dans la vie de Schumann jusqu’à l’asile
d’Endenich. Il serait frappant d’imaginer un lien entre cette fuite
dans le mal-être, bientôt noyée dans les eaux du Rhin, et l’écriture
fuguée, envahie de modulations chromatiques ascendantes, de cette
seconde sonate. En faire une brève analyse aide à l’écoute de
Schumann.

Un violon comme un « je » enfermé dans un autre « moi » qu’est le piano
Tout
dans cette œuvre est épique et étouffé, dans le même temps. Tout
signale une course pour fuir et mène vers une prison pour mourir. Le
violon est étouffé, il est dans le couvercle du piano, au centre de son
harmonie, sombre, toujours sur la corde de sol. Le piano comme la
conscience tourmentée du compositeur l’emprisonne. Ce violon, ce n’est
pas qu’il ne sonne pas, ni qu’il ne représente pas le « je » intime du
compositeur, ce n’est pas que Schumann ne maîtrise pas l’écriture du
genre, c’est même une conception habile et organistique, une idée
originale que de placer l’instrument ainsi, au milieu, comme une tierce
en taille (un jeu d’orgue qui parle au ténor au milieu d’un
accompagnement de la basse et du dessus) : cela sonne comme une voix
qui voudrait fuir à l’extérieur du tourment et qui ne le peut pas.

Des thèmes qui n’en forment qu’un seul
Ce
sera la même chose pour les quatre thèmes de la deuxième sonate. Car chaque
mouvement n’a qu’un thème d’où naît tout le reste. Le premier
mouvement, en ré mineur débute en introduction sur un arrachement du
matériel à des accords douloureux et quand l’allegro vif est lancé, il
devient une fugue plus qu’une forme sonate. On entend bien, faussement
un premier thème, un second thème, un développement, mais tout est la
même chose, jusqu’au contre sujet, tout est une seule idée, très
symbolique d’ailleurs : sous une basse en forme de marche fatidique du
tétracorde ascendant (typique de Schumann), le violon grave rugit un
motif lourd en forme de croix, qu’il enchaine avec un contre-sujet en
double croches serrées, une chute abattue puis un appel tragique sur
un arpège grimpant vers une issue aigue, contrepoint qui ne quitte pas
le terrain jusque dans le second thème soi-disant plus serein mais en
réalité une chute très tchaïkovskienne : du désespoir ! Le piano
l’entonne, tandis que le violon sous cette plainte agonise. Tout
s’enchaîne à la manière d’une fugue (Schumann était nourri à l’écriture
de Bach) et pourtant sans laisser le temps au thème de finir et à sa
réponse de débuter, tout est précipité. Cette façon d’atomiser en
plusieurs cellules et plusieurs fonctions narratives, une seule et même
idée, ajoute au sentiment d’impossible issue. La coda emportée, à la
façon de certaines codas beethovéniennes, laisse plus angoissé encore
puisque la fuite n’a pas d’alternative.

Le scherzo en si mineur,
glacé, entre Schubert et Brahms, un thème ternaire de balade sur de
lourdes basses, emprisonne autrement le violon dans l’unisson du piano.
Quelques douloureuses répétitions en doubles croches le fond frémir
sous les lourdes chaînes de son geôlier. Une pédale harmonique en
triolets crée un appel de glas : trompettes de la mort ? Cloches
lugubres ? Au milieu de cette obstination, le thème tourne autour de
lui-même, c’est une hésitation martelée. La pièce module du mineur au
mineur (fa dièse) pour le premier trio, très sensible , et reste dans
le même ton pour le second, très lyrique. Puis c’est une modulation en
do majeur, ce majeur qui chez Schumann est dramatique et encore plus
triste que le mineur et le thème obstiné du scherzo revient. C’est bien
de la mort dont le compositeur nous parle.

Comme s’il
s’agissait d’une œuvre religieuse, le troisième mouvement en ré majeur
est un choral varié que l’on rapproche du thème « Gelobet seist du Jesu Christ ».
Nous sommes au paradis, le violon y est plus cristallin. Le thème naît
de loin en pizzicato, puis il est varié une première fois comme dans un
choral de l’ « Orgelbüchlein » de Bach ; variant une deuxième
fois, le violon se pare de la polyphonie et l’accompagnement se fait en
accords chaleureux et émus comme dans un nocturne de Chopin,
l’inquiétude qui s’annonçait dans les syncopes du piano éclate enfin
dans la troisième variation en si mineur. Les trompettes lugubres de la
ballade du scherzo retentissent dans les mains du piano, et le violon
répond par des appels (source du thème du dernier mouvement) puis il
varie la deuxième partie du choral en doubles croches qui tournoient
autour des notes réelles, annonçant déjà la manière dont Brahms
ornementera à l’orgue le choral « Es ist ein Ros’entsprüngen ».
Le thème revient pour une dernière fois, en majeur, romantique, avec
des sixtes au violon et le piano parcourt sa largeur entière dans des
arpèges scintillants. Le violon s’éteint en bas sur le sol grave
répétant comme un fantôme apaisé les sonneries du scherzo.

On
comprendra qu’après cet espoir religieux mais, in fine, moribond (ou
bien Schumann se voyait déjà dans l’Au-delà au milieu des anges ?) il
faudra le retour à un thème douloureux en ré mineur pour le final. Cela
semble comme un battement du cœur ou surtout un appel en quinte
ascendante retombant sur lui-même, suivit d’un affolement : comme au
premier mouvement c’est un grand arpège mais dans un sens
symboliquement inversé : il monte vers l’espérance et retombe sur le
désespoir. Que chaque idée naît de la précédente réitère la situation
du premier mouvement : l’une d’elle reproduit l’appel de quinte
ascendante pour le faire suivre d’un motif tragique, puis une autre lui
fait grimper les degrés de l’échelle de la gamme en rampant comme dans
les marches modulantes et angoissées du premier mouvement. Sans jamais
quitter la pulsation épique, l’œuvre finit en majeur. Mais, c’est
encore de ces majeurs qui n’éclaircissent pas et marquent le coup
d’arrêt final, ce plus d’énergie en bout de souffle pour une course qui
ne peut aller plus loin.

La troisième sonate de Schumann
porte un numéro d’opus posthume, elle n’est que rarement signalée,
absente du disque, de l’édition musicale usuelle, des dictionnaires.
Elle est de toute évidence l’originalité de la prestation de nos deux
musiciens et la découverte de votre écoute. A vous d’en découvrir les
clés.


Concert Robert Schumann



Le Musée d’Orsay offre le premier cycle musical d’envergure dédié à
Robert Schumann, d’autant plus opportun en 2006, année anniversaire des
150 ans de la mort du compositeur.

Au programme :

Nemanja Radulovic, violon
Susan Manoff, piano

Robert Schumann
Sonate n° 2 pour violon et piano opus 121
Sonate n° 3 opus posthume

Concert enregistré au Musée d’Orsay,
le mardi 6 juin 2006 à 12h30.

Illustrations
Caspar Friedrich, trois paysages crépusculaires

Danse. Bill T. Jones, chorégraphe et danseurEntretien (décembre 2002). Ballet, « Breathing show » (2002).Mezzo, à partir du 2 juillet, à 20h50.

Bill T. Jones, né en 1952, répond aux questions de Patrick Bensard dans le cadre du Monaco Dance Forum de décembre 2002. A 50 ans, le chorégraphe retrace sa carrière. Au centre de sa création, un questionnement existentiel : qui est-il ? Une interrogation d’autant plus épineuse pour un homme né au sein d’une famille de douze enfants, qui n’a jamais caché son homosexualité, et dont l’identité noire réactive les difficultés des citoyens américains d’origine africaine à affirmer leur place et faire entendre leur voix. D’ailleurs, il a toujours été très engagé pour la défense de l’égalité des droits civiques dans un pays, les USA, qui même s’il s’agit de la première plus grande démocratie au monde, sont le plus souvent tentés par un puritanisme rétrograde. En 26 mn, le danseur-acteur-chorégraphe se raconte ; ses propos sont entrecoupés par plusieurs extraits de son ballet solo, « breathing show », présenté à Monaco en 2002 et que diffuse en complément de l’entretien, Mezzo.

Il évoque les sources qui ont inspiré son art. Des souvenirs lui reviennent en mémoire : tel l’épisode de Vesse’s Mary, au corps de déesse dont le seul déhanchement du fessier, quand la jeune femme se mettait à danser seule devant le juke box, faisait frémir toute une assemblée. Le futur chorégraphe découvre alors la puissance érotique du corsp dansant. Celui qui voulait devenir acteur, recontra par hasard la danse… pour ne plus jamais la quitter. Frappé par les créateurs new-yorkais pour lesquels la danse moderne doit réinventer un nouveau langage gestuel, en dehors des poncifs de la danse classique, le jeune Jones s’émerveille devant les ballets de Merce Cunningham (Summer speace), Meredith Monk, les performances de la Grad Union, – autant de créateurs qui ouvrent des nouvelles directions, qui parlent de « non danse » et d’espace-; mais aussi Ivan Reiner, et surtout Arnie Zane, qui deviendra son compagnon de vie, et le co fondateur de leur compagnie de danse à New-York, créée en 1982, « The Bill T. Jones & Arnie Zane dance company ».

Aujourd’hui après le décès d’Arnie, Bill T. Jones porte la destinée de la Compagnie avec sa collaboratrice proche, Janet Wong, mais aussi poursuit son travail sur le corps et l’espace.
En complément de son ballet solo « Breathing show », l’artiste commente les images et les idées qui ont présidé à l’élaboration de la chorégraphie : images de sa propre culture, de ses souffrances d’hommes, de ses doutes surtout. Le geste et le mouvement ne sont plus les faits d’un interprète, ils sont dansés par leur auteur, ils ont la force d’un témoignage, violent, passionné, qui plonge au profond de l’être, de ses désirs et de ses souffrances. Voilà pourquoi la transe dansée, parlée, hurlée, ritualisée du danseur-acteur emmène son public en dehors des cadres classiques d’une représentation. Il s’agit d’une performance.
Le solo transmet sa magie comme dans une hypnose et l’on reste souvent médusé par la souplesse de ce corps athlétique de 50 ans !
Après avoir répondu aux questions de son interlocuteur, Bill T. Jones répond à celle des personnes venues assister à l’entretien. A un jeune chorégraphe qui l’interroge sur la danse, le chorégraphe répond : « la danse est le mouvement des gens et des choses dans le temps et dans l’espace. La chorégraphie est l’art de la mettre en forme. » A cette autre jeune femme qui demande comment il a trouvé la force de surmonter le décès et la perte de son ami, l’homme se montre émouvant, d’une sincérité qui devient source d’énergie. Lumineuse leçon d’art et de vie.

« Dancer’s studio » : entretien avec Bill T. Jones
(26 mn, 2003, réalisation : Xavier Fischer)

« Breathing Show », ballet
(52 mn, 2003, réalisation : Aldo Lee et Xavier Fischer)
(Scénographie : Bjorn Amelan)

Première Diffusion

Dimanche 2 juillet : Soirée Bill T. Jones

20h50 : Dancer’s Studio : Bill T. Jones, 20h50.

21h20 : The Breathing Show de Bill T. Jones, 21h20

The Breathing Show est une performance en solo, le témoignage d’un artiste hors normes pour lequel la danse, art premier, art majeur, tisse des passerelles avec d’autres champs artistiques: pédagogie, chant, projections vidéo ; ce sont aussi, des souvenirs personnels, des images et des références qui façonnent son univers : Pavlova, Diaguilev, Nijinski, Isadora Duncan, Schubert, le blues, et même la danse du ventre. Prendre sa respiration, danser, parler, déclamer, expliquer aussi chaque mouvement… tel est le désir du danseur en un sublime numéro à un corps.


Rediffusions
Les 3 juillet à 14h50, le 13 à 16h50, le 22 à 16h45
Dancer’s studio est suivi de « The Breathing show« 

Approfondir
Consultez le site de la Compagnie de danse dirigée par Bill T. Jones : www.billtjones.org

Crédit photographique : © Damien Lafargue

Carl Czerny (1791-1857), portrait

Czerny, grand pianiste, compositeur et illustre pédagogue, reste surtout connu pour son immense production didactique dédiée au piano. Cet artiste qui eu le double privilège d’être le plus fidèle disciple et l’ami de Beethoven, qui fut aussi le professeur du phénoménal Franz Liszt, demeure malgré tout, peu connu.
Issu d’une famille de musiciens originaires de Bohème, Czerny naquit à Vienne en 1791 où il passa la majorité de sa vie. Universellement connu des pianistes, ce compositeur fécond, -plus de mille numéros d’opus à son actif-, fait partie des musiciens laissés dans l’ombre par les historiens de la musique. Il fut pourtant le maillon manquant entre Beethoven et Liszt, dont il fut le professeur de piano (à titre gratuit étant donnés les dons du jeune prodige). Czerny côtoya ainsi les plus grandes figures artistiques de son temps. Il réalisa des éditions d’œuvres de Jean-Sébastien Bach et de Beethoven qui restèrent des références pendant plus d’un siècle.
Dans la lignée des classiques et plus particulièrement de son maître, Beethoven, Czerny aborde la plupart des genres. Son catalogue impressionnant, variée et abondant aborde symphonies, concertos, musique de chambre, 24 messes, 4 requiems et environ 300 graduels. Bien que considérées comme des compositions légères et souvent inconsistantes, certaines œuvres sont injustement tombées dans l’oubli. Certains lui reprochèrent de s’être laissé aller par ses facilités innées pour la musique, reproches souvent injustifiés dont des compositeurs comme Mendelssohn sont encore aujourd’hui parfois victimes.

Le fidèle disciple
C’est avec son père, excellent pianiste, que le jeune Carl débute le piano. Ayant commencé son apprentissage à trois ans, composant ses premières œuvres à sept, son talent est tel qu’à 10 ans, il joue déjà par cœur un grand répertoire des maîtres classiques, en particulier Haydn et Mozart.
Après avoir entendu et reconnu son talent, Beethoven, alors pianiste réputé à Vienne, propose de lui donner des leçons. Ainsi de 1800 à 1803, Czerny travaille avec le musicien le plus célèbre de l’heure. Les leçons, au début irrégulières, sont au nombre de deux par semaine. Bien qu’il soit déjà à un niveau très avancé, l’enseignement s’avère difficile et Beethoven lui fait reprendre toutes les bases de la technique moderne pour piano, Czerny se souvient avec chaleur de ses débuts : « Pendant les premières leçons, Beethoven m’occupa exclusivement à faire des gammes dans tous les tons, me montra la seule bonne position des mains et des doigts, alors encore inconnue de la plupart des exécutants, et particulièrement l’usage du pouce – règle dont je n’ai appris que plus tard à comprendre l’utilité … » (1).
Czerny restera en très bons termes avec Beethoven, ses témoignages sur l’illustre compositeur sont nombreux et précieux, il participa activement à la diffusion de ses œuvres. Il fut l’interprète privilégié de ses œuvres pour piano, partitions dont il fournit un nombre considérable d’informations aux éditeurs sur l’interprétation, en particulier concernant les 32 sonates.


Pédagogue de plusieurs générations de pianistes européens

Malgré sa réputation d’exécutant, Czerny donnera très peu de concert durant sa vie entière à Vienne, lui-même considérait qu’il lui manquait la flamme nécessaire, ce « je ne sais quoi » à tout interprète qui se respecte. C’est donc vers la composition et surtout l’enseignement qu’il décide d’exercer son activité musicale. Demeuré célibataire, son activité s’avère prodigieuse : il donnait plus d’une dizaine de leçons par jour et composait pendant la nuit afin de répondre aux incessantes demandes des éditeurs.
Dès ses 15 ans, Czerny s’avère un professeur de piano très demandé. Son élève le plus célèbre demeure Franz Liszt qui deviendra le plus célèbre des virtuoses, le premier artiste unanimement adulé de son vivant partout en Europe.
Comme professeur, Czerny consacre environ 900 opus à l’étude du piano. « L’école de la virtuosité », « l’école du virtuose » ou encore « l’art de délier les doigts », sont autant de recueils qui s’adressent à tous les niveaux de pianistes et dont la pertinence pédagogique reste indémodable. Consacrées à la technique pure, ses études, à la différence d’un Liszt ou d’un Chopin sont absentes de toute valeur musicale intrinsèque, ce qui lui vaudra parfois les moqueries de ses contemporains, parmi lesquels Chopin et Schumann. Mais tel n’était pas l’objectif du pédagogue qui considérait la seule manière de résoudre une difficulté par la répétition intensive.


Le grand professeur de Liszt

Lorsque Franz Liszt arrive avec ses parents à Vienne en 1819, Czerny est un des professeurs les plus demandés de la capitale autrichienne. Bien que son emploi du temps soit déjà surchargé, il est tellement impressionné par le talent de Liszt qu’il se décide de le former le soir afin de parfaire sa technique déjà impressionnante. La méthode utilisée sera presque la même que celle reçue de son maître Beethoven, Liszt passera à son tour par les gammes ennuyeuses, les exercices de Cramer et Clementi qui font parfois souffrir l’enfant par leur style purement didactique. Mais le travail se révèle bénéfique puisque le jeune prodige donne un premier concert retentissant à Vienne et fait déjà figure de pianiste accompli, l’égal de Moscheles et Hummel, alors concertistes les plus en vogue en Europe.

Czerny se souvient avec affection de son jeune protégé : « Je n’avais jamais eu jusque là d’élèves aussi zélé, aussi génial, aussi travailleur… la gaîté et la bonne humeur constante du jeune Liszt, à coté du développement si extraordinaire de son talent, firent que mes parents l’aimèrent comme leur fils, et moi comme un frère et que non seulement je lui donnais des cours gratuitement mais je lui soumettais toutes les partitions musicales qui représentaient ce qui avait existé jusqu’à cette époque de bon et d’utile… »
Liszt reconnaîtra avoir beaucoup appris de Czerny, en particulier la rigueur, la discipline, l’extrême précision du rythme, ou encore la maîtrise parfaite du clavier pour se défaire de toutes les difficultés techniques afin de pouvoir se concentrer intensivement sur la musicalité. Il lui rendra hommage en lui dédicaçant ses « études transcendantes », œuvres d’une virtuosité extrême.

(1) Les compositeurs parmi lesquels Jean-Sébastien Bach généralisaent l’emploi du pouce dès la première moitié du XVIIIeme siècle, mais c’est surtout Carl Philippe Emmanuel Bach qui propagea son usage dans son traité « l’art de la manière de jouer du clavier », que Beethoven fit étudier à Czerny.

Approfondir
Lire aussi la critique d’Alexandre Pham de l’enregistrement des deux Symphonies « Grande » et N°6 de Carl Czerny, sous la baguette de Grzegorz Nowak (Hänssler), un cd événement de juin 2006.

Ludwig van Beethoven, Fidelio (1805-1814)France musique, le 29 juin à 19h30. Direct.

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A 32 ans, Beethoven commence l’écriture de son seul opéra, « Fidelio ou l’amour conjugal ». Sujet édifiant qui fait l’apothéose de la fidélité d’une épouse.
Tout d’abord inspiré par le livret héroïque d’Emmanuel Shikaneder, « Vestas Feuer » ou Le feu de Vesta, le compositeur se décida finalement pour la pièce en trois actes du secrétaire du théâtre impérial de Vienne, Joseph Ferdinand von Sonnleithner, lui-même s’inspirant de Léonore ou l’amour conjugal du français Jean Nicolas Bouilly.

L’histoire s’inspire d’un fait avéré. Bouilly alors procureur du Tribunal révolutionnaire avait noté le dévouement de la comtesse de Semblançay qui avait permis la libération de son mari en pénétrant dans la prison jacobine où était sequestré son époux, le Comte René. Le texte de Bouilly fut ensuite porté à la scène et mis en musique dans le style de Cherubini, par Pierre Gaveaux, au Théâtre Feydeau, le 19 février 1798. L’heure était au culte des héros, du moins aux manifestations d’un idéalisme exemplaire.

Beethoven couche ses première mesures fin 1803. Il faudra attendre encore deux années avant la première, le 20 novembre 1805.
Entre temps, deux autres ouvrages lyriques furent créés sur le sujet, composés à Dresde par Paër (3 octobre 1804), à Padoue par Mayr (1805). Il est probable que Beethoven connut parfaitement la version de Paër.

L’accueil dans une Vienne alors occupée par les français, – Napoléon règne sur l’Europe-, ne fut pas des plus chaleureux. Les raisons de cette échec restent conjectures. Beethoven sourd qui avait imposé sa décision de diriger « sa Leonore », fut-il un élément fragilisant la création ? L’orchestre était-il à la hauteur de ses exigences?

Ainsi qu’il en est pour les œuvres des génies insatisfaits, Beethoven meurtri, demanda dès le lendemain de la première, à Stephan von Breuning, de remanier le texte initial, de passer de trois à deux actes, selon une formule efficace qui avait déjà montrer ses avantages pour la Clemenza di tito de Mozart en 1791.
Beethoven remanie aussi la partition, compose une nouvelle ouverture, aujourd’hui connue sous le nom d’ « ouverture Leonore III ». La première n’ayant jamais été jouée du vivant du compositeur, c’est la seconde version qui fut abordée lors de la création de 1805.
Avec l’ouverture Leonore III, son découpage nouveau en deux actes, la nouvelle Leonore de Beethoven fut présentée au public le 29 mars 1806.
Succès immédiat mais, obstacles ourdis par un destin contaire, Beethoven en brouille avec l’intendant du théâtre an der Wien qui affichait l’opéra, retira illico son œuvre.

Pour autant, le destin de Leonore n’était pas terminé. Georg Friedrich Treitschke, sous-directeur du même théâtre an der Wien en 1814, proposa à Beethoven de remonter l’ouvrage. Et le compositeur de bonne volonté, accepta de reprendre sa partition pour une troisième nouvelle version.
« Cet opéra me vaudra la couronne des martyrs« , écrit-il alors.
Réduction du texte de Sonnleithner, nouvelle ouverture en mi majeur, dite « Fidelio », nouvelle fin plus éclatante, puisque les protagoniste chantent leur libération non plus dans le cachot mais sur la place du château. L’hymne à la lumière y est d’autant plus explicite que Beethoven réutilise pour l’air final une mélodie tirée de sa cantate composée en 1790 pour la mort de Joseph II. Un style oratoire clame la libération du couple, et au delà, la liberté des hommes tournés vers l’idéal des Lumières.

Si la fidélité est la valeur première célébrée dans l’œuvre, il en est de même pour la chanteuse créatrice de la première Leonore en 1805 : Anna Midler chanta, presque dix ans plus tard, le rôle-titre, lors de la recréation de l’œuvre, le 23 mai 1814. L’opéra suscita enfin un véritable triomphe.

Ludwig van Beethoven, Fidelio (1805-1814)

En direct du Théâtre du Châtelet et en simultané avec l’Union Européenne de Radio
Présentation : François-Xavier Szymczak

Opéra en deux actes sur un livret de Joseph Sonnleithner et Georg Friedrich Treischke d’après le mélodrame de Jean-Nicolas Bouilly « Léonore ou l’amour conjugual »

Karita Mattila, Leonora
Barbara Bonney, Marcellina
Ben Heppner, Florestan, aristocrate espagnol
Pavol Breslik, Jacquino
Matti Salminen, Rocco
François Lis, Don Fernando, Ambassadeur du Roi
Juha Uusitalo, Don Pizzaro

Matthias Brauer, Chef de Choeur
Chœur et Orchestre Philharmonique de Radio France

Myung Whun Chung, direction

Musiciens de Marie-Antoinette

De son arrivée à la Cour de France en 1774, à l’âge de 14 ans, Marie-Antoinette exprime sans discontinuité un intérêt pour la musique. Davantage qu’une amatrice, elle arbitre le goût, formulant ses préférences, imposant aussi ses compositeurs.

Années 1770
Protectrice de Gluck, Marie-Antoinette orchestre une véritable réforme du goût dominant : dix après avoir donné
l’essentiel de ses opéras à Vienne, Gluck les reprend, les réadapte pour
la Cour de France, réutilisant souvent un matériel musical déjà écrit. En cela, il ne fait que répondre à l’invitation de la toute jeune souveraine de France, qui fut à Vienne son élève.
Ainsi, sur la scène lyrique, se succèdent : Iphigénie au Aulide, Orphée et
Euridice, Alceste, Armide
, Iphigénie en Tauride, Echo et Narcisse, de
1774 à 1779. Une théorie d’œuvres fondatrices du style néo-classique,
dans lesquelles Gluck offre la manifestation d’un nouvel opéra où le sublime
et les réminiscence de l’Antiquité impose une nouvelle norme. Tout pour
le drame. Fin des caprices et de la fantaisie des chanteurs. Le petit théâtre de la reine est construit, de 1778 à 1779, au moment où Gluck donne ses derniers ouvrages.
D’ailleurs, Iphigénie en Tauride sera produit à Trianon en 1781 mais dans une version adaptée à l’intimisme du lieu (fosse de 22 musiciens), pour le second séjour, incognito, de Joseph II, le frère de Marie-Antoinette. Le décor du fond de scène a conservé la toile qui servit de cadre à la représentation de cette époque. Il s’agit du temple de la Paix peint pour une représentation plus ancienne, datant de l’époque de Louis XV, par les frères Slodtz, en 1754.

La Reine
suit les créations avec d’autant plus d’intérêt qu’elle est
musicienne : elle chante. Souvenons-nous de la première audience
réservée à Piccinni : le musicien italien l’accompagne au piano-forte
pour jouer plusieurs airs de Gluck… A l’époque où la querelle entre les
gluckistes et les partisans de l’opéra italien – représenté alors par Piccini-, battait son plein, le
choix de la Reine tenait de la provocation…

Elle chante, mais elle
joue aussi de la harpe. Un instrument qui connaît grâce à sa faveur,
une nouvelle fabrication, des avancées mécaniques spectaculaires. Sur
la scène de Trianon, elle fait jouer, et joue elle-même, les œuvres de
Rousseau (le Devin de village), Monsigny (le Roi et le fermier).

Années 1780
La
jeune Souveraine s’enthousiasme en public, rompant avec les convenances
françaises. Elle applaidit les chanteurs, en présence du roi. Son naturel heurte les esprits conservateurs. En matière
d’opéra, Marie-Antoinette décide. A Trianon, le petit théâtre qu’elle
fait construire pour son plaisir, entourée de ses proches, lui permet
d’entendre les musiques qu’elle aime, dans son domaine réservé, là où l’étiquette n’est plus de mise, hors des affaires de goût et des
batailles esthétiques à l’Académie Royale ou dans la grande salle de
l’Opéra de Versailles. Une salle qui fut construite pour son mariage, mais d’une dépense
faramineuse quand y sont données les soirées d’opéras.

Triano devient l’expression du goût de la Reine :
Iphigénie en Tauride de Gluck en 1781 comme nous l’avons évoqué, mais aussi Dardanus de Sacchini (quand l’opéra sur le sujet
de Rameau était jusque là adoré !). Peu à peu s’affirment et se précisent
ses préférences. La Reine a une passion pour les œuvres de Grétry, en
particulier dans les années 1780.
Ses œuvres sont représentées à la
Cour plus de cent fois ! Lucile, Céphale et Procris, surtout Zémir et
Azor
– dont le sujet aborde la légende de la Belle et la Bête et qui
sera en outre, une partition emblématique du théâtre de Drottningholm à
Stockolm, toujours joué depuis. Sont représentés également, L’ami de la maison et Richard cœur de lion

Illustrations :
Elisabeth Vigée-Lebrun, Marie-Antoinette en robe à paniers (1785)
Gautier-Dagoty, Marie-Antoinette jouant de la harpe dans sa chambre à Versailles

Marie-Antoinette, le Petit théâtre de Trianon (1778-1779)

Prendre au hasard
d’une allée plantée d’arbres, un chemin étroit semé de buis, dans l’axe
du Petit Trianon, mais dans la perspective qui mène vers le Pavillon français ; non du côté de la pelouse où se trouve le Temple de l’Amour.
C’est à peine si l’entrée du joyau architectural que
l’on nomme aujourd’hui, le petit théâtre de la Reine est visible. Mais les deux
colonnes de style ionique, et le fronton triangulaire indiquent un
édifice néoclassique. L’entrée dans un univers enchanteur. Edifié entre
juin 1778 et juillet 1779, la salle appartient au style sobre et
presque austère propre à la fin des années 70. Ne pas se fier aux
aspects extérieurs. L’intérieur est une pure merveille, un théâtre
des illusions et de la magnificence, à l’échelle humaine. L’insigne du goût exemplaire de sa commanditaire, Marie-Antoinette.
Ni théâtre
privé ni théâtre de cour, Trianon est un théâtre de société : jouer les
œuvres du répertoire lyrique et musical, avec ses proches et ses amis, tel
est le loisir le plus prisé de la Reine, en son domaine. En particulier pour les
Souverains dont l’ordinaire revêt une épuisante obligation de représentation permanente. Au Palais et à la cour, tout tient du paraître et de la propagande. Déjà Louis XIV aimait
rompre la grandeur et la solennité de la vie du Château qu’il a souhaité le plus prestigieux, en recherchant l’intimité du Grand Trianon.
Un siècle plus
tard, cet attrait de l’intimité et de l’entre-soi, est acclimaté par
Marie-Antoinette au Petit Trianon, et surtout dans son théâtre. Un rituel où hors de l’étiquette et
de ses convenances contraignantes, le théâtre est un divertissement qui
permet ici de se libérer, dans la proximité d’une société choisie et
détendue : les proches de la Reine et ses partenaires sur la scène, son
beau-frère le Comte d’Artois, les duchesses de Polignac et de Guiche,
le comte de Vaudreuil… Cette petite troupe applaudie par
le Roi est bientôt nommée, « troupe des Seigneurs ». A Trianon, ni
enjeu politique ni intention de propagande. La Reine et le Roi
reçoivent en toute simplicité… mais ici à la mesure de leur rang.

« Une particulière » dans son domaine
A
Trianon, la Reine reçoit. Le domaine lui fut offert dès l’été 1774 par
le Louis XVI. Ancienne résidence des favorites de Louis XV,
– La Pompadour puis la Du Barry, le petit château et son hameau seront investis par le gôut de la jeune
Souveraine. L’art de faire du neuf avec du vieux. Comme Gluck fera de
ses anciens opéras serias viennois, ré-acclimatés pour la scène
française, les manifestes lyriques du nouvel opéra français des années 1770. L’architecte Richard Mique qui est l’auteur d’un salon
couvert, pure fantaisie architecturale édifiée pour l’agrément de
visiteurs du parc fermé (le Belvédère, élevé à la même période),
construit une salle habilement proportionnée, selon les relevés pris
dans les théâtres déjà construits de Choisy et de Fontainbleau.
Réplique en miniature de la salle de l’Opéra Royal, à quelques
kilomètres de là, le Petit théâtre est de forme ovale avec sa voussure
cintrée où sont enchassés douze oeils-de-bœuf, devant lesquels courent
de joyeux bambins portant des guirlandes de fleurs.

Economie imposée ou
indice d’une période qui se moque d’elle-même et aime bâtir ses
chimères, tout le décor est de pure illusion. Le bois peint (façon
brêche violette) imite le marbre. Le papier et le carton imitent stucs
et sculptures d’ornement. Qu’importe les matériaux factices, pourvu
qu’au regard, le style donne la mesure du raffinement souhaité.
L’actuel fond de scène conserve un décor peint du règne de Louis XV :
le temple de Minerve par les frères Slodtz, datant de 1754, mais dont
la sévérité antique convenait parfaitement à la reprise d’Iphigénie en
Tauride
de Gluck au Petit Théâtre, en 1781.

A l’époque de la Guerre
d’indépendance aux Amériques (1779), la France qui s’oppose aux
anglais, finance les soldats américains. Les grands voyages et donc les
cérémonies qui y étaient organisées, à Compiègne et à Fontainebleau,
sont d’un train trop dispendieux. L’heure est à l’économie. Pour se
distraire cependant, Marie-Antoinette qui dès son plus jeune âge jouait
la comédie, organise dans son petit théâtre, dans l’intimité de
convives choisis, des spectacles choisis. Mercy-Argenteau témoigne en 1780 à
l’Impératrice Marie-Thérèse à Vienne, des occupations de sa fille. Elle
y est toute occupée à la préparation de deux spectacles à Trianon.
Apprentisages des rôles, répétitions, puis représentations qui
pouvaient durer jusqu’à neuf heures, « sont suivis d’un souper
restreint à la famille royal et aux acteurs et actrices. Au sortir de
table, la Cour se retire, et il n’y a point de veillée
».

Immédiatement
les spectacles de la Reine à Trianon deviennent l’objet d’un
ressentiment de plus en plus amer, en particulier pour les princes et
courtisans qui en sont exclus. Ne point être à Trianon, tient de
l’affront. Or Marie-Antoinette ne se gêne pas pour exprimer directement
ses préférences. Au duc de Fronsac qui espèrait être invité, la Reine
répond « mais d’ailleurs je vous ai déjà fait connaître mes volontés
sur Trianon : je n’y tiens point de cour : j’y vis en particulière
».

La
Reine et ses invités jouent Monsigny, Rousseau, Sedaine, Grétry.
Parfois devant les monarques étrangers qui pour préserver la simplicité
du cadre et son intimité jalousement entretenue, n’y paraissent
qu’incognitos. Mais la volonté de demeurer caché, ne fait qu’attiser
l’envie ; jalousies et médisances, produisent bientôt mille propos
acerbes sur les spectacles de Trianon et pire diablisent ne reine écervelée, seulement occupée par ses plaisirs et la dépense qui en découle. Et les anciens admirateurs n’ont plus que mépris et amertume pour le théâtre et
ses soupers, d’une Souveraine critiquée et reniée.
N’en déplaise aux
bénéficiares, de l’extérieur, les soirées de Trianon demeurent le
comble d’un art de vivre élitiste, d’autant plus exécré que la majorité
de la Cour en est écartée. Voilà qui n’aide pas à l’affection des sujets pour leur Reine.

Quoiqu’il
en soit, Marie-Antoinette reçoit son frère Joseph II pour l’Iphigénie
en Tauride
de Gluck. Assister à l’opéra de leur professeur de musique,
a dû rappeler aux deux autrichiens leur enfance viennoise…, de même, le
Tsarevitch applaudit Zéphire et Azor de Grétry, le musicien de la Reine
comme on l’a vu.
Le comble est atteint en 1785 lorsque la Reine joue
Le Barbier de Séville de Beaumarchais. Que la Souvereine qui allait
payer si durement l’inconséquence de sa conduite (pour reprendre les
termes choisis par sa mère l’Impératrice Marie-Thérèse) n’ait pas senti
le souffle séditeux du texte de la pièce, n’y déceler le miroir du climat de l’époque, nous paraît déconcertant. Une
telle insouciance est peut-être tout simplement la première qualité
d’une jeune femme trop occupée à jouer sur la scène des plaisirs, moins
sur celle, politique et sociale, aux criantes réalités. L’histoire
allait bientôt la rattraper en ne lui reconnaissant aucune circonstance
atténuante.

Illustrations
Vigée-Lebrun : esquisse pour un portrait de Marie-Antoinette
Trianon, le boudoir de Marie-Antoinette
Trianon, le petit théâtre de la Reine

Marie-Antoinette, Reine musicienneArte, « Maestro », le 9 juillet à 19h

Une Reine jardinière qui aimait les roses… Une femme de goût et aussi, une Reine honnie et même diabolisée. Entre ces facettes plurielles, voire extrêmes, se place le destin de la très jeune épouse de Louis XVI, née Autrichienne, une origine qui lui fut reprochée toute sa vie.

On ignore que Marie-Antoinette aima et pratiqua la musique avec assiduité et même passion. Arte diffuse le 9 juillet un concert au Petit théâtre de la Reine à Trianon. Y sont jouées les oeuvres de ses musiciens favoris, Gossec, surtout Grétry. En complément du concert, tourné dans la salle qui accueillit les spectacles organisés pour la Reine et ses invités, un documentaire sur l’histoire du petit théâtre et ses machineries souligne l’intérêt exceptionnel d’un lieu, qui sera désormais ouvert au public.

Un écrin dont la fragilité rend davantage extraordinaire le fait qu’il ait échappé aux ravages de la Révolution. Il reste l’un des plus anciens théâtres royaux du XVIIIème… et en parfait état de marche. Ce lieu enchanté sera bientôt intégré dans un circuit guidé puisque le Château de Versailles inaugure au début de l’été (1er juillet 2006) un nouvel itinéraire créé pour le visiteur : « le domaine de Marie-Antoinette à Trianon« .

En soulignant chez la Souveraine, le visage d’une délicieuse écervelée, on masque un aspect essentiel de sa personnalité : ses dispositions comme protectrice et inspiratrice des arts en général, de la musique en particulier. Une princesse dont l’affection naturelle pour le luxe et le raffinement reposent sur une intuition sûre. Une femme à l’âme artiste dont les manifestations du goût demeurent à repréciser.

L’histoire de l’art ne conserve de cette époque qu’une image schématique. Il est vrai que le néoclassicisme ambiant s’établit sans faillir, désavouant peu à peu la courbe rocaillle née à la Régence, assagie mais tout aussi souple sous louis XV, préférant nettement la pure et droite ligne dorique à la palme et son panache végétal. Or Marie-Antoinette tout en aimant l’épure, favorisa aussi la nature. En femme intuitive au goût sûr et avisé, elle sut commander aux plus grands créateurs du règne, affirmant dans les années 1780, un style qui était devenu grâce à son discernement et son sens de l’art de vivre, la norme européenne.
L’élégance cultivée au même titre qu’un retour à la Nature comme en témoigent les nouveaux agancements de son jardin à l’anglaise, dessiné dans son domaine de Trianon.
Et ce goût se propage jusqu’en Suède où Gustave III acclimate cet art aristocrate et pastoral. Un art de vivre septentrional que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de style Gustavien.

Que la jeune femme raffinée aime aussi jouer la bergère n’est pas le seul aspect d’une personnalité infiniment plus riche que la croyance veut l’affirmer. Il faudrait d’ailleurs parler de style Marie-Antoinette, comme l’on parle de style Louis XVI.

Marie-Antoinette fut aussi une femme de cœur qui cultiva l’affection comme un lien naturel suscitant chez ses proches, le désir de la servir, du moins la représenter comme elle était : la peintre Elisabeth Vigée-Lebrun laisse de la Souveraine, plusieurs portraits d’une humanité émouvante et abordable. L’un des derniers fixe les traits de la mère entourée par ses enfants, qui connaîtront, comme elle, un destin tragique.
Certes, l’année où le portrait est décidé (1788), la Reine a besoin de redorer son blason auprès du peuple après le scandale du Collier qui a éclaboussé son image. Voici donc un portrait presque trop familier d’une maternité épanouie, celle de la femme, mère avant d’être Reine, d’une allure à peine royale. Car la veine de Madame Vigée-Lebrun cultive le naturel, voire une certaine familiarité avec son royal modèle.

Pas d’apparat ni d’étalage ; pas d’insignes et d’accessoires dévoilant un message et une propagande ; Marie-Antoinette pose sans couronne, c’est à peine si l’on identifie la salle où elle se trouve : le salon de la Paix qui précède sa chambre. La perspective de la Galerie des glaces se devine sur la gauche. Le decorum du palais a été atténué pour une mise en scène intimiste. C’est le portrait d’une femme par une autre femme. Ce sentiment d’humanité et même de tendresse, s’exprime sous les pinceaux de la portraitiste.

L’un des reproches qu’on lui opposa souvent, en raison de ses origines étrangères, en particulier autrichiennes, est d’avoir favorisé le Chevalier Gluck. Et d’autres étrangers, Piccinni et Sachini, et même Salieri. Elle aurait peu aimer les auteurs français. Or elle protégea avec une même ardeur, Gretry et Gossec. Encore jeune fille, c’est le maître à danser Français, Noverre qui lui apprend l’art de la pose et cette élégance, ce maintien qui même devant l’échafaud, aux séances de son procès, lui inspire une dignité indéfectible propre à sa naissance, ce port inoubliable d’une Reine artiste.

Qui est Marie-Antoinette? A l’heure où l’on célèbre Mozart, les feux people et glamour du festival de Cannes 2006 ont mis à l’honneur le film de Sofia Coppola : Marie-Antoinette.

Mozart/Marie-Antoinette : deux figures contemporaines qui nous renvoient l’image d’un XVIIIème siècle fascinant. L’histoire s’est montrée terriblement cruelle à leur égard. Le Premier est mort trop tôt même s’il eut le temps de délivrer son sublime message ; la Seconde fut exécutée non sans avoir connu les délices de son rang de Souveraine puis les humiliations les plus accablantes. Reine des plaisirs, puis Reine Martyr.
Ils auraient pu aussi se retrouver à Versailles. Un épisode demeure peu connu, Mozart alors à Paris (il s’agit de son second voyage en 1778), postula pour un poste d’organiste à la Chapelle Royale de Versailles. Or Marie-Antoinette qui l’avait bien connu, et pour cause pusique le jeune Wolfgang alors à Vienne, invité de l’Impératrice Marie-Thérèse, lui avait demandé dans une fougue juvénile, « voulez-vous m’épouser?« -, ne marqua aucun intérêt à la proposition du musicien qui cherchait une place en France… On imagine ce qu’aurait pu produire la présence de Mozart comme musicien officiel à la Cour de France…

La réalité n’est pas moins féérique, du moins dans la première partie du règne de Marie-Antoinette. La jeune adolescente reçoit comme cadeau de son époux Louis XVI, dès 1774, le domaine et le château du Petit Trianon.
De la résidence des favorites de Louis XV, Marie-Antoinette fait le lieu emblématique de ses goûts, le miroir d’un art-de-vivre somptueux. Ou comment recycler un lieu déjà bâti en foyer d’un goût renouvellé, à l’avant-garde : ce que fit Gluck de ses operas serias créés dans les années 1760 à Vienne. Ré adaptés sous la protection de Marie-Antoinette qui fut son ancienne élève à Vienne, les ouvrages du Chevalier bouleversent la notion de drame lyrique sur la scène Parisienne, au début des années 1770.
Marie-Antoinette réaménage Trianon en un temple du raffinement. A quelques pas du bâtiment, dans son domaine privée et avec son architecte Richard Micque, elle se fait construire un théâtre privé qui accueille les spectacles de musique, composés par les musiciens qu’elle aime.

Illustrations

Elisabeth Vigée-Lebrun, portrait de Marie-Antoinette (1783)

Elisabeth Vigée-Lebrun, Marie-Antoinette et ses enfants (1788).
Le dernier portrait de la longue série de tableaux commandés par la Reine à la peintre. La mère est ici entourée de ses enfants, Madame Royale, Louis Charles (futur Louis XVII, dans ses bras), Louis Joseph qui soulève les étoffes du berceau où se devait se trouver Marie-Sophie décédée à l’âge d’un an de la tuberculose, Louis Joseph s’éteignait un après l’achèvement du tableau. Exposé au Salon de 1788, le sujet familial suscita de vives réactions : trop familier, trop intime, une Souveraine en mère était un registre déplacé qui n’avait pas été traité jusque-là.

Versailles, le Petit Trianon, façade sur les jardins.

Nice. Opéra, le 1er juin 2006. Ariane et Barbe-Bleue. .

Notre correspondant permanent à Nice a assisté à la dernière représentation d’Ariane et Barbe-Bleue présenté à l’Opéra de Nice, en clôture de sa saison lyrique. L’interprétation convaincante oeuvre à la réhabilitation d’une partition injustement méconnue, trop absente des scènes lyriques.

« De ce côté,
 se trouve
une eau stagnante
et très profonde 
».

Au coeur de l’Opéra Ariane,
la place du texte

La phrase prononcée autant dans « Pelléas et Mélisande » (Debussy) que dans « Ariane et Barbe-bleue » (Dukas), pourrait symboliser toute la poétique du génie de Maeterlinck.

Au coeur des oeuvres musicales que l’écrivain a inspiré, chez Debussy comme chez Paul Dukas, la place du texte et son fonctionnement, son sens manifeste et caché, est primordiale.
Plutôt que de répéter ici et là, son opacité énigmatique, ou pire, sa préciosité surannée, il est plus juste de se poser la question : pourquoi une prose de ce type a-t-elle suscité en musique, deux chefs-d’oeuvre absolus dans l’histoire de l’opéra français?

Dans une langue symbolique, écho des premiers frémissements de la psychanalyse alors juste naissante, Maeterlinck façonne un terreau de signes plus explicites qu’il n’y paraît. La richesse sémantique de ses livrets est proprement fascinante : nous avons désormais assimilé les fondements de l’inconscient et nous savons en comprendre les codes. Ce n’est pourtant pas à la portée de tous, voilà pourquoi il y a les inconditionnels de Maeterlinck et les autres. Maeterlinck interroge les rapports difficiles de la femme et de l’homme : Ariane porte fièrement le nom de l’héroïne qui tint le fil pour sauver Thésée mais qui fut abandonné par lui sur une île. Oublié Thésée, cette fois-ci c’est elle qui abandonne Barbe-Bleue, tout en tenant le fil pour sortir les autres femmes de la condition soumise, hors du labyrinthe obscur. En Ariane, s’incarne le passage de l’inconscient à la conscience, de l’ombre à la lumière ? Il est déconcertant par ailleurs de constater que les épouses de Barbe-Bleue, touchées par la vulnérabilité nouvelle de leur mari, physique et morale, resteront auprès de lui. Maeterlinck était-il androgyne pour comprendre ainsi les contradictions féminines ?

Chez Maeterlinck, chaque parole est faite pour atteindre mystérieusement au plus profond du cœur de l’homme. Ce n’est plus le langage de la communication directe, Maeterlinck dépasse l’oralité du théâtre et nécessite le soutien d’un autre langage, universel, celui de la musique. Celui-là seul rend évident à l’auditeur le sens profond. La musique devient un commentaire, un texte sur le texte : cela envoûta les compositeurs qui s’y plongèrent, Debussy, Dukas. L’eau stagnante et profonde, c’est donc l’orchestre de Dukas, les voix de Dukas. Qu’on y trouve alors, une nouvelle prosodie de la langue, une sorte d’extase straussienne toute mâtinée de wagnérisme, mais aussi chatoyante et raffinée qu’un Ravel avec un brin de la monodie debussienne, n’a rien pour nous surprendre.
L’orchestre chargé en saveur, capiteux, moins diaphane que celui de Debussy mais non moins virtuose, oblige toutes les voix à la prouesse. Dukas ouvre le chemin dans cet opéra (et ce n’est pas la moindre qualité du chef-d’œuvre) vers une autre solution pour la langue française dans le chant, une langue débordante et chaleureuse, dont se rappellera, entre autres influences, le Dutilleux de « Correspondances ». Il est évident que c’est cette exigence sportive qui a fait tomber Ariane et Barbe-Bleue dans un sommeil inexplicable alors que le cœur de l’auditeur palpite dès les premières notes (les paysans y scandent « à mort » dans une obscure rumeur aussi hostile à Barbe-Bleue que le village des pêcheurs l’est au Peter Grimes de Britten). La gageure est là : comment trouver des chanteuses « wagnériennes » qui puissent aussi respecter l’exigence d’un texte clairement prononcé ?

A Nice, une lecture musicale et humaine
L’opéra de Nice relève le défi, et ce n’est pas la première tentative de Paul-Émile Fourny : il donna déjà l’œuvre à Prague et la co-produit actuellement avec le New York City Opera et l’Opera royal de Wallonie. Le metteur en scène, qui est aussi le directeur de l’Opéra de Nice, se révèle défricheur à double titre : comme directeur de théâtre et scénographe, il a bien porté la résurrection de l’opéra de Dukas : avoir rendu à l’œuvre sa place internationale ce n’est pas peu. Il n’est pas à douter qu’après cela, Ariane ne quittera plus l’affiche. Service rendu à la France.

Le décor est sobre, altier comme une production de Bayreuth, où la part de la lumière (Jeff Harris) peut, virtuosement, rappeler les jeux d’obscurité et de soleil du poète Maeterlinck, partagé entre son brumeux pays natal et la Nice de son château d’Orlamonde au bord de la mer (désastreusement détruit aujourd’hui). Des grands murs portant six portes pivotent ; à chaque porte ouverte, descendent des lustrent aux couleurs des pierres précieuses ; des turquoises (des yeux) des rubis (une bouche) le diamant (une barbe !) forment peu à peu un visage magique suspendu, et cette couleur dans l’obscurité tranche comme une référence Pop-art.
Plus tard, au moment où les filles d’Orlamonde sortent de leur tombeau, la toile du prés vert avec mer bleue et ciel orange découpant les montagnes noires, rappelle Andy Warhol, tandis que les tubes de plexiglas qui les emprisonnaient auparavant rappellent Matrix et s’inondent de lumière quand Ariane les touche. Effets baroques avec des moyens simples, signés Louis Désiré qui jalonne ainsi le chemin initiatique de la femme libre.

Le style des costumes, habilement situés entre un dix-neuvième de jeunes pensionnaires et une renaissance futuriste ou onirique concentre l’attention du public sur la féerie du conte psychologique. Paul-Émile Fourny dans ses choix d’interprètes a voulu aussi allier sa propre imagination aux exigences vocales.
Le plateau des chanteurs, chevelu, roux, blond, bleu, ébène, est physiquement beau. Il faut que tous les personnages soient des idéaux. L’homme, Barbe-Bleue, Evgenij Demerdiev, assure une belle prestance pour les quelques mots qui lui reviennent, et sa figuration à la fin est celle d’un Christ blessé. C’est la vision de ses épouses touchées par ses blessures. Auprès de l’homme affaibli, elles choisissent de sacrifier leur liberté.

Les cinq premières épouses sont vêtues comme les sages-femmes qui soignèrent la Mélisande mourante au début de la Saison de l’Opéra de Nice (cette année consacrée à la musique française). Rappel d’un opéra à l’autre, Cette Ariane qui conclue la saison et le cycle consacré à l’Opéra Français, renvoie au premier chapitre, « Pelléas et Mélisande«  de Debussy.
Ariane, Hedwig Fassbender, chante avec vaillance sans faiblesse, diction claire, souffle infiniment soutenu, nuances subtiles mais elle  lutte pour hisser son gabarit au niveau de l’orchestre dukasien. Faut-il une voix encore plus grande pour ce rôle ? Il n’en demeure pas moins que la chanteuse est une « interprète » de haut vol : sa prestance sur scène, sa noblesse et sa sérénité en font une Ariane forte et inoubliable, totalement en osmose avec le texte et la musique. Jadranka Jovanovic, la nourrice,  se chauffe pour s’envoler dans les longues phrases et de ce fait est inégale dans les récitatifs.  Les cinq filles d’Orlamonde, ont toutes des voix splendides mais Svetlana Lifar, ici la rousse Sélysette, la plus
volubile, est d’une plénitude supérieure. Cohérent et direct, l’orchestre est somptueux sous la baguette de Claude Schnitzler : lyrique, solide, poète, le collectif des instrumentistes dévoile les richesses d’une partition exceptionnelle.

Debussy puis Dukas, de « Pelléas » à « Ariane » :
un destin pour  Mélisande

Nouveau rappel d’une oeuvre à l’autre : la Mélisande de Pelléas de Debussy apparaît aussi dans Ariane. Voulez vous connaître la taille de ses cheveux qui est désormais indissociable du personnage? (le thème de Debussy l’accompagnait quand elle se blottissait dans les bras d’Ariane) ?
Mélisande en définitive indique comment se succède les deux oeuvres de Debussy et de Dukas. L’époque d’Ariane se situerait avant celle de Pelléas. Mélisande s’est enfui du château de Barbe-bleue. Au début de Pelléas, elle a jeté sa couronne dans un étang (comme plus tard son anneau dans la rivière). Fragilisée et brisée, elle accepta la protection d’un mari, Golaud, qu’elle n’aimera pourtant pas…

Les admirateurs de Maeterlinck iront en pèlerinage à Nice. Au bout du cap à l’Est, vous verrez quel abrupte précipice se jeter des remparts-vestiges d’Orlamonde -l’ancienne résidence de Maesterlinck- jusqu’à la mer. Il est couvert de cactus qui fleurissent en septembre. Si vous voulez courtiser Mélisande, vous devez nager jusqu’à la crique, à ses pieds, et, tel Pelléas, lever les yeux très haut vers sa fenêtre. Tel sont les immenses cheveux de Mélisande. Telle est la source de sa longue chevelure.

Crédits photographiques 
© service de presse Opéra de Nice 2006

Lire aussi notre entretien avec Marie Devellereau qui chante Mélisande dans la production d’Ariane à l’Opéra de Nice.

Werther, version baryton (1902)

Qui est Werther?
Un dépressif? Une âme hypersensible, capable de
s’extasier au-delà de toute limite devant la beauté de la nature, faire
corps avec le spectacle du soleil naissant, mais aussi victime d’un
naufrage personnel, tu ; en lui se heurtent deux élans de l’âme,
l’ivresse amoureuse, cristalisée dans le personnage de Charlotte, et la
déni de soi, un coeur ravagé et même foudroyé par le sentiment de la
fin. Il porte en lui un gouffre d’amertume. Voilà ce qui le rend aux
sentiments extrêmes. Emportement, violence. Or le passage à l’acte se
réalise sur lui-même, et non sur l’autre ! Jamais il ne cherchera à
enlever Charlotte, ni la dérober à Albert. Il y a déjà chez lui une
secrète et profonde acceptation de l’échec. Voilà ce qui le rend
humain, si humain. Et même d’une lâcheté extatique qui confine à la
complaisance.

Werther-baryton

Sensible
à la profondeur psychologique du héros, façonné par Goethe, Massenet
dès la création de son opéra où le rôle-titre était conçu pour un
ténor, reste insatisfait cette première option vocale. Il lui semble
que l’épaisseur et la couleur du personnage de Werther convient mieux à
une voix de baryton. Le chanteur Victor Maurel, habitué des ouvrages
verdiens lui aurait confirmé ce changement radical.

C’est cependant
un autre chanteur, Mattia Battistini, baryton à l’aigu souple et
facile, qui lui demanda d’écrire pour sa voix, une version nouvelle
d’un Werther devenu baryton.
Le baryton italien chanta du vivant
de Massent, (entre 1901 et 1911) la version validée par l’auteur. A
défaut d’avoir retrouvé l’exemplaire autographe composé par Massenet,
il subsiste des copies des partitions chantées par Basttistini le plus
souvent en italien.

Aujourd’hui, les sources originales font
défaut. Et il faut expurger les partitions retrouvées, des variantes
écrites probablement par Battistini lui-même. La version de 1902 éditée
aujourd’hui par Virgin classic, rend compte d’un premier travail pour la
réhabilitation d’une nouvelle version de Werther, d’autant plus
exceptionnelle qu’il ne s’agit pas de la transposition d’une
tessiture à l’autre, de la voix première de ténor, à celle qui nous
occupe, de baryton, mais bien d’une conception renouvelée, fruit d’une
réécriture complète. Et derrière cette reprise, c’est bien sûr une
conception psychologique différente qui se précise.
Que l’on préfère
l’une ou l’autre, voix de ténor, voix de baryton, importe peu. Ce qui
est essentiel, c’est retrouver la pensée originelle de Massenet, et
distinguer ce qu’il a souhaité, de la part de l’interprète qui lui
inspira cette nouvelle version, en l’occurrence Basttistini. Or on sait
que dans la pratique, les compositeurs écrivent aussi pour les
chanteurs. Pensée de Massenet, part de Battistini, la frontière est
ténue. Quoiqu’il en soit, la version publiée sous la direction de
Michel Plasson éclaire d’un jour nouveau le sens de l’ouvrage et notre perception du personnage de Werther.

Lire notre critique du dvd Werther publié par Virgin classics

Illustrations
Ingres, portrait de jeune homme.
Vigée-Lebrun, portrait de jeune homme.

Jules Massenet (1842-1912), le dossier Werther (1892-1902)

Titulaire du prix de Rome en 1863, obtenu grâce à la recommandation de Berlioz, le jeune Jules Massenet âgé de 21 ans est pensionnaire de la Villa Medicis pendant deux ans.
De retour à Paris, où il se marie, il commence à composer ses premières pièces d’envergure, tout en étant percussionniste à l’Opéra. L’entrée du jeune dramaturge sur la scène lyrique est fracassante grâce au Roi de Lahore (1877), il a alors 35 ans : le succès dépasse le cadre de l’Opéra pour lequel l’ouvrage avait été conçu. Il est célèbre dans toute l’Europe. Il est élu à l’Institut en 1879 : il est alors le plus jeune membre sous la Coupole. Suivent de nombreux ouvrages qui sont autant de succès populaires, lui assurant une fortune confortable : Hérodiade (1881), Manon (1884), Le Cid (1885), Werther (1892) et Thaïs (1894).
Lorsque l’engouement pour les œuvres de Wagner finit par inspirer tous les musiciens de son temps, et même infléchir le goût du public, les œuvres de Massenet sont moins acclamées, et leur auteur paraît même dépassé par la mode du wagnérisme ambiant. Il sait néanmoins se renouveler totalement, composant Le jongleur de Notre-Dame, en 1902, œuvre écrite totalement pour des voix masculines quand sa réputation jusque là était d’être l’auteur de la femme, abordant dans ses opéras, les facettes de la psychologie féminine, d’Hérodiade à Thaïs. Mais cet approche tend à réduire arbitrairement le travail musical d’un musicien soucieux de dramaturgie et d’efficacité scénique. Mort en 1912, il fut le professeur de Charles Koechlin, Gabriel Pierné, Rinaldo Hahn et Florent Schmitt.

Werther est un défi. En abordant d’abord le mythe littéraire écrit par Goethe en 1774, Massenet s’attaque au chef-d’œuvre de la littérature romantique, sombre, radicale, ténébreuse et passionnelle. Le drame naît ici d’un amour réciproque (entre Werther et Charlotte), cependant empêché par les contraintes sociales (Charlotte fiancé à Albert, est déjà engagée). L’histoire en elle-même serait assez banale si la force du sacrifice (Werther renonce un temps à cet amour « impossible » et laisse son aîmée dans les bras d’un autre), mais surtout le travail souterrain de la culpabilité (l’amour est plus fort que l’oubli et Werther revient mais il est trop tard : Charlotte s’est mariée) ne tirait les héros à dépasser leur simple existence. La musique de Massenet suit les mouvements de la psyché. Or on sait bien qu’aucun obstacle ne peut infléchir un cœur amoureux.

Les duos Werther/Charlotte sont les moments les plus intenses. Il s’agit bien d’opposer deux tempéraments qui résistent doublement. D’abord à l’autre, mais aussi à eux-même. Poids des convenances, fidélité à un serment passé, -Charlotte a juré d’épouser Albert à sa mère, défunte depuis-. Massenet en confrontant les deux amoureux exprime parfaitement tout ce qui est jeu chez l’un comme chez l’autre. Ce que les mots ne disent pas, la musique l’exprime clairement.

« Dès qu’il pris la plume Massenet
disloqua le contour mélodique des chants amoureux et trouva la formule
musicale de l’amour français moderne. Il a composé et fixé
l’hiéroglyphe sonore qui résume la sensualité parisienne
« , écrit Rinaldo Hahn, son élève.

L’amour est une souffrance qui épuise toute une vie, vision romantique, éprise d’absolu dont Goethe a créé une œuvre monumentale. Il y révèle en définitive la force du sentiment, cet imperceptible mécanisme de notre conscience, qui sans qu’ils en aient peut-être conscience, anime tout individu.
Le travail du temps a fait son œuvre et la réalité trop difficile à vaincre, sera fatale au jeune homme, il se suicide. Qui est Werther ? Pourquoi une version pour baryton?

Donizetti, Lucia di Lammermoor (1835)Chorégies d’Orange, les 29 juillet et 1er août

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Donizetti, précurseur dans la première moitié du XIXème siècle de Verdi, laisse avec Lucia di Lammermoor, le prototype de l’opéra italien, belcantiste et romantique. Le sujet inspiré de Walter Scott, sombre même dans la folie la plus macabre : sur scène, Lucia meurtrière, délire et agonise.

Le théâtre antique d’Orange, sous sa nouvelle couverture permanente, destinée à protégée le site patrimonial accueille fin juillet 2006, l’œuvre maîtresse de Donizetti, Lucia di Lammermoor.

Donizetti appartient à la première moitié du XIXème siècle, décédé en 1848, il prolonge Rossini et annonce déjà Verdi. D’ailleurs, Scribe reprendra le livret de son Il Duca D’Albe, laissé inachevé, pour écrire le texte remodifié, des Vêpres Siciliennes de l’auteur d’Aïda.
S’il commence avec des œuvres dramatiquement légères, le jeune compositeur lyrique qui se voit dispenser de service militaire au regard de ses premiers succès (Zoraide di Granata, Venise, 1822 – il n’a que 25 ans), culmine sur le plan musical avec l’un des ses opéras les plus réussis, Lucia di Lammermoor. L’oeuvre est créée à Naples en 1835, sur un livret de Cammarano. Le texte qui prend sa source chez Walter Scott (the bride of Lammermoor, 1819), offre un sujet emblématique du romantisme noir et fanstastique où l’héroïne sombre dans la folie meurtrière, avant que celui qu’elle aime (Edgardo), ne se donne la mort.
Nous voici dans un drame shakespearien, à la Roméo et Juliette. Vision sentimentale et tragique qui, avant Tristan de Wagner, affirmait déjà que le véritable amour ne peut se réaliser sur terre, que la fusion espérée des deux corps ne peut pleinement se consommer que par leur mort. Vision funèbre à laquelle le travail musical de l’auteur offre une recréation poétique.

Lucia demeure l’opéra le plus joué de Donizetti. Or, celui qui avait aussi composé Torquato Tasso et Lucrèce Borgia en 1833, écrira de nombreuses autres ouvrages, où s’écoule une même veine intense et dramatique comme Roberto Devereux (1837).
Dans la période où il compose Lucia, le compositeur vit les heures les plus heureuses de sa carrière. Dans le sillon du succès parisien de Marino Faliero, il écrit pour le théâtre San Carlo de Naples, un nouvel opéra tragique, commencé en mai, fini en juillet, créé le 26 septembre 1835.
La réussite et la qualité musicale de Lucia tient à la rencontre du musicien avec la chanteuse Fanny Persiani dont l’agilité vocale et le tempérament ont permis à Donizetti d’envisager l’ampleur psychologique du rôle-titre, en particulier le délire de la scène de la folie. Coloratoures acrobatiques, mais aussi récitatifs recomposés, mêlés de sections intermédiaires (arioso), mi déclamés mi chantés, donne pour l’interprète une matière nouvelle à son jeu théâtral et vocal. Maria Callas (illustration) révélatrice du personnage et de l’œuvre en 1953, avait trouvé un rôle à la mesure de son talent, et ressusciter sur les planches, une œuvre tombée dans l’oubli. Après elle, les Sutherland et Caballé s’approprieront diversement le personnage, sans jamais épuiser les ressources d’un rôle fascinant.

Aujourd’hui, le succès populaire de l’oeuvre répare les souffrances d’un auteur maltraité : Bellini son cadet le supplante souvent sur la scène, le jeune Verdi montre déjà l’envergure de son feu dramatique. Pire, Naples lui préfère Mercadante pour la direction du Conservatoire. Meurtri et même blessé, l’infatigable auteur, accablé encore par des deuils et d’autres humiliations, devra cesser toute activité à cause d’une paralysie nerveuse. Il sera hospitalisé à Ivry, avant de mourir, malade et exténué, en Italie.

Lucia di Lammermoor aux Chorégies d’Orange.

Samedi 29 juillet à 21h30

report, en cas de mauvais temps, au dimanche 30 juillet à 21h30

Mardi 1er août à 21h30
report, en cas de mauvais temps, au mercredi 2 août à 21h30

Direction musicale, Marco Guidarini
Etudes musicales, Janine Reiss

Mise en scène, Paul-Emile Fourny
Eclairages, Jacques Châtelet
Scénographie, Poppi Ranchetti
Costumes, Veronique Bellone
Chorégraphie, Servane Delanoë

Lucia, Patrizia Ciofi
Alisa, Marie-Nicole Lemieux

Edgardo, Rolando Villazon
Enrico, Roberto Frontali
Raimondo, Roberto Scandiuzzi
Arturo, Florian Laconi
Normanno, Christian Jean

Orchestre Philharmonique de Nice
Chœurs des Opéras de Région

Le 4 août suivant, Marco Guidarini et l’orchestre Philharmonique de Nice
accompagneront Inva Mula (soprano) et Rolando Villazon (ténor)
dans un « Concert Lyrique »

Renseignements, réservations : www.choregies.com

Illustrations :
Gravure Lucia di Lammermoor (dr)
Maria Callas, Lucia di Lammermoor. Scala de Milan, 1954.

Entretien avec Marc Monnet,compositeur et directeur artistique du Printemps des Arts de Monaco

Notre envoyé spécial au dernier Printemps des arts de Monaco, Cédric Costantino a rencontré Marc Monnet, son directeur artistique. Questionnaire sous forme de « pourquoi? « Entretien avec le compositeur.

Pourquoi n’écrivez-vous pas de la musique spectrale ?

C’est une question ou une réponse ? C’est déjà le passé, les années 1970 et 80. Je suis maintenant très loin de cette époque, je n’ai pas envie d’être sans cesse revisité par mon passé. On écrit la musique de son temps non pas par rapport à un dogme. Il n’y a plus aujourd’hui un mouvement. On peut tout de même différencier les post-tonaux qui font un certain retour en arrière et les autres. Dans les autres, il n’y a pas de ligne dominante, mais au contraire une diversité. On pourra, dans le futur, lire les diverses tendances. Aujourd’hui on n’est plus dans l’affirmation d’une idéologie, et on ne l’est plus au niveau mondial. Ce n’est pas une question simplement de musique : c’est une question qui va bien au-delà. Il n’y a plus d’idéologie, ou plutôt il n’y en a plus qu’une. Depuis le mur de Berlin, la disparition du communisme, il est évident que la seule idéologie est le capitalisme. Quelque part il est vrai que la lutte d’idée a fortement diminué. Je le regrette, la lutte d’idée demeure fondamentale. L’homme a besoin de débattre. Sur terre il n’y a pas qu’un homme, il n’y a pas qu’une idée, il y a une multitude. C’est cela la difficulté de vivre.

Vous dites : ce n’est pas une œuvre nouvelle que l’on entend dans une création, c’est l’écho de ce qui est. Pourquoi ?

Le mot création est galvaudé et je crois que, quand je réagis comme cela, c’est pour remettre les pendules à l’heure. L’acte en soi, dit de création, est quelque chose de neutre. Je me méfie donc de l’importance que l’on donne au mot « création », et je serais de ceux qui voudraient le réserver à un autre domaine, le religieux, comme les Italiens qui ne peuvent pas dirent « sono il creatore » car cela signifierait « je suis Dieu ». Effectivement on a cette référence dans « création » avec laquelle je suis très prudent. Pour moi ce que nous avons en nous et que nous générons, c’est peut-être quelque chose certes du spirituel mais en tout cas, à mes yeux, pas de l’ordre de la croyance.


Pourquoi la musique s’écrit ?

Nous sommes dans une civilisation de l’écriture, nous avons une mémoire, quand on écrit c’est pour laisser une trace, le signe. Pas d’écriture, pas de trace, pas de possibilité d’expression. L’écriture est essentielle pour que son « temps lent » permette de modifier les choses. C’est à l’opposé de l’improvisation qui par l’extrême rapidité de l’écoulement du temps ne permet pas d’être suffisamment inventif et conscient de ce qui se passe dans l’instant. Cette spontanéité peut amener parfois quelques jolies choses mais non constructives, bien au contraire, simplement « de l’instant ». Le graphisme est magique, avoir imaginé les formes de lettres dont vous vous servez en ce moment pour renvoyer le message ! C’est extraordinaire, c’est cela l’écrit.


Pourquoi réagir physiquement à l’écoute de celle-ci ?

Le son est une réaction physique, celle de l’organe « oreille » et de l’organe « cerveau » (car l’oreille ne marche pas sans lui). Un son, un bruit surgissent : l’oreille perçoit, le cerveau analyse, procure par des chemins complexes du plaisir ou/et du déplaisir. Le déplaisir n’est pas forcément « juste » par rapport à ce que vous percevez ! On réagit sans trop réfléchir à ce qui se passe, donc prudence dans les jugements !


Pourquoi parfois vos titres d’œuvres empruntent phonétiquement à l’enfance, comme « Bibilolo », « Berceuse du vent, des cloches et de l’ogre endormi (collectif) », « babioles », « patatras » ?

Bibilolo est un jeu du langage, j’aime beaucoup jouer sur le langage « normatif ». Bibilolo, c’est du plaisir. Quant à l’enfance, elle est une composante de la vie, comme tout le monde je suis né « gosse », personne ne peut être exclu de cette loi. L’enfance est importante dans le devenir de l’être humain.


Pourquoi un festival à Monaco ?

Ce n’est pas moi qui l’ai décidé. Le festival existait avant moi. Chaque ville aime bien manifester son image de certaines façons. Je pense qu’à Monaco le coté festif était nécessaire à un moment donné dans l’année. Donner un effet autre que les concerts habituels dans le cadre d’une institution, tel est le projet du festival. Prendre le bus pour ce laisser mener à un endroit inconnu, choisir des lieux inusités, accentue beaucoup cet aspect festif que l’on ne peut pas tenir dans l’année dans des lieux traditionnels.


Pourquoi le printemps des arts se réinvente ?

Parce que toute institution meurt si elle n’est pas en renouvellement permanent. C’est une règle absolue. On voit des institutions mourir.


Pourquoi la métamorphose ?

L’idée de métamorphose est une fascination sur le public, cela peut être un voyage, une thématique, un compositeur, il n’y a pas de clé définitive. C’est à l’image de la métamorphose en peinture, si envoûtante : dans la construction musicale, il y a la métamorphose aussi. Pas de musique sans métamorphose ! Le festival pourrait s’appeler « festival des métamorphoses », mais (pour se situer toujours dans la métamorphose) on ne doit pas imposer une thématique générale, c’est trop réducteur. Tout au plus il y a un sens, une direction où va le festival. Construire cette direction me coûte parfois des regrets : des bras que je dois couper pour garder l’homogénéité de la ligne générale.


Pourquoi sommes-nous là ?

C’est la question que se pose hier soir la pièce « Boulevard du Boulevard » de Daniel Mesguich au TNN de Nice. Pourquoi ? Pourquoi j’écris, pourquoi je joue ? Pourquoi je me sers d’un langage ? C’est toute la question de l’existence, pourquoi ? Et je ne donnerai pas de réponse, pour moi il n’y a pas de réponse à la finalité du monde ! Je ne suis pas croyant. Ce qui trouble l’homme, c’est son pouvoir de réflexion par rapport à l’animal. Cela nous empoisonne la vie, c’est à partir de là que les notions de pouvoir, de propriété arrivent. C’est ce déchirement permanent de l’homme qui le pousse à agir.


Etes vous né en 1928 ?

Oui !

Propos recueillis par Cédric Costantino

La dernière réponse fait échos au message délivré par l’interviewé sur www.marcmonnet.com

Lire aussi les comptes rendus de notre envoyé spécial au dernier Printemps des Arts de Monaco.

Hector Berlioz, Requiem (1835-1837)Mezzo, jusqu’au 25 août.

Le Requiem porte la mémoire des célébrations collectives de
l’époque révolutionnaire et napoléonienne, ces grandes messes
populaires où le symbole côtoie la dévotion, réalisées par exemple par
Lesueur.
D’ailleurs, l’orchestre de Berlioz n’est pas différent par
son ampleur ni par le choix des intruments de celui de son
prédécesseur. Berlioz citait aussi pour indication de l’exécution de
son œuvre, le decorum des funérailles du Maréchal Lannes sous l’Empire.
Lorsqu’il entend le Requiem de Cherubini pour les funérailles
du Général Mortier, en 1835, il songe à ce qu’il pourrait écrire sur le
même thème… Sa partition ira « frapper à toutes les tombres illustres ». La commande officielle qu’il reçoit le plonge dans un état d’excitation intense : « cette
poésie de la Prose des morts m’avait enivré et exalté à tel point que
rien de lucide ne se présentait à mon esprit, ma tête bouillait,
j’avais des vertiges
», écrit-il encore.

Images terrifiantes
des croyants confrontés au spectacle de la faucheuse, le thème stimule
la pensée des compositeurs au tempérament dramatique, tel Berlioz,
comme Verdi plus tard. Aux murmures apeurés des hommes, correspond
l’appel terrifiant des cuivres et des percussions dont le fracas, donne
la mesure de ce qui est en jeu : le salut des âmes, la gloire des élus,
le paradis promis aux êtres méritants. Fidèle à la tradition musicale
sur un tel sujet, Berlioz insiste sur l’omnipotence d’un Dieu juste et
la misère des hommes qui implore sa miséricorde.
Or ici les flots apocalyptiques se déversent pour mieux poser l’ample déploration finale, qui fait du Requiem, un œuvre poignante par son appel au pardon, à la sérénité, à la résolution ultime de tout conflit.
Héritier des compositeurs qui l’ont précédé, Gossec, Méhul, Lesueur, Berlioz sait cependant se distinguer par « l’élévation constante et inouïe du style » selon le commentaire de Saint-Saëns.

Le Requiem, une célébration mondaine
Sur le simple plan visuel, la Grande messe des morts
est un spectacle impressionnant. Les effectifs de la création sont
vertigineux et donneront matière à l’image déformée d’un Berlioz
tonitruant, préférant le bruit au murmure. Pas moins de trois cents
exécutants, choristes et instrumentistes, avec à chaque extrémité de
l’espace où campent les exécutants, un groupe de cuivres. Si l’on
reconstitue aux côtés du massif des musiciens, les cierges placés par
centaines autour du catafalque, la fumée des encensoirs, la présence
des gardes nationaux scrupuleusement alignés, l’oeuvre était surtout
l’objet d’un spectacle grandiloquent et d’un ample déploiement
tragique. Car il s’agisait en définitive, moins d’une commémoration que
d’obsèques.
La renommée de Berlioz gagna beaucoup grâce à cet étalage visuel et humain qui était aussi un événement mondain : « Le
Paris de l’Opéra, des Italiens, des premières représentations, des
courses de chevaux, des bals de M. Dupin, des raouts de M. de
Rothschild
» s’était pressé là, comme le précise les rapporteurs de l’événement… pour voir et être vu, peut-être moins pour écouter, .
Quoiqu’il
en soit les mélomanes touchés par la grandeur de la musique sont
nombreux, de l’abbé Ancelin, curé des Invalides, au Duc d’Orléans, déjà
mécène du compositeur et qui le sera davantage. Berlioz put avoir la
fierté d’écrire à son père l’importance du succès remporté, « le plus grand et le plus difficile que j’ai encore jamais obtenu ».
Et l’on sait que Paris, son public gavé de spectacles et de concerts,
fut à l’endroit de Berlioz, d’une persistante dureté (que l’on pense
justement à l’accueil glacial et déconcerté réservé à la Damnation de Faust ou encore à Benvenuto Cellini).

Mezzo, Requiem de Berlioz à partir du 22 juin à 20h50
Rediffusions : les 24 à 13h45, puis le 29 juin à 2h50.
En juillet : les 5 juillet à 10h, puis le 12 à 15h45
En août : les 18 à 20h50, 19 à 13h45, le 25 août à 4h05.
(en août, le Requiem est suivi d’
Harold en Italie
par l’orchestre de Paris, dirigé par Christoph Eschenbach)

Notre avis : Le programme diffusé par Mezzo tient et du documentaire et de la captation continue. La caméra d’Andy Sommer ne laisse aucun temps mort, elle tourne autour des exécutants, capte les regards concentrés, se focalise sur un chanteur… Elle suit le cri des croyants, n’hésite pas, en plans rapprochés, à exprimer l’effort physique des interprètes, choristes et intrumentistes. L’intérêt du montage est de mêler commentaires du chef, Christophe Eschenbach, avant chaque partie, puis d’entendre un large extrait de la section présentée. Tumultes, déflagrations, stupeurs et imploration (le Sanctus interprété par le ténor Vinson Cole est plus que convaincant) expriment au plus proche de la volonté de Berlioz, l’angoisse face à la mort et le désir de paix. L’intérêt du documentaire est d’autant plus percutant que l’interprétation est des plus honnêtes.
(Grande Messe des Morts, H 75, 1837. Vinson Cole, ténor. Choeur de l’Armée Française, choeur de l’orchestre de Paris, Orchestre de Paris, direction : Christophe Eschenbach). 2002.

Illustration
Michel-Ange, le jugement dernier (Rome, Chapelle Sixtine)
A l’exclamation terrifiée des fidèles au moment du Jugement dernier correspond le déluge pictural qu’a peint Michel-Ange sur le mur de l’autel de la Chapelle Sixtine.

Hector Berlioz, La Symphonie Fantastique (1830-1855)Mezzo, jusqu’au 12 juillet.

Selon les indications les plus tardives de l’auteur, le sujet
plonge dans la pensée d’un jeune héros romantique, certainement Berlioz lui-même.
L’oeuvre peut se lire comme une autobiographie, principe à l’honneur
chez les créateurs romantiques qui prennent pour sujet de leur oeuvre,
les propres états de conscience ou ici, d’inconscience. C’est
d’ailleurs, entre le rêve et la réalité, l’ivresse attendrie et le
cauchemar insoutenable et terrible que balance l’action de cette
symphonie dont les épisodes sont scrupuleusement identifiés.
Sous
l’emprise de l’opium, un jeune artiste est la proie de visions
personnelles qui sont les mouvements de la symphonie. Le fil conducteur
en est la figure de la femme aimée, inaccessible et lointaine, plus
fantasmatique et rêvée qu’approchée. Une « idée fixe » qui revient de
manière cyclique et finit par donner la matière continue de l’œuvre.
Déjà abordée dans sa cantate Herminie (composition pour le Prix de Rome, 1828), le principe de l’idée fixe, ou leitmotiv régulièrement repris dans la matière musicale, est ici pleinement développée.

La valse du deuxième mouvement permet à Berlioz de recourir à deux harpes, instruments chéris dans son jardin instrumental.

La part du rêve, et même un rêve éclatant, se dissipe au troisième mouvement,
où dans un renversement dramatique, d’essence purement romantique,
c’est le cauchemar et même la tragédie grinçante qui mène le bal. Le
thème moteur est une repise du Gratias, emprunté à sa Messe Solennelle, créée en 1825 à saint-Roch et dont le manuscrit a été redécouvert en 1991.
La ranz des vaches y est un hommage explicite à la Symphonie pastorale de Beethoven, compositeur révélé en 1828 et qui a inspiré au jeune musicien français, son orientation symphonique.

Le quatrième mouvement est lui aussi le réemploi d’un matériau ancien. Berlioz y recycle une marche des gardes conçue pour son opéra de jeunesse les Francs Juges
(H23), composé en 1826 puis révisé en 1829. Associé au thème de l’idée
fixe, il s’agit d’évoquer au comble du cauchemar, la marche du jeune
artiste à l’échafaud car il a tué la femme aimée. Couperet sec de la
guillotine, arrêt de la mélodie, déflagration subite qui succède. Ici,
la pensée romantique de l’être désirée s’est fait cérémonial macabre.
Une mise à mort autoproduite.

Dans son cinquième et dernier mouvement, Berlioz repousse les horizons connus dans l’espace symphonique. Il semble se souvenir de la Gorge au loup qui conclue l’acte II du Freischütz de
Weber. Presque déjà malhérien, Berlioz utilise l’âpreté de son
orchestre pour exprimer le mordant de l’amertume, il s’auto-cite et
même se parodie.
Course à l’abîme, la musique prend diverses formes de folie, de délire, d’autodestruction : « Dies irae », cloches lugubres et profondes de la « Ronde du Sabbat », enfin chute infernale qui dévoile le désordre d’une âme possédée par ses propres angoisses

Diffusion
En juin, voir grilles des programmes télé.
Dernières diffusions en juillet : les 5 juillet à 11h05, puis le 12 à 16h50.

Giacomo Puccini, TurandotOpéra de Marseille, jusqu’au 23 juin

On sait les difficultés avec lesquelles Puccini tenta d’achever une partition inégale, d’autant qu’il laissa après sa mort (Bruxelles, 1924) un ensemble de manuscrits autographes qui ne bénéficièrent d’aucune révision finale de la part de leur auteur. On sait aussi avec quelle autorité Toscanini maltraita le compositeur Franco Alfano désigné pour compléter et terminer l’ouvrage.

L’idée d’un Puccini, faiseur de mélodies faciles et sirupeuses, dans la lignée des véristes larmoyants, a vécu. C’est le fruit d’une lecture superficielle.
Il faut au contraire le tenir comme un concepteur d’avant-garde, soucieux certes d’airs clairement mémorisables mais aussi d’harmonies innovantes. Son opéra Turandot ne le montre pas: il affirme l’ouverture et la sensibilité d’un auteur visionnaire dont l’avancée du style voisine avec Berg (Wozzek) et Prokofiev (l’amour des trois oranges).

D’autant que Turandot est le dernier ouvrage sur lequel le compositeur s’obstine. Commencé en 1921, laissé inachevé –Puccini meurt à Bruxelles en 1924-, l’épopée chinoise, sentimentale et héroïque, mêle tous les genres d’une grande machine : sincérité émotionnelle (le personnage de Liù), saillie comique (les trois ministres Ping, Pang, Pong), fresque collective (chœurs omniprésents), trame tragico-amoureuse (le couple des protagoniste Turandot/Calaf)…
L’œuvre est d’autant plus intéressante qu’elle est parvenue incomplète, donnant d’ailleurs crédit aux critiques injustes qui aiment souligneer l’incapacité de l’auteur sur le plan de l’écriture, à vaincre une partition et un sujet dont la « sublimité » dépasserait ses possibilités musicales.
Gageons que, s’il avait disposé de plus de temps, l’auteur de Madame Butterfly, de La Bohême ou de Manon, aurait su trouver la juste conclusion à la partition qu’on a déclaré depuis, « impossible, infaisable, irréductible » à toute forme conclusive…
Quoiqu’il en soit, Puccini souhaitait dans Turandot mêler féérie exotique et action héroïque. Il donnait ainsi sa proposition du grand œuvre lyrique, à l’instar d’Aïda de Verdi, dont la découverte et l’écoute subjuguée, auraient décidé de sa vocation comme compositeur d’opéra.

On sait les difficultés avec lesquelles Puccini tenta d’achever une partition inégale, d’autant qu’il laissa après sa mort un ensemble de manuscrits autographes qui ne bénéficièrent d’aucune révision finale de la part de leur auteur. On sait aussi avec quelle autorité Toscanini maltraita le compositeur Franco Alfano désigné pour compléter et terminer l’ouvrage. Tout cela s’entend et se voit aujourd’hui dans les productions de Turandot. Il n’empêche que la fresque exotique et ses superbes assauts orchestraux – d’une audace et d’une modernité sous-évaluées à notre sens – confirment la valeur d’une oeuvre à part. Inachevée mais puissante, plus moderniste qu’on l’a écrit, son déséquilibre structurel, en particulier dans la dernière partie, révèle une oeuvre à (re)connaître d’autant que sa popularité ne s’est jamais démentie.

Giacomo Puccini (1858-1924), Turandot
Créé à Milan, Teatro alla Scala, le 25 avril 1926.
drame lyrique en 3 actes, achevé par Franco Alfano
(1876-1954) sur un livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni.

Production de l’Opéra de Marseille
En coproduction avec les Chorégies d’Orange

Direction musicale, Daniel Klajner

Mise en scène, Charles Roubaud
Décors, Isabelle Partiot
Costumes, Katia Duflot
Lumières, Fabrice Kébour

Turandot, Cynthia Makris
Liu, Nicoleta Ardelean
Calaf, Jeong Won Lee
Timur, Ayk Martirossian
Ping, Olivier Heyte
Pang, Christophe Mortagne
Pong, Martial Desfontaines
Altoum, Charles Burles
Le Mandarin, André Heijboer

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille

Maîtrise des Bouches-du-Rhône
Direction : Samuel Coquard

Mardi 13 juin 2006 à 20h
Jeudi 15 juin 2006 à 20h
Dimanche 18 juin 2006 à 14h30
Mercredi 21 juin 2006 à 20h
Vendredi 23 juin 2006 à 20h

http://www.mairie-marseille.fr/vivre/culture/opera.htm

Hector Berlioz, invité d’honneur sur Mezzo. A partir du 20 juin.

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Une Damnation de Faust à l’Opéra de Paris (jusqu’au 4 juillet), plusieurs soirées Mezzo qui diffusent le Te Deum, le Requiem puis la Symphonie Fantastique : Berlioz occupe le devant de la scène en juin.

Voici une occasion rêvée de plonger dans les eaux sombres et lyriques d’un immense génie dont l’oeuvre conçut une musique faite poésie.
Notre collaborateur Lucas Irom a pris prétexte de cette actualité pour évoquer la création du plus grand musicien romantique français. En suivant la chronologie des oeuvres, pleins feux sur deux œuvres diffusées par Mezzo, la symphonie fantastique composée par le musicien âgé de 27 ans, d’une part ; la Grande Messe des morts ou Requiem, d’autre part, œuvre apocalyptique autant qu’ample et sereine imploration pour le repos éternel.

Consultez dates et heures de diffusion en fin d’article.


La Symphonie fantastique (1830-1855)

« Symphonie H48 », le manifeste du romantisme musical français se développe en cinq chapitres : « Rêveries. Passions », « Un Bal », scène aux champs », marche au supplice », et songe d’une nuit de sabbat »
Composée dès 1830, puis créée en décembre de la même année, sous la direction de Habeneck, la partition subit de nouvelles transformations pendant le voyage en Italie (1831-32) et ne sera éditée dans une version encore transitoire qu’en 1845.
La symphonie est la manifestation d’un auteur original qui ne cesse d’apporter des modifications pour exprimer au plus juste son esthétique. Il modifie ses plans, reprend structure et continuité des épisodes, jusqu’en 1855.
Selon les indications les plus tardives de l’auteur, le sujet plonge dans la pensée d’un jeune héros romantique, Berlioz lui-même. L’oeuvre peut se lire comme une autobiographie, principe à l’honneur chez les créateurs romantiques qui prennent pour sujet de leur oeuvre, les propres états de conscience ou ici, d’inconscience. C’est d’ailleurs, entre le rêve et la réalité, l’ivresse attendrie et le cauchemar insoutenable et terrible que balance l’action de cette symphonie dont les épisodes sont scrupuleusement identifiés. Approfondir

Le Requiem ou grande messe des morts (1835-1837)

« cette poésie de la Prose des morts m’avait enivré et exalté à tel
point que rien de lucide ne se présentait à mon esprit, ma tête
bouillait, j’avais des vertiges
»

Berlioz compose son grand œuvre funèbre dans le contexte parisien qui voit la création de la Juive de Halévy (Opéra, 23 février 1835) et Les Huguenots de Meyebeer (Opéra, 29 février 1835). L’opéra est aussi au centre de son propre travail. Berlioz est sur le métier lyrique avec Benvenuto Cellini qu’il compose et finira grâce au soutien financier de son ami Ernest Legouvé. L’ouvrage sera créé à l’Opéra le 10 septembre 1838, non sans susciter une cabale qui décide du retrait de l’ouvrage de l’affiche. Mais les épisodes de galère et les revers du destin sont ponctués de surprises encourageantes. Car c’est l’époque où le compositeur recueille le témoignage d’un musicien admiratif : après l’écoute d’Harold en Italie (Conservatoire, 16 décembre 1838), Paganini donne 20 000 francs au compositeur de la Fantastique.
Une somme qui soulage Berlioz et lui permet d’écrire Roméo et Juliette (achevé le 8 septembre 1839). La nouvelle partition qui est dédié au généreux donateur sera créée après la mort de Paganini, survenue en 1840.

Berlioz reçoit la commande du Requiem en mars 1837. Il composera cette arche monumentale par l’ampleur de ses effectifs entre avril et juin. C’est Habenek, le créateur de la Fantastique, sept ans auparavant qui dirigera la création en grande pompe le 5 décembre, aux Invalides.
La période d’écriture prend une résonance personnelle dans sa propre vie. Quelques mois plus tard, le 18 février 1838, s’éteint sa mère.

Berlioz portait comme c’est la cas de beaucoup de ses œuvres, le projet d’une messe des morts depuis longtemps, certainement depuis sa première messe solennelle écrite en 1824 et donnée à Saint-Roch en 1825. La gestation est propice à la réussite de l’œuvre finale et au terme d’un parcours inimaginable au cours duquel la commande étant passée par le Ministère de la Guerre, puis reportée, avait fini par devenir un sujet tabou dans les couloirs de l’Administration Centrale, laissant Berlioz employé pour un travail dont il n’avait pas été payé.
Or quand on apprit que le 13 octobre 1837, la ville de Constantine (Algérie) était reprise aux turcs, laissant cependant un mort de grand mérite, le gouverneur général des colonies françaises, le Général Damrémont. Quand furent décrétées des obsèques nationales, le prétexte pour donner un Requiem était enfin trouvé. L’oeuvre de Berlioz trouvaient enfin une issue. Les répétitions commencèrent, et après la répétition générale aux Invalides, le 4 décembre 1837, Vigny notait : « la musique est belle et bizarre, sauvage, convulsive et douloureuse ». Approfondir

Te Deum
Après les événements révolutionnaires qui embrasent toute l’Europe, Berlioz compose son Te Deum en octobre 1848, et l’achêve en août 1849.
Dans un contexte politiquement agité, l’auteur se concentre sur son œuvre : il commence ses mémoires, à partir de mars, pendant son séjour à Londres.

Cependant il faut attendre six années avant que les parisiens n’entendent ce frère du Requiem (fracassant « Judex crederis« ). La première a lieu à Saint Eustache le 30 avril 1855 sous la direction de l’auteur. « Le Judex dépasse toutes les énormités dont je me suis rendu coupable auparavant« , écrit Berlioz à Liszt, quelques heures après la fin de la création, « Oui, le Requiem a un frère qui est venu au monde avec des dents, comme Richard III (moins la bosse) ».

Dans la carrière du compositeur, le Te Deum marque un tournant. Il accuse un repli dans le passé, un regain de nostalgie néo-classique, explicite dans le culte que Berlioz voue à Gluck, par exemple.

Actualité de Berlioz au mois de juin

1. Te Deum (programme inédit). Mezzo, le 20 juin à 20h50,
puis les 21 à 13h45, 30 à 10h. Concert enregistré pour les 400 ans de la Cathédrale de Winchester, en 1979. Interprètes : The Waynflete singers, Winchester Cathedral Choir, Southampton Choral society, Chelsea Opera group, The Irvine master choral, John Treleaven (ténor), LSO, direction : Martin Neary.

2.
Requiem (concert, 2002). Mezzo, Direction musicale : Christoph Eschenbach. Le 22 juin à 20h50, puis les 24 à 13h45 et 29 à 2h50

3.
La Symphonie Fantastique (concert, 2000). Mezzo, Direction musicale : Serge Baudo. Le 22 juin à 21h55, puis le 24 à 14h50.

4.
La Damnation de Faust
à l’Opéra Bastille, jusqu’au 4 juillet.

Illustrations :
Géricault, autoportrait (Musée du Louvre, Paris)
Courbet, portrait d’Hector Berlioz (Musée d’Orsay, Paris)

Angelin Preljocaj, Roméo et Juliette (1991)Mezzo, jusqu’au 24 juin

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L’écriture de Preljocaj qui signe à partir de 1991, ce nouveau ballet pour l’Opéra de Lyon, alors dirigé par Louis Erlo, s’affirme poétique et imaginative. Il assimile les corps à des pantins, soumis malgré eux à un ordre qui les dépasse ou muselle toute émancipation, de sorte que dès le départ, il s’agit bien d’une humanité soumise.

Les propos du chorégraphe d’origine albanaise, Angelin Preljocaj sur son ballet Roméo et Juliette soulignent la tragédie d’une histoire qui met en relief la volonté de soumettre et d’inféoder ce qui ne peut l’être par essence : la liberté d’aimer.

 «Dans une improbable Vérone, non pas futuriste mais fictive, passablement délabrée, abritant une classe favorisée et dirigeante (la famille de Juliette) et une population misérable et exploitée (celle de Roméo), la rencontre des amants est proscrite et hors la loi ; la milice omniprésente et musclée chargée par la famille de Juliette de contrôler l’ordre social n’est pas seulement l’image shakespearienne de la fatalité, c’est aussi l’emprise effective du pouvoir sur une des libertés essentielles de l’individu : celle d’aimer. »  écrit-il au moment de la conception du ballet.

Doit-on y voir une critique indirecte aux totalitarismes? Quoiqu’il en soit, voici une vision quasi politique et noire puisque les deux amants meurent en s’opposant à la loi du système.
L’écriture de Preljocaj qui signe en 1991 ce nouveau ballet pour l’Opéra de Lyon, alors dirigé par Louis Erlo, s’affirme poétique et imaginative. Il assimile les corps à des pantins, soumis malgré eux à un ordre qui les dépasse ou muselle toute émancipation, de sorte que dès le départ, il s’agit bien d’une humanité soumise et contrainte.
La participation du dessinateur de bandes-dessinées, Enki Bilal, ajoute à la « fantaisie » futuriste et pessimiste du drame. D’autant que Bilal a confirmé s’être librement inspiré de « 1984 » de Georges Orwel pour concevoir décors et costumes.
Décors oppressants, dévastés, dont l’architecture massive indique un système militaire et industriel, lumière de pénombre, et d’étuve : tout indique la lente mise à mort des amants. Chacune de leurs étreintes, scènes dans lesquelles le lyrisme animal du chorégraphe se dévoile véritablement, ne sont que des pauses qui préparent la tempête finale, celle des deux corps suicidés, l’un après l’autre.
Le romantisme shakespearien cède la place au sentiment d’une mise à mort préparée, concertée.
La caméra d’Alexandre Tarta qui évite souvent les plans rapprochés insiste davantage sur cette vision effrayante où c’est le mouvement collectif qui prime sur l’hédonisme individuel ou l’effusion de deux êtres.

L’étreinte amoureuse où les deux adolescents s’épuisent pieds nus sur une dalle de pierre, à la fois lit nuptial et marbre froid de la tombe, à laquelle répond en miroir, l’image démultipliée du couple en amour (quatre couples de danseurs nus autour d’eux, sous un faisceau de lumière), est l’un des plus beaux tableaux de ce ballet, conçu il y a déjà quatorze ans.

La réalisation du film est d’autant plus intéressante qu’il ne s’agit pas d’une représentation filmée, mais d’une conception chorégraphique écrite et réalisée pour la caméra. Les mouvements de celle-ci, d’un étage à l’autre de la scène, confèrent au spectacle sa fluidité et son onirisme.

Roméo et Juliette de Prokofiev (1938)
Chorégraphie : Angelin Preljocaj (1991)

Ballet de l’Opéra de Lyon Ballet
Juliette : Pascale Doye
Roméo : Nicolas Dufloux
Réalisation : Alexandre Tarta (1992, 2h26)

Diffusions
Première diffusion : le dimanche 11 juin à 20h50.
Puis, les 12 à 13h45, le 22 à 16h05 et le 24 à 2h55


Illustrations
Angelin Preljocaj
(DR)
Dessin d’Enki Bilal pour le ballet Roméo et Juliette (DR)

Amilcare Ponchielli, La Gioconda (1876)Opéra Royal de Wallonie, Liège. Du 16 au 24 juin.

A partir du 16 juin prochain, après l’Opéra de Nice, l’Opéra Royal de Wallonie (ORW), affiche une nouvelle production de la Gioconda (1876) d’Amilcare Ponchielli. L’œuvre tout en portant haut le flambeau du bel canto, assimilant Verdi et Wagner, annonce l’avènement des compositeurs véristes, Puccini et Mascagni. Bilan sur l’œuvre et le compositeur.

Hugo, quoique qu’on ait pu écrire sur le sujet, n’a jamais défendu de mettre en musique ses textes. Bien au contraire. Il a lui-même supervisé et travaillé avec la compositrice Louise Bertin, et Berlioz, l’adaptation sur la scène lyrique, de Notre-Dame de Paris (1836). En proclamant péremptoirement « défense de déposer de la musique le long de mes vers », il entendait contrôler par un souci d’exigence artistique, l’utilisation faite par les musiciens de son œuvre, poétique, romanesque, dramatique. Légitime mise en garde. Nombreuses sont les citations musicales dans son œuvre romanesque qui attestent, sans aucun doute, son amour de la lyre. Weber, et le chœur d’Euryanthe par exemple, nourrissent la trame romantique des Misérables.

Amilcare Ponchielli (1834-1886) révèle très tôt des dispositions pour la musique. Encouragé par son père, il entre au conservatoire de Milan en 1843, dès 9 ans. L’adolescent reçoit des leçons de théorie, de composition et suit un cursus de pianiste qui lui permettra d’obtenir le poste d’organiste à l’église Sant’Ilario de Crémone après 1854. En parallèle, il exerce sa passion du drame sur les planches, dans des essais plus ou moins reconnus. Il accroche finalement l’intérêt du public avec I Lituani, créé le 6 mars 1874 à la Scala de Milan d’après le livret que lui a écrit Antonio Ghislanzoni, auteur de l’Aïda de Verdi. Accueil encore un peu timide qui s’exprimera sans réserve, avec La Gioconda, conçue en 1876.
C’est Arrigo Boito, heureux compositeur couronné par le succès de sa nouvelle version de Mefistofele (octobre 1875) qui écrit pour Ponchielli, le livret de la Gioconda, signé sous couvert de son anagramme, «Tobia Gorrio».

Le compositeur devenu librettiste prend quelque liberté avec le drame originel de Victor Hugo : la scène se déplace de Padoue… à Venise comme d’ailleurs, il avance dans le temps, quittant le XVIè me renaissant pour les fastes baroques du XVII ème. Surtout, il rebaptise les protagonistes : Tisbe devient Gioconda.

En quatre actes, le texte se concentre sur l’opposition des personnages : dignité des héros (la Gioconda, Enzo Giordan ; Laura) et envie dévorante de Barnaba, peintre et musicien, amoureux éconduit, habile à précipiter ses proies en s’appuyant sur leur esprit de grandeur et de sacrifice. Au final, c’est une femme aimante mais généreuse qui se détache : La Gioconda offre pour toute chanteuse qui se rêve aussi actrice, un rôle d’envergure.
Aux côtés des personnages, Venise plus fantasmée par les auteurs que réaliste, offre un autre prétexte musical : les scènes de foules où les chœurs donnent la mesure d’un opéra à grand spectacle, indiquent de quelle manière, dans l’esprit des auteurs du XIX ème siècle, l’époque baroque, Vénitienne de surcroît, signifiait surtout démesure et violence passionnelle. D’ailleurs, le duo de La Gioconda et de sa mère aveugle, La Cieca, n’est pas sans évoquer dans la peinture du Caravage, une jeune femme et sa suivante, défigurée par les marques de l’âge. Contraste des portraits d’une saisissante et pleine horreur. Les deux figures connaissent toutes deux un destin tragique. Déjà, chez Ponchielli, les ingrédients du futur opéra vériste son regroupés.

De son côté, Ponchielli affine la composition qui sera livrée au printemps 1876. L’influence verdienne est présente, mais elle est aussi wagnérienne, en particulier dans l’écriture des chœurs. Mais le talent de l’auteur se dévoile avec plus de force originale dans les rôles solistes : la déploration de la Gioconda à l’acte IV : « suicidio ! » ou « Cielo e mar » (Enzo), grand air pour fort ténor annonce l’effusion lyrique des compositeurs du bel canto à venir, Puccini et Mascagni qui sont les élèves de Ponchielli au conservatoire de Milan. Eloquence d’un chant de solites, l’art de Ponchielli s’impose aussi par les climats symphoniques qu’il développe et place avec efficacité, tel le prélude de l’Acte IV, morceau anthologique dont se souviendront tous les véristes après lui. Dès la création milanaise (8 avril 1876), le succès confirme la maîtrise musicale de l’auteur qui, cependant, insatisfait présentera une révision de l’opéra à Gênes, trois années plus tard, en 1879.
La réussite psychologique des caractères n’est pas tant à chercher du côté des couples principaux (La Gioconda/Enzo ; Laura/Alvise) que vers celui de l’homme de l’ombre, apparemment secondaire mais d’une toute autre force souterraine : Barnaba, incarné à l’Opéra de Nice par Jean-Philippe Lafont. C’est comme l’a écrit lui-même Hugo, la figure éternelle de la jalousie traversant les siècles, oeuvrant inlassablement à rompre l’essor des vertueux et des fortunés. « ce misérable intelligent et perdu qui ne peut que nuire, car toutes les portes que son amour trouve fermées, sa vengeance les trouve ouvertes »3. Superbe rôle de baryton dont la richesse ambivalente, cœur solitaire et audacieux, même s’il est tourné vers le Diable, rendrait pathétique. Autant de traits associés qui annoncent les Iago (Verdi) et Scarpia (Puccini) à venir. Ponchielli devrait s’éteindre dix ans après la création de Gioconda, le 16 janvier 1886 à Milan.

Discographie
Trois versions chez Decca, par ordre de préférence :
Gianandrea Gavazzeni (direction musicale), Chœur et orchestre du Mai Florentin. Avec : Anita Cerquetti. Decca 2 cds 433 770-2
Lamberto Gardelli (direction musicale), Chœur et orchestre de l’Académie Sainte-Cécile de Rome. Avec Renata Tebaldi. Decca 3 cds 433 042-2

Vidéo
Fantasia, studios Disney (1940) : La danse des heures (Acte III) fait partie de la bande originale du dessin animé.

Amilcare Ponchielli, La Gioconda,
opéra dramatique en 4 actes (1876)

Direction musicale Rani CALDERON *
Mise en scène Jean-Louis GRINDA
Chorégraphie Marc RIBAUD *
Décors Eric CHEVALIER
Costumes Jean-Pierre CAPEYRON
Lumières Jacques CHATELET
Chef des choeurs Edouard RASQUIN

* pour la première fois à l’ORW

La Gioconda Anna SHAFAJINSKAIA
La Cieca Zlatomira NIKOLOVA
Laura Lidia TIRENDI
Enzo Grimaldo Maurizio COMENCINI
Barnaba Jean-Philippe LAFONT
Alvise Badoero Paata BURCHULADZE
Zuàne Léonard GRAUS
Isèpo Guy GABELLE

Choeurs et orchestre de l’ORW

Ballets de l’Opéra de Nice

Lire aussi la fiche programme du spectacle sur le site de l’Opéra Royal de Wallonie.

Illustration :
Représentation de l’Opér
a de Nice
(DR).
portrait d’Amilcare Ponchielli, gravure.

Mozart, la Clemenza di TitoMusiq’3, vendredis 2 et 9 juin à 18h

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L’année 2006, année des 250 ans de la naissance de Mozart bat son plein. En France, mais aussi en Belgique. Pour preuve, Musiq’3, propose plusieurs volets d’émissions consacrées à « Mozart et l’Opéra ».
Au programme de l’émission présentée par Nicolas Blanmont, pleins feux sur le dernier seria composé par Mozart, « la Clemenza di Tito« .

La Rédaction de classiquenews.com s’est engagée à suivre pas à pas les dernières redécouvertes et les évolutions du goût concernant Mozart. Le dernier portrait, aujourd’hui authentifié d’époque et identifié comme étant l’un des derniers témoignages du compositeur, reste une redécouverte majeure. Un autre phénomène important du goût 2006 serait cet engouement confirmé pour la Clemenza di Tito, un opéra seria que Mozart compose au même moment que la Flûte enchantée et le Requiem.

Outre la faveur dont jouit l’ouvrage, l’heure a sonné pour sa réévalutation.

L’opéra composé en 1791, la dernière année du compositeur, fut conçu en un temps très bref (juillet à septembre) pour les cérémonies du sacre de l’empereur Leopold II, comme roi de Bohème, à Prague, le 6 septembre 1791. Le genre seria s’impose s’agissant d’une commande impériale où, protocole et bienséance obligent, l’œuvre musicale doit célébrer les vertus du Souverain. Or si l’on peut douter des qualités humaines de Leopold II, le Titus de Mozart et de son librettiste, Mazzola, incarne l’idéal politique, tel que l’esprit des Lumières l’imagine : humain, juste, clément. Le dernier Mozart semble multiplier les œuvres inspirées par les valeurs de la Franc-maçonnerie. Un tel être politique, capable de pardonner à celle et ceux qui l’ont trahi, appartient plus à la conception philosophique du pouvoir qu’à la réalité.
Mais la musique, réévaluée nous l’avons dit, et du plus grand Mozart, un Mozart occupé dans le même temps par l’écriture du Requiem et de la Flûte enchantée, poursuit l’œuvre du musicien dramaturge.
L’opéra reste la grande passion du musicien, et le genre seria davantage peut-être que les autres, tant ici les contraintes attachées au registre sont stimulantes pour la capacité créatrice. Mozart a semé son oeuvre lyrique de plusieurs préambules, avant Titus : Mithridate, Lucio Silla, surtout Idoménée (1781), partition ambitieuse autant qu’inventive, composée dix années avant la Clémence. La vie du musicien fut brève. Mais la distance qui sépare les deux ouvrages montre l’étendue de son art.
Son Titus, sobre jusqu’à l’épure, mais d’un raffinement orchestral sublime, certes exprime la dignité de l’évocation romaine, mais sculpte avec tendresse et compassion, l’évolution et la métamorphose des personnages. Il y a Titus, l’empereur glorieux, dont la noblesse d’âme n’empêche pas d’être seul ; il y a surtout le portrait d’une Vitellia, princesse sanguine et manipulatrice dont le repentir et le sentiment de la faute, ne sont pas les moindres aspects de cette œuvre inclassable.
Le disque vient d’illustrer de façon spectaculaire la « redécouverte de l’œuvre » : pas moins de deux nouvelles versions sont parues chez Deutsche Grammophon et Harmonia Mundi en ce mois de mai. Lire nos critiques sur ces deux nouveaux témoignages exemplaires, révélant d’une manière opposée mais complémentaire, la haute valeur du Titus de Mozart.
Le dernier seria signé Mozart vivrait-il un juste revival ?

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), La Clémence de Titus
Opera seria en deux actes, livret de Caterino Mazzolà d’après Métastase, créé à Prague, au Nationaltheater, le 6 septembre 1791.

Programme proposé par Nicolas Blanmont, Musiq’3. Premier volet.
Jusqu’à 19h08.

Illustration : Double portrait en 1769, de Joseph II et de son frère, futur Leopold II.

Mozart, Don Giovanni.France Musique, le 10 juin à 19h

Dans la carrière du compositeur, Don Giovanni marque le deuxième grand pari réussi, orchestré avec Lorenzo da Ponte. Ils viennent de triompher à Prague avec les Noces (fin 1786), un opéra exaltant sur un sujet totalement neuf (Beaumarchais). Enivrée par la musique de Mozart, Prague commande un nouvel ouvrage : or, en choisissant Don Giovanni, Mozart trouvera une conjonction troublante entre le sujet de son opéra, et les épisodes de sa vie.

Un don Giovanni peut en cacher un autre. Mois de juin, mois mozartien. Qui s’en plaindrait ?
Si Gaumont publie en un coffret indispensable, le film culte signé Joseph Losey, dans une version totalement démaquillée, régénérée, remixée, France Musique diffuse la production présentée sur les planches de Garnier fin janvier dernier, sous la baguette de Sylvain Cambreling et mise en scène par Michael Haneke.
Que penser de cette nouvelle actualisation, où la Séville du XVIIIème s’est muée en une forêt glaçante de tours et de buldings d’un cœur de mégapole, style New Yok city ou La Défense ?
A en croire les critiques ici et là, intraitables sur la gestion désastreuse de Gérard Mortier à la tête de l’Opéra national de Paris, ce Don Giovanni ne serait pas à inscrire parmi les faits marquants de l’Institution…

Laissons ce soir nos seules oreilles juger. Les promesses de la distribution devraient tout au contraire nous permettre d’entendre un Mozart de grande tenue.

Dans la carrière du compositeur, Don Giovanni marque le deuxième grand pari réussi, orchestré avec Lorenzo da Ponte. Ils viennent de triompher à Prague avec les Noces (fin 1786), un opéra exaltant sur un sujet totalement neuf (Beaumarchais). Enivrée par la musique de Mozart, Prague commande un nouvel ouvrage : or, en choisissant Don Giovanni, dont l’histoire n’est pas des plus originales à l’époque… depuis Tirso da Molina et Molière ou encore Gazzaniga qui a mis en musique l’histoire du Dissoluto dès 1782, le compositeur trouvera une étrange conjonction d’événements entre la couleur de l’ouvrage, réflexion sur la mort, le système social qui s’érige contre toute entrave à l’énergie vitale de l’homme libre, et les épisodes tragiques de sa propre vie : il perd le père adoré Leopold (28 mai 1878), son ami, le comte Hartzfeld ; doit se séparer de la cantatrice Nancy Storace – la créatrice de Susanna- ; et c’est encore le décès du bien aimé docteur Barisani.
Mozart compose une partition grandiose et tendre, où souffle un pur esprit tragique : l’homme mis au défi par lui-même en un tête-à-tête radical ne peut se consumer que dans l’horreur. Cynisme, vérité, mort. Mais aussi humanité, car la musique indique que l’auteur a de la tendresse pour sa créature. Et si Don Giovanni pourfend l’ordre établi et s’il menace l’équilibre social, sa grandeur héroïque le sauve de l’infamie dégradante : il n’est pas un lâche. Il meurt en héros. Goethe et Schiller y reconnaîtront l’étoffe d’un modèle.

Le 29 octobre 1787, les Praguois acclament le nouvel opéra de Mozart. Ils auront vu, avant Vienne qui boudera l’œuvre, lors de sa création dans la capitale impériale, le 7 mai 1788, – malgré la défense qu’en fit Haydn-, la fulgurance d’un génie contemporain : à la gravité métaphysique du sujet et de la partition, correspond aussi cette vitalité ensorcelante d’un compositeur capable dans l’urgence, de composer toute l’ouverture, la veille ou l’avant-veille de la première. De sorte que les musiciens de l’orchestre la déchiffrèrent presque au moment de la création…


Wolfgang Amadeus Mozart

(1756-1791),
Don Giovanni (1787)
Il dissoluto punito
Dramma Giocoso
en deux actes
(1787)

Livret de Lorenzo Da Ponte
Mise en scène : Michael Haneke

Don Giovanni : Peter Mattei
Il Commendatore : Robert Lloyd
Donna Anna : Christine Schäfer
Don Ottavio : Shawn Mathey
Donna Elvira : Mireille Delunsch
Leporello : Luca Pisaroni
Masetto : David Bizic
Zerlina : Aleksandra Zamojska

Choeurs,
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Direction musicale:
Sylvain Cambreling

Enregistrement du 27 janvier 2006 réalisé à l’Opéra Garnier à Paris.
ApprofondirConsulter aussi la fiche de présentation de la production, sur le site de l’Opéra national de Paris.

Crédit photographique : DR © opéra national de Paris 2006

Entretien avec Brigitte François-Sappey

Auteur d’une biographie reconnue sur le compositeur (parue chez Fayard en 1999), Brigitte François-Sappey apporte quelques éclaircissements sur la vie de Robert Schumann. Le musicien méritait ce complément de connaissances, d’autant plus opportunes en 2006, qui marque les 150 ans de la mort. Dernières découvertes sur l’internement du compositeur ; estimation de son unique opéra, « Genoveva » ; dates-clé pour comprendre l’évolution du style. Entretien.

Quelles ont été les plus grandes découvertes ou avancées de la recherche concernant Schumann depuis ces quelques dernières années ?

La plus décisive est sans doute le dépôt à l’Akademie der Künste de Berlin, après la chute du mur, des carnets du Dr Richarz par son petit-neveu Aribert Reimann, le célèbre compositeur et pianiste allemand. On croyait perdus ces carnets du thérapeute de Schumann à l’asile d’Endenich (Bonn). C’était donc inexact. Mais il manque quasiment tout ce qui concerne les mois décisifs allant de son arrivée, le 4 mars 1854, au 6 septembre 1854 (pages détruites, dit-on, durant la Seconde Guerre mondiale). Déposés en 1991, les carnets sont d’abord demeurés inaccessibles à la consultation pour des raisons « éthiques ». Huit pages de synthèse ont été publiées par Franz Hermann Franken en 1994. Depuis, le romancier Peter Härtling et le musicologue Eric Frederick Jensen ont obtenu l’autorisation de compulser les précieux témoignages, et Ernst Burger a pu en publier quelques extraits. Évitant la querelle des diagnostics, les auteurs écartent néanmoins celui de psychose maniaco-dépressive au profit d’une syphilis mal définie. Le 12 septembre 1855 (jour anniversaire du mariage du musicien), Richarz note : « Il écrit à nouveau ces derniers temps des réflexions acerbes au contenu mélancolique, et note par exemple : « en 1831, j’étais syphilitique et j’ai été traité avec de l’arsenic. »
Parmi les nouveautés décisives, il faut également compter avec le Catalogue thématique, colossal et magistral, la Bible schumannienne, de
Margirt L. McCorkle, Robert Schumann, Thematisch-Bibliographisches Werkverzeichnis (Munich, Henle, 2003).


Si vous deviez compléter votre biographie sur le compositeur, référence reconnue et légitimement célébrée, quel(le) partie ou aspect de l’œuvre, souhaiteriez-vous approfondir et pourquoi?

Je crois avoir envisagé avec attention et équité toutes les œuvres, même si chacune pourrait justifier un livre entier. J’espère surtout la reconnaissance générale des partitions des dernières années de Schumann, que Liszt portait déjà au pinacle. On ne saurait insister assez, par exemple, sur la beauté, l’émotion et la nouveauté des œuvres de chambre en forme de fantaisie et de conte (Märchen). Comme Brahms, qui les a éditées en 1893, je souhaiterais entendre partout l’Andante et Variations opus 46 (1843) dans sa version originale d’Andante und Variationen für 2 Pianoforte (sic), 2 Violoncelle und Horn.


Schumann, individu fragile et malade, mélancolique voire suicidaire… êtes-vous d’accord avec cette image qu’on ne cesse de développer ici et là? Doit-on vraiment comprendre sa musique sous le seul spectre de sa névrose? Ne peut-on pas comprendre aussi sa musique comme l’expression d’un combat tourné vers la lumière?

Schumann était indéniablement fragile, névrosé, phobique, hanté par le spectre de la folie et suicidaire. Mais, fondamentalement « sain » et près du terroir, ce grand intellectuel et artiste a joué avec un art consommé de ses pulsions et en a fait les éléments créatifs de son incomparable dialectique musicale. L’art, c’est la maîtrise. Seul celui qui maîtrise ses forces et voix intérieures peut composer avec l’idée d’un carnaval généralisé des êtres (Carnaval) et des humeurs (Davidsbündlertänze, Humoreske) ou de la folie (Kreisleriana).
La preuve de la puissance de Schumann ? Le millier de numéros de sa Neue Zeitschrift für Musik, revue musicale de très haut niveau, qui parut dix années sous sa direction au rythme, sans faille, de deux numéros par semaine. Qui dit mieux ?
Il est indéniable cependant que Schumann connut les terribles attaques du stade tertiaire de la syphilis vers 1844-1846, et qu’après une magnifique et prolifique rémission il a sombré de nouveau en 1854.
Oui, Schumann lutte. Il n’est pas pour rien le roi David qui combat les Philistins, ou Florestan (issu de l’opéra Fidelio de Beethoven), héros enfermé dans son corps mais libre dans son âme et toujours espérant. Schumann applique à sa vie et à son art le précepte goethéen : « s’efforcer des ténèbres vers la lumière. » Il n’a pas manqué, dans ses splendides Scènes de Faust, taillées à même les vers de Goethe, de retenir cette sentence des instances divines dans le Second Faust : « Wer immer strebend sich bemüht,/ Den können wir erlösen (Qui a toujours fourni de rudes efforts,/ Celui-là, nous pouvons le racheter). »
L’un des aspects les plus méconnus du parcours de Schumann est son chemin mystique.


Quelles seraient les trois principales oeuvres/ compositions de Schumann dont vous ne pourriez-vous défaire ?

Toutes ! Cette totalité m’est nécessaire en ce qu’elle est l’essence même, être et œuvre, de Schumann, toujours déchiré entre le Fragment et le Tout, le Multiple et l’Un. A défaut de cette indispensable totalité, et pour me reconstituer une « totalité jivaro », je retiendrais peut-être la Fantaisie opus 17 pour piano, Dichterliebe opus 48, cycle de lieder, les Scènes de Faust qui allient soli, chœur et orchestre, profane et sacré.

Que penser de son unique ouvrage lyrique, Genoveva? Essai manqué ou chef-d’oeuvre unique?

Les deux ! Chef-d’œuvre de psychologie et de subtilité musicale, mais anti-opéra, voulu tel par le compositeur, en des temps où le public ne pouvait comprendre cette démarche. Même aujourd’hui, il semble que Genoveva ne puisse rivaliser jamais avec l’autre anti-opéra qu’est Pelléas et Mélisande et que seul le disque puisse lui donner sa chance. Encore que… tout soit possible avec un chef et des interprètes convaincus et subtils.


Les 5 dates clés dans la carrière de Schumann.

1828
Arrivée du Saxon de presque dix-huit ans à Leipzig ; découverte de la pianiste et compositrice prodige Clara Wieck, de huit ans et demi, dont la présence, secrète ou avouée, innervera toute son œuvre, son journal intime et sa vie.

1830
décision de rejeter la jurisprudence au profit de la musique ; retour à Leipzig après les mois à Heidelberg et la vision prémonitoire du Rhin.

1836
Perte de sa mère, dix ans après celle du père ; farouche opposition de Wieck à des fiançailles avec Clara et rupture ; publication de la Sonate en fa dièse « dédiée à Clara par Florestan et Eusebius » et composition de Ruines, Fantaisie pour le Pianoforte (futur 1er mt de la Fantaisie op. 17).

1840
Année du lied, au plus atroce de son procès contre Wieck et de sa douleur (Leid). Et, finalement, mariage le 12 septembre avec Clara.

1854
Immersion dans le Rhin et la démence (non absolue) syphilitique, prélude à vingt-neuf mois de délabrement et d’agonie.

Propos recueillis par Alexandre Pham

Lire aussi notre chronique de la biographie de Robert Schumann par Brigitte François-Sappey (Fayard, 1999).

approfondir
Lire notre dossier consacré à Genoveva, l’unique opéra de Robert Schumann.

Giuseppe Verdi, FalstaffBruxelles, La Monnaie, du 14 au 30 juin.

Empereur miséreux, bouffon loufoque et même lâche dans la vision de Shakespeare, Falstaff sur la partition de Verdi, synthétise les facettes de l’humanité : cynisme et enchantement. Double aspect porté sur la scène de l’Opéra Bruxellois par le metteur en scène, Willy Decker.

Le metteur en scène Willy Decker aurait eu la révélation de sa mise en scène présentée ici à La Monnaie comme conclusion à sa saison lyrique, dans le métro parisien. « J’étais dans métro… Au milieu d’une foule particulièrement dense, je l’ai vu : imperturbablement perdu dans ses pensées, sa bouteille à la main, égaré dans un autre univers. Un clochard, un mendiat aristocrate. J’avais trouvé mon Falstaff ».

De Paris, l’action s’est déplacée à Windsor, mais on y retrouve l’ambiance suractive d’une foule pressée puisque l’action se passe dans un lieu unique, le buffet de la gare. Falstaff, paria marginal, vagabond noyé dans la masse laborieuse, incarne bien, fidèle à la conception de Verdi et de son librettiste Arigo Boito, cet anti héros social, qui pourtant suscite une indéfectible sympathie. Les contradictions de l’individu, ses renoncements comme aussi ses appétits, sa naïveté surtout (mais qui ne recherche pas à réaliser ses désirs ?) le rendent attachant. Falstaff bouffon? Surtout romantique et même fleur bleue. Il fonce tête baissée dans le piège que lui tendent les femmes de son entourage.

La réussite de la partition repose sur l’équilibre entre deux extrêmes : réalité cynique des scènes où tout un groupe s’ingénie à tromper notre héros, et enchantement des sentiments avoués ou tus, ici ceux d’un Falstaff amoureux malgré ses airs bourrus et loufoques.
L’enchantement prend sons sens dans la scène de la féérie nocturne. Même si chacun est dans le secret de cette mascarade, on sent bien que tous prennent un plaisir évident à jouer et paraître. L’illusion est au coeur de l’oeuvre, et même Verdi disait à l’époque de la composition de son Falstaff, achevé à l’automne 1892, que « Le monde est une farce ».

direction musicale, Kazushi Ono et Peter Tomek (25, 29/6)
mise en scène, Willy Decker, reprise par Sybille Wilson
décors et costumes, John Macfarlane

Sir John Falstaff

Michele Pertusiet Roberto De Candia (20, 30/6)
Ford
Roberto De Candia et Enrico Marabelli (20, 30/6)
Enrico Marabelli (21, 29/6)
Mrs Alice Ford, Ana Ibarra et Michela Remor (20, 30/6)
Mrs Quickly, Elena Zaremba
Mrs Meg Page, Elena Belfiore
Dr Cajus, Lorenzo Caròla
Nannetta, Laura Giordano et Alessandra Marianelli (20, 30/6)
Fenton, Charles Castronovo et Antonio Gandía (20, 30/6)
Bardolfo, Emanuele Giannino
Pistola, Paolo Battaglia

Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie

Bruxelles, La Monnaie
Les 14, 16, 18 (à 15h), 20, 21, 23, , 25, (à 15h), 27, 29, 30 juin à 20
Durée du spectacle : 2h45
Renseignements, réservations : www.lamonnaie.be

Illustration : © Johan Jacobs

Entretien avec Dana CiocarlieUne interprète sensible, révélatrice des filiations musicales

En 2005, la pianiste d’origine roumaine était à l’affiche du festival « Les Musicales du Golfe » de Vannes. Nous avions rencontré la musicienne qui après un cycle Schubert, approfondi avec Christian Zacharias, préparait alors une intégrale de l’œuvre pour piano de Schumann. Rencontre sur le thème des auteurs programmés à Vannes : de Mozart à Enesco, mais aussi à propos des compositeurs roumains dont elle s’emploie à transmettre la connaissance, de Constantinescu à Radulescu. Ambassadrice des auteurs contemporains, c’est une muse discrète qui indique à demi-mots les filiations à l’œuvre, unissant par exemple les « frères hongrois » : Kurtag, Ligeti, Eötvös. Témoignage d’une interprète sensible à fleur de notes.

Quel est tout d’abord le projet qui vous occupe?

Schumann. J’aimerais beaucoup lui consacrer une intégrale. C’est un compositeur avec lequel on pourrait passer toute une vie. J’ai déjà mon projet en tête, pas moins de 16 heures de musique, en 15 CDS. Je trouverais très intéressant de donner ses œuvres dans les lieux que le musicien a connus, dans sa maison de Zwickau par exemple : il existe à proximité une salle de concert au format idéal (150 places assises). Pourquoi Schumann justement ? C’est comme un mariage, une évidence. J’ai rencontré Schumann : j’ai immédiatement reconnu un être qui me correspond sans que je puisse vraiment analyser cette affinité. Je me retrouve depuis toujours dans ses œuvres. Sa musique « me va parfaitement ». Evidemment, il y a Chopin mais Schumann, c’est différent et presque à l’opposé : je perçois un profond déséquilibre, une incapacité ; il travaillait par intermittence entre des périodes de profond accablement, avec la nécessité de rattraper un temps perdu. Il souhaitait s’en sortir, d’où cette impression d’éclatement et d’improvisation extrême, de temporalité éperdue. Nous sommes loin de Chopin, de sa perfection et de la ciselure de son écriture. J’aimerais enregistrer les chapitres de cette intégrale au fur et à mesure des concerts que je donnerais simultanément. Je songe peut-être à organiser les œuvres en albums thématiques : la nuit, l’enfance, les danses… Pour le concert du 10 août, je souhaitais une partition festive. Le Carnaval regarde du côté du soleil, c’est une œuvre très accessible. Sa trame est simple : elle nous entraîne dans un tourbillon de danses.

RM : vous abordez aussi Mozart…

En effet, il s’agit des Variations K. 475, dites « Variations Duport ». Il s’agit d’un cycle de neuf variations sur un menuet de Monsieur Duport, lequel était un violoncelliste renommé. Mozart l’a composé deux ans avant sa mort. Sa simplicité laisse se développer une sérénité lumineuse. En fait, sous son apparence naturelle, elle offre une palette de climats psychologiques qui est aussi un miroir de tous les styles de Mozart, qu’il s’agisse du morceau lent qui sonne comme un air d’opéra avec ses ornements vocaux et de cet autre, quasi orchestral.


Continuons au sujet de votre concert du 10 août prochain. Vous avez choisi de jouer Enesco.

Oui, je jouerai une œuvre d’Enesco que j’ai enregistré chez L’Empreinte Digitale : « Carillon nocturne ». C’est une façon d’exorciser le mal du pays. Enesco est le chef de file de la musique de Roumanie et ses œuvres constituent la quintessence de la musique roumaine. Je dois reconnaître que Carillon est une méditation quasi hypnotique dont je retrouve le climat avec l’Andante molto expressivo de la Sonate opus 24 N°1. Avec l’Andante, nous atteignons le Nirvana… Je suis soucieuse de jouer Enesco. J’aime son humanisme. Il était d’une modestie qui l’aura desservi en définitive. En fait, sa musique contient les caractères de l’âme roumaine : résignation et désespérance. Le fait que le pays soit au carrefour de plusieurs puissances, entre l’Europe et l’empire ottoman, puis dans l’enclave communiste, n’a pas été facile. Il a fallu se battre pour défendre son identité latine. Mais aussi pour vivre librement sa religion orthodoxe. Dans mon disque intitulé « Romania », j’ai désiré jouer trois compositeurs hongrois nés en Transylvanie, Enesco évidemment, Constantinescu et Bartok.

Parlez-nous de votre album « Langue Maternelle ». Pourquoi ce titre particulier ?

Je l’ai écrit dans la notice du disque, en préface : j’invite l’auditeur à écouter le programme comme un livre. Autour des motifs de Bartok, trois compositeurs hongrois d’aujourd’hui tissent leur filiation fraternelle : Ligeti, Kurtag, Eötvös. En fait, je souhaitais répondre, – ou tenter de répondre – à la question : qui sommes-nous ? Notre langue nous définit certainement. Dans le cas des compositeurs que je viens de citer, la langue musicale dont la source est Bartok, offre une identité forte. D’autant que Kurtag a écrit en hommage à Bartok, à Eötvös et à Ligeti. Dans ce programme, j’ai choisi des œuvres de jeunesse parce qu’elles contiennent avec force justement le langage propre de chaque artiste. Au commencement, Bartok établit un préambule à Eötvös et comme conclusion, Kurtag rend hommage à Bartok.
Il est important pour moi de combattre l’inaccessibilité supposée de la musique contemporaine. Elle n’est pas née de nulle part. En rétablissant ses sources, en prolongeant ses racines qui puisent plus qu’on ne le pense chez les auteurs précédents, la musique d’aujourd’hui paraît plus humaine. Elle devient déchiffrable, donc plus proche.
Je trouve fascinant par exemple comment Kurtag, le minimaliste, s’inspire de Mikrokosmos de Bartok, qui est une suite de miniatures, chacune avec son climat spécifique.


Vous avez choisi aussi pour votre concert des Musicales du Golfe, Debussy. Pourquoi?

Je suis très heureuse que Raphaël Chrétien (ndlr : le nouveau directeur du Festival. Lire notre entretien) m’ait invitée en Bretagne. Je voulais moi aussi rendre un hommage au lieu, d’où les pièces liquides, Ondine, l’Isle Joyeuse et Poissons d’or qui marqueront probablement leur résonance avec le climat maritime de la côte Bretonne. Retrouver Raphaël est un grand bonheur : nous avons beaucoup joué ensemble.

Propos recueillis en mai 2005 par Alexandre Pham

Discographie
Trois disques (chez le label L’Empreinte Digitale), pour faire connaissance avec Dana Ciocarlie :
SCHUBERT : Klaviersonate D 960, Drei Klavierstücke D 946 (1997, ED 13054)
ROMANIA : Enescu, Constantinescu, Bartok (1999, ED13122)
LANGUE MATERNELLE : Bartok, Ligeti, Kurtag, Eötvös (2005, ED 13211)

Vient de paraître (juin 2006):
Musique française : « Debussy en Miroirs »
Claude Debussy, Franck Krawcyk, Thierry Escaich, Karol Beffa, Frédéric Verrières. (1 cd Triton). Lire notre critique.

Chronique de concert. Lire aussi notre compte rendu d’une journée passée avec Dana Ciocarlie, au festival des Musicales du Golfe du Morbihan, en juillet 2005.

Lire aussi notre entretien avec Raphaël Chrétien, violoncelliste et directeur du Festival des Musicales du Golfe, qui à l’été 2005, avait invité Dana Ciocalie pour un récital Debussy, Mozart, Schumann et Enesco

Dana Ciocarlie. Une journée marathon avec la pianiste. Musicales du Golfe (Morbihan, le 10 août 2005)

Le 10 août 2005, nous avons pu suivre pendant une journée la pianiste
Dana Ciocarlie, au moment du concert Debussy/Mozart/Schumann/Enesco que l’artiste a
donné dans le cadre du festival « Musicales du Golfe » en Bretagne.
Journée marathon, dont le final était le concert proprement dit, donné
dans la Chapelle Notre-Dame de Loc, à Saint-Avé.

S’il était une idée séduisante en cet été 2005, c’était
précisément d’accompagner depuis Paris, la pianiste Dana Ciocarlie,
invitée des
musicales du Golfe.

13h13 Après trois heures de train …Arrivée à Vannes

Une
voiture nous attend, direction Saint-Avé, petite ville de la périphérie
Vannetaise. Le Steinway trône sur l’estrade installée au fond de la
petite Chapelle Notre-Dame de Loc. La pianiste entame les premières
mesures du carillon nocturne d’Enesco puis Mozart et ses mélodies
perlées qui font résonner d’emblée la voûte en bois d’un bâtiment
pourtant vide. Premières mesures avec les reprises et ré expositions…
les doigts se délient. L’artiste prend peu à peu possession des lieux,
une superbe chapelle du dernier gothique flamboyant, édifiée à la fin
du XVe siècle. Le chef-d’œuvre du lieu, une statue de la Vierge,
Notre-Dame du Loc (du latin, locus qui signifie le lieu), l’une des
plus anciennes dans le département, semble acquiescer discrètement
cet impromptu.

14h Une jeune conférencière paraît

« Bonjour, je vais certainement vous déranger pour les visite-conférences programmées cet après-midi. J’espère que cela ne vous embêtera pas ».
– « Pas du tout. J’en profiterai aussi » répond Dana Ciocarlie,
concentrée sur le clavier, et déjà subtile interprète d’Ondine de
Debussy. « Je voudrais bien répéter, surtout la pièce contemporaine que
j’ai choisie d’ajouter ce soir et qui est une étude de Karol Beffa dont
je suis la dédicataire. Nous avons aussi changé les Debussy. Etude pour
les arpèges composés remplace désormais l’île Joyeuse car je vais
enregistrer la partition dans quelques jours chez Triton. C’est une
musique exceptionnellement virtuose.
»

Les partitions sont
posées sur le piano mais l’artiste semble ne pas les voir, ou, alors,
en de très rares occasions. Elle les connaît par cœur et le dos courbé
vers l’instrument, la pianiste travaille les résonances souterraines
du Carnaval de Schumann. Introspection, écoute attentive des climats
sous-jacents… qui pendant la séance de répétition se déploient ensuite
pleinement dans le Debussy dont nous avons parlé. Liquidité et
transparence d’un univers sonore qui sait aussi être expressionniste,
parfois très percussif.

– « J’ai besoin de faire une pause ».
Avant d’attaquer Carillon nocturne qu’elle joue presque à chacun de ses
récitals, surtout La rhapsodie roumaine d’Enesco, Dana se lève et me
propose de suivre la visite-conférence de la chapelle.
– « Les
bretons avaient un culte immodéré pour les saints, à tel point que les
historiens parlent de polythéisme chrétien
», nous dit la jeune guide,
généreuse en commentaires sur l’abondance des sculptures. « Ici,
Sainte-Marguerite et Saint-François, là Sainte-Marie-Madeleine.
»

La
chapelle abrite malgré sa petite taille une multitude de statues. Tous les murs des bras collatéraux en sont couverts.
L’éclairagiste arrive enfin : il adapte les projecteurs selon les
indications de la pianiste.

17h fin de la répétition

Nous
repartons en direction de notre hôtel devant l’embarcadère pour
l’île-aux-Moines et l’île d’Arz. Nous avons devant nous l’un des golfes
les plus beaux de Bretagne mais hélas pas assez de temps pour en
contempler toute la beauté naturelle. Le programme est serré : quelques
minutes de détente puis dîner rapide, enfin retour vers la Chapelle que
nous avons quittée, il y a à peine trois heures pour le concert de
20h30.

C’est d’ailleurs la même impression vis-à-vis de la ville
de Vannes, traversée à chacun de nos voyages vers le lieu du concert,
depuis la voiture qui nous véhicule. L’ensemble de la cité a conservé
son cœur médiéval, comprenant cathédrale, superbes murailles fortifiées
et belles maisons de pierre plus récentes de l’époque classique. Nous
découvrons trop vite ce paysage urbain parfaitement préservé.

Toujours
courir et ne rien voir vraiment sinon par fragment. C’est le lot
familier des solistes en concert, presque plus habitués des transports
que des salles de concerts. Dès demain, en effet, nous reprenons le
train pour Paris. Dans cette course qui s’apparente souvent à un
marathon, les brefs instants de pause sont donc judicieusement
optimisés.

20h30 concert dans la chapelle Notre-Dame de Loc

Les
Variations Duport de Mozart sont une entrée en matière idéale. Libre
fantaisie parfaitement contrôlée dans le respect du cadre, avec déjà,
dans le jeu de la pianiste, un équilibre souverain entre transparence
et légèreté. En prime : précision des attaques, attention millimétrée
aux climats. Une orfèvre au service d’un compositeur rompu à la
délicatesse. Et c’est presque dommage que, dans la section finale,
quand l’inspiration jusque-là parfaitement contrôlée sombre dans un
gouffre d’inquiétude, fugace, trop fugace, l’artiste salue déjà dans
une salve d’applaudissements.

Son Schumann est prodigieux.
L’assurance des premiers accords, assénée comme une série de certitudes,
sombre rapidement dans un atermoiement cyclique entre reprise
d’équilibre et chute inéluctable. Carnaval : le titre n’est festif et
insouciant qu’en apparence. Dana Ciocarlie s’impose par sa lecture
hypersensible qui saisit cette inquiétude et cette menace permanente.


« Pour la suite du programme, j’ai choisi les partitions de Debussy car
je souhaitais établir comme une correspondance avec le lieu où nous
nous trouvons : la liquidité et la fluidité d’Ondine, de Poisson d’or
et de cette étude pour les harpèges composés sont un clin d’œil à
l’océan qui nous environne
» précise la pianiste.

De fait ses
Debussy sont d’une transparence marine, habitée, suggestive,
exceptionnellement coulante : la poésie faite musique. Suit un
compositeur qu’elle aime jouer plus que tout autre : son compatriote
Enesco. C’est d’abord une partition emblématique, Carillon nocturne
dont elle restitue avec finesse le souvenir des cloches de la Moldavie
du Nord, la patrie du compositeur : nostalgie et sensibilité
rétrospective tissent ici une matière sonore faite de résonances et
d’échos continus. Puis, c’est la montagne polyphonique de la
transcription pour piano de la Rhapsodie roumaine : dix minutes d’un
galop lyrique qui accumule les épisodes rythmiques et les contrastes
harmoniques. L’agilité digitale de l’interprète mène la cadence ; une
course endiablée jusqu’aux limites de la surenchère et qui laisse, la
pianiste comme le public, à bout de souffle. On reprend conscience. On
se ressaisit dans un tonnerre de bravos.

Contente, heureuse même
d’avoir tant donné : la pianiste entame pour bis, les danses hongroises
de Bartok, puis un extrait de musica ricercata de Ligeti, enfin une
sonate/étude que le compositeur contemporain Karol Beffa lui a dédiée.
Généreux, entier, passionné et subtil : le jeu de Dana Ciocarlie est
indiscutable. De Christian Zacharias, elle nous avoue avoir appris une
compréhension profonde de la musique qui lui permet aujourd’hui,
d’interpréter certes, surtout de laisser la musique chanter
d’elle-même. Cette école de l’humilité nous touche. Aucun doute, Dana
Ciocarlie est une artiste exceptionnelle.

Programme du concert du 10 août
Mozart : Variations Duport K. 475. Schumann : Carnaval opus 9. Debussy
: Ondine, Poisson d’or. Etudes Livre II : Pour les Arpèges composés.
Enesco : Carillon nocturne, Rhapsodie Roumaine.
Festival Musicales du
Golfe
, du 1er au 12 août 2005.

The « Jessye Norman collection »(1),premier cycle de 5 rééditions des enregistrements essentiels

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Philips comble notre attente. Voici cinq premiers albums pour satisfaire notre envie de Jessye… Puisque cinq autres recueils tout autant nécessaires sont annoncés sous peu.
Les premiers titres de la « Jessye Norman collection » couvrent plusieurs années d’un chant marqué par la grâce et le style. Quoiqu’on puisse lui reprocher dans l’application ou la sophistication, la cantatrice excelle à exprimer le lyrisme tendre des textes grâce à un sens du phrasé, de la diction, sa maîtrise de la ligne. Voix exceptionnelle au timbre éclatant, Jessye Norman est surtout une actrice, au dramatisme intensément humain. Elle le prouve dans ce premier ensemble de rééditions : l’art de la diction, l’écoute des climats de chaque poème, l’exigence dans l’articulation de la langue (allemand et français, deux idiomes qui sont un défi pour la chanteuse américaine) dévoilent l’engagement et la valeur de l’interprète.

Philips nous régale en rééditant cinq premier doubles albums qui couvrent 21 années miraculeuses. Des lieder de Schubert abordés avec la complicité de Phillip Moll en 1971, à la Jocaste enivrante de l’Oedipus Rex, enregistré sous la baguette de Seiji Osawa, en 1992. Présentation de cet événement discographique du mois de juin 2006.

1. Lieder : Schubert, 1984 + Mahler, 1971.
Traversée dans les univers extatiques des poèmes du romantisme sombre et léthal, signés Goethe, Marianne von Willemer, Claudius, Mayrhofer… D’un Schubert grave, hanté par l’esprit du gouffre, Jessye Norman exprime la lenteur incantatoire en prenant appui sur les sublimes images des poèmes. Mais elle se montre tout autant habitée dans les lieder de Mahler : la voix sculpte les mots, entame une guirlande d’émotions retenues, sublimées par la beauté du timbre (ceux de Rückert par exemple). Tragédienne sur la scène lyrique, Jessye convainc de la même manière dans la miniature intimisme du lied : climats agités traversés par l’inquiétude ou pacifiés par l’esprit de l’insouciance, des Rückert-lieder (2 cds Philips 475 6392).

2. Mélodies Françaises (1979) + Berlioz, Nuits d’été. Ravel, Shéhérazade (1976)
N’oublions pas : Jessye fut notre Marseillaise pour le Bicentenaire
de la Révolution. Mais ici, avant la force du chant patriotique, la voix déploie une palette de nuances attendries dans l’articulation intérieure des poèmes, de Théophile Gautier (les Nuits d’été) et de Tristan Klingsor (Shéhérazade). Même éclat ciselé dans le moule de l’élégance, et marqué par le sens de la distinction suggestive chez Duparc (Phidylé), quand les chemins de l’Amour de Poulenc, d’après Jean Anouilh, expriment de leur côté, une distance poétique, une errance tissée d’amertume et de lyrisme éperdu (2 cds Philips 475 6380).

3.
Spirituals (1978) + Schubert, Gounod, Franck, chants sacrés (1981)
La ferveur de la jeune soprano, élevée au sein d’une famille pieuse américaine, qui a très tôt révélé sa passion du chant quand elle interprétait les « spirituals« , délivre ici sa prière musicale qui mêle chants sacrés classiques, de l’ave maria paradisiaque de Schubert au sanctus triomphal de Gounod. Certes l’accompagnement frôle parfois un maquillage hors sujet, défaillance du goût que le chant sait en revanche, éviter. Les Spirituals quant à eux permettent aux Ambrosian Singers et à la soliste de relire plusieurs pages, dans de nouveaux arrangements (belle sobriété de There is a balm in Gilead). 2 cds Philps 475 6386.

4. Richard Strauss : lieder avec orchestre (1982) + accompagnés au piano (1985)
Ce coffret est peut-être le plus indispensable des cinq, si l’on devait choisir par obligation. L’assise imprécatoire de la chanteuse des spirituals, se fait ici instrument d’une somptueuse intelligence poétique. La santé du souffle, l’attention aux moindres sentiments écrits expriment pleinement la riche texture littéraire des poèmes abordés. Que les Quatre derniers lieder restent pour l’éternité, l’une des réalisations les plus convaincantes de Jessye n’étonne plus. Au feu sacré de la chanteuse, répond l’embrasement de l’orchestre de Gewandhaus de Leipzig amplifié/sculpté par maître Kurt Masur. Mais sur le ruban du piano (Geoffroy Parsons), le timbre somptueux fait tout autant merveille. Miniature et fresque : tout est d’un inoublialble accomplissement. D’autant que l’on peut entendre l’authentique dernier lied de Strauss, « Malven » (Mauves), écrit en novembre 1948 et généreusement rendu accessible par la Fondation Pierpont Morgan pour cet enregistrement (2 cds Philips 475 6377).

5. Schoenberg, Erwartung (1990) + Stravinsky, Oedipus rex (1992)

Monologue terrifiant d’une âme terrifiée, et même inconsolable, Erwartung d’Arnold Schönberg (1909) offre un rôle taillé pour l’expressionnisme vocal de la cantatrice. Jessye articule, suit la progression de cette ample lamento, entrecoupé, hâché par la vision et la sensation des Ténèbres. Plus loin, en 1927, nous voici dans un monde pareillement halluciné. Oedipus Rex de Stravinsky est un autre espace de fin du monde, un cérémoniel -ici, monumental- qui annonce la fin des hommes. L’oeuvre est la seconde borne qui indique, aux côtés d’Erwartung, les horizons ultimes du répertoire de la tragédienne Norman. Sur un livret de Cocteau, l’Antiquité convoquée par le compositeur est exsangue : Thèbes la noble et fière cité, est infestée par l’épidémie de peste. Le lieu des désolations, de la mort et de l’horreur. Autour de la soprano, en dépit d’un Peter Shreier dans le rôle-titre, un peu fatigué, le Créon de Bryn Terfel exige le nom de l’assassin de Laios, tandis que l’oracle Tiresias accuse Oedipus Rex : « le Roi a tué le Roi ». Et quand paraît la divine Jessye, en Reine Jocaste, d’une noblesse impériale, soudain le marbre grec palpite d’une chaleur et d’un feu proprement renversants : elle est à la fois prêtresse, femme blessée, épouse aveugle. La version dvd est également publiée, mais avec Philip Langridge en Œdipe. Cd et dvd sont complémentaires pour qui veut mesurer la présence vocale et scénique de la Diva (2 cds Philips 475 6395).

Voilà une somptueuse récolte qui devrait nous faire patienter jusqu’au second sycle discographique dont la date de distribution en France reste incertaine.

Crédit photographique : © Carol Friedman

Giuseppe Verdi, Otello (1887)Arte, samedi 10 juin à 22h05


Otello est créé à la Scala de Milan le 5 février 1887. Il interrompt un silence de près de seize années, pendant lesquels Verdi avait cessé de composer depuis Aïda créé au Caire le 24 décembre 1871 (que d’ailleurs Arte diffusera en ce même mois de juin, pour la fête de la musique, le 21 à 20h45.
La source n’est pas nouvelle pour le compositeur, Verdi ayant passionnément trouvé dans l’épopée et la poésie de Shakespeare ses propres marques dramatiques. Il y eut Lady Macbeth (1847). Mais la nouveauté pour le lion de la scène lyrique, c’est une nouvelle collaboration, avec un nouveau librettiste, Arrigo Boito, dès 1874, mais qui n’aboutira que quelques années plus tard, après leur travail de révision de Simon Boccanegra et de Don Carlos. Après Otello, surgira l’ultime création, Falstaff, en 1893, inspiré également de la sève Shakespearienne (les Joyeuses Commères de Windsor).

Victorieux des Turcs, le Maure général de l’armée vénitienne, Otello, est accueilli triomphalement par le peuple cypriote.
S’il vainc aisément les forces hostiles sur l’arène militaire, il en va tout autrement sur la scène amoureuse. Et le conquérant se fait angoissé, impatient, tyrannique, passionnel, irascible. Du moins doute-t-il assez de lui-même pour que le doute distillé par son ennemi Iago, le perfide semeur de trouble, ne vienne lui inspirer suspicion et accusation à l’endroit de son épouse, pourtant fidèle et aimante, la belle Desdémone.
Elle-même est aussi douce et passive qu’il se montre manipulable et aveugle.

La force du drame vient de ce contraste saisissant sur la scène : ici, les deux protagonistes que tout a comblé : fortune, rang, mérite et beauté, sont les jouets impuissants d’un traître, odieux démiurge, habile satan des cœurs, un fieffé jaloux qui tirant les ficelles d’une histoire somme toute assez banale, nous plonge dans la tragédie la plus impitoyable.
La production que diffuse ce soir Arte, est en réalité la rediffusion d’un programme déjà passé le 25 juin 2003. Le trio de tête, Otello/Desdémone/Iago, est incarné par trois chanteurs d’une indiscutable présence scénique. Dans la fosse, Zubin Mehta parvient à faire rugir l’orchestre du Maggio musicale Fiorentino à l’égal des éclairs de la tempête avec laquelle débute l’opéra. Grandeur déchaînée de la Nature, violence des passions humaines. La mise en scène du théâtre national de Saint-Petersbourg est impeccable : noire, efficace. Elle pernet au dispositif scénique de mieux prendre en étau les trop frêles figures humaines d’Otello et de son épouse, Desdémone. A la folie dévastatrice du premier, répond la soumission pieuse de la seconde.

Ici, aucun des personnages n’est maître de lui-même. Chacun semble possédé par une force qui le dépasse: jalousie perverse (Iago), soupçon dévorant (Otello), accablement (Desdémone). Quoi de mieux pour passer une excellente soirée ? La musique quant à elle, forte, violente, fulgurante, est, osons le mot, sublime.

Verdi, Otello
Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi
Livret : Arrigo Boito d’après William Shakespeare
Direction musicale : Zubin Mehta
Mise en scène : Lev Dodin
Avec : Vladimir Galouzine (Otello), Barbara Frittoli (Desdemone), Carlo
Guelfi (Iago), Raymond Very (Cassio), Enrico Facini (Roderigo)…
Chœurs et Orchestre du Théâtre du « Mai musical florentin »
Décors et costumes: David Borowski
Lumières : Jean Kalman
Réalisation : Vincent Bataillon (France/Italie,2003-2h35)
Production : ARTE France, Bel Air Media,
En différé du Teatro Comunale de Florence

Marc-Antoine Charpentier, Messe de Port-Royal, Messe Rouge.Comment comprendre Charpentier?

Le Festival d’Art Baroque en Provence a choisi comme l’année dernière, d’inscrire deux œuvres de Marc Antoine Charpentier au programme des soirées des 25 et 26 juillet prochains. Préparation à l’écoute de la messe de Port royal et du Motet pour la Messe Rouge. Comment comprendre Charpentier ?

« La Musique me fut de peu d’honneur mais de grande charge »

Quelques réflexions sur le style de Charpentier
Ce qui fait la gloire de l’œuvre de Charpentier, c’est sa personnalité hors norme qui échappe à tout standard. Qui entre dans son monde saura qu’une griffe marque la moindre de ses notes. Il fut héritier d’Henri Dumont, d’un côté, par la profondeur de l’inspiration très début XVII ème, la souplesse d’écriture polyphonique, la ligne mélodique lyrique qui semble marquée du sceau de la noblesse française. Il fut, d’un autre côté, l’héritier de Carissimi dans le goût de la théâtralité, les formes musicales utilisées (oratorios, dialogues …), les licences d’écriture, la liberté farouche de son style, la philosophie même de sa vie, sa fin de carrière chez les Jésuites.
Sa musique, bercée dans une pulsation qui lui est intérieure, exprime à la fois une sensibilité déchirante et une tendresse infinie. Une tendresse qui fait la force et la faiblesse de son œuvre : elle enrobe tout, amollit les coups dramatiques (établissant de ce point de vue, une surprenante parenté avec Dallapicola: lire notre compte-rendu du concert du 30 avril dernier où l’orchestre philharmonique de Monte Carlo interprétait les Canti di Prigionia). Ce genre d’effets expressifs, bien que supérieurs à tout autre de ce temps, ne put égaler les nervosités de Carissimi (qui est par son tempérament, l’égal de Monteverdi et de Puccini). On doit cultiver donc une certaine familiarité pour entrer dans la pensée du compositeur et comprendre la langueur de son rythme. Cette familiarité, une fois acquise, peut emporter son public jusqu’à un endoctrinement quasi fanatique – c’est le cas à notre époque – comme on le voit chez les aficionados de Bach ou de Wagner.

Un portrait révélateur de l’esprit du compositeur

Le portrait placé ici, récemment retrouvé, colle si parfaitement à sa personnalité qu’il jette une nouvelle lumière sur l’impression que produit sa musique. Scrutez son expression et ensuite écoutez : un mal physique le ronge et correspond à l’amertume du milieu de sa vie. On doit songer à l’échec par la maladie au concours de Versailles puis à son ombre déçue qui se lamente dans la célèbre épitaphe (dont nous avons cité une phrase en introduction). Des yeux immenses pourtant expriment une innocence et une humanité. Il est frappant et urgent de comparer ce portrait au daguerréotype de Chopin, lui aussi placé dans les mêmes conditions de souffrance physique.

Motet pour une longue offrande H 434, autrement appelé motet pour l’offertoire de la Messe Rouge

Vous entendrez au festival de Saint-Maximin cet ultime grand motet, d’après les datations, composés pour la rentrée annuelle du Parlement – d’où le nom de Messe Rouge. Donc tout un héritage : une somme de la liberté stylistique évoquée tout à l’heure, et de l’apparat de son temps. Le prélude cesse d’être une pièce d’amorce, symbolise un parcours des tonalités, toutes chargées de sens dans l’esprit du compositeur. Entre alors la voix de basse : comme souvent chez Charpentier, elle endosse le message théologique, représentant de Dieu sur terre. Au ré majeur initial, succède un do majeur guerrier : c’est une pluie de soufre sur les pêcheurs châtiés. Après un trio en sol majeur (« doucement joyeux »), la tendresse d’un mode en la mineur évoque la miséricorde. Des solos instrumentaux affleurent jusqu’au chœur plein d’espoir où passent encore les souvenirs du maître Carissimi (le chœur des ninivites repentis de son oratorio romain, Jonas), avec ses « non » réitérés, d’une rhétorique piétiste. Puis dans une immense bonté, retrouvant le ré majeur initial, s’édifie une louange habitée de tous les feux de l’orchestre, des solistes, du chœur.

Messe pour le Port Royal, H 5
On a souvent dit que chacune des messes de Charpentier possède un visage particulier à l’instar des symphonies de Beethoven. Il est vrai que le cursus créatif de notre compositeur fut scandé de périodes à mettre en parallèle avec celles du compositeur de Bonn. Ainsi parle-t-on du « premier », du « second » Charpentier, etc. Du second, date cette œuvre écrite vers 1685.

De même que les leçons de ténèbres pour soprano seule, composées au début de sa carrière, déroulaient une sublimation du grégorien (n’oublions pas qu’à l’époque de Charpentier, le grégorien était ornementé), cette messe semble fleurir un discours monodique dans l’esprit de ce genre musical. Mille mesures de monodie pure. Toute la subtilité des agréments, des infimes fluctuations harmoniques et rhétoriques, soutient l’attention de l’auditeur avec maestria. Pari sévère et pénitent auquel s’est soumis Charpentier, comme le fit, en Allemagne, Heinrich Schütz pour sa « Passion selon saint Mathieu » . Cette « Messe pour le Port Royal » pourtant varie les masses sonores et alterne ainsi le « premier et second chantre » – parfois chantant conjointement – et le « chœur ».

A Saint Maximin, le Vlaams Radio Koor, sous la direction d’Hervé Niquet sera l’interprète de ces deux œuvres de Charpentier. Quelques passages sont cependant traités en polyphonie, notamment le « et incarnatus », moment crucial de la messe, où une rupture avec la rigueur est souhaitable pour l’élévation de l’âme. Faux-bourdon et grand silence au beau milieu de l’œuvre.

Antonin Dvorak (1841-1904), Rusalka (1901)Mezzo, le 27 mai à 20h50

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Légende onirique? Plutôt implacable machinerie tragique.
La nymphe Rusalka rêve d’aimer le prince dont elle est tombée amoureuse. Mais ce rêve se révélera être un désir éprouvant pour lequel elle devra renoncer à tout ce qu’elle était. Apparente féérie, la légende lyrique de Dvorak est surtout une plongée dans les eaux infernales. La production de Paris, produite à l’Opéra Bastille en 2002, est la création parisienne de l’ouvrage.

«Rusalka», opéra créé en 1901 au Théâtre National de Paris, est l’avant dernier ouvrage lyrique d’Antonin Dvorak.

L’accueil fut enthousiaste.
Première parisienne de l’œuvre, la production présenté à Bastille en 2002, offre une lecture convaincante. La nymphe Rusalka souhaite prendre forme humaine car elle est amoureuse d’un prince. Son vœu sera exaucé. Mais le prix de son désir n’est pas sans danger… car pour aimer, il faut donner sa confiance et s’engager.
Explicitement inspiré par les mélodies flokloriques tchèques, Rusalka dont le sujet puise aussi dans les contes féériques populaires, est apparu dès sa création comme l’affirmation d’un opéra national. Jaroslav Kvapil, le librettiste de Dvorak, s’inspire de la Petite sirène d’Andersen.
Au début serment à l’amour, élévation des sentiments exprimés, l’ouvrage sombre très vite sur le thème de la pureté bafouée, la fidélité trahie, la traîtrise laplus noire qui se révélera tragique pour les deux protagoniste.
Aujourd’hui, la fascination qu’exerce l’opéra se révèle en particulier dans la fameuse prière à la lune, chantée par la nymphe Rusalka. La carrière de la partition en France aura été difficile et laborieuse. L’opéra de Marseille accueillit l’œuvre pour une création française en 1982, puis Paris la fit entre à son répertoire grâce à la production dont il est question. Soit pas moins d’un siècle pour que le public parisien puissen enfin applaudir ce chef d’œuvre lyrique du Xxème siècle, conteporain de Pelléas de Debussy.

Le metteur en scène Robert Carsen s’est saisi de la légende, en en restituant le pouvoir enchanteur du drame de l’ambivalence. Mais l’enchanteur se fait aussi analyste. Non content de nous déployer un superbe dispositif visuel, dont la puissance féérique ne fait aucun doute, en lecteur avisé et imaginatif de Bruno Betthelheim, il rétablit les références psychanalytiques à l’œuvre dans le le subconscient des personnages.
Que l’on soit ou non sensible à cette relecture, l’approche reste constamment sensible et même d’une incroyable attractivité poétique.
L’eau, le vertige des mondes liquides, l’évanescence du monde des ondines souligne là encore l’obsession du metteur qui aime interroger l’apparence des choses, l’illusion du théâtre et de la scène. Autant de registres qui trompent et même piègent l’œil du spectateur tout en renforçant la richesse hypnotique du spectacle.

Monde parallèle et en constante analogie, le milieu des hommes et celui des nymphes se croise, s’affleure. Leur permanente co-existence finit par troubler notre vision ; elle dévoile en un rapport continu, la part chevauchée entre le rêve et la réalité, les forces du désir et la résistance du réel.
Si l’offre scénique est souvent époustouflante, le plateau vocal maintient le niveau : il est somptueux, donnant âme et chair et ce conte qui n’aurait pu être qu’inconsistant comme l’eau qui en est l’axe traversant

Rusalka” d’Antonin Dvorak
Production de l’ Opéra national de Paris
Bastille Opéra (2002). Durée : 2h40mn. Réalisation: François Roussillon

Opéra en trois actes d’Antonin Dvorak sur un livret de Jaroslav Kvapil,
enregistré à l’Opéra national de Paris-Bastille. Avec Sergueï Larin (le
prince), Eva Urbanova (la princesse étrangère), Renée Fleming
(Rusalka), Frank Hawlata (l’Esprit du lac), Larissa Diadkova
(Jezibaba), Kevin Greenlaw (la voix d’un chasseur), Karine Deshaye (le
garçon de cuisine), Michelle Conniccioni (première nymphe), Svetlana
Lifar (deuxième nymphe), Nova Javakhidze (troisième nymphe), Michel
Sénéchal (le garde-forestier). L’Orchestre et les Choeurs de l’Opéra de
Paris sont dirigés par James Conlon. Chorégraphie : Philippe Giraudeau,
décors et costumes : Michael Levine, mise en scène : Robert Carsen.


Rediffusions

Le 28 mai à 13h45, les 6 juin à 15h45 puis 16 à 15h45.

Joseph Losey, Don Giovanni de Mozart (1979)Les « suppléments » du coffret dvd

L’estimation d’un coffret dvd tient certes à la qualité de son sujet principal, ici l’intégralité de l’opéra de Mozart. Mais rentrent aussi en compte, et pour notre plus grand plaisir, les bonus complémentaires, ces « suppléments » qui apportent leur éclairage sur la compréhension de l’œuvre, sa genèse et ses enjeux.

D’autant plus nécessaires se révèlent les quatre films composant le dvd bonus du coffret.
Il y a tout d’abord les reportages de l’époque de l’enregistrement (juin 1978) –qui a précédé le tournage-, puis les images captées pendant le tournage du film (commencé en septembre suivant) en Vénétie, à Vicenza principalement.
Avec le recul, les conditions dans lesquelles a été produit « le film-opéra » prennent toute leur importance et soulignent combien le résultat fut miraculeux. On y mesure la distance qui au départ, oppose le milieu musical, des ingénieurs et des musiciens, et l’équipe technique du réalisateur. Les visions changent selon les partis, chacun y explique sa vision sans guère comprendre les nécessités de l’autre. Au cœur des nombreux problèmes de la production, l’opposition de la vision de Losey qui pense en image et dans l’expressivité de l’action filmée, et celle des chanteurs et des musiciens, plus soucieux de continuité musicale. La difficulté atteignit certainement un degré supplémentaire encore lorsque Losey imposa de chanter les récitatifs au moment des prises du tournage. Obligeant à une autre prise de son, différente de celle de l’enregistrement dans l’église du Liban. Ici le plein air accompagné au clavecin (par Janine Reiss), là l’enregistrement préalable avec orchestre, sous la voûte réverbérante de l’église parisienne.
S’en suivit une divergence de point de vue, exprimée dans de nombreuses lettres, après le tournage, entre les tenants d’une vision cinématographique et les défenseurs de la partition musicale.
Pourtant à y réfléchir de plus près, il n’y eut pas davantage de paramètres à prendre en compte ou à surmonter ici que dans la production d’un opéra ordinaire : théâtre ou musique, action ou vocalité, image ou son ? L’opéra n’a de cesse d’interroger les formes qu’il suscite. Et les contingences auxquelles le cinéaste et les musiciens durent faire face, avec moultes compromis pour que sorte enfin le film, appartiennent aux avatars ordinaires du monde lyrique.

Qu’il s’agisse du film d’époque tourné pendant les séances d’enregistrement sous la direction de Lorin Maazel pour la firme CBS (« à propos de Don Giovanni », réalisé par Jean-Pierre Jeanssen), ou bien encore de l’analyse de Michel Ciment, sur l’écriture filmique de Losey, le regard du cinéaste confronté à une œuvre qu’il découvre au moment de l’enregistrement pour le disque, reste au cœur du sujet. Car le film qui résulte de cette odyssée cinémusicale, demeure la vision de Losey. Ce qu’il a réalisé à partir des éléments nombreux qui lui furent imposés au départ : – la distribution des chanteurs non acteurs de cinéma, l’idée du plein air et des villas palladiennes (la suggestion aurait été esquissée à Rolf Liebermann par Patrice Chéreau d’abord pressenti pour le projet, mais qui déclina l’offre par la suite), la partition (Losey était jusque là peu amateur d’opéra), le résultat prend valeur de chef-d’œuvre absolu.

Tout autant bénéfiques pour comprendre les raisons qui conduisent la Gaumont à reprendre l’ouvrage et lui offrir au dvd, une seconde vie, sont les deux autres compléments réalisés pendant le remixage, la recherche et les restaurations successives des bandes originales. L’enquête au terme de laquelle les équipes de la Gaumont prennent enfin possession du master d’origine, celui qui avait permis de réaliser la bande-sonore qui était sortie sous étiquette CBS, relève d’une roman à péripéties.
L’exposé expliquant les qualités et les limites du système dolby de l’époque, qui s’avéra ensuite source de bien des problèmes au montage, permet de comprendre outre la spécificité des contraintes techniques, les options d’ordre esthétique que choisirent les ingénieurs du son pendant le remixage.
Enfin, le documentaire de plus d’une heure, « Don Giovanni, le film-opéra », réalisé par Thibault Carterot, révèle avec pertinence et clarté, l’ampleur du travail de restauration accompli par les équipes de la Gaumont et davantage encore.
Outre les étapes commentées de cette aventure bis, les propos et les témoignages recueillis par les chanteurs, plus de vingt ans après le tournage, sont éloquents : difficultés de concentration (Kiri te Kanawa), découvertes de la caméra et rapports souvent distants avec Losey (Edda Moser que le cinéaste trouvait d’ailleurs, lors des premières séances de tournage, « trop dramatique », « trop opératique »), fatigue et faible disponibilité des musiciens, en particulier du chef Lorin Maazel qui accepta à l’arraché la proposition de Liebermann, ayant de nombreux autres engagements que ce projet.
Ce qui fascine c’est l’analyse que porte chacun sur les conditions de la réalisation : urgence, pression et même tension, fatigue des chanteurs auxquels il est demandé de jouer devant la caméra, ici « la fantaisie du chanteur » et là, les suggestions des techniciens, contraints par le manque de temps, le stress des producteurs, soucieux de voir le budget initial, exploser…

Ce retour en arrière sur le tournage, par la voix des interprètes, des techniciens et aussi des producteurs, montrent combien la « machine opéra » déjà fascinait, comme elle fascine encore aujourd’hui. Projet utopique et mégalomaniaque souhaité par Liebermann et Toscan Du Plantier, ce film-opéra demeure quoiqu’on en dise, un modèle, une oeuvre d’art, le prototype inégalé de tous les films qui sont venus après lui.

Quel sera son destin au dvd, voilà un autre enjeu à suivre. La France qui avait déjà applaudi, renouvelle son engouement. Qu’en sera-t-il pour les autres pays ? Aux Etats-Unis ou en Allemagne ? L’accueil y avait été des plus froids, en particulier de la part des critiques musicaux.
Sorti non sans un certain opportunisme en pleine année Mozart, le coffret mérite assurément tous les honneurs. Car le film de Losey a droit à une revanche. Le temps et le recul lui auront donné raison : les images du cinéaste parlent aujourd’hui pour lui. Gagner de nouveaux adeptes comme vaincre les réticents hier inconditionnels, seraient un juste retour des choses.

« A propos de Don Giovanni« (26mn, réalisation : Jean-Pierre Janssen)
« Losey et Don Giovanni« : l’analyse de Michel Ciment (15mn)
« L’odyssée sonore (1978-2006)« 
« Don Giovanni, le film-opéra« (1h15mn, réalisation: Thibault Carterot)

Kaija Saariaho, Adriana MaterFrance musique, le 12 juin à 20h

Kaija Saariaho a créé en avril dernier son second opéra, Adriana Mater à l’Opéra Bastille qui lui en avait passé la commande. Les séances de travail lui ont permis de retrouver ses complices
réunis autour d’elle pour son premier ouvrage lyrique, L’Amour de loin (créé au Festival de Salzbourg à l’été 2000)
: l’écrivain libanais Amin Maalouf qui signe à nouveau le livret, le
chef Esa-Pekka Salonen et le metteur en scène, Peter Sellars. Les
premières représentations d’Adriana Mater à l’Opéra Bastille, ont
démontré la distance prise avec son premier ouvrage lyrique.

Celle
qui s’était détournée du théâtre, avait l’habitude des œuvres écrites
dans le silence et la solitude, nous revient six ans plus tard
avec une partition dense, écrite dans la collaboration proche de ses
partenaires, en particulier Peter Sellars auquel la partition est
dédiée.
Si l’Amour de loin s’inspire de la légende du troubadour
Jaufré Rudel sur un registre onirique où
l’action est plus suggérée que réalisée, Adriana Mater s’inscrit
immédiatement par la violence du sujet et la consistance de la musique
dans notre propre époque : une époque barbare. La force de l’œuvre
tient à la combinaison réussie d’une intrigue tragique mais non exempte
d’espoir, et de références à peine voilées à notre histoire la plus
récente.

Les prénoms des protagonistes par exemple évoquent
par leur consonance, le Kossovo et la Croatie… tout au moins un pays
balkanique qui était, encore, à la fin du dernier siècle, à feu et à
sang. Engagé, dénonciateur : l’opéra l’a toujours été. Mais ici à la
tension parfois incantatoire et même hypnotique du livret, s’associe la
magie de la musique qui suit la structure dramaturgique d’Amin Maalouf, lequel témoin des conflits et des fronts de violences comme reporter de guerre, utilise le rêve comme le moyen d’exprimer sur scène, l’horreur des combats sur la société civile. Avec Adriana Mater, Kaija Saariaho dénonce
l’horreur des violences contemporaines, la guerre animale, le viol et
la barbarie. D’ailleurs, l’écriture de la compositrice s’est adaptée à l’intensité du sujet, préférant aux mélismes vocaux, un style plus syllabique.

Cependant comme l’Amour de Loin, Adriana mater
met en lumière des thèmes universels qui dépassent l’anecdote
historique. En cela, les personnages doivent être compris comme des
archétypes porteurs de leur propre espérance. Au cœur de l’ouvrage, il
y a cette apologie tendre de la maternité, qui permet au comble de
l’horreur, ce basculement inespéré où l’homme reprend raison, respect,
dignité. De la barbarie à l’humanité. La compositrice dont l’idée de la
maternité s’est présentée aussitôt pour son nouvel ouvrage, précise
aussi avoir été frappée par une image lorsqu’elle était enceinte :
l’idée des deux cœurs réunis, celui de son enfant et le sien, battant
chacun à leur propre rythme. Cette image s’est inscrite dans l’œuvre, à
la source même de l’inspiration : le battement parallèle, décalé ou à
l’unisson des deux cœurs renvoie à la pulsion et au rythme musical, à
la vie elle-même avec d’autant plus de force dans un contexte de guerre
et de cruauté où l’anéantissement menace.

En Adriana Mater, il faut identifier l’inquiétude d’une mère pour son fils. Peur ancienne et toujours recommencée, celle qui a conscience de la répétition destructrice et souhaite une autre vie pour sa progéniture.

Adriana Mater
Opéra en sept tableaux (2006) – Livret d’Amin Maalouf

Direction musicale Esa-Pekka Salonen
Mise en scène Peter Sellars
Décors George Tsypin
Lumières James F. Ingalls
Informatique musicale IRCAM
Réalisation informatique musicale Gilbert Nouno
Chef des Choeurs Peter Burian

Adriana Patricia Bardon
Refka Solveig Kringelborn
Tsargo Stephen Milling, Jouni Kokora (le 10 avril)
Yonas Gordon Gietz

Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris

Joseph Losey, Don Giovanni de Mozart (1979)

Vingt-sept ans après sa sortie sur le grand écran (1979), le Don Giovanni réalisé par Joseph Losey d’après Mozart et Da Ponte continue de fasciner. La Gaumont qui a décidé de republier l’œuvre, a déjà écoulé le premier tirage depuis son placement en magasin, le 9 mai 2006.
Comment expliquer cette longévité dans le cœur des français ? Car le succès du film, malgré le désir du producteur Daniel Toscan du Plantier qui souhaitait l’exporter, en particulier aux USA, est demeuré un phénomène hexagonal (près d’un million de spectateurs furent séduits par la réalisation dès son lancement).

Au-delà de la qualité artistique atteinte par Losey, d’autant plus méritante lorsque l’on connaît la série d’avatars survenus avant, pendant et après le tournage (commencé en septembre 1978), il y a au cœur du succès du film, cette alliance improbable, imprévisible, impossible de deux genres que tout oppose: l’opéra et le cinéma.
Une combinaison sulfureuse qui, si l’on en croit les mélomanes puristes comme les cinéphiles avertis, ne mène à rien.
Tout au moins, à ce genre hybride qui serait un non-événement, une réalisation monstrueuse sans référence précise, qui porterait en elle une défaillance de structure : comment concilier une dramaturgie ancienne aux lois actuelles de l’efficacité cinématographique ?
Chéreau à qui Liebermann proposa le projet, se montra sceptique sur la réussite d’un tel projet: il refusa. Et c’est le réalisateur américain, en exil à Londres, Joseph Losey qui fut choisi par Toscan du Plantier.
Le regard neuf du cinéaste, auteur de The Servant, de Monsieur Klein semble s’être parfaitement retrouvé dans le sujet de Don Giovanni, un être solitaire et sans morale, pourfendeur de l’ordre social de son époque, le modèle du libertaire, séditieux et révolutionnaire, traître à sa propre caste, étranger pour le petit peuple. En Don Giovanni, il faudrait reconnaître le révélateur, qui n’appartient à aucun système établi, les rejette tous ; celui qui pointe du doigt les tares et les conflits latents. Autant la faillite de la société que celle plus terrifiante, des individus.
Pour Losey –ex-communiste originaire du Wisconsin, radié et finalement exclu par Hollywood-, Mozart en composant Don Giovanni a voulu s’élever contre la société qui était la sienne, il en a fait la critique virulente.
Et de fait, animé par une frénésie jamais égalée jusque là, peut-être due à sa collaboration avec le génial Da Ponte, le musicien qui relit aussi Molière et Goldoni, compose une oeuvre en phase avec les attentes et la vibration de l’époque. Celle du peuple justement : à Prague, le 29 octobre 1787, le public de la rue lui réserve un triomphe, impossible alors à imaginer de la part de la bonne société Viennoise.

Rééditer aujourd’hui le film se justifiait pour plusieurs raisons. D’abord, pour une question technique, en particulier musicale. Le son de la version cinématographique originale, qui sortit en salles n’était pas totalement satisfaisante pour les auteurs (Losey, Lebiermann, Du Plantier). En particulier, le mixage qui fut choisi au final pour la sortie du film, présentait de nombreuses défaillances. En effet, les différentes prises de son, à l’église du Liban avec orchestre, sur place pendant le tournage avec clavecin, rendirent difficile la réalisation du son.
Or la nouvelle édition est le fruit d’un remixage exemplaire, et même miraculeux puisqu’il a fallu rechercher le master original, le restaurer (par une technique de chauffage des bandes !). Il en résulte, une bande-son proche de l’idéal (mixée en DTS 96/24 digital surround sound, « le plus haut standard de restitution sonore actuellement disponible sur dvd ») : voix éclaircies, orchestre détaillé, effets sonores et bruitages restitués.

Ensuite, ce coffret pose un débat esthétique, d’autant plus opportun à l’heure où il est de bon ton de décrier les excès de mise en scène à l’opéra. Comme si l’opéra était un genre qui se suffisait à lui-même et ne devait supporter aucune relecture ni remise en question. Car la question de fond demeure : que peut apporter ici le théâtre ou le cinéma à une forme de spectacle plusieurs fois séculaire, en vérité vieille –seulement- de quatre cents ans, puisqu’en 2007, on devrait fêter la création de l’archétype en la matière, l’Orfeo de Monteverdi, créé à la Cour de Mantoue le 24 février 1607 ?
Le film conçu par Joseph Losey répond à cette question : l’opéra a tout à gagner. Seule importe plutôt dans cette confrontation nécessaire, et même vitale, le talent et la qualité des visions proposées.

Et voici que point une autre question tout aussi cruciale : la démocratisation d’un genre boudé par les classes moyennes, qui est longtemps resté l’apanage et le privilège de la bourgeoisie. Trop élitiste, l’opéra courrait à sa ruine.Or en destinant ce Don Giovanni pour le cinéma, le désir de Liebermann, alors directeur du Théâtre national de Paris, était bien d’élargir l’audience de l’opéra, de gagner un autre public, de lancer le concept d’opéra « blue jean ».
« Je crois que le film d’opéra et non l’opéra filmé, est une solution à la crise du théâtre lyrique, une solution à l’échelon mondial. C’est un moyen réel de le démocratiser. Il ne remplace pas le sepctacle en direct ; il faut le voir comme une autre manière de diffuser l’opéra, sans barrières entre classes sociales et sans frontières« , déclare-t-il au moment de la sortie du film.
Il était déjà en avance sur son époque. Et le succès actuel des productions lyriques, à Bastille, Garnier, au Châtelet ou au théâtre des Champs-Elysées, pour ne citer que les productions présentées à Paris, montre bien que le genre est devenu de plus en plus médiatisé et populaire. Avec les scandales que nous connaissons aujourd’hui : réactions, -enthousiasmes ou oppositions- qui ont de tout temps été le lot commun de l’histoire lyrique.

Saluons donc l’initiative de la Gaumont de rééditer ce qui reste le modèle du genre. Un genre encore en mutation, à mi chemin entre l’opéra et le cinéma. Ni opéra filmé (comme l’est par exemple la Flûte Enchantée de Bergmann, additionnée de créations purement filmiques), ni œuvre cinématographique d’après un sujet musical (comme l’est Amadeus de Forman) : « film-opéra » donc. Losey apporte une lecture personnelle dont la réussite à l’écran tient certainement de son propre rapport à la musique et à l’opéra. Même s’il vient du théâtre, il n’avait pas, avant de tourner Don Giovanni, l’habitude de l’opéra, ni ne connaissait l’œuvre de Mozart. C’est justement ce regard étranger qui donne le souffle de sa vision. On l’a souvent dit, trop distanciée, froide et sophistiquée. Une vision pour esthètes en mal d’architecture palladienne et de plein air italianisant.

Or c’est tout l’inverse justement. Un regard qui cerne le vide des êtres, leur solitude profonde et inconsciente ; en définitive, la fin d’un monde, le péril d’une civilisation.
Il a senti cette vibration qui est le propre de la partition, et la sensation critique vis à vis du système. Tout indique dans la musique cette révélation que tout va imploser.
Dans les nombreuses notes qu’il a rédigées à l’attention des chanteurs, Losey s’est expliqué sur sa compréhension des personnages et de leur relation. Que sait-on des intentions réelles de Donna Anna : elle n’a jamais souhaité épouser Don Ottavio. Qui est réellement Donna Elvira ? Le sait-elle, elle-même ? Sans illusions sur Don Giovanni, « son époux« , elle ne cesse pourtant de le poursuivre…
Le monde de Losey est un espace de transition. Tout conspire à la faillite de ce qui est : même si l’avenir se dessine à peine, le sentiment de la transformation est le moteur de l’action. A l’assemblée des nobles âmes ô combien impuissantes (Donna Anna, Don Ottavio, Donna Elvira), -tous figés en de répétitives complaintes-, Don Giovanni oppose la figure du mouvement. Contre l’équilibre illusoire des certitudes, sa liberté s’insurge sans répît.
C’est bien un système qui s’écroule peu à peu. Et la vision de Mozart/Losey prend d’autant plus de signification quand l’on se remémore que le compositeur conçut son ouvrage pendant les années qui menèrent à la Révolution française…

Les chanteurs peu en affinité pendant le tournage avec les équipes techniques, avec Losey lui-même, reconnaissent après coup, l’émerveillement que suscite le film réalisé. Le film achevé méritait bien tant d’efforts.
Et cette fascination se révèle avec d’autant plus de force aujourd’hui qu’elle semble n’avoir jamais été égalée depuis. Losey était bien un précurseur, et son film demeure le modèle du genre.

Lire aussi notre critique du film.

Jessye Norman, portrait


Jessye Norman est née le 15 septembre 1945 à Augusta (Géorgie, Etats-Unis). Enfant d’une famille pieuse, la jeune soprano démontre très tôt sa passion pour la voix qu’elle met en pratique en chantant gospels et cantiques. Ses modèles se nomment alors, Rosa Ponselle et la contralto noire Maria Anderson. Plus tard, Erna Berger lui transmet la fascination du lied allemand.
Après un apprentissage musical approfondi, où aux côtés de la technique vocale, elle apprend aussi le piano, la jeune artiste débute sa carrière à l’âge de 23 ans, à l’Opéra de Berlin dont un engagement de trois années lui permet d’aborder ses premiers rôles importants: en particulier, Elisabeth dans Tannhäuser, la Comtesse dans Les Noces de Figaro.
En 1972, elle est Aïda à la Scala de Milan sous la direction de Claudio Abbado et débute au Covent Garden dans le rôle de Cassandre des Troyens de Berlioz. Elle donne également ses premiers récitals.

Tempéramant dramatique, la chanteuse approfondit chaque rôle, cherchant à maîtriser la langue dans laquelle elle exprime la passion et la force psychologique des caractères choisis.
Star internationale, Jessye Norman s’est imposée grâce à un répertoire élargi: comprenant rôles scéniques mais aussi chant intimiste et dépouillé. Aux côtés des rôles tragiques, elle s’intéresse aussi aux lieder de Schubert, Brahms, Schumann, Mahler. En 1983, elle est Phèdre au Festival d’Aix-en-Provence dans Hippolyte et Aricie de Rameau, et en 1984, Didon, à l’Opéra Comique dans Didon et Enée de Purcell.

Wagnérienne, elle est aussi Sieglinde dans La Walkyrie de Wagner. Ses prises de rôles sont nombreuses, et pour chacune, la conscience de l’interprète recherche à exprimer la réalité et l’intensité des personnages incarnés.

La grâce et la concentration d’une interprète habitée par son rôle ont séduit un public nombreux dans le monde, surtout en France. Une relation privilégiée, consacrée quand elle chante pour le Bicentenaire de la Révolution Française, la Marseillaise aux pieds de l’Obélisque de la Place de la Concorde, puis lorsque François Mitterand lui remet les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur quelques mois plus tard, en octobre 1989.

En décembre 1997, l’artiste a reçu la plus haute distinction américaine des arts de la scène : le Kennedy Center Honor.

En 2004, le réalisateur André Heller lui a consacré un portrait documentaire.

En 2005, la soprano a donné une série de master-classes à l’académie de Villacroze, dans le Sud de la France.

Parmi ses derniers enregistrements, la soprano américaine a chanté avec James Levine et l’Orchestre Philharmonique de Berlin, Le Chant de la terre de Mahler, ainsi que Le Château de Barbe-Bleue de Bartok avec Pierre Boulez et l’Orchestre Symphonique de Chicago (1999).

C’est d’ailleurs dans cette dernière oeuvre lyrique que le diva adulée des Français, sera présente sur la scène du Théâtre musical du Châtelet, avant de reprendre, en version de concert, le rôle de la reine de Carthage, Didon, dans Didon & Enée de Purcell, mais aussi les Nuits d’été d’Hector Berlioz.

Concerts parisiens de Jessye Norman en juin 2006

Bartok, le Château de Barbe-Bleue
Ravel, Daphnis et Chloé

Jessye Norman, soprano
Peter Fried, baryton
Orchestre de Paris, choeur de l’Orchestre de Paris
Direction : Pierre Boulez

Théâtre du Châtelet, les 10, 13 et 16 juin à 20h.

Barber, Antony and Cleopatra (extraits)
Purcell, Didon & Enée
Berlioz, Les Nuits d’été

Jessye Norman, Erin Wall, Gillian Webster, Felicity Palmer,
Emmanuelle Goize, Salomé Haller, Philippe Jaroussky,
Russel Braun, Barry Banks
Les Musiciens du Louvre,
Direction : Marc Minkowski

Théâtre du Châtelet, les 27 et 30 juin à 20h.

cds & dvd

A l’occasion du retour de la soprano américaine à Paris, Philips réédite en cinq coffrets doubles, un premier cycle discographique emblématique du charisme de la chanteuse : the Jessye Norman collection (1). Dans cette première collection discographique, le répertoire abordé rend compte de la richesse des choix d’une interprète d’exception, qui a surtout privilégié la langue allemande (apprise lorsqu’elle a rejoint la troupe de l’Opéra de Berlin…)…

En plus de ce florilège essentiel, Oedipus Rex de Stravinsky, dirigé par Seiji Osawa, avec aux côtés de Jessye Norman, Philip Langridge et Bryn Terfel, sort également en DVD (Festival Saito Kinen à Matsumoto, 1992).

Crédit photographique : © Carol Friedman

La Clemenza di Tito,bibliographie & discographie

Bibliographie

Plutôt, contre Titus
Rémy Stricker, opéras de Mozart., résolument voire farouchement hostile à une partition décorative qui ne révèle pas le Mozart de la Flûte. Le lecteur lira avec intérêt les lettres et l’analyse du travail sur Idoménée.

Plutôt, pour Titus
Jean et Brigitte Massin, Mozart. Fayard, 1970 puis 1990 ; et,

J.V. Hocquart, Mozart, l’amour, la mort. Seguier-Archimbaud 1987.

Programme de l’opéra national de Paris, production saison 1998/1999

Notice de Nikolaus Harnoncourt accompagnant son enregistrement CD de Titus (Teldec, Zurich mars 1993)

Livret du Titus dont un texte remarquablement argumenté et annoté par René Jacobs, accompagnant l’enregistrement du chef flamand qui vient de paraître chez Harmonia mundi.

Discographie :
Nos 5 versions de référence

Istvan Kertesz, 1967
La plus ancienne version discographique continue de convaincre grâce à sa conception dramatique d’une rare énergie. Pour l’éternité, le Sesto de Berganza place la barre très haute. Point faible : le continuo accompagnant les recitatifs simples: délaissé au profit des seuls airs avec orchestre (2 cds Decca).

John Eliot Gardiner, 1990
Enregistré sur le vif au Queen elizabeth Hall de Londres en 1990, le Titus du chef britannique affirme une très sûre assise poétique, parfois distanciée, qui rigidifie le cadre et souvent atténue le tragique des caractères. Conforme au visuel de couverture (un décor pompéien), la peinture des passions humaines respecte presque trop à la lettre l’esprit du seria, quitte à contredire le coup de fouet que lui réserve un Mozart sur-occupé mais impliqué, soucieux d’en faire « un véritable opéra ». C’est à peine si malgré la noblesse du style, on croit que Vitellia (Julia Varady) éprouve cette métamorphose capitale dans son grand air : « Non più di fiori ». Bien peu d’effroi et de culpabilité. Trop lisse bien que dans la fosse parfaitement animée, (comme les chœurs du Monteverdi Choir et le Titus de Anthony Rolfe Johnson), la lecture même « en live » a du mal à soutenir la comparaison avec l’expressionnisme nourri d’audaces et d’âpreté de Nikolaus Harnoncourt (Teldec 1993). 2 cds 431-806 2 Archiv produktion.

Nikolaus Harnoncourt, 1993
Cette version a ses inconditionnels comme ses détracteurs invétérés. Comme pour son Idomeneo, coulé dans l’acier le plus dur, Harnoncourt jamais à court d’une invention ou d’un risque, chauffe ses solistes mais avec un sens de la passion et aussi de la tendresse, inouï. Les héros de la fable romaine souffrent, palpitent, désespèrent et pardonnent. Intrigues et manipulations mais aussi grandeur de la Rome rêvée par un Mozart crépusculaire. Avec les lectures complémentaires de Jacobs et de Mackerras, celle-ci forme le trio des versions récentes, incontournables.
Avec Philip Langridge (Titus), Lucia Popp (Vitellia), Ruth Ziesak (Servilia), Ann Murray (Sesto), Dolores Ziegler (Annio), Laszlo Polgar (Publio), Chœur et orchestre de l’Opéra de Zurich, direction musicale : Nikolaus Harnoncourt. 2 cds Teldec 4509-90857-2.

René Jacobs, 2006
Scrupuleux à restituer l’esprit cornélien du drame, le chef flamand
entend dépoussiérer la langue métastasienne selon le souffle palpitant
que lui a prodigué le dernier Mozart. Incandescence articulée des voix, Titus humain et tendre, Vitellia éruptive, Sesto anthologique, direction imaginative, fruitée, nerveuse, voici la première des deux versions incontournables publiées en 2006.
Distribution : Mark Padmore (Tito), Alexandrina Pendatchanska (Vitellia), Bernarda Fink (Sesto), Marie-Claude Chappuis (Annio), Sunhae Im (Servilia), Sergio Foresti (Publio), RIAS Kammerchor, Freiburger Barockorchester. (2 cds Harmonia mundi). Lire notre critique.

Sir Charles Mackerras, 2006
Distanciée, avec une patine classicisante qui souligne l’esprit d’un opéra à l’antique, la lecture d’un grand mozartien, s’impose tout autant que celle de René Jacobs d’un incomparable relief palpitant. Ici, la cohérence du plateau vocal, la jubilation oxygénée du Scottish chamber orchestra (tous les pupitres démonterent une évidente joie, un éclat solaire), la direction exceptionnellement nuancée, détaillée de Mackerras, offre une version indiscutable. Valeur sûre : le Sesto de Magdalena Kozena, les chœurs véhéments et autoritaires. Lire notre critique.

La Clemenza di Tito,bibliographie & discographie (mauvaise fiche = à détruire)

Bibliographie

Plutôt, contre Titus :

Rémy Stricker, opéras de Mozart, résolument voire farouchement hostile à une partition décorative qui ne révèle pas le Mozart de la Flûte. Le lecteur lira avec intérêt les lettres et l’analyse du travail sur Idoménée.

Plutôt, pour Titus :

Jean et Brigitte Massin, Mozart. Fayard, 1970 puis 1990 ; et,
J.V. Hocquart, Mozart, l’amour, la mort. Seguier-Archimbaud 1987.

Programme de l’opéra national de Paris, production saison 1998/1999

Notice de Nikolaus Harnoncourt accompagnant son enregistrement CD de Titus (Teldec, Zurich mars 1993)

Livret du Titus dont un texte remarquablement argumenté et annoté par René Jacobs, accompagnant l’enregistrement du chef flamand qui vient de paraître chez Harmonia mundi.

Discographie
Nos cinq versions de référence

Istvan Kertesz, 1967
La plus ancienne version discographique continue de convaincre grâce à sa conception dramatique d’une rare énergie. Pour l’éternité, le Sesto de Berganza place la barre très haute. Point faible : le continuo accompagnant les recitatifs simples. Visiblement l’époque ne s’intéressait pas à l’articulation (2 cds Decca).

John Eliot Gardiner, 1990
Enregistré sur le vif au Queen elizabeth Hall de Londres en 1990, le Titus du chef britannique affirme une très sûre assise poétique, parfois distanciée, qui rigidifie le cadre et souvent atténue le tragique des caractères. Conforme au visuel de couverture (un décor pompéien), la peinture des passions humaines respecte presque trop à la lettre l’esprit du seria, quitte à contredire le coup de fouet que lui réserve un Mozart sur-occupé mais impliqué, soucieux d’en faire « un véritable opéra ». C’est à peine si malgré la noblesse du style, on croit que Vitellia (Julia Varady) éprouve cette métamorphose capitale dans son grand air : « Non più di fiori ». Bien peu d’effroi et de culpabilité. Trop lisse bien que dans la fosse parfaitement animée, (comme les chœurs du Monteverdi Choir et le Titus de Anthony Rolfe Johnson), la lecture même « en live » a du mal à soutenir la comparaison avec l’expressionnisme nourri d’audaces et d’âpreté de Nikolaus Harnoncourt (Teldec 1993). 2 cds 431-806 2 Archiv produktion

Nikolaus Harnoncourt, 1993
Cette version a ses inconditionnels comme ses détracteurs invétérés. Comme pour son Idomeneo, coulé dans l’acier le plus dur, Harnoncourt jamais à court d’une invention ou d’un risque, chauffe ses solistes mais avec un sens de la passion et aussi de la tendresse, inouï. Les héros de la fable romaine souffrent, palpitent, désespèrent et pardonnent. Intrigues et manipulations mais aussi grandeur de la Rome rêvée par un Mozart crépusculaire. Avec les lectures complémentaires de Jacobs et de Mackerras, celle-ci forme le trio des versions récentes, incontournables.
Avec Philip Langridge (Titus), Lucia Popp (Vitellia), Ruth Ziesak (Servilia), Ann Murray (Sesto), Dolores Ziegler (Annio), Laszlo Polgar (Publio), Chœur et orchestre de l’Opéra de Zurich, direction musicale : Nikolaus Harnoncourt. 2 cds Teldec 4509-90857-2.

René Jacobs, 2006
Scrupuleux à restituer l’esprit cornélien du drame, le chef flamand
entend dépoussiérer la langue métastasienne selon le souffle palpitant
que lui a prodigué le dernier Mozart. Incandescence articulée des voix, Titus humain et tendre, Vitellia éruptive, Sesto anthologique, direction imaginative, fruitée, nerveuse, voici la première des deux versions incontournables publiées en 2006.
Distribution : Mark Padmore (Tito), Alexandrina Pendatchanska (Vitellia), Bernarda Fink (Sesto), Marie-Claude Chappuis (Annio), Sunhae Im (Servilia), Sergio Foresti (Publio), Rias Kammerchor, Freiburger Barockorchester. (2 cds Harmonia mundi). Lire notre critique.


Sir Charles Mackerras, 2006

Distanciée, avec une patine classicisante qui souligne l’esprit d’un opéra à l’antique, la lecture d’un grand mozartien, s’impose tout autant que celle de René Jacobs d’un incomparable relief palpitant. Ici, la cohérence du plateau vocal, la jubilation oxygénée du Scottish chamber orchestra (tous les pupitres démonterent une évidente joie, un éclat solaire), la direction exceptionnellement nuancée, détaillée de Mackerras, offre une version indiscutable. Le souffle et la grandeur s’ingénie à exprimer cette pompe impériale, cette « romanité », absente de bien des lectures. Valeur sûre : le Sesto de Magdalena Kozena, un duo Servilia/Annio magistral, les chœurs véhéments et autoritaires. (2 cds Deutsche Grammophon). Lire notre critique.

La clarinette, instrument majeur

La clarinette chante en les transcendant les prières des deux caractères les plus passionnés de l’œuvre : Sesto et Vitellia. L’instrument accompagne Sesto dans « Parto », (clarinette en si bémol, Acte I, Air N°9) et l’imposant rondo de Vitellia : « Non più di fiori » (cor de basset ou clarinette accordé en fa, Acte II, Air N°23). Il est frappant de suivre avec quelle ingéniosité Mozart exploite l’instrument. Chez Sesto, la voix de l’instrument exprime la Vitellia rêvée par le jeune homme. Il s’agit d’une vision idéale de Vitellia telle qu’il aimerait la chérir et non la servir avec souffrance ; dans l’air de Vitellia, le cor de basset exprime la métamorphose à l’œuvre dans l’âme de la princesse. Les volutes du cheminement intérieur qui la mènent, de ce qu’elle était vers ce qu’elle devient. Vipère froide et haineuse, calculatrice et manipulatrice, Vitellia ressent comme une révélation des sentiments que nous ne lui connaissions pas mais que ses larmes observées déjà avant l’air de Servilia laissaient espérer : compassion, remord, solitude, terreur, renoncement enfin.

Mozart favorise certainement l’instrument grâce à son amitié avec le clarinettiste Anton Stadler pour lequel il composera en octobre 1791, le mois qui suit la création de Titus, le concerto pour clarinette K 622. D’ailleurs les témoignages de l’époque indiquent clairement que le clarinettiste au moment des représentations de Titus, fut autant acclamé que les chanteurs.
Comme nous l’avons dit, non seulement Mozart ne fut jamais contraint dans la composition de la Clémence et même selon toute vraisemblance il cherchait depuis longtemps à aborder le sujet pour l’avoir proposé avec remaniements à Mazzola dès 1789. Voilà qui redessine les perspectives vis-à-vis d’un ouvrage qu’on tient pour « étrange », faisant tâche dans la pure et funèbre conclusion constellée de chefs-d’œuvre et qui mène au désenchantement poétique de Cosi, à l’éblouissante féérie initiatique de la Flûte, à l’apothéose glorieuse du Requiem. Désormais, il faudra compter avec Titus, qu’on le veuille ou non, et reconsidérer la valeur de ce dernier opéra seria, en l’intégrant dans le catalogue des œuvres majeures de Mozart.

Illustration : l’arc de Titus. Rome, Forums impériaux.