dimanche 6 juillet 2025
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Richard Wagner (1813-1883), La Walkyrie (1870)

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A l’occasion d’un nouvel enregistrement particulièrement convaincant de la Walkyrie, publié par l’éditeur australien Melba (distributeur : intégral), et dont le plein apport interprétatif devrait mieux se dévoiler en perspective avec les autres opéras du Ring annoncés par la suite, chez le même éditeur, voici un court aperçu de la partition de Wagner, en s’attachant surtout à la personnalité de Brünnehilde, la Walkyrie qui donne le titre à la Première Journée du Ring. L’individualité des personnages wagnériens s’accomplit en Brünnhilde. Si elle fait son apparition à ce moment du cycle du Nibelung, c’est pour n’en jamais sortir. C’est elle qui incarne la conscience humaniste du drame, elle qui comprend les origines et la cause de la malédiction de son espèce, elle qui porteuse des valeurs de l’avenir du genre humain, donne la clé de l’action et conclue par le feu ce qui est une initiation dont elle nous délivre le secret.

Dresde, 1842. A l’origine, avant de composer son œuvre titanesque, Wagner affine sa propre conception d’un opéra total, littéraire, musicale, poétique, surtout psychologique. L’opéra qui est germe alors, cet opéra romantique de langue allemande, il en a l’idée. C’est à Dresde, dans la capitale de la Saxe, qu’il achève ses ouvrages légendaires et fantastiques, encore liés à un contexte historique du moins historicisant : Rienzi, le Vaisseau Fantôme, Tannhäuser, enfin Lohengrin, lequel boucle une première période esthétique.
C’est aussi à Dresde, fait du hasard, que Schumann se fixe à la même période. Les deux compositeurs, événement exceptionnel dans l’histoire musical de l’opéra et de la musique, sont occupés par la nécessité de définir le genre lyrique à venir. Tous deux réaliseront leur œuvre propre, contemporaine mais diamétralement opposée : Genoveva pour Schumann, Lohengrin pour Wagner.
Par la présence des deux compositeurs, les plus originaux de l’heure, Dresde au milieu des années 1840, fait figure de foyer musical particulièrement fécond pour la scène lyrique. Wagner qui s’était fixé à Paris en septembre 1839, arrive à Dresde en 1842, avec dans ses bagages plusieurs partitions achevées dont Rienzi et le Vaisseau Fantôme. Ce sont d’ailleurs ces deux opéras qui sont représentés à la Cour de Dresde, le 20 octobre 1842 pour le premier, puis le 2 janvier 1843 pour le deuxième. Wagner porte le prestige musical de la ville : il devient d’ailleurs chef d’orchestre de la Cour royale le 2 février 1843. Au moment où Schumann arrive dans la ville, Wagner est à la composition de Tannhäuser qu’il achève en avril 1845. Infatigable, il esquisse en prose les Maîtres Chanteurs de Nuremberg (repris quelques dix années plus tard) et termine le poème de Lohengrin. Lorsque Schumann compose sa Genoveva, Wagner est sur le métier de Lohengrin en 1846 et 1847. La partition sera achevée en avril 1848. Il est donc tentant de comparer les deux ouvrages conçus dans la même période, dans la même ville.
Entre temps, le 6 décembre 1846, Berlioz donne la première représentation de sa Damnation de Faust à l’Opéra-Comique devant un parterre décontenancé par la modernité de l’œuvre, son absence de dispositif scénique.

Premières ébauches du Ring. Place de la Walkyrie.
En novembre 1848, Wagner rédige le poème de la mort de Siegfried qui deviendra le Crépuscule des Dieux.
Dans la carrière de Wagner, Dresde marque le point de maturation du drame médiéval selon sa propre esthétique. Avec Lohengrin qui est l’aboutissement de ses idéaux, le poète compositeur passe une étape décisive dans l’évolution du style. Après la fuite de Dresde, qu’il a dû fuir pour avoir pris part à l’Insurrection finalement mâtée, il rédige les fruits de son expérience dramaturgique dans deux textes essentiels, Opéra et drame et l’esquisse autobiographique Une communication à mes amis (1851).
En mai et juin de la même année 1851, il avait commencé les premières esquisses de l’œuvre à venir, la Tétralogie, inaugurées avec Siegfried, auxquelles succèdent l’écriture des poèmes et des partitions de l’Or du Rhin et de la Walkyrie (1853-1854). Le grand œuvre devait ainsi l’occuper jusqu’en novembre 1874 (fin de la composition du Crépuscule des dieux). Au sein du massif tétralogique, il regroupe ses forces pour composer trois ouvrages : Tristan (écrit en interrompant la composition de Siegfried, de 1857 à 1859, composé à Zürich, Venise puis Lucerne) et adapte son Tannhäuser dresdois pour la scène de l’Opéra de Paris, créé le 13 mars 1861 avec un scandale mémorable ; enfin les Maîtres Chanteurs de Nurenberg (1861-1867) créé grâce au soutien de Ludwig II de Bavière rencontré en mai 1864, le 21 juin 1861 à Munich.
Première Journée du cycle, après le Prologue (L’or du Rhin), La walkyrie, en trois actes, livret du compositeur, est créée à Munich, le 26 juin 1870.

La Walkyrie, un opéra de l’amour. Au sein du Ring qui est l’épopée d’une tribu maudite, corrompue, celle des Dieux menés par leur chef Wotan qui a vendu toute valeur morale pour le pouvoir et la richesse, certaines figures offre d’autres valeurs. Brünnehilde est l’équation manifeste. La fille de Wotan, et même sa Walkyrie préférée, recèle un trésor qu’elle ignorait jusque là, avant de rencontrer Siegmund, le héros auquel son père a demandé finalement d’annoncer la mort : un trésor d’autant plus précieux qu’il va infléchir son propre destin : un cœur humain, aimant, généreux, compassionnel. Touché par l’amour impossible qui s’est déclaré entre Siegmunde et Sieglinde, l’épouse malheureuse de Hunding, Brünnehilde ose désobéir au père et prendre le parti des amants. Contre la loi tyranique de Wotan, elle proclame une autre voie, celle de l’amour. Cet amour, tissé dans l’étoffe de la compassion, du pardon, de la clémence, de l’amour confraternel qu’en son époque, héritier des Lumières, Mozart aborda tout au long de ses opéras : Idoménée, Enlèvement au Sérail, La Flûte enchantée et surtout, Titus.
Wagner aurait-il eu la nostalgie des Lumières ? Quoiqu’il en soit, Brünnehilde perd par compassion et humanisme généreux, son statut de déesse : elle sera destituée par Wotan, père meurtri, et destiné au premier guerrier capable de rompre l’anneau de feu qui entourera le lieu de son exil.
Elle est guerrière, devenue femme. Sous la carapace de la Walkyrie, la fille a blessé l’amour du père. Etre du sentiment et des idées généreuses, elle accompagne la fuite de Sieglinde, après l’assassinat de Siegmund. C’est encore Brünnehilde qui prend soin de conduire la pauvre femme, bientôt mère du héros à venir, Siegfried, dans une forêt profonde, celle du dragon et géant Fafner, dans laquelle Wotan ne pénètre pas.
Le dénouement du cycle renforce encore la place de Brünnehilde et souligne le parcours qui est le sien dans le déroulement de la Tétralogie. C’est elle enfin qui au terme des épisodes survenus pendant la dernière Journée, le Crépuscule des Dieux, après avoir défendu avec la même détermination, la parole de l’amour souverain, conclue toute l’action. C’est par sa voix que Wagner livrera les clés de son grand œuvre.

Les grandes voix de Brünnehilde
Qui connaît l’histoire du chant wagnérien et a identifié les interprètes légendaires, sait qu’il ne suffit pas d’avoir la carrure d’une Walkyrie pour honorer l’un des rôles les plus fascinants de la scène lyrique, pour voix de soprano dramatique. Voici quelques étoiles dont le timbre et le jeu scénique ont marqué l’histoire du rôle : Lili Lehmann, Kirsten
Flagstad, Astrid Varnay, Birgit Nilson, Gwyneth Jones, Hildgard Berhens, Régine Crespin.

La Walkyrie au disque
Lire notre critique de la version dirigée par Ascher Fisch à la tête des équipes de l’Opéra d’état d’Australie du Sud qui vient de paraître chez l’éditeur Melba.

Acte 1. Bruno Walter (1935)
Lauritz Melchior, Lotte Lehmann, Emmanuel List, Orchestre Philharmonique de Vienne, direction : Bruno Walter. 1 cd Emi (1935).

Intégrale
. Karajan (Berlin, 1966)
L’intégrale parue chez DG a marqué l’histoire de l’interprétation. Contre toute emphase, ciselant une sonorité transparente, Karajan a ouvert un nouveau champ de lecture, approfondissant l’intimisme, l’épaisseur des caractères, le délire inconscient, les intentions cachées, l’œuvre souterraine de la psyché. Avec lui, le Ring devenait aussi un opéra de chambre. Au sein du cycle, sa Walkyrie ne démérite pas, bien au contraire : en Régine Crespin, surprenante, alliant l’élégance à l’humanité et la tendresse, Brünnhilde a trouvé l’une de ses incarnations les plus originales, d’une expression palpitante, mémorable. Avec John Vickers (Siegmund), Gundula Janowitz (Sieglinde), Martti Talvela (Hunding), Thomas Stewart (Wotan), Joséphine Veasey (Fricka)…, Berliner Philharmoniker.

La Walkyrie au dvd
Pierre Boulez/Patrice Chéreau (Bayreuth, 1976)
Autre temps, autre révolution. Et si l’intelligence dans les mises en scène du Ring, c’était défendre avant tout l’action en excluant tout le vernis idéologique et le fatras historique imposés par les conservateurs? Le Ring du centenaire de Bayreuth marqua les esprits car il allait a contrario des habitudes, servant le texte avant de souligner les références familières, d’avant et d’après guerre. Chéreau insiste autant sur le cynisme politique à l’oeuvre dans la partition wagnérienne, que son appel à l’amour, sa féérie et sa part de fantastique. Dans la Walkyrie, Gwyneth Jones est Brünnehilde. Avec : Peter Hofmann (Siegmund), Jeannine Altemeyer (Sieglinde), Donald Mc Intyre (Wotan), Matti Salminen (Hunding)… Orchestre du festival de Bayreuth. 2 dvds (Deutsche Grammophon). Réalisateur : Brian Large.

Illustrations

Portrait de Richard Wagner (dr)
Arthur Rackham, une Walkyrie (dr)
Arthur Racham, Brünnehilde (dr)

Approfondir

Lire aussi notre dossier sur Richard Wagner, l’Anneau du Nibelung

Musique et peinture. Le Caravage à Rome(premier épisode)

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Nous commençons avec ce premier feuilleton, consacré à la présence de la musique dans l’oeuvre peint du Caravage, notre cycle de dossiers dont le sujet croise musique et peinture.

Peinture musique : improbable correspondance idéale complémentarité?
Notre équation moins surprenante qu’il n’y paraît, interroge les affinités à l’oeuvre dans l’éclosion des courants artistiques. Des simultanéités croisées, parfois infimes mises en parallèles dans le bain littéraire ou intellectuel qui les a suscitées, éclairent différemment notre rapport à la musique et à la peinture. La vibration profonde d’une époque résonne à l’aune de ses symptômes visuels et sonores. C’est la cohérence d’un goût et d’une sensibilité qui jaillit avec éloquence. Pour preuve, notre premier feuilleton consacré à la place que le peintre Caravage, inventeur de la modernité à l’aube baroque, a réservé à la musique dans ses toiles.
Le sujet nous a paru d’autant plus fascinant qu’au même moment, simultanéité exceptionnelle comme nous le verrons plus loin, à l’heure où Caravage opère un changement de représentation radicale en peinture, Monteverdi quelques années plus tard, bouleverse de la même façon les clés du langage musical. Peinture de la réalité transfigurée grâce à l’art du contraste entre l’ombre et la lumière chez le premier ; création de l’opéra moderne pour le second. L’aube baroque, en ce début du XVII ème siècle est marquée par la convergence de nouveaux modes d’expression.

1. Rome, 1592. Aucune autre période que les dernières années du XVI ème siècle n’ont paru à ce point être au diapason d’une même sensibilité porteuse d’espoir et de cohérence, autant intellectuelle que culturelle.
Pour Caravage, qui quitte Milan et arrive à Rome en 1592, ce phénomène fait d’autant plus poids. On imagine avec peine, le jeune peintre âge de 21 ans, isolé, solitaire, sans contacts féconds. Les riches commanditaires de la ville Éternelle attirent tous les artistes européens. Rome regroupe déjà de très nombreuses colonies d’artistes : peintres, décorateurs, musiciens et architectes de toutes les nationalités.

Le premier chantier artistique de l’Europe. Investie par l’esprit de la Contre-Réforme, la ville des Papes est un creuset bouillonnant où se croisent les plus grands talents. Elle suscite le plus vaste chantier artistique qu’une impérieuse volonté d’Évangélisation, mystique et populaire, anime. Cette ambition prépare le visage de la cité baroque. C’est une nouvelle Athènes qui renaît sous le compas des architectes.
Telle agitation est ancienne. Rome a construit son mythe depuis les empereurs de l’Antiquité auxquels semblent succéder les pontifes depuis la Renaissance. Bramante, Michel-Ange, Raphaël, Jules Romain, Sansovino, les San Gallo, Domenico Fontana et Vignole, stigmatisent la migration des génies de l’art vers l’éclatante Cité pontificale. A l’aube du Seicento (XVII ème siècle), l’attraction de Rome n’a pas faibli. Au moment où paraît Caravage, le pape Clément VIII Aldobrandini dont la famille sera mécènes de ses oeuvres, est élu le 30 janvier 1592. La fastueuse métropole excite encore le génie des plus grands artistes dans toutes les disciplines. Carrache, Maderno, Borromini puis Bernin donneront à la ville baroque sa forme enchanteresse particulièrement spectaculaire en 1630.

Le foyer musical. On oublie souvent quíaux côtés des architectes et des peintres, Rome grâce à ses très nombreuses fondations religieuses, est le coeur palpitant de la liturgie musicale. La mort de Palestrina (chef de coeur de la Capella Giulia depuis 1571), et celle de Lassus marquent assurément la fin d’un style et d’une époque. Celle de la polyphonie, et aussi la fin de la culture maniériste à laquelle elle est liée.
Emblématique, la musique se donne à Saint-Pierre selon l’orthodoxie palestrinienne qu’aucun n’ose encore transgresser, ou du moins de façon très sensible (surtout depuis que le Concile de Trente a déclaré le style de Palestrina, « stilo ecclesiastico »), en particulier dans les oratoires, lieux désignés pour les exercices spirituels musicaux. Le plus célèbre demeure celui où oeuvrera Carissimi, l’Oratoire de San Crocifisso.

Aucune Étude n’a eu pour objet l’évolution de la musique liturgique romaine à l’aube du XVII ème siècle, en particulier, ne s’est intéressé à la musique postpalestrinienne, au goût musical des papes baroques, à partir de l’avènement de Clément VIII Aldobrandini. Accompagnant hors de Rome, le passage de la polyphonie à la syntaxe monodique, Viadana et Monteverdi, à Venise illustrent les premières expériences réussies de la liturgie baroque. Les Vêpres de la Vierge du second rassemblent une somme de partitions d’autant plus inventives, mêlant stilo antico et moderno qu’il s’agit pour son auteur de démontrer la palette de ses possibilités artistiques, en 1610.
A Rome après la mort de Palestrina, ses élèves poursuivent l’oeuvre du « père », en particulier Nanino et Soriano, le respect des exécutions « a capella » (sans instruments), dit la résistance absolue au mode instrumental proprement baroque. Sartorio qui sera maestro di capella à Saint-Pierre, achève l’entreprise de révision du plain-chant commencée par Palestrina et consignée dans l’Edito Medicaea. Emblématique des dispositions nouvelles liées à l’époque qui savent s’adapter sans modernité profonde aux nouvelles données esthétiques, Soriano transpose aussi pour double choeur, la Missa papae Marcello de Palestrina afin de l’accommoder à la nouvelle nef de Saint-Pierre.

Saint-Louis des Français
. Plus intéressant, Allegri dont le Miserere de 1638, indique une évolution sensible de l’écriture romaine baroque, rentre dans notre champ d’analyse de l’oeuvre du Caravage et de son contexte. Allegri commence sa carrière comme choriste (dès 1591, c’est-à-dire au moment où le peintre arrive à Rome) à Saint-Louis des Français et s’y illustre comme ténor, de 1601 à 1602. Soit peu de temps après que Caravage ait peint le décor de la Chapelle Contarelli sur le sujet de Saint-Matthieu. En l’état actuel des recherches, une place particulière revient à Orazio Benevolo qui fit ses premières armes à Saint-Louis également : il devait même y revenir comme maestro di capella en 1638. Son oeuvre opère en douceur la réforme de la liturgie pontificale dont la réponse au baroque s’exprime dans l’extension du tissu choral.

Eglises de Rome
. La phalange croissante des églises de Rome qui se bâtissent alors, témoigne de l’éclat de la ferveur. Les fondations religieuses, leurs instituts pédagogiques, suscitent autant de foyers qui emploient artistes et bâtisseurs. Les collèges jésuites assurent à l’égal des ospedale de Naples et de Venise, la formation des jeunes musiciens, instrumentistes et chanteurs. Ils assurent aussi l’éducation conforme des auteurs sacrés, promoteurs du dogme catholique romain. Prestigieuse entre toutes, l’institution du Collegium Germanicum et la basilique Saint-Appolinaire qui lui est rattachée, attirent les jeunes talents. Landi y est sopraniste en 1595, puis Carissimi, directeur musical jusqu’à sa mort.


Le mécénat des princes
. Mais il faut aussi compter l’activité des salons princiers, dont l’activité se déroule dans les innombrables palais, en construction ou en aménagement. Le mécénat des princes-cardinaux éclaire en particulier l’époque du Caravage. Corelli à la fin du Seicento, soit en 1675, fournit encore la musique officielle des souverains et des princes romains, témoignant tardivement d’un foisonnement de l’activité musicale, constante depu
is l’époque du Caravage.
Un nouveau monde se précise. Ne faut-il pas voir dans la terminaison spectaculaire de la coupole de Saint-Pierre par Giaccomo della Porta (1593), selon les plans fixés par Michel-Ange, – comme la coupole de Santa Maria delle Fiori à Florence, achevée par Brunelleschi, avait cristallisé le printemps de la Renaissance-, l’orgueil de « la nouvelle Athènes baroque »?
De ce point de vue, tisser des liens entre la peinture du Caravage, en particulier les tableaux de la première période romaine, et le milieu musical qui lui est contemporain, nous semble révélateur.

2. Premiers indices
Entre la peinture du Caravage et la musique, plusieurs indices soulignent des points de conjonction. Tout d’abord, des musiciens, instrumentistes et chanteurs, figurent dans son oeuvre. Ces figurations iconographiques stimulent notre regard.
D’autre part, l’œuvre du peintre s’intègre dans un vaste chantier d’idées, de découvertes capitales pour lui, fécondes et innovatrices qu’il absorbe et accompagne jusqu’à leur pleine résolution. A Rome, il débute par les figures et les natures portes. Puis proche des exigences conquérantes de la Contre-Réforme romaine, Caravage entreprend ses premières compositions sacrées. Son style souhaite émouvoir, édifier, convertir. Dans ce but, le peintre apporte l’originalité de la peinture dal naturale, d’après le modèle vivant.
Le cycle des grands mystères picturaux de Saint-Louis de Français (vocation et martyre de Saint-Mathieu, 1599-1600), et de Santa Maria del Popolo (conversion de Saint-Paul et crucifiement de Saint-Pierre, 1601) insistent à l’aube du Seiceinto sur la réforme fondamentale engagée par le pinceau de l’artiste. C’est l’époque où les musiciens florentins opèrent la même révolution du langage musicale. Bientôt naîtra l’opéra, nouveau drame, encore aristocratique et réservé à l’élite, quand les tableaux du Caravage peuvent être admirés par le tout venant. La révolution esthétique qu’il impose, s’affirme grâce à un audacieux naturalisme, sans bienséance ni conformité, totalement inédit. Ce retour au naturel, pourtant recomposé, sublimé par une lumière dont les contrastes ne peuvent avoir été observés que dans l’atelier, à la lueur des chandelles, cette affirmation du réel donc, d’une scandaleuse vérité, inspire son style, dont la sincérité est immédiatement intelligible.
Ici l’incarnation lisible dans le réalisme des mains, des tissus, des visages, le refus de l’idéalisaiton au profit de l’expression directe des émotions affirme aussi la voix du peintre, son individualité d’homme et d’artiste.
Si l’individu paraît sous le pinceau du Caravage, le chant d’une humanité plus consciente d’elle-même, à l’échelle de l’individu justement, s’exprime parallèlement avec l’éclosion du chant monodique, à une voix. Passions de l’âme et des affettis se lisent sur les toiles du Caravage, s’entendent grâce aux partitions nouvelles de la secunda prattica, intense et dramatique des compositeurs Caccini, Peri surtout du maître à venir, Monteverdi.

Le réalisme populaire des modèles choisis par Caravage dans la rue suscite une adhésion sans obstacles et sans artifices visuels. Le peintre représente les types du peuple romain, jeunes et vieillards, imposant de nouveaux canons. Peinture et musique, retables et oratorios sont les armes de cette propagande religieuse nouvelle, éléments décisifs dans l’action des ordres. Grâce à l’appui de ses protecteurs, Caravage entretient des liens réguliers avec les confréries les plus novatrices de Rome en particulier, les oratoriens dont le fondateur, Philippe Neri a créé le cadre qui produira oratoires et oratorios.

L’œuvre sacrée du Caravage s’inscrit dans ce contexte liturgique dont l’architecture, la peinture et la musique constituent le triptyque d’une seul et unique programme. L’oratorio est un genre musical promis à un avenir plus tardif : son premier exemple, la Rappresentazione di Anima e di corpo, composé par Emilio da Cavalieri, lequel travaille à l’Oratoire de Philippe de Neri, vers 1580, ne sera créée qu’en 1600. Il faut tout le génie des compositeurs nés après 1590 (exception faite de Stefano Landi né en 1586) pour donner au genre sa chair mystique et sensuelle, telle qu’elle se dévoile grâce aux frères Mazzocchi (Domenico, 1592-1665, et Virgilio, circa 1605-1662). On peut donc conlure que la peinture du Caravage, visionnaire et avant-gardiste, précède les futurs oratorios musicaux.

Hélas, sur les amitiés du peintre, ses rapports exacts avec les musiciens de Rome, nous ne possédons aucun témoignage. Lui-même au cours des interrogatoires qui suivent les nombreux incidents de rues auquel il participe, garde le silence. Lorsqu’il lui est demandé de livrer ses complices, il se tait : aussi difficile et caractériel fut-il, l’homme ne manquait pas de loyaté. Alors Caravage, ami des musiciens de Rome ? L’idée est fascinante et notre question légitime. Quels sont ces musiciens actifs dans les milieux que le peintre fréquente ? La question demeure sans réponse.

Le statut du peintre. Le peintre reçoit une véritable initiation musicale grâce à l’action de ses protecteurs. L’opulente et cosmopolite Rome est un pôle d’émulation où la concentration des commanditaires, des amateurs et des collectionneurs suscitent dans l’esprit des artistes, l’espérance d’une carrière florissante et pour les peintres, la possibilité comme l’a ambitionné et réalisé, au siècle précédent Titien, la possibilité « d’anoblir le métier ». Si les musiciens avant Mozart sont ravalés au rang ordinaire des domestiques, soumis aux caprices de leurs « proctecteurs » et employeurs, les peintres dès la Renaissance, en particulier en Italie, savent négocier pour leur confort et leur dignité, un statut bien à part.
Le Seicento a nourri dans l’imaginaire de chacun, le rêve de réviser le statut du peintre. Caravage portait l’épée. Ce port illégal, privilège des nobles, lui valut plusieurs arrestations. Après lui, Poussin auquel son art fut si souvent opposé dans les querelles esthétiques, perpétuera, comme Rembrandt, Vermeer et Rubens, Vélasquez et Van Dyck, chacun selon sa sensibilité et son art, cette souveraine ambition. Peu à peu, le prince-artiste prend conscience de sa valeur. Il impose son style auprès des élites, il influe sur le goût des amateurs et des collectionneurs de plus en plus nombreux. Le XVII ème siècle est aussi le siècle où le marché de l’art se constitue. De nouveaux amateurs se délectent dans la contemplation érudite des tableaux de chevalet. Un cercle étroit de lettrés marque une avidité croissante dans la possession et la commande des toiles de grands maîtres : se délecter de la touche des plus grands créateurs, dévoiler ses trésors à ses visiteurs permet au propriétaire d’en tirer prestige et gloire. Peinture et dessins, sculptures et objets d’art, mais aussi naturalia et artificalia sont les trophées des cabinets de curiosité et des galeries des amateurs fortunés, des grands princes baroques. Le renom puis la côte des peintres apparaissent alors. Une telle prétention artistique ne souhaite-t-elle pas affirmer la dignité de la peinture malgré le jugement défavorable qui persiste depuis la philosophie platonicienne, pour laquelle rien ne veut au Parnasse, cette académie des arts et du goût héritée de l’Antiquité, que la souveraine musique, celle délivrée par la lyre d’Apollon, ainsi que l’éloquence des poètes?

Le sujet de la peinture au XVII ème siècle, est d’égaler musique et poésie.
Ut
pictura poesis
: la peinture est aussi une poésie. La sentence est une proclamation qui est le credo de tous les grands peintres. Le langage des couleurs et du dessin vaut bien celui des poètes classiques : Homère, Virgile, Horace et Ovide mais aussi des dramaturges: Eschyle et Euripide. Vermeer, Velasquez, Poussin, mais aussi Caravage avant eux, empruntent la voie tracée par leur modèle, Titien.

C’est pourquoi, initiés aux valeurs de la poésie arcadienne où la musique exprime l’harmonie universelle, les peintres baroques s’approprient motifs et sujets musicaux afin d’en tirer indirectement un bénéfice esthétique profitable au métier. Avant de dévoiler son génie, le jeune Caravage découvre dans ces années formatrices un monde idéal, cultivé et fastueux, dont la musique est, avec la peinture, le sujet du goût des amateurs connaisseurs de poésie et de sciences.

Illustrations
Caravage, autoportrait
Vatican, la coupole de Saint-Pierre
Caravage, la vocation de Saint-Matthieu, jeune homme.
Caravage, portrait d’Alof de Vigancourt, le jeune page.
Caravage, instruments de musique (fragment de l’Amour)
Caravage, le concert (fragment).

Edouard Lalo, Fiesque (1868), création mondialeFrance musique, le 27 juillet à 20h30

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Celui qui joua si souvent les quatuors de Beethoven, sut toujours renouveler son inspiration lyrique en dehors de la vulgarité et de la facilité : par la voix de Monsieur Croche, figure littéraire imaginée par Debussy, se précise l’exigence musicale du compositeur Edouard Lalo.
Le compositeur né en 1828 et mort en 1892, marque plus que l’on ne pense l’écriture musicale en France au XIX ème siècle. Or que savons nous de lui ? Peu de choses. Qui pourrait retracer précisément sa carrière au théâtre?

Lalo laisse le souvenir d’un homme intègre et discret, quoiqu’il défendit, en fier républicain, avec coeur et détermination, ses idées politiques. Fiesque, inspiré de Schiller, indique sa volonté de défendre la liberté contre l’oppression des tyranies déguisées. Il cultive un certain retrait social mais sait aussi entretenir de solides amitiés (Chausson, Franck, Bizet, Chabrier). Critique difficile, Lalo habité par un idéal musical sans complaisance est un lettré. Son premier biographe, Georges Servières, synthétise avec un sens de la formule éloquente mais avec justesse, l’impression générale d’une œuvre à redécouvrir : l’historien parle de sa couleur. Son écriture est pour lui, « un coup de soleil dans la musique française ».
Lalo est séduit par la texture des compositeurs germaniques, sans pour autant succomber totalement au wagnérisme ambiant. Admirateur de Beethoven, Schumann, Schubert et Mendelssohn, le musicien écrit de superbes pages de musique de chambre. L’alchimiste du dialogue intimiste et de la conversation en musique se révèle également un habile orchestrateur, en digne disciple de Berlioz : en témoignent sa Symphonie Espagnole (1873) et son concerto pour piano en fa (1888).
Sur la scène, Fiesque composé entre 1866 et 1868, inaugure une carrière lyrique dont le chef–d’œuvre reste Le roi d’Ys (1876-1879). Dans la constellation dramatique, il s’éloigne de Wagner, fustige Thomas, mais le compositeur admire Berlioz.

Fiesque, génèse. La période où Lalo débute l’écriture de Fiesque est des plus heureuses. Il vient d’épouser un riche parti, à 42 ans : Julie Bernier de Maligny, le 6 juillet 1865, fille de colonel. En outre, la nouvelle épousée, possède un beau timbre de contralto. C’est d’ailleurs à son épouse que Lalo dédie son nouvel opéra, Fiesque.
Il a très vite dénoncé l’hypocrisie politique du Second Empire. Napoléon le petit est un usurpateur. Inspiré par la conspiration de Fiesque de Schiller (1782) qui réécrit un fait historique dont le cadre est la Gênes de XVI ème, Lalo développe explicitement dans son œuvre sa conception politique qui est un manifeste clairement républicain. Autant de traits sans équivoque d’un engagement que sont fils, Pierre, monarchiste, s’est ingénié à cacher durablement.
Avec Charles Beauquier, Lalo concentre la pièce de Schiller, de cinq … à trois actes, réadapte les caractères, simplifie l’action. Mais le sujet principale demeure, fidèle au dessein de Schiller, la défense des libertés.


Le sujet.
Fiesque, jeune comte aux apparences frivoles, cache en vérité un ambitieux tyranique qui rêve de devenir Doge de Gênes. Il profite des élans de la foule contre les doges en place ( en particulier Gianettino). Son épouse, Léonore tente d’adoucir son désir de conquête et de reconnaissance. Jeunesse et emportement voire violence passionnelle indiquent malgré la réécriture des français, la persistante énergie sanguine du Schiller de 22 ans, alors auteur du roman source.
Mais au terme de la conjuration, l’issue emporte les fomenteurs de la rébellion, et ce sont surtout les détenteurs de la sagesse et de l’expérience qui recueillent les vrais trophées (Andrea Doria et le vieux Verrina).
Au final, Fiesque ne fut jamais représenté dans son intégralité. Seuls quelques airs par madame Lalo furent joués par l’orchestre Colonne à Paris.

France musique
Le 27 juillet à 20h30.

Soirée lyrique en direct du festival Radio France et Montpellier
Jusqu’à 22h58. Prima la musica
Présentation : François Hudry

en direct de l’Opéra Berlioz-Le Corum
Festival de Radio France et Montpellier
Languedoc-Roussillon
en simultané avec l’Union Européenne de Radio

Edouard Lalo,
Fiesque
(1868)

Opéra en trois actes sur un livret de Charles Beauquier
d’après
la conjuration de Fiesque de Friedrich Schiller (1782)

Version concert
Création mondiale

Roberto Alagna : Fiesque
Angela Gheorghiu : Léonore
Béatrice Uria-Monzon : Julie
Franck Ferrari : Verrina
Jean-Sébastien Bou : Hassan
Armando Gabba : Borgonino
Vladimir Stojanovic : Gianettino
Ronan Nedelec : Romano
Alexandre Swan : Sacco

Chef de choeur : Sigvards
Klava Choeur de la Radio Lettone

Orchestre National de Montpellier
Direction : Alain Altinoglu

illustrations
Titien, portrait du doge Andrea Gritti
Portrait de Friedrich Schiller
Portrait d’Edouard Lalo

Genoveva,l’opéra selon Robert Schumann

Le 29 juillet 2006 marque les 150 ans de la mort de Robert Schumann. Pour souligner l’événement et défendre l’oeuvre, encore méconnue, d’un génie romantique, nous nous sommes interrogés sur l’enjeu et la genèse de son unique opéra, Genoveva.
L’oeuvre est d’autant plus oubliée que personne ne s’étonne plus aujourd’hui de son absence générale sur la scène lyrique. Or la partition est d’une beauté exceptionnelle qui mérite assurément d’être réestimée.
Après Mozart, Schumann rêve de poser les bases de l’opéra allemand. A Dresde, il s’obstine enfin à produire son seul et unique opéra, Genoveva. Mais la place est déjà investie par un dramaturge plus passionnel que lui, d’un tempérament déjà reconnu et applaudi dans la capitale de la Saxe, avec Rienzi, Le vaisseau fantôme et Tannhäuser : Richard Wagner. Leur proximité à Dresde indique l’effervescence exceptionnelle qui marque les années 1840 : c’est là que s’est jouée l’éclosion de l’opéra romantique allemand. Non pas seulement historique, mais dans le sillon tracé par Mozart, Beethoven et Weber, fantastique et féerique, naturaliste et psychologique. Sur le thème d’une épouse vertueuse humiliée, inspirée de la légende médiévale de Genneviève de Brabant, Schumann édifie dans la suite du Fidelio de Beethoven et aussi de l’Euryanthe de Weber, une apothéose de la fidélité conjugale. Dans le duo scénique Siegfried/Genoveva, il faut voir la figure du couple, Robert/Clara.
A Dresde, aux début des années 1840, aux côtés de Wagner, Schumann participe à la germination du drame musical allemand. Lohengrin/Genoveva, deux œuvres maîtresses et jumelles pour la naissance d’un drame national.

Préliminaires. Schumann a toujours eu la dent dure et même impitoyable vis-à-vis de ses confrères dramaturges. Qu’on apprécie ou non son opéra Genoveva, on doit reconnaître que ses jugements affûtés voire critiques à l’égard de Meyerbeer (Les Huguenots), Donizetti (la Favorite), Rossini en général, et même Wagner (d’abord intransigeant sur Tannhäuser, Schumann sera plus doux après avoir assisté à une représentation scénique) soulignent et le tranchant du critique, et l’exigence du compositeur : tout indique en Schumann, le créateur idéaliste, d’une rigueur supérieure, surtout exigeant à propos de la musique, scrupuleux sur l’orchestration. La cohérence dramaturgique lui échappe quelque peu. C’est d’ailleurs sur ce seul registre que l’on peut émettre des réserves sur son unique opéra.

D’une manière générale, Genoveva est devenue une affaire délicate, une œuvre connue mais peu appréciée, une partition au statut bancal. La nature même de son écriture, liée au tempérament plus littéraire que théâtral de l’auteur (qui rédigera au final lui-même son livret) explique en partie cette difficulté à lui reconnaître une valeur immédiate. Genoveva gagnerait cependant à être comparée aux œuvres nouvelles, à la façon de la Damnation de Faust de Berlioz, qui porte le sous-titre de « légende dramatique » et que l’auteur destinait au concert, non à la scène. De fait, la musique de Genoveva est une totalité agissante qui impose au devant de la scène, à l’égal des voix solistes, la masse orchestrale qui chez Schumann, est d’une incomparable finesse expressive.
A ce titre, la partition doit être appréciée dans un contexte musical qui recherche de nouvelles formes dramatiques, inspiré par l’esthétisme romantique, qui l’éloigne de la machine lyrique académique, plutôt historique. Schumann participe de ce mouvement, et même s’il ne laisse qu’un ouvrage lyrique aux côtés de Wagner lequel à la même période (Lohengrin) affine sa conception de l’opéra romantique allemand, Genoveva demeure une étape primordiale sur le plan musical, et dans la carrière de Schumann (qui dans son Faust à venir, marquera sa préférence pour la forme « oratorio »), et dans l’histoire de l’opéra allemand.

Eclosion d’un opéra romantique allemand. Mozart, visionnaire et moderne avait œuvré pour que s’affirme malgré la préférence italienne, un drame lyrique spécifiquement allemand. L’enlèvement au sérail (1782) puis, La flûte enchantée (1791) montrent combien il était possible pour le public germanique d’applaudir un spectacle abouti. Mais l’Empereur à Vienne, Joseph II, demeura italophile.
Pourtant la fin du XVIIIème siècle est incontestablement marquée par la nécessité et l’éclosion progressive d’un opéra allemand. Eclosion d’un drame national car ici, la musique véhicule aussi des enjeux politiques. L’opéra allemand nouveau était radicalement rejeté par les aristocrates plutôt italophiles quand les bourgeois, plus sensibles à l’idéal nationaliste, encouragent sans ambiguité, l’opéra allemand. De fait, après Mozart, Beethoven (Fidelio, révisé par trois fois) surtout, Weber (Freischütz, 1821) démontrent pas à pas l’affirmation de l’opéra allemand dans la première moitié du XIX ème siècle.

Vienne historiquement impériale, restera longtemps la plus résistante à l’endroit de l’opéra germanique. C’est Dresde qui indique la voie de l’avenir et l’ouverture culturelle du théâtre lyrique. C’est d’ailleurs dans la capitale de la Saxe, que Wagner et Schumann composent chacun indépendamment de l’autre, pour que naisse l’opéra romantique allemand. Dresde applaudit le Don Juan de Mozart, en allemand. Sous l’impulsion de Weber, jusqu’à sa mort en 1829, le drame national se précise et s’impose durablement dans l’esprit des compositeurs. Mozart, Beethoven, Weber : les modèles ne manquent pas.
Wagner établi à Dresde dès 1843, illustre durablement la réussite du genre : Rienzi, Tannhäuser sont créées dans le théâtre de la Cour saxone. Il y compose Lohengrin. C’est l’auteur du Vaisseau fantôme également, qui prononcera le discours accueillant les restes de Weber, mort à Londres, rapatriés à Dresde, en 1844.

Schumann à Dresde
. Schumann aborde en 1843, le cadre symphonique et lyrique avec La Péri, vaste fresque musicale, féerie exotique, sans réalisation scénique. La musique est, et porte l’action.
En 1844, Schumann se fixe à Dresde… il a déjà en tête son Faust mais il ne manque pas, dès son arrivée, de se recueillir sur la tombe de Weber. Weber qui faillit être son professeur, si ce dernier n’était pas parti à Londres justement. Schumann et Wagner se fréquentent, passent même de longues soirées à discuter la forme de l’opéra romantique à venir.
Avec Le Vaisseau Fantôme, Rienzi et Tannhäuser, Wagner a démontré sa maîtrise dans le genre lyrique historique et fantastique. Mais il est sur le point d’accoucher de Lohengrin, oeuvre autobiographique qui en mettant en avant, la malédiction et la solitude du créateur, annonce la dramaturgie à venir, celle de l’Anneau du Nibelung.

Schumann/Wagner : deux conceptions pour un opéra. Leur conception diverge. Wagner reprochera souvent à Schumann, son absence de parole, sa conversation muette, quand Schumann déclare à maintes reprises, à propos de son interlocuteur, en 1846 : « Wagner est impossible, c’est certainement un homme spirituel, mais il ne cesse de parler. On ne peut tout de même pas parler sans arrêt ». Sur Tannhäuser, Schumann s’est exprimé en 1847 : « il est certain qu’il a une couleur géniale ». Alchimiste des climats intérieurs pour piano seul, conteur inégalé aussi dans l’art du lied, Schumann profite du climat d
resdois pour édifier lui aussi sa propre conception de la dramaturgie. Très vite, l’idée d’un opéra le hante. Mais il est l’homme réservé, l’auteur de l’élipse, de la suggestion, celui qui exprime la totalité de l’action et de l’essor psychologique non sur la scène, mais dans la musique.

Genoveva, l’opéra selon Schumann. Schumann retrouve avec l’histoire de Geneviève de Brabant, extraite de la légende médiévale et de l’histoire allemande, un thème déjà traité par Beethoven, celui de la fidélité conjugale, du courage et de la dignité de l’épouse vertueuse. Le contexte chevaleresque est proche du Lohengrin contemporain de Wagner ; il y est même question de fantastique et de forêts magiques à la façon d’Euryanthe de Weber.
Même s’il fréquente Wagner alors en pleine gestation de Lohengrin, Schumann affirme sa filiation avec Weber, son vrai modèle.
En septembre 1847, les représentations d’Euryanthe le plonge dans un état de féerique inspiration : « tout est extrêmement riche d’idées, magistral ».
Et même si cette conception du drame a plus de 20 ans, Schumann s’y retrouve davantage que dans la musique de son confrère, Wagner.

Lohengrin/Genoveva. Schumann en écoutant en 1846, la partition de Lohengrin de Wagner, déclare avoir eu l’idée déjà ancienne de traiter musicalement le même sujet.
Outre le sujet médiéval et le rapport de l’homme à la femme, les deux ouvrages appartiennent bien à la même époque. Mais ce qui est éloquent, c’est leur manière diamétralement opposée, leur conception esthétique divergente. Si Wagner établit clairement l’impossibilité du couple Lohengrin/Elsa, Schumann proclame tout l’inverse, porté par son bonheur conjugal et l’amour de son épouse Clara : c’est bien l’accord du mariage, et la vertu de l’épouse finalement reconnue qui triomphe dans Genoveva. Si Elsa, héroïne romantique par excellence est dominée par ses angoisses et le doute, Genoveva ne perd jamais la foi : elle montre même dans les instants les plus tragiques et désespérés, une dignité surprenante.
La conception des caractères rapproche pourtant les deux œuvres : la sorcière Margaret rappelle l’influence maléfique d’Ortrud. Deux personnages noirs, admirablement conçus pour deux voix de mezzos sombres et envoûtants.
Bien différents, le profil des héros. Chevaliers tous deux, Lohengrin et Siegfried sont pourtant frères opposés : l’un est ténor, l’autre baryton. Quand le premier quitte sa promise (Lohengrin), le second revient pour la retrouver et réhabiliter son honneur bafoué. Deux mouvements inverses pour exprimer ici, deux conceptions de la vie et du monde, nettement contraires.
Au crédit de Schumann, avouons aussi que le personnage de Golo, l’amoureux écarté de Genoveva et l’instigateur maléfique du déshonneur éclaboussant la figure de l’épouse, est peint avec une palette musicale bien plus complexe que le trop aveugle Talramund de Wagner. Golo est ce anti-héros dont la souffrance profonde et les blessures savamment explicitées, suscitent compassion et pitié. C’est un être dévoré par la faiblesse et la jalousie. Révisons à l’aune de ce personnage, l’appréciation générale de l’opéra schumannien.

Impossibilité et crise chez Wagner, accomplissement et bonheur chez Schumann : l’opéra allemand n’a jamais tant connu de réalisations aussi magistrales que divergentes.

Dénouement. 1850, création de Genoveva et de Lohengrin. Dans son travail qui mêle le souffle de la fresque terrifiante et l’éclat d’une aurore de rémission, fluide et aérienne,- promesse de cet horizon pacifié auquel tend tout l’œuvre ?-, Schumann se souvient aussi de son ami Mendelssohn dont il regrette la mort, survenue en novembre 1847.
Le compositeur achève finalement la partition de Genoveva, le 4 août 1848, l’année des troubles politiques auxquels Wagner apporte son concours engagé. Schumann aura terminé la composition de son opéra après son compatriote dresdois, qui de son côté avait achevé Lohengrin la même année… depuis le mois d’avril.
Coïncidence répétée, les deux ouvrages, emportés comme leur auteur par l’insurrection de 1848, ne seront créés que deux ans plus tard, en 1850 : Genoveva à Leipzig (le 25 juin au Stadttheater sous la direction de Schumann), Lohengrin à Weimar (le 28 août au Hoftheater sous la direction de Liszt).
Comble du sort pour Schumann, il doit patienter avant de pouvoir diriger la création de son opéra à Leipzig. Provocation insupportable même, il est tenu d’attendre que soit représenté « Le Prophète » de celui qu’il déteste avant tout autre, Meyerbeer. Le théâtre a décidemment bien mal rendu hommage au talent du Schumann dramaturge. En 2006, Genoveva demeure toujours écartée de la programamtion des théâtres lyriques comme des salles de concerts.

Illustrations
Jacques-Louis David, Monsieur et madame Monguez (1812)
Antoine Berjon, panier de lys sur une commode (1814)
Baron Gérard, Madame Walbonne (1760)
Hippolyte Flandrin, Madame Flandrin (1846)

Approfondir
Lire aussi notre entretien avec Brigitte François-Sappey, auteur chez Fayard d’une biographie consacrée à Robert Schumann.

Genoveva, un opéra romantique (1847-1848)

Jusqu’en 1839, l’œuvre musicale de Schumann est pianistique et littéraire. L’homme s’évade et se projette dans l’irréel, la féerie, l’imaginaire. Le lied et les œuvres pour piano seul, témoignent d’une aspiration volontairement cultivée, en dehors du réel. Tout prépare l’avènement de l’orchestre et surtout de l’opéra qui dans sa pensée, fusionne davantage, création artistique, poésie et musique. C’est curieusement au même moment que Wagner et dans la même ville, Dresde, que Robert Schumann s’intéresse à la notion de scène lyrique. Spectacle total dont l’enchantement et l’action sont portés par le flux musical.


Elaborer un opéra romantique, en langue allemande.
Si l’homme aime tisser en images vaporeuses et inextricables, ses états d’âme, s’il cultive ce flottement imprécis et diffus des sentiments exprimés dans une musique aussi riche que la prose proustienne, les étapes de la création sont cependant très aisées à suivre. 1841 : éclosion de ses œuvres pour orchestre. 1842 : essor de sa musique de chambre. Il ne manquait plus dans les années suivantes, que la musique dramatique et vocale. Son unique opéra, Genoveva, créé à Leipzig, le 25 juin 1850, réalise l’ambition de Schumann, moins dramaturge que poète lyrique.

Après Mozart, à la suite de Weber, contemporain de Wagner, Schumann s’intéresse lui aussi à la conception d’un drame allemand : « Savez-vous quelle est ma prière du soir ? Elle s’appelle l’opéra allemand. Il faut réaliser cela… », écrit-il en 1842 à Kosmaly.

Comme Berlioz avait imaginer son Faust pour le concert, moins pour la scène au sens classique du terme, Schumann aborde l’opéra comme une œuvre musicale globale, où la musique devenue verbe prime toute action visuelle. C’est l’imaginaire suscité par le flamboiement nouveau de l’orchestre qui créé ici l’action, la catastrophe, sa résolution.
Il s’agit d’imaginer un équivalent esthétique à l’opéra italien et français. Mais une drame nouveau, romantique, résolument germanique.
Il est lui aussi tenté par le Faust mais sous une forme d’oratorio, comme il l’a réalisé avec La Péri, œuvre symphonique, moins théâtrale, mais sollicitant comme l’opéra italien, chœur et solistes.

Lecteur assidu des poètes et des grands dramaturges, de Jean-Paul, Hoffmann à Byron, Schumann évoque maints projets de sujets lyriques, autant de pistes qui révèlent une atmosphère culturelle dont l’aboutissement partagée est essentiellement lyrique.

En 1845, il écrit à Mendelssohn son étonnement après avoir entendu le Lohengrin de Wagner. Lui-même songeait au même sujet pour en faire un opéra ! Finalement, toutes ses ébauches doivent jétées au panier… La convergence des projets artistiques est indéniable. Mais leur différence stylistique allait démarquer les tempéraments, et affirmer la suprématie wagnérienne en la matière.

L’opéra selon Schumann. Pour Schumann, l’opéra doit découler du texte, en être le symptôme, le miroir privilégié. Ni accompagnement ni faire valoir mais double, ou pendant harmonique. Le chant des instruments, l’ivresse des voix sont traités sur un pied d’égalité, et mêlés, produisent la résolution du spectacle. Esthétiquement, Schumann s’écarte de Meyerbeer, il se rapproche naturellement de Weber.
Vis-à-vis de Wagner, il s’est souvent exprimé, nuançant ses réserves du début : il reconnaît une indéniable séduction scénique à Tannhäuser. Mais lorsque l’auteur de Lohengrin lui soumet quelques idées d’amélioration dramaturgique pour sa Genoveva, Schumann les rejette en bloc, certain de défendre seul, l’idée d’un authentique drame romantique allemand.
Si Wagner se soucie autant de cohérence musicale que d’unité dramatique, Schumann par tempérament et culture, privilégie surtout l’idée poétique. La trouvaille musicale prime sur la contingence scénique. C’est pourquoi l’on a tort d’évaluer, – comme on le fait toujours-, la réussite de son opéra Genoveva, sous le seul registre dramaturgique et théâtral.
Entre visuel et musique, théâtre et chant, Schumann, même si la notion d’action lyrique l’occupe, a choisi. L’essentiel de sa partition intéresse le concert plutôt que la scène.

Genoveva. Après avoir développé musicalement La Péri (1843), Schumann choisit finalement Genoveva comme sujet de son « opéra ». Il travaille sur ce nouveau chantier en 1847 et 1848. L’élaboration de l’œuvre à quelques semaines près, est strictement contemporaine du Lohengrin de Wagner.
D’après la tragédie de Hebbel, il a demandé à Reinick, la rédaction d’un livret. Mais le texte manquant de force, le compositeur, comme Wagner, écrit lui-même le texte dramatique. Il radicalise le personnage de Golo, révise la continuité de l’acte III, en particulier la scène du miroir et surtout, estompe la résolution tragique du sujet, préférant contre l’avis de Wagner, une fin heureuse, qui fait l’apothéose de la fidélité conjugale. Ses modifications esthétiques s’expliquent nous l’avons vu par le goût poétique et littéraire de Schuman qui préfère la narration, en cela proche du lied, à l’action proprememnt dite. En ce sens, Genoveva marque une extension de la forme symphonique associée à une trame narrative, amplification du principe initié avec La Péri. Il est vrai aussi, qu’adepte de l’oratorio, Schumann était resté très impressionné par la Première nuit de Walpurgis de son ami tant admiré, Mendelssohn (1843) qui lui avait indiqué, une résonance nouvelle pour l’écriture orchestrale.
De fait, après Genoveva, le musicien ne renouvelle pas ses essais dans la forme lyrique classique.
Il s’intéresse plutôt à poursuivre dans l’imaginaire du concert, une forme pleinement évocatrice, narrative, proche de l’oratorio, en une amplification orchestrale et vocale du lied, sur le thème de Faust.
Ce Faust qui le rapproche de Berlioz, l’occupe pendant toutes les années 1840. Avant Genoveva, il écrit la troisème partie (1844). Après Genoveva, il compose ensuite la première (1849) puis deuxième partie de Faust (1850), qui reste son chef-d’œuvre absolu sur le plan vocal.

Le sujet de Genoveva. Schumann que son amour partagé pour Clara a toujours inspiré et même équilibré, aborde avec Genoveva, l’image de la femme vertueuse, injustement condamnée, mais qu’un coup de théâtre, sauve, in extremis, de la mort et de la honte.
Il s’agit au travers d’une narration assez terne, de l’apothéose de la fidélité féminine, et après épreuves et châtiments, de la reconnaissance de la nature vertueuse d’une épouse humiliée.
La conception psychologique de Genoveva est beaucoup moins fouillée que celle de Lohengrin par exemple, opéra contemporain de Wagner. Si les deux ouvrages puisent dans la légende médiévale, leur point de convergence s’arrête là : déjà, Wagner explicite les thèmes récurrents de son théâtre, celui là même qui ira s’affinant avec l’œuvre à venir, le Ring : malédiction de l’homme, vertu rédemptrice de l’amour, opposition de la politique au bonheur des individus…
Lohengrin pour Wagner est l’illustration autobiographique de sa souffrance et de sa solitude, de son impossibilité personnelle à trouver la femme qui le comprend et l’aime avec une loyauté aveugle. Lohengrin, c’est Wagner, la figure éternelle et sublime de l’artiste en opposition avec la société de son époque, un héros incompris qui ne trouve pas encore d’égal, de pair, de semblable.

Dans Genoveva, rien de tel sinon l’anecdote d’une ép
ouse fidèle, attendant son époux parti en croisade, qui aurait été exécutée si le musicien n’avait tiré artificiellement de son inspiration, une issue bien peu vraisemblable.

Schumann pense la musique comme un poète et son unique opéra souffre d’un indiscutable déséquilibre dramaturgique. Mais la musique relève ici l’impression générale, elle compense ses faiblesses théâtrales, tant pour son premier essai lyrique, comme ce fut le cas de ses symphonies, son inspiration fulgurante et première est miraculeuse. L’ouverture comme de nombreuses pages extraites des quatre actes de son opéra, -prises hélas isolément-, sont de sublimes aboutissements romantiques.

discographie

Kurt Masur, 1976
Dietrich-Fischer Dieskau (Siegfried), Edda Moser (Genoveva), Peter Schreier (Golo)… 2 cds Emi.
Le seul enregistrement disponible en cd est de loin le plus convaincant. Difficile de réunir un plateau de solistes, psychologiquement aussi vraisemblable d’autant, comme nous l’avons dit, que la conception des caractères relève davantage de la légende anecdotique, que du grand opéra tragique (et pour cause puisque l’action s’achève sur une fin heureuse des plus convenues). Edda Moser « est » Genoveva. Kurt Mazur fait chanter l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig avec une sensibilité féérique qui rend justice à l’une des partitions les plus éblouissantes composées par Schumann.

illustrations

Baron Gérard, Marquise Visconti (1810)
Boilly, Une mère et son fils (1818)

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André Campra, RequiemFestival d’Art Baroque, le 26 juillet à 20h

Au programme du Festival d’Art Baroque de Saint-Maximin, le Requiem de Campra est une partition méconnue qui dévoile la maîtrise d’un musicien inspiré par l’opéra. Pour préparer votre soirée, voici l’essentiel de ce qu’il faut savoir de cette oeuvre capitale de la ferveur baroque.

La musique en France, au début du règne de Louis XV. La place d’André Campra (1660-1744).

Avant que le Romantisme ne fonde l’idée d’artiste inspiré, l’œuvre d’art était une réalisation collective, le fait de toute une civilisation, et une grande quantité d’excellents artistes y participait. Seules quelques personnalités aux caractères plus forgés trouvent aujourd’hui des admirations sélectives, tels Lully, Charpentier, François Couperin, Rameau, mais d’autres, comme Lalande, Brossard, Desmaret, Campra, n’ont pas moins écrits de chefs-d’œuvre aussi beaux, quelque fois même encore plus exceptionnels.

Le destin de Campra est lié, d’une certaine manière, à celui de Gilles. Celui-ci, de neuf ans son cadet, fut fauché par le destin, tandis que Campra put devenir maître de musique du Régent et connaître la Cour. Ils furent tous deux élèves dans le chœur de Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence, auprès de Guillaume Poitevin. Excellente école. Tandis que Gilles, après avoir laissé un Requiem qui le fit regretter de l’Europe entière, mourrait à trente six ans à Toulouse , Campra lui, quitta le Sud de la France à trente quatre ans pour Notre-Dame de Paris, puis succombe à l’opéra à partir de 1697, en créant « l’Europe Galante », « Tancrède », « les Festes Vénitiennes » et bien d’autres œuvres jusqu’à sa vieillesse. Il doit attendre – et ce fut là ce qui le brima aux yeux de la postérité – que Lalande adoucisse son monopole royal et renonce à trois de ses quartiers de sous-maître de la Chapelle Royale de Versailles. Notre provençal accède enfin au rêve des grands musiciens du temps et partage l’honneur d’avoir un quartier comme Bernier et Gervais. Bien que la dernière période de sa vie fut consacrée principalement à la production religieuse, il devient inspecteur puis directeur de la musique à l’Opéra, et donnera un dernier ouvrage lyrique, en 1735, « Achille et Deidamie ».

Style de Campra
Comme Gilles, Campra avait hérité de Poitevin, le goût d’une mélodie humble, belle et fraîche, une phrase claire, élégante, d’un charme infini, qui était déjà une main tendue vers l’Italie quoique le maintien français ne cessât jamais d’inspirer la moindre note de ce compositeur. Dans les premières œuvres, sa mélodie était incroyablement naturelle, presque naïve. L’opéra y ajoutera l’ampleur et la grande noblesse, le sens du théâtre et des effets italiens. Le sud de la France lui laisse aussi le goût de la polyphonie, des imitations : dans ses motets, on retrouve des basses continues qui s’amusent à répondre en imitation (à la manière allemande) du chant. Les fugues lui étaient en affection : il s’en montre aussi digne que les meilleurs créateurs de la littérature nordique qu’il devait connaître. Au final, l’esprit de Campra devait être ouvert et curieux, il précède les musiciens des Lumières et participe aux Goûts Réunis.


La légende du Requiem

Le fameux Requiem, composé dans les années trente, additionne les acquis d’une carrière théâtrale, fait la somme d’un tel parcours et en tire sa force. D’une expressivité en rien moins inférieure au Requiem de Gilles (plus spontané), il a, pour cette seule raison, subi la légende d’être en partie composé par Gilles, à qui l’on a attribué les séquences les plus naturelles, les moins lullistes, les moins guindées. Est-ce l’effet d’une contamination des deux œuvres dans les concerts ? La légende s’est construite, en tout cas, au mépris de la stylistique de deux époques séparées par un quart de siècle et par une ample pénétration des rythmes et des formules transalpines dans le langage français.


Un Requiem de lumière

L’œuvre débute dans une douceur éthérée que l’on a souvent comparée à celle d’un Fauré. Erreur ! Si l’on veut, à tout prix, commettre un parallèle anachronique, il faut faire appel à la douceur du début du Requiem de Verdi. L’œuvre de Campra, on ne le dira pas assez, est issue de l’opéra. C’est plutôt la tendresse du genre des tombeaux qui inspira Campra au début de son épopée sur la mort, tendresse héritière du modèle doux pour clavecin de d’Anglebert (tombeau de Monsieur de Chambonnières). Campra mène habilement son ascension théâtrale en allant de ce calme aux mouvements de la lumière avec la scansion du mot « luceat » véritable refrain. La lumière marquera toute l’œuvre de son empreinte : un Requiem de lumière.


Surprises et dissymétries

Usant de l’effet de masse et des soli dans un découpage certes hérité du motet lullyste, Campra joue pourtant sur l’attente de l’auditeur, perpétuellement surprise par les ruptures de symétrie, les nouveautés et les exotismes, italianismes, atmosphères de poncifs d’opéra. Mais le miracle est que tous ces effets restent bien appropriés au dramatisme du texte médiéval. Là, (Kyrie), les solistes vous envoûtent dans des mélodies sensibles, là (Sanctus) c’est un dialogue imitant à la voix, les jeux et les traditions des orgues, vite changé en récitatif martial de la basse lui même retournant, sur le même ton vainqueur au dialogue coloré avec le chœur (Hosanna). Tout d’un coup, (fin du Graduel) une ritournelle des cordes à l’unisson évoque l’univers vénitien de Vivaldi, tandis que plus loin (pour l’Offertoire) une mélodie centrée sur une note longue et expressive, typiquement lulliste, est bientôt animée par les battues de la basse frémissante et tragique comme dans une passion allemande, ou plutôt un concerto italien.


Un tableau d’opéra

L’Agnus Dei est le sommet du don mélodique de Campra. C’est un jardin enchanté issue d’une Armide, un sommeil où la flûte dialogue avec le songe du ténor, réponse irrésistible de l’instrument à vent, que seul Bach ou plus tard Gluck, surent ciseler. A lui seul, ce moment fait la réputation du compositeur, surtout lorsque le chœur apparaît : il y joue le même rôle que les chœurs de consolation au théâtre comme dans « Didon et Enée » de Purcell, ou dans les grands oratorios romains (Jephté et Jonas de Carissimi).
D’autant plus que par surprise, le chœur laisse surgir les interventions solistes du ténor, toujours accompagné par la flûte.


Couleur pastorale de la postcommunion

Il faut, dans la postcommunion, prendre garde de mal interpréter les intentions de Campra. « Lux aeterna » est entonné dans une sorte d’air à boire spiritualisé. Qui voudrait s’en offusquer doit se rappeler l’aria « Je me réjouis de ma propre mort » chantée par Siméon dans la cantate de Johann-Sebastian Bach. Le chœur apparaît sur de grandes basses statiques, à la fois l’expression d’un sublime religieux et une grande pastorale.
Campra en appelle aux forces de la nature. C’est une fête, certes sacrée, mais bien une fête de village. Ici rappelons encore que le siècle va vers les aspirations de Rousseau : la société a perverti l’homme, c’est dans la simplicité que réside l’élévation. Cette inspiration bucolique n’est pas sans rappeler, toute proportion gardée, l’univers de Beethoven, celui de la Symphonie Pastorale mais aussi de la Messe solennelle et du chœur final de la Neuvième Symphonie. C’est aussi, en restant dans la chronolog
ie, un pas vers le naturalisme de Michel Corrette et le figuralisme des Eléments de Rebel (Chaos, Eau, Feu), sans omettre la sensibilité atmosphérique du Vivaldi des Quatre Saisons, alors très connues en France.


Une fugue finale et humaniste

Vision du bonheur sur terre comme dans le ciel, très fortement liée au repos de la mort, l’œuvre s’achève par une grande et vigoureuse fugue, comme, étrangement d’ailleurs, beaucoup d’œuvre à dimension philosophique – n’en donnons que quelques exemples (sans compter Bach) : sonates et quatuors de Beethoven, « Falstaff » de Verdi, etc. Un geste théâtral – d’un grand maître de la scène évidemment – est cet arrêt brusque, quelques mesures avant la fin, respiration saisissante sous forme de ritournelle orchestrale figurant une chute. L’idée fut habilement camouflée dans le fil du discours auparavant pour s’imposer subitement, maintenant à l’auditeur. Par ce « Deus ex machina », Campra concentre l’attention de l’auditeur vers l’intimité des derniers mots. Il exprime ainsi, presque à la première personne du singulier, un amour pour l’humanité.

Illustrations
Watteau, les deux cousines (dr)
Rubens, paysage du soir à l’oiseleur (dr)
Watteau, la fête villageoise (dr)

Entretien avec Arnaud Marzorati

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La voix, le corps. Un chanteur qui travail autant le geste que l’impact du verbe. Arnaud Marzorati est un baryton enchanteur qui cisèle l’art du chant baroque mais aussi s’ingénie à dévoiler la geste des paroliers du siècle dernier. Entretien.


Quel est la production parmi vos derniers projets qui vous laisse le meilleur souvenir et pourquoi ?

Sans aucune hésitation, le Bourgeois Gentilhomme de Lully et Molière auquel j’ai participé avec le Poème harmonique sous la direction de Vincent Dumestre. L’expérience est exceptionnelle parce qu’elle réunit toutes les disciplines de la scène : la musique et le chant, la danse et le théâtre. J’y incarne différents rôles. Mais le personnage le plus important que je joue est le Grand Moufti que Lully a incarné pour la création de l’ouvrage au XVII ème siècle. Nous venons de présenter le spectacle dans plusieurs pays de l’Est, à Budapest, en Serbie… L’accueil a été extrêmement chaleureux. Je crois que le français baroque que nous chantons et déclamons, cette langue reconstituée apporte une saveur particulière.
Pour l’interprète, la comédie-Ballet, genre laboratoire, intermédiaire, mi théâtral mi vocal, nous permet d’épanouir pleinement notre jeu, comme acteur et comme chanteur. C’est très stimulant.


Sur quels projets travaillez-vous ?

Un opéra sacré du XVIIème siècle italien, La vita humana de Marazzoli, toujours avec le Poème harmonique et Vincent Dumestre, ainsi que Benjamin Lazar qui nous dirige sur le plan de la gestuelle. Nous en donnerons la création à Utrecht en septembre prochain, ensuite dans le cadre du festival d’Ambronay. J’y incarne il Piacere, le Plaisir. Il s’agit d’une œuvre qui appartient au milieu musical romain où elle fut créée en 1664. L’humain y est écartelé entre plusieurs valeurs : il y a donc le plaisir, mais aussi la faute, la raison et l’innocence. Nous sommes cinq chanteurs. Nous donnerons l’ouvrage avec une mise en espace, c’est pourquoi nous sommes amenés à travailler notre jeu de scène. Cet aspect du chant me passionne.


Quel est la difficulté principale de votre travail sur la gestuelle ?

Retrouver un naturel, une aisance, une sorte d’évidence dans le chant et par le jeu scénique. La gestuelle est une notion souvent sous-estimée : elle est fondamentale pour le chant baroque.
C’est d’autant plus difficile pour le chanteur que nous avons tendance à surajouter par le chant. Or l’objectif est d’écarter ce qui est ampoulé, superfétatoire, emphatique. Il faut toujours garder une certaine distance. Vous voyez que cela n’est pas évident.


Vous avez enregistré un album consacré aux chansons de Prévert et de Kosma. Pouvez-vous nous parler de ce programme ?

J’ai beaucoup travaillé à ce projet. Nous l’avons donné avec Gersende Florence, soprano, qui est ma partenaire, à l’Opéra de Lille, à la Péniche Opéra. Ce qui m’a intéressé c’est d’aborder chaque mélodie sur le plan de la théâtralité. Nous avons conçu pour le récital, là aussi, une mise en scène. Toutes nos idées partent des textes. L’univers surréaliste qui est évoqué, nous a donné les clés de notre approche. Prévert lui-même avait créé son groupe, « Octobre », pour composer des pièces résolument absurdes. Il les a jouées devant des ouvriers. J’aime travailler dans cette frontière, entre la scène, le jeu scénique et le chant, en s’appuyant sur la richesse et le sens des mots.



Vous avez constitué votre propre ensemble. Pouvez-vous nous parler de ce projet?

Avec mes complices, le ténor, Jean-François Novelli et le claveciniste, Bertrand Cuiller nous avons créé notre ensemble en 2004 et l’avons appelé « les Lunaisiens » en référence à Raymond Queneau, un écrivain que j’estime beaucoup. Tout notre travail est concentré sur les notions de chant et de théâtralité.
Nous avons dans ce sens un projet sur Bastien et Bastienne de Mozart. Nous préparons en ce moment un programme consacré à plusieurs cantates de Montéclair. Nous le donnerons aussi à Versailles dans le cadre de la programmation du centre de musique baroque de Versailles, le 7 octobre. Il s’agit des cantates « le retour de la paix », « le temple de la constance », enfin, « Pyrame et Thisbé » où je tiens le rôle du narrateur.
Nous travaillons aussi un autre programme constitué de pièces de Stuck, compositeur français du début du XVIIIème siècle et qui sera édité par le label Alpha. Stuck est connu pour avoir introduit le violoncelle en France. Sa musique est très italienne, à la Pergolèse, trop italienne, comme on le lui a reproché de son vivant. Il s’agit de trois cantates dont le fil conducteur est la jalousie : « Mars jaloux », «Tircis », enfin «Héraclite et Démocrite », que nous chantons conformément aux indications de l’auteur pour deux voix masculines.


Quel est le répertoire que vous aimez aborder en dehors des musiciens baroques ?

Je m’intéresse aux chansonniers du XIXème siècle, comme Béranger ou Désaugiers. D’ailleurs avec l’accordéoniste Daniel Brel, nous donnons un récital consacré à Béranger à Bruxelles. Le spectacle s’intitule : « La comédie humaine selon Béranger ». Le 19 Juillet à Bruxelles et le 20 à Louvain.

Quels sont les rôles que vous aimeriez que l’on vous propose ?

Par goût, j’aime les rôle comiques. J’ai chanté Figaro du barbier de Séville, mais aussi Papageno, Malatesta, Sganarelle dans le « Médecin Malgré Lui » de Gounod. J’aimerais poursuivre mes prises de rôles dans Rossini, je pense par exemple à la Cenerentola ou le Turc en Italie. Mais je suis également tenté par Leporello, Zurga des Pêcheurs de Perles de Bizet, et aussi, Pelléas de Pelléas et Mélisande de Debussy.

Propos recueillis par Alexandre Pham


4 dates clés

1998
Mon 1er Prix au conservatoire supérieur de Paris
dans la classe de Mireille Alcantara

2000
Mon premier Papageno à l’Opéra d’Avignon

2002
Ma rencontre avec le compositeur et chef d’orchestre,
Peter Eötvös dans le cadre de la création du « Balcon »
au Festival d’Aix en Provence

2004
La création de mon ensemble « Lunaisiens »

discographie

Prévert, Kosma, mélodies. 1 cd Alpha
Clérambault, Quatre saisons. 1 cd k617
Campra, Les grands motets. Les Arts Florissants. 1cd Virgin classics
Stuck, cantates de la Jalousie. 1 cd Alpha.
Domenico Belli: Orfeo Dolente. 1 cd Alpha
Pierre-Jean Béranger: chansons. 1 cd Alpha

Giacomo Puccini, Madame ButterlfyRadio classique, dimanche 20 août à 21h

Opéra créé en 1904 à la Scala de Milan sans succès, vite remanié, Madame Butterfly, fut considéré comme une redite des œuvres précédentes, avant de connaître un éclatant succès, trois mois après la création milanaise.

Profitant de la diffusion de l’ouvrage par Radio classique, de surcroît dans une version convaincante, dressons le portrait de l’héroïne puccinienne, et de ses avatars au fil des opéras.


Place de l’ouvrage dans l’œuvre de Puccini

Dans une époque où la psychanalyse sous-tend les plus fortes fresques lyriques : Pelléas de Debussy (1902) ou Salomé de Richard Strauss (1905), Madame Butterfly, par son intrigue larmoyante, n’est pas à interpréter comme une complaisance sentimentale, avec exotisme musical japonais, mais comme une étape dans l’approche de la femme, minutieusement bâtie quoique inconsciemment, dans l’esprit de Puccini.
Quand il écrit l’opéra, le compositeur est impliqué dans le suicide d’une jeune servante provoqué par les accusations d’infidélité de sa femme. Sadisme érotique et amour passionnel pour le sexe féminin, accablent de multiples coups, un fragile papillon, Madame Butterfly, placé sur la route de la femme idéale qu’a recherché Puccini, toute sa vie dans sa création.

Place de la femme dans l’œuvre de Puccini
Déjà dans La Bohème (1896), Mimi incarne la pureté sacrifiée sur l’autel de la tuberculose. Mais elle n’est pas innocente, elle rappelle avec tendresse avant de mourir qu’elle avait malicieusement compris que celui qu’elle aime, avait fait semblant de ne pas trouver la clé pour toucher sa main. Mimi est l’amour intelligent, bienveillant mais fragile et vite brisé. Tosca (1900) aux prises avec le sadique Scarpia, joue le destin de l’amant torturé, autour d’une table et d’un verre de vin, brisée par les hurlements de la torture, trahissant l’idéal de son bien-aimé pour le sauver, elle sera pourtant bernée par Scarpia, celui qu’elle croit tromper, et retrouve mort, celui qu’elle aime, avant de se précipiter dans le vide. Tosca est l’amour instinctif. Butterfly va plus loin.

Portrait de Cio-Cio-San
Elle est l’amour innocent, candide et crédule. Elle est d’emblée trompée par l’officier de marine américain Pinkerton (rien ne le rachète dans l’opéra). Il est peut-être le prototype du ténor puccinien !

Il avait été averti par le gouverneur de ne pas s’amuser à simuler le mariage avec le petit papillon (Butterfly) de Nagasaki, une geisha de 15 ans, Cio-Cio-San. Mais, avec son hymne américain, camouflé dans l’orchestre, il s’en amuse, en abuse, et disparaît en la laissant dans l’attente pendant trois années. Son bateau arrive au printemps (Acte II). Butterfly attendra encore, une nuit entière dans une page symphonique qui, au théâtre de plein air, de Torre del Lago, à deux pas de la maison de Puccini, a toujours bercé les oies sauvages du lac : elles viennent, s’approchent, et le premier coup furieux de l’orchestre les fait fuir. Ainsi disparaît l’espoir de Cio-Cio-San, et son amour de jeunesse. « Non sono più quella ? », je ne suis pas celle d’avant ? s’interroge-t-elle avec angoisse.
Pendant trois ans, elle n’avait pas voulu comprendre, les paroles embarrassées du gouverneur qui savait que son mari avait épousé une américaine, et qu’il n’osait lui dire.
Maintenant le lâche Pinkerton ose chanter un instant, le passé érotique de son aventure japonaise, tout en revenant prendre le fruit de cet amour pour lui donner l’éducation de la soi-disante vraie civilisation, – puissant engagement anticolonialiste de Puccini à ce sujet.

Par sacrifice maternel, Butterfly lui donne l’enfant de ses propres mains, avant de s’ouvrir le ventre. Elle est l’amour infantile assassiné.


Suite et fin de la métamorphose du papillon.

Mais Butterfly n’est qu’une étape pour passer à la femme véritable. La Fanciulla del West (1910), Mini, en est le premier prototype. Elle jouera son bandit d’amoureux autour d’une autre table (comme Tosca), mais ici, aux cartes, contre un autre homme libidineux, le Shérif.
Mais fair-play, cet ombre de Scarpia accepte de perdre. Et l’autre garde la vie sauve. Elle est l’amour fort, A la fois, Tosca et Mimi, ensemble. Elle assume et elle calcule : elle ne pouvait perdre, car elle trichait.
Après, l’anecdotique Suore Angelica (Il Trittico, 1918), autre mère brisée mais davantage mère qu’épouse, c’est Liu qui dans l’esprit de Puccini, aboutit à l’incarnation de la vraie femme dans son ultime opéra Turandot (1921). Dévoué à son amour tacite pour le Prince Calaf, en expirant, elle montre la voie de la féminité à la princesse Turandot, vierge cruelle, mais prototype du passage initiatique de l’état de l’adolescente au statut de l’épouse. Mais hélas, Puccini meurt avant la métamorphose de cet autre papillon.

Radio classique,
le 20 août à 21h

Puccini, Madame Butterfly
Renata Scotto (Butterfly), Carlo Bergonzi (Pinkerton)
John Barbirolli, direction

illustrations
Hokusai, japonaise (dr)
Torre del lago, le lac et la tour (dr)

Hector Berlioz, Harold en Italie (1834).Mezzo, du 18 au 25 août

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Rêveries italiennes d’un enfant de Beethoven et de Shakespeare
Avant de se lancer dans la composition de son premier opéra, « Benvenuto Cellini » et sur les traces de sa « Symphonie Fantastique » (1830), Berlioz trentenaire excelle parfaire son écriture orchestrale. Vingt et un ans avant « L’Enfance du Christ« , pure pastiche néo-classique de 1855 qui est un hommage rendu son maître et mentor Lesueur, Berlioz s’empare du sujet littéraire imaginé par le poète anglais Byron : « Childe Harold« .

A propos du poème symphonique, il s’est lui-même exprimé dès 1834, -l’année de la création de l’ouvrage-, avec l’aplomb amusé d’un chroniqueur musical piqué dans sa curiosité, souvent ironique. Preuve que s’agissant de son style, souvent autobiographique, le musicien savait prendre le recul nécessaire pour concevoir le sentiment qui pouvait s’emparer du public à l’écoute de ses oeuvres. Porté par une « maladie de concerts » opiniâtre (Berlioz a produit à ses propres frais, nombre des représentations de ses oeuvres), le musicien reconnaît sa musique tel « un tissu d’extravagances et d’absurdités« .

le 18 août à 21h50
le 19 août à 14h50
le 24 août à 5h
le 25 août à 5h

Les 18, 19 et 25 août, ce programme suit la diffusion du Requiem par les mêmes interprètes : l’Orchestre de Paris dirigé par Christophe Eschenbach, programmé 1h avant. Consultez les horaires de diffusion dans notre dossier consacré au Requiem, en lien direct au bas de cette page)


Hector Berlioz, Harold en Italie
(1834)
Symphonie pour alto

Orchestre de Paris
Christophe Eschenbach, direction

Humaine nature, symphonie des sentiments
Sa « symphonie en quatre parties » intitulée « Harold » brosse un cycle de paysages à la faon des peintres ténébristes et naturalistes où le « vagabond voyageur« , figure centrale de l’épope musicale, comme le héros de Byron, incarné par l’alto soliste, erre solitaire, habité par ses obsessions méditatives. Si le genre symphonique permet à Berlioz de créer une forme musicale nouvelle, qui fusionne l’esprit de Beethoven et la grandeur de Shakespeare, un aboutissement est à nouveau atteint avec « Harold« . Il prélude au « Roméo et Juliette » (1839) où Berlioz introduit pour compléter une palette déjà foisonnante, le concours des voix humaines. « Harold » recueille les réminiscences du promeneur esseulé, en particulier les promenades du jeune musicien dans la campagne romaine lorsqu’il tait pensionnaire de la Villa Médicis. Les circonstances douloureuses et sentimentalement éprouvantes dans lequelles il loge à la Villa Médicis, ne rendent que plus insupportable ce qu’il vit comme un enfermement imposé. Musique et promenades lui donnent enfin la liberté tant recherchées.

Que nous conte « Harold en Italie« ? Dans la splendeur dorée, virgilienne, de cet « éden solaire », synthèse des paysages d’Italie, il voit autre chose. Non l’éternelle clarté des pins de Rome et la noblesse des marbres antiques et lustrés, mais la fresque visionnaire et grave de sa propre carrière : un chemin abrupt masqué par les ombres, interrompu par les gouffres profonds. Il est passionnant de constater que la nature féconde lui inspire non pas une gravure nette et précise la façon d’un chromo mais plusieurs visions fugitives et imprévues, comme « voilées » par le filtre sensible de sa propre imagination. Son inspiration est tout en finesse, d’une sensibilité rêveuse et contemplative, convulsive aussi, pénétrée par de multiples états hallucinatoires.
Le sujet est une ample méditation sur la Nature dont les profondeurs impénétrables renvoie immanquablement un examen critique de la nature humaine. Il s’agit de sonder la place de l’Individu dans l’Univers, celle de son destin, proie de forces énigmatiques. A la « mélancolie, au bonheur et la joie » (scène I) succède l’admirable prière nocturne des pèlerins (scène II) ; puis un « montagnard des Abruzzes chante sa sérénade à sa maîtresse » (scne III) avant que les fureurs de l’orchestre ne l’entraînent dans une « orgie de bandits » (scène IV).
Ombres et lyrisme d’une pensée déséquilibrée, traversée par une passion pour la beauté mais aussi pour le macabre et le fantastique.
Toujours flottant comme un papillon désabusé, se distingue la voix de l’alto, sur le fond des paysages, tour à tour, sereins et mystérieux, baignés par une torpeur d’étuve, puis emportés jusqu’à la passion finale.

Lors de la création, un orchestre étoffé comptant jusqu’à 130 « gaillards » rendait compte par un effet de miroir, des états mentaux de l’auteur. « Harold » s’est bien sûr Berlioz lui-même, en proie aux tourments d’une existence qui s’entête à lui barrer la voie de la plénitude et des honneurs.
Le temps lui manque, l’argent aussi. Peu de temps libre, peu de sérénité pour construire son oeuvre et poursuivre la composition de son opéra que le Paris musical doit connaître et applaudir.

Retrait et hommage de Paganini
« Harold » après la « Fantastique » de 1830 poursuit cet emportement génial et libre de l’écriture orchestrale où la recherche de climats musicaux imprévus et les colorations spécifiques dévoilent peu peu un talent unique, qui dérange plus qu’il ne rassure. Visionnaire et inclassable, la matière d’ « Harold » à la fois, concerto et symphonie, montre combien avec une sensibilité singulière, le musicien s’approprie un mythe littéraire et édifie un poème des passions et des nerfs, une aventure du sentiment. Tous les instants personnels s’y mèlent à son idéal esthétique. Désormais, on sent bien que dans l’orchestre, palpite une pensée en marche, un pur esprit qui s’accroît et captive, une âme qui absorbe et s’approprie les milieux pour en filtrer l’essence. Le résultat est déconcertant : il ouvre des horizons nouveaux.- pour lesquels le public sort déconcerté.

L’ouvrage était à l’origine une commande du violoniste Paganini qui était aussi un excellent virtuose de l’alto. Certainement désemparé par l’originalité du propos, où l’instrument soliste n’étale ni son panache ni ne participe au drame, mais plutôt médite et reste toujours en retrait, gardant sa propre intriorité critique, Paganini se rétracta finalement. « Harold » fut créé par l’altiste Chrétien Uhran lors des concerts produits par Berlioz lui-même, le 23 novembre 1834. Par la suite, le virtuose italien put se rendre compte combien neuve et puissante était la partition. Il fit remettre au génial auteur, « digne héritier de Beethoven« , la somme de 20 000 francs, afin de rendre hommage à son inspiration supérieure.

Richard Wagner, Tannhäuser (1845)Mezzo, du 5 au 25 août

L’homme en quête de son salut. Tannhäuser a goûté au Venusberg, le poison des plaisirs. Revenu dans le monde réel, il prend conscience de l’étendue de sa faute par le chagrin qu’il inflige à Elisabeth, la nièce du Landgrave. Peut-il être sauvé ? Le regret efface-t-il le poids de la culpabilité ? Sur le sujet d’un pardon improbable, Wagner a composé et écrit le livret d’un opéra en trois actes : Tannhäuser, créé à la Cour de Dresde le 19 octobre 1845. La production diffusée cet été par Mezzo permet d’écouter une wagnérienne éblouissante : Waltraud Meier.

Créé à la cour de Dresde le 19 octobre 1845, l’œuvre illustre la légende médiévale tout en offrant le théâtre musical romantique. Ni historique ni sentimental mais humain, profondément humain. Le compositeur approfondira encore la psychologie des caractères et l’impossibilité du rapport homme/femme avec Lohengrin (1848). Peu à peu, se précise le nouveau théâtre lyrique allemand, depuis Mozart (L’Enlèvement au sérail), Beethoven (Fidelio), surtout Weber (le Freischütz). Wagner donne enfin un théâtre musical digne des aspirations littéraires des grands romantiques, tel Goethe qui avait reconnu dans l’Enlèvement au sérail de Mozart, ce théâtre de l’avenir, porteur des espoirs pour une poésie devenue musique.

Dans Tannhäuser, Wagner expérimente déjà les grands thèmes de la dramaturgie à venir, celle qui est à l’oeuvre dans l’Anneau du Nibelung puis de Parsifal. La malédiction du héros trouve une ultime rédemption grâce à l’amour d’une femme, ici Elisabeth permet au chevalier de se défaire de la fatalité et des ensorcellements de Vénus. Femme pure et femme vénéneuse. Plus tard, dans Parsifal, Kundry fusionne les deux aspects. Elle est la figure pêcheresse qui absorbe jusqu’à la mort le péché des hommes. Wagner avait déjà abordé le thème de la femme rédemptrice dans le Vaisseau Fantôme, faisant de Senta, celle qui permet également au voyageur errant de se libérer du cycle de la solitude maudite. Seul Elsa, dans Lohengrin qui suit Tannhaüser, marque un échec entre homme et femme. L’amoureuse ne peut donner sa confiance à celui qui lui est apparu.Et ce dernier, repart finalement, la laissant morte au terme d’une véritable initiation dont elle n’a pas compris le sens.

Malédiction ou rédemption, vénalité ou vertu, désir de meutre ou aspiration mystique, le théâtre de Wagner porte une exceptionnelle énergie de dépassement des cadres classiques de l’opéra. Avec lui, musique et théâtre fusionnés redéfinissent la notion de dramaturgie. Opéra romantique, opéra de l’avenir, son oeuvre allait marqué de façon indélibile l’histoire du genre lyrique en Europe.

Paris accueillera après Dresde l’ouvrage dans une version révisée par le compositeur lui-même et portée sur la scène en 1861 en suscitant un scandale mémorable. La version choisie par Mezzo est des plus intéressantes. Filmé en 1995, le plateau réunit quelques excellents wagnériens, Waltraud Meier (Vénus) et René Kollo (Tannhäuser) en tête. Sous la baguette active de Zubin Mehta, l’orchestre de Bavière déploie une ivresse de sons totalement efficace, accentuant le dilemme du chevalier ménestrel entre l’attrait du désir et le renoncement. Frénésie, repentir, tel est bien l’épopée du héros wagnérien.

Richard Wagner : Tannhäuser (1845)
Orchestre de Bavière, chœur et ballet de l’Opéra de Bavière, direction : Zubin Mehta. Avec : Jan-Hendrik Rootering (Hermann) ; René Kollo (Tannhäuser) ; Waltraud Meier (Vénus) ; Nadine Secunde (Elizabeth) ; Bernd Weikel (Wolfram).
1995, 3h15. Réalisation: Brian Large

diffusions
le 5 août à 20h50
le 6 août à 13h45
le 15 août à 15h30
le 19 août à 2h50
le 25 août à 15h45

illustrations
Le concours de chant à la Wartburg
Tannhäuser dans la grotte de Vénus

décor peint, château de Neuschwanstein.
Waltraud Meier (dr).

Hector Berlioz, Les Troyens France 2, les 17 et 24 juillet à 23h50.

« Un aigle irrité auquel on a refusé son essor » : le portrait que brosse Théophile Gautier du « Grand Hector », nous rappelle combien furent sombres les dernières années parisiennes du musicien. Refus, malédiction : autant d’obstacles conspirant contre sa reconnaissance dont la vaine « Panthéonisation » annoncée, remise, abandonnée, fut l’an dernier, un nouvel avatar. A défaut des honneurs de la pierre, la scène et l’enregistrement dvd qui en a découlé, sont en passe de restituer au génie musicien, un peu de son lustre.

Objet de sa plus grande et profonde déception, l’opéra « Les Troyens », fut pour leur auteur, Hector Berlioz, une succession de ressentiments amers, la confirmation que toute gloire lui était interdite. Ce qu’il tenait pour sa dernière grande œuvre lyrique, l’équivalent de la tétralogie Wagnérienne, ce qui devait être un cycle jamais vu ni écouté jusque là, fut tout bonnement évacué par l’insouciant et pompeux Second Empire qui lui préféra toujours Meyerbeer et Offenbach.

Pourtant la fresque est inclassable autant que visionnaire : les cinq actes – presque 4h20 de musique- nous sont restitués ici quand le compositeur, de son vivant, ne put monter qu’une version réduite et dénaturée en « deux actes » (Paris, théâtre lyrique, 1863), devant un public visiblement déconcerté par sa démesure et ses audaces.

Lecteur de Virgile, Gœthe et Shakespeare, jamais Berlioz ne fut autant inspiré. Il y convoque les héros de l’Enéide en de terrifiants et sublimes tableaux : la musique façonne une épopée exaltante où les scènes humaines, d’un pessimisme noir, sont vivifiées par l’apparition des héros de la Mythologie. Berlioz nous livre sa science musicale (qui cite Rameau et Gluck), son étonnante culture poétique et littéraire (de Virgile, il puise le montage du livret qu’il écrit lui-même en y associant le souffle de la poésie Shakespearienne), surtout une idée du théâtre musical digne d’un tympan grecque : son marbre est le plus pur et les lignes qu’il y cisèle, sont du plus noble style.

Il y eut la lecture de Colin Davis (Philips) : legs légitime des Britanniques pour un compositeur qui dirigea à de nombreuses reprises l’orchestre d’une certaine New philharmonic society à Londres…

Que pensez de cette production ? Pour l’heure, voici un nouveau défricheur de la fidèle Albion, Sir John Eliot Gardiner : le défenseur des sons restitués dans leur patine d’époque, (le choix des instruments, le dosage des effectifs, la lisibilité « historique ») fait merveille. L’étoffe de l’orchestre (« romantique et révolutionnaire »), la solide préparation des chœurs rendent grâce au travail de Berlioz sur la couleur et la construction modale. Davis ne peut pas rivaliser avec son compatriote. L’orchestre ici flamboie d’un sang régénéré : il creuse les plaies ouvertes, transcende la convocation des esprits des héros morts (à la façon d’Ingres dans « le songe d’Ossian), jetant sur la chair des figures de la scène, ombres et lumières, glacées et fantastiques, restituant avec une grande cohérence, la balance axiale entre le réalisme des individualités douloureuses et la grandeur épique des mouvements collectifs.

Certes la mise en scène de Yannis Kokkos ne transporte pas mais nos yeux se repèrent facilement dans ce dédale de lieux mythiques, de la Troie incendiée à la féerique et langoureuse Carthage : le metteur en scène d’origine grecque a préféré l’épure au fatras décoratif ou à l’hyper actualisation, en général de mise pour les « grandes machines lyriques ». Son miroir incliné qui donne à voir le fond de la scène, éclaire l’action collective, insistant davantage sur le flot du groupe moins sur la miniature. L’évocation du Cheval aux entrailles diaboliques, réduit à une tête telle l’apparition d’un spectre, est une heureuse trouvaille.

Pourtant la partition fleuve n’écarte pas l’intimité langoureuse (nuit d’ivresse et d’extase du duo Didon/Enée, Acte IV). Mais l’acte Carthaginois a moins inspiré Kokkos où le cadre des amours et de la rupture de Didon et Enée, se borne à quelques cadres coulissant, des escaliers sobres, sous une lumière désincarnée. L’histoire berliozienne résonne pourtant par sa chaleur exotique surtout passionnelle…

Nous ne reconstituerons pas la généalogie des versions discographiques antérieures. Seule une version sort du lot par son excellence vocale, celle du déjà cité Colin Davis (Philips) où John Vickers (Enée), Joséphine Veasey (Didon), Berit Lindholm (Cassandre) entre autres, donnaient une leçon de déclamation à la française, d’autant plus méritoire pour des chanteurs étrangers.

Ici, le plateau de solistes est moins cohérent : il ne s’agit pas de la qualité et de la beauté des timbres, tous sont sur ce plan, indiscutables. Mais nous voulons parler de ce supplément d’âme qui fait d’un chanteur un comédien par l’engagement qu’impose son jeu. Et là, il n’y a qu’un couple qui « embrase » la scène, la Cassandre d’Anna Caterina Antonacci et le Chorèbe de Ludovic Tézier. La première est hallucinée, véritable torche illuminant la scène (la star de cette production, c’est elle et rien qu’elle !) ; le second croise avec la noblesse de la diction, une humilité plus qu’émouvante. Tout d’un coup (superbe duo « quand Troie éclate » de l’acte I), sous le masque des héros antiques, perce la souffrance des individus déchirés par un destin impitoyablement vorace.

Plus frustrant à notre goût, le style réservé des deux protagonistes (il est vrai immenses rôles vocaux et scéniques) : Didon (Susan Graham) et Enée (Gregory Kunde). Didon un peu sage, paraît parfois d’une pâle fadeur aux côtés du tempérament de son ainée Veasey ; Kunde, indéniablement musical, passif et sans profondes brûlures, s’obstine dans des lamentations étirées. L’Enée berliozien est constamment tiraillé entre son désir et son destin. On aimerait plus de déchirement nuancé, de terrifiantes angoisses pour un rôle qui tient et de Racine et de Shakespeare. Les seconds rôles ne déméritent pas, bien au contraire.

Le dvd de cette production est paru chez Opus Arte.

Berlioz au petit écran

France 2, Les Troyens

première partie, le 17 juillet à 23h55
seconde partie, le 24 juillet à 23h55

Mezzo, Requiem puis, la Symphonie fantastique
Le 5 juillet à 10h puis 11h
Le 12 juillet à 15h45 puis 16h50

illustrations
Vien, Les adieux d’Hector et d’Andromaque (1786)
Guérin, Enée et Didon (1816)

Jean-Sébastien Bach, Messe en si mineur (1724-1749, bwv 232)Radio classique, le mardi 15 août à 21h

Si les quatre messes « brèves » (bwv 233 à 236) sont indiscutablement luthériennes, le cas de la « grande » Messe en si mineur (bwv 232) laisse une imprécision confessionnelle qui accrédite son universalisme.
Il s’agit aussi d’un monument, une sorte de « grand œuvre »
dans la carrière de Bach, qui parviendra à achever la partition telle
que nous la connaissons, après moultes avatars, reprises, ajouts,
réassemblages. Une œuvre plusieurs fois mise sur le métier et de
sources diverses, comme à son habitude. Car le compositeur aimait
reprendre et réadapter des compositions antérieures.
Il semble que
le début du processus créatif remonte à 1733 (l’année où Rameau à Paris
fait sa révolution sur la scène lyrique avec son « Hyppolite et Aricie »,
créé le 1er octobre à l’Académie Royale de musique). Le 27 juillet
précisément, Bach qui avait 48 ans, adresse les 21 parties formant la Missa (Kyrie et Gloria) à l’Electeur de Saxe, Friedrich August II, nouvellement couronné Roi de Pologne sous le nom d’Auguste III. Kyrie et Gloria, premiers jalons vers la Messe en Si, devaient lui permettre, du moins l’espérait-il, d’obtenir un poste à la Cour du Souverain.
Par la suite, Bach ajoute, associe diverses pièces composées en particulier, vers 1747/1749…. ou avant 1733, comme le Sanctus probablement écrit dès 1724, et joué à la Noël de cette année. Aucune ne source n’indique précisément si les éléments de cette Missa première furent joués pour les cérémonies du couronnement.

L’universalisme
de l’oeuvre est aussi attestée par la pensée musicale à l’oeuvre dans
la partition. Sans qu’il n’ait jamais voyagé hors des pays germaniques,
Bach, humaniste universel, démontre une connaissance quasi
encyclopédique de la musique, avant lui, à son époque : le Kyrie eleison est clairement inspiré du colla parte des suiveurs de Josquin des Prés, le laudamaus te
puise chez les italiens, sa structure tripartire ABA’,le double choeur
de l’Osanna, se souvient du dispositif poychoral en provenance de
Venise…

Donc, luthérienne ou catholique ? Certainement les
deux. Car Auguste en tant que Prince-électeur était luthérien, mais
aussi comme Roi de Pologne, catholique. Et sa Cour, sise à Dresde,
comportait bien deux chapelles. Voilà qui positionne la Grande Messe
de Bach, outre ses qualités musicales, comme un monument sacré dont la
portée œcuménique demeure son meilleur argument historique. En tant que
telle, Bach ne connut pas de son vivant le cycle que nous avons coutume
d’écouter aujourd’hui : le titre de Messe en Si n’apparaît qu’en 1845, à l’initiative de l’éditeur Nägeli et Simrok de Bonn.

Messe en si mineur, bwv 232.
Collegium
Vocale Gent Ensemble, solistes : Sibylla Rubens (soprano), Ingeborg
Danz (alto), Christoph Prégardien (ténor), Thomas E. Bauer (basse),
direction : Philippe Herreweghe.
Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, salle Henri Le Bœuf, 20h.

Illustration : Jean-Sébastien Bach, Messe en si mineur (1724-1749, bwv 232). Bruxelles, Bozar le 29 mai à 20h

Francesco Cavalli, Ercole Amante (1662)Festival d’Ambronay,A partir du 26 septembre 2006

Cavalli, Mazarin, Louis XIV. Cette équation ne vous dit rien ? Elle permit pourtant en 1662 que la France et l’Italie jouent partition commune, que l’Opéra italien signé Francesco Cavalli s’associe aux ballets français de Lulli. Que la monarchie française offre à la Cour et aux princes récemment frondeurs, une image sublimée de sa puissance encore vacillante.

L’action se passe aux Tuileries, le 7 février 1662, dans le théâtre aux machineries spectaculaires commandé par le Cardinal Mazarin, hélas juste décédé. Le jeune Louis XIV qui vient d’épouser l’Infante Marie-Thérèse paraît même dans ce spectacle politique, donné un an après leur mariage (1661) pour lequel Cavalli, venu d’Italie, avait fait représenté son Serse (1654) alors réadapté au goût français.
Opéra délirant, féérique, mythologique, mais aussi machinerie fastueuse qui impose l’image sublimée du Roi, Ercole Amante ou Hercule amante, est l’œuvre d’un génie de la scène vénitienne et napolitaine, qui, disicple du grand Monteverdi, fut l’un des dramaturges lyriques les plus appalaudis de son vivant. Il deviendra d’ailleurs, à 66 ans, maestro di capella de la Basilique San Marco.

Le Festival d’Ambronay programme la recréation complète de la partition fleuve, avec les ballets de Lulli.
Deux concerts en septembre (les 26 et 28 septembre, au théâtre de Bourg en Bresse) préludent à la tournée de cette production dirigée par le chef argentin, grand spécialiste de Monteverdi et interprète inspiré de l’opéra vénitien, Gabriel Garrido.

Pour se faire toutes les ressources de l’Académie baroque Européenne d’Ambronay, danseurs, musiciens, chanteurs, seront convoqués pour restituer à l’opéra de Cavalli, son lustre et sa grandeur passés.


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Lire notre dossier « Francesco Cavalli, génie de l’opéra vénitien »

concert & tournée
Francesco Cavalli,
Ercole Amante
(1662),

Festival d’Ambronay 2006
Théâtre de Bourg en Bresse,
les 26 et 28 septembre, 20h30

Ballets de Lulli

Académie baroque européenne
Gabriel Garrido, direction

Mise en scène, Pierre Kuentz
Chorégraphie baroque, Ana Yepes


tournée

Après Ambronay, Ercole Amante sera représenté à l’Opéra de Vichy (30 septembre), l’Opéra de Toulon (3 octobre), le Grand théâtre de Reims (6 octobre), à la salle Gaveau à Paris (9 octobre), et ) l’Opéra de Besançon.

consultez la présentation de ce programme sur le site du festival d’Ambronay

Illustrations
Francesco Cavalli, portrait.
Gabriel Garrido (dr)
Le Cardinal Mazarin devant sa galerie des antiques, gravure (dr)

Francesco Cavalli, Ercole Amante (1662)Festival d’Ambronay,A partir du 26 septembre 2006

Cavalli, Mazarin, Louis XIV. Cette équation ne vous dit rien ? Elle pourtant permit en 1662 que la France et l’Italie jouent partition commune, que l’Opéra italien signé Francesco Cavalli s’associe aux ballets français de Lulli. Que la monarchie française offre à la Cour une image sublimée de sa puissance encore vacillante.
L’action se passe aux Tuileries, dans le théâtre aux machineries spectaculaires commandé par le Cardinal Mazarin, hélas juste décédé. Le jeune Louis XIV qui vient d’épouser l’Infante Marie-Thérèse paraît même dans ce spectacle politique, donné un an après leur mariage (1661) pour lequel Cavalli, venu d’Italie, avait fait représenté son Serse, alors réadapté au goût français.
Opéra délirant, féérique, mythologique, mais aussi machinerie fastueuse qui impose l’image sublimée du Roi, Ercole Amante ou Hercule amante, est l’œuvre d’un génie de la scène vénitienne et napolitaine, qui, disicple du grand Monteverdi, fut l’un des dramaturges lyriques les plus appalaudis de son vivant. Il deviendra d’ailleurs, à 66 ans, maestro di capella de la Basilique San Marco.
Le Festival d’Ambronay programme la recréation complète de la partition fleuve, avec les ballets de Lulli.
Deux concerts en septembre (les 26 et 28 septembre, au théâtre de Bourg en Bresse) préludent à la tournée de cette production dirigée par le chef argentin, grand spécialiste de Monteverdi et interprète inspiré de l’opéra vénitien, Gabriel Garrido.

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Francesco Cavalli, Ercole Amante (1662), Festival d’Ambronay 2006
Théâtre de Bourg en Bresse Francesco Cavalli,
Ercole Amante (Paris, 1662)

Ballets de Lulli

Académie baroque européenne
Gabriel Garrido, direction

Mise en scène, Pierre Kuentz
Chorégraphie baroque, Ana Yepes

tournée
Après Ambronay, Ercole Amante sera représenté à l’Opéra de Vichy (30 septembre), l’Opéra de Toulon (3 octobre), le Grand théâtre de Reims (6 octobre), à la salle Gaveau à Paris (9 octobre), et ) l’Opéra de Besançon.

Gustav Mahler (1860-1911), destin d’un coeur foudroyé

Célébrons Mahler! L’agenda symphonique de la saison nouvelle (avec le cycle Mahler par Daniele Gatti et le National de France…) continue de mettre à l’honneur l’oeuvre mahlérienne. Le compositeur reste une découverte récente du milieu musical mais aujourd’hui preuve est faite que les champs sillonnés par sa conscience et son génie singuliers inspirent les orchestres et les salles. Après une réédition de choc (chez Audite par Kubelik), l’intégrale en dvd de Bernstein (DG), plusieurs intégrales pour le disque se poursuive dont celle passionnante de David Zinman (RCA)… Chaque nouvelle publication ou concert est l’occasion de dresser un bilan de l’oeuvre concernée. D’autant que 2010 marque les 150 ans de la naissance et 2011, le centenaire de la mort. Les mois qui viennent seront résolument mahlériens. ET nous avec, pour notre plus grand plaisir. Faisons le point.

Gustav Mahler (né en 1860 et mort en 1911) ne cesse aujourd’hui de stimuler les chefs, soucieux d’éprouver les capacités de leur orchestre, tout en exprimant le message humaniste et poétique du compositeur.

C’est pendant les mois de juillet d’août que le musicien pouvait enfin prendre le temps de composer : contemplation de la nature, marches, excursions et baignades, autant de loisirs salutaires pour son inspiration active.
De son vivant, Gustav Mahler s’affirme comme chef d’orchestre, en particulier à l’opéra de Vienne où il occupe le poste de directeur musical pendant 10 années (1897 à 1907).
Aujourd’hui, la figure du compositeur s’impose à nous. Grâce au disque surtout. Mahler est sorti peu à peu de l’oubli. Son oeuvre si décriée pour sa vulgarité, occupe une place prépondérante dans la vie des grands orchestres, dans les saisons des salles symphoniques.

Mahler nous laisse un cycle de 10 symphonies parmi les plus déconcertantes, les plus visionnaires jamais écrites. La Dixième est restée à l’état d’esquisses.
A l’heure où Picasso révolutionne le langage pictural (Les Demoiselles d’Avignon, 1907), Mahler indique de nouvelles perspectives, poétiques, musicales, philosophiques aussi pour l’orchestre. Aux côtés d’une écriture autobiographique qui exprime ses angoisses et ses aspirations, en particulier les épisodes d’une existence tragique, se précise peu à peu le désir des hauteurs, un élan mystique dont l’arc tendu de la prière appelle apaisement et sérénité. Dans l’écriture, chaque symphonie est un défi pour les musiciens. Mahler y repousse progressivement les limites et les horizons de la forme classique.
Ce sont aussi l’usage particulier des timbres, le recours aux percussions, la couleur grimaçante des certains bois, la douleur, l’amertume voire l’aigreur. L’orchestre de Mahler palpite en résonance avec le cœur meurtri, durement éprouvé d’un homme frappé par le destin, mais il reconstruit aussi, un lien avec les mouvements et le souffle de la divine et mystérieuse nature. Une nature réconfortante dont il cherchait chaque été, la proximité et la contemplation, deux éléments propices à l’écriture.

L’actualité des parutions cds et dvds, en 2006 réserve au compositeur, une attention particulière. La richesse des dernières publications nous invite à nous plonger dans l’océan symphonique conçu par Mahler. Il s’agit moins de dresser un bilan de la discographie parue que de profiter de l’actualité, et de ses surprises convaincantes voire jubilatoires, pour rendre hommage à l’un des symphonistes les plus originaux, dans la première décade du XX ème siècle.

Cd
Audite (distributeur : Intégral) vient de rééditer l’intégrale des symphonies par Rafael Kubelik, mahlérien d’une incontestable puissance, poète et peintre des élans cosmiques. Les enregistrements opérés sur le vif, principalement menés dans le Salon d’Hercule de La Residenz à Munich, de 1967 à 1982, recueillent le bénéfice d’une lecture époustouflante par son ampleur et son attention analytiques aux épisodes dramatiques.

Symphonie n°1, « Titan »
Symphonie n°2, « Résurrection »
Symphonie n°3
Symphonie n°4
Symphonie n°5
Symphonie n°6 « tragique »
Symphonie n°7
Symphonie n°8 des Mille
Symphonie n°9

C’est aussi une récente version de la 8 ème Symphonie des Mille qui sous la baguette d’Antoni Wit à la tête de la Philharmonie Varsovie, est plus que recommandable (parue sous étiquette Naxos).

Dvd

En parallèle, EuroArts édite les captations filmées dirigées par Claudio Abbado au Festival de Lucerne, et avec le Gustav Mahler Jugendorchester à Rome.
Symphonie n°2
Symphonie n°5
Symphonie n°7
Symphonie n°9

Lire notre dossier consacrée à l’intégrale parue en dvd en novembre 2006, que Leonard Bernstein dirigea entre 1972 et 1976 pour DG/unitel

Deux premiers volumes de la collection « Juxtapositions » , éditée par Idéale Audience (distributeur : Intégrale).

Volume 1
Gustav Mahler, « Attrazione d’amore » + Berio, « Voyage to Cythera »

Volume 2
« Conducting Mahler ». Documenaire réalisé par Franck Scheffer sur l’interpétation des symphonies de Mahler. Témoignages des chefs : Rattle, Chailly, Muti, Abbado, Haitink, à l’occasion du festival Mahler de mai 1995. Incontournable.

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Lire notre dossier spécial Gustav Mahler (biographie)


Dossier réalisé par C.C. Humphray sous la direction d’Alexandre Pham

Francesco Cavalli (1602-1676), génie de l’opéra vénitien

Non contente d’avoir enfanté l’opéra, genre révolutionnaire dans l’histoire du théâtre musical, l’Italie baroque enchaîne les prodiges et crée à Venise l’opéra public, afin que tout un chacun puisse sans qu’il soit l’intime d’un prince ou d’un roi, tirer le bénéfice de ce drame nouveau. Aucune époque que la première moitié du XVII ème siècle en Europe, ne fut autant occupée à donner une représentation de sa propre grandeur. Foyer du raffinement et de l’art moderne, l’Italie dès la Renaissance au siècle précédent, donne le ton, indiquant ce qui est neuf. Elle suscite en musique comme pour les autres arts, architecture et peinture, les réalisations les plus innovatrices. Ainsi des facteurs convergents, l’intérêt croissant pour la scène et l’art vocal, favorisent en 1637, sur la scène du Teatro San Cassiano, l’avènement du premier opéra public.
L’ouvrage révolutionnaire parce qu’il permet à tout le monde de payer sa place contre paiement d’un ticket, est le fruit de deux musiciens Francesco Mannelli et Benedetto Ferrari.

Cavalli_francescoOr Pier Francesco Cavalli ne tarde pas à se faire remarquer au San Cassiano justement pour lequel il collabore à partir de 1639. A 37 ans, né le 14 février 1602, Pier Francesco Caletti rejoint la Cité du Doge en faisant partie de la suite de son protecteur, Federico Cavalli dont il prendra le nom en signe d’hommage et de gratitude. Chanteur à la Chapelle de la Basilique San Marco, institution parmi les plus prestigieuses de l’heure, d’autant plus à son apogée musicale depuis que Claudio Monteverdi en est devenu ledirecteur musical à partir de 1613. A San Marco, Cavalli devient second organiste dès 1639. Il sera nommé premier organiste en 1665. Cavalli profite de l’aura artistique du maître des lieux, qui est aussi le génie dramaturgique que l’on sait, véritable père et fondateur de l’opéra baroque, dont l’excellence compositionnelle a suscité le groupement de disciples autour de lui.

Quand meurt Monteverdi en 1643, Roveretta prend sa succession. t quand ce dernier s’éteindra à son tour en 1668, Cavalli assumera légitimement la charge convoitée de maestro di capella à San Marco. Mais Cavalli n’attendit pas longtemps l’occasion de briller sur la scène théâtrale. Alors que Monteverdi élabore ses deux derniers chefs-d’œuvre, Le retour d’Ulysse dans sa patrie, puis Le couronnement de Poppée, Cavalli a déjà composé une série de premiers ouvrages indiscutablement aboutis et personnels qui ont fait les beaus soirs des théâtres San Moise et San Cassiano. Pour ce dernier théâtre, il est d’ailleurs présenté comme compositeur, mais surtout impresario. Il collabore avec le poète et librettiste Orazio Persiani, surtout avec Giovanni Battista Balbi, scénographe et chorégraphe qui lui reste fidèle de nombreuses années.  Son premier opéra, Les noces de Thétis et Pellée, ne remporte pas le succès escompté. Mais le compositeur a plus d’une corde à son arc et comme impresario, donne la mesure de ses talents de programmateur, et d’ogranisteur de spectacles qui est aussi son métier.
Disciple de Monteverdi, Cavalli profite de sa filiation auprès du maître pour approcher les personnalités du cercle proche du grand compositeur. Il a l’opportunité de rencontrer le poète Busenello, librettiste du Couronnement de poppée de Monteverdi.
Membre de la prestigieuse Accademia degli Incogniti, Busenello concevra pas moins de cinq livrets pour Cavalli, en particulier les opéras, Didone et La Statira. Avec lui, comme il le fit de Poppea pour Monteverdi, la poésie réaliste, cynique et sensuelle atteint son âge d’or. Il témoigne en miroir des désillusions d’un société brutale et déshumanisée, ivre aussi de voluptés et de plaisirs corrupteurs.
Par la suite, Cavalli apparemment soucieux de la qualité tant poétique que philosophique de ses livets, en cela, fidèle disciple de Monteverdi, travaille avec Giovanni Faustini, qui lui fournira la majorité des textes pour la scène, et ce jusqu’à sa mort en 1651.
Son style favorise et la trucculente expressivité et les langueurs les plus sensuelles. Maître de la scène, Cavalli affûte les aspérités drôlatiques des situations. Il demeure l’un des créateurs d’opéra où les genres comiques, satiriques, héroïques et sentimentales se mêlent avec cohérence.  Airs strophiques avec basse obstinée, concitato guerrier repris de son maître Monteverdi, volupté extatique de ses lamenti, sont autant de facettes d’un auteur prolyxe. Or sa liberté inventive, emblématique des opéras de premier baroque (seicento) confirme le règne de la féérie et de la satire mêlée. Ce qui fit la réussite de ses oeuvres, c’est l’alliance géniale d’une musique expressive et resserrée, et la force d’une action riche en confrontationx expressives.

Un génie de la scène qui écrit principalement pour Naples

Le style de Cavalli enchante les vénitiens. Ses ouvrages sont montés sur les planches du teatro San Apollinare, Santi Giovanni e Paolo. Après son Egisto, d’après un texte de Faustini (1643), l’année où meurt Monteverdi, Giasone qui met en musique un livret de Cicognini rencontre le plus grand succès lyrique de l’histoire de l’opéra vénitien à partir de sa création en 1649 au San Cassiano. Le nombre de ses reprises en témoigne, dans les théâtres de la Terre ferme, à Milan (1649), Lucques et Florence (1650), Bologne (1651), Milan (1652), Plaisance et Palerme (1655), Livourne (1656), Vicence (1658), Ferrare (1659), Gênes (1661), Ancône (1665), à Naples, surtout, où Giasone fut représenté à quatre reprises (1651, 1652, 1661 et 1672). L’histoire allait bientôt s’inverser. Et à l’époque future de Vivaldi, l’opéra napolitain allait submerger les scènes vénitiennes, comme les opéras de Cavalli, au siècle précédent, avaient rayonné sur les théâtre napolitains. Naples d’ailleurs accueillent principalement Cavalli dont les opéras La Didone, Giasone et L’Egisto, précèdent la création de L’Incoronazione di Poppea de Monteverdi de 1651.

Dans le sillon tracé par Naples, la Sicile accueille avec la même frénésie les œuvres cavaliennes. Giasone reste le premier opéra joué à Palerme (1653, soit quatre ans après sa création vénitienne), puis lui succède avec un égal triomphe local, Il Ciro, Xerse et Artemisia.
A Naples, les opéras de Cavalli sont remodelés selon le goût napolitain, en particulier celui du Vice Roi. Toutes les reprises de ses ouvrages, dans les années 1650 sont réadaptées : Veremonda, Le magie amorose (La Rosinda), Il Ciro, Xerse, Artemisia. La collaboration dans cette œuvre de réarrangement, du compositeur Francesco Provenzale semble avoir été déterminante, et ses relations avec Cavalli, étroite.
Les dernières recherches démontrent même que Le compositeur vénitien destinait ses partitions lyriques d’abord pour la Cour du Vice Roi de Naples, où elles vivaient une sorte de premier essai d’agrément, afin d’être ensuite présentées sur les scènes des théâtres de Venise.

Il Ciro, composé par Provenzale d’abord à Naples, puis réadapté (modifications du livret original de Sorrentini) par Cavalli pour les scènes Vénitiennes, dévoile l’organisation d’un système compositionnel très complexe mais fonctionnel, comme il soulève dès le XVII ème siècle, le public auquel est destiné un opéra au XVII ème siècle. Importance du goût des audiences, des cultures réceptives, changements musicaux et dramaturgiques qui en découlent…
Jamais la notion d’œuvres-laboratoires n’a été aussi aiguë : chaque représentation était unique, dépendant du lieu, de sa destination, des moyens humains et techniques à disposition.

Le séjour parisien (1660-1662)

mazarin-portrait-par-philipep-de-champaigne-presentation-gout-de-mazarin-classiquenews-le-ballet-royal-de-la-nuit-orfeo-de-luigi-rossi-ercole-amante-de-cavalliLa Cour de France qui allait devenir la plus fastueuse d’Europe doit son essor artistique et son goût pour la magnificence, en grande partie grâce à Cavalli qui fit le voyage jusqu’à Paris (1660), à la demande insistante du Cardinal Mazarin, alors Ministre omnipotent pendant la minorité de Louis XIV. La venue du personnalité aussi prestigieuse que Cavalli en France correspond à l’ambition du Cardinal, passionné d’opéra italien depuis les années 1640. Il avait déjà en effet fait la démonstration de son goût ultramontain quand, en 1645, il accueillait le cardinal Barberini et sa cour à Paris, fuyant Rome. Dans les bagages du prélat fastueux, une colonie d’artistes romains paraissent à Paris : la soprano Leonora Baroni, la castrat Atto Melani. Cette présence italienne allait se concrétiser avec la représentation de l’Orfeo de Luigi Rossi, avec décors et machinerie de Giacomo Torelli. Un luxe inouï rehaussait la féérrie du déploiement scénique et musical, d’autant que, à l’identique de ce qui se passera vingt ans plus tard, l’opéra italien, est ici intercalé de ballets français et précédé d’un prologue en français. La richesse du spectacle représenté au Palais Royal suscita de vives polémiques et les fameuses mazarinades ou satires dénonçant la folie de la dépense du Cardinal plus italien que français.

La Fronde passée, Mazarin comprend l’importance de produire en français un spectacle digne de la grandeur monarchique à reconstruire. Pierre Corneille et Charles Dassoucy créent Andromède en 1650 au théâtre du Marais : tragédie avec machine et non pas opéra en français. Mais le rôle du spectacle occupe l’office qu’on lui a désigné : louer la grandeur du Roi Soleil. Le Prologue permet d’implorer le Soleil d’arrêter sa course pour célébrer la gloire du jeune souverain. Tout un symbole.

Dès 1652, Mazarin rétablit les artistes italiens et au sein de son cabinet italien commande de nouvelles œuvres. Si le Roi s’approprie de plus en plus explicitement le symbolisme solaire, un nouvel âge d’or se précise avec son règne, si déjà Isaac de Benserade et l’amuseur, danseur, compositeur et chorégraphe Lulli réinventent le ballet de Cour auquel participe le Souverain, Mazarin poursuit son œuvre italianisante à Paris. En 1652, il commande au compositeur Caproli, Les Noces de Thétis et Pelée d’après un texte de Buti, opéra-comique, intercalé de ballets : des entrées spectaculaires au symbolisme politique explicite dans lesquelles Louis XIV participe en personne, acteur de sa propre glorification. Cet ouvrage somptueux, élément de la propagande monarchique, fut représenté neuf fois au Petit-Bourbon.

Certes Mazarin aimait le luxe, mais son sens de l’état, et la volonté d’affirmer la toute puissance de l’autorité royale, mise à mal pendant la Fronde, devait être sceller par une politique fastueuse où les arts de la scène et de la représentation répondaient idéalement à une stratégie de l’image parfaitement élaborée.

La présence de Cavalli répond aux vœux du cardinal. Il s’agit de faire de Paris, une nouvelle Rome, l’astre nouveau du goût le plus raffiné et le plus novateur de l’Europe. Il aura tout fait pour introduire l’opéra italien en France.

Cavalli pour les cérémonies du mariage du jeune Louis de France avec l’Infante d’Espagne, compose Ercole Amante, qui sera créée finalement après la reprise de son Serse. Les machineries du théâtre construit pour l’occasion du mariage n’étant pas prêtes à la date convenue. Serse est réadapté à la hâte, avc un prologue à la gloire du Souverain, et des ballets intercalaires de Lulli. Pour Ercole Amante, créé finalement deux ans plus tard, le 7 février 1662, Cavalli collabore à nouveau avec Lulli qui conçoit les ballets, là encore rien de plus naturel pour Cavalli, personnalité européenne : il s’agit d’adapter son opéra, au goût local, en particulier répondre à l’attente du public français, féru de danses et de ballets. D’autant que la Roi et la Reine, machine spectaculaire politique oblige, y participent, jouant leur propre rôle. Mazarin n’assistera jamais à l’opéra qu’il avait commandé : il meurt avant sa représentation en 1661. Après la décès de Mazarin, Cavalli perd un protecteur. Il regagne Venise où il est nommé maestro du Capella à la basilique San Marco en 1668.

Comme beaucoup de compositeurs baroques, la redécouverte de Cavalli est passée par le disque. La scène a suivi, comme en témoigne une récente production à la Monnaie d’Eliogabale sous la direction de René Jacobs (avril et mai 2004).
Que dire aussi de La Calisto, dirigée par le même chef, avec Maria Bayo dans le rôle titre et qui marqua l’imagination des spectateurs de la Monnaie tout d’abord (1993), repris ensuite au festival baroque de Salzbourg, et à l’Opéra de Lyon.
Qu’Ambronay programme la recréation d’Ercole Amante, l’un des opéras les plus fastueux de l’opéra italien annoncerait-il le grand retour de Cavalli sur les scènes européennes ? Nous ne pouvons que le souhaiter.

discographie

Tous les baroqueux, pionniers (Leppard et Corboz) et chefs plus récents (Jacobs, Engelbrock, Florio), ont traité la passion sensuel et cynique du théâtre cavallien, en lui consacrant plusieurs enregistrements mémorables. Voici quels en sont les jalons marquants.

Raymond Leppard, pionnier et visionnaire de la résurrection des opéras de Cavalli, a réalisé une œuvre fondatrice avec la production d’Ormindo à Glyndebourne (1967), puis de La Calisto (1970).

Après Leppard, René Jacobs réactive la renaissance des œuvres de Cavalli avec une apporche des partitions renouvellée, grâce à la recherche affûtée et l’esprit d’un retour aux sources, défendu apr les baroqueux. Le chef flamand, ancien chanteur, et son Concerto Vocale, redonnent vie à Xerse (1985), Giasone (1988), La Calisto (1995).

Les amateurs de Cavalli se réjouiront d’écouter de plus récentes réalisations discographiques (La Didone dirigée par Thomas Engelbrock pour Deutsch harmonia mundi), et aussi des enregistrements complémentaires dont le visionnaire Ercole Amante dirigé par Michel Corboz pour Erato (1980), partition emblématique de l’opéra italien à la cour de France et recréé sous la direction de Gabriel Garrido pour le Festival d’Ambronay 2006.
Spécialiste du répertoire napolitain contemporain des opéras de Provenzale qui travailla étroitement avec Cavalli, Antonio Florio devait s’intéresser à l’oeuvre du Vénitien : en témoigne La Statira, principessa di Persia, interprétée avec la Cappella della Pietà de’Turchini, enregistré pour Opus 111/Naïve.

Dossier rédigé par G.-H. Fernay sous la direction d’Alexandre Pham.

Francesco Cavalli (1602-1676)

Cavalli_francescoVENISE, 1637. Non contente d’avoir enfanté l’opéra, genre révolutionnaire dans l’histoire du théâtre musical, l’Italie baroque enchaîne les prodiges et créée à Venise l’opéra public, afin que tout un chacun puisse sans qu’il soit l’intime d’un prince ou d’un roi, tirer le bénéfice de ce drame nouveau. Aucune époque que la première moitié du XVII ème siècle en Europe, ne fut autant occupée à donner une réprésentation de sa propre civilisation.
Foyer du raffinement et de l’art moderne, L’Italie dès la Renaissance au sicèle précédent, donne le ton, indiquant ce qui est neuf et ce qui est obsolète. Ainsi des facteurs convergents, l’intérêt croissant pour la scène et l’art vocal, favorisent en 1637, sur la scène du Teatro San Cassiano, l’avènement du premier opéra public. L’ouvrage révolutionnaire parce qu’il permet à toutle monde de payer sa place sontre paiement d’un ticket, est le fruit de deux musiciens Francesco Mannelli et Benedetto Ferrari. Or Pier Francesco Cavalli ne tarde pas à se faire remarquer au San Cassiano justement pour lequel il collabore à partir de 1639. A 37 ans, né le 14 février 1602, Pier Francesco Caletti rejoint la Cité du Doge en faisant partie de la suite de son protecteur, Federico Cavalli dont il prendra le nom en signe d’hommage et de gratitude.

Chanteur à la Chapelle de la Basilique San Marco, institution parmi les plus prestigieuses de l’heure, d’autant plus à son apogée musicale depuis que Claudio Monteverdi en était devenu le maestro à partir de 1613. A San Marco, Cavalli devient second organiste dès 1639. Cavalli profite de l’aura artistique du maître des lieux, qui est aussi le génie dramaturgique que l’on sait, véritable père et fondateur de l’opéra baroque, dont l’excellence compositionnelle a suscité le groupement de disciples autour de lui. Quand meurt Monteverdi en 1643, Roveretta prend sa succession. Et quand ce dernier s’éteindra à son tour en 1668, Cavalli assumera légitimement la charge convoitée de maestro di capella à San Marco. Mais Cavalli n’attendit pas longtemps l’occasion de briller surla scène théâtrale. Alors que Monteverdi élabore ses deux derniers chefs d’œuvre, Ulisse et Poppea, Cavalli a déjà composé une série de premiers ouvrages indiscutablement aboutis et personnels qui ont fait les beaus soirs des théâtres San Moise et San Cassiano.
Pour ce dernier théâtre, Cavalli est présenté comme compositeur, mais surtout impresario. Il collabore avec le poète et librettiste Orazio Persiani, surtout avec Giovanni Battista Balbi, scénographe et chorégraphe qui lui rester fidèle de nombreuses années. Son premier opéra, Les noces de Thétis et Pellée, ne remprote pas le succès escompté. Mais le compositeur a plus d’une corde à son arc et comme impresario, donne la mesure de ses talents de programmateurs, et d’ogranisteurs de spectacles qui est aussi son métier.
Disciple de Monteverdi, Cavalli profite de sa filiation auprès du maître pour approcher les personnalités du cercle proche du grand compositeur. Il a l’opportunité de rencontrer le poète Busenello, librettiste du Couronnement de poppée de Monteverdi.
Membre de la prestigieuse Accademia degli Incogniti, Busenello concevra pas moins de cinq livrets pour Cavalli, en particulier les opéras, Didone et La Statira.
Avec lui, comme il le fit de Poppea pour Monteverdi, la poésie cynique et sensuelle atteint son âge d’or. Il témoigne en miroir des désillusions d’un société brutale et déshumanisée, ivre aussi de voluptés et de plaisirs corrupteurs. Par la suite, Cavalli apparemment soucieux de la qualité tant poétique que philosophique de ses livets, en cela, fidèle disciple de Monteverdi, travaille avec Giovanni Faustini, qui lui fournira la majorité des textes pour la scène, et ce jusqu’à sa mort en 1651.

Un génie de la scène qui écrit principalement pour Naples

 

Lille. Xerse de Cavalli dans sa version françaiseLe style de Cavalli enchante les vénitiens. Ses ouvrages sont montés sur les planches du teatro San Apollinare, Santi Giovanni e Paolo. Après son Egisto, d’après un texte de Faustini (1643), l’année où meurt Monteverdi, Giasone qui met en musique un livret de Cicognini rencontre le plus grand succès lyrique de l’histoire de l’opéra vénitien à partir de sa création en 1649 au San Cassiano. En témoignent les théâtres de la Terre ferme, à Milan (1649), Lucques et Florence (1650), Bologne (1651), Milan (1652), Plaisance et Palerme (1655), Livourne (1656), Vicence (1658), Ferrare (1659), Gênes (1661), Ancône (1665), à Naples, surtout, où Giasone fut représenté à quatre reprises (1651, 1652, 1661 et 1672). L’histoire allait bientôt s’inverser. Et à l’époque future de Vivaldi, l’opéra napolitain allait submerger les scènes vénitiennes, comme les opéras de Cavalli, au siècle précédent, avaient rayonner sur les théâtre napolitains. Naples d’ailleurs accueillent principalement Cavalli dont les opéras La Didone, Giasone et L’Egisto, précèdent la création de L’Incoronazione di Poppea de Monteverdi de 1651.

Dans le sillon tracé par naples, la Sicile accueille avec la même frénésie les œuvres cavaliennes. Giasone reste le premier opéra joué à Palerme (1653, soit quatre ans après sa création vénitienne), puis lui succède avec un égal triomphe local, Il Ciro, Xerse et Artemisia. A Naples, les opéras de Cavalli sont remodelés selon le goût napolitain, en particulier celui du Vice Roi. Toutes les reprises de ses ouvrages, dans les années 1650 sont réadaptées : Veremonda, Le magie amorose (La Rosinda), Il Ciro, Xerse, Artemisia. La collaboration dans cette œuvre de réarrangement, du compositeur Francesco Provenzale semble avoir été déterminante, et ses relations avec Cavalli, étroite.
Les dernières recherches démontrent même que Le compositeur vénitien destinait ses partitions lyriques d’abord pour la Cour du Vice Roi de Naples, où elles vivaient une sorte de premier essai d’agrément, afin d’être ensuite présentées sur les scènes des théâtres de Venise. Il Ciro, composé par Provenzale d’abord à Naples, puis réadapté (modifications du livret original de Sorrentini) par Cavalli pour les scènes Vénitiennes, dévoile l’organisation d’un système compositionnel très complexe mais fonctionnel, comme il soulève dès le XVII ème siècle, le public auquel est destiné un opéra au XVII ème siècle. Importance du goût des audiences, des cultures réceptives, changements musicaux et dramaturgiques qui en découlent… Jamais la notion d’œuvres-laboratoires n’a été aussi aiguë : chaque représentation était unique, dépendant du lieu, de sa destination, des moyens humains et techniques à disposition.

Le séjour parisien (1660-1662)

 

MazarinLa Cour de France qui allait devenir la plus fastueuse d’Europe doit son essor artistique et son goût pour la magnificence, en grande partie grâce à Cavalli qui fit le voyage jusqu’à Paris (1660), à la demande insistante du Cardinal Mazarin, alors Ministre omnipotent pendant la minorité de Louis XIV. La venue du personnalité aussi prestigieuse que Cavalli en France correspond à l’ambition du Cardinal, passionné d’opéra italien depuis les années 1640. Il avait déjà en effet fait la démonstration de son goût ultramontain quand, en 1645, il accueillait le cardinal Barberini et sa cour à Paris, fuyant Rome. Dans les bagages du prélat fastueux, une colonie d’artistes romains paraissent à Paris : la soprano Leonora Baroni, la castrat Atto Melani. Cette présence italienne allait se concrétiser avec la représentation de l’Orfeo de Luigi Rossi, avec décors et machinerie de Giacomo Torelli. Un luxe inuoï rehaussait la féérrie du déploiement scénique et musical, d’autant que, à l’identique de ce qui se passera vingt ans plus tard, l’opéra italien, est ici intercalé de ballets français et précédé d’un prologue en français. La richesse du spectacle représenté au Palais Royal suscita de vives polémiques et les fameuses mazarinades ou satires dénonçant la folie de la dépense du Cardinal plus italien que français.

La Fronde passée, Mazarin comprend l’importance de produire en français un spectacle digne de la grandeur monarchique à reconstruire. Pierre Corneille et Charles Dassoucy créent Andromède en 1650 au théâtre du Marais : tragédie avec machine et non pas opéra en français. Mais le rôle du spectacle occupe l’office qu’on lui a désigné : louer la grandeur du Roi Soleil. Le Prologue permet d’implorer le Soleil d’arrêter sa course pour célébrer la gloire du jeune souverain. Tout un symbole.
Dès 1652, Mazarin rétablit les artistes italiens et au sein de son cabinet italien commande de nouvelles œuvres. Si le Roi s’approprie de plus en plus explicitement le symbolisme solaire, un nouvel âge d’or se précise avec son règne, si déjà Isaac de Benserade et l’amuseur, danseur, compositeur et chorégraphe Lulli réinventent le ballet de Cour auquel participe le Souverain, Mazarin poursuit son œuvre italianisante à Paris. En 1652, il commande au compositeur Caproli, Les Noces de Thétis et Pelée d’après un texte de Buti, opéra-comique, intercalé de ballets : des entrées spectaculaires au symbolisme politique explicite dans lesquelles Louis XIV participe en personne, acteur de sa propre glorification. Cet ouvrage somptueux, élément de la propagande monarchique, fut représenté neuf fois au Petit-Bourbon. Certes Mazarin aimait le luxe, mais son sens de l’état, et la volonté d’affirmer la toute puissance de l’autorité royale, mise à mal pendant la Fronde, devait être sceller par une politique fastueuse où les arts de la scène et de la représentation répondaient idéalement à une stratégie de l’image parfaitement élaborée. La présence de Cavalli répond aux vœux du cardinal. Il s’agit de faire de Paris, une nouvelle Rome, l’astre nouveau du goût le plus raffiné et le plus novateur de l’Europe. Il aura tout fait pour introduire l’opéra italien en France.

louis_XIV_alexandre_Versailles_baroque_musiqueCavalli pour les cérémonies du mariage du jeune Louis de France avec l’Infante d’Espagne, compose Ercole Amante, qui sera créée finalement après la reprise de son Serse. Les machineries du théâtre construit pour l’occasion du mariage n’étant pas prêtes à la date convenue. Pour Ercole Amante, Cavalli collabore avec Lulli qui conçoit les ballets, là encore rien de plus naturel pour Cavalli, personnalité européenne : il s’agit d’adapter son opéra, au goût local, en particulier répondre à l’attente du public français, féru de danses et de ballets. Mazarin n’assistera jamais à l’opéra qu’il avait commandé : il meurt avant sa représentation en 1661. Comme beaucoup de compositeurs baroques, la redécouverte de Cavalli est passée par le disque. La scène a suivi, comme en témoigne une récente produciton à la Monnaie d’Eliogabale sous la direction de René Jacobs.

Que dire aussi de La Calisto, dirigée par le même chef, avec Maria Bayo dans le rôle titre et qui marqua l’imagination des spectateurs de la Monnaie, du festival baroque de Salzbourg, de l’Opéra de Lyon. Qu’Ambronay programme la recréation d’Ercole Amante, l’un des opéras les plus fastueux de l’opéra italien annoncerait-il le grand retour de Cavalli sur les scènes européennes ? Nous ne pouvons que le souhaiter.

 

discographie

Raymond Leppard, pionnier et visionnaire de la résurrection des opéras de Cavalli, a réalisé une œuvre fondatrice avec la production d’Ormindo à Glyndebourne (1967), puis de La Calisto (1970).

Après Leppard, René Jacobs réactive la renaissance des œuvres de Cavalli avec une apporche des partitions renouvellée, grâce à la recherche affûtée et l’esprit d’un retour aux sources, défendu apr les baroqueux. Le chef flamand, ancien chanteur, et son Concerto Vocale, redonnent vie à Xerse (1985), Giasone (1988), La Calisto (1995).

Les amateurs de Cavalli se réjouiront d’écouter de plus récentes réalisations discographiques (La Didone dirigée par Thomas Engelbrock pour Deutsches harmonia mundi), et aussi des enregistrements complémentaires dont le visionnaire Ercole Amante dirigé par Michel Corboz pour Erato (1980), partition emblématique de l’opéra italien à la cour de France et recréé sous la direction de Gabriel Garrido pour le Festival d’Ambronay 2006.
Spécialiste du répertoire napolitain contemporain des opéras de Provenzale qui travailla étroitement avec Cavalli, Antonio Florio devait s’intéresser à l’oeuvre du Vénitien : en témoigne La Statira principessa di Persia, interprétée avec la Cappella della Pietà de’Turchini, enregistré pour Opus 111/Naïve.

Entretien avec Cédric Tiberghien

Il mène une carrière de soliste et de chambriste. Curieux et ambitieux, Cédric Tiberghien a tout de l’étoffe des plus grands pianistes. Nous l’avons rencontré en marge de l’Eté musical d’Horrues, en Belgique, où il revenait pour la troisième année consécutive interpréter les sonates de Beethoven.

Vous jouez dans les plus grandes salles avec des orchestres prestigieux, qu’est-ce qui vous incite à vous produire à l’occasion de l’Eté musical d’Horrues ?

L’endroit est très joli et l’acoustique est vraiment fabuleuse. On pourrait craindre une acoustique plus diffuse mais le son devient très beau et ne se perd pas trop par rapport à d’autres acoustiques de ce type.

J’aime beaucoup jouer lors de petits festivals et dans de si belles églises. Les bénévoles sont extrêmement dévoués et très sympathiques. Des liens d’amitié se lient au fil du temps et ceux-ci ont beaucoup d’importance à mes yeux. Au moment du concert, l’artiste est parfois considéré comme un extra-terrestre qui débarque. Jouer dans de petites salles donne ainsi une dimension humaine et une accessibilité de l’artiste que le public apprécie beaucoup.

Vous menez de front une carrière de soliste ainsi que de chambriste, comment vous voyez-vous évoluer ? Avez-vous des œuvres que vous aimeriez jouer ou musiciens que vous désirez rencontrer?

J’aimerais pouvoir garder autant que possible toutes mes activités, j’accompagne des chanteurs et je joue assez souvent avec orchestre. Je crois qu’un musicien se définit par la diversité de ses activités et de sa curiosité. Je suis très curieux et je n’ai pas l’intention de mettre la musique de chambre de côté, je n’aime pas l’idée d’être soliste même si c’est finalement ce que je suis lors de mes récitals. La musique de chambre est une expérience tellement enrichissante que je ne pourrais m’en passer.

Les rencontres sont généralement le fruit du hasard ou de rencontres ponctuelles lors des festivals. Ca fait 7 ans que je joue régulièrement avec Marie Hallynck, je l’ai rencontrée lors d’un festival durant lequel on ne jouait pourtant pas beaucoup ensemble. Le courant est passé immédiatement et nous jouons toujours régulièrement ensemble.

Il y a des musiciens que j’admire comme Isabelle Faust, c’est une violoniste allemande qui m’a toujours impressionné, elle procure cette réelle sensation de liberté et de grande expression musicale.

Vous avez joué votre récital Beethoven avec la partition ? Quel est votre avis sur le soutien de la partition en concert ? Richter disait qu’il était plus honnête vis-à-vis de la musique de s’aider de la partition.

Il ne faut pas que le « par cœur » soit une obligation. Jouer de mémoire, c’est donner une certaine liberté par rapport à soi-même et par rapport à l’interprétation. C’est une liberté qu’on ne retrouve pas forcément lorsqu’on a la partition devant soi.

Si on s’oblige à faire plusieurs récitals de mémoire en n’ayant que le seul souci de ne pas perdre le fil de ses idées et finalement ne pas profiter du récital et de l’énergie qu’on pourrait consacrer au discours, je trouve que c’est dommage.

J’ai fait le clavier bien tempéré avec partition en novembre 2005, je ne me suis même pas posé la question. Je préfère profiter de la musique. Il ne faut pas non plus tomber dans le travers de ne plus jouer plus qu’avec partition au risque de perdre l’habitude de jouer de mémoire. Si le public sent que la partition n’est là que comme support et soutien tout en maintenant un discours musical convaincant, les gens oublient très vite.

Après Bach et Beethoven, quelles sont les autres partitions que vous aimeriez travailler ?

Les grands compositeurs tels que Bach et Beethoven doivent être explorés en permanence, lorsque j’aurai terminé l’intégrale de Beethoven l’année prochaine, je me poserai la question de savoir ce que j’étudierai.

En mars 2007, j’enregistre le 1er concerto de Brahms avec l’orchestre de la BBC. Il y a certains concertos que je n’ai pas encore eu l’occasion de jouer comme celui de Grieg et le quatrième de Rachmaninov.

Etes-vous le dédicataire de pièces de compositeurs contemporains ? Lesquelles ? Pouvez-vous nous en parler ? Sur quelle autre partition travaillez-vous ?

Philipe Hersant va composer une œuvre à mon intention. J’ai eu l’occasion de créer des pièces qui ne m’étaient pas dédicacées mais pour lesquelles j’ai effectué un réel travail et une collaboration avec le compositeur. J’aime beaucoup le sentiment de participer à la création et ainsi donc de donner vie à une œuvre. C’est un événement très émouvant.

J’ai eu l’occasion de créer, en première mondiale, le concerto pour deux pianos et orchestre d’Ivan Fedele. Au-delà de la création, il y a eu un travail intense et important avec l’Ensemble Intercontemporain. L’exécution de cette œuvre fut très bien perçue par le public.


Quels sont les pianistes qui ont inspiré votre jeu ?

Le premier pianiste dont j’ai eu conscience de la grandeur est Rubinstein, j’ai immédiatement voulu l’imiter (rires). Déjà très jeune, j’ai été touché par la poésie permanente de Lipatti, c’est un très grand pianiste.

Il y a aussi les pianistes tels que Schnabel que j’aime beaucoup dans Beethoven, pas dans tout mais dans la plupart des pièces. C’est un monument d’honnêteté vis-à-vis du compositeur et du texte, tout en ayant un son d’une beauté extraordinaire et une pensée d’une hauteur assez rare. Dans les plus récents, il y a Richter ou encore plus Guilels.

Vous avez remporté le 1er Grand Prix au Concours Long-Thibaud à Paris ainsi qu’une série de prix, dont la 3e place au Concours de Genève. Qu’en avez-vous retiré ?

La participation à un concours apporte beaucoup de confiance et une occasion unique d’aborder le répertoire. J’ai eu la possibilité de jouer, pour la première fois, le 1er concerto de Brahms lors de la finale. Ce fut un grand moment.

Le premier prix au Concours Long-Thibaud de Paris a été un tournant dans ma « petite vie » de pianiste. Je me suis trouvé avec 150 concerts à devoir assurer après le concours. Ca été un grand déclic. J’ai commencé à être plus entendu et donc plus médiatisé à partir de 1998.

Il y a d’autres concours qui offrent de réelles opportunités comme celui de la Reine Elisabeth, qui est un des plus beaux concours du monde. J’aurais beaucoup aimé y participer, mais ce ne fut pas possible. Ayant gagné le concours Long-Thibaud, je n’ai pas eu la possibilité d’assurer la préparation de ce concours tout en maintenant mes engagements. Parmi la multitude de concours existants et très importants pour un pianiste, il y a le concours Chopin à Varsovie et Van Cliburn aux Etats-Unis.

4 dates clés de la carrière de Cédric Tiberghien

1998
il remporte le 1er Grand Prix au Concours LONG-THIBAUD à Paris, ainsi que 5 prix spéciaux, dont le prix du public et le prix de l’orchestre

2000
débuts au Carnegie Hall à New York en novembre

2002
création mondiale du concerto pour 2 pianos et orchestre d’Ivan Fedele avec l’Orchestre de Paris sous la direction de Christoph Eschenbach.

2005
il est sélectionné parmi les 12 lauréats internationaux de la prestigieuse New Generation Artists de la BBC à Londres

discographie sélective

BACH – Partitas n° 2, 3 et 4
Harmonia Mundi n° 901869
Août 2005
BEETHOVEN – Variations, opus 34, opus 35 (« Eroica ») et opus 76 WOo 77 à 80
Harmonia Mundi n° 901775
Février 2003

DEBUSSY – Estampes, Images, Masques, D’un cahier d’esquisses, L’Isle joyeuse .
Harmonia Mundi n°911717
Septembre 2000

Crédit photographique: DR

Gustav Mahler (1860-1911)

Gustav Mahler fut surtout connu, de son vivant, comme chef d’orchestre. Cette activité principale bien qu’elle lui permit de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, fut cependant vécue comme un calvaire nécessaire, d’autant plus contraignant qu’elle empêchait le compositeur de s’adonner à sa seule passion, l’écriture. C’est donc selon un rituel très organisé que Mahler, chaque été, se coupait du monde urbain et de l’activité musicale du restant de l’année, pour s’absorber dans l’édification de son œuvre, vocale et symphonique.

Au total, il écrira dix symphonies et de nombreux cycles de lieder dont le plus célèbre demeure le Chant de la terre (Das lied von der erde).

1. Naissance et apprentissage : éclosion du chef d’orchestre
Mahler est né en Bohême à Kalist, le 7 juillet 1860. Il passe cependant son enfance en Moravie où ses parents se sont établis. L’adolescent de 15 ans, rentre au conservatoire de Vienne (1875), pour étudier entre autres disciplines, le piano. A l’Université, il s’intéresse aussi aux conférences données par Anton Bruckner. Il se présente à son premier concours, et compose Das Klagende Lied, une œuvre conçue à l’origine comme un opéra mais qu’il remaniera par la suite, en cantate. Recalé, il s’oriente vers le métier de chef d’orchestre. Sa maîtrise de la baguette s’affirme progressivement. A chaque nouveau poste, Mahler enrichit son style, étend sa culture, approfondit sa connaissance des partitions.
Il dirige des orchestres de plus en plus importants, sur le plan du prestige et du niveau musical. Bbad Hall, Ljubljana (1881), Olomouc (1882), Kassel (1884), Prague (1885), Leipzig (1886), Budapest (1891), sont autant d’étapes franchies pendant ses années de formation. A Prague, il dirige les opéras de Gluck, Mozart Beethoven et Wagner. A Leipzig, en 1887, il se confronte même au cycle de l’Anneau du Nibelung, après qu’Arthur Nikisch soit tombé malade. Finalement, il se fixe pendant six années, comme chef à l’Opéra de Hambourg, jusqu’en 1897.

Parallèlement à la direction d’orchestre, il s’organise pour que pendant les mois d’été, le temps de repos qui lui est permis, soit destiné à l’écriture. Ainsi, il prend ses habitudes de composer pendant la pause estivale, tout d’abord à Steinbach-am-Attersee.
Là, il conçoit sa première symphonie, dite Titan, ainsi que les lieder « des Knaben Wunderhorn » ou « Cor enchanté de l’enfant ».

2. 1897-1907 : le directeur musical de l’Opéra de Vienne
L’année 1897, est capitale. A 37 ans, il change de sensibilité religieuse, et du judaïsme se convertit au catholicisme, pour occuper le très prestigieux poste de directeur musical de l’Opéra de Vienne. Pendant les dix années qui suivent, il affine sa manière et sa méthode, élargit les répertoires abordés, non sans se tailler une réputation de perfectionniste pointilleux. Or, le chef exige des répétitions préalables, se montre intraitable dans la préparation des œuvres. Le niveau musical de l’orchestre et de l’Institution Viennoise, gagne évidemment en qualité.
Après répétitions et représentations, Mahler se replie dans sa demeure d’été de Myernigg, où il se fait construire un ermitage de bois, édifié en pleine nature, au bord du lac Wörthersee. C’est dans ce milieu préservé, sur le motif naturel, qu’il compose la majorité de son œuvre symphonique, de la Deuxième à la Huitième symphonie.

L’année où Debussy créé Pelléas et Massenet révise son Werther pour baryton, Mahler épouse Alma Schindler en 1902. Il a 42 ans et son épouse, 24. Le couple aura deux filles, dont l’aînée mourra en 1907 causant le sentiment d’une perte irrémédiable, et dans le cœur du compositeur, une profonde meurtrissure, la sensation d’un malédiction qui ravive des traumatismes de l’enfance, quand jeune, il survécut à ses 7 frères et soeurs, morts en bas âge.
A cela s’ajoutent les difficultés de se faire un nom comme compositeur. Mahler ne suscitera guère d’attention et de reconnaissance qu’à partir de sa Troisième Symphonie, qui déclenche immédiatement son premier grand succès publique.
1907 marque plusieurs épreuves douloureuses. L’année où meurt sa fille, il perd aussi son emploi à l’Opéra de Vienne, certainement à la suite d’un contexte violemment antisémite. Il tentera de se défendre, mais en vain. En outre, les médecins diagnostiquent une maladie de cœur qui l’oblige à changer de mode de vie. Lui qui aimait les promenades dans la montagne, la bicyclette et la nage, se voit condamné s’il veut survivre, au train du moindre effort.
Le couple bat de l’aile. Alma qui est une pianiste accomplie et une musicienne avisée, encourage son mari mais sur le plan affectif se détache de lui. Mahler ressent tout cela et s’en ouvre à Sigmond Freud, avec lequel il fera une promenade salvatrice, selon ses mots, en 1910.

3. La maturité du créateur
Si dans l’intimité, l’homme souffre en silence, endurant pour lui-même des crises d’angoisses de plus en plus intenses, l’heure du compositeur, en revanche, a bel et bien sonné.
En 1910, la création à Munich de sa Huitième symphonie, dite Symphonie des Mille, dans le cadre de l’Exposition Universelle, suscite une ovation unanime.
S’il compte de fervents admirateurs qui reconnaissent l’étendue de son œuvre réformatrice et visionnaire, dont le jeune Alban Berg, Mahler n’eut jamais cependant une totale reconnaissance. Les critiques ont pour une bonne part aider à sa perte, soulignant son style vulgaire et systématique. Le climat d’inquiétude et la pression qui pèse sur les juifs, l’amènent à accepter en 1908, la direction d’une première saison au Metropolitan opera de New York. Hélas, il sera écarté au profit d’Arturo Toscanini. Cependant, même si son état physique s’est quelque peu délabré, il revient en 1909, diriger l’Orchestre philharmonique de New York.

4. La fin
Il achève alors sa Neuvième symphonie ainsi que le Chant de la terre dont le climat poétique suggère un détachement de plus en plus assumé.
Trop malade pour poursuivre son activité musicale, il demande à retourner à Vienne où il s’éteint le 18 mai 1911, en prononçant selon la légende, le nom de « Mozart ».

5. Aspects de l’oeuvre

Comme compositeur, Mahler interroge la forme musicale, sa capacité à développer un thème, une idée, à approfondir une pensée. C’est pourquoi héritier de la tradition symphonique, des Viennois, des romantiques, de Beethoven principalement, mais aussi de Bruckner, il ne reconnaît finalement qu’un seul prédécesseur digne de ses convictions : Wagner.

Chacune de ses symphonies repousse toujours plus loin, le cadre formel de la sonate classique, et surtout les références poétiques enrichissant le terreau de l’activité musicale.

Contrapuntiste remarquable, maniant avec dextérité et même facilité la riche texture polyphonique, Mahler multiplie les plans de lectures, de l’énonciation simple, voire naïve et sincère, à sa distanciation amère, cynique, dérisoire, parodique, caricaturale. Amertume et aigreur, mais aussi lyrisme à l’échelle du cosmos, ses œuvres expriment chacune l’apsiration à la paix, la sérénité, le repos, l’éternité, la béatitude d’autant plus désirée que le destin ne l’aura pas épargné ni dans sa vie de père et d’époux, ni dans la longue route semée d’épines et d’obstacles, au terme de laquelle son oeuvre suscita une progressive reconnaissance voire une compréhension profonde de son œuvr
e. En définitive, la juste appréciation du cycle symphonique est un apport du XX ème siècle, plus particulièrement de l’industrie du disque. Pas un chef d’orchestre de renom, qui n’est voulu aborder les massifs de la cosmogonie mahlérienne, afin d’éprouver les vertiges et les aspérités d’une oeuvre exaltante.


6. Classification du cycle symphonique

Le corpus de ses symphonies est habituellement divisé en trois groupes ;

Le premier groupe concerne les quatre premières symphonies qui partagent les thèmes et le climat enchanteur, mais aussi lié à l’enfance, du Knaben wunderhorn dont les textes puisent à la source des évocations des poètes, Arnim et Brentano.

Le second groupe comprend les trois symphonies suivantes, de la 5è à la 7ème : Mahler y expérimente sans le concours de la voix, de nouveaux expressifs, davantage personnels, puisant dans les seules ressources de l’orchestre, une énergie sombre et tragique, que l’on aurait tort de réduire à l’expression d’une tension autobiographique marquée par le sentiment de l’échec et de l’effondrement. La compositeur a lui-même indiqué quelque indices quant à la façon juste de concevoir son univers symphonique : certes se sont bien deux énergies qui s’affrontent en apparence. Mais le fond de la création n’est pas tant de souligner ce qui les oppose, que de constater leur nature antagoniste, de l’absorber et de la résoudre dans l’activité musicale. Mahler s’est déclaré du côté de Pan, dieu des énergies imprévisibles de la nature. La place du musicien face à la nature qui le dépasse, n’est pas dans le gouffre, mais au bord, s’imprégnant du mouvement des astres et du cosmos, en communion avec le mystère des éléments, dont ses partitions restitueraient la vibration.

Le dernier groupe recouvre les œuvres ultimes, à partir de la Huitième symphonie.
Enrichissement de la texture polyphonique, élargissement du spectre sonore, surtout captation des vibrations du cosmos. Mahler ouvre des champs et des perspectives totalement inédits. C’est la quête d’un homme, fervent sincère, désireux d’absolu et d’éternité. Lui qui sur le manuscrit de la Dixième symphonie, laissée inachevée, écrit à son épouse Alma qui lui préfère son amant, en l’occurrence à l’époque, l’architecte Walter Gropius.

Alchimiste des grandes formes, Mahler n’a jamais perdu pour autant son habilité de l’orchestration. Une sensibilité à la texture et aux couleurs de l’orchestre, d’une imagination audacieuse, déconcertante, inouïe.
Sa pratique libre de la tonalité, usant des dissonances aux endroits clés du déroulement musical, l’utilisation des instruments dans l’extrêmité de leur tessiture, créant des aspérités de couleurs et de timbres ouvrent la voie à l’avant-garde, celle des partisans de l’atonalité.

Compositeur, il exerce une influence déterminante sur les auteurs du XX ème siècle : Richard Strauss, ardent spectateur de ses symphonies et présent à leur création, Alan Berg, Arnold Schönberg, Anton Webern, et les chefs, Bruno Walter et Otto Klemperer, auxquels il n’hésita pas apporter son soutien dans la progression de leur carrière.

Catalogue indicatif

Les Symphonies

Symphonie n° 1 en ré majeur, Titan (1884-1888)
Symphonie n° 2 en do mineur, Résurrection (1887-1894)
Symphonie n° 3 en ré mineur (1893-1896)
Symphonie n° 4 en sol majeur (1899-1901)
Symphonie n° 5 en do dièse mineur (1901-1902)
Symphonie n° 6 en la mineur, Tragique (1903-1905)
Symphonie n° 7 en si mineur (1904-1906)
Symphonie n° 8 en mi bémol majeur, Symphonie des mille (1906-1907)
Symphonie n° 9 en ré majeur (1909-1910)
Symphonie n° 10 en fa dièse majeur (1909-1910), inachevée.

Œuvres vocales

Das Klagende Lied (Le chant plaintif)
version opéra (1878-1880), version cantate (1896-1898)

Drei Lieder (Trois lieder)
pour ténor et piano (1880)

Lieder und Gesänge aus der Jungendzeit
( 5 Lieder de jeunesse) pour voix avec piano 1880-1883

Lieder eines fahrenden Gesellen
(Chants d’un compagnon errant)
pour voix et piano ou orchestre (1883-1885)

Wunderhorn-lieder (9 Chants) (1888-1891)

Lieder aus « Des Knaben Wunderhorn »
( 10 Lieder du «Cor Enchanté de l’Enfant»)
pour voix et orchestre (1892-1896, deux autres en 1899 et 1901)

Rückert Lieder 4 lieder pour voix et piano ou orchestre (1901-1903)

Kindertotenlieder 5 lieder pour voix et orchestre (1901-1904)

Lieder eines Fahrenden Geselles 4 lieder (1904)

Das Lied von der Erde (Le chant de la terre)
pour voix et orchestre (1907-1909)


Musique de chambre

Klavierquartett (Quatuor avec piano), composé en 1876.

Mozart, les Noces de FigaroDirect du Festival de SalzbourgFrance musique, le mercredi 26 juillet à 20h

France musique nous gâte ! Ne manquait que l’image pour que le spectacle soit total, et nous désir de Mozart en cet été anniversaire, comblé. En direct du Festival de Salzbourg qui a bien raison de rétablir la place du musicien dans une ville qu’il n’aima jamais, Nikolaus Harnoncourt dirige pour cette soirée de première. L’opéra de Mozart est à l’affiche du Festival Salzbourgeois jusqu’au 13 août.

Pour mieux préparer votre soirée, quelques clés de compréhension.

Les Noces de Figaro (Vienne, Burgtheater : 1er mai 1786 sous la direction du compositeur – reprise à Vienne, le 29 août 1789)
Opéra buffa en quatre actes – livret de Lorenzo da Ponte d’après la comédie de Beaumarchais : La folle Journée.

Genèse: quoique
Da Ponte dans ses Mémoires ait déclaré à l’encontre du texte de
Beaumarchais, sa soi disante inconvenance et la nécessité d’en retirer
la veine séditieuse pour la rendre audible du public Viennois, c’est
bien Joseph II qui souhaitait une adaptation lyrique de la pièce
française. A plusieurs reprises, le comte Rosenberg, directeur des
théâtres de Vienne, réclame à Mozart la partition.

L’œuvre: vis-à-vis
de l’original, le livret de Da Ponte semble expurgé de toute critique
sociale.. rien n’est plus faux en vérité car c’est la musique de
Mozart, habile à exploiter les ressources de l’écriture opératique, qui
se délecte à rétablir dans ses choix d’écritures et de styles,
l’allusion des appartenances de rang. Les Noces comportent dans les
choix musicaux, des références très claires au registre héroïque,
comique, pittoresque. A ce titre, la partition est une peinture sociale
foisonnante qui n’évite aucun trait de conflit ni aucune opposition.
Bien
au contraire, ces Noces Viennoises relisent le texte de la Folle
Journée en condensant ses aspects les plus originaux sans trahir la
pertinente analyse des caractères. L’opposition du clan Figaro/La
Comtesse/Suzanne contre l’autorité du Comte ne perd rien de sa géniale
vérité.

Les clés: opéra d’une
contestation habilement retranscrite, les Noces sont aussi une
partition féministe. Marcelline, Suzanne, La Comtesse offrent une
palette de sensibilités psychologiques idéalement exprimées. Par elles,
les hommes apprennent à reconsidérer le rapport à l’autre. Au sommet de
la peinture des passions, le personnage de Chérubin donne la clé d’un
ordre sommaire, celui des hommes dont le jeu politique voudrait
contraindre la libre expression de la psyché. En Chérubin, il faut
reconnaître la force irrépressible du désir et du sentiment. Là,
rapport des classes ; ici, loi des affections souveraines. Tout est dit
dans la musique jusqu’à l’ivresse des sens. Une catharsis collective
que le quatrième acte apaise d’autant plus grâce à la scénographie
orchestrée par la Comtesse, dans laquelle l’homme (le Comte et Figaro)
sont initiés au rite suprême : l’apprentissage du respect de l’autre.
Dans
l’histoire de l’opéra où l’on s’est plu souvent à distinguer l’élément
moteur, entre le texte et la musique, Les Noces proposent grâce au
génie dramaturgique de Mozart, certes parfaitement aidé de Da Ponte, un
accomplissement : ici, la dramaturgie musicale offre un équivalent au
théâtre parlé.

Distribution: Figaro
(basse), Suzanne (soprano), Docteur Bartholo (basse), Chérubino
(soprano), Marceline (soprano), Comte Almaviva (baryton), Don Basilio
(ténor), Comtesse Almaviva (soprano), Antonio (basse), Don Curzio
(ténor), Barberine (soprano).


Discographie sélective:

Herbert
Karajan: George London, Elisabeth Schwarzkopf, Irmgard Seefried, Erich
Kunz, Sena Jurinac… Chœur de l’Opéra de Vienne, orchestre
philharmonique de Vienne. Emi 2 cds, 1950.

Erich Kleiber:
Alfred Poell, Lisa della Casa, Hilde Güden, Cesare Siepi, Suzanne
Danco, Hilde Rössel-Majdan… Chœur de l’opéra et Philharlmonique de
Vienne. Decca 2 cds, 1959.

Carlo Maria Giulini: Eberahrd
Wächter, Elisabeth Schwarzkopf, Anna Moffo, Giuseppe Taddei, Fiorenza
Cossotto…Philharmonia. Emi 2 cds, 1960.

Karl Böhm: Dietrich
Fischer-Dieskau, Gundula Janowitz, Edith Mathis, Hermann Prey, Tatiana
Troyanos… Opéra de Berlin. DG 3 cds, 1968

Geor Solti: Thomas
Allen, Kiri te Kanawe, Lucia Popp, Samuel Ramey, Frederica Von Stade,
Jane Berbié, Kurt Moll, Robert Tear… Orchestre philharmonique de
Londres. Decca 3 cds, 1982

René Jacobs: Patricia Ciofi, Simon
Keenlyside, Véronique Gens, Lorenzo Regazzo, Antonio Abete… Nicolau de
Figueiredo, pianoforte. Concerto Köln. Harmonia Mundi.

Dvdthèque:
Karl
Böhm: Dietrich Fischer-Dieskau, Kiri te Kanawa, Mirella Freni, Hermann
Prey, Maria Ewing, Heather Begg… Philharmonique de Vienne. Mise en
scène : Jean-Pierre Ponnelle. DG, 1976.



Festival de Salzbourg 2006

Distribution

Il Conte Almaviva
Bo Skovhus

La Contessa Almaviva
Dorothea Röschmann

Susanna
Anna Netrebko

Figaro
Ildebrando D‘Arcangelo

Cherubino
Christine Schäfer

Marcellina
Marie McLaughlin

Bartolo
Franz-Josef Selig

Basilio
Patrick Henckens

Don Curzio
Oliver Ringelhahn

Antonio
Florian Boesch

Barbarina
Eva Liebau

Wiener Philharmoniker
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor

Direction : Nikolaus Harnoncourt

Lire aussi la présentation de l’opéra sur le site du festival de Salzbourg

Illustrations
Barbara Krafft, portrait de Mozart
Goya, scène galante

Mozart, invité d’honneur de Radio classique »Moi, Mozart », feuilleton jusqu’au 31 juilletCosi fan tutte (Solti, 1974), dimanche 23 juillet à 21h

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Mozart, invité d’honneur de Radio classique
Un feuilleton à partir du 10 juillet, un opéra le 23 juillet : Mozart s’invite sur Radio classique…

« Moi, Mozart« 
Pendant l’été du 10 au 31 juillet, la chaîne radiophonique rediffuse un cycle de fictions où Mozart se raconte à la première personne. « Moi, Mozart » est le titre de ce feuilleton de l’été, en 16 épisodes, qui donne la parole à Luq Hamett, « inoubliable voix française » de Mozart dans Amadeus, film culte signé Milos Forman. Voyages et rencontres, génèse des oeuvres et des opéras, pensées et ressentiments, jugements et admirations, évocation de l’Europe des Lumières au travers d’une confession imaginaire…


Tous les jours de la semaine
du 10 au 31 juillet,
De 12h à 14h

10 juillet, 1791 : la dernière année
11 juillet, Rupture avec Colloredo et installation à Vienne
12 juillet, Que penser de Haydn?
13 juillet, les séjours en Italie (Milan, 1770 à 1773)
14 juillet, Mozart et l’Angleterre

17 juillet, Mozart et Beethoven
18 juillet, Prague
19 juillet, Michael Haydn
20 juillet, Paris : les illusions perdues
21 juillet, Mozart et la franc-maçonnerie

24 juillet, Salzbourg
25 juillet, la famille Mozart
26 juillet, Mannheim
27 juillet, Richard Strauss, héritier de Mozart
28 juillet, musiques de Mozart au cinéma
31 juillet, Mozart et les femmes

Mozart, Cosi Fan Tutte (Vienne, 1790)

Radio classique
Soirée lyrique du 23 juillet à 21h

A la différence des Noces ou de Don Giovanni, qui précèdent l’ouvrage, Cosi n’est pas l’adaptation d’un texte préexistant. Qu’il s’agisse ou non d’un fait divers rapporté par Da Ponte à l’empereur Joseph II, Cosi est un modèle dans le genre de la comédie lyrique. Tout d’abord, mécanique du pari, puis comédie du déguisement, enfin, dévoilement cynique. Que Mozart y ait signé l’une des ses partitions les plus inspirées, qui ferme le cycle de la trilogie composée avec Da Ponte, n’en est pas la moindre qualité. L’opéra fut commandé aux auteurs des Noces et de Don Giovanni, au moment de la reprise des Noces à Vienne le 29 août 1789. Une reprise particulièrement applaudie. Cosi, créé le 26 janvier 1790, rapporta 900 florins au compositeur, le double de sa rétribution obtenue pour les Noces. Le compositeur était âgé de 34 ans.

Georg Solti, 1974
Pilar Lorengar (Fiordiligi), Teresa Berganza (Dorabella), Jane Berbié (Despina), Ryland Davies (Ferrando), Tom Krause (Guglielmo), Gabriel Bacquier (Don Alfonso), Choeur de Covent Garden, Philharmonique de Londres (Decca)

Emporté par l’allant, le sens de l’urgence scénique, cet enregistrement qui n’est pas le seul enregistré par le chef hongrois, bénéficie d’une pléiade de bons chanteurs. Le plateau vocal soutenu dans les récitatifs par Jeffrey Tate, exprime parfois avec un certain hédonisme expressif, une pointe appuyé, les situations mozartiennes. Berganza qui fut une Dorabella légendaire à Aix-en-Provence, reprend le rôle avec un panache et un style redoublés, Tom Krause à la santé rayonnante, Berbié espiègle et Bacquier, jubilatoire donnent la valeur de cet enregistrement convaincant : sa facture théâtrale, d’un mordant plein d’esprit.


Illustrations
Fragonard : Le verrou (Paris, musée du Louvre)
Fragonard : le baiser à la dérobée

Richard Wagner, L’Or du Rhin (Munich, 1869)Direct, Radio classique, le 8 juillet à 21h45

Si l’Or du Rhin est le prologue de la Tétralogie de l’Anneau du Nibelung, sa rédaction sous forme de poème a été la dernière. Dans un processus extrêmement long, près de 25 années de gestation pour l’ensemble du cycle, finalement créé dans sa totalité en 1876, Wagner écrit tout d’abord l’action du Ring. Il commencera par le Crépuscule des Dieux pour rédiger, au terme de sa rédaction, le poème de l’Or du Rhin. Le compositeur élabore une cosmogonie musicale dont l’ambition est de souligner la malédiction des êtres quand ils ont perdu toute vertu, quand ils ont délibérement monayé leurs innocence première.
L’Or du Rhin fut créé avant la construction et l’achèvement du théâtre de Bayreuth. L’ouvrage est représenté, dès septembre 1869 à Munich à l’instigation de Louis II de Bavière, le mécène de Wagner.

Nous sommes à la genèse de l’épopée. Wagner y décrit les manipulations inspirées par la voracité des personnages pour le pouvoir et la richesse. Le dieu des dieux Wotan, que Wagner a imaginé d’après le dieu scandinave Odin, a vendu la déesse Freia aux géants Fafner et Fasolt pour qu’ils lui bâtissent un palais digne de son orgeuil. Mais entre temps les géants ont changé d’avis et convainus par Loge, le maître du feu, ils souhaitent plutôt l’or du Rhin, dérobé par le nain Nibelungen, Albérich. Wotan s’abaisse à descendre parmi les Nibelungen, pour voler à Albérich son or.

A l’origine du cycle, tractations, manipulations, mensonge et détournement sont révélateurs des personnalités en présence. La vertu , la justice et la loyauté sont piétinées par un Dieu sans scrupule (Wotan), des Géants vénaux, des Nains affrontés (Albérich et Mime) plus retors encore que le Dieux sensés être plus civilisés. Albérich incarne la figure exemplaire du calculateur tyranique : il a renoncé à l’amour pour se rendre maître de l’Or. Mais un maître ridicule qui se fera berner par plus astucieux que lui.

La vision de Wagner, compositeur et poète (il a rédigé lui-même le livret) est des plus sombres et des plus désenchantées. Influencé par Shopenhauer, il exprima encore plus explicitement le poison de l’amertume et de son pessimisme quand il interrompt la composition de la Tétralogie, pour écrire Tristan.
Tout acte réalisé se paie. Que Wotan veuille construire un palais fastueux : soit ! Mais qu’il ait vendu Freia, qu’il manipule et agisse au mépris des valeurs essentielles, et c’est tout un monde qui bascule. Erda paraît déjà et prophétise la Crépuscule des Dieux. Au moment où les géants bâtisseurs reçoivent leur tribut en or, la malédiction s’accomplit et Fafner tue son frère Fasolt. Certes, à la fin de l’Or du Rhin, les Dieux conduits par Wotan, à l’exception de Loge, s’élèvent sur l’arc-en-ciel survenu après un orage, pour prendre possession de leur demeure céleste. Brève temps de gloire. Car dans les Journées qui suivent, d’autant plus dure et amère, sera leur chute.

Radio classique
en direct du festival d’Aix

Direction musicale
Sir Simon Rattle

Mise en scène, scénographie et vidéo
Stéphane Braunschweig

Costumes, collaboration à la vidéo
Thibault Vancraenenbroeck
Lumière
Marion Hewlett et Patrice Lechevallier
Collaboration à la mise en scène
Georges Gagneré
Collaboration à la scénographie
Alexandre de Dardel
Collaboration artistique
Anne-Françoise Benhamou

Wotan
Sir Willard White
Donner
Detlef Roth
Froh
Joseph Kaiser
Loge
Robert Gambill
Fasolt
Evgeny Nikitin
Fafner
Alfred Reiter
Alberich
Dale Duesing
Mime
Burkhard Ulrich
Fricka
Lilli Paasikivi
Freia
Mireille Delunsch
Erda
Anna Larsson
Woglinde
Sarah Fox
Wellgunde
Victoria Simmonds
Flosshilde
Ekaterina Gubanova

Orchestre
Berliner Philharmoniker


Approfondir

Lire notre dossier spécial consacré à l’Anneau du Nibelung

Illustrations

Wotan, seigneur à la lance, maître du feu. Dessin de Hendrich, 1906.
Portrait de Richard Wagner (dr)

Daniel Barenboim Concert du West-Eastern Divan orchestra,En direct. Arte, le 20 août à 19h

Contre la haine et l’enfer de la guerre, un seul mot d’ordre : musique ! Ce mot lâché avec sérieux aurait pu tomber à l’eau, or il tombe à pic dans le contexte plus que tendu du conflit israélo-palestinien. Un homme relève le défi : contrer la fatalité des vendettas, éradiquer les foyers de violence. Réapprendre à vivre ensemble, en harmonie.
Le chef israélien Daniel Barenboim avec l’intellectuel palestinien Edward Saïd (décédé après le lancement du projet, en 2003), ont composé un duo exemplaire destiné à rompre la guerre entre frères ennemis. Leur initiative s’est pleinement réalisée lors du concert historique à Ramallah (en août 2005, dont les enregistrements CD et DVD son parus chez Warner), mais aussi en 2006, avec le nouveau concert diffusé en direct sur Arte, le 20 août, depuis l’Alhambra de Grenade.

Pour se faire, est né l’orchestre des jeunes musiciens originaires des deux camps : le West-Eastern Divan Orchestra.

Weimar, 1999. Dans le ville de Goethe, première session d’orchestre : une phalange composée de 80 musiciens isréaliens et palestiniens, de 13 à 26 ans. Jouer ensemble, apprendre à suivre une partition en frères d’esprit et de cœur. Le symbole est fort et son enjeu de taille. Et si la musique pouvait indiquer une nouvelle issue ?

Après Weimar, Séville acueille en 2002 le mois de répétition qui prélude à la tournée en Europe mais aussi dans les pays originaires des instrumentistes : Proche-Orient, Espagne.
L’Espagne en particulier le gouvernement autonome d’Andalousie veut apporter sa contribution pour la reconnaissance de l’apport culturel que Juifs et Arabes ont prodigué au prestige culturel et à l’économie du pays. Phalange symbole d’une musique de réconciliation et pacificatrice, mais aussi tremplin école pour de jeunes instrumentistes désireux d’intégrer les orchestres. Certains ont déjà rejoint les ensembles professionnels comme membres permanents. Le projet est aussi un moyen de professionnalisation.

2005, concert à Ramallah en Palestine. Nouvelle étape : le symbole pacificateur du Divan orchestra prend tout son sens. Au programme, symphonie de Symphonie concertante de Mozart et 5ème Symphonie de Beethoven. Barenboim pose sa baguette et explique aux journalistes le message qui est le sien : atténuer la haine. Donner en héritage aux générations pacifiées, un monde plus humain, pacifié. Il crée un jardin musical pour enfants afin d’encourager et repérer les vocations musicales précoces.
En terre palestinienne, le chef israélien donne la mesure d’une action résolument combattante… pour la paix. Pourquoi jouer Beethoven ? Parce qu’il parle de la condition humaine, une condition fragile.

Eté 2006, nouveau chapitre d’un projet qui se construit pas à pas tant les obstacles sont nombreux. Arte, associé au projet déjà l’an dernier où la chaîne culturelle diffusait le concert de Ramallah, retransmet cet été, en direct, le concert programmé depuis l’Egypte. Le désir de concilier les haines ancestrales par la musique est digne d’admiration mais Barenboim va plus loin encore. C’est la place de la musique et sa perception qui est en jeu : une musique professionnelle certes mais vivante et engagée, voilà qui change des salles de concerts et des conditions classiques de son audition. Voilà un défi d’envergure pour la musique du XXIème siècle. Son seul et véritable défi, en définitive.

arte, dimanche 20 août à 19h.
En direct de l’Alhambra de Grenade
au programme :

Beethoven,
Ouverture Leonore III

Brahms,
Symphonie n°1

Bottesini,
Fantasia pour deux contrebasses sur un thème de Rossini.

Ecouter
« Live in Ramallah« . Mozart, symphonie concertante KV 297b. Beethoven, symphonie N°5. Elgar, Enigma Variations, Nimrod.
West-Eastern Divan orchestra, direction : Daniel Barenboim
(Warner classics). Lire notre critique.

Voir
Dvd double : Documentaire : « Knowledge is the beginning« 
concert de Ramallah (Warner vision)

Tournée

Du 7 au 13 août : Espagne.
Mardi 22 août : Bozar de Bruxelles
Mercredi 23 août : Châtelet à Paris

Approfondir
consultez le dossier spécial Daniel Barenboim sur le site d’Arte

Richard Wagner, l’Anneau du Nibelung (1876)

wagner grand formatRemonter à l’origine du monde, où l’homme n’était pas encore tel qu’on le connaît : cet animal fourbe et vil, corrompu par l’avidité, rongé par une soif insatiable d’amour, de puissance et de richesse. En recomposant l’histoire de l’humanité, Richard Wagner offre dans la Tétralogie, une vision désenchantée de la civilisation. Peut-être veut-il nous dire simplement que tout ce qui est né sur cette terre est destiné à la détruire ? Alors comment rompre le sortilège de la fatalité ? Comment renaître à nous-même en se détachant des pièges de la possession, de l’envie, de la jalousie, de la haine, du crime ? Justement, la réponse est là sous nos yeux, devant le spectacle de l’Anneau des Nibelungen : en ne faisant rien de ce qui s’y passe. En choisissant la voie du renoncement et de la vertu retrouvée. Etre ce que Wotan n’est pas : renoncer au pouvoir. Etre ce qu’Albéric n’est pas : ne pas manipuler ni mentir. Etre ce que Siefried n’est pas : agir mais avec discernement pour démasquer au sein de la félonie environnante, les complots et les intrigues. En nous décrivant un monde déshumanisé, qui a perdu toute valeur, Wagner s’interroge sur le destin de l’humanité. Pouvons-nous échapper à la guerre et à la destruction ? Oui, et la réponse est là encore éloquente : grâce à l’amour. C’est de l’amour entre Siegmund et Sieglinde, que naît le héros de l’espoir, Siegfried, dans un monde sans horizon. C’est encore le pur sentiment amoureux qui unit Brunnhilde et Siegfried, en un répit salutaire avant que ne s’accomplisse la catastrophe finale du Crépuscule des dieux.

Lectures
Wagner-assis_290-1Wagner cherche un nouveau sujet, une matière poétique assez dense et foisonnante pour répondre à sa quête théâtrale : inventer un opéra d’un nouveau type. Ni historique ni moralisateur. Il s’écarte délibérément de la machine lyrique traditionnelle avec ses codes, son système vocal, ses cadres musicaux formatés, systématiques. C’est bien une nouvelle structure qui est en jeu, et avec elle, une conception originale et inédite du développement musical et de la dramaturgie. Une action totale, mêlant théâtre, musique, poésie qui soit féérie, évasion, surtout renouvellement complet des genres et des codes. Il lit les mythes allemands dans le texte de Jakob Grimm, surtout les contes scandinaves et aussi les tragédies grecques. La légende des Nibelungen, qui évoque la création du monde et la décadence des dieux, excite son imagination. Il remodèle les trames narratives, associe selon sa propre conception dramatique les épisodes découverts. Ainsi naît une première ébauche d’action tragique dont il écrit tout d’abord le poème.
Au départ, le compositeur s’est fait poète. Aux côtés des divinités mythologiques, le dramaturge écrivain invente le nom de ses futurs héros, Wotan dérivé d’Odin, Fafner, de Fafnir… Se refusant à la forme d’un intrigue historique, il réinvente la fin. Oublie Attila le Hun et imagine un bûcher sacrificiel dans lequel un monde né au début de son œuvre, se consume pour accoucher d’un nouveau, par les flammes. Son texte est une matrice dont les intrigues dévoilées forment la matrice d’une civilisation nouvelle à naître

A la tache dès 1849, c’est-à-dire après ses opéras créés à Dresde, Tannhäuser et Lohengrin qui tout en offrant une alternative à l’opéra historique, avaient démontré les limites de l’opéra romantique à sujet médiéval, Wagner pense à l’opéra du futur. Mais pour l’intégrer dans un vaste cycle narratif, il faut expliquer d’où il vient, à quels autres personnages son destin est lié. Ainsi Wagner en partant, au démarrage d’un personnage central, plonge lui-même dans un réseau de filiations chronologiques qui lui font remonter le fil du temps. Il élabore tout d’abord, une Mort de Siegfried (préfiguration du Crépuscule des Dieux), puis un nouvel épisode qui explique les événements précédents la dite mort : Jeune Siegfried. Et déjà dans son esprit ce précise le principe de la narration rétrospective. Ainsi, tout le poème de la Tétralogie, qui se compose d’un Prologue (L’or du Rhin) et des trois journées (La Walkyrie, Siegfried et Le crépuscule des Dieux), est écrit à rebours. Wagner commence par la mort de Siegfried puis remontant aux origines et à l’enfance du héros, élabore la trame des journées précédentes, jusqu’au vol originel de l’or du Rhin qui est le Prologue. Evoquer Siegfried, c’est nécessairement expliquer sa naissance, donc ses parents, mais aussi sa fin tragique, donc son lien avec Wotan et sa manipulation honteuse et cynique par les Gibishungen.

Ainsi Wagner édifie par strates indivuelles successives, la généalogie de ses personnages. Chacun découle de l’autre. C’est peut-être l’enseignement le plus essentiel du Ring. Aucun élément de l’action ne s’accomplit isolément. Tout trouve sa cause chez l’autre. Allomatie, interdépendance… L’autre est mon destin, ma fatalité ou mon salut. Mais, aucun être ne peut s’en sortir seul. Voilà donc lâché le second message fondamental aux côtés de l’amour : la fraternité et la compassion. Mais là encore, fraternité et compassion découlent de l’amour. Si j’aime l’autre, je me sauve moi-même.

Autre élément, tout aussi capital. Si rien sur cette terre ne peut se développer seul impunément, alors tout ce qui est fait, se paie d’une manière ou d’une autre. Ainsi, Wotan qui dérobe pour lui-même l’or d’Albérich qui lui-même l’avait volé des filles du Rhin, s’attache à la spirale maudite qui impose la loi du châtiment : celui qui agit et décide, doit payer les conséquences de ses actes. En prenant le pouvoir sur la nature, acte symboliquement représenté par sa lance qu’il a taillé dans une branche du Frêne originel, Wotan entraîne non seulement sa chute mais aussi celle de sa descendance et de sa famille qui répète les mêmes actes.
L’équilibre des origines a donc été brisé. Et tous les événements qui suivent l’avènement de Wotan raconte la chute de tout le système : si Wotan semble infléchir les géants, puis les nains enfin les hommes, il suscite sa propre chute. Son temps est bel et bien compté. Au final, la Tétralogie raconte le déclin d’un monde humain qui a perdu son humanité. Pareil à Wotan englué par ses tractations et ses contrats, ni Siegfried ni Brunnhilde ne peuvent échapper à la loi de l’anéantissement. La quête du Ring est celle d’un humanisme à redéfinir, par opposition à ce que Wagner nous montre sur la scène.

Composition. Sur le plan musical, a contrario de l’écriture du poème, Wagner compose chronologiquement la musique du Ring en suivant l’ordre des ouvrages. D’abord l’Or du Rhin, puis la Walkyrie, enfin Siegfried. La conception prend une tournure singulière. Les épisodes de la vie du musicien innervent le déroulement de l’écriture. Epoux de Minna, mais amoureux de Mathilde Wesendonck, Wagner prend une pause solitaire à Venise, en 1857, pour, rompant avec la fil de la Tétralogie, composer Tristan und Isolde, manifeste de sa conception de l’opéra du futur. L’œuvre créée à Munich en 1865 aura une résonance définitive sur tous les compositeurs européens. Avec Tristan, bien avant la Tétralogie, le Wagnérisme déjà éclatant avec Le Vaisseau fantôme, Tannhäuser et Lohengrin, répand ses flots vénéneux. Pas un compositeur qui n’échappera à ses charmes et ses sortilèges.

Rencontre. L’homme dégage un magnétisme irrésistible. La grandeur du génie musicien, la démesure de son théâtre captivent les âmes sensibles en particulier, celles dévorées par le feu d’un romantisme exacerbé. Wagner trouve en Louis II de Bavière, son mentor, son protecteur, un indéfectible admirateur, le soutien moral et surtout financier, grâce auquel il pourra non seulement achever son œuvre, mais aussi, pourra bâtir le théâtre, machinerie scénique et fosse orchestrale, qui permet sa représentation. Tout est dit lorsque, solennellement, le jeune souverain commande, le 7 octobre 1864, au compositeur de terminer son œuvre. Le projet prendra forme aboutie quatre ans plus tard, en 1868.

Louis II fait représenter l’Or du Rhin en 1869, puis la Walkyrie à Munich en 1870. L’année de la création de L’Or du Rhin, Wagner poursuit la composition du Crépuscule des Dieux. Deuxième puis troisième actes sont achevés en 1872. C’est l’année où débute aussi le chantier du futur théâtre de Bayreuth. Deux années plus tard, le 21 novembre 1874, l’année de la première exposition impressionniste, Wagner achève la partition du Crépuscule des Dieux.

En 1875, le théâtre de Bayreuth est édifié et les premières répétitions du Ring, sous la direction de Hans Richter débutent. Le 13 août 1876 est inauguré le premier festival, désiré par Wagner, et finalement exaucé : tout d’abord l’Or du Rhin, puis la Walkyrie (le 14), Siegfried (le 16) enfin Le crépuscule des Dieux (le 17).
La prodigalité du Souverain de Bavière va jusqu’à édifier pour le compositeur, une maison, baptisée Wahnfried (« la paix issue de la tourmente »), non loin du théâtre.

Dès le premier festival, Bayreuth devient un centre musical européen où se pressent musiciens mais aussi élites financières et politiques. Si Wagner devient le compositeur le plus adulé de son temps, suscitant aux côtés de sa cour d’amirateurs, de farouches opposants tels Tchaikovsky, Brahms ou Nietzsche, qui fut pourtant un premier défenseur, la Tétralogie est bientôt mise de côté. Le compositeur est déjà sur un autre ouvrage, Parsifal dont la matière musicale et poétique est composée en Italie jusqu’au début 1882.

Illustrations

Richard Wagner, photographie de Franz Hanfstaengl (dr)
Siegfried, gravure (dr)
Wotan, dessin (dr)
Théâtre de Bayreuth, façade (dr)

 

Gustave Charpentier (1860-1956)Biographie à l’occasion des 50 ans de la mort du compositeur

2006 marque les 50 ans de la mort de Gustave Charpentier. Retour sur la carrière du compositeur, étudiant à Tourcoing et Lille, élève de Massenet et pensionnaire de la Villa Médicis de 1888 à 1890. Son œuvre principale demeure Louise (1900) dont le sujet confirme le talent d’un compositeur indépendant qui s’est engagé pour les plus démunis et le petit peuple des ouvriers de Paris.

Gustave Charpentier est né à Dieuze (Lorraine), le 25 juin 1860.
A dix ans, le jeune garçon suit sa famille à Tourcoing car la père a décidé de fuir l’autorité allemande occupante de la Lorraine.
Charpentier apprend le violon et à 16 ans fait partie, en 1876, de l’orchestre symphonique de la ville. Le très jeune musicien est aussi un entrepreneur : il créé une société symphonique, donne des cours de violon en particulier à son futur protecteur et mécène Albert Lorthiois, lequel lui permet de rentrer au Conservatoire de Lille.
Il y suit entre autres, la classe d’harmonie en 1878, tout en se perfectionnant au violon. A 19 ans, son prix d’honneur de violon en poche, Charpentier reçoit de la ville de Tourcoing une gratification dont le montant lui permet de poursuivre sa formation à Paris.

Après un premier apprentissage au Conservatoire auquel il renonce, Charpentier réapprend l’harmonie auprès du professeur Pessard en 1881. A 25 ans, il est fin prêt pour recevoir les conseils de son nouveau maître, Jules Massenet à partir de 1885, duquel il approfondit sa connaissance de la composition. Très vite, le disciple se montre indépendant, irréductible à aucune autorité.
Grand bien lui en fit, puisqu’en 1887, à 27 ans, il se présente pour le Prix de Rome et obtient à l’unanimité le premier prix avec Didon, scène lyrique, que les concerts Colonne joueront dans le cadre de leur saison en 1888.
Le disciple indépendant de la classe de composition de Massenet à Paris, se montre à Rome, comme pensionnaire de la Villa Médicis, des plus agités. Ce dès son arrivée, en février 1888. Insoumis à la discipline imposée par le directeur de l’Académie de France à Rome, le Peintre Ernest Hébert, qui fut le protégé de la princesse de Nieuwerkerke, portraitiste mondain du Second Empire et puis, peintre des scènes de la vie populaire.
Privilégié à Rome, Charpentier s’insurge contre la vie monacale des musiciens et peintres pensionnaires, quitte Rome pour visiter à Paris, l’exposition universelle de 1889.
Insurgé contre le système, Charpentier compose néanmoins avec facilitié et inspiration pendant son séjour romain : la Vie du poète, les Impressions d’Italie, les premières esquisse de son opéra, Louise.

Au terme de sa seconde année à la Villa Médicis, Charpentier rejoint la capitale parisienne en 1890, pour loger dans un petit appartement de la rue Custine, près de la Butte Montmartre dont il aime la vie de bohème, les restaurants, les bars animés, surtout la fréquentation des parisiens.

En phase avec le milieu du petit peuple, il aime cultiver l’esprit de la contestation, la critique du système bourgeois et de l’ordre. Ses compositions telles la Chanson du Chemin, sur des paroles de Camille Mauclair, et les Impressions fausses pour orchestre, baryton et chœur d’hommes, et d’après Verlaine, la Veillée rouge et la Ronde des Compagnons, révèlent un artiste engagé pour la cause des démunis, des indigents, des indigents.

Les années 1890, affirment le talent du compositeur trentenaire.
Ses Impressions d’Italie (1891) permettent au compositeur d’obtenir un premier succès publique.
Mais depuis le séjour romain, il est sur le métier de son opéra, Louise, dont l’écriture se poursuit surtout à partir de 1893 et est terminée en 1896. L’ouvrage est créé à l’Opéra-Comique le 2 février 1900. Les facilités mélodiques, un lyrisme parfois facile suscitent un éclatant succès. Outre son réalisme engagé, en affinité avec les conceptions de l’auteur, Louise est une œuvre riche et dense, qui puise aussi sa matière poétique et musicale chez les symbolistes et l’avant-garde impressionnsite. L’ouvrage doit donc être mis en relation avec le contexte des recherches musicales du début du siècle.
Roman musical en quatre actes, Louise impose et le talent du compositeur et celui du librettiste : Charpentier. Emblématique du petit peuple de Paris, miséreux et romantique, la cousette de Montmartre, Louise, aime son voisin, Julien, jeune poète sans le sou. Sous les toits de Paris, se niche les amours anecdotiques des démunis. Le sujet rappelle l’opéra de Puccini, La Bohème, créé en 1896, précisément l’année où Charpentier termine Louise.
Il y a certes la critique sociale, celle portée par Louise et sa condition des plus fragiles, par son père qui revendique pour les pauvres, le droit au bonheur ; il y a surtout ce que l’acte créateur sublime. De l’anecdote à la réflexion artistique et philosophique : Louise est une œuvre de pure poésie dont la musique porte les revendications d’un héroïne libertaire, prônant et l’émancipation de sa condition et l’égalité des hommes. C’est aussi une œuvre dont « Paris est le véritable personnage » précise Charpentier. Un Charpentier éclectique, perméable aux tendances de son époque, associant comme beaucoup d’auteurs parisiens, wagnérisme, symbolisme et aussi impressionnisme. La partition de Louise ne peut donc être réduite à une simple évocation naturaliste dont l’anecdote sociale seule, justifie le succès immédiat à l’échelle planétaire.

Charpentier avait le projet avec Louise, d’un triptyque, un ensemble cohérent en trois volet.
Ainsi succède à Louise, Julien, créé à l’Opéra-Comique, le 4 juin 1913. Autant Louise fut un triomphe sans ombre, autant Julien offre une suite qui déconcerte le public par ses tableaux abstraits dans lesquels l’auteur poursuit avec davantage de véhémence l’esprit et la fantaisie du poète : Julien rêve de Louise morte. Il tente à l’évocation de sa bien-aîmée perdue à jamais, de revivifier son amour de la beauté et de l’art. En vain, poète et homme maudit, il renonce et meurt. Le style de Julien rompt avec ce qui avait fait le succès de Louise, son naturalisme social, son ancrage dans une époque qui assurait aussi sa réussite scénique et dramaturgique. Avec Julien, Charpentier approfondit la figure allusive, entre présent et passé, vie réelle et vie perdue, veine symboliste et même surréaliste.
Pour clore sa trilogie, Charpentier amorce ensuite L’amour du Faubourg et Marie, fille de Louise. Mais il s’agit d’esquisses inachevées, rendant son projet de cycle lyrique en trois volet, hélas caduque.

Socialiste militant, Charpentier dont le père était boulanger, fonde avec Albert Doyen, en 1902, le conservatoire populaire de Mimi Pinson, dont le nom est un emprunt à Musset : l’institution prodigue des cours de musique et de danse, gratuits, aux jeunes ouvrières. Pour toutes les Louise de son époque, le compositeur entend donner aux classes populaires une éducation artistique particulièrement soignée. Retirant aux plus riches, le monopole de la sensibilité et de l’accès à la culture.
C’est l’époque des innovations et des révolutions lyriques : Debussy créée son Pelléas et Massenet insatisfait quant à la version originale pour ténor, valide une nouvelle production de son Werther pour baryton.
Aux côtés du compositeur, il est intéressant d’évoquer aussi l’activité du chef d’orchestre.

Le conservatoire Mimi Pinson s’avère une expérience
visionnaire. Associant art et solidarité, il s’agit d’une fondation de philantropie exemplaire. Charpentier y consacre son temps, son énergie et son argent.
Dès 1912, sans qu’il ait eu besoin de se présenter plusieurs fois, le compositeur proche du peuple, devient membre de l’Académie des Beaux-Arts, à la succession de Jules Massenet.

Le compositeur produit de plus en plus rarement. A la demande d’Abel Gance qui adapte pour le cinéma sa Louise, en 1938, Charpentier se replonge dans la partition et contrôle l’adaptation cinématographique de son grand œuvre.
Après la deuxième guerre mondiale, il retrouve un logement à Montmartre et se consacre à l’écriture de chansons et de mélodies. Il meurt à 96 ans le 18 février 1956.

Catalogue succint des œuvres

Impressions d’Italie, suite symphonique (1891)
La Vie du Poète, symphonie-drame en trois actes
Impressions fausses – La veillée Rouge, La ronde des compagnons d’après Paul Verlaine (1894)
Sérénades à Watteau, d’après Paul Verlaine (1896)
Louise, roman musical en 4 actes (1900)
Julien poème lyrique en 4 actes avec prologue (1913)


Illustrations

Gustave Charpentier (dr)
Portrait de Gustave Charpentier (dr)
Le ténor Caruso et Gustave Charpentier. Caruso participa à la création new-yorkaise de Julien, au Metreopolitan, en 1914. (dr)


A l’affiche

Louise est à l’affiche de l’Opéra Bastille à Paris, à partir du 27 mars 2007.
Mireille Delunsch (Louise), Paul Groves (Julien), la mère (Jane Henschel), la père (José Van Dam).
Choeurs et orchestre de l’Opéra de Paris, direction : Sylvain Cambreling
Mise en scène : André Engel. Nouvelle Production.

Triptyque Robert Schumann sur ArteLes 23, puis 29 et 30 juillet

Un cycle de musique de chambre au Musée d’Orsay à Paris, un dossier rédigé par notre confrère Le Monde de la musique (pour les mois d’été : juillet/août) et surtout, trois rendez-vous immanquables sur Arte : Schumann commence à être dignement célébré en cette année qui marque les 150 ans de sa disparition.

En deux programmes « Maestro » et un « Musica », la chaîne culturelle franco-allemande nous gâte décidément beaucoup. Abondance de biens pour nous humbles schumaniens, n’en sera que davantage bienvenue.

1. dimanche 23 juillet
arte. Maestro, à 19h

Symphonie n°1 « Le Printemps »

En si bémol majeur opus 38

Orchestre de la Tonhalle de Zurich
David Zinman, direction

David Zinman dirige l’Orchestre de la Tonhalle de Zürich depuis 1995. Fougueux, précis et même affûté, le chef se montre d’un exigence supérieure dans la symphonie n°1 « Le Printemps » de Schumann. L’oeuvre inaugure un nouveau cycle de créativité musicale exceptionnellement fécond chez un musicien qui n’avait jusque là exprimer la profondeur indicible de ses chants intérieurs qu’au piano et dans les vapeurs intimistes des lieder. La Symphonie « Le Printemps » est écrite en 4 jours et 4 nuits à l’hiver 1841. A 31 ans, Schumann impose une maturité bouillonnante : exaltation et dynamisme, énergie rythmique sans temps morts, orchestration ciselée, le brillant et la profondeur d’une âme noble s’exprime ici sans mesure. Zinman dans le court et très passionnant documentaire qui prélude au concert, explique combien l’oeuvre est traversée par un sentiment obsessionnel, éruptif, exalté. Schumann névrosé, neurasthénique ? Sa première symphonie montre tout l’inverse.

Concert 2004. Réalisation : Thomas Grimm, 42 mn.

2. Samedi 29 juillet
arte. Musica, à 22h30

Schumann, Schubert et la neige

Film de Enrique Sanchez Lansch, d’après Hans Neuenfels
Avec Olaf Bär (baryton), Elisabeth Trissenaar et Xavier Moreno (ténor). 2006, 60 mn.

3. Dimanche 30 juillet
arte. Maestro, à 19h

Martha Argerich joue Schumann
Concerto pour piano et orchestre en la mineur, opus 54

Orchestre du Gewandhaus de Leipzig
Riccardo Chailly, direction

Concert 2006. 43 mn.

illustrations
David Zinman (dr)

Lire aussi notre dossier Schumann, depuis notre moteur de recherche « archives ».

Mozart, La Clémence de Titus (1791)Mezzo, le 26 août à 20h50.

2006, abondance de Clémences ! L’année des 250 ans de la mort de Mozart a livré ses révélations : les nombreuses relectures du dernier seria du divin Wolfgang, La Clémenza di Tito, composé en 1791 en même temps que le Requiem et la Flûte, est en passe de réhabilitation.
En témoigne cette production présentée à l’opéra Garnier des plus plutôt convaincante, grâce à un couple de metteurs en scène désormais applaudis pour leur œuvre mozartienne, Ursel et Karl-Ernst Herrmann.

Présenté au préalable à la Monnaie de Bruxelles (au début des années 1980), le dispositif scénique du couple Herrmann accueillit sur la scène de Garnier, fonctionne indiscutablement : elle s’intéresse à la passion expressionniste qui brûle le cœur des protagonistes, moins Titus (noble Christophe Prégardien) que Vitellia (Catherine Ngelstad) et surtout le Sesto dévasté puis solaire de Susan Graham.

Métamorphose des âmes, tourments et cruauté sont autant de qualités remarquablement mises en musique par Mozart, d’autant que l’issue de cet opéra de cour, destiné au divertissement du nouvel empereur Leopold II à l’occasion de son couronnement à Prague comme Roi de Bohême, s’achève dans le pur esprit des Lumières : pardon, renoncement, clémence.

La production choisie par Mortier remplaçait à Paris, celle de Willy Decker qui fonctionnait correctement sous le plafond du palais Garnier. Or le nouveau directeur de l’Opéra de Paris, reprenait en fait une production mozartienne produite pour La Monnaie, avec la complicité de son chef favori, Sylvain Cambreling et ce regard d’une froide élégance, conçu par Ursel et Karl-Ernst Herrmann.

Avec le recul, la reprise s’avère des plus inspirées d’autant qu’elle rend justice à un ouvrage régulièrement écarté par musicologues et historiens. La Clemenza di Tito est l’œuvre d’une immense dramaturge : Mozart y a mis tout son cœur. Et même, il reprend une longue réflexion sur le thème seria, initiée depuis ses premiers ouvrages, Mitridate et Lucio Silla, poursuivie avec Idoménée dont la création en 1781, devance de dix ans, la première représentation de Tito. La comparaison souligne l’évolution de l’écriture : épure, approfondissement psychologique des caractères, sens de la fusion et de la synthèse, car ici le souffle éppique de la fresque romaine, soustend un drame individuel pénétrant. En témoigne le final de l’Acte I qui voit l’incendie du Capitole et l’errance des protagonistes, de plus en plus solitaires.

Titus, opéra bâclé? Un chef d’oeuvre à redécouvrir d’autant plus urgemment en cette année des plus mozartiennes !
Cette vérité ne sera jamais assez dite et répétée. Saluons Mezzo de nous permettre de (re)découvrir cet « opéra jumeau » de la Flûte enchantée, selon les mots du chef Flamand René Jacobs, autre défenseur de la partition.

Mozart, la Clemenza di Tito (1791)
Direction musicale : Sylvain Cambreling
Mise en scène : Ursel & Karl-Ernst Herrmann

Avec Susan Graham, mezzo-soprano (Sesto) ; Hannah Esther Minutillo (Annio) ; Catherine Naglestad (Vitellia) ; Ekaterina Siurina (Servilia) ; Roland Bracht (Publio) ; Christophe Prégardien, ténor (Tito).

Choeur et Orchestre de l’Opéra national de Paris

(2005. Réalisation : Thomas Grimm. 3h32mn)

Lire aussi notre dossier Mozart, pour tout connaître des enjeux et de la genèse de l’opéra seria de Mozart, mais aussi découvrir les dernières réalisations cds et dvds parus à ce jour.

Le 5 septembre à 15h45
Le 9 septembre à 3h
Le 15 septembre à 15h45

Illustrations
Johann Georg Edlinger, portrait de Mozart (1790, musée de Berlin)
Jacques-Louis David, le serment des Horaces (musée du Louvre)

Richard Strauss, Capriccio (1942)Mezzo, les 22 et 23 juillet, 11 août

Voici une production conçue comme un adieu, une métaphore nostalgique d’une période esthétique qui a tiré sa révérence avec la fin du « règne » Gall à l’Opéra national de Paris. Pour décors de cette célébration : les volumes (foyer, salle et scène) de l’opéra Garnier.
La scénographie de Robert Carsen, ce « faiseur de rêve », éclaire l’opéra de Richard Strauss : il en souligne sous la référence à l’Ancien Régime, la parabole artistique. A l’opéra que choisir, texte ou musique? C’est en posant une question aussi vieille que l’histoire du genre lyrique, que Strauss rend un hommage à peine déguisé à sa vocation musicale, de compositeur d’opéra, mais aussi au style français, puisque l’action se passe en France au XVIIIème siècle.

Renée Fleming en Comtesse est le point central de la production. Sa silhouette sophistiquée convient idéalement à l’ambiance néo-baroque de l’opéra de Strauss : elle est Madeleine, incarnation du goût, arbitre du talent.

Cette lecture souligne dans cette « conversation musicale », la sublimation du passé qui prend valeur de manifeste. D’autant que la partition créée à Munich en 1942, en plein régime hitlérien, avait pour son auteur valeur de sujet humaniste : ici, l’intrigue d’une comtesse discutant de questions portant sur l’art, confrontée au choix difficile (emblématique de toute l’histoire de l’opéra comme nous l’avons dit) entre le poète et le compositeur, rappelait les valeurs sacrées de l’héritage culturel mis en faillite par la barbarie nazie. Crépusculaire et aussi presque auto-narcissique, ce Capriccio au fur et à mesure de son déroulement scénique se replie sur lui-même comme autant de miroirs en perspective, refermant peu à peu le champ de vision. La dernière scène est à ce titre significative : la comtesse Fleming perdue dans une ivresse des sens qui annihile toute décision conclusive, plonge dans son propre reflet.

A flanc de miroir, elle ne sait au juste trancher réellement, comme exaltée par la volupté d’une indécision flottante. Le dispositif scénique qui porte magistralement la marque de fabrique de Robert Carsen insiste sur cette auto célébration quasi fétichiste de l’héroïne ; sur ses questionnements, ses attentes, ses désirs : a-t-elle réellement conscience des situations qu’elle suscite ? Devant décider de qui, entre poète ou musicien, est le plus à même de conquérir son cœur, prend-t-elle pleinement conscience de l’enjeu de cette querelle qui n’est en définitive qu’un … caprice ? Dans le salon de la Comtesse, s’affaire la société de gens d’esprit et du milieu de la scène, grisés par la joute artistique : La Roche, directeur de théâtre et la célèbre actrice Clairon (épatante Anne Sofie Von Otter).

La réalisation du film déborde le cadre d’une représentation filmée : la dernière partie où chacun attend avec impatience le verdict final, sublime encore l’apparition de la Comtesse Madeleine. En un jeu de miroirs subtil, la Comtesse spectatrice dans la salle aux côtés de son frère (Le Comte), et Madeleine sur la scène, incarnant l’indécision perpétuelle de l’Art, entre poésie et musique justement, restitue la magie du spectacle dans cette impossibilité à donner une réponse. La musique quant à elle opère son enchantement.

Derrière la légèreté équivoque du propos, (le sujet convoque des allégories), c’est bien autour de la Comtesse, poésie (Olivier) et musique (Flamand) qui s’affrontent, que se déroule un drame humain, bien humain. Le jeu des chanteurs comme la mise en scène de Carsen, nous le rappellent avec beaucoup d’élégance et d’esprit.

Richard Strauss
(1864-1949) : Capriccio,
konversationsstück (« pièce en forme de conversation ») en un acte.
Livret de Clemens Krauss et du compositeur.

Renée Fleming (La Comtesse), Dietrich Henschel (Le Comte), Rainer Trost (Flamand), Gerard Finley (Olivier), Franz Hawlata (la Roche), Anne Sophie Von Otter (Clairon), Robert Tear (Monsieur Taupe), Annamaria Dell’Oste (une chanteuse italienne), Barry Banks (un ténor italien), Petri Lindroos (le majordome), Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction ; Ulf Schirmer. Mise en scène : Robert Carsen. Réalisation : François Rousillon.

Enregistré en juillet 2004 à l’opéra national de Paris.

Le film de cette production est édité en dvd chez TDK
Réf. : DVWW-OPCAPR. Durée : 2h28’. (distr. : Intégral).

Mezzo,
Les 22 juillet à 20h50, puis le 23 à 13h45.
Le 11 août à 16h.

Francesco Cavalli (1602-1676), Giasone (Venise, 1649)

Que savons-nous aujourd’hui de l’opéra le plus joué et le plus admiré au XVII ème : Giasone (Jason) mis en musique par Francesco Cavalli d’après un livret de Giacinto Andrea Cocignini et créé sur la scène du teatro San Cassiano à Venise pendant le Carnaval 1649 ?

Il faut le considérer comme un nouveau manifeste de la vitalité de l’opéra vénitien après la mort de Monteverdi, une continuation digne du maître dont Cavalli reste l’un des meilleurs disciples.
Les premiers commentateurs relèvent la réussite du livret de Cocignini qui ose marier tragédie et comédie, selon une formule pourtant portée à un premier degré d’excellence par Monteverdi au début de ces mêmes années 1640. En témoignent les 18 représentations qui suivent sa création vénitienne, d’autant plus méritantes dans un contexte où les œuvres dans la Sérénissime se pressent, où les amateurs de lyrique consomment et passent très vite à un nouvel ouvrage d’une saison à l’autre, d’un théâtre à l’autre ; en témoignent tout autant, les près de 12 manuscrits, copies d’époque d’après l’autographe de Cavalli. C’est dire le succès de la partition !

Cavalli déborde d’inventivité mélodique, et surtout d’immédiateté tonale et ryhtmique qui donne à la musique de Giasone, cette évidence immédiatement mémorisable, cette simplicité qui en rapport avec la truculence du texte, donne au final un ouvrage populaire, dans l’acceptation la plusnoble du terme. Mais le propre du musicien et de son librettiste est de jouer sur l’ambiguité psychologique des personnages, avec cette liberté propre au XVIIème : le personnage de Jason est emblématique de cette vision double et même triple, en tout cas déroutante donc fascinante pour les spectateurs : il est héroïque et bouffon, fantasque, imprévisible.
C’est aussi l’œuvre qui par son éloquente sobriété, aucun effet superflu, par cet équilibre pensé des moyens utilisés, s’avère être la plus fidèle à l’art de son maître Monteverdi dont le Couronnement de Poppée s’impose par ses fulgurances expressives, par ce sens supérieur de l’épure, de l’intensité, de la synthèse, de l’efficacité dramatique.

L’impertinence du livret a suscité certainement les plus vifs enthousiasmes car Cocignini semble doué d’une ironie mordante qui aime se jouer des règles poétiques, des canons mythologiques. Songeons par exemple à la scène où Oreste commente Jason victorieux, conquérant de la Toison d’or et enlaçant Médée : il « tient un mouton sur ses épaules, et la vache dans ses bras » !
Ici, le mythe du Jason glorieux et infidèle, et de Médée infanticide n’a pas lieu d’être. Car Cocignini aime à reprendre et recoudre le fil des épisodes mythologiques. La tragédie est écartée pour une peinture vive et cocasse des héros convoqués : Médée épouse le vieil Egée, et Jason convole avec la lugubre Hypsipyle. La charge comique et même délirante est incarnée par le personnage de Démo, confident d’Egée, bossu et bègue. Chacune de ses interventions donnent matière à un subtil jeu linguistique, d’onomatopées et de significations à double sens, à peine masqués.

L’interprète moderne doit comprendre une œuvre plurielle, décomposée au travers de ses innombrables copies qui attestant d’une célébrité inouïe du vivant de Cavalli, -âgé de 47 ans-, certain de devoir rétablir une œuvre emblématique du goût vénitien du milieu du siècle, mais démuni dans la façon de l’aborder. D’autant que, évidemment, la partition originale de la création reste inaccessible à ce jour. Les chefs recréateurs ont fait œuvre d’invention, comme René Jacobs dans son enregistrement paru chez HM, qui écrit l’air de la fureur de Médée (d’après un air de Stradella qui lui-même avait réarrangé une reprise du Giasone de Cavalli !).
Le soin des auteurs a dû comme c’était la règle alors, se focaliser sur la qualité des chanteurs qui doivent être aussi des acteurs accomplis. L’orchestre, fidèle aux conditions normales dans les petites salles des théâtres vénitiens, réduit au maximum. Deux violons et un continuo, pour l’essentiel. Ces indications qui rendent impossible une restitution de la création originelle du Giasone de Cavalli, nous laisse d’autant plus déconcertés face à un ouvrage qui fut l’un des plus grands succès de l’opéra vénitien au milieu du XVII ème siècle.

Intrigue

Prologue
Si Apollon se félicite de l’union de Jason et de Médée dont il est un ancêtre, Cupidon rappelle cependant que Jason fut auparavant l’époux de la reine Hypsipyle ! Le destin du héros créée une dispute entre les dieux.

Acte I
Ile de Colchide, château de Médée. La toison d’or y est gardée par un monstre. Mais le héros s’est alangui, préférant s’adonnant aux plaisirs voluptueux avec une inconnue qui lui a donné deux jumeaux, comme d’ailleurs marié à la reine Hypsipyle, il eut de cette dernière, sur l’île de Lemnos, deux précédents jumeaux. Médée de son côté quitte son amant Egée, roi d’Athènes.
Delfa, nourrice de Médée conseille à sa maîtresse d’épouser le noble Jason. Survient Hypsipyle venu reprendre son infidèle époux.
Magicienne, Médée invoque le dieu des enfers, Volano, et forge une bague qui redonne à Jason, sa puissance passée.

Acte II
Oreste, le confident d’Hypsipyle lui apprend l’infidélité de Jason. Lequel disposant d’une force reconquise, s’empare de la toison d’or. Il fuit l’île de Colchide pour rejoindre l’île de Lemnos où rencontrant son épouse Hypsipyle, la déclare folle. Entretemps, un nouveau couple, Besso/Alinda, serviteurs, se forment. Leur duo constitue le final.

Acte III
Médée paraît et jalouse d’Hypsipyle à laquelle Jason se montre à présent bien disposé, ordonne que l’on tue sa rivale. Mais victime d’un quiproquo, Médée se retrouve être la victime du complot : elle est jetée à la mer. Elle est sauvé par Egée alerté par ses cris, et accepte d’épouser son serviteur. Hypsipyle se présente enfin à Jason et parvient à l’émouvoir : le héros sent renaître son amour pour son ancienne épouse.

discographie

René Jacobs, 1988
Michael Chance, Gloria Banditelli, Catherine Dubosc, Agnès Mellon… Concerto vocale. 3 cds Harmonia mundi.


Illustrations
Fresque romaine, l’éducation d’Achille
Gustave Moreau, Jason

Francesco Cavalli (1602-1676), Giasone (Venise, 1649)

Que savons-nous aujourd’hui de l’opéra le plus joué, le plus admiré au XVIIème : Giasone (Jason) mis en musique par Francesco Cavalli d’après un livret de Giacinto Andrea Cocignini et créé sur la scène du teatro San Cassiano à Venise pendant le Carnaval 1649 ?
Il faut le considérer comme un nouveau manifeste de la vitalité de l’opéra vénitien après la mort de Monteverdi, une continuation digne du maître dont Cavalli l’un des plus illustres disciples.
Les premiers commentateurs relève la réussite du livret de Cocignini qui ose marier tragédie et comédie, selon une formule pourtant portée à un premier degré d’excellence par Monteverdi au début de ces mêmes années 1640. En témoignent les 18 représentations qui suivent sa création vénitienne, d’autant plus méritantes dans un contexte où les œuvres dans la Sérénissime se pressent, où les amateurs de lyrique consomment et passent très vite à un nouvel ouvrage d’une saison à l’autre, d’un théâtre à l’autre ; en témoignent tout autant, les près de 12 manuscrits, copies d’époque d’après l’autographe de Cavalli. C’est dire le succès de la partition !
Cavalli déborde d’inventivité mélodique, et surtout d’immédiateté tonale et ryhtmique qui donne à la musique cette évidence immédiatement mémorisable. Mais le propre du musicien et de son librettiste est de jouer sur l’ambiguité psychologique des personnages, avec cette liberté propre au XVIIème : le personnage de Jason est emblématique de cette vision double et même triple, en tout cas déroutante donc fascinante pour les spectateurs : il est héroïque et bouffon, fantasque, imprévisible.
C’est aussi l’œuvre qui par son éloquente sobriété, aucun effet superflu, par cet équilibre pensé des moyens utilisés, s’avère être la plus fidèle à l’art de son maître Monteverdi dont le Couronnement de Poppée s’impose par ses fulgurances expressives, par ce sens supérieur de l’épure, de l’intensité, de la synthèse.
L’impertinence du livret a suscité certainement les plus vifs enthousiasmes car Cocignini semble doué d’une ironie mordante qui aime se jouer des canons mythologiques. Songeons par exemple à la scène où Oreste commente Jason victorieux, conquérant de la Toison d’or et enlaçant Médée : il « tient un mouton sur ses épaules, et la vache dans ses bras » !
Ici, le mythe du Jason glorieux et infidèle, et de Médée infanticide n’a pas lieu d’être. Car Cocignini aime à reprendre et recoudre le fil des épisodes mythologiques. La tragédie est écartée pour une peinture vive et cocasse des héros convoqués : Médée épouse le vieil Egée, et Jason convole avec la lugubre Hypsipyle. La charge comique et même délirante est incarnée par le personnage de Démo, confident d’Egée, bossu et bègue. Chacune de ses interventions donnent matière à un subtil jeu linguistique, d’onomatopée et de significations à double sens à peine masqués.

L’interprète moderne doit comprendre une œuvre plurielle, décomposée au travers de ses innombrables copies qui attestant d’une célébrité inouïe du vivant de Cavalli, -âgé de 47 ans-, certain de devoir rétablir une œuvre emblématique du goût vénitien au milieu du siècle, mais démuni dans la façon de l’aborder. D’autant que, évidemment, la partition originale de la création est toujours perdue à ce jour. Les chefs recréateurs ont fait œuvre d’inventeur comme René Jacobs dans son enregistrement paru chez HM, qui écrit l’air de la fureur de Médée (d’après un air de Stradella qui lui-même avait réarrangé une reprise du Giasone de Cavalli !).
Le soin des auteurs a dû comme c’était la règle alors, se focaliser sur la qualité des chanteurs qui doivent être aussi des acteurs accomplis. L’orchestre, fidèle aux conditions normales dans les petites salles des théâtres vénitiens, réduit au maximum. Deux violons et un continuo, pour l’essentiel. Ces indications qui rendent impossible une restitution de la création originelle du Giasone de Cavalli, nous laisse d’autant plus déconcertés face à un ouvrage qui fut l’un des plus grands succès de l’opéra vénitien au milieu du XVII ème siècle.

Intrigue

Prologue
Si Apollon se félicite de l’union de Jason et de Médée dont il est un ancêtre, Cupidon rappelle cependant que Jason fut auparavant l’époux de la reine Hypsipyle ! Le destin du héros créée une dispute entre les dieux.

Acte I
Ile de Colchide, château de Médée. La toison d’or y est gardée par un monstre. Mais le héros s’est alangui, préférant s’adonnant aux plaisirs voluptueux avec une inconnue qui lui a donné deux jumeaux, comme d’ailleurs marié à la reine Hypsipyle, il eut de cette dernière, sur l’île de Lemnos, deux précédents jumeaux. Médée de son côté quitte son amant Egée, roi d’Athènes.
Delfa, nourrice de Médée conseille à sa maîtresse d’épouser le noble Jason. Survient Hypsipyle venu reprendre son infidèle époux.
Magicienne, Médée invoque le dieu des enfers, Volano, et forge une bague qui redonne à Jason, sa puissance passée.

Acte II
Oreste, le confident d’Hypsipyle lui apprend l’infidélité de Jason. Lequel disposant d’une force reconquise, s’empare de la toison d’or. Il fuit l’île de Colchide pour rejoindre l’île de Lemnos où rencontrant son épouse Hypsipyle, la déclare folle. Entretemps, un nouveau couple, Besso/Alinda, serviteurs, se forment. Leur duo constitue le final.

Acte III
Médée paraît et jalouse d’Hypsipyle à laquelle Jason se montre à présent bien disposé, ordonne que l’on tue sa rivale. Mais victime d’un quiproquo, Médée se retrouve être la victime du complot : elle est jetée à la mer. Elle est sauvé par Egée alerté par ses cris, et accepte d’épouser son serviteur. Hypsipyle se présente enfin à Jason et parvient à l’émouvoir : le héros sent renaître son amour pour son ancienne épouse.

Francesco Cavalli (1602-1676), Giasone (Venise, 1649)

Que savons-nous aujourd’hui de l’opéra le plus joué, le plus admiré au XVIIème : Giasone (Jason) mis en musique par Francesco Cavalli d’après un livret de Giacinto Andrea Cocignini et créé sur la scène du teatro San Cassiano à Venise pendant le Carnaval 1649 ?
Il faut le considérer comme un nouveau manifeste de la vitalité de l’opéra vénitien après la mort de Monteverdi, une continuation digne du maître dont Cavalli l’un des plus illustres disciples.
Les premiers commentateurs relève la réussite du livret de Cocignini qui ose marier tragédie et comédie, selon une formule pourtant portée à un premier degré d’excellence par Monteverdi au début de ces mêmes années 1640. En témoignent les 18 représentations qui suivent sa création vénitienne, d’autant plus méritantes dans un contexte où les œuvres dans la Sérénissime se pressent, où les amateurs de lyrique consomment et passent très vite à un nouvel ouvrage d’une saison à l’autre, d’un théâtre à l’autre ; en témoignent tout autant, les près de 12 manuscrits, copies d’époque d’après l’autographe de Cavalli. C’est dire le succès de la partition !
Cavalli déborde d’inventivité mélodique, et surtout d’immédiateté tonale et ryhtmique qui donne à la musique cette évidence immédiatement mémorisable. Mais le propre du musicien et de son librettiste est de jouer sur l’ambiguité psychologique des personnages, avec cette liberté propre au XVIIème : le personnage de Jason est emblématique de cette vision double et même triple, en tout cas déroutante donc fascinante pour les spectateurs : il est héroïque et bouffon, fantasque, imprévisible.
C’est aussi l’œuvre qui par son éloquente sobriété, aucun effet superflu, par cet équilibre pensé des moyens utilisés, s’avère être la plus fidèle à l’art de son maître Monteverdi dont le Couronnement de Poppée s’impose par ses fulgurances expressives, par ce sens supérieur de l’épure, de l’intensité, de la synthèse.
L’impertinence du livret a suscité certainement les plus vifs enthousiasmes car Cocignini semble doué d’une ironie mordante qui aime se jouer des canons mythologiques. Songeons par exemple à la scène où Oreste commente Jason victorieux, conquérant de la Toison d’or et enlaçant Médée : il « tient un mouton sur ses épaules, et la vache dans ses bras » !
Ici, le mythe du Jason glorieux et infidèle, et de Médée infanticide n’a pas lieu d’être. Car Cocignini aime à reprendre et recoudre le fil des épisodes mythologiques. La tragédie est écartée pour une peinture vive et cocasse des héros convoqués : Médée épouse le vieil Egée, et Jason convole avec la lugubre Hypsipyle. La charge comique et même délirante est incarnée par le personnage de Démo, confident d’Egée, bossu et bègue. Chacune de ses interventions donnent matière à un subtil jeu linguistique, d’onomatopée et de significations à double sens à peine masqués.

L’interprète moderne doit comprendre une œuvre plurielle, décomposée au travers de ses innombrables copies qui attestant d’une célébrité inouïe du vivant de Cavalli, -âgé de 47 ans-, certain de devoir rétablir une œuvre emblématique du goût vénitien au milieu du siècle, mais démuni dans la façon de l’aborder. D’autant que, évidemment, la partition originale de la création est toujours perdue à ce jour. Les chefs recréateurs ont fait œuvre d’inventeur comme René Jacobs dans son enregistrement paru chez HM, qui écrit l’air de la fureur de Médée (d’après un air de Stradella qui lui-même avait réarrangé une reprise du Giasone de Cavalli !).
Le soin des auteurs a dû comme c’était la règle alors, se focaliser sur la qualité des chanteurs qui doivent être aussi des acteurs accomplis. L’orchestre, fidèle aux conditions normales dans les petites salles des théâtres vénitiens, réduit au maximum. Deux violons et un continuo, pour l’essentiel. Ces indications qui rendent impossible une restitution de la création originelle du Giasone de Cavalli, nous laisse d’autant plus déconcertés face à un ouvrage qui fut l’un des plus grands succès de l’opéra vénitien au milieu du XVII ème siècle.

Intrigue

Prologue
Si Apollon se félicite de l’union de Jason et de Médée dont il est un ancêtre, Cupidon rappelle cependant que Jason fut auparavant l’époux de la reine Hypsipyle ! Le destin du héros créée une dispute entre les dieux.

Acte I
Ile de Colchide, château de Médée. La toison d’or y est gardée par un monstre. Mais le héros s’est alangui, préférant s’adonnant aux plaisirs voluptueux avec une inconnue qui lui a donné deux jumeaux, comme d’ailleurs marié à la reine Hypsipyle, il eut de cette dernière, sur l’île de Lemnos, deux précédents jumeaux. Médée de son côté quitte son amant Egée, roi d’Athènes.
Delfa, nourrice de Médée conseille à sa maîtresse d’épouser le noble Jason. Survient Hypsipyle venu reprendre son infidèle époux.
Magicienne, Médée invoque le dieu des enfers, Volano, et forge une bague qui redonne à Jason, sa puissance passée.

Acte II
Oreste, le confident d’Hypsipyle lui apprend l’infidélité de Jason. Lequel disposant d’une force reconquise, s’empare de la toison d’or. Il fuit l’île de Colchide pour rejoindre l’île de Lemnos où rencontrant son épouse Hypsipyle, la déclare folle. Entretemps, un nouveau couple, Besso/Alinda, serviteurs, se forment. Leur duo constitue le final.

Acte III
Médée paraît et jalouse d’Hypsipyle à laquelle Jason se montre à présent bien disposé, ordonne que l’on tue sa rivale. Mais victime d’un quiproquo, Médée se retrouve être la victime du complot : elle est jetée à la mer. Elle est sauvé par Egée alerté par ses cris, et accepte d’épouser son serviteur. Hypsipyle se présente enfin à Jason et parvient à l’émouvoir : le héros sent renaître son amour pour son ancienne épouse.

Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole Amante (Paris, 1662)

La France du premier baroque (XVII ème siècle), avant la prise du pouvoir par Louis XIV apprend les bonnes manières auprès de la source du raffinement et de l’art, la souveraine Italie, patronne des artistes et de l’avant-garde picturale autant que musicale, depuis le XV ème siècle.
Pour preuve, pour célébrer le mariage du jeune Roi Louis de France avec l’Infante Marie-Thérèse d’Autriche, Mazarin, alors Premier Ministre, invite à Paris, l’un des plus grands compositeurs ultramontains de l’heure, Francesco Cavalli.

L’élève de Monteverdi poursuit le grand œuvre de son maître dont il apprit toutes les ficelles de la dramaturgie. L’héroïsme édifiant, l’apothéose morale des héros et des dieux de la fable mythologique et de l’Epopée guerrière, mais aussi la bouffonnerie la plus truculente voire lubrique et acide, déjà à l’œuvre dans La Calisto (1651). Grand conteur des légendes et faiseur de féerie, Cavalli est aussi un peintre réaliste sans complaisance ni idéalisme sur la nature humaine. Si les auteurs vénitiens savent évoquer la grandeur des héros, ils aiment tout autant brosser la perversité agissante des personnages, non sans un certain cynisme et un pur amour de la comédie dell’arte.
Les compositeurs italiens baroques sont nés pour la comédie et la scène, ils ont le démon des planches dans le sang, et en cela Cavalli, plus qu’aucun autre disciple de Monteverdi, avec peut-être Cesti, porte très haut la tradition théâtrale du Maître fondateur de l’Opéra.

Mazarin, d’origine italienne, prélat aussi mécène que dispendieux, ayant le sens de la représentation, en serviteur digne de la monarchie française, particulièrement fragilisé dans la première moitié du XVII ème siècle, entend donner des images à la mesure de son ambition pour le prestige de la Maison des Bourbons. La musique en particulier l’opéra est un excellent outil de propagande.
Ce qui touche le Roi, doit nécessairement engager ce qu’il y a de plus spectaculaire, de plus enchanteur, de plus artistiquement raffiné.
Depuis 1645, le Cardinal œuvre pour importer à Paris, la manière italienne, en particulier l’opéra. La Finta pazza de Strozzi et Sacrati est représentée au Petit Bourbon dans des machineries somptueuses de Torelli. En 1647, Luigi Rossi donne son Orfeo au Palais-Royal, quarante après que Monteverdi ait créé son propre Orfeo à Mantoue. Dès l’origine, les parisiens découvrent la magie du théâtre musical italien.

Naturellement, pour le mariage du jeune Louis XIV, Mazarin commande à Cavalli un ouvrage nouveau, Ercole Amante, dès 1659, et pour les représentations, fait élever un théâtre au Château des Tuileries. LeVau, architecte, Coypel, peintre, travaillent sur le chantier. La machinerie, la plus élaborée de l’heure, est réalisée par Vigarini.
Cavalli qui a succédé à son maître Monteverdi à Saint Marc de Venise, comme maestro di capella du Doge, l’un des postes les plus prestigieux d’Italie, arrive à Paris à l’été 1660. Agé de 58 ans, le compositeur italien, réputé, estimé, admiré, eut du mal à rejoindre Paris. Il est dans la ville non sans s’être fait prié à plusieurs reprises. L’union du couple royal avait déjà été célébrée le 9 juin à Saint-Jean de Luz. Louis et Marie-Thérèse faisaient leur entrée parisienne, le 26 août.

Hélas, la salle de théâtre des Tuileries n’étant pas achevée, on se replia sur un autre ouvrage de Cavalli, Xerse, écrit en 1654 pour Venise, auquel Lulli ajouta ses ballets. Ercole Amante ne fut représenté sous la direction du compositeur, devant la Cour, qu’en février 1662. Mazarin ne devait pas découvrir l’ouvrage dont il était depuis 1660 le commanditaire : il s’était éteint le 9 mars 1661.

L’ouvrage fleuve, en un prologue et cinq actes, s’appuie sur le livret de l’abbé Francesco Buti. Au cœur du drame, Iole aimée par Jupiter et son fils, Hyllus. Œuvre de propagande, l’opéra du Vénitien permit selon les volontés des commanditaires au jeune monarque Bourbon d’apparaître sous sa forme solaire, selon la symbolique de la Monarchie Française.

Dans Ercole Amante, Cavalli utilise avec maestrià, l’arioso qui lui permet d’exprimer les passions humaines. Tout l’intérêt de l’ouvrage, malgré la signification politique et les conventions d’un opéra de cour, réside dans la psychologie musicale, présente dans la partition. Récitatifs amples et d’une solennelle effusion sentimentale, chœurs grandioses parfaitement adaptés à la volonté d’héroïsation et de grandeur épique et légendaire, sont les piliers d’une œuvre foisonnante et inventive, qui mêlent librement, duos, trios, solistes et chœurs, scènes de lamentation, de jubilation, de caractère et de torpeur alanguie. D’autant que la part de l’orchestre n’est pas négligée : ritournelles, sinfonie indiquent clairement que le continuum instrumental est moteur.

Disposant de moyens humains et financiers exceptionnels, Cavalli pouvait développer comme il le souhaitait son projet dramaturgique et musical.
En Ercole/Hercule, il faut bien sûr, reconnaître la glorification mythologique du Souverain Français, héros conquérant, doué d’une force exceptionnelle et miraculeuse, pacificateur et vertueux. Le modèle du prince baroque, politique avisé, acteur de son destin, incarnation de la puissance de l’ordre divin et de la nation. A ce titre, le prologue qui identifie précisément le royal modèle au héros grec, est le prototype d’une tradition lyrique qu’illustrera ensuite Lully, musicien du Roi, au travers de ses tragédies lyriques, à partir de 1673 (Cadmius et Hermione).
En dépit de notre goût moderne qui évaluerait l’œuvre telle une manifestation exotique du goût français, il faut plutôt tenir Ercole Amante comme un ouvrage fondamental dans l’évolution de l’opéra en France, le préambule nécessaire et incontournable qui prépare l’essor futur de l’opéra lulliste qui naît onze années après.

L’accueil de l’opéra fut si l’on en croit les historiens, mitigé. Or il paraît difficile de croire que les courtisans invités en présence de leur souverain, aient pu manifestement « bouder » un spectacle certes long, dont le livret italien n’avait pas été traduit. La résistance de l’audience française résidait en de plus profondes raisons qui tenaient surtout au goût et à la culture française, encore peu habituée aux codes de l’opéra italien.
Le Ballet de cour restait encore le genre le plus apprécié. A ce titre, Louis XIV danseur, saura intégrer cette spécificité de la Cour de France, aux représentations de sa propre grandeur. Mais le pays de Corneille et de Racine a toujours favorisé le théâtre parlé sur celui chanté. Et il faudra encore bien des années pour les compositeurs perfectionnent un mode de déclamation mi chantée mis parlée parfaitement adapté à l’idée d’un théâtre musical. L’opéra Français, l’un des plus tardifs en Europe, ne naîtra qu’en 1673. Et son avènement fut réalisé par celui qui avait fait danser le Roi, Lully, celui-là même qui aux moments de représentations d’Ercole Amante, composa des ballets de son invention, plus applaudis que le drame vocal et musical de Cavalli.

Cavalli quitte Paris en mai 1662. Son séjour ne fut tout de même pas inutile. Il a labouré le champ de Lully. La création parisienne de ses œuvres aura permis
que naisse une tradition purement française de l’opéra. En affirmant dès la prise du pouvoir par Louis XIV(1661), l’image sublimée de la grandeur politique, en offrant un premier modèle artistique auquel le jeune monarque absolu s’est identifié, l’oeuvre de Cavalli a fécondé l’imaginaire des artistes qui travaillèrent ensuite à perpétuer la gloire musicale du Souverain Français.

Discographie

Michel Corboz, 1980
Yvonne Minton, Ulrik Cold, Felicity Palmer, Keith Lewis… English Bach festival Chorus, Baroque orchestra. (Erato, 3 cds)

27 ème Festival d’Ambronay 2006

Cavalli, Ercole Amante
& Lulli, ballets
Les 26 et 28 septembre, 20h30, Théâtre de Bourg-en-Bresse
Solistes, choeurs et orchestre, Académie européenne d’Ambronay,
direction : Gabriel Garrido.
mise en scène : Pierre Kuentz
chorégraphie : Ana Yepes

Tournée :
30 septembre, Opéra de Vichy
3 octobre, Opéra de Toulon
6 octobre, Grand Théâtre de Reims
9 octobre, Salle Gaveau à Paris
puis Opéra de Besançon

informations : www.ambronay.org

Illustrations
Lebrun, l’apothéose d’Hercule
Pierre Mignard, Mazarin
Velasquez, l’Infante Marie-Thérèse
François Lemoyne, l’apothéose d’Hercule (Château de Versailles, salon d’Hercule)
Nanteuil, Louis XIV.

Francesco Cavalli (1602-1676), La Calisto (Venise, 1651)

Lorsque son opéra La Calisto est créé à Venise, à l’automne 1651 au teatro San Apollinare, Cavalli, en digne disciple de Monteverdi, le père de l’opéra baroque, dévoile une maîtrise indiscutable.

Venise est depuis 1637, l’année où est créé le premier opéra public et commercial, le foyer de l’innovation lyrique. Monteverdi, maître de chapelle à Saint-Marc depuis 1613, s’est engagé à redéfinir le théâtre musical ou dramma in musica. En témoignent ses deux dernières ouvrages, co écrits avec ses disciples dont Cavalli, Il Ritorno d’Ulisse in Patria (1641) et l’Incoronazione di Poppea (1642). Deux ouvrages dont l’économie intense du style correspond à la réalisme mordant et cynique du sujet. Le premier peint l’odyssée cruelle et violente au terme de laquelle Ulysse peut reconquérir sa bien aimée. Les chemins de la destinée humaine sont jalonnées d’épreuves éreintantes. Le second opéra plonge plus profondément dans le scepticisme et la critique de l’ordre social voire de la nature humaine. Néron y est soumis aux seules lois de l’amour et de la volupté. L’ordre y est inféodé au beaux yeux de l’intrigante Poppée. En Néron, il faut voir la corruption du politique, le sacrifice des valeurs philosophiques (Sénèque y est immolé sans scrupule). Ici, peines et souffrances d’un époux désireux de retrouver celle qui l’attend. Là, échec des valeurs humaines et sacrifice de l’éthique. L’opéra montéverdien dans les années 1640, affirme un modèle désenchanté sur le plan de la pensée. Mais la musique n’a jamais été aussi articulée, accentuée, agissante. Elle épouse les accents de la langue pour en révéler le sens incantatoire.
Dans le sillon de son maître, Cavalli reprend le flambeau de la scène lyrique vénitienne. Calisto témoigne de son génie, quelques dix années après les derniers ouvrages vénitiens de Monteverdi.

L’opéra vénitien public a connu de profondes évolutions : nécessité de suivre le goût d’un public de plus en plus éclectique : patriciens venus s’encanailler à Venise au moment du Carnaval, bourgeois soucieux de s’y divertir. Les imprésarios gèrent l’économie des spectacles s’ils ne veulent pas augmenter les tarifs des billets déjà onéreux. S’en ressent l’effectif des interprètes : surtout les chœurs, insignifiants, et l’orchestre réduit a minima, sauf en cas de financement exceptionnel. Opéra du peuple où chacun peut payer désormais sa place, la réalité de la rue investit la salle mais aussi la scène. L’opéra vénitien dès son origine, mêle les héros et les dieux, et le monde plus vulgaires de la domesticité. Ici gouvernantes, soldats et nourrices expriment le point de vue de la plèbe, souvent humoristique voire cynique. En un contraste des plus mordants, le comique roturier se mêlent au registre héroïque et divin, créant des situations et des contrastes d’individualités particulièrement cocasses. En particulier les rôles de travestis dévolus aux nourrices, types les plus emblématiques de la dramaturgie vénitienne baroque. En témoigne le rôle de la nourrice de Diane, Lymphée, chanté par un ténor. Certes rôles secondaires mais porteurs de messages des plus pénétrants. Dans la voix de ces personnages s’exprime souvent la pensée du compositeur et de son librettiste. Ce mélange du comique bouffon et de l’héroïque sérieux est alors emblématique de l’opéra vénitien. Le XVIIIème siècle défera ce subtile équilibre. Pour l’heure, la scène permet la fusion des genres. Telle est la langue de Cavalli.

L’auteur du livret de Calisto, Giovanni Faustini renoue avec la tradition de l’opéra mythologique, hérité de l’Orfeo de Monteverdi par exemple. Mais ici, l’ambition noble de l’écriture, les vertus moralisatrices et l’action édifiante des protagonistes se sont mués en une nouvelle scène parodique propre à dénoncer la vulgarité des caractères. Les divinités de la Grèce mythologique (Jupiter et Junon, Diane et Pan) habitent ici une Arcadie utopique, en pleine forêt, aux pieds de mont Latmos et dans la plaine de l’Erymanthe. Ils y cotoient de simples mortels (Calisto et Endymion) mais aussi une multitude d’êtres lascifs et à l’instinct des plus lubriques, satyres et faunes. L’idéalisme des types créés au début du siècle a disparu pour une peinture réaliste des caractères humains. A la peinture édifiante des vertus morales du héros, les auteurs préfèrent souvent la satire sociale, le dénonciation des traits de caractères moins édifiants : félonie, jalousie, calculs et manipulations, voire perversité et mensonges. La charge de Cavalli et Faustini est d’autant plus virulente que les dieux, Jupiter en première position, expriment les plus viles pensées quand seuls les êtres les plus vertueux demeurent les mortels, Calisto et Endymion.

Ainsi la « fange », incarnant un état de sauvagerie animale, est clairement désignée dans la figure de Pan et de son joyeux cortège, des faunes et des satyres.
La musique de Cavalli tout en respectant la liberté des formes destinées à suivre l’accentuation naturelle de la langue, invente aussi de nouveaux formats comme de nouveaux airs fermés sur eux-mêmes, comme s’il s’agissait de cellules quasi indépendantes, détachées du continuum musical et linguisitique que forment les récitatifs expressifs dans lesquels excella son maître Montevedi. L’avènement de l’aria se précise peu à peu, le plus souvent sur un rythme ternaire.

L’inventivité de l’écriture vocale compense d’une certaine façon la sobriété des lignes instrumentales, quand à elles réduites au minimum pour les raisons d’économie et de rentabilité recherchées par les impressarios de théâtres vénitiens.

Dans un tout autre contexte, en particulier pour de puissants commanditaires, Cavalli aura l’occasion de composer de nouveaux modèles d’opéra de cour, bénéficiant de moyens décuplés, dont dix années après La Calisto, Ercole Amante, créé à Paris en 1662 devant la Cour de Louis XIV.

Intrigue

A l’acte I,
Jupiter et Mercure inspecte la surface de la terre après la chute de Phaéton. Ils constatent les brûlures que le soleil a fait subir à la surface terrestre. L’Arcadie dense et boisée a souffert d’une dessication terrible. Le domaine de Diane est dévasté. Jupiter découvre la nymphe suivante de Diane, Calisto. Pour la tromper, il se déguise en Diane et peut à loisir abuser de sa naïveté, elle qui voue sa chasteté à la Déesse. De son côté, Endymion se languit de Diane tout en sachant qu’il ne pourra rien obtenir d’une divinité qui a jura de rester chaste, même si elle partage le même désir pour Endymion. Paraît aussi, Pan que Diane a tout autant éconduit.

Au II, Endymion et Diane chantent leur amour impossible. Calisto évoque les souvenirs voluptueux à Junon qui comprend que son époux Jupiter a abusé de la nymphe. Celui paraît déguisé en Diane. Endymion se méprend et entonne une nouvelle romance pour la déesse de la lune. Il est ligoté par le dieu Pan, jaloux de connaître ce rival plus heureux que lui. Les satyres des bois raillent la folie de ceux qui croient en l’amour.

Au III, Calisto se languit de revoir Diane. Mais Junon paraît avec les furies et décide de la changer en ourse. Mais Jupiter paraît son vrai visage. Il épargne à Calisto de vivre la vie d’une bête sauvage. Calisto sera élevée au firmament sous l’aspect d’une étoile, la Grande Ourse céleste, à ses côtés. Endymion est maltraité par Pan et sa cohorte de satyres. Mais Diane para
ît et le libère. L’apothéose de Calisto au firmament conclue l’opéra.

Discographie

René Jacobs, 1994
Maria Bayo, Barry Banks, Marcello Lippi, Simon Keelyside… Concerto vocale. 3cds Harmonia mundi.

Illustrations
Dosso Dossi, La Calisto (1528, Galerie Borghèse, Rome). Le drame s’est joué. Diane abandonne sa suivante Calisto quand la déesse apprend que la nymphe s’est offerte à Jupiter.

Portrait présumé de Francesco Cavalli, gravure (dr).

Festival Berlioz (Côte Saint-André). Du 16 au 26 août.

Dix jours de célébrations musicales, d’émotions retrouvées, de communion attendue, autour d’Hector Berlioz qui tout en étant l’un des plus grands compositeurs français, demeure trop peu joué.

Figure majeure du Romantisme français, personne ne le conteste plus aujourd’hui s’agissant de Berlioz. Or le compositeur s’est inspiré lui-même des auteurs allemands, cultivant avec Beethoven et Goethe, des affinités déclarées.
Mais ce sont aussi Brahms, Schubert et Wagner qui seront célébrés cette année par le festival qui rend un hommage appuyé aux romantiques allemands.
Ce qui singularise le Festival de la côte-Saint-André, c’est l’importance réservée chaque été à la musique symphonique et la présence des orchestres invités. Cette année 9 concerts symphoniques et 7 orchestres invités illustreront autour de Berlioz, les thématiques 2006, consacrés aux compositeurs germaniques donc, et aussi à Mozart (Orchestre de chambre de Bâle, le 22 août).

Temps forts
Succession de moments prometteurs : la Symphonie Funèbre et Triomphale le 12 août, le Te Deum le 19, Harold en Italie le 23. Nuits d’été, le 24. Trancription de Tristan und Isolde de Wagner ,le 25, par l’ensemble Carpe Diem. La soirée de clôture (26 août) souligne l’enfant du pays : avec notamment la Mort de Cléopâtre et la Symphonie Fantastique, données par l’Orchestre de Saint-Etienne.

Rossini, le Barbier de Séville (1816)

En quoi consiste la réussite du Barbier de Rossini ?
Par son sujet et le choix des personnages, (un vieux barbon égoïste – Bartholo –, une beauté séquestrée – Rosine –, un amoureux conquérant-Lindor/Almaviva-) ; par la vitalité de sa musique, la partition offre l’aboutissement du genre buffa, spécialité des « grands » Napolitains, du XVIIe (Vinci) et du XVIIIe siècle : Pergolèse et Hasse, Leo, Latilla et Jommelli. Un siècle encore après ces derniers, la vitalité mélodique et rythmique de Rossini relève le défi de ses aînés.

En 1816, le musicien emporte la composition de son Barbier en 16 jours ! Fulgurance d’une génie précoce de 24 ans qui était alors sur le versant ascendant d’une gloire incontestable : derrière lui, Tancrède et l’Italienne à Alger, bientôt Cendrillon et la Pie Voleuse, surtout Semiramis et Guillaume Tell (1829)… son dernier ouvrage, qui allait tant compter pour l’émergence d’un nouvel opéra à la Française.

Mais il est un autre aspect de l’œuvre qu’il ne faut pas omettre : son livret, légué par l’un des esprits les plus « modernes » du XVIIIe siècle. Un texte trempé dans l’acide de la contestation de l’ordre social, dans l’encre de la critique aiguë de l’injustice et de la tyrannie ; de toutes les formes de despotisme, fut-il ici domestique… L’auteur en est Beaumarchais, un certain écrivain qui s’impliqua en son heure pour une réforme de l’opéra dit sérieux. A croire qu’avant le théâtre de la rue, c’est sur les planches que d’abord, Beaumarchais allume le feu de la Révolution. Les compositeurs ne s’y sont pas trompés qui adaptent les sujets de Beaumarchais, de Mozart à Rossini, s’inscrivant d’emblée dans la voie du renouveau musical.

D’un genre qui puise sa source chez les Napolitains, vers la Commedia dell’arte, plantant l’action en Espagne, Beaumarchais ajoute un personnage de son invention : Figaro, ancien valet, nouvel affranchi pour une société moderne, un vaillant prêt à rompre l’ordre social et qui sur la scène, exprime les idéaux de son auteur.

Sait-on aujourd’hui combien le pamphlétaire, esprit vif et acéré, œuvra, proche de Gluck, pour une nouvelle conception de la scène lyrique afin d’éviter l’ennui mortel dont le public semblait s’habituer ? Une tentative dans ce sens fut produite avec Tarare, fable orientalisante que mettra en musique, l’élève de Gluck, Salieri (lire la critique du DVD Tarare par Jean-Claude Magloire récemment paru chez Arthaus Musik).

Lyricophile militant, Beaumarchais s’engage dans sa lettre : « Aux abonnés de l’Opéra qui voudraient aimer l’opéra ». Avec le Barbier, l’écrivain illustre l’Espagne où il a séjourné. En choisissant Séville, il précise encore la filiation qu’il entend revendiquer. La ville est la patrie d’un texte écrit au Siècle d’Or pour la scène : « El Burlador de Sevilla y Convidado di Piedra » de Tirso de Molina… lequel avait déjà en son temps, soit au XVIIe, inspiré Molière. La traduction française donne « le Barbier de Séville et le Convive de Pierre », (soit Don Juan) : en perspective s’inscrivent ainsi, déjà, des sujets dramatiques que l’opéra adaptera avec le succès que l’on sait…

En renouant avec un sujet traité par un dramaturge du baroque Espagnol, sous le soleil sévillan, Beaumarchais retrouvait aussi son cher orientalisme exotique. Il y développait ce format idéal pour que s’accomplissent selon lui, l’historique et l’imaginaire, cadres propices à l’essor d’un nouveau drame, littéraire et musical. Il s’agissait surtout de démontrer que l’opéra pouvait divertir en édifiant. On sait depuis qu’il s’agissait de bien davantage : le manifeste moderne contre les abus de l’Ancien Régime. Et Figaro incarne l’avènement d’un nouvel homme, libre, acteur de son propre destin voire initiateur de celui des autres.

Le texte de Beaumarchais était d’autant plus voué pour la musique qu’au départ, il s’agissait d’un opéra-comique pour le Théâtre des Italiens. Echec. L’auteur reprend son livret et l’adapte pour le théâtre mais avec tout de même sept airs chantés ! La Comédie Française acquiesce sans réserves et après quelques avatars liés aux frasques judiciaires de l’auteur, emprisonné et « interdit » de facto sur les scènes, le Barbier de Séville, dans sa version originale de 4 actes, suscite un triomphe dès sa première, le 26 février 1776.

En Figaro, il faudrait voir le double de Beaumarchais : héros des Lumières, investi déjà d’un idéal libertaire, contestant les privilèges de la naissance, défenseur du mérite et du caractère, capable d’une prose insolente contre l’autorité illégitime. Plus fascinant encore, le devenir de la pièce à la Cour de Louis XVI… quand, acteurs imprévus, souhaitant s’encanailler au risque de commettre l’irréparable, Marie-Antoinette (Rosine) et le Comte d’Artois (Figaro) s’approprient la modernité sulfureuse du texte… En interprétant ce Barbier moderne et visionnaire, savaient-ils qu’ils jouaient alors leur propre destin ?

Génie de la scène, Rossini semble achever l’œuvre réconciliatrice, -entre poésie et musique-, souhaitée par Beaumarchais. Sa verve et son tact semblent aussi s’accorder au pamphlet des Lumières.


Illustration
Goya, la marquise de Solana (musée du Louvre, Paris)

Giaocchino Rossini, l’italienne à Alger (1813)Arte, le 17 juillet. En DIRECT du Festival d’Aix-en-Provence

Précocité, talent, génie de la scène autant que magicien des lignes vocales, la carrière de Rossini est une aventure sertie de joyaux immédiats dont les apparitions accréditent la singularité d’un compositeur fulgurant, qui d’ailleurs, richissime, s’arrête de composer tout opéra en 1829, avec son ultime drame, Guillaume Tell pour l’Opéra de Paris, conçu à l’âge de 37 ans !
L’italienne à Alger fait partie des œuvres de la première maturité. La période enchaîne ses essais lyriques : La Cambiale di matrimonio (le contrat de mariage), Il Signor Bruschino, La Scala di Seta, La Pietra del Paragone (Milan, 1812, composé à 20 ans), autant d’ouvrages dans lesquels Rossini affine son sens de l’expression et du dramatisme dans la veine de l’opéra buffa.
Le jeune musicien enchante les scènes des théâtre de Venise, et l’année 1813, doublement marquée par ses deux œuvres complémentaires, l’une héroïque, la seconde dans la pure tradition comique, Tancrède et l’Italienne à Alger, donne la mesure d’une créativité exceptionnelle. Viendront les œuvres de la pleine maturité, celles où le public conquis le suit dans ses expériences musicales et théâtrales : Elisabeth, reine d’Angleterre (Naples, 1815, où pour les récitatifs, Rossini remplace le clavecin par les cordes de l’orchestre), le Barbier de Séville et Otello (Rome , 1816 dont le tableau final met en scène le premier meurtre sur les planches d’un théâtre lyrique), parmi ses œuvres majeures, et qui deviennent chacun des succès européens.

Pure joyau de la farce napolitaine
L’italienne est un mélodrame giocoso en deux actes, créé à Venise le 22 mai 1813, repris à Milan au printemps 1814 dans une orchestration légèrement modifiée.
Qu’a donc à faire, Isabella, l’italienne délectable de la farce rossinienne, échouée sur les côtes algériennes ?
Elle espère retrouver son fiancé Lindoro, devenu l’esclave du Bey Mustafa. Or celui-ci veut changer de femme et donner la sienne à Lindoro justement. Quand paraît l’Italienne à Alger, le Bey tombe sous la coupe de cette femme dominatrice qui n’aura de cesse de libérer son fiancé. Quoiqu’on en dise, confronter la figure d’une femme émancipée au pays de la soumission féminine tenait évidemment du brûlot sociale et politique. Or la musique de Rossini emporte le tout et atténue la saveur dénonciatrice du livret.

Prétexte orientalisant, conte féérique sans enjeu politique, tenant du carnaval et du bal masqué, cette italienne n’aurait d’autre ambition que de nous bercer voire nous éblouir par l’énergie d’un chant virtuose ?
Ni philosophique, pas même sociologique, même si comme pour la future Rosina du Barbier de Séville, Rossini envisage pour Isabella, surtout dans l’air « pensa alla patria », l’éloquence d’une femme maîtresse de son destin, une affranchie dont l’émancipation ainsi hautement clamée tiendrait du manifeste sexiste déjà féministe !

L’intelligence et l’esprit de l’œuvre laissent le spectateur juger par lui-même des vraies intentions de l’ouvrage. Farce peut-être moins superficielle qu’il n’y paraît. Le rire et la cocasserie ont souvent dissimulé de criants manifestes. Rossini féministe ? Une voie à suivre pour une relecture de ses oeuvres…

arte, le 17 juillet à 21h40
en direct
du festival d’Aix en Provence

Gioacchino Rossini,
L’italienne à Alger
(1813)

Livret d’Angelo Anelli
Mise en scène : Toni Servillo
Direction musicale : Riccardo Frizza

Christianne Stotijn, Isabella
Maxim Mironov, Lindoro
Giorgio Surian, Mustafa
Ruben Drole, Haly
Yuri Vorobiev, Taddeo
Elisaveta Martirosyan, Elvira
Sabina Willeit, Zulma

Mahler chamber orchestra
Arnold Chamber chor

Réalisation fimique : Vincent Bataillon
L’enregistrement vidéo sera publié chez Bel Air classiques

Soirée présentée par Gérard Courchelle

discographie

Claudio Scimone, 1980
Solistes : Marilyn Horne et Samuel Ramey. Coffret Erato.

Claudio Abbado, 1989
Solistes : Agnès Baltsa et Ruggero Raimondi. Wiener Philharmoniker.
Coffret Deutsche Grammophon

Illustrations
Portrait de Rossini
Ingres, la grande Odalisque. Salon de 1819 (musée du Louvre, Paris)

Ingres,directeur de la Villa Médicis (1835-1840)

Le bonheur d’être oublié
Lorsque Ingres accepte de prendre la direction de la Villa Médicis, il souhaite prendre un temps de recul. Les dernières œuvres exposées au Salon lui ont été d’un cruel effet. Son Saint-Symphorien, dans lequel il mit toute son ardeur de penseur et de plasticien, exposé au Salon de 1834, lui valut des critiques acerbes, belliqueuses, définitives.
Piquée au vif, la sensibilité du peintre décidait alors de ne plus se risquer à de tels affronts. Plus de Salon. Sinon la retraite méditative, dans la ville de son cher Raphaël, son modèle adulé.
Rome, éternelle leçon de beauté, d’hier et d’aujourd’hui, et pour les temps futurs, le berceau des proportions apprises, conservées, correspond à son humeur profonde.
« Je me retire de la bataille comme on dit, et viens chercher à Rome le bonheur de me faire oublier, chose très facile à obtenir chez nous plutôt que la justice », écrit-il à Horace Vernet auquel il succède à la direction de la villa Médicis.

Pendant sa « direction à la Médicis », Ingres travaille surtout à la gestion et à la tenue générale de l’Institution. Son œuvre sera limitée. En témoignent l’Odalisque à l’esclave, et la Maladie d’Antiochus ou Stratonice.

Il succède à Horace Vernet, donc qui dirigea l’établissement de 1829 à 1834. A cette période, un climat de mondanité et une élégance toute parisienne qui n’échappera pas à son élève Amaury-Duval qui devance son maître Ingres. Autour des Vernet, et de leur fille Louise, se pressent leurs invités et les pensionnaires Hippolyte Flandrin, Ambroise Thomas et Charles Gounod. La villa Médicis réactive à chaque nouvelle direction comme à chaque nouvelle arrivée, l’image d’un Eden d’esthètes, une Arcadie retrouvée où les artistes recomposent cette vision paradisiaque de la jeunesse et du talent.

Avec Ingres, tout va changer. Plus de bals et de réceptions dignes d’une ambassade. Et même l’arrivée du nouveau directeur est un peu raté : Hippolyte Flandrin pensionnaire depuis 1833, organise un cortège triomphal pour accueillir son maître. Mais celui-ci tarde, ne vient pas. Finalement, paraît au petit matin, (le 4 janvier 1835 « deux heures après minuit »), réserve à ses hôtes, « un peu de froideur » mais « il reprit bientôt de sa bonté naturelle ».

C’est qu’à 50 ans, Ingres n’a plus rien à prouver et il s’encombre de moins en moins des bienséances familières. Il était surtout impatient de se remettre d’un voyage qui avait duré plusieurs semaines, en compagnie de son épouse, Madeleine et de son élève, Georges Le François.
Avec le couple Ingres, les pensionnaires découvrent l’univers sinistre de l’étude et de la quiétude. Les soirées sont occupées à de sombres conversations où le respect et les considérations mesurées étaient prisées.
Amaury-Duval laissent des témoignages parfois exagérés de ces nouvelles soirées chez les Ingres à la Villa Médicis. Une obscurité de veillée mortuaire, avec dans un coin, Madame Ingres, « tenant un tricot à la main », Monsieur Ingres « causant avec gravité ». Bref, tout y paraissait d’un ennui « lugubre ».
L’élève envoie ses tableaux depuis 1832 au Salon. Il reste fidèle à Ingres, tout en désavouant sa suprématie. D’ailleurs, la distance qui s’instaure entre les deux peintres s’épaissit pendant le directorat d’Ingres à la Villa Médicis.

Une toute vision jaillit, dans l’évocation du quotidien des pensionnaires, sous la plume d’Hippolyte Flandrin. Fêtes à répétition, y compris celle en l’honneur du directeur qui ne manquait pas l’occasion de pousser un compliment et un hommage pour son cher Raphaël.

Ernest Hébert arrivé en janvier 1840 découvre alors une assemblée vouée au culte de Raphaël et des grecs, lisant Homère et Plutarque. Il demeure sous l’emprise du directeur, « au charme austère », « si grand par le talent, si simple dans sa vie privée ».

Les goûts musicaux
de Monsieur Ingres

Pendant les soirées de la Villa Médicis, Ingres institue la musique comme une occupation principale. En particulier, les réunions du dimanche. D’ailleurs, pendant son administration, une bibliothèque musicale sera officiellement instituée.
Particulièrement sollicités, les compositeurs pensionnaires, Charles Gounod et Ambroise Thomas jouaient les musiques affectionnées par le directeur : au pinacle, comme ce que Raphaël était pour les peintres, il situait Mozart dont il ne se lassait jamais d’écouter Don Giovanni. Puis venait Gluck, dont il partageait l’admiration avec Berlioz, enfin Beethoven.

« Vive Mozart, le dieu de la musique comme Raphaël est le dieu de la peinture ! Vive Gluck, ce divin déclamateur, le seul qui parmi les modernes ait chaussé le cothurne grec ! »

Malheur à celui ou à celle qui pendant l’écoute attentive et concentrée, quand Ambroise Thomas jouait au piano, faisait craquer sa chaise…. Ce qui devait arriver plus d’une fois, comme le raconte Amaury-Duval, habile à colorer ses souvenirs d’une douce ironie : « M. Ingres se retournait furieux du côté du bruit ».

Mozart, Gluck. Les deux compositeurs figurent à la bonne place, pairs des plus grands écrivains et poètes, dans son « Apothéose d’Homère », sorte de Panthéon personnel, le portrait des modèles reconnus, célébrés par son métier tissé d’excellence.

Ingres portait en faible estime la musique italienne : « ce commun, ce trivial, où tout, jusqu’à « je te maudis », se dit en roucoulant ».
Les compositeurs allemands étaient sa préférence. Seul Rossini, et son Barbier de Séville trouvait grâce à ses yeux.
Le jeune Charles Gounod s’est vanté, non sans raison, d’avoir éduquer les oreilles du peintre-directeur, et de lui avoir fait découvrir Guillaume Tell de Rossini et Alceste de Lully.

Etrange isolement que celui de la Villa Médicis, pourtant ouverte aux jeunes talents, à la créativité sans horizons ni bornes. A l’époque où Paris applaudit à tout rompre les opéras de Meyerbeer, Bellini, Auber et surtout Cherubini, Ingres et son petit monde, pour ne pas dire sa cour, jouent les indifférents.

Même les auteurs français demeurent absents dans son jardin musical. S’il reprend le sujet de Stratonice, c’est par un retour de sa propre inspiration. Certains y ont vu la résurgence de l’opéra de Méhul qu’il entendit au début du XIX ème. Mais l’opéra et son souvenir étaient trop lointains pourqu’ils inspirent seuls, la reprise du thème au milieu des années 1830.
Comme de façon cyclique dans sa vie, Ingres avait le désir d’antiquité. Et Stratonice, comme tout autre thème de l’Antiquité grecque, lui offrait ce plaisir de recomposer par l’intellect et le culte de l’idéal raphaélesque, les les formes, les sujets, l’esprit des Anciens.

Comme en peinture, Ingres a soutenu toujours, l’expression. Contre la fadeur et les conventions, il s’est révélé d’un étonnant pouvoir de renouvellement, de régénérescence artistique, qui en font un « moderne ». C’est d’ailleurs en moderne, en phase avec son temps, qu’aux côtés de Mozart et de Gluck, il s’est passionné tout autant pour les romantiques. Preuve que ceux qui opposent à son art maîtrisé de la ligne, l’agitation des romantiques (pour en faire un rival de Delacroix), connaissent mal les véritables affinités du peintre. Il s’est passion
né pour le Freischütz de Weber (comme Hugo quelques années plus tard), Roméo et Juliette de Berlioz, et surtout les symphonies de Beethoven que Gounod jouait au piano dans des réductions fièvreuses.

Sa manière pouvait se révéler d’un tranchant emportement. Après que Stendhal, alors consul de France à Civita Vecchia lui ait affirmé qu’il n’y avait « pas de chant dans Beethoven », siliencieux mais déterminé, Ingres qui recevait l’écrivain dans sa villa, désigna son hôte, au portier des lieux en assénant : « je n’y serai jamais pour ce Monsieur ».

Au nombre des soirées musicales qui comptèrent sous l’ère Ingres, se détachent plusieurs événements qui montrent la qualité des personnalités réunies et surtout le bon goût qui régnait.

Liszt donna un récital, Fanny Mendelssohn interpéta les œuvres de son frère, et Ingres lui-même, possesseur du fameux violon qui suscita la rumeur et la renommée que l’on sait, avait coutume de tenir la partie de violon pour les quatuors de Beethoven ou de Haydn.

Au final, Charles Gounod qui devient un proche, laisse le témoignage le plus émouvant sur la personnalité du peintre : « Qui n’a connu intimement Monsieur Ingres n’a pu avoir de lui qu’une idée inexacte et fausse. Je l’ai vu de près, familièrement, souvent, longtemps ; et je puis affirmer que c’était une nature simple, droite, ouverte, pleine de candeur et d’élan, et d’un enthousiasme qui allait parfois jusqu’à l’éloquence. Il avait des tendresses d’enfants et des indignations d’apôtres ; il était d’une naïveté et d’une sensibilité touchante, et d’une fraîcheur d’émotion qu’on ne rencontre pas chez les poseurs, comme on s’est plu à dire qu’il l’était. »

Illustrations
Les jardins de la Villa Médicis
Ingres, autoportrait
Ingres, autoportrait (dessin)
Ingres, Stratonice
Portrait de Liszt
Ingres, portrait de Charles Gounod, au piano devant la partition
du Don Giovanni de Mozart (dessin).

Mozart, Mitridate (1770)Festival de Salzbourg, les 23 et 28 août 2006

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A 14 ans, Mozart formé par son père Léopold qui traverse l’Europe pour faire valoir les dons exceptionnels de son fils, montre de jour en jour, comblant les attentes de son cher papa, de réelles dispositions pour la composition. Le voyage en Italie se présente comme des plus inspirants pour le jeune créateur. Le départ est fixé à partir du 13 décembre 1769. Ils resteront dans la pays de Monteverdi et de Vivaldi, jusqu’au mois de mars 1771.

En choisissant l’Italie, les Mozart ambitionne d’assimiler le genre qui pourrait apporter une gloire plus grande encore au fils virtuose, l’opéra.
Rovereto, Vérone, Mantoue, Crémone. Enfin se présente Milan, capitale de la Lombardie, rejointe le 23 janvier 1770.
Là, le gouverneur général, Comte Karl von Firmian prend les Mozart sous sa protection et favorise plusiseurs académies où Mozart est invité à démontrer ses talents d’interprète, mais surtout ses aptitudes à la composition lyrique. Trois académies se poursuivent ainsi, permettant à Wolfgang d’écrire sur le thème des passions humaines. D’autant plus facilement que pour se faire et comme base de son inspiration, le Gouverneur lui a remis une édition complète des œuvres du poète adulé alors, Métastase, l’écrivain dont tout l’opéra convenable découle, en particulier le genre seria.
Les concerts se succèdent attirant toujours plus de notables. Le dernier, qui a lieu le 12 mars 1770, plus de 140 nobles applaudissent les talents du jeunes dramaturge.
Le jeune compositeur relève le défi : le lendemain, il reçoit la commande de son premier seria !
Il signe son engagement à fournir la musique sur un livret qu’il ne connaîtra qu’en juillet, et dont les récitatifs seront impérativement bouclés le 1er novembre. De sorte que le temps restant lui permettra d’écrire les airs avec les chanteurs sur place, afin que l’opéra nouveau soit représenté pour le Carnaval de Milan, soit, tradition oblige, le 26 décembre 1770.
Il en sera de même pour son second seria, Lucio Silla.
En plus de son salaire (100 gigliati), le jeune auteur sera logé et nourri le temps de la rédaction, des répétitions, des derniers aménagements avant la création.

Le livret est un texte du turinois Vittorio Cigna-Santi qui l’avait élaboré pour une musique de Gasparini, dans un ouvrage présenté à Turin en 1767.


La source en est le Mitrhidate de Racine (1673) qui évoque la figure du Roi du Pont, Mithridate Eupator (135-65 avant J.-C.). Si la tragédie française comporte loi du genre oblige cinq actes, le livret italien n’en a plus que trois. Au total, 22 airs avec en plus, un duo et chœur final. Et opera seria oblige, la tragédie sombre de Racine se change en machine à bons sentiments : Pharnace, allié des romains, pris de remords, se retournent contre ces-derniers. Il ne sera pas traître à sa patrie.

Mithridate malgré ses conventions et ses artifices démontrent le génie d’un adolescent salzbourgeois, italien depuis quelques mois dont l’inspiration et la musicalité sûre ont réussi un tour de force.
Il montre qu’à 14 ans, sa maîtrise de l’opéra italien est plus que correcte, elle est totale. C’est l’antichambre aux œuvres de la première maturité. L’italien est pour lui la langue du coeur et du sentiment. Ce qu’il démontrera dans les opéra à venir, Les Noces, Cosi, Don Giovanni…

Caprices de chanteurs

Mozart est à Bologne pour composer son opéra. Hasard heureux, il peut suivre un mois durant, la lumineuse formation aurpès du Padre Martini. De fait, les récitaitfs écrits en septembre – surtout ceux accompagnatos-, recueillent les fruits de cet apprentissage avec l’un des compositeurs les plus essentiels du XVIII ème siècle.
Tout est achevé en octobre et comme résultat d’un effort d’écriture supérieur, il est même accepté comme membre de l’Académie Philharmonique de Bologne. Honneur insigne, pour un étranger, qui plus est, de son âge.

Le 1er novembre à Milan, Mozart rencontre les chanteurs.
Il peut enfin écrire les airs. Le style milanais pour l’opéra seria privilégie l’orchestre étoffé, la fusion étroite de l’action et des récitatifs, en particulier les récitatifs accompagnés qui tout en épousant parfaitement l’action, prépare mieux les enchaînements avec les airs proprement dits.
L’heure est aux caprices du chanteur. Chacun vient avec son air à succès qui a fait son triomphe et qu’il adapte pour chaque prise de rôle, cet air qui lui est personnel, appelé, « aria di baule » est en quelque sorte sa carte de visite . Au compositeur du nouvel opéra de l’intégrer dans l’air nouveau.

Le jeune compositeur veut plaire au public et relever le défi de cette première commande d‘importance. Pour lui, la perspective d’être reconnu comme compositeur d’opéras, et de surcroît de serias, genre le plus noble, est des plus prometteuse. Il s’accomode bon gré mal gré des exigences de ses chanteurs… lesquels se montrent particulièrement retors et capricieux. Le 12 décembre, première répétitions des chanteurs. Ces derniers sont plutôt satisfait des airs du jeune prodige. Pour Mozart, c’est une grosse machine, en témoigne l’orchestre qui comptera au final pas moins de 56 musiciens.

Dès la première, le 26 décembre 1770, l’opéra remporte un triomphe. Heureux Mozart, adulé, aimé, admiré. Son œuvre sera portée à l’affiche près de 20 fois, et toujours salle comble. Pour une entrée dans le genre du grand opéra, c’est une apothéose. Voilà que déjà très affirmé, Mozart, dramaturge surprend par sa maturité et sa compréhension des enjeux esthétiques du genre. Il poursuivra toute sa vie, sa quête d’un seria renouvelé, redéfini avec les ouvrages à venir, Idoménée (1781) puis surtout, le grand oeuvre, La Clemenza di Tito (1791).

Illustrations
Jacques-Louis David, Mars désarmé par Vénus
Ingres, les ambassadeurs d’Agamemnon


Mozart, Mitridate
Les talens lyriques, direction : Christophe Rousset
(coffret Decca).

Hommage à György Ligeti (1923-2006)

György Ligeti

(1923-2006)

« Je m’imagine la musique comme quelque chose de très loin dans l’espace, qui existe depuis toujours, et qui existera toujours, et dont nous n’entendons qu’un petit fragment… « 


Ligeti a connu la folie des despotismes
, l’hydre nazi qui a exterminé son père et son frère cadet, comme la dictature communiste. Est ce là, la raison pour laquelle il rejette tout sentiment d’encadrement et de structure fixe dans son ouvre ?
Lui-même a connu les glissements identitaires, reniant la dignité des êtres. S’il est né en 1923 en Transylvanie, à Tîrnaveni, il sera sous les caprices de l’Histoire inhumaine et cynique, tour à tour, roumain et hongrois. Finalement, autrichien.
En tant que juif, il s’est vu écarté de l’université en raison des lois antisémites. N’importe, il sera musicien.

En plein régime soviétique, il est en 1945 à Budapest. A l’Académie Franz Liszt, Ligeti apprend en bon élève « hongrois », les rudiments classiques et assimile l’héritage de Bartok. Mais en 1950, se dessine définitivement une autre voie, celle sans limite ni cadre préétabli, une musique d’autant plus aérienne et libre qu’il a parfaitement mesuré les horizons musicaux qu’on lui proposait : « le folklore constituait un abri contre la pression politique. »
Au moment de l’insurrection de Budapest, le 23 octobre 1956, il fuit dans la nuit, un régime détesté, pour Vienne. A 33 ans, le musicien n’entend pas en rester là.

C’est Stockhausen qui sera un mentor
, un guide dans les contrées sérielles, celles de Webern précisément. Ligeti apprend la musique de l’Ouest. Il ingère les nouveaux courants, les nouvelles esthétiques. Il analyse, décompose les oeuvres de Boulez aussi. Très vite, sa pensée se précise. Il devient enseignant à l’université de Stockholm (1961-1971), puis à l’Ecole supérieure de musique de Hambourg (1973-1989). En 1967, à 44 ans, il obtient la nationalité autrichienne.

L’homme a farouchement défendu son intégrité : ni groupe, ni cercle, ni parti. D’ailleurs, il s’est davantage exprimé sur son travail, par analogie avec les peintres et les dessinateurs qu’avec ses pairs musiciens, à l’exception peut-être de Pierre Boulez dont il admirait l’oeuvre du compositeur. Ligeti aimait citer Cézanne dont les couleurs structurent l’espace sans le dominer, mais aussi Piranèse où le sentiment de l’enfermement et des constructions carcérales, est explicite.

La musique de Ligeti exprime une lente désaliénation de tout pays, tout territoire, qu’il fut stylistique ou géographique ; il aspire à une pensée ouverte et universelle. Son lieu, ses racines, sont dans sa musique.
C’est sous cette influence que Stanley Kubrik cite Ligeti dans 2001, l’Odyssée de l’espace, film culte dans lequel la cinéaste utilise le Requiem (1963-1965) et Lux Aeterna (1966) ; puis, dans Eyes wide Shot auquel les lancinants accords de la Musica Ricercata, confèrent son étrangeté onirique.

Dans Le Grand Macabre de 1975-1977, il imagine une accumulation difforme (Brughel côtoie le Pop Art, Mozart est cité avec Schumann ou Couperin.) qui serait la fin de la civilisation pour que renaisse une autre, régénérée et neuve, débarrassée de ses fantômes obsessionnels, de ses images référentielles.

La maladie l’a frappé en pleine inspiration, alorsqu’il était sur le métier des études pour piano, commencées en 1985.
L’écriture y balance entre intériorité et sophistication, souvenir et brio.
Pour s’en convaincre, l’enregistrement publié chez Sony, fixe le jeu du pianiste Pierre-Laurent Aimard qui enregistra sous l’oeil critique et approbateur du compositeur, les études pour piano, aboutissement d’un travail de huit ans, pendant lesquels l’interprète fut en prise directe avec l’auteur. Arte diffuse un programme inédit le 25 juin sur la démarche de l’auteur et de son interprète, en dialogue. Lire ci-après.

Le compositeur autrichien s’est éteint à l’âge de 83 ans, lundi 12 juin 2006, à Vienne.

arte
rend hommage à György Ligeti

La chaîne culturelle franco-allemande bouleverse son antenne en diffusant deux documentaires (dont un inédit) consacrés au compositeur récemment décédé.


1. Samedi 24 juin à 22h35
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Gyorgy Ligeti – Portrait

Documentaire de Michel Follin
Avec : Élisabeth Chojnacka, Kallo Màrton, Pierre-Laurent Aimard et Florent Boffard. Coproduction : ARTE France, Artline Films, Les Productions du Sablier, RTBF, MT, Centre Georges-Pompidou (1993-60mn)

Grand Prix Pratt & Whitney / FIFA Montréal 1994 – Prix Sacem du film de musique 1994

(Rediffusion du 14 mai 2003)

En 1992, György Ligeti voyage : dans la voiture du train qui l’emmène, les tableaux et les paysages défilent comme reviennent à sa mémoire, images, souvenirs, expériences vécues à demi oubliées. Ligeti est né en Transylvanie, région qui est le coeur historique du peuple magyar et qui a été rattachée à la Roumanie à la fin du premier conflit mondial. Il y subit l’humiliation des lois ségrégationnistes contre les juifs. Installé à Budapest, il connaît la brutalité du régime stalinien de Ràkosi et la répression soviétique du soulèvement de 1956 l’amène à fuir en Occident.
Son oeuvre est marquée par ce parcours où la folie et le fanatisme totalitaire a ruiné la civilisation.

2. Dimanche 25 juin à 10h30
(TNT, câble et satellite)

Piano du XXème siècle : Ligeti, étude pour piano
Avec : Pierre-Laurent Aimard (pianiste)
Coproduction : ARTE France, Abacaris Films (2001-30mn)

Programme inédit.

Ligeti composa en 1985 un premier livre d’Etudes pour piano qui en comprenait six (il en compte désormais quinze). Ce film s’attache plus précisément aux Etudes n°1, n°3 et n°6 qui caractérisent particulièrement les préoccupations du compositeur. Ligeti revient lui-même sur les circonstances de la création de la pièce. Le pianistefrançais, Pierre-Laurent Aimard qui compte parmi les plus grands interprètes du compositeur autrichien, joue et analyse cette ouvre, sous le regard critique du créateur.

crédits photographiques
Ligeti en 2000 (dr)
Ligeti en 2003 © Alexander Ruesche