vendredi 29 mars 2024

Marie-Antoinette, le Petit théâtre de Trianon (1778-1779)

A lire aussi

Prendre au hasard
d’une allée plantée d’arbres, un chemin étroit semé de buis, dans l’axe
du Petit Trianon, mais dans la perspective qui mène vers le Pavillon français ; non du côté de la pelouse où se trouve le Temple de l’Amour.
C’est à peine si l’entrée du joyau architectural que
l’on nomme aujourd’hui, le petit théâtre de la Reine est visible. Mais les deux
colonnes de style ionique, et le fronton triangulaire indiquent un
édifice néoclassique. L’entrée dans un univers enchanteur. Edifié entre
juin 1778 et juillet 1779, la salle appartient au style sobre et
presque austère propre à la fin des années 70. Ne pas se fier aux
aspects extérieurs. L’intérieur est une pure merveille, un théâtre
des illusions et de la magnificence, à l’échelle humaine. L’insigne du goût exemplaire de sa commanditaire, Marie-Antoinette.
Ni théâtre
privé ni théâtre de cour, Trianon est un théâtre de société : jouer les
œuvres du répertoire lyrique et musical, avec ses proches et ses amis, tel
est le loisir le plus prisé de la Reine, en son domaine. En particulier pour les
Souverains dont l’ordinaire revêt une épuisante obligation de représentation permanente. Au Palais et à la cour, tout tient du paraître et de la propagande. Déjà Louis XIV aimait
rompre la grandeur et la solennité de la vie du Château qu’il a souhaité le plus prestigieux, en recherchant l’intimité du Grand Trianon.
Un siècle plus
tard, cet attrait de l’intimité et de l’entre-soi, est acclimaté par
Marie-Antoinette au Petit Trianon, et surtout dans son théâtre. Un rituel où hors de l’étiquette et
de ses convenances contraignantes, le théâtre est un divertissement qui
permet ici de se libérer, dans la proximité d’une société choisie et
détendue : les proches de la Reine et ses partenaires sur la scène, son
beau-frère le Comte d’Artois, les duchesses de Polignac et de Guiche,
le comte de Vaudreuil… Cette petite troupe applaudie par
le Roi est bientôt nommée, « troupe des Seigneurs ». A Trianon, ni
enjeu politique ni intention de propagande. La Reine et le Roi
reçoivent en toute simplicité… mais ici à la mesure de leur rang.

« Une particulière » dans son domaine
A
Trianon, la Reine reçoit. Le domaine lui fut offert dès l’été 1774 par
le Louis XVI. Ancienne résidence des favorites de Louis XV,
– La Pompadour puis la Du Barry, le petit château et son hameau seront investis par le gôut de la jeune
Souveraine. L’art de faire du neuf avec du vieux. Comme Gluck fera de
ses anciens opéras serias viennois, ré-acclimatés pour la scène
française, les manifestes lyriques du nouvel opéra français des années 1770. L’architecte Richard Mique qui est l’auteur d’un salon
couvert, pure fantaisie architecturale édifiée pour l’agrément de
visiteurs du parc fermé (le Belvédère, élevé à la même période),
construit une salle habilement proportionnée, selon les relevés pris
dans les théâtres déjà construits de Choisy et de Fontainbleau.
Réplique en miniature de la salle de l’Opéra Royal, à quelques
kilomètres de là, le Petit théâtre est de forme ovale avec sa voussure
cintrée où sont enchassés douze oeils-de-bœuf, devant lesquels courent
de joyeux bambins portant des guirlandes de fleurs.

Economie imposée ou
indice d’une période qui se moque d’elle-même et aime bâtir ses
chimères, tout le décor est de pure illusion. Le bois peint (façon
brêche violette) imite le marbre. Le papier et le carton imitent stucs
et sculptures d’ornement. Qu’importe les matériaux factices, pourvu
qu’au regard, le style donne la mesure du raffinement souhaité.
L’actuel fond de scène conserve un décor peint du règne de Louis XV :
le temple de Minerve par les frères Slodtz, datant de 1754, mais dont
la sévérité antique convenait parfaitement à la reprise d’Iphigénie en
Tauride
de Gluck au Petit Théâtre, en 1781.

A l’époque de la Guerre
d’indépendance aux Amériques (1779), la France qui s’oppose aux
anglais, finance les soldats américains. Les grands voyages et donc les
cérémonies qui y étaient organisées, à Compiègne et à Fontainebleau,
sont d’un train trop dispendieux. L’heure est à l’économie. Pour se
distraire cependant, Marie-Antoinette qui dès son plus jeune âge jouait
la comédie, organise dans son petit théâtre, dans l’intimité de
convives choisis, des spectacles choisis. Mercy-Argenteau témoigne en 1780 à
l’Impératrice Marie-Thérèse à Vienne, des occupations de sa fille. Elle
y est toute occupée à la préparation de deux spectacles à Trianon.
Apprentisages des rôles, répétitions, puis représentations qui
pouvaient durer jusqu’à neuf heures, « sont suivis d’un souper
restreint à la famille royal et aux acteurs et actrices. Au sortir de
table, la Cour se retire, et il n’y a point de veillée
».

Immédiatement
les spectacles de la Reine à Trianon deviennent l’objet d’un
ressentiment de plus en plus amer, en particulier pour les princes et
courtisans qui en sont exclus. Ne point être à Trianon, tient de
l’affront. Or Marie-Antoinette ne se gêne pas pour exprimer directement
ses préférences. Au duc de Fronsac qui espèrait être invité, la Reine
répond « mais d’ailleurs je vous ai déjà fait connaître mes volontés
sur Trianon : je n’y tiens point de cour : j’y vis en particulière
».

La
Reine et ses invités jouent Monsigny, Rousseau, Sedaine, Grétry.
Parfois devant les monarques étrangers qui pour préserver la simplicité
du cadre et son intimité jalousement entretenue, n’y paraissent
qu’incognitos. Mais la volonté de demeurer caché, ne fait qu’attiser
l’envie ; jalousies et médisances, produisent bientôt mille propos
acerbes sur les spectacles de Trianon et pire diablisent ne reine écervelée, seulement occupée par ses plaisirs et la dépense qui en découle. Et les anciens admirateurs n’ont plus que mépris et amertume pour le théâtre et
ses soupers, d’une Souveraine critiquée et reniée.
N’en déplaise aux
bénéficiares, de l’extérieur, les soirées de Trianon demeurent le
comble d’un art de vivre élitiste, d’autant plus exécré que la majorité
de la Cour en est écartée. Voilà qui n’aide pas à l’affection des sujets pour leur Reine.

Quoiqu’il
en soit, Marie-Antoinette reçoit son frère Joseph II pour l’Iphigénie
en Tauride
de Gluck. Assister à l’opéra de leur professeur de musique,
a dû rappeler aux deux autrichiens leur enfance viennoise…, de même, le
Tsarevitch applaudit Zéphire et Azor de Grétry, le musicien de la Reine
comme on l’a vu.
Le comble est atteint en 1785 lorsque la Reine joue
Le Barbier de Séville de Beaumarchais. Que la Souvereine qui allait
payer si durement l’inconséquence de sa conduite (pour reprendre les
termes choisis par sa mère l’Impératrice Marie-Thérèse) n’ait pas senti
le souffle séditeux du texte de la pièce, n’y déceler le miroir du climat de l’époque, nous paraît déconcertant. Une
telle insouciance est peut-être tout simplement la première qualité
d’une jeune femme trop occupée à jouer sur la scène des plaisirs, moins
sur celle, politique et sociale, aux criantes réalités. L’histoire
allait bientôt la rattraper en ne lui reconnaissant aucune circonstance
atténuante.

Illustrations
Vigée-Lebrun : esquisse pour un portrait de Marie-Antoinette
Trianon, le boudoir de Marie-Antoinette
Trianon, le petit théâtre de la Reine

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 26 mars 2024. LULLY : Atys (version de concert). Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie / Alexis Kossenko (direction).

Fruit de nombreuses années de recherches musicologiques, la nouvelle version d’Atys (1676) de Jean-Baptiste Lully proposée par le Centre...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img