jeudi 28 mars 2024

Dana Ciocarlie. Une journée marathon avec la pianiste. Musicales du Golfe (Morbihan, le 10 août 2005)

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Le 10 août 2005, nous avons pu suivre pendant une journée la pianiste
Dana Ciocarlie, au moment du concert Debussy/Mozart/Schumann/Enesco que l’artiste a
donné dans le cadre du festival « Musicales du Golfe » en Bretagne.
Journée marathon, dont le final était le concert proprement dit, donné
dans la Chapelle Notre-Dame de Loc, à Saint-Avé.

S’il était une idée séduisante en cet été 2005, c’était
précisément d’accompagner depuis Paris, la pianiste Dana Ciocarlie,
invitée des
musicales du Golfe.

13h13 Après trois heures de train …Arrivée à Vannes

Une
voiture nous attend, direction Saint-Avé, petite ville de la périphérie
Vannetaise. Le Steinway trône sur l’estrade installée au fond de la
petite Chapelle Notre-Dame de Loc. La pianiste entame les premières
mesures du carillon nocturne d’Enesco puis Mozart et ses mélodies
perlées qui font résonner d’emblée la voûte en bois d’un bâtiment
pourtant vide. Premières mesures avec les reprises et ré expositions…
les doigts se délient. L’artiste prend peu à peu possession des lieux,
une superbe chapelle du dernier gothique flamboyant, édifiée à la fin
du XVe siècle. Le chef-d’œuvre du lieu, une statue de la Vierge,
Notre-Dame du Loc (du latin, locus qui signifie le lieu), l’une des
plus anciennes dans le département, semble acquiescer discrètement
cet impromptu.

14h Une jeune conférencière paraît

« Bonjour, je vais certainement vous déranger pour les visite-conférences programmées cet après-midi. J’espère que cela ne vous embêtera pas ».
– « Pas du tout. J’en profiterai aussi » répond Dana Ciocarlie,
concentrée sur le clavier, et déjà subtile interprète d’Ondine de
Debussy. « Je voudrais bien répéter, surtout la pièce contemporaine que
j’ai choisie d’ajouter ce soir et qui est une étude de Karol Beffa dont
je suis la dédicataire. Nous avons aussi changé les Debussy. Etude pour
les arpèges composés remplace désormais l’île Joyeuse car je vais
enregistrer la partition dans quelques jours chez Triton. C’est une
musique exceptionnellement virtuose.
»

Les partitions sont
posées sur le piano mais l’artiste semble ne pas les voir, ou, alors,
en de très rares occasions. Elle les connaît par cœur et le dos courbé
vers l’instrument, la pianiste travaille les résonances souterraines
du Carnaval de Schumann. Introspection, écoute attentive des climats
sous-jacents… qui pendant la séance de répétition se déploient ensuite
pleinement dans le Debussy dont nous avons parlé. Liquidité et
transparence d’un univers sonore qui sait aussi être expressionniste,
parfois très percussif.

– « J’ai besoin de faire une pause ».
Avant d’attaquer Carillon nocturne qu’elle joue presque à chacun de ses
récitals, surtout La rhapsodie roumaine d’Enesco, Dana se lève et me
propose de suivre la visite-conférence de la chapelle.
– « Les
bretons avaient un culte immodéré pour les saints, à tel point que les
historiens parlent de polythéisme chrétien
», nous dit la jeune guide,
généreuse en commentaires sur l’abondance des sculptures. « Ici,
Sainte-Marguerite et Saint-François, là Sainte-Marie-Madeleine.
»

La
chapelle abrite malgré sa petite taille une multitude de statues. Tous les murs des bras collatéraux en sont couverts.
L’éclairagiste arrive enfin : il adapte les projecteurs selon les
indications de la pianiste.

17h fin de la répétition

Nous
repartons en direction de notre hôtel devant l’embarcadère pour
l’île-aux-Moines et l’île d’Arz. Nous avons devant nous l’un des golfes
les plus beaux de Bretagne mais hélas pas assez de temps pour en
contempler toute la beauté naturelle. Le programme est serré : quelques
minutes de détente puis dîner rapide, enfin retour vers la Chapelle que
nous avons quittée, il y a à peine trois heures pour le concert de
20h30.

C’est d’ailleurs la même impression vis-à-vis de la ville
de Vannes, traversée à chacun de nos voyages vers le lieu du concert,
depuis la voiture qui nous véhicule. L’ensemble de la cité a conservé
son cœur médiéval, comprenant cathédrale, superbes murailles fortifiées
et belles maisons de pierre plus récentes de l’époque classique. Nous
découvrons trop vite ce paysage urbain parfaitement préservé.

Toujours
courir et ne rien voir vraiment sinon par fragment. C’est le lot
familier des solistes en concert, presque plus habitués des transports
que des salles de concerts. Dès demain, en effet, nous reprenons le
train pour Paris. Dans cette course qui s’apparente souvent à un
marathon, les brefs instants de pause sont donc judicieusement
optimisés.

20h30 concert dans la chapelle Notre-Dame de Loc

Les
Variations Duport de Mozart sont une entrée en matière idéale. Libre
fantaisie parfaitement contrôlée dans le respect du cadre, avec déjà,
dans le jeu de la pianiste, un équilibre souverain entre transparence
et légèreté. En prime : précision des attaques, attention millimétrée
aux climats. Une orfèvre au service d’un compositeur rompu à la
délicatesse. Et c’est presque dommage que, dans la section finale,
quand l’inspiration jusque-là parfaitement contrôlée sombre dans un
gouffre d’inquiétude, fugace, trop fugace, l’artiste salue déjà dans
une salve d’applaudissements.

Son Schumann est prodigieux.
L’assurance des premiers accords, assénée comme une série de certitudes,
sombre rapidement dans un atermoiement cyclique entre reprise
d’équilibre et chute inéluctable. Carnaval : le titre n’est festif et
insouciant qu’en apparence. Dana Ciocarlie s’impose par sa lecture
hypersensible qui saisit cette inquiétude et cette menace permanente.


« Pour la suite du programme, j’ai choisi les partitions de Debussy car
je souhaitais établir comme une correspondance avec le lieu où nous
nous trouvons : la liquidité et la fluidité d’Ondine, de Poisson d’or
et de cette étude pour les harpèges composés sont un clin d’œil à
l’océan qui nous environne
» précise la pianiste.

De fait ses
Debussy sont d’une transparence marine, habitée, suggestive,
exceptionnellement coulante : la poésie faite musique. Suit un
compositeur qu’elle aime jouer plus que tout autre : son compatriote
Enesco. C’est d’abord une partition emblématique, Carillon nocturne
dont elle restitue avec finesse le souvenir des cloches de la Moldavie
du Nord, la patrie du compositeur : nostalgie et sensibilité
rétrospective tissent ici une matière sonore faite de résonances et
d’échos continus. Puis, c’est la montagne polyphonique de la
transcription pour piano de la Rhapsodie roumaine : dix minutes d’un
galop lyrique qui accumule les épisodes rythmiques et les contrastes
harmoniques. L’agilité digitale de l’interprète mène la cadence ; une
course endiablée jusqu’aux limites de la surenchère et qui laisse, la
pianiste comme le public, à bout de souffle. On reprend conscience. On
se ressaisit dans un tonnerre de bravos.

Contente, heureuse même
d’avoir tant donné : la pianiste entame pour bis, les danses hongroises
de Bartok, puis un extrait de musica ricercata de Ligeti, enfin une
sonate/étude que le compositeur contemporain Karol Beffa lui a dédiée.
Généreux, entier, passionné et subtil : le jeu de Dana Ciocarlie est
indiscutable. De Christian Zacharias, elle nous avoue avoir appris une
compréhension profonde de la musique qui lui permet aujourd’hui,
d’interpréter certes, surtout de laisser la musique chanter
d’elle-même. Cette école de l’humilité nous touche. Aucun doute, Dana
Ciocarlie est une artiste exceptionnelle.

Programme du concert du 10 août
Mozart : Variations Duport K. 475. Schumann : Carnaval opus 9. Debussy
: Ondine, Poisson d’or. Etudes Livre II : Pour les Arpèges composés.
Enesco : Carillon nocturne, Rhapsodie Roumaine.
Festival Musicales du
Golfe
, du 1er au 12 août 2005.

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