samedi 5 juillet 2025
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Enchaînements de génie

A l’acte I par exemple, tout s’enchaîne magnifiquement dans sa phase conclusive du N° 9 au N° 12 : servitude aveugle de Sesto, hystérie désemparée de Vitellia (trio « Vengo » N°10), remord de Sesto (recitativo accompagnato N°11) et chœur de l’incendie du Capitole, marche funèbre révélant la mort supposée de Titus (finale en quintette N°12). On n’a guère entendu de pages aussi sublimes que les trois dernières scènes de l’acte I. Mozart y mêle en génial dramaturge, la solitude des coupables (Sesto/Vitellia), le tableau de la Rome incendiée, et le chœur de déploration pleurant la mort de l’Empereur. Cette double lecture annonce déjà le XIXème siècle : intimité des héros souffrant, clameur du chœur qui restitue le souffle de l’épopée et du mythe antique.
A l’acte II, même parfaite gestion du renversement dans l’évolution du personnage de Vitellia par exemple et que nous avons précédemment évoqué. Jusque-là insensible, froide manipulatrice, intéressée et politique. Il faut qu’elle entende l’air « S’altro che lagrime » de Servillia qui tout en prenant la défense fervente de son frère Sextus, reproche à Vitellia sa « cruauté » ;
C’est la prière d’une sœur (Servilia est la sœur de Sesto), exhortant celle qui maltraite son frère à le défendre qui est la clé dramatique de l’Acte II. Après avoir entendu Servillia, Vitellia n’est plus la même : dans le grand air qui suit (sans ici l’artifice du secco), la transformation s’opère dans son cœur. Renversement et transformation. Voyant la mort, elle éprouve enfin compassion et culpabilité accompagné par l’instrument obligé, un sombre et grave cor de basset. Elle avouera tout à Titus : son désir de vengeance et le complot qui devait tuer l’Empereur.
Avant cette confrontation avec Servillia qui lui renvoie sa propre image, elle était une autre. L’on serait tenté de dire, étrangère à elle-même. Et cette transformation est d’autant plus profonde que l’air qui l’a suscité (S’altro che lagrime déjà cité) est court. Autre fulgurance.
Et plus encore : Mozart fait succéder à cette transformation miraculeuse, l’entrée de l’Empereur dont chacun attend la sentence quant au sort de Sesto. Marche d’une grandeur solennelle, là encore d’une sublime romanité, l’apparition de l’autorité impériale fait contraste avec le monologue de Vitellia où l’on pénétrait dans l’intimité, jusqu’au tréfonds, de son âme coupable et compatissante.

Devant tant de maestria dramaturgique, comment ne pas reconnaître le travail ultime de Mozart ; surtout louer le dosage et le contrôle des options retenues ? A ceux qui ne s’expliquent toujours pas pourquoi, après une ouverture pleine de noblesse, de dignité et de grandeur antique, Mozart nous « assène » pour la scène d’exposition un recitativo secco des plus conventionnels, quand ailleurs, pour Idoménée ou Don Giovanni, il sollicitait de l’ouverture à la première scène, tout l’orchestre, on répondra que respectueux des usages, il exploite la signification des formes musicales et retrouve fidèle au seria, la forme habituelle du cadre : un secco de pure et parfaite convention, probablement écrit sans plus d’inventivité, comme tous les autres récitatifs de l’ouvrage, par son élève Susmaÿr, comme nous l’avons déjà dit.
De même pour la forme da capo, emblématique du seria et qu’il utilise pour le personnage le plus digne de l’œuvre : l’empereur Titus naturellement (« Del piu sublime soglio », N°6). On pourrait y voir la reprise maladroite d’une forme obsolète. C’est tout l’inverse, le da capo est bien l’expression la plus correcte pour un souverain, étant la forme générique du goût musical le plus aristocratique, le langage habituel et célébré des dieux, demi-dieux et des héros. En utilisant la forme da capo, Mozart insiste davantage sur l’impuissance répétée et l’isolement inéluctable d’un être qui comme la forme expressive qui est la sienne, comme dépassé par la situation présente, aculé à une impuissante inertie. Une forme propre à son rang social et qui l’étouffe en l’empêchant d’exprimer les attentes véritables de l’homme.

On voit bien que chaque option n’est pas l’effet malheureux d’une maladresse mais le fruit médité d’une véritable vision dramaturgique.

D’un sujet politique, Mozart élabore un opéra humaniste

Plus que Titus qui en est le prétexte officiel, Vitellia est la véritable héroïne de la partition : c’est par elle que s’accomplit le miracle de la métamorphose.

Au début de l’opéra, être vil et maudit, corrompu par l’esprit de la vengeance (vis-à-vis de Titus qui a pris le pouvoir en renversant son père l’Empereur Vitellius), par celui de la cruauté la plus sadique (vis-à-vis de Sesto qui l’aime mais pour lequel elle n’éprouve aucun sentiment), elle ressent enfin compassion, culpabilité et renoncement. Son air « non piu di fiori », sommet dramatique de l’opéra, avec cor de basset, dévoile en un ample « rondo » cet accomplissement inespéré.
En définitive, elle se montre digne de cet amour total que lui voue Sesto, jeune adolescent qui est le favori de Titus et qui découvre dans l’opéra le gouffre amoureux sous l’emprise d’une femme-monstre. Mozart se montre l’égal de Métastase, l’auteur du livret orginal et sérieusement réduit dans l’opéra de 1791. Le compositeur toujours exigent quant à la qualité de ses textes se révèle surtout un continuateur idéal connaisseur sensible et fin du théâtre de Racine et de Corneille dont son Titus est inspiré. Il a d’ailleurs eu l’occasion d’aborder des sujets Français depuis son Idoménée, qui reprend le thème traité par le musicien Campra, d’après un livret de Danchet. N’omettons pas non plus, son choix de mettre en musique l’un des ouvrages les plus séditieux de son temps, les Noces de Figaro de Beaumarchais.

Autant d’approfondissement de la psychologie, plus explicite dans le raffinement de la musique que dans le texte, montre le génie de Mozart à concevoir un ouvrage supérieur qui n’est en rien une œuvre de circonstance. Pourtant le contexte politique et les intentions du Souverain se seraient volontiers accommodés d’une simple reprise du livret in extenso de Métastase, comme l’avait réalisé avant Mozart la colonie des compositeurs en vue : Caldara (1738), Gluck (1752), Jommelli (1753), entre autres.
L’intention de Mozart on l’a vu était toute autre et sous des apparences de parfait exécutant, accomplit une réforme en profondeur du seria. La succession systématique des arias da capo en est l’offrande la plus sacrifiée sur cet autel moderniste. Mozart préféra nous l’avons dit favoriser les ensembles.

L’artiste épouse les idéaux les plus modernes et retrouve même l’insolence de Figaro. Dix jours avant la création de l ‘œuvre, le 27 août 1791, Leopold II signe avec le Roi de Prusse, la « déclaration de Pillnitz » qui est un engagement d’intervention militaire immédiate en cas d’action inspirée par l’esprit de la Révolution et par le jacobinisme ambiant. Dans ce contexte où les souverains de l’Europe désirent renforcer leur autorité et donner une image positive de la monarchie, l’opera seria Titus apporte une illustration plus qu’opportune. La preuve éloquente de la dignité du prince, magnanime et clément. Une sorte de manifeste a contrario de la Révolution, qui atteste de la grandeur et des vertus du pouvoir monarchique. Toute la poésie de Métastase sert cet idéal politique.
Or Mozart donne sa propre vision de la grandeur politique. La romanité sublime de son opéra, en particulier le final des deux actes (l’incendie du Capitole au I ; l’arrivée de l’Empereur après le rondo de Vitellia au II), ne laisse en vérité aucun doute sur la fragilité des êtres, qu’il soit prince ou simple individu. Il a fait éclater le carcan d’un art de servitude, seulement attaché à la propagande monarchique. C’est pourquoi sa dramaturgie transcende le seul cadre politique. Son propos est plus universel, il est humaniste. En chaque personnage, il voit son double : son frère, en proie aux doutes, terrifié par la mort, soumis aux lois de la Vérité pour laquelle tout homme libre est celui qui pardonne, et finalement renonce. Il fait des hommes, les proies d’un jeu d’équilibre précaire où la folie menace toujours la raison. Rien avant lui n’avait été dit avec autant de clarté : il peint l’homme et la femme tels qu’en eux-mêmes : immatures, impulsifs, contradictoires, solitaires. Tout ce que leurs rôles héroïques, leur stature, leur rang empêcheraient de voir. Le paradoxe et la grandeur de l’opéra seria tiennent à cela, avec ce que Mozart apporte de génie : des êtres qui se désireraient divins et sages mais qui ne sont que faibles et pulsionnels.

Ce qui nous paraît éloquent à l’écoute et l’analyse de l’œuvre c’est tout en servant la même inspiration moderne qu’Idoménée, à l’inverse de ce dernier opus seria, plutôt foisonnant et libre, Titus incarne un aspect nouveau de la sensibilité du dernier Mozart : concision, mesure, surtout économie des moyens qui dans leur dosage et leur enchaînement confinent à l’épure. Titus accomplirait justement ce en quoi Idoménée était quelque peu maladroit voire déséquilibré. Hier, la surenchère d’un génie précoce et inventif. A présent, la pleine maturité d’une œuvre aussi suggestive que méditée. Mozart brosse à la manière de Fragonard (le vœu à l’amour), par des touches rapides d’une profondeur virtuose, qui ne sont jamais superficielles tant elles sont justes dans leur forme : plusieurs airs portent à un très haut degré cette éloquence de la forme rapide et serrée : torna di Tito ou surtout S’altro che lagrime (Servilia) dont on continue de regretter, tradition de la critique musicale oblige, l’aspect « inabouti », à peine développé, ébauché, « maladroit ».

Illustrations

Nicolas Poussin, les quatre saisons, l’été (fragment, Musée du Louvre)
Portrait de Leopold II.
Jean-Honoré Fragonard, le voeu à l’amour (Paris, Musée du Louvre)

Quels indices pour une nouvelle estimation de Titus?


Titus se révèle une opportunité exceptionnelle pour redorer son blason dans l’arêne Viennoise où règne l’indiscutable quoique infiniment moins génial Salieri.
Mozart aurait reçu commande le 15 août pour une représentation officielle fixée au 6 septembre 1791, soit un peu moins de trois semaines pour satisfaire les vœux impériaux. Il aurait ainsi passé tout l’été 1791 à composer chacun des airs y compris dans la calèche le menant de Vienne à Prague où pour alléger son labeur, il demande à son élève Sussmaÿr d’écrire les recitativos non accompagnés.

Or, il faudrait peut-être réviser cette urgence de l’écriture : la correspondance cite dès 1789, l’idée d’un canevas musical sur le thème de la Clemenza di Tito qui est alors un livret de Métastase parmi les plus traités par les compositeurs. Déjà à cette date soit deux années avant la création de Titus, Mozart propose au librettiste Caterino Mazzola de réviser le livret de Métastase, afin d’en faire un « vrai opéra » : réduction du texte, de trois actes en deux. Moins de mots, plus de situations fortes. Avec la fulgurance que son génie a appris sur le canevas du buffa où les ensembles (duos/trios/quatuors et quintettes) sont habituels, Mozart a une idée précise du drame moderne. Il n’a cessé de réaliser cette ambition. Ne pourrions-nous pas reconnaître dans Titus, plutôt qu’une ébauche irrégulière et maladroite, l’accomplissement du génie mozartien dans le sens de la synthèse, de l’épure, de la mesure suggestive ?

Il savait parfaitement que le seria l’empêchait justement de développer ce en quoi il excelle : l’ambiguïté des formes, comiques et tragiques, amoureuses et héroïques. Qu’importe, il relève le défi et dans un contexte qui ne peut être que tragique et noble, son génie jamais en manque d’un renouvellement de l’invention, invente de nouveaux types. La princesse Vitellia emprunte le chemin tracé par Donna Elvira et Donna Anna (personnages de son Don Giovanni) en les synthétisant ; et Sesto incarne le plus humain des jeunes amants manipulés, trahis, humiliés, pris entre le désir de satisfaire son aimée, et le risque de trahir son bien le plus précieux, l’amitié de l’Empereur Titus. Masques de la scène héroïque devenus êtres de chair, palpitant par ses conflits et ses contradictions mêmes. Quant à Titus, Mozart qui écrit le rôle pour un ténor, se souvient d’Idoménée et de Don Ottavio, il conçoit un individu seul, isolé, accablé par la dignité impériale et dont le devoir du rang contraint la sensibilité de l’homme. En utilisant la forme de l’aria da capo, habituel pour les dieux et demi-dieux de l’opéra seria depuis ses débuts, et le réservant pour Titus, Mozart insiste davantage sur le carcan qui étreint l’individu.
Titus se présente en vérité idéalement pour affiner encore sa conception poétique du drame musical.
Une telle conception humaniste des personnages n’était pas sans quelques risques pour le compositeur. Elle contient l’essence même de sa dramaturgie la plus aboutie. Ni décoratif ni superficiel, le Titus de Mozart explore la veine sanguine, passionnelle de la trilogie et met l’accent sur l’évolution sensible des caractères. Aucun personnage grâce à son écriture ne s’enlise au type, codifié et statique ; la scène représente au contraire une galerie d’individualités soumises à transformation… nous dirions presque initiation allusive dont la musique indique une autre voie, parallèle au texte. Prenons par exemple, les options de l’instrumentation : frère de la Flûte et du Requiem, Titus utilise cette colonne maçonnique, habituellement usitée dans le service des loges franc-maçonnes, où retentissent les timbres des bois et des cuivres les plus sombres et les plus nobles selon les instruments et les interprètes présents : cors de basset, bassons, hautbois et trompettes. Ne manque que le trombone. On peut même affirmer que résonne à l’unisson de cette coloration instrumentale spécifique, une nouvelle trilogie à redécouvrir : les trois ouvrages de la fin, faisant contrepoint à la trilogie des opéras dapontiens : Titus, la Flûte enchantée et le Requiem. On sait que l’idéal franc-maçon met l’accent sur le pardon et la fraternité. Valeurs idéalement illustrées dans Titus.

Illustrations :
Nous avons choisi pour illustrer notre dossier Titus, plusieurs fragments représentant la campagne romaine, choisis dans quelque tableaux de Nicolas Poussin, et aussi la figure de l’Empereur telle que Mozart pouvait l’approcher de son vivant. Ici, portrait en pieds de l’
Empereur Joseph II.

Contraintes et défis du seria

Il était tout à fait naturel que dans cette voie réformatrice, il traite avec régularité la « grande machine », le genre noble et officiel, parfaitement structuré, trop peut-être. Et quand lui échoit la commande impériale de surcroît sur le registre seria, la tentation est trop forte. L’esprit de la revanche aussi car la Cour et l’Empereur, c’est-à-dire le goût viennois d’alors, n’a guère applaudi son talent depuis l’Enlèvement au Sérail (1782). Et c’est essentiellement Prague qui a célébré à juste titre la réussite de ses derniers opéras, Les Noces et Don Giovanni… En ne se maintenant qu’à peine quinze soirées, Cosi, créée au Burgteater de Vienne, est un échec amer.
Tout indique contre ce que l’on pense et ce que l’on ne cesse d’écrire, que le genre seria l’intéressait depuis toujours et ce au plus haut point. Avec Titus, Mozart tout en abordant une forme « difficile », retrouve un thème qui lui est cher : celui de la clémence, de la générosité, du pardon et du renoncement. Certes il y redéfinit la structure, adapte sa propre dramaturgie tissée dans l’étoffe de la vérité humaine. Il offre à nouveau une réforme du seria, déjà abordée dans Idoménée ; une reconsidération personnelle qui romperait avec conventions et contraintes pour rétablir le naturel.
D’ailleurs, le public d’opéra depuis le XVII ème siècle, applaudit sans faiblir les drames vivants mêlant comique et héroïque, passion amoureuse et tragédie selon la formule déjà révolutionnaire en son temps qu’a élaboré le père de l’opéra, Claudio Monteverdi dans ses ouvrages vénitiens (Ulisse et Poppea). C’est l’une des raisons qui a fait le succès du buffa dont les chefs-d’œuvre ne sont pas exempts de leçon philosophique, parfois très cynique sur le genre humain. Doublant l’héroïsme souvent tragique des protagonistes, les seconds plans commentent l’action principale avec une ironie voire un cynisme décapant.
Un siècle plus tard, sur la voie tracée par Monteverdi, Mozart incarne une exigence semblable. Il partage le même idéal, alliant bouffon et sérieux, qui permet une alliance harmonique entre le texte et la musique, entre la vraisemblance et l’expression édifiante, et toujours merveilleuse des caractères. Or dans Titus, il doit aborder un genre où toute situation comique est bannie. Seul l’héroïsme édifiant des caractères et des situations sont de mise. Paradoxe du propos, la fin doit être selon la tradition du lieto finale, heureuse, morale, rassurante. Le seria est dont un défi pour le compositeur.

Titus, un seria résolument moderne

Ajouter à sa carrière la mention « compositeur d’opera seria », accrédite le prestige de ceux qui n’ont traité que le genre buffa. Or rien ne comptait plus à Mozart que la défense de son statut de compositeur.
Avec l’essor des Napolitains, le seria est devenu un tunnel d’airs de solistes où la performance vocalistique des chanteurs, castrats et sopranos adulés, comptent davantage que l’unité et la vraisemblance poétique du livret. Zeno puis Métastase ont bien souhaité réformer le genre en accentuant la dignité morale de la trame, en organisant et hiérarchisant les rôles ainsi que la structure et la répartition des airs. Tout cela n’aura fait qu’accentuer la rigidité d’une forme contrainte.
Et le chevalier Gluck impose de même grâce au soutien de Marie-Antoinette, sur les planches parisiennes, plusieurs chefs d’œuvre lyriques qui, de 1774 à 1779, ont savamment dépoussiéré le genre, en abolissant surtout pour reprendre les mots de Wagner, « la fantaisie du chanteur ». Pourtant le cadre dramatique que le compositeur Gluck élabore tient davantage de la fresque que de la suave esquisse peinte : ses personnages sont bien raides et il semble que seul lui importe la dignité morale des situations spectaculaires. La cohérence ou la vraisemblance psychologique des individus passe au second plan.

Pour un dramaturge aussi visionnaire et moderne que Mozart, lequel a déjà tenté une nouvelle conception du seria avec Idoménée, dix ans avant Titus (1781), la forme n’a rien de très stimulant tant la tradition à laquelle il s’attaque n’apporte que contraintes et conventions à sa liberté créatrice. Inclassable, Titus l’est assurément au sein d’un corpus apparemment plus cohérent et que forment les œuvres auxquelles il travaille en cette année 1791, la dernière de sa vie et que le hasard ou la contingence de l’histoire auront rendu des plus actives.
D’ailleurs, c’est la force réformatrice du compositeur, explicite en maints endroits de ses œuvres, où il collabore étroitement à l’élaboration des livrets, de façon croissante, qui atteste de son apport majeur dans l’histoire stricto sensu de l’opera seria. Le travail pour Idoménée est idéalement renseigné, grâce aux lettres que Mozart échange avec son père. Continuité de la tension dramatique, invention de nouveaux personnages, intégration d’un chœur omniprésent, tableaux orchestraux qui tirent bénéfice de son expérience précoce de symphoniste… tout cela a été longuement analysé.

Un nouvel opéra

« Ridotta a vera opera », (il m’en a fait un véritable opéra) : les mots de Mozart sont clairs. En reconnaissant la qualité du livret que lui livre Mazzola, le compositeur est pleinement satisfait d’un texte qui lui permet de développer l’exacte dramaturgie musicale qu’il souhaitait. La partition est donc bien le fruit d’une pensée aboutie, la réalisation d’une attente. Dans Titus, Mozart trouve la manifestation achevée de son projet musical.

L’idée de réinventer un drame musical n’est pas récente. Mozart n’a cessé en vérité d’échafauder sa propre conception de la musique dramatique. Une vision neuve et moderne qui a inauguré opéra après opéra, une expérimentation progressive et dont on ne parle que rarement. Toujours éprouver et renouveller l’interaction poème, chant, action et musique afin d’expliciter au mieux le sens esthétique du drame en musique.
Depuis L’enlèvement au Sérail (1782), il s’ingénie à concevoir un drame moderne en langue germanique ; dans les ouvrages de la trilogie, soit les opéras écrits ensuite avec Da Ponte (Les Noces de Figaro : « opera buffa » créé à Vienne le 1er mai 1786 ; Don Giovanni, « dramma giocoso » ou « opera buffa », créé à Prague le 29 octobre 1787 ; puis Cosi fan tutte « opera buffa » créé à Vienne, le 26 janvier 1790), le compositeur affine son projet dramaturgique qui se moque de la séparation propre au XVIIIème, des genres comiques et sérieux. Opera buffa d’un côté, opera seria de l’autre. Qu’importe le registre lié au sujet retenu. Seul compte la vérité des sentiments exprimés, la révélation du cœur des individus qui sous l’œil compatissant et fraternel de leur démiurge, évoluent, changent, se modèlent à mesure de leur confrontation et des rencontres permises par le livret. Comique, bouffon, sérieux, héroïque, tragique se mêlent car la vie elle-même est plurielle. Rien de son point de vue de choquant au fait que Don Giovanni que nous tenons pour une œuvre sombre, libertaire, au préromantisme visionnaire et absolument moderne, ne soit selon les inscriptions de l’époque, un « opera buffa » ou un « dramma giocoso ».
Il faut être un génie de la musique et un dramaturge né pour concevoir que tout s’interpénètre, que rien ne peut être figé. Au culte d’un genre musical qui dans sa structure parfaitement codée et statique répond à la pyramide sociale et politique du régime monarchique, Mozart envisage un autre regard. Il y dessine la place de l’être rétabli dans sa propre histoire. Il produit de nouveau type de héros, et bien avant Wagner, envisage cet homme libre, assumant les choix d’une destinée individuelle. Le salut lui est promis s’il est capable de s’abolir de la chaîne des passions et de renaître s’il sait aimer puis renoncer. Pour exprimer cette vision fulgurante des cœurs à l’épreuve de leurs destinées, Mozart affine cet art en droite ligne de Monteverdi où le mot s’allie à la note avec une fluidité retrouvée pour exprimer ce chant de l’âme.
La mise en musique du texte (au préalable rigoureusement validé car Mozart participe à la qualité dramaturgique et poétique des livrets), est davantage qu’un accompagnement : elle éclaire différemment le sens, connote parfois à l’inverse des paroles : l’orchestre prend tout autant la parole que les chanteurs et souvent a contrario du texte, signifie autre chose que l’action littérale.
En recomposant les éléments structurels et référentiels de l’opéra, Mozart, le plus humaniste des dramaturges, prône un ordre nouveau où l’homme libéré assumerait son identité contradictoire. Même s’il fait imploser les cadres et les conventions jusque-là respectés, – que deviendront la comtesse, Suzanne et Figaro après Les Noces ? Le comte Almaviva ne répètera-t-il pas ses intrigues hypocrites et mensongères ? Et les femmes dévoilées dans Cosi, auront-elles compris la leçon cynique de l’opéra ? Au final, l’homme comme la femme sont confrontés à leur ambiguïté. Leurs doutes et leurs fragilités profondes les renvoient à leur ambivalence naturelle … Voilà qui fait de Mozart un connaisseur perspicace de l’identité humaine. Un propos désabusé mais jamais désespéré. Il sait rester aimable : le chant de la musique, tout aussi prolixe que l’œuvre des voix, réenchante ce qui n’aurait pu être qu’une terrible scène du désenchantement humain. Dans cette vision, les derniers opéras dessinent une ligne cohérente : cynisme et vérité sont convoqués dans Les Noces, Don Giovanni et Cosi ; pour l’ultime trilogie, la clémence fraternelle et l’invitation au pardon éternel s’affirment dans La Flûte, La Clemenza et le Requiem.

Plaidoyer pour Titus, introduction

« La Clemenza di Tito », opéra sous-évalué, méprisé, écarté du catalogue « noble » de Mozart ? Certes oui ! A tort ou à raison, critiques et musicologues ont aimé minorer la partition de 1791. Dans les faits, le dernier « seria » de Mozart fut brossé en à peine trois semaines par un compositeur pris entre la conception simultanée de « la Flûte Enchantée » menée avec la complicité de l’homme de théâtre Schikaneder, et celle du « Requiem » pour le comte Walsegg, en hommage à sa défunte épouse.

« Titus », commande du nouvel Empereur Leopold II, est au contraire une œuvre poétique, dramatique et musicale pleinement accomplie qui, tout en concentrant les dernières conceptions esthétiques du musicien, ouvre sur l’avenir du drame musical. Sa dramaturgie est tout autant maîtrisée que celle des opéras ultimes (« Les Noces », « Don Giovanni », « Cosi fan tutte ») et renouvelle en définitive plus loin que ne le fit Gluck sur la scène parisienne, la tradition lyrique officielle de la « grande machine ». Il s’agirait même de reconsidérer la place de ce « chef-d’œuvre » jusque-là écarté, en le situant au cœur d’une ultime trilogie, où il paraîtrait désormais, aux côtés de « La Flûte » et du « Requiem ».

Voici un « plaidoyer pour Titus » qui est une invitation à reconsidérer l’ouvrage de Mozart, d’autant plus opportune qu’en 2006, année Mozart par excellence, deux nouvelles versions discographiques, aussi différentes que complémentaires, viennent de paraître.

Reconsidérer « la Clémenza di Tito »
Œuvre inclassable, vilipendée, écartée du corpus noble des opéras de la maturité, La clémence de Titus est incomprise. L’ouvrage est pourtant loin d’être faible. Il contient même le meilleur de Mozart et demeure le plus sous-évalué de ses derniers opéras.
Bénéficiant des trouvailles et de la maturité poétique de trois opéras de la trilogie écrite avec Da Ponte et qui sont portés au pinacle de la création lyrique, (Les Noces de Figaro, Don Giovanni puis Cosi fan tutte) ; contemporain de La Flûte Enchantée et du Requiem, Titus est infiniment plus qu’une commande bâclée, écrite sans pensée ni cohérence. Il est de notre point de vue, un ouvrage à reconsidérer, la pierre angulaire d’un nouveau corpus à réévaluer et comme les trois opéras que Mozart conçoit avec son librettiste Lorenzo da Ponte, l’élément d’une autre trilogie, composée avec La Flûte et le Requiem. La couleur particulière de l’orchestre dont nous parlerons plus loin, l’économie de l’invention, les valeurs des sujets traités, en rapport avec l’idéal maçonnique, lequel correspond à la pleine maturité de l’inspiration poétique, sont les dénominateurs communs de ce corpus de la fin.
En acceptant d’écrire un nouvel opéra né d’une commande impériale, Mozart revivifie un genre conventionnel, l’opera seria. Il s’inscrit dans ce sens dans le projet régénérateur de Gluck qui avait souhaité dans les années 1770, dépoussiérer lui aussi une forme asphyxiée par les contraintes que la tradition avait peu à peu imposé : succession des arias da capo de solistes coupant systématiquement la continuité de l’action, rareté des ensembles comme duos, trios, quintettes réservés plutôt à l’opera buffa, élévation digne et moralisatrice du sujet où les héros vertueux sont in fine récompensés, reconnus, célébrés…
Si l’on peut parler à propos de Gluck, dans ses deux Iphigénies, dans Alceste puis dans Orphée de renouvellement de la grande machine lyrique française, Mozart opère avec son œil critique et son sens inné de la dramaturgie, une recomposition sociale et psychologique du drame musical. Humanisation chez Gluck à force de dépouillement parfois compassée par excès de grandeur, vérité des êtres et chant des âmes en devenir chez un Mozart, plus proche du cœur, qui prolonge dans Titus, sa conception et sa philosophie d’un drame moderne, musical et textuel.
Autant Gluck demeure malgré ses tentatives, d’une raideur glacée propre au marbre antique, autant Mozart attendrit son propos, se place du côté du sentiment et de la compassion. Autant dire qu’il exporte dans le cadre tendu du seria, une vision humaine nouvelle qui donne davantage de vérité à ses personnages.

Illustration : L’empereur Joseph II et son jeune frère, le futur Leopold II (debout à gauche), commanditaire en 1791, de la Clemenza di Tito.

LIVRE, événement. Marie-Agnès Gillot : Sortir du cadre (éditions Gründ)

LIVRE, événement. Marie-Agnès Gillot : Sortir du cadre (éditions Gründ) – Elle pour nous, la grâce incarnée … la danseuse devenue étoile MAG Marie-Agnès Gillot, régna en souveraine au sein du Ballet de l’Opéra de Paris, marquant certainement un âge d’or de la scène parisienne. Le titre de l’ouvrage affiche clairement un tempérament qui a su affirmé sa liberté et son indépendance « Sortir du cadre », évidente critique vis à vis d’une institution à la discipline de fer et aussi à l’ambiance humaine pas si idyllique que cela ; en témoigne les charges contre sa meilleure amie / ennemie, Aurélie Dupont.

Mieux qu’une bio classique, les nombreuses et courtes rédactions, qui suivent la chronologie d’une vie artistique exemplaire inscrivent selon l’importance que leur consent l’intéressée, les étapes d’une formidable interprète en devenir…, les volets d’un accomplissement inouï. Car rien ne disposait physiquement la danseuse à devenir l’étoile qui nous a illuminés. autour de l’an 2000.

Près de 100 courts chapitres (classés en 3 « Actes ») constituent un cycle de textes témoignages où l’Etoile de l’Opéra de Paris se raconte ; évoque son parcours au sein de l’institution ; l’excellence toujours, coûte que coûte est un terreau fécond pour … le doute : la question centrale ici reste « serai-je physiquement, artistiquement à la hauteur? » « serai—je la première, la meilleure ? » –  le cheminement de Marie-Agnès Gillot, jambes démesurées mais dos cabossé…  démontre la réussite de la danseuse de ce point de vue.

 

 

Jambes démesurées, dos cabossé…

MARIE-AGNES GILLOT
L’Étoile hors normes

 

 

D’autant plus que rien ne laissait prévoir un tel triomphe : Marie-Agnès Gillot explique le mal qui ronge son dos (une double scoliose : elle a grandi trop vite par saccades) et aussi une capacité pulmonaire très réduite ; à 13 ans, elle porte un corset (enduré ainsi jusqu’à ses 18 ans en 1993) et se sens ordinairement comme une handicapée… Sa faculté à endurer et vaincre la douleur reste admirable. D’un corps entravé, douloureux, la personnalité hors normes de MAG a fait un papillon élégantissime qui exprime l’excellence de la beauté. La quintessence au XXIè du style parisien, dans ce qu’il a de plus libre et racé, à la fois personnel et techniquement parfait. Comme Beethoven qui était sourd. Un comble inouï qui produit l’exceptionnel.

L’adolescente de 14 ans exprime combien la course à la première place a façonné son histoire. Intégrer le Ballet (à 15 ans grâce à Patrick Dupond), danser à 16 ans comme quadrille  (et non plus comme élève), puis coryphée, sujet (Rubis dans Jewels de Balanchine, 1995)… être première danseuse, devenir étoile… Les professeurs et cadres sont magnifiquement portraiturés : Claude Bessy (et sa gouaille direct et franche qui a heurté : « tu fous quoi Gillot ? Tu as gardé ton corset ou quoi ? «  devant toute la classe, pendant les répétitions de Daphnis et Chloé / l’antithèse de Pierre Lacotte, au franc parler mais toujours « très classe »). L’apprentissage se fait en regardant les étoiles à la barre des stars (Letestu, Monique Loudières, « La Pietra » qui est aussi froide qu’elle a du chien…,  ). Les dates qui s’impriment ont valeur de marqueurs : la mort de Noureev, directeur de la Danse de 1981 à 1989 (6 janv 1993) ; bien sûr le 18 mars 2004, quand elle est nommée étoile après avoir dansé / créé Signes de Carlson ;  la naissance de son fils Paul, …

Parmi les chorégraphes admirés : Mats Ek, Jiri Kilian, Forsyth, Keersmaeker, Chrystal Pyte … ; parmi les expériences nombreuses « originales », « sueur d’étoile » (chapitre 28 / Acte III) est la plus passionnante, recueillant la sueur de l’Etoile, dansant en particulier la Boléro (version Béjart), déposé ensuite dans une urne hémisphérique…

On reste surpris par les termes utilisés s’agissant de ses dernières années à l’Opéra, vécues sous la direction d’Aurélie Dupont (parachutée directrice en 2016 après la démission de Benjamin Millepied), comme une mise à l’écart (réduction de ses prises de rôles) voire « une mise à mort », c’est à dire une retraite violemment signifiée ; la future retraitée de 42 ans, évoque son dernier rôle, Eurydice dans l’opéra Orphée de Gluck, mis en scène par Pina Bausch (2018), une soirée d’adieu donc, plutôt amère.

Car la troupe compte ses brebis galeuses, agents de la discorde qui détruit l’unité et la cohérence (« Lisa est une des filles les plus méchantes de mon groupe », chapitre 23 p 41).  La danseuse, véritable athlète confrontée à  la fragilité du corps raconte aussi les accidents, les fêlures, les risques encourus (l’oeil de perdrix qui entrave les pieds, les escarts liés au port du corset, la pente de 5% de la scène de Garnier où l’on danse, défi pour chaque figure…).
Au final, la souplesse du dos fait la différence (capable d’articuler des waves en se dissociant …) en particulier dans le contemporain (Graham) ; répertoire contemporain qui permettra de décrocher le statut d’Étoile… Bien d’autres anecdotes jalonnent ainsi un parcours semé de réussites étonnantes ; les grands rôles dont évoqués, les ratés et les expériences hors danse, ses « muses » (Julie Guibert, Alice Renavand,…) ; les modèles dont Patrick Dupond ou Sylvie Guillem… voilà longtemps q’un livre de danse n’avait pas autant captivé ; c’est qu’ici une danseuse hors normes parle juste et précis, clair et direct, d’une élégance rare… comme son style sur scène. Incontournable. CLIC de CLASSIQUENEWS

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CRITIQUE, LIVRE événement. Marie-Agnès GILLOT : Sortir du cadre (éditions Gründ) – « Roman pictural d’une danseuse étoile » – EAN13 : 9782324032011 – ISBN : 978-2-324-03201-1 – Parution oct 2022 / 240 pages – nombreuses photographies de Marie-Agnès Gillot, provenant de sa collection personnelle. PLUS D’INFOS sur le site de l’éditeur GRÜND : https://www.lisez.com/livre-cartonne/sortir-du-cadre/9782324032011

Marin Marais (1656-1728), Alcyone (1706). Radio classique, le 28 mai à 20h

On sait que le grand faiseur d’opéras pendant le règne de Louis XIV fut l’incontournable et exclusif Lully. Pas un ouvrage lyrique dont il ne contrôla les conditions d’exécution. Pourtant quelques exceptions permirent au théâtre de compter sur de nouveaux talents. Celui de Marin Marais en fait partie.

Le musicien qui doit à sa musique de chambre, en particulier pour ses recueils écrits pour la viole de gambe, une renommée légitime, était aussi démangé par le démon des planches.
Sa technique inégalable doit beaucoup à Sainte colombe. Le film Tous les matins du monde, a fixé pour toujours cet épisode où l’élève admiratif apprenait encore de son maître, en se glissant sous le cabinet où Sainte-Colombe aimait jouer pour lui-même, pendant l’été.

Lully qui l’estimait assez pour lui confier de battre la mesure pour l’interprétation de ses tragédies lyriques, fut d’une clémence exceptionnelle en autorisant la création d’Alcyone, l’œuvre de toute une vie. Un ouvrage rassemblant l’imaginaire et l’ambition théâtrale de son auteur. La partition s’appuie sur un livret de Houdar de la Motte, utilise pour la première fois les contrebasses dans l’orchestre (la fameuse scène de La Tempête). Le style de Marais démontre l’assimilation parfaite du goût français (récitatifs « lullistes », des airs ornementés empruntés au genre de la cantate française). Faut-il voir dans l’élaboration d’une écriture codifiée qui recherche avant toute chose l’élévation du style et l’expression des passions humaines accordées au déchaînement des éléments, un lointain souvenir du paysagiste Nicolas Poussin (cf. notre illustration), auteur lui aussi, mais avant Marais, de fascinants paysages tragiques ?

Les témoignages de l’époque ont rapporté l’impression saisissante de la fameuse tempête qui dans l’opéra de Marais marquait un épisode inoubliable : « On ne peut s’empêcher de dire ici un mot de la tempête de cet Opéra, tant vantée par tous les Connoisseurs, et qui fait un effet si prodigieux. Marais imagina de faire exécuter la basse de sa tempête, non seulement sur les Bassons et les Basses de Violon à l’ordinaire, mais encore sur des Tambours peu tendus, qui roulant continuellement, forment un bruit sourd et lugubre lequel joint à des tons aigus et perçants pris sur le haut de la chanterelle des Violons et sur les Hautbois font sentir ensemble toute la fureur et tout l’horreur d’une mer agitée et d’un vent furieux qui gronde et qui siffle, enfin d’une tempête réelle et effective », précise Évrard Titon du Tillet, en 1732 dans son « Parnasse Français », lui-même grand admirateur du musicien et son premier biographe. Selon ce dernier, l’ouvrage convenait encore au goût du public parisien en 1730, lors de sa reprise.

Cet homme simple et réfléchi, capable de manier la fresque épique à l’opéra, ou ciseler l’art de la miniature et des climats réservés et ténues pour la viole, aimait cultiver son jardin, en particulier à la fin de sa vie dans sa maison, rue de l’Oursine, faubourg Saint Marceau.
Mais Alcyone ne fut pas unique opéra, et même s’il fut le plus important, son seul succès.

Le génie théâtral de Lully résonna en lui sur d’autres sujets qu’Alcyone : Alcide, ou le Triomphe d’Hercule, représenté en 1693, tragédie en cinq actes, certainement composée avec Louis Lully, fils de Jean-Baptiste, mais aussi Ariadne et Bacchus, une autre tragédie en cinq actes écrite en 1696, enfin, après Alcyone, Sémêlé, tragédie en cinq actes, datant de 1709.

Saluons l’hommage que rend Radio classique au compositeur, pourtant adulé grâce au succès du film précité. mais dont l’anniversaire passe en cette année Mozart, quasiment inaperçu. 2006 marque le 350 ème anniversaire de sa naissance. La rédaction de classiquenews.com lui conscrera bientôt un dossier, sur sa vie et son œuvre.

Marais, Alcyone(1706). Radio classique, le 28 mai à 20h
Jennifer Smith, Gilles Ragon, Vincent lLe Texier, Jean-Paul Fouchécourt et Véronique Gens, Les musiciens du Louvre, direction: Marc Minkowski.

Le 25 mai à 21h, Radio classique consacre une soirée spéciale pour le 350ème anniversaire de la naissance de Marais.

discographie

L’auditeur curieux de découvrir l’abondante partie de l’œuvre de Marais, composée pour la viole de gambe, se reportera avec bénéfice au cd paru chez Alia Vox, « Pièce de viole du Second Livre, 1701 » par Jordi Savall et Pierre Hantaï, Rolf Lislevand, Xavier Diaz-Latorre, Philippe Pierlot (1cd Alia Vox, AV9828).

Illustration : Pyrame et Thisbé, paysage tragique de Nicolas Poussin (Francfort sur le Main).

Entretien avec Montserrat Figueras

Aux côtés de Jordi Savall, son époux, Monserrat Figueras exhume plusieurs siècles de musique composée par des femmes poétesses ou prophètes, aujourd’hui oubliées. Pourtant ce sont des chants qui parlent au coeur autant qu’à l’esprit dont l’actualité des thèmes n’a jamais été ausi aiguë. Voyage en pays de lumière, où les ténèbres ne sont jamais loin, à l’occasion de la sortie de son album « Lux Feminae »…


Quel est le sujet de votre nouvel album ?



« Lux Feminae » est un hommage à la lumière de la femme car évidemment elle n’a pas pu toujours briller. « Lux Feminae » part de sept aspects de la femme de l’ancienne Hespérie entre le Moyen-Age et la Renaissance. C’est une agora musicale, un espace où, à partir de la musique, est évoquée la féminité : son message, sa force, sa souffrance, sa joie, sa sacralité, sa lumière.
Nous abordons plusieurs poésies et musiques écrites par des femmes artistes, du Xème au XVIème siècle, dans la Péninsule Ibérique et dont le rayonnement des idées s’est propagé dans le bassin méditerranéen. Il s’agit de femmes de lumière, savantes, érudites, philosophes, pleines de sagesse qui offrent un regard sur la vie et la signification de l’existence.


Y en a-t-il qui vous ont particulièrement marquée ?

Oui, par exemple, les trobairitz, cette génération de poétesses qui viennent de l’Occitanie et du Nord de la Catalogne, qui incarnent l’idéal de la « Femina Nova » et représentent l’éthique de l’amour courtois « les fins amors » où l’on chante l’amour impossible. Avec Beatritz de Dia, Clara d’Anduza, Azalaïs de Porcairages…

Il y a aussi les princesses d’Al-Andalus comme Um al-Kiram, Walada et des esclaves anonymes, elles évoquent aussi en poésie les formes d’un amour courtois raffiné et extrêmement pur : l’amour Udri des arabes.
J’aime aussi beaucoup l’expérience mystique de Sainte Thérèse de Jésus, « femme de lumière » par excellence de la Renaissance espagnole. Nous interprétons en musique l’un de ses poèmes où son âme s’exprime avec passion et sans artifice.

D’autres femmes demeurent hélas anonymes car elles n’ont pas pu signer leurs poésies, c’est le cas pour le villancico féminin anonyme du Siglo de Oro où la femme exprime un riche éventail de symbologies et de métaphores.


Quel est leur message ? A-t-il une résonance aujourd’hui ?

Leur message est ancestral et même à l’origine de la connaissance ou comme dans les Berceuses, nous sommes devant la mère qui reconnaît la caresse qui est en elle depuis des siècles, et qui réunit la parole et la voix du cœur pour endormir son enfant.
Au travers les textes de la Sibylle, se dessine la figure archétypale de Magna Mater, Isis, Déméter… qui sont présentes à l’origine des cultes primordiaux dans la Grèce Antique.
L’oracle de la Sibylle proclame le message de la venue du Messie, il évoque l’Apocalypse.
Aux sens de sagesse et de mysticisme de la Sibylle, vient s’en ajouter un autre profondément actuel : le sens écologique. Son message est dramatiquement présent puisqu’il nous parle d’une nature qui disparaît, de la douleur et de la menace qui pèsent sur la vie de la terre.


Et dans le chant ainsi que dans le geste interprétatif qu’avez-vous souhaité exprimer ?

J’ai privilégié le ton intimiste comme un instant de silence et de musique pour instaurer un rapport de proximité avec l’auditeur. C’est une description d’un délicat espace intramuros d’un jardin intérieur au centre duquel se trouvent l’âme, la lumière, la joie, la tristesse, la beauté.
La plupart des textes ont une beauté cachée, et même secrète dont les références doivent être décryptées à la lumière de la connaissance de l’époque. Par exemple, lorsqu’un texte parle d’une « rose sans épines », il fait clairement allusion à la Vierge, Mère divine, sans désirs, nette, transparente, sans ombre.
Il y a beaucoup de textes s’inspirant ou faisant référence au Cantique des Cantiques et présentent dans ce sens, de nombreux niveaux de lecture. Leur caractère méditatif n’empêche pas non plus la violence de certaines évocations, comme le Planh médiéval chanté par Estelina, cette femme juive convertie de Gérone, condamnée par le tribunal de l’Inquisition qui la soupçonne de fausse conversion, ou la saeta ancienne originaire de Syrie, ce chant émouvant qui est le dard qui cherche l’infini ou l’âme s’envole vers l’inaccessible, vers la lumière.

Propos recueillis par Alexandre Pham

Montserrat Figueras, Lux Feminae (1 cd Alia Vox)


Montserrat Figueras en concert

Paris, cité de la musique, domaine privé, du 27 mai au 4 juin

Festival Alia Vox, Abbaye de Fontfroide, du 10 au 13 août (Narbonne).
Jordi Savall, viole de gambe et direction. Montserrat Figueras, soprano. Le Concert des Nations, La Capella Reial de Catalunya, Hespèrion XXI.
Vente à partir du 10 mai 2006, à l’Abbaye ou: [email protected] – 04 68 45 00 18. Site : http://www.fontfroide.com

Monteverdi, Le Retour d’Ulysse dans sa patrie. Mezzo.

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Fidèle à Orfeo, certes écrit en 1607, mais qui en marque une première étape génératrice, Il Ritorno d’Ulisse créé après 1640, témoigne des recherches ultimes du compositeur Claudio Monteverdi, dans le registre de la musique dramatique. Au compositeur italien, père du genre opéra, revient le mérite de fusionner poème et musique, et même d’inféoder totalement chant et continuo instrmental, pour l’explicitation de l’action. Musique syllabique, articulant le texte, servant au plus près, les intentions de la parole afin d’édifier un drame musical, Ulisse est d’abord une action, un drame, un poème. D’ailleurs, les sous-titres des œuvres dont il est question suffisent à clairement synthétiser l’apport du maître au genre opéra : favola in musica pour Orfeo, dramma in musica pour Ulisse. Ici, au cœur de l’esthétique montéverdienne, se déploient texte et action, et non, comme il en sera question à l’âge baroque en sa pleine maturité, chanteurs et voix.

Ici, prolongeant les enseignements philosophiques d’Orfeo (l’homme même s’il est capable de miracle, comme le pouvoir d’un chant émouvant, ne peut dominer ses passions), de Poppea (rien ne peut être plus fort que le désir et l’amour conquérant), Ulisse poursuit une certaine vision désillusionnée du monde : l’homme est l’objet impuissant de trois forces imprévisibles : temps, hasard, amour. Les retrouvailles d’Ulisse et de Penelopa, même si elles se réalisent in fine, ne viennent qu’après une longue errance inquiète, désabusée, solitaire, vécue par chacun des protagonistes.

Comme Poppea, Ulisse ne nous est pas parvenu sous la forme de la partition autographe. Seules subsistent des copies dont il faut déduire la version composée par Monteverdi. Cela est d’autant plus difficile que les dernières découvertes ont révélé que la composition des deux derniers opéras du compositeur,seraient des œuvres collectives, où autour du maître, à la façon des grands peintres de l’époque, travaillèrent de nombreux disciples. Ouvrage solitaire ou partition d’atelier ? Quoiqu’il en soit, il s’agit bien des œuvres phares, dramatiquement et esthétiquement cohérentes et abouties qui restent les prototypes de l’opéra vénitien du premier baroque.
Alors qu’Ulisse obtient des dieux qu’il retrouve la rive de sa terre natale, Penelopa est pressée par les prétendants et sa servante Mélante, d’oublier son époux parti depuis des années, et de prendre une nouveau mari qui sera le nouveau souverain d’Ithaque…

Que pensez de cette production filmée à l’Opéra de Zurich? Forcément du bien. Et même, davantage : la scénographie dépouillée de Klaus Michael Grüber permet au drame et au théâtre de respirer : les décors sont d’un dépouillement qui renvoie à une antiquité à la fois âpre et humaine. La direction de Nikolaus Harnoncourt est à la fois précise et lyrique, elle soutient les talents vocaux – et non des moindres- : la Pénélope de Vesselina Kasarova est sincère, tendre et digne. Le rôle met en valeur l’ample ambitus tragique de la chanteuse, quant à l’Ulysse de Dietrisch Henschel, il est bouleversant dans son acceptation du destin : souffrir, résister, se battre pour vaincre… L’une des productions musicales les plus convaincantes publiées chez Arthaus Musik et que Mezzo diffuse avec pertinence, en mai et en juin !

Diffusion
Le 16 à 15h45, le 19 à 2h50 et le 26 mai à 15h45

Discographie
René Jacobs, solistes, concerto vocale, Harmonia mundi, 3 cds.
Nikolaus Harnoncourt, solistes, Concentus musicus de Vienne, Teldec (1971), 3 cds.
Gabriel Garrido, soliste, Elyma, K617, 3 cds.

Crédit photographique : tête de combattant (Rome, Museo nazionale Romano)

Cherubini, Messe de Chimay. Direct de la Basilique de Saint-Denis. France Musique, le 31 mai à 20h.


Muti a montré avec grandeur et conviction son inclination pour Chérubini. Serait-ce que, parce qu’étant tous deux napolitains, le chef éprouverait une indéfectible attraction pour son prédécesseur ?

Si l’on constate la discographie la plus convaincante concernant les messes du compositeur, force est de reconnaître la domination du maestro Muti : pas moins de quatre enregistrements chez Emi confirment l’inspiration du chef pour le compositeur (Messe pour le couronnement de Charles X, Messe pour le couronnement de Louis XVIII, Requiem à la mémoire de Louis XVI, Requiem en ré mineur).
Autant dire par ailleurs, la dévotion du musicien italien pour la monarchie française.
Muti a également enregistré la Messe de Chimay (Emi , 2003), ce soir diffusé en direct par France Musique depuis la Basilique Saint-Denis, dans le cadre du Festival de Saint-Denis 2006.

En 1808, le musicien apprend la botanique à Chimay, non sans avoir le désir durant cette retraite bucolique, de se détacher de la composition. A 48 ans, il a composé Médée (seconde version de 1802, créée à Vienne). Après avoir servi comme co-directeur le théâtre de Monsieur (jusqu’en 1792), Cherubini participe au renouveau de la musique sous la tutelle de la jeune république française en devenant inspecteur de l’enseignement du tout nouveau Conservatoire. Professeur de composition, il ne tardera pas à devenir en 1822, directeur de l’Institution. Non sans avoir été auparavant (1816) nommé surintendant de la Chapelle de Louis XVIII. A l’époque de Chimay, il est une figure incontournable de la vie musicale, personnalité politique,-grâce à sa fidélité au régime monarchique-, et auteur reconnu.
Avec la Messe de Chimay, Cherubini qui n’a pas encore composé l’essentiel de son œuvre sacrée – en particulier pour les souverains français post napoléoniens, se remet à l’œuvre dans une œuvre volontaire et inspirée (Gloria véhément, Crucifixus en état de grâce).
La musique sacrée, sous le règne de Napoléon et pendant la Restauration, reste à redécouvrir. Servi par un interprète qui est de longue date, l’un des ses plus fidèles serviteurs, l’oeuvre retransmise ce soir, devrait permettre de se faire une idée du legs chérubinien.

Ingres qu’une amitié ancienne, liait au compositeur, fit le portrait de Cherubini en 1842. Si l’esquisse au crayon conserve le caractère vivant d’une esquisse prise sur le vif, le portrait pictural qui en est l’aboutissement, appartient à la peinture d’histoire. Sous la protection de la musique, laquelle tend un bras et une main protectrice au- dessus de sa tête (cf. notre illustration), le vieux musicien, qui meurt l’année du portrait, apparaît comme statufié, déjà icône allégorique d’un esthétisme officiel qui nous paraît bien étranger aujourd’hui. Pour remercier le peintre de l’avoir portraituré, le compositeur écrira un canon à trois voix en hommage au talent de l’artiste : O salutate Ingres. Lire à ce propos, la critique du dvd le violon d’Ingres, paru en 2006 chez l’éditeur Armide.

Luigi Cherubini (1760-1842), Messe de Chimay (1808).
Festival de Saint-Denis. En direct de la basilique, France Musique à 20h.
Solistes : Ruth Ziesak (soprano), Herbert Lippert (ténor), Ildebrando d’Archangelo (basse), chœur de Radio France, Orchestre national de France, direction : Riccardo Muti.


Illustration
: Ingres, portrait de Cherubini (1842, musée du Louvre, Paris).

Jean-Sébastien Bach, Messe en si mineur (1724-1749, bwv 232). Bruxelles, Bozar le 29 mai à 20h

Si les quatre messes « brèves » (bwv 233 à 236) sont indiscutablement luthériennes, le cas de la « grande » Messe en si mineur (bwv 232) laisse une imprécision confessionnelle qui accrédite son universalisme.
Il s’agit aussi d’un monument, une sorte de « grand œuvre » dans la carrière de Bach, qui parviendra à achever la partition telle que nous la connaissons, après moultes avatars, reprises, ajouts, réassemblages. Une œuvre plusieurs fois mise sur le métier et de sources diverses, comme à son habitude. Car le compositeur aimait reprendre et réadapter des compositions antérieures.
Il semble que le début du processus créatif remonte à 1733 (l’année où Rameau à Paris fait sa révolution sur la scène lyrique avec son « Hyppolite et Aricie », créé le 1er octobre à l’Académie Royale de musique). Le 27 juillet précisément, Bach qui avait 48 ans, adresse les 21 parties formant la Missa (Kyrie et Gloria) à l’Electeur de Saxe, Friedrich August II, nouvellement couronné Roi de Pologne sous le nom d’Auguste III. Kyrie et Gloria, premiers jalons vers la Messe en Si, devaient lui permettre, du moins l’espérait-il, d’obtenir un poste à la Cour du Souverain.  
Par la suite, Bach ajoute, associe diverses pièces composées en particulier, vers 1747/1749…. ou avant 1733, comme le Sanctus probablement écrit dès 1724, et joué à la Noël de cette année. Aucune ne source n’indique précisément si les éléments de cette Missa première furent joués pour les cérémonies du couronnement.

L’universalisme de l’oeuvre est aussi attestée par la pensée musicale à l’oeuvre dans la partition. Sans qu’il n’ait jamais voyagé hors des pays germaniques, Bach, humaniste universel, démontre une connaissance quasi encyclopédique de la musique, avant lui, à son époque : le Kyrie eleison est clairement inspiré du colla parte des suiveurs de Josquin des Prés, le laudamaus te puise chez les italiens, sa structure tripartire ABA’,le double choeur de l’Osanna, se souvient du dispositif poychoral en provenance de Venise…

Donc, luthérienne ou catholique ? Certainement les deux. Car Auguste en tant que Prince-électeur était luthérien, mais aussi comme Roi de Pologne, catholique. Et sa Cour, sise à Dresde, comportait bien deux chapelles.  Voilà qui positionne la Grande Messe de Bach, outre ses qualités musicales, comme un monument sacré dont la portée œcuménique demeure son meilleur argument historique. En tant que telle, Bach ne connut pas de son vivant le cycle que nous avons coutume d’écouter  aujourd’hui : le titre de Messe en Si n’apparaît qu’en 1845, à l’initiative de l’éditeur Nägeli et Simrok  de Bonn.

Messe en si mineur, bwv 232.
Collegium Vocale Gent Ensemble, solistes : Sibylla Rubens (soprano), Ingeborg Danz (alto), Christoph Prégardien (ténor), Thomas E. Bauer (basse), direction : Philippe Herreweghe.
Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, salle Henri Le Bœuf, 20h.

Autre date :
Les mêmes artistes dans le même programme sont ausi à l’affiche du
Singel à Anvers, le 30 mai 2006.

J.S.Bach: Messe en si mineur BWV232,  Collegium Vocale Gent, Orchestra of Collegium Vocale Gent, Rubens – Danz – Pregardien – Bauer
direction : Philippe Herreweghe
DeSingel – Antwerpen, à 20h. Renseignements:  +32 3 248 28 28
 
Illustration : Masacio, fresques de la Chapelle Brancacci, Florence.

Verdi, Simon Boccanegra. Direct de l’Opéra Bastille, Arte le 23 mai à 19h45

Le mois de Mai célèbre Verdi. Deux productions nouvelles de Simon Boccanegra occupent l’affiche à Paris, Angers et Nantes (lire notre mag des concerts, voir le « Top5 des concerts). Surtout, Arte retransmet en direct la soirée du 23 depuis l’Opéra Bastille… et Mezzo consacre le 31 une soirée spéciale Verdi, grâce à deux documentaires : présence appuyée, en ce printemps 2006, du maître de l’opéra italien sur la scène et le petit écran.

La production nouvelle, à l’affiche de l’Opéra Bastille, est le fruit du travail de l’homme de théâtre hollandais Johan Simons qui signe à l’invitation de Gérard Mortier, sa première mise en scène d’opéra.
Il s’est expliqué sur sa vision de l’ouvrage qui donne une « image positive » de l’homme politique. Simon Boccanegra est devenu doge malgré lui. Il garde une profonde connaissance des besoins du peuple. Le metteur en scène a naturellement choisi une lecture contemporaine dont la participation de Carlos Alvarez, dans le rôle-titre, apportera un relief prometteur.
Créé dans sa première version à Venise, la 12 mars 1857, Simon Boccanegra connaît une révision par le compositeur et son librettiste d’alors, Boito ; cette seconde version est créée à Milan le 24 février 1881.
Le travail de Verdi a produit un ouvrage violent et sombre sur le pouvoir et l’amour. En Simon Boccanegra, il faut voir la figure tutélaire du politique vertueux, pacifiste et bon père. Nommé doge de Gênes grâce à l’appui d’un complice peu scrupuleux qui se révélera être ensuite son assassin, Simon Boccanegra donne prétexte au compositeur-dramaturge pour illustrer les conflits qui naissent quand il faut concilier la défense du bien et l’exercice du pouvoir. Point culminant de l’œuvre, la scène du Grand Conseil où la stature du politicien démêle les intrigues, faisant entendre sa voix, indiscutable. Or marin par son origine, celui qui a été nommé au poste suprême, sent qu’il doit, tôt ou tard, payer sa réussite. Cette acceptation philosophe donne une profondeur troublante au personnage, l’un des rôles les plus attachants du théâtre verdien.

Paris, Opéra Bastille, nouvelle production :

Melodramma en un prologue et trois actes (1857)
Livret de Francesco Maria Piave et Arrigo Boito
D’après la pièce d’Antonio Garcia Guttierrez
En langue italienne.
Direction musicale : Sylvain Cambreling
Mise en scène : Johan Simons
Décors : Bert Neumann
Costumes : Nina von Mechow
Chef des Chœurs : Peter Burian

Simon Boccanegra, Carlos Alvarez
Jacopo Fiesco, Ferruccio Furlanetto
Maria Boccanegra (Amelia Grimaldi), Ana Maria Martinez
Paolo Albiani, Franck Ferrari
Gabriele Adorno, Stefano Secco
Pietro, Nicolas Testé

Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Opéra Bastille, Première 3 mai 2006 19h30
A l’affiche de Bastille, jusqu’au 1er juin.

Arte diffuse en direct de l’Opéra Bastille, la représentation du 23 mai à partir de 19h45.

Poulenc, la Voix humaine. Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, le 30 mai à 20h (production de La Monnaie)

Le téléphone pleure…

Servitudes d’un amour condamné, mise à mort d’une amoureuse éconduite… La Voix humaine dépeint avec froideur et même cynisme, l’agonie d’une femme blessée, trahie, dépossédée d’un amour dont elle ne peut faire le deuil. Le monologue lyrique pour soprano et orchestre composé par Poulenc sur le texte de Jean Cocteau scelle l’amitié durable des deux hommes. Presque sexagénaire, Poulenc s’attaque en 1958, à un texte sans complaisance, acide, d’une efficacité machiavélique et dont la chute, ne laisse aucune issue à la protagoniste.
Le compositeur a déjà écrit la majorité de son œuvre, du ballet plus léger, « les biches », à la partition concertante « Aubade », qui sont aussi à l’affiche de cette production. L’année précédente, il a créé son opéra Dialogues des Carmélites. En vérité, la rencontre des deux artistes remonte à 1920 quand le texte du poète « Le Coq et l’Arlequin » fut le manifeste du Groupe des Six dont faisait partie Poulenc. La pièce de Cocteau date de 1930 : ils auront attendu presque quarante ans pour réaliser l’adaptation du texte en monologue lyrique. Conjonction de destins parallèles, le poète au moment de l’écriture de sa pièce vivait une rupture difficile ; Poulenc lui-même souffrait de dépression en 1958 ; surtout la créatrice du rôle lors de la première à l’Opéra-Comique, en février 1959, Denise Duval, vivait un drame sentimental.
Autant d’expériences qui firent de la création un événement exceptionnel et un succès jamais démenti depuis.
On sait que dans sa pièce créée à la Comédie Française (le 15 février 1930), Cocteau exposait dans le chant théâtral de l’actrice soliste Berthe Bovy, ses propres ressentiments, son amertume impuissante face à la séparation que lui inflige son amant auquel il a tenu, Jean Desbordes. Dans la salle, un spectateur choqué se lève et crie de son balcon: « C’est obscène! Assez, assez! C’est à Desbordes que vous téléphonez« . Eluard, comme tous les surréalistes qui détestent explicitement l’auteur des Enfants Terribles, se déchaîne alors contre Cocteau qui n’a pas à vomir sur la place publique l’histoire de ses amours intimes. « Je finirai bien par vous tuer; vous me dégoûtez! » inflige Eluard à Cocteau dans le bureau du directeur de la Comédie-Française, après le spectacle, particulièrement applaudi.

Concert Poulenc. Cocteau: La Voix Humaine. Bruxelles, Palais des Beaux-Arts. Les 26 et 30 mai à 20h. Le 28 mai à 15h. Les Biches, suite d’orchestre. Aubade, concerto choréographique. Arco Renz chorégraphie – Jan Maertens (éclairages )- Eric Le Sage (piano) – Su Wen-Chi (danse). La Voix humaine, tragédie lyrique en un acte. Catherine Malfitano, soprano (la femme, mise en espace) – Jan Maertens (éclairages). Orchestre Symphonique de la Monnaie, direction : Stéphane Denève

Consultez la fiche de ce concert

Illustration : le groupe des Six par Jacques-Emile Blanche, 1922. Poulenc et Cocteau sont représentés dans le coin supérieur gauche de la toile.

Kent Nagano, chef d’orchestre. Radio classique, le 24 mai à 21h

Américain né à Berkeley (Californie), le chef d’orchestre d’origine japonaise, Ken Nagano est connu en France pour avoir diriger l’orchestre de l’Opéra de Lyon qu’il a élevé au rang des meilleures phalanges de l’Hexagone. Nouvellement nommé (2006) à la direction de l’orchestre symphonique de Montréal et de l’Opéra de Bavière, le musicien démontre une curiosité élargie, parcourant les répertoires, orchestraux et lyriques, mais aussi contemporain. Il fut d’ailleurs le premier chef invité de l’Ensemble Intercontemporain, entre 1986 et 1989.

Le portrait musical que lui consacre ce soir Radio classique, évoque son parcours et sa grande culture musicale, au travers des œuvres qu’il a abordées : Beethoven, le Christ au mont des Oliviers. Bruckner, Symphonie N°6. Varèse, Arcana. John Adams, el Nino, Bernstein, Mass.

Notre sélection dvd & cds, enregistrés par Kent Nagano :

Dvds
Benjamin Britten, Owen Wingrave : Gerald Finley (Owen); Peter Savidge (Coyle); Elizabeth Gale (Mrs Coyle); Martyn Hill (Colonel Wingrave); Josephine Barstow (Miss Wingrave); Anne Dawson (Mrs Jullian); Charlotte Hellekant (Kate); Hilton Marlton (Lechmere); Andrew Burden (le narrateur), Deutsches Symphonie-Orchester Berlin
Kent Nagano, 1 dvd Arthaus Musik (distributeur : Intégral)

Cds
Anton Bruckner, Symphonie n° 6. Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, Kent Nagano (Harmonia Mundi)

Anton Bruckner, Symphonie n° 3 (version originale de 1873) Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, Kent Nagano (Harmonia Mundi)

Gustav Mahler, Symphonie n° 8. Sylvia Greenberg, Lynne Dawson et Sally Matthews (sopranos), Sophie Koch et Elena Manistina (altos), Robert Gambill (ténor), Detlef Roth (baryton), Jan-Hendrik Rootering (basse). Choeurs de la Radio de Berlin et de Leipzig; Windsbacher Knabenchor; Deutsche Symphonie-Orchester Berlin, Kent Nagano (Harmonia Mundi)

Almeida, La Giuditta (1726). Paris, Saint-Roch, le 23 mai à 20h30

« La Giuditta » : on connaît le sujet mis à la mode romaine, à l’époque de la Contre-Réforme quand le Clergé avait besoin de figures spectaculaires pour exalter la foi des audiences chrétiennes. En peinture, le Caravage (cf. notre illustration), au début du XVIIème siècle, illustre le thème avec une vérité jamais égalée ; en musique les musiciens attendront plus longtemps, presque un siècle puisque la première œuvre fameuse, reste la Juditha triumphans de Vivaldi jouée dans l’église de la Piétà en 1716, soit dix années avant la partition dont il est question.

Que comprendre dans la silhouette guerrière de la princesse Judith ? La résistance d’un peuple soumis à la barbarie envahissante, surtout la foi armée prête à tuer pour survivre.
Jeune femme, Judith se montre implacable s’il faut défendre les siens (les habitants de Béthulie en proie à la cruauté des armées assyriennes de Nabuchodonosor, dirigé par le général Holopherne).
Composé en 1726 par Francisco Antònio de Almeida (1702-1755),  alors qu’il n’avait que 24 ans, l’ouvrage fut  créé à l’Oratoire des Pères de l’église Nouvelle à Rome.
L’épopée est doublée d’une intrigue sentimentale, puisque Holopherne en voyant Judith tombe amoureux d’elle. Se laissera-t-elle infléchir ? C’est bien la psychologie de l’héroïne, appelée à réaliser son destin glorieux, qui intéresse et les auteurs, compositeur et librettiste, mais aussi les spectateurs, saisis par la force du tempérament exprimé par la musique et le texte du livret.

Vivaldi avait composé son oratorio pour célébrer  la victoire des vénitiens sur l’armée turque, à Petrovaradin. L’analogie qui faisait de la jeune femme, une figure victorieuse de la foi catholique ne faisait aucun doute. L’œuvre de Almeida appartient à la même symbolique.
Comme chez Vivaldi, l’oratorio emprunte à l’opéra ses effets dramatiques, en particulier dans la caractérisation des personnages.
Reste pour nous un nom inconnu et un style musical qui l’est tout autant. Almeida, musicien de la Cour portugaise put faire ses classes italiennes à Rome, grâce à une bourse royale. Sa « Giuditta » date de la dernière année (1726) de son périple ultra-montain.  De retour à Lisbonne, il écrivit plusieurs partitions conforme au goût italianisant, opéras et sérénades de circonstance pour le palais de Ribeira. Son écriture révèle une connaissance parfaite de l’opéra buffa napolitain et du style d’Alessandro Scarlatti (mort en 1725).

« La Giuditta » de Francisco Antonio de Almeida (1702-1755),
mardi 23 mai 2006 à 20h30 à l’église St Roch à Paris.
Solistes :   Judith, Miriam Ruggeri. Oloferne, Simon Edwars. Ozia, Jean-Michel Fumas. Achiorre, Patricia Gonzales, ensemble « Les Caractères », direction : Xavier Julien-Laferrière.
Réservations : 01.46.38.01.62.

Mai 2006, mois Brendel?

A 75 ans, le pianiste autrichien Alfred Brendel poursuit une carrière marquée par l’excellence, autant par son analyse très approfondie des œuvres que son jeu, qui a toujours brillé en concert. Réservé, secret, serein… tout a été dit sur un style fin et ciselé, qui lui permet de déployer des trésors de nuances et de climats. En particulier chez Liszt, Schubert et Beethoven.

L’homme analyse certes mais il sait surtout exprimer la vitalité et la profondeur poétique des œuvres, leur lueur crépusculaire (Schubert, les trois dernières sonates récemment publiées en dvd chez Philips) ou leur brillance solaire (concertos N°12 et 17 de Mozart, à peine parus chez le même éditeur). Mais il aime également, titiller le chaos (un terme qu’il aime prononcer) sous le masque tranquille de la musique.

Annobli par la Reine en 1989, le pianiste-poète, s’intéresse à la poésie écrite, un art qu’il pratique non sans malice. « Ce qui m’intéresse, c’est l’absurde dans la réalité, le grotesque dans le sérieux, la manière dont on sape l’ordre, y compris celui des genres littéraires. Il faut pour cela un ordre susceptible d’être sapé. En tant qu’interprète, j’établis un ordre à travers lequel, de temps en temps, brille un peu de chaos », précise-t-il dans son dernier livre de poèmes (édité chez Alfred Bourgois en octobre 2005). Le musicien est un homme d’esprit qui ne s’est jamais pris au sérieux mais garde un indéfectible respect pour les partitions qu’il aborde.

Alfred Brendel est à l’affiche de plusieurs concerts, à Bruxelles (19 mai, Bozar) et  à Paris (31 mai, Châtelet).

Philips réédite en dvds deux enregistrements incontournables des « années de pèlerinage » de Liszt (1986) et des trois dernières sonates de Schubert (1988) ainsi qu’un nouveau cd dédié aux concertos K414 et K453 de Mozart, nouvelle étape d’une intégrale des concertos en cours. Dans les bacs à partir du 9 mai 2006.

Enfin, Mezzo diffuse le 22 mai à 22h50, un témoignag fixé en 2000 devant la caméra de Philippe Truffault, appartenant à la série légendaire  « classic Archiv ».

Agenda Alfred Brendel de mai 2006

Concerts

Bruxelles, Bozar, le 19 mai
Joseph Haydn Sonate pour piano n° 42, Hob.XVI:42, Sonate pour piano n° 50, Hob. XVI:50
Franz Schubert Sonate pour piano, op. 78, D 894
Wolfgang Amadeus Mozart Fantaisie pour piano, KV 475, Rondo pour piano, KV 511

Paris, Châtelet, le 31 mai
Série « Piano **** »
Même  programme qu’à Bruxelles.

Télévision

Concert 2000, collection « classic Archiv », réalisé par Philippe Truffault
Mezzo, lundi 22 mai, à 21h50. Rediffusion le 23 à 14h45 (52mn)

Nouveautés

Dvd les années de Pèlerinage de Liszt (1986, Philips)
Dvd, les trois dernières sonates de Schubert (1988, Philips)

Cd, concertos pour piano K414 et K 453 de Mozart (2005, Philips)
Scottish Chamber Orchestra, direction : Sir Charles Mackerras

Retrouver les infos pratiques des concerts Alfred Brendel à Bruxelles et à Paris.

Amilcare Ponchielli, La Gioconda (Milan, 1876)

L’œuvre tout en portant haut le flambeau du bel canto, assimilant Verdi et Wagner, annonce l’avènement des compositeurs véristes, Puccini et Mascagni. Bilan sur l’œuvre et le compositeur.

Hugo, quoique qu’on ait pu écrire sur le sujet, n’a jamais défendu de mettre en musique ses textes. Bien au contraire. Il a lui-même supervisé et travaillé avec la compositrice Louise Bertin, et Berlioz, l’adaptation sur la scène lyrique, de Notre-Dame de Paris (1836). En proclamant péremptoirement « défense de déposer de la musique le long de mes vers », il entendait contrôler par un souci d’exigence artistique, l’utilisation faite par les musiciens de son œuvre, poétique, romanesque, dramatique. Légitime mise en garde. Nombreuses sont les citations musicales dans son œuvre romanesque qui attestent, sans aucun doute, son amour de la lyre. Weber, et le chœur d’Euryanthe par exemple, nourrissent la trame romantique des Misérables.

Amilcare Ponchielli (1834-1886) révèle très tôt des dispositions pour la musique. Encouragé par son père, il entre au conservatoire de Milan en 1843, dès 9 ans. L’adolescent reçoit des leçons de théorie, de composition et suit un cursus de pianiste qui lui permettra d’obtenir le poste d’organiste à l’église Sant’Ilario de Crémone après 1854. En parallèle, il exerce sa passion du drame sur les planches, dans des essais plus ou moins reconnus. Il accroche finalement l’intérêt du public avec I Lituani, créé le 6 mars 1874 à la Scala de Milan d’après le livret que lui a écrit Antonio Ghislanzoni, auteur de l’Aïda de Verdi. Accueil encore un peu timide qui s’exprimera sans réserve, avec La Gioconda, conçue en 1876.
C’est Arrigo Boito, heureux compositeur couronné par le succès de sa nouvelle version de Mefistofele (octobre 1875) qui écrit pour Ponchielli, le livret de la Gioconda, signé sous couvert de son anagramme, «Tobia Gorrio».

Le compositeur devenu librettiste prend quelque liberté avec le drame originel de Victor Hugo : la scène se déplace de Padoue… à Venise comme d’ailleurs, il avance dans le temps, quittant le XVIè me renaissant pour les fastes baroques du XVII ème. Surtout, il rebaptise les protagonistes : Tisbe devient Gioconda.

En quatre actes, le texte se concentre sur l’opposition des personnages : dignité des héros (la Gioconda, Enzo Giordan ; Laura) et envie dévorante de Barnaba, peintre et musicien, amoureux éconduit, habile à précipiter ses proies en s’appuyant sur leur esprit de grandeur et de sacrifice. Au final, c’est une femme aimante mais généreuse qui se détache : La Gioconda offre pour toute chanteuse qui se rêve aussi actrice, un rôle d’envergure.
Aux côtés des personnages, Venise plus fantasmée par les auteurs que réaliste, offre un autre prétexte musical : les scènes de foules où les chœurs donnent la mesure d’un opéra à grand spectacle, indiquent de quelle manière, dans l’esprit des auteurs du XIX ème siècle, l’époque baroque, Vénitienne de surcroît, signifiait surtout démesure et violence passionnelle. D’ailleurs, le duo de La Gioconda et de sa mère aveugle, La Cieca, n’est pas sans évoquer dans la peinture du Caravage, une jeune femme et sa suivante, défigurée par les marques de l’âge. Contraste des portraits d’une saisissante et pleine horreur. Les deux figures connaissent toutes deux un destin tragique. Déjà, chez Ponchielli, les ingrédients du futur opéra vériste sont regroupés.

De son côté, Ponchielli affine la composition qui sera livrée au printemps 1876. L’influence verdienne est présente, mais elle est aussi wagnérienne, en particulier dans l’écriture des chœurs. Mais le talent de l’auteur se dévoile avec plus de force originale dans les rôles solistes : la déploration de la Gioconda à l’acte IV : « suicidio ! » ou « Cielo e mar » (Enzo), grand air pour fort ténor annonce l’effusion lyrique des compositeurs du bel canto à venir, Puccini et Mascagni qui sont les élèves de Ponchielli au conservatoire de Milan. Eloquence d’un chant de solites, l’art de Ponchielli s’impose aussi par les climats symphoniques qu’il développe et place avec efficacité, tel le prélude de l’Acte IV, morceau anthologique dont se souviendront tous les véristes après lui. Dès la création milanaise (8 avril 1876), le succès confirme la maîtrise musicale de l’auteur qui, cependant, insatisfait présentera une révision de l’opéra à Gênes, trois années plus tard, en 1879.
La réussite psychologique des caractères n’est pas tant à chercher du côté des couples principaux (La Gioconda/Enzo ; Laura/Alvise) que vers celui de l’homme de l’ombre, apparemment secondaire mais d’une toute autre force souterraine : Barnaba, incarné à l’Opéra de Nice par Jean-Philippe Lafont. C’est comme l’a écrit lui-même Hugo, la figure éternelle de la jalousie traversant les siècles, oeuvrant inlassablement à rompre l’essor des vertueux et des fortunés. « ce misérable intelligent et perdu qui ne peut que nuire, car toutes les portes que son amour trouve fermées, sa vengeance les trouve ouvertes »3. Superbe rôle de baryton dont la richesse ambivalente, cœur solitaire et audacieux, même s’il est tourné vers le Diable, rendrait pathétique. Autant de traits associés qui annoncent les Iago (Verdi) et Scarpia (Puccini) à venir. Ponchielli devrait s’éteindre dix ans après la création de Gioconda, le 16 janvier 1886 à Milan.

Discographie:
Trois versions chez Decca, par ordre de préférence :
Gianandrea Gavazzeni (direction musicale), Chœur et orchestre du Mai Florentin. Avec : Anita Cerquetti. Decca 2 cds 433 770-2
Lamberto Gardelli (direction musicale), Chœur et orchestre de l’Académie Sainte-Cécile de Rome. Avec Renata Tebaldi. Decca 3 cds 433 042-2

Vidéo:
Fantasia, studios Disney (1940) : La danse des heures (Acte III) fait partie de la bande originale du dessin animé.

Crédit photographique
Production de l’Opéra de Nice © mai 2006

Massenet, Werther. Opéra de Lille, le 13 mai. Opéra de Bordeaux, le 21 mai

En Werther, il faut reconnaître la figure du jeune héros romantique, capable de donner tout à l’objet de son amour, dût-il mourir s’il n’obtient pas la faveur de l’aimée. Tant de passion radicale peut paraître aujourd’hui bien idéaliste mais elle a fondé dès la parution de l’ouvrage de Goethe, en 1772, un courant artistique, une sensibilité irrépressible fécondant peintres, écrivant, musiciens. Mozart n’échappe pas à la règle et après un Mithridate solaire (1770), compose son Lucio Silla (1772) en recevant les ombres nouvelles de Goethe, y déposant le sentiment nouveau d’une gravité inédite. Ce dernier d’ailleurs, lui rendra un hommage éloquent à propos de son Enlèvement au Sérail (1782), premier ouvrage d’importance dans le genre de l’opéra allemand, ou singspiel, faisant du jeune compositeur (Mozart n’avait que 26 ans), un modèle absolu : «Tous les efforts que nous faisions pour exprimer le fonds des choses devinrent vains dès l’apparition de Mozart, l’enlèvement au Sérail nous dominait tous » (Goethe, 1787).
On peut à juste titre poser la question : qu’aurait dit l’écrivain germanique à propos du Werther de Massenet ?
Evidemment, le goût du XIXème finissant, plaque sur le chef-d’œuvre littéraire de la fin du XVIIIème siècle son propre regard. Mais il est d’autant plus intéressant de constater que le Werther de Massenet n’atténue en rien l’intensité tragique du drame sentimental, le souffle des images, l’impossibilité des deux âmes amoureuses à se déclarer et vivre, l’un pour l’autre, leur attirance…
En 1892, date de la création de son Werther à l’Opéra de Vienne, Massenet est un compositeur reconnu, célèbre et riche. A 51 ans, il incarne un sommet de l’opéra français, grâce à ses ouvrages précédents : Hérodiade (1881), Manon (1884), Le Cid (1885), et bientôt Thaïs (1894). Une image abusivement réductrice, fige le compositeur comme un peintre exclusif de la femme. Or Werther indique des perspectives tout aussi abouties lorsqu’il aborde le caractère de ses héros masculins ; maîrise davantage explicite dans le Jongleur de Notre-Dame (1902), qui a, du reste, une distribution totalement masculine.
Werther donne l’exemple d’une œuvre littéraire dont l’esprit et les climats romantiques et même tragiques, ont gardé densité et poésie dans leur transcription pour la scène lyrique. Les quatre actes suivent les épisodes goethéens avec une rare efficacité : à la clarté rayonnante des voix qui dit la hauteur morale des protagonistes, Charlotte et Werther, correspond la concentration expressive de l’orchestre qui se souvient de Wagner. Les instruments distille un parfum de mal être, de malédiction profonde qui d’ailleurs fut la cause du retard de la création parisienne de l’œuvre. Le directeur de l’Opéra-Comique Carvalho rechignait à monter l’ouvrage tant sa « noirceur » semblait être inconvenante dans un Paris où l’on fêtait l’Exposition Universelle.

Jules Massenet (1842-1912), Werther (1892).
Opéra en quatre actes, livret de Blau et Milliet d’après « les souffrances du jeune Werther » (1774) de Goethe. Créé en France à l’Opéra-Comique en 1893.

Agenda

En mai, Werther de Massenet occupe en force les planches lyriques. L’opéra de Lille et le Grand Théâtre de Bordeaux présentent, chacun, une production de l’ouvrage.

Virgin classics (Emi) annonce l’enregistrement dvd de la version écrite du vivant de l’auteur, en 1902, pour baryton (précisément pour le chanteur Battistini qui l’interpréta ainsi à Saint-Pétersbourg). Thomas Hampson chantera Werther aux côtés de Susan Graham, Stéphane Degout, Sandrine Piau, sous la baguette de Michel Plasson, qui a gravé « la » version de référence, avec Alfredo Kraus (déjà chez Emi).

Werther à Lille et à Bordeaux

Opéra de Lille. Du 13 au 23 mai à 20h. Le 21 à 16h. Nouvelle production.
Brandon Jovanovich (Werther), Nora Gubisch (Charlotte), René Schirrer, Hélène Guilmette, Pierre Doyen, Jacques Calatayud. Orchestre national de Lille, Maîtrise Boréale, direction : Alain Altinoglu. Mise en scène : Yves Beaunesne. 2h40 avec entracte.

Opéra national de Bordeaux. Du 21 au 29 mai à 20h. Le 21 à 15h.
Gilles Ragon (Werther), Lola Casariego (Charlotte), David Grousset, Treguiet, Matiakh, Ségani, Casariego, Jacob. Orchestre National Bordeaux Aquitaine, Chœurs d’enfants du C.N.R. de Bordeaux, direction : Pascal Verrot. Mise en scène : Jean-Louis Pichon.

Infos pratiques

Consultez les infos pratiques des deux productions de Lille et de Bordeaux en cliquant sur le lien :
http://www.classiquenews.com/applaudir/agenda_des_concerts.aspx

Discographie

Michel Plasson. London Philharmonic Orchestra. Alfredo Kraus (Werther), Tatiana Troyanos (Charlotte). 2 cds, Emi 7695732.

Illustration : Portrait de jeune homme par Ingres.

Nos valeurs : un nouveau site, pour quoi, pour qui, par qui?

La révolution internet ne fait que commencer ! Loin de perturber nos habitudes, Internet améliore notre quotidien en nous permettant de vivre plus intensément nos passions. Pour nous, mélomanes, musiciens, musicologues, amateurs ou tout simplement néophytes, nous voulions « notre » site ; un site qui nous ressemble. Un site qui soit un media professionnel à part entière. A la fois, passionné et rigoureux. Fondé sur le plaisir, le partage, la pertinence. Le voici, pour vous.

Le Net modifie déjà les usages et la façon de sélectionner l’information et de vivre la musique.

Qu’est-ce qu’internet peut apporter à la musique classique?
Une autre manière de témoigner du spectacle vivant, un regard différent sur l’art musical, une opportunité exceptionnelle pour la rendre moins élitiste et inaccessible, moins impressionnante ; à la fois plus proche et plus intime ; plus visible et explicite ; plus humaine et plus vivante.

C’est aussi une écriture différente moins critique et partisane… plus généreuse et plus ouverte. Forcément sélective mais passionnée et professionnelle, c’est-à-dire rigoureuse, respectueuse, claire, précise, enthousiaste.

Internet nous apporte les moyens techniques de renouveler notre approche dans ce sens.Chaque semaine, vous trouverez de nouveaux contenus , des offres et des services complémentaires qui vous permettront de choisir en connaissant ; de comprendre et découvrir les musiques qui vous ressemblent.
Sans jamais vouloir être exhaustifs ni dogmatiques, nous vous offrirons ce qui nous paraît être le meilleur et le plus intéressant : jeunes talents, nouveaux projets artistiques, nouvelles expériences auprès des publics, vie des salles et des orchestres, recréations baroques et créations lyriques, interprétations anciennes et écritures contemporaines… sont quelques chantiers parmi bien d’autres, que nous aimerons suivre à vos côtés.

Chaque jour, vous pourrez ainsi vivre votre passion du classique au travers de nos magazines thématiques. Chaque magazine vous offre le meilleur de l’actualité :

« écouter » pour les cds et la radio,

« voir » pour les dvds et la télé,

« applaudir » pour les concerts et le spectacle vivant,

« lire » pour les livres et les médias…

Pour être plus proches de vous, nous avons créé le Club. En vous inscrivant, vous participerez à nos concours et offres de fidélité régulières. Vous pourrez aussi recomposer à partir de nos magazines, votre site personnel, selon vos critères et vos centres d’intérêt.

Notre aventure ne fait que commencer.

A nous de renforcer votre besoin de musique. A nous de vous apporter une information fondée sur la découverte et le discernement, les coups de cœur, le plaisir, l’évasion et le rêve !

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L’équipe fondatrice de classiquenews.com
(Cédric Costantino, Anthony Goret, Jean-Marc Gossens, Philippe Alexandre Pham, David Tonnelier)

Paris, le 11 avril 2006.

Un conseil, une suggestion, une information ? Exprimez-vous à tout moment, à l’adresse : [email protected]. Nous ne manquerons pas de vous apporter la meilleure réponse.

Crédit photographique © David Tonnelier 2006 – droits réservés pour classiquenews.com

Paul Dukas, Ariane et Barbe-Bleue. Opéra de Nice, du 26 mai au 1er juin

L’opéra de Nice conclut sa saison lyrique en explorant les rapports du poète symboliste Maurice Maeterlinck et de l’opéra. Un Pelléas très convaincant avait marqué la première étape de ce cycle passionnant. A partir du 26 mai, Ariane et Barbe Bleue mise en musique par Paul Dukas devrait marquer un nouveau jalon de cette exploration thématique qui met en avant un ouvrage majeur de l’opéra français, mais aussi l’initiative avisée du Théâtre Niçois.

Paul Dukas (1865-1935)

« La véritable force de l’originalité est dans l’inconscience » : la phrase que le musicien français a prononcé, dévoile la quête d’un auteur insatisfait des cadres préétablis et des normes reconnues.
Maniant la synthèse, peut-être davantage que Debussy, qui paraîtrait encore trop submergé par le souvenir –conscient ou inconscient- de Parsifal, Paul Dukas ouvre des perspectives nouvelles, dans le sillon tracé par la révolution du Pelléas de Debussy. Messiaen qui fut l ‘élève de Dukas, a laissé des commentaires pertinents sur la signification et le symbolisme d’Ariane et Barbe-Bleue. Tout en soulignant combien Ariane est une œuvre emblématique du conflit fondateur entre les ténèbres et la lumière, l’auteur de Saint-François d’Assise, voit en Dukas son professeur, un homme de synthèse, déchargeant l’écriture des influences étrangères. Autant d’aspects de l’œuvre d’un musicien dont peu connaissent la juste place parmi les musiciens qui ont marqué le début du XXème siècle.
L’auteur de l’Apprenti sorcier, rendu célèbre par Fantasia des studios Disney, reste méconnu. L’offrande par l’Opéra de Nice, de son opéra, Ariane de Barbe-Bleue nous donne l’occasion de dresser le portrait d’un compositeur aussi exigeant que discret voire secret. Debussyste, le défenseur de Pelléas, devait tôt ou tard, être sensible comme son contemporain, à la poésie mystérieuse et allusive de Maeterlinck. Après la révolution lyrique du Pelléas de Debussy, Dukas s’intéresse au mythe d’Ariane dont il a confirmé commande au poète gantois. L’œuvre de Dukas sera créée en 1907, soit cinq après le Pelléas de Debussy.
Frère des climats suggestifs et de ce non-dit énigmatique qui compose la texture musicale des œuvres de Claude Debussy, Dukas écrira avec d’autant plus d’émotion, comme un hommage au musicien disparu, sa Plainte au loin du Faune composée au lendemain de la mort de Debussy.
Initialement destiné à Grieg qui déclina l’offre, Ariane et Barbe-Bleue revint à Paul Dukas. Celui-ci précise l’enjeu esthétique de l’ouvrage qu’il compose, conte lyrique et non opéra. Pour le musicien, Ariane fait l’expérience de la délivrance, non d’une situation mais d’elle-même. Si la jeune libératrice souhaite défaire de leur servitude, les cinq épouses auxquelles elle succède, elle comprend que, ne pouvant en définitive rien pour elles, elle doit elle-même se délivrer d’une situation oppressante pourtant totalement consentie par ses victimes passives.
La force de l’ouvrage puise sa justesse par la volonté de peindre en définitive la solitude de l’héroïne. Son désarroi et son impuissance face à une situation sur laquelle elle ne peut avoir de prises.
Le seul être réceptif à la volonté de la jeune femme serait Barbe-Bleue que la résistance puis la compassion d’Ariane aurait évéillé à un sentiment de conscience critique : en lui, naît le pur sentiment d’amour lié au respect que lui inspire la figure de cette épouse qui rompt le cercle de l’animalité. L’humanité de la jeune femme, son courage et sa force d’âme, offre à l’homme barbare, un exemple différent de ce qui lui a permis d’imposer son pouvoir tyranique, un pouvoir qui vaut loi et pourtant qui l’enchaîne d’une autre manière : d’où peut-être, le sort qui est le sien dans l’acte III, livré enchaîné par les paysans. Ils ont capturé l’animal pour le livrer à ses victimes : les cinq épouses qu’il a enfermé dans les tréfonds de son antre.
Comme le Pelléas de Debussy, l’on aurait tort de chercher la trame d’une action vraisemblable. Tout l’ouvrage focalise sur le regard et la personnalité d’Ariane. C’est à peine si Barbe-Bleue chante et si les cinq épouses ont une présence scénique.

Le drame musical de Dukas permet à la compagne de Maeterlinck, Georgette Leblanc de chanter le rôle-titre, alors qu’au moment des répétitions de Pelléas, elle avait été pressentie puis écartée par Debussy au profit de Mary Garden.
L’ouvrage présenté également à l’Opéra-Comique, le 10 mai 1907, a souvent été entendu comme un hommage à peine déguisé au Pelléas de Debussy. Il est vrai que lorsque Mélisande paraît, le hautbois joue le thème de la jeune femme dans l’ouvrage de Debussy.
Cette citation renforce la fraternité et les correspondances des deux œuvres, dont la source esthétique et les thèmes de l’action partagent leur origine chez le même poète.
Cependant dans la conception des personnages, la place nouvelle réservée à l’action, la volonté et la parole, Ariane indique dans l’oeuvre du poète écrivain, une évolution très nette. Lire aussi l’article de notre confrère, Alexandre Pham: « Maurice Maeterlinck : Ariane, un nouvel esthétisme » (lien direct en fin de lecture).

L’accueil de l’œuvre ne fut pas l’objet des moqueries déplacées ni du scandale d’une audience hostile à la prose énigmatique du livret. Comme « préparé » par la révolution de Pelléas, le « débussysme » d’Ariane, passa sans dénis et même fut soutenu par Fauré et d’Indy. C’est d’ailleurs grâce au soutien de Fauré, directeur du Conservatoire, que Dukas obtint la tenue de la classe d’orchestre à partir de 1910. Les activités du pédagogue et aussi son activité de critique musical, l’empêchèrent de mener à son terme bon nombre de nouveaux projets de composition. Seul la Péri (1912) émerge : créée au Châtelet, elle témoigne d’un esprit de plus en plus exigeant. Autant de souci et de perfectionnisme radical qui amenèrent le compositeur à commettre l’irréparable, en détruisant plusieurs partitions inachevées et pourtant abouties.
La partition quant à elle, révèle la travail d’un musicien frappé par l’ampleur de la fosse wagnérienne mais capable d’une assimilation qui en aurait gommé les traits saillants afin de produire une œuvre stylistiquement « française ». Aux côtés des nombreux ouvrages qui demeurent sous l’emprise du wagnérisme, Ariane et Barbe-Bleue reste un chef-d’œuvre original et presque atypique à redécouvrir. Il demeure lié dans sa conception musicale et vocale, au poème de Maurice Meaterlinck, lequel inspirateur du Pelléas de Debussy, occupe une place centrale dans l’histoire de l’opéra français au début du XXème siècle.

Ariane et Barbe-Bleue à l’opéra de Nice. Nouvelle production.
Les 26, 30 mai et 1er juin à 20h. Le 28 mai à 14h30
Coproduction New York City Opera / Opéra de Nice / Opéra Royal de Wallonie.

Conte en 3 actes. Livret de Maurice Maeterlinck. Musique de Paul Dukas (Paris 1865 – Paris 1935). Composé entre 1899 et 1906. Créé à Paris, au Théâtre de l’Opéra-Comique le 10 mai 1907, avec Georgette Leblanc (compagne de Maeterlinck), Brohly, Vieuille.

Direction musicale : Claude Schnitzler
Mise en scène : Paul-Emile Fourny
Décors et costumes : Louis Désiré
Eclairages : Jeff Harris

Avec : Ariane, Hedwig Fassbender. Barbe-Bleue, Evgenij Demerdjiev. La nourrice, Anne Pareuil (26 & 30 mai), Jadranka Jovanovic (28 mai & 1er juin). Sélysette, Svetlana Lifar.Ygraine,
Pauline Courtin. Mélisande, Marie Devellereau. Alladine, Valerie Marret. Bellangère, Elena Carnazzi. Orchestre Philharmonique de Nice, Chœur de l’Opéra de Nice.
Renseignements spectacles : 04.93.13.98.53 ou http://www.opera-nice.org

Discographie :
Armin Jordan (direction musicale). Avec Katherine Ciesinski (Ariane), Gabriel Bacquier (Barbe-Bleue), Mariana Paunova (la nourrice). Choeurs de Radio France, Nouvel Orchestre Philharmonique. 2 cds Erato – 2292456632

Illustration : La Muse d’Anacréon (1873) par Arnold Böcklin. La fille du peintre pose en muse antique.

Mozart, La Clémence de Titus (1791). Théâtre de Caen, les 30 mai et 1er juin

L’année 2006, année des 250 ans de la naissance de Mozart devait bien apporter son lot de réussites. Ce trop plein commercial, dénoncé ici et là, devait forcément faire son oeuvre et préciser ses apports. L’un d’eux (mis à part l’exceptionnelle révélation que constitue la redécouverte -à peine soulignée par les médias- du dernier portrait, aujourd’hui conservé au musée de Berlin, lire notre dossier Mozart), serait la réévaluation contemporaine de la Clémence de Titus. L’opéra composé en 1791, la dernière année du compositeur, fut conçu en un temps très bref (juillet à septembre) pour les cérémonies du sacre de l’empereur Leopold II, comme roi de Bohème, à Prague, le 6 septembre 1791. Le genre seria s’impose s’agissant d’une commande impériale où, protocole et bienséance obligent, l’œuvre musicale doit célébrer les vertus du Souverain. Or si l’on peut douter des qualités humaines de Leopold II, le Titus de Mozart et de son librettiste, Mazzola, incarne l’idéal politique, tel que l’esprit des Lumières l’imagine : humain, juste, clément. Le dernier Mozart semble multiplier les œuvres inspirées par les valeurs de la Franc-maçonnerie. Un tel être politique, capable de pardonner à celle et ceux qui l’ont trahi, appartient plus à la conception philosophique du pouvoir qu’à la réalité.
Mais la musique, réévaluée nous l’avons dit, et du plus grand Mozart, un Mozart occupé dans le même temps par l’écriture du Requiem et de la Flûte enchantée, poursuit l’œuvre du musicien dramaturge.
L’opéra reste la grande passion du musicien, et le genre seria davantage peut-être que les autres, tant ici les contraintes attachées au registre sont stimulantes pour la capacité créatrice. Mozart a semé son oeuvre lyrique de plusieurs préambules, avant Titus : Mithridate, Lucio Silla, surtout Idoménée (1781), partition ambitieuse autant qu’inventive, composée dix années avant la Clémence. La vie du musicien fut brève. Mais la distance qui sépare les deux ouvrages montre l’étendue de son art.
Son Titus, sobre jusqu’à l’épure, mais d’un raffinement orchestral sublime, certes exprime la dignité de l’évocation romaine, mais sculpte avec tendresse et compassion, l’évolution et la métamorphose des personnages. Il y a Titus, l’empereur glorieux, dont la noblesse d’âme n’empêche pas d’être seul ; il y a surtout le portrait d’une Vitellia, princesse sanguine et manipulatrice dont le repentir et le sentiment de la faute, ne sont pas les moindres aspects de cette œuvre inclassable.
Le disque vient d’illustrer de façon spectaculaire la « redécouverte de l’œuvre » : pas moins de deux nouvelles versions sont parues chez Deutsche Grammophon et Harmonia Mundi en ce mois de mai. Critiques à venir dans notre mag des cds.
Le dernier seria signé Mozart vivrait-il un juste revival ?

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), La Clémence de Titus
Opera seria en deux actes, livret de Caterino Mazzolà d’après Métastase, créé à Prague, au Nationaltheater, le 6 septembre 1791

Orchestre de Basse-Normandie,Chœur du théâtre de Caen
direction musicale : Olivier Dejours
mise en scène, décors et costumes : Yannis Kokkos
lumières : Patrice Trottier

Chef de chœur, chef de chant, continuo piano forte : Emmanuel Olivier
Charles Workman, Titus
Ingrid Kaiserfeld, Vitellia
Isabelle Cals, Sesto
Lucia Cirillo, Annio
Ermonela Jaho, Servilia
Martin Snell, Publio

mardi 30 mai, jeudi 1er juin à 20h
durée : 2h30 (avec entracte)
opéra en italien surtitré en français

Une production du Welsh National Opera et de l’Opéra National de Bordeaux, reprise par le Grand Théâtre de Genève en coproduction avec le théâtre de Caen. Renseignements : www.theatre.caen.fr

Illustration : Double portrait en 1769, de Joseph II et de son frère, futur Leopold II.

Nice. Opéra de Nice, le 2 mai 2006. Amilcare Ponchielli, Gioconda.

Spectateur de la nouvelle production de la Gioconda de Ponchielli, présenté par l’Opéra de Nice, notre envoyé spécial Cédric Costantino défend après écoute du spectacle, un ouvrage injustement mis à l’index, tant il ouvre la voie aux grands véristes qui lui ont succédé.

Ponchielli sacrifié par l’Histoire
Comparé à ses élèves Puccini et Mascagni, Almicare Ponchielli est un peu comme Field en regard de Chopin. Il amorce la nouveauté, mais le destin lui a refusé d’en profiter lui-même, les descendants firent mieux et c’est un jugement sans appel. Si vous êtes de grands amateurs, si vous connaissez bien Verdi son contemporain, si vous connaissez ses illustres disciples, alors vous pouvez profiter de la Gioconda et ressentir l’émulation, les tiraillements, les retours en arrière, les concessions à la mode, les moments d’inspiration neuve, tout ce qui fait de ce compositeur quelqu’un qui aurait pu être célébré mais que l’Histoire n’a pas souhaité favoriser. Après tout, telle était aussi la situation du Beethoven de Fidelio : une porte d’ouverture sur l’avenir, mais un échec au moment de sa création.    

Entendre Gioconda et mieux comprendre Puccini

L’écoute de l’œuvre révèle quelques clés pour qui souhaite mesurer la force de Gioconda. Avez-vous remarqué toute la cruauté sadique de la scène à trois dans l’acte final (Gioconda, Enzo et la rivale Laura) ? Cruauté dont l’opéra vériste tirera sa substance et qui fait de Gioconda une sorte de « Justine sadienne ». Elle doit supporter de voir son amoureux en embrasser une autre et, qui plus est, grâce à elle ! Et eux de lui dire mille mercis : odieux de naïveté ! D’autre part, la mère aveugle, en bénissant la future rivale, pousse sa fille à devoir l’aider tout au long de l’opéra, n’est-ce pas une autre cruauté vériste ? Quoique pieuse et sans relief, ne joue-t-elle pas le même rôle qu’une tante, habile à contraindre l’innocente Angelica, la sœur sacrifiée du triptyque ? Face à un Barnaba, -à juste titre surnommé Scarpia de Venise-, Gioconda n’est-elle pas une ébauche de Tosca (elle aussi chanteuse) ? Dans son sacrifice amoureux pour un Enzo Grimaldo aussi détestable que l’Américain de Puccini, Gioconda n’est-elle pas aussi misérable que Butterfly ? Mais pour en arriver là, il faut cependant supporter un livret qui n’est pas sans failles et maladresses, de situations peu vraisemblables, parfois grossières,et qui sont les principales causes entachant le chef-d’œuvre.

Pourtant l’œuvre présente d’incontestables prémonitions : quand Gioconda dit « mi chiamo Gioconda », passe une ombre harmonique du futur « mi chiamano Mimi ». La douceur subite de l’orchestre environnant Gioconda rappelle çà et là celle des leitmotivs de la Fanciulla Minie. Le motet en second plan musical lors de la scène de torture dans Tosca est hérité du procédé deux fois répété chez Ponchielli : c’est la scène de l’église où un motet et l’orgue accompagne une Gioconda trahie et dépitée. C’est aussi la scène du pseudo meurtre de Laura : avant la fin de la chanson celle-ci doit boire un poison (mais Gioconda par saint masochisme la sauvera !) Techniquement c’est semblable : artistiquement (fenêtre subitement fermée sur le motet, etc.) l’élève surclasse. De son côté, le chœur des matelots du deuxième acte a des « Ohé ! » médiocres qu’inconsciemment, peut-être, Puccini métamorphosera en émotion dans Butterfly. Le bal au début du quatrième acte avec ses trilles en jolies visions du XVIII ème, annonce cette même légèreté chez Puccini. La ligne souple et sensuelle tout au long de l’opéra est neuve mais nécessite une inspiration mélodique hors norme qu’aura Puccini et que n’atteint que rarement Ponchielli. Voilà pourquoi l’emporte, isolé, le solo « Suicido… » avec son thème nerveux entendu dans l’introduction du cinquième acte. L’œuvre révélée s’impose comme l’école de Puccini.

L’ « acte de la Callas »
Une seule originalité n’appartient qu’à cet opéra : le monologue de Gioconda prise entre le devoir et la jalousie, l’amour chrétien et l’individualisme. C’est l’acte bâti pour une grande tragédienne. De la trempe d’une Callas. Un acte chauffé à blanc, à peine adouci par le trop prévisible retour des morts de la rivale Laura, au moment précis où Gioconda jouit d’avoir le couteau de son aimé sur la gorge prêt à la tuer. Le retour conclusif de Barnaba-Scarpia, rongé par son amour obsessionnel du corps, est digne du théâtre de Victor Hugo. Gioconda est une Esméralda, et cette grandeur d’âme confère, in extremis, du panache au final.

Mérites niçois
L’opéra de Nice n’a pas manqué d’audace ni de risques pour oser monter Gioconda. Le théâtre a constitué un plateau vaillant : Gioconda, Anna Shafajinskaia est une artsite solide, aux beaux diminuendo, à la voix forte, capable de jouer son rôle en tragédienne ; sa mère aveugle avait une voix d’airain, aux graves superbes, au vibrato à grand effet ; le ténor était brillant, et Jean-Philippe Lafont a campé un Barnaba, théâtral et présent, comme Burchuladze en Alvise. Tous deux, chanteurs et acteurs, au métier parfait. Les chœurs nombreux redoublèrent de force pour l’occasion. Sans leur chef attitré (Marco Guidarini), les cordes de l’orchestre ont semblé  parfois faiblir.
Heureusement la magie du « grand opéra XIX ème » a opéré, dans le célèbre ballet du quatrième acte, en particulier. Un XIXème « antiquisant » à souhait, avec des rêves d’enfant, des vêtements emplumés, une lyre, des mouvements d’époque, efficaces. Enthousiasmé, le public joua le jeu et repartit en ovationnant, plus instruit sur le chaînon manquant de l’opéra italien.  

Nice. Opéra de Nice, le 2 mai 2006. Amilcare Ponchielli (1834-1886) :  Gioconda.

Fabrice Creux, directeur artistique du Festival Musique et Mémoire. Entretien

Qu’est pour vous une programmation réussie ?


Une programmation doit être un cheminement : pas une offre encyclopédique… concevoir un parcours qui rentre en connivence avec les lieux d’accueil ; création contemporaine ; artistes associés et en résidence… Il y a forcément un part de subjectivité. Je veux transmettre et faire partager l’esprit d’un « festival laboratoire ».

Qu’avez-vous appris de nouveau depuis que vous êtes directeur de ce festival ?

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la musique baroque m’a mené vers les écritures contemporaines. C’est cet aspect d’ouverture et de dialogue, de confrontations féconde et de mises en perspective qui est fondamental dans le travail que nous développons. Elargir la programmation vers les autres répertoires s’est imposé naturellement. On ne peut pas défendre un style sans mise en perspective. La révolution baroqueuse n’est pas un hasard. Mais il faut interroger justement les raisons de cette fascination. Il faut transférer la faculté des compositeurs anciens à innover, repenser la musique et le langage musical à notre époque. Les plus grands musiciens baroques sont des inventeurs et des visionnaires. Il serait plus juste de parler d’ailleurs de Baroque au pluriel. Comprendre et aimer le Baroque signifie puiser dans un creuset d’invention et de créativité. C’est pourquoi je suis très sensible aux principes de métissages, d’expérimentation, de renouvellement constant des formes…Ce désir de musique qui se réalise dans l’inventivité est très proche du travail des auteurs contemporains pour lesquels la notion de sonorités, de couleurs et de son, est primordiale.

En définitive, poser la question de la modernité du Baroque, nous invite à nous poser la question de notre propre modernité. Ainsi à ma demande, pour l’édition 2005, François Rossé a composé une suite pour viole de gambe solo, créée par Sylvie Moquet ; Jacopo Baboni Schilingi a conçu une pièce pour soprano, haute-contre et musique électronique.

Comment préparez-vous les publics du festival à comprendre votre travail, à les sensibiliser et à les fidéliser aux programmes ?

Il s’agit d’une préparation dont les fruits se révèlent sur la durée. C’est un travail de longue haleine dont le succès tient à l’assiduité et la constance des actions mises en œuvre. La musique fait partie intégrante des Arts de la scène. Choisir le lieu d’un concert, c’est déjà agir vers le public. Nous accordons aussi beaucoup de soin à l’éclairage. Benoît Colardelle réussit à mettre en valeur l’architecture d’un lieu, le décor des églises. Il apporte aussi beaucoup d’attention à l’éclairage des chanteurs : lumière diffuse sans ombres projetées grâce à un dispositif qu’il a conçu lui-même spécialement pour les musiciens. Tout cela, scénographie et lumière, souligne combien l’expérience de la musique vivante est une confrontation qui n’est pas neutre. Le public nous suit indéfectiblement. Nous sommes à présent très bien identifiés. Formé à l’identité sonore de la musique ancienne, il accepte d’explorer avec nous d’autres « terres » musicales (contemporaines, métissées,…).

Comment se compose votre audience ?

Au début notre public était surtout constitué de festivaliers extérieurs à la région. Aujourd’hui, la part des publics locaux a beaucoup progressé. Par ailleurs, les communes demandent que leur église intègre notre parcours musical. C’est donc pour nous un véritable succès en termes d’implantation et de reconnaissance locale.

                   
Quel soutien comptez-vous auprès des élus ? 

Le festival est né dans un contexte de développement local spécifique. Celui où les politiques intercommunales se mettaient en place. Le festival était l’incarnation de cette volonté. Il y eut à partir de notre berceau, Faucogney, une action rayonnante qui s’étend à présent à l’échelle du Pays des Mille Etangs et même au-delà avec l’intégration de sites prestigieux, telle que la Chapelle de Le Corbusier à Ronchamp.

Pourquoi être attaché au principe de la résidence d’artistes, inaugurée depuis 2004 ?

Le risque de la scène baroque actuelle est la sclérose, comme toutes les autres musiques d’ailleurs. Trop de productions téléphonées circulent. Si la technique est superbe, l’ennui, la répétition, le prévisible, le musicalement correct favorisent un risque de standardisation des programmes, du son et de l’interprétation. Depuis le début, je réunis des artistes dans des œuvres et des programmes inédits. Par exemple, Jérôme Correas a pu présenter au terme de sa résidence en 2005, un ensemble de partitions de Domenicho Mazzocchi jamais entendues depuis leur création. Il reprendra ensuite ce programme ailleurs, après l’avoir enregistré.

La résidence permet ainsi d’accompagner des ensembles pour expérimenter et renouveler l’approche des œuvres et des répertoires. J’aime aussi cette formule car elle est propice à la notion de troupe, si importante pour la musique baroque : l’identité sonore est une valeur de moins en moins sûre. Certes on peut concéder à la musique son statut de produit culturel mais alors il convient surtout de favoriser la magie et la surprise de la performance.

Voyons plus loin… Quel visage aura demain la poursuite de votre activité ?

Nous inaugurons en 2006 un nouveau projet. Celui des artistes associés. La Rêveuse est l’ensemble avec lequel nous serons associés pendant au moins deux ans. Il s’agit de permettre en dehors de la période festivalière d’autre type de rencontre avec le public différente, en dehors des cadres classiques du concert habituel. Je pense à des concerts en appartement ou au bistrot. La Rêveuse est une petite formation baroque dirigée par le théorbiste Benjamin Perrot. L’ensemble travaille dans cet esprit de troupe dont j’ai parlé. C’est une formation de solistes. Chacun a la même place, un peu comme dans un quatuor. En 2006, nous avons choisi d’aborder la musique anglaise en s’appuyant sur les textes du voyageur anglais Samuel Pepys, qui couvre la première décennie de la Restauration. Ce programme fait aussi appel à un récitant qui lira écrits et notes du voyageur : ils viendront dès février/mars jouer en milieu scolaire, en appartement. Pour réussir et développer ce projet, nous nous appuierons sur les ressources de l’association Musique et Mémoire dont les 300 adhérents, fidèles du festival, seront les ambassadeurs de notre projet.
Pour le futur, notre taille actuelle est quasi idéale. Ce que je souhaiterais davantage, c’est pérenniser notre offre tout au long de l’année. Le compagnonnage avec La Rêveuse sera une première étape pour y parvenir.


Votre réflexion en guise de bilan au moment où s’achève la XIIe  édition du festival, puisque nous nous rencontrons pendant le dernier week-end ?

Pour moi, une question demeure : quel respect avons-nous du public ? Comment le lui témoigner ? Par quelles actions précises ? Comment éviter le formatage?

Dans le rapport au public, il faut par ailleurs regretter l’extrême sanctification du phénomène musical qui a imposé une distance et donc souvent empêcher d’atteindre simplement le cœur de l’œuvre. Pour moi, il est primordial de préserver la musique comme un art vivant. En un mot, être en mouvement !


Propos recueillis par Alexandre Pham, en juillet 2005

festival Musique et Mémoire 2006, du 14 au 30 juillet

A 450 kms de Paris, au pays des Mille étangs, dans les Vosges Saônoises, le festival Musique et Mémoire met en perspective l’héritage des maîtres anciens avec la recherche des auteurs contemporains. Un dialogue entre les modernités du passé et du présent qui féconde depuis douze ans à présent cette initiative exemplaire en milieu rural. Scène baroque, le festival qui a lieu dans la seconde moitié de juillet, passe aussi commande aux auteurs de notre temps (Serge Lemouton, Damonique Vasseur, Philippe Hersant, Jacopo Baboni Schilingi…). Musique savante, tradition populaire, écriture contemporaine, les voies parcourues dessinent des passerelles inédites qui remettent en cause la signification du baroque en reposant chaque année la question des arts vivants. Le festival en organisant les concerts dans les églises, les chapelles et les lieux marquants de la culture de la région (à Saint Pierre de Luxeuil-les-Bains, à Ronchamp ou à Lure ) est aussi une occasion de découverte patrimoniale. En juillet prochain, un nouveau joyau architectural (l’église prieurale de Marast) enrichit la découverte des lieux. Une mise en valeur de l’architecture qui prend le temps des concerts, grâce au maître éclairagiste Benoît Colardelle, un relief décuplé.
C’est toujours l’expérience et la performance, l’échange et la curiosité qui sont les moteurs de la programmation conçue par Fabrice Creux. Ouverture et rencontres sont plus que jamais les valeurs de l’édition 2006.

Côté écriture contemporaine, le 28 juillet, Perre Adrien Charpy et Moussa Héma présentent « … à nos ancêtre… à nos enfants », pour soprano, balafon, viole de gambe, orgue et clavecin/version II par Moussa Héma et l’ensemble Da Pacem.

L’accompagnement aux travails des interprètes et des ensembles se concrétise depuis 2004 par le principe de la résidence qui permet aux artistes d’approfondir dans la durée le travail sur une œuvre. En 2006, les ensembles Da Pacem et La Rêveuse sont à l’honneur. Avec les instrumentistes de ce dernier ensemble, le festival a même décidé de prolonger son action, pendant deux années, au travers de productions, « the theater of Musik » (2006, enregsitré par le label K617) et « Les Contes de Perrault » (2007).
Il s’agit surtout de permettre une irrigation en profondeur des lieux et des publics de la région : auprès des scolaires comme des particuliers (concerts en appartement), dans des lieux imprévus (bistrots en musique), La Rêveuse pourront expliquer et faire découvrir à chacun l’univers de l’esthétique baroque.

Temps forts de la programmation 2006

L’ensemble « résident » Da Pacem restera in situ, pendant une semaine, du 24 au 30 juillet. Au programme de sa résidence : création de l’œuvre de Pierre-Adrien Charpy et du musicien burkinabé, Moussa Héma, mais aussi : Nicolas Bernier, Leçons de ténèbres et quelques récitals des instrumentistes et chanteuse de l’ensemble, Marc Wolff (théorbe), Yannik Varlet (claveciniste) et la soprano Raphaëlle Kennedy.
De son côté, La Rêveuse, ensemble associé 2006/2007, sous la direction de Benjamin Perrot aborde la musique anglaise du XVIIème siècle : Purcell et ses prédécesseurs (Locke,Blow,Bannister, Humphrey) mis en perspective avec des extraits du journal de Samuel Pepys (1660-1669) lu par le comédien Olivier Martin (Programme enregistré par K617).
Trois compositeurs majeurs seront à l’honneur cette année : Monteverdi (les Vêpres par Ludus Modalis, dans un dispositif expurgé des instruments concertants : violini, cornetti, fiffari et flaute, respectant la volonté de l’auteur), Praetorius dont l’œuvre d’orgue sera interprété par Jean-Charles Ablitzer, enfin Bach (sonates et partitas pour violon seul par Hélène Schmitt)

Festival Musique et mémoire 2006

Vendredi 14 juillet, 21 h
(Avant-première décentralisée)

Michael Praetorius / Pro Organico
Jean-Charles Ablitzer, orgue Marc Garnier d’après la tradition nord allemande
Bruno Boterf, ténor
Ensemble Dulzainas (flûtes à bec et anches renaissances)
Béatrice Delpierre, Jean-Noël Catrice, Pierre Gantner et Francis Mercet
Scénographie lumières : Benoît Colardelle
Temple Saint-Jean de Belfort

WEEK-END I

Samedi 15 juillet, 21 h
Église de Servance

Il Ballo della Ninfa
Musiche di Claudio Monteverdi e Sigismondo D’India

Concerto Soave
Maria-Cristina Kiehr, soprano

Odile Edouard, Benjamin Chénier, violons
Sylvie Moquet, viole de gambe
Matthias Spaeter, archiluth
Jean-Marc Aymes, clavecin, orgue et direction

Scénographie lumières : Benoît Colardelle

Dimanche 16 juillet, 16 h
Église de Beulotte Saint-Laurent

Johann Sebastian Bach / Solo a Violino senza Basso accompagnato
Hélène Schmitt, violon

Dimanche 16 juillet, 21 h
Église de Corravillers

En résonances…
permanence et mouvance / monodies et polyphonies
Plain chant, Ars Nova… / Victoria, Palestrina… / Scelsi, Cage, Petrassi…
Contraste – Ensemble vocal de Franche-Comté
20 chanteurs – direction : Brigitte Rose
Scénographie lumières : Benoît Colardelle

WEEK-END II

Vendredi 21 juillet, 21 h
Église de Miellin
Canzon per organso, cembalo, clavicythérium e cornetto
L’âge d’or de la virtuosité au cornet, improvisations et variations au temps de Praetorius
Le Concert Brisé
Carsten Lohff, clavecin
Freddy Eichelberger, clavecin et clavicythérium
Éric Bellocq, luth et théorbe
William Dongois, cornet à bouquin et cornets muets
Scénographie lumières : Benoît Colardelle

Samedi 22 juillet, 21 h
Auditorium de Lure

“The Theater of Musick”
Musique pour les théâtres londoniens (Locke, Hart, Purcell…)
Extraits du journal de Samuel Pepys (1632-1703)

La Rêveuse / ensemble associé
Olivier Michel, comédien récitant
Julie Hassler, soprano
Stefan Dudermel et Yannis Roger, violons
Angélique Mauillon, harpe triple
Florence Bolton, viole de gambe
Bertrand Cuiller, clavecin
Benjamin Perrot, théorbe et direction
Scénographie lumières : Benoît Colardelle

Dimanche 23 juillet, 21 h
Basilique Saint-Pierre de Luxeuil-les-Bains

Claudio Monteverdi
Vespro della Beata Vergine

Ludus Modalis / direction musicale : Bruno Boterf

Sopranos : Nathalie Marec, Catherine Greuillet, Julie Fa
Altos : Sophie Toussaint, Olivier Guérinel
Ténors : Bruno Boterf, Vincent Bouchot, Hugues Primard
Jean-Michel Durang, baryton
Basses : François Fauché, Marc Busnel
Freddy Eichelberger, orgue
Florence Le Guillou, violoncelle
Franck Poitrineau, Fabien Dornic, sacqueboutes
Leonardo Loredo de Sà, théorbe
Scénographie lumières : Benoît Colardelle

Réservation conseillée

17h, Conversations gourmandes avec Denis Morrier, musicologue / Salle des Princes de l’Abbaye Saint-Colomban

Les rencontres publiques

Mardi 25 juillet, 17 h
Faucogney, salle culturelle
Répétition publique
accès libre, nombre de places limité
(réservation indispensable au 03 84 49 33 46 / [email protected])

Jeudi 27 juillet, 19 h
Lieu-dit Mont de Fourche, La Rosière / Restaurant Le Col du Mont de Fourche
Rencontre et buffet dînatoire
Dans le cadre des Conversation gourmandes
(réservation indispensable)

WEEK-END III

Vendredi 28 juillet, 21 h
Église prieurale de Marast
… à nos ancêtres… à nos enfants…
(création / nouvelle version, commande du festival)
de Pierre-Adrien Charpy et Moussa Héma

Da Pacem / ensemble résident
Raphaële Kennedy, soprano
Moussa Héma, voix, n’ goun
i et balafon
Sylvie Moquet, basse de viole
Yannick Varlet, clavecin
Pierre-Adrien Charpy, orgue
Scénographie lumières : Benoît Colardelle

Samedi 29 juillet, 21 h
Église de Fresse

Le désarroi amoureux
musique italienne du XVIIe siècle
Da Pacem / ensemble résident
Raphaële Kennedy, soprano
Sylvie Moquet, basse de viole
Marc Wolff, théorbe
Yannick Varlet, clavecin
Pierre Adrien Charpy, orgue
Scénographie lumières : Benoît Colardelle

Dimanche 30 juillet
Parcours musical au Pays des Mille Étangs
Da Pacem / ensemble résident

11 h, Chœur roman de Melisey
L’art du théorbe
Marc Wolff, théorbe

16 h, Chapelle Saint Martin de Faucogney
Girolamo Frescobaldi (1583-1643)
Toccate e canzone
Yannick Varlet, clavecin

21 h, Église Saint-Georges de Faucogney
Leçons de Ténèbres du 1er Jour de Nicolas Bernier
Raphaële Kennedy, dessus
Pierre-Adrien Charpy, orgue historique Joseph Rabiny
Bénédicte Pereira, Marie-Hélène Trioux et Madeleine Webb, plain-chant
Scénographie lumières : Benoît Colardelle

Organisation : Association Musique et mémoire
Maison de Pays – 23, rue Jeannot Lamboley 70310 Faucogney
Téléphone : 03 84 49 33 46. Site internet : HYPERLINK « http://www.musetmemoire.com/ » www.musetmemoire.com

Informations pratiques
Ouverture des locations à partir du mardi 30 mai

Par correspondance / Jusqu’au Vendredi 7 juillet
festival Musique et mémoire, Maison de Pays, 23 rue Jeannot Lamboley, 70310 Faucogney
Demande accompagnée du règlement par chèque bancaire ou postal à l’ordre de « Musique et mémoire », ainsi qu’une enveloppe timbrée aux nom et adresse du destinataire pour l’envoi des billets.

Par téléphone / 03 84 49 33 46.
Du mardi au vendredi de 9 h. à 12 h. et de 14 h. à 17 h. et le samedi de 10 h à 12 h.
Les billets sont tenus à la disposition du public au plus tard 20 mn avant le début du concert. Les billets non retirés dans ce délai seront remis en vente.

Sur place / Office de tourisme des 1000 étangs
Maison de Pays, 23 rue Jeannot Lamboley, 70310 Faucogney
du mardi au vendredi de 9 h. à 12 h. et de 14 h. à 17 h. et le samedi de 10 h à 12 h.

A l’entrée des concerts
A l’exception des concerts pour lesquels la réservation est obligatoire des billets sont mis en vente, dans la limite des places disponibles, 40 mn avant le début des concerts.

Réseaux* Fnac et Ticketnet / enseignes et vente en ligne
Fnac – Carrefour – Géant, 0 892 68 36 22 (0,34 € / mn) / www.fnac.com
Centre E.Leclerc – Auchan – Cora, 0 892 39 01 00 (0,34 € / mn) / 3615 Ticketnet / www.ticketnet.fr

* A l’exception du tarif « Amis du festival », de la formule « Tutti », du forfait 3 concerts du 30 juillet et des Conversations gourmandes.

Chèque culture / l’association accepte les règlements au moyen du chèque culture.

Pour tous renseignements 03 84 49 33 46 ou [email protected]

Haendel, Rodelinda (1725). En direct du Met de New-York, France musique le 6 mai, à 18h

Du théâtre à la scène lyrique, les textes gagnent ou perdent de leur efficacité expressive. Lorsque Haendel demande à son librettiste Nicolas Haym de réadapter un livret déjà rédigé par Salvi d’après la pièce de Corneille, Pertharite, roi des Lombards, preuve est donnée que sur la scène lyrique, le sujet prend un nouvel envol.

Le travail du compositeur et de son poète recomposent l’enchaînement des airs, refaçonnent la psychologie des personnages et leur ordre d’importance. Ils réécrivent en particulier le rôle de Rodelinda, figure héroïque de la fidélité conjugale. En dépit des apparences, croyant Bertarido mort, l’épouse lui restera fidèle, quoiqu’il puisse lui en coûter.
La force de l’ouvrage réside dans le soin apporté aux caractères des trois protagonistes : l’épouse éprouvée (Rodelinda), l’amoureux vindicatif (Grimoaldo), l’époux témoin (Bertarido).
Qui saura résister et vaincre ? Chacun éprouve, doute, surtout s’effondre musicalement, comme déchiré par la pression des situations antagonistes qu’il ne maîtrise en rien. Le théâtre baroque excelle à exprimer sur les planches les passions humaines, c’est bien l’essentiel du style d’un Haendel à l’orée d’une carrière éclatante auprès du public Londonien qui assiste à la création de l’ouvrage le 13 février 1725 au Kings’ Theatre. Rompre le cadre des types formatés, inventer de nouveaux caractères, scruter chez les bons comme les ignobles, faiblesses et remords, culpabilité et suspicion, failles et vertiges. Dans le sillon tracé par les œuvres maîtresses des années 1720 (Giulio Cesare, Tamerlano et donc Rodelinda), s’imposeront les drames inspirés de l’Arioste : Orlando, Ariodante et Alcina. Dramaturge exigeant, Haendel l’était tout autant sur le plan des chanteurs et pour sa création, Rodelinda affichait parmi le plateau vocal, trois étoiles de l’époque : la soprano Francesca Cuzzoni dans le rôle-titre, le castrat Senesino (Bertarido) et le ténor Francesco Borosini (Grimoaldo). Sur la scène du Met, Renée Fleming chante Rodolinda, avec la grâce et la tendresse que le public parisien avait acclamé pour Alcina à Bastille.
Humanité éprouvée des caractères, force dramatique de la musique, leçon édifiante du sujet : tout œuvre dans cet opéra à emporter le plaisir et l’adhésion des spectateurs. La distribution de la production new-yorkaise, diffusée ce soir en direct, devrait tenir l’auditeur à l’écoute, même si l’orchestre ne correspond pas aux standards « baroqueux ».

Haendel, Rodelinda. 1725, hwv19. Dramma per musica en trois actes.
France musique, le 6 mai à partir de 18h. Jusqu’à 22h58.
A 18h, actualités lyriques. Puis à partir de 18h30, soirée lyrique par Jérémie Rousseau. Opéra en direct du Metropolitan Opera de New-York.

Avec : Renée Fleming (Rodelinda), Stephanie Blythe (Eduige), Andreas Scholl (Bertarido), Christophe Dumaux (Unoflo), Kobie van Rensburg (Grimoaldo), John Relyea (Garibaldo), Metropolitan Opera Chorus, Metropolitan Opera Orchestra, direction : Patrick Summers.

Discographie
Alan Curtis a enregistré Rodelinda pour Archiv. Une version qui enrichit une discographie étonnament maigre, et qui vient compléter la version de Michael Schneider paru chez Bmg.

Gluck, Armide (1777). Radio classique, le 14 mai à 20h

En ce printemps naissant, le compositeur continue de connaître un regain de faveur, en inspirant les programmateurs. En avril, Arte diffusait une production venant de Stuttgart, Alceste. Ce soir, Radio Classique nous fait entendre un autre ouvrage conçu par le musicien germanique, pour la scène française.
Créée à Paris, le 23 septembre 1777, Armide fait partie de la série de tragédie lyrique que le Chevalier adapte pour plaire au public français. Esthétiquement, il perfectionne un nouveau style épuré, resserré, résolument inspiré de la tragédie antique, et qui devait tant plaire à Berlioz. Il s’agit pour le musicien germanique de se mesurer au livret de Quinault (sur le même sujet), précédemment mis en musique par Lully en 1686.
Souhaitant dans la voie de son illustre prédécesseur, opérer une réforme de la tragédie lyrique française, Gluck fait bientôt figure, protégé par la Reine de France, Marie-Antoinette dont il fut le professeur de musique à Vienne, de réformateur royal auquel on oppose bientôt un autre compositeur, Piccinini, selon une tradition d’opposition comparative bien française. Gluck d’un tempérament peu spectaculaire, quoiqu’il pouvait se montrer tyrannique pendant les répétitions de ses opéras, préféra laisser à son rival imposé, le soin de triompher (brièvement) avec Roland (1778). Armide créée en 1777 de son côté, affirmait son empreinte sur un livret du Grand Siècle pour lequel il réutilisa bon nombre de mélodies écrites antérieurement, en particulier à l’époque de ses premiers opéras italiens.
Le sujet d’Armide, comme celui d’Alcina offre un prétexte aux musiciens comme aux poètes, d’aborder la figure de la magicienne qui, par enchantements, retient près d’elle, le chevalier Renaud. L’intrigue dépeint en vérité non la dégradation du pouvoir de la dominatrice, la délivrance du guerrier et la fureur impuissante de celle qui se croyait omnipotente.

Avec Felicity Palmer (Armide), Anthony-Rolfe Johnson (Renaud), City of London sinfonia, direction : Richard Hickox.

Beethoven, Missa Solemnis. France Musique, le 11 mai à 20h

Un seul oratorio, deux messes. La contribution de Beethoven au genre sacré, reste mince. Mais ici, la rareté de l’offrande est compensée par un travail particulièrement approfondi. En 1802, dans son testament d’Heiligenstadt (daté du 6 octobre), le compositeur déclare : « Divinité, tu vois d’en haut au fond de moi, tu le peux, tu sais que l’amour de l’humanité et le désir de faire du bien m’habitent ». Fidèle à cette amour compassionnel pour l’humanité, pour le bien des hommes, ses frères, le compositeur exprime dans son oratorio, Le Christ au mont des oliviers de 1803, le conflit déchirant qui agite l’esprit du Sauveur : en son âme sacrifiée, se déploient les dernières angoisses, brûlées par le sentiment final de la bonté et de générosité, comme aboutissement absolu de l’être. Officiellement, la Missa Solemnis est née de la commande reçue par le musicien, en juin 1819, pour célébrer la nomination de l’Archiduc Rodolphe d’Autriche au siège épiscopal d’Olmütz. En vérité, la nécessité de réformer l’écriture religieuse, le besoin de trouver enfin une forme musicale digne du texte sacré, hantaient Beethoven depuis plusieurs années. Le Gloria, puis le Credo et le Sanctus, enfin le reste de la partition sont échafaudées peu à peu dans le courant 1819 et 1820. Interrompue par la composition des Diabelli, la Missa Solemnis est achevée en mars 1823.
Exigeant, et même radical par sa ferveur pasionnelle, Beethoven qui remet sa copie trois années après la date de l’intronisation, écrit en tête de sa messe : « Venue du cœur, puisse-t-elle de même retourner aux cœurs ».
Durant ses années de réflexion intense et de composition, Palestrina et le chant grégorien ont été des modèles soigneusement analysés. La musique y respecte l’intelligibilité des textes, tout en respectant la signification théologique. Par les figuralismes et les tonalités, Beethoven trouvent des correspondances justes : la tonalité générale de l’œuvre, ré majeur, souligne la place première du Père, tandis par exemple que le rapport tonal de tierce majeur signifie la trinité et exprime la relation du Père au Fils. D’ailleurs, la tierce s’affirme comme le symbole du Christ. Le plan des solistes ne cesse ici d’interroger le sens de la Passion et du Sacrifice. Confrontés au Mystère du Christ, les voix incarnent la ferveur et la compassion la plus sincère. Les chœurs quant à eux sont capables de bâtir de puissantes doxologies comme en témoignent les fugues vertigineuses du Gloria et du Credo. Enfin, la partie de l’orchestre se fait chant, propre à dire ce que ni les chœurs ni les voix solistes ne peuvent prononcer : ainsi, l’incarnatus est, est-il signifié par un solo de flûte et le miracle de la transsubstantation par le prélude en lévitation qui relie le Benedictus au Sanctus.
Acte de foi personnel, la Missa Solemnis est surtout une prière ouverte à tous. Pour la communion du plus grand nombre.

Ludwig van Beethoven, Missa Solemnis(1823).
Jusqu’à 22h58. Concert présenté par François-Xavier Szymczak. Donné le 4 mai 2006 au Théâtre des Champs-Elysées à Paris. Avec: Anne Schwanewilms : soprano, Elina Garanca : mezzo-soprano, Pavol Breslik : ténor, Hanno Müller-Brachmann : basse, Maîtrise et Choeur de Radio France, Orchestre National de France, direction : Kurt Masur

Vers l’opéra. La Péri (1843)

Richesse du matériau musical, goût infaillible dans le choix de ses textes, ambition d’un compositeur prêt à élargir sa palette formelle : l’heure est au défi. L’opéra se présente naturellement. Mais à rebours d’un Wagner qui élabore sa matière lyrique au même moment, Schumann délaisse le déploiement scénique. Il préfère se concentrer sur les connotations de la musique. Chez Wagner, action et musique ne font qu’un. Schumann, fin poète des mondes invisibles préfère l’allusif et l’indicible, proche de Berlioz. Préfigurant Debussy (Pelléas), il s’écarte d’une dramaturgie musicale pour se concentrer sur la notion de musique dramatique dont le chromatisme évocatoire se substitue à l’action : scènes et légendes plutôt qu’opéras proprement dits. Pas de frontières nettes ni précises : son théâtre comme sa musique pure exige de l’auditeur, une puissante faculté d’imagination. Les auditeurs qui ont cherché à reconnaître les repères habituels d’une musique de scène s’y sont trompés. En soulignant chez Schumann, un tempérament peu adapté à l’opéra, par trop de dilution, dans la perte d’une cohérence dramaturgique, ils sont passés à côtés des œuvres ; or la proposition de Schumann pour la scène est aussi intéressante que celle qu’apporte Berlioz dans sa Damnation de Faust (Paris, Opéra Comique, décembre 1846), laquelle porte le titre de légende dramatique.

Berlioz lui-même est occupé comme Schumann à la réalisation d’une forme musicale offrant un équilibre innovant entre texte, musique, action. Il a esquissé son Faust dès 1826, avec le cycle des Huit Scènes qu’il remaniera pour son Faust final, devenu la Damnation de Faust. Le pouvoir d’évocation de la musique se substitue à la narration scénique. Les deux romantiques travaillent simultanément à la même oeure de rénovation du langage dramatique… comme Wagner.
Attiré par le prestige musical de Leipzig, le futur auteur des Troyens rencontre Schumann en février 1843. Ce dernier voue au musicien français – au contraire de son ami Mendelssohn-, une sincère amitié, lui qui a joué sa musique en Allemagne : « il y a dans sa musique beaucoup de choses insupportables, mais aussi d’autres extraordinairement intelligentes voire géniales…(…) je l’ai pris en grande sympathie ».

De son côté, Schumann est sur le métier d’un oratorio : forme musicale intermédiaire, sans nécessité scénique ni visuelle. D’après l’épopée persane « Lalla Rookh » de Thomas Moore, Le Paradis et la Péri opus 50 est une première ébauche pour un nouveau drame musical.
Il y est question d’un monde merveilleux dont l’accès est refusé à la figure principale : la Péri, fille d’un ange déchu et d’une mortelle voudrait entrer au Paradis et tente pour se faire de séduire le gardien céleste, lequel lui ferme obstinément les portes. Deux premières offrandes sont demeurées sans effet : le sang d’un guerrier tué par le tyran Gazna puis les soupirs d’une jeune fille frappée par la peste, expirant dans les bras de son bien-aimé ; à la troisième offrande, le vœu de la Péri est enfin exaucé : les larmes d’un criminel touché par la vue d’un enfant en prière. Schumann découvrit ce texte au cours de ses lectures d’adolescent. D’abord destiné à être un opéra, la partition d’après la traduction allemande de son ami Emil Flechsig fut en définitive un oratorio. Après quatre mois de travail, la composition était terminée en juin 1843.

A sa création en décembre 1843, l’œuvre fut applaudie. Elle lança la notoriété internationale du compositeur : après Leipzig, ce sont Amsterdam, Prague, Zurich et même New York qui acclamèrent le talent original de Schumann. Au-delà de l’anecdote exotique dont une première lecture superficielle ne soulignerait à torts que l’excès de sentimentalisme- pourtant en phase avec l’esthétisme du XIX ème siècle, La Péri illustre le cycle de l’âme, proche des préoccupations personnelles de son auteur : ingénuité originelle, malédiction et solitude, enfin rédemption. Dans la forme, comme il le dit lui-même, la Péri inaugure un format nouveau destiné au concert dont la totalité musicale se fait chant, théâtre, poésie en action. Le génie du musicien offre également une alliance ténue du populaire et du sacré.

Schumann intègre dans le foisonnement continu de l’orchestre, des épisodes de chants choraux, d’essence populaire en liaison avec son projet : car, si le sujet de la Péri voisinne avec une vision mystique voire spirituelle, dans le dépassement que souhaite réussir l’héroïne en voulant forcer un monde supérieur auquel elle n’a pas de principe accès, il s’agit aussi d’une drame « populaire » et profane, comme le précise l’auteur : l’oratorio ne s’adresse pas à la chapelle mais plutôt « aux gens gais »).
L’épanouissement lyrique de l’œuvre est majeur. Associé au flux permanent de l’orchestre – d’une orchestration jaillissante-, Schumann dès avant son futur opéra, Genoveva, maîtrise chant et musique, déclamation et action. Peintre de la fresque comme du monologue solistisant, il sait aussi concilier les deux échelles comme le démontre chacune des trois sections finales où au chœur exclamatif, il joint la voix tantôt prière ou chant triomphant (dernière partie) de la Péri, soumise à ce qui est en définitive, sa longue initiation.

Discographie:
La Péri. Henryk Czyz (direction musicale). Edda Moser (Peri), Regina Marheineke, Brigitte Fassbaender, Nicolaï Gedda, Alva Tripp, Günter Wewel. Chor des stästischen, Musikvereins zu Düsseldorf, Orchestre symphonique de Düsseldorf. 2 cds Emi 1974. Réf. : 7 69447 2.

Haendel, Rodolinda (1725). En direct du Met de New-York.

Haendel, Rodolinda (hwv 19, 1725), France Musique, le 6 mai à 18h. En direct du Metropolitain opera de New York

Du théâtre à la scène lyrique, les textes gagnent ou perdent de leur efficacité expressive. Lorsque Haendel demande à son librettiste Nicolas Haym de réadapter un livret déjà rédigé par Salvi d’après la pièce de Corneille, Pertharite, roi des Lombards, preuve est donnée que sur la scène lyrique, le sujet prend un nouvel envol.
Le travail du compositeur et de son poète recomposent l’enchaînement des airs, refaçonnent la psychologie des personnages et leur ordre d’importance. Ils réécrivent en particulier le rôle de Rodolinda, figure héroïque de la fidélité conjugale. En dépit des apparences, croyant Bertarido mort, l’épouse lui restera fidèle, quoiqu’il puisse lui en coûter.
La force de l’ouvrage réside dans le soin apporté aux caractères des trois protagonistes : l’épouse éprouvée (Rodolinda), l’amoureux vindicatif (Grimoaldo), l’époux témoin (Bertarido).
Qui saura résister et vaincre ? Chacun éprouve, doute, surtout s’effondre musicalement, comme déchiré par la pression des situations antagonistes qu’il ne maîtrise en rien. Le théâtre baroque excelle à exprimer sur les planches les passions humaines, c’est bien l’essentiel du style d’un Haendel à l’orée d’une carrière éclatante auprès du public Londonien qui assiste à la création de l’ouvrage le 13 février 1725 au Kings’ Theatre. Rompre le cadre des types formatés, inventer de nouveaux caractères, scruter chez les bons comme les ignobles, faiblesses et remords, culpabilité et suspicion, failles et vertiges. Dans le sillon tracé par les œuvres maîtresses des années 1720 (Giulio Cesare, Tamerlano et donc Rodolinda), s’imposeront les drames inspirés de l’Arioste : Orlando, Ariodante et Alcina. Dramaturge exigeant, Haendel l’était tout autant sur le plan des chanteurs et pour sa création, Rodolinda affichait parmi le plateau vocal, trois étoiles de l’époque : la soprano Francesca Cuzzoni dans le rôle-titre, le castrat Senesino (Bertarido) et le ténor Francesco Borosini (Grimoaldo). Sur la scène du Met, Renée Fleming chante Rodolinda, avec la grâce et la tendresse que le public parisien avait acclamé pour Alcina à Bastille.
Humanité éprouvée des caractères, force dramatique de la musique, leçon édifiante du sujet : tout œuvre dans cet opéra à emporter le plaisir et l’adhésion des spectateurs. La distribution de la production new-yorkaise, diffusée ce soir en direct, devrait tenir l’auditeur à l’écoute, même si l’orchestre ne correspond pas aux standards « baroqueux ».

Haendel, Rodelinda. Dramma per musica en trois actes.
France musique, le 6 mai à partir de 18h. Jusqu’à 22h58.
A 18h, actualités lyriques. Puis à partir de 18h30, soirée lyrique par Jérémie Rousseau. Opéra en direct du Metropolitan Opera de New-York. Avec : Renée Fleming (Rodelinda), Stephanie Blythe (Eduige), Andreas Scholl (Bertarido), Christophe Dumaux (Unoflo), Kobie van Rensburg (Grimoaldo).
John Relyea (Garibaldo), Metropolitan Opera Chorus, Metropolitan Opera Orchestra, direction : Patrick Summers.

Discographie
Alan Curtis a enregistrer Rodolinda pour Archiv. Une version qui enrichit une discographie étonnament maigre, et qui vient compléter la version de Michael Schneider paru chez Bmg.

Maurice Maeterlinck : Ariane, un nouvel esthétisme

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Même si elles ont été créées pas le même géniteur, les figures de Mélisande et d’Ariane se distinguent nettement, comme elles précisent aussi dans l’esthétique dramatique et poétique de l’auteur, des conceptions totalement divergentes.

Théâtre de la liberté
La figure d’Ariane a diversement inspiré les auteurs lyriques. Plus célèbre et plus récente que l’héroïne créée par Dukas/Maeterlinck, celle de Richard Strauss et du poète Hugo von Hofmannsthal, dans « Ariane auf Naxos » (1912-1916), cristallise la nostalgie de la féérie, du monde des illusions et des métamorphoses du théâtre baroque. Alanguie sur son rocher de Naxos, Ariane abandonnée par Thésée, désespère et semble mourir… pour renaître au nouvel amour que suscite dans son cœur suicidaire, le dieu Dionysos/Bacchus. Opéra de la renaissance, l’Ariane du duo Strauss/Hofmannsthal est une victime en pâmoison. Une femme sensitive qui n’est rien sans l’autre.
Tout au contraire, l’imagination du couple Maeterlinck/Dukas, façonne une jeune femme active, animée par une ambition libératrice. Une solitaire combative qui apprend à se délivrer des autres et d’elle-même. Vaincre l’ordre établi, la trompeuse harmonie des habitudes, déchirer le voile de l’hypocrisie, oser assumer son propre destin. Autant de thèmes que Maeterlinck avait déjà exprimé dans Pelléas et Mélisande, mis en musique par Debussy (1902). Une Mélisande que l’on retrouve d’ailleurs dans Arianne de Dukas (1907), Mélisande quant à elle, vaincue par la force de la loi, épouse passive et servante préférant une sécurité servile à l’inconnu « plein d’espérances ». A l’opposé, Ariane, figure de la rédemption, donne un exemple d’émancipation qui effraient les cinq épouses qui l’ont précédé et qu’elle avait libérées.
Comme à son habitude, le verbe de Maeterlinck ne précise rien : il suggère dans une vapeur ambivalente du sens. Certes Ariane au terme de son périple scénique, où elle exprime un combat contre toute forme d’asservissement, renonce à résister, et préfère l’errance, la perte, et le départ.
Or en confrontant Ariane et Barbe-Bleue, Maeterlinck dessine précisément ce qui est à l’œuvre dans le rapport de l’homme et de la femme, de l’épouse au mari. Alliance trompeuse, idéale jamais acquise, toujours promise. Durable, possible? Comment réaliser la magie de la rencontre et de l’éternelle fusion?
Comme Wagner, voyez Tristan et avant Lohengrin, l’accord du couple est soit reporté par le départ du Chevalier (Lohengrin), soit ne peut se réaliser dans ce monde, mais vécu dans l’autre.
Ariane en définitive, ne résoud rien. Pire, elle fait l’expérience de la différence et de l’échec. Le monde qu’elle tente de changer, n’est pas le sien.
Vision pessimiste ou poétique ? Certes, colorée par intermittence, par le poison Wagnérien. Mais le génie de Maeterlinck se réalise pleinement dans la figure d’Ariane, femme totale, par laquelle la vérité est proclamée : par sa voix, s’exprime la dénonciation des mensonges quotidiens, de l’obéissance passive. Sans connaître véritablement l’issue de son combat, elle reste fidèle à ses principes quand toute une société autour d’elle, semble se complaire dans les ténèbres.

Théâtre de la Psyché
Si Pelléas mettait en scène des personnages perdus, en quête d’eux-mêmes, Ariane ose préciser une action consciente, celle d’une femme déterminée. Au pays d’Allemonde (le lieu de Pelléas), chacun parle sans exprimer son essence. Le langage est une impasse : qui peut dire précisément qui il est et ce qu’il ressent véritablement ?
Faillite du mot, un comble pour un poète. Mais le propre des génies n’est-il pas de circonscrire ce qui fait les limites de leur art ? Intransigeant sur leur propre style, ils n’en sont que plus éloquents.
Tel paraît Maeterlinck, onirique, énigmatique, prophète du vide des mots et de l’inutilité de la parole. Comme Descartes disait que la couleur est un leurre pour les yeux, en ce sens qu’elle détourne l’esprit de l’essentiel, la parole, dans le texte de Maeterlinck, est un faux langage qui nous éloigne de la vérité.

Tout devait changer après la plaine brumeuse de Pelléas (1892) lorsque le poète rencontre la chanteuse Georgette Leblanc en 1895.
Au nord froid et pluvieux, le poète accepte de rejoindre la France et découvrir le soleil du midi, à Nice. C’est une nouvelle esthétique qui se dessine sous l’influence de sa compagne ; autant de nouvelles valeurs qu’il a précisé dans la préface de son Théâtre (1901).
Dans ce sens, l’évolution que brosse le passage de Mélisande à Ariane est emblématique. Fatalité de l’incompréhension, persistance de l’incommunicabilité, Pelléas est l’opéra de l’impossibilité. Ariane au contraire fait figure de parole assumée, source de conscience et d’action. En elle, s’incarne la possibilité nouvelle d’un destin revendiqué.
Au départ, simple prétexte théâtral en trois actes pour satisfaire une commande passée par le compositeur Paul Dukas, Ariane et Barbe-Bleue ou la délivrance inutile, s’affirme peu à peu comme une œuvre majeure et ambitieuse.
En associant le mythe grec d’Ariane à la fable de Barbe-bleue, Maeterlinck renoue avec le registre onirique qui lui est propre. Un théâtre qui renonce à toute forme d’historicité comme à tout réalisme pour ne se concentrer que sur la psychologie et les mouvements de la psyché.
Maeterlinck par contraste avec la figure active d’Ariane, imagine une galerie de femmes passives qui renforce indirectement la stature de Barbe-Bleue. Chacune a été emprisonnée dans les caves et souterrains du Château : Sélysette et Aglavaine, Ygraine et Bellengère, enfin Mélisande. Chacune incarne l’échec, le drame, la faillite de la parole et de l’action. Cinq épouses victimes, incapables de résister ni de lutter. Inconscientes à leur propre chute.
En demandant à sa nouvelle épouse de ne jamais ouvrir la 7ème porte dont la serrure peut être déverrouillée par une clé en or, Barbe-Bleue sème le doute dans l’esprit d’Ariane. C’est justement la volonté de braver l’interdit et d’oser rompre la chaîne des fatalités, qu’elle déchire le voile des apparences, et délivre, de leur emprisonnement, les cinq épouses qui l’ont précédée.
Plutôt que l’éclat des joyaux, elle préfère symboliquement la lumière de l’esprit. Un esprit qui discerne et agit, en toute clairvoyance.
Pourtant, lorsqu’elles auront le pouvoir de s’émanciper, les femmes délivrées préféreront sacrifier leur liberté en servant à nouveau celui qui les a soumis. Ariane qui n’est pas de leur monde, quitte le lieu où le symbole libertaire qu’elle incarne n’a plus de résonances.
Même si l’opéra s’achève sur l’échec d’Ariane, le pouvoir de l’action suscitée par la jeune femme demeure l’enseignement majeur de l’opéra. Action d’un esprit conscient de sa condition assumée, sans peur ni asservissement.

Wilhelm Kempff, piano.Mezzo, en mai jusqu’au 28 mai à 4h55

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Initié à la musique par son père, Wilhelm Kempff, débute comme organiste, accompagnateur du chœur de la cathédrale de Berlin. Il poursuit une carrière de pianiste et de professeur, en particulier à Stuttgart où il enseigne à la Hoschschule für Müsik dont il est aussi le directeur. Pédagogue passionné et passionnant, Wilhelm Kempff, après 1940, donne des cours d’interprétation autour des œuvres de Beethoven en Italie, à Positano. C’est d’ailleurs comme le virtuose spécialiste des grandes œuvres romantiques, tels les 32 sonates et les 5 concertos de Beethoven, qu’il est partout acclamé dans les capitales d’Europe. Le concertiste sait aussi s’entourer pour pratiquer la musique de chambre : Germaine Lubin ou Lotte Lehmann sont ses partenaires pour le lied ou la mélodie française ; mais aussi, les instrumentistes Fournier, Szeryng, Ferras, Rostropovitch et surtout Yehudi Menuhin, avec lequel il collabore étroitement pour célébrer à près de 75 ans, le bicentenaire de la naissance de Beethoven.
Etudiant en Histoire et en philosophie à l’Université de Berlin, Kempff a aiguisé un sens poétique de la musique et son jeu, est davantage celui d’un esthète, sensible, capable parfois de certaines libertés, discutables sur le plan strictement musicologique. Instinctif, d’un toucher doux et sensuel, il a toujours privilégié l’expérience du concert à l’enregistrement. Pourtant ses gravures des sonates, des concertos (trois intégrales), des trios (avec Szeryng et Fournier) de Beethoven, entre autres forcent l’admiration.
Le pianiste Kempff fut aussi un compositeur inspiré comme l’attestent ses symphonies dont le seconde fut créée par Furtwängler.

Diffusion
Concert 2000, réalisation : Philippe Truffault.
Les 21 mai à 2h et 28 mai à 4h55

Préliminaires : symphonies et musique de chambre

Le début des années 1840 est un tournant dans la vie et la carrière du musicien. Tout indique que dans l’écriture de Schumann, la place des grandes formes et de la voix devait s’imposer pleinement. Il y eut tout d’abord, la plénitude du chant solitaire ciselé au piano. Puis le cycle sublime des lieder parmi les plus aboutis jamais écrits : a-t-on jamais porté une vigilance aussi pertinente, dans l’accord du verbe et de la note ? Inspiré par Rückert, Goethe, Kerner et Eichendorff, Chamisso ou Lenau, le poète des mondes invisibles, ce chantre qui cultiva depuis sa jeunesse les champs d’une imagination aussi inquiète qu’illimitée, s’interroge à présent sur l’écriture symphonique et sur la composition d’un opéra. Il est vrai que les tournées de son épouse Clara, prodigieuse pianiste, le rendent amer : compagnon de sa femme unanimement célébrée, il souffre à demeurer dans l’ombre ; mais soucieux d’apporter au ménage, des sources de revenus régulières, il aimerait s’imposer comme compositeur. Liszt l’encourage à poursuivre son travail dans l’écriture symphonique. Clara aussi, toujours sensible à la maturation stylistique de son époux.

Ressentant lui-même les limites de son piano, Schumann avoue « il devient trop étroit pour contenir mes idées. J’ai vraiment bien peu d’expérience en fait de musique d’orchestre, mais je ne désespère pas d’en acquérir… »
Dans la voie tracée par ses aînés, Beethoven, Schubert, par celle de son ami, Mendelssohn auquel le lie une indéfectible admiration, Schumann émancipe son écriture. Après les chants intérieurs contenus dans l’écriture pour piano seul, il donnera à sa musique une part de plus en plus imagée, inventive, repoussant toujours plus loin les limites de son sujet. L’opéra certes, mais plus loin que Wagner et autrement : scènes et légendes dramatiques ; sans entraves formelles d’aucune sorte, il se prépare à tout cela déjà, comme un galop d’essai, sur le métier de symphoniste.
La première symphonie dite du Printemps (opus 52) a été esquissée en à peine quatre jours, comme le précise son auteur, en février 1841. Elle est placée sous le signe de l’amour et d’une harmonie conjugale exceptionnelle : à la même période, Robert et Clara écrivent d’après Rückert, le cycle de lieder « Printemps d’Amour ». En mars 1841, Mendelssohn en dirige la création au Gewandhaus de Leipzig. Succès encourageant. Schumann accède sans difficulté au monde orchestral : scherzo, ouverture, puis fantaisie pour piano et orchestre qui deviendra avec ses compléments de 1845 (Intermezzo et finale), son remarquable concerto pour piano opus 54 ; les œuvres se multiplient. Il esquisse aussi ce que sera la 4ème symphonie.
Dans la même veine féconde, Schumann satisfait l’attente de Liszt et compose plusieurs ensembles pour musique de chambre ; le futur concerto opus 54 partage la vision chambriste du compositeur au début des années 1840 : ample conversation où le piano soliste se fond dans la subtilité du matériau orchestral. Ni opposition, ni antagonisme des parties : fusion captivante. Ainsi se précisent en juin 1842, les trois premiers quatuors… Dans les combinaisons de timbres et la fluidité des accords s’affirme cette alchimie harmonique du génie schumanien. Le mois de novembre 1842 démontre une prodigalité remarquable à ce titre : quatuor avec piano (opus 47), surtout quintette pour piano, deux violons et alto et violoncelle (opus 44) que Liszt trouva un peu trop contraint par sa forme néo-classique. La marche lugubre du second mouvement, son caractère obsessionnel, démentent cette critique. Schumann est mûr pour la grande forme, orchestrale et vocale. De toute évidence, sa musique de chambre est l’œuvre d’un génie : aux côtés de Liszt, c’est Mendelssohn, le compagnon fidèle et proche qui lui insuffle une énergie créatrice. C’est à celui que l’on célèbre comme le successeur de Beethoven que Schumann a dédié ses quatuors. Nul doute que dans les années 1840, les deux compositeurs illuminent la vie musicale de Leipzig dont l’orchestre du Gewandhaus, dirigé par Mendelssohn, est devenu l’un des orchestres les plus réputés d’Europe.

Le pianiste et le chef d’orchestre

Aux côtés du dramaturge, l’œuvre du chef d’orchestre représente une part active dans la vie de Benjamin Britten. Ses propres annotations qui suivent son audition des concerts auxquels il assistent et que d’aucun trouverait aujourd’hui légendaires au regard des chefs écoutés : Furtwängler, Beecham, Strauss,…-, dévoile une insatisfaction voire un agacement : il regrette leur maniérisme, leur pathos outranciés ( !). A l’origine pianiste, Britten viendra à la baguette avec des idées bien arrêtées. Si de prime abord, il a souhaité diriger ses propres œuvres, comme son professeur Bridge dirigeait sa suite pour orchestre The Sea, Britten subjugué par l’œuvre de Purcell, s’est orienté dans la direction d’orchestre pour interpréter celui qu’il admirait. Il prévoyait ainsi Didon et Enée au festival de Glyndebourne en 1947 ; entreprise finalement réalisée à Londres en 1951 avec sa propre troupe d’opéra. Une autre oeuvre fétiche dans son jardin musical reste la 4ème symphonie de Gustav Mahler : éloquence des couleurs légères, orchestration, solos des intruments d’une éclatante splendeur… comme chef, il interpréta régulièrement la symphonie de Mahler dont il admirait aussi le Chant de la Terre.
Avec la création du festival d’Aldenburgh en 1948 puis la création d’une nouvelle salle de concert, « les maltings » en 1967, Britten peut multiplier son interprétation des autres compositeurs. L’éditeur Decca lui commande même en 1953 de nombreux enregistrements : Passion selon Saint Jean de Bach, The Fairy Queen de Purcell, plusieurs symphonies de Mozart dont il souhaitait rétablir la légèreté absente dans l’interprétation de la plupart des autres chefs, l’Inachevée de Schubert ; mais aussi The dream of Gerontius d’Elgar, l’Hymn of Jesus de Holst, la Symphonie n’°14 de Chostakovitch, Le Prélude à l’après midi d’un faune de Debussy…
En affinité avec l’univers intérieur de Schumann surtout, il a laissé le premier enregistrement mondial, devenu depuis légendaire, des Scènes de Faust avec Dietrich Fischer-Dieskau dans le rôle-titre et Peter Pears (Ariel/Pater Ecstaticus), à la direction de l’English Chamber Orchestra (1973, paru chez Decca). En véritable poète des climats étranges, il a su restituer le climat de mystère et d’onirisme de cette partition qui fait partie avec Genoveva des chefs d’œuvre schumaniens. On ne saurait évoquer son œuvre d’interprète sans évoquer en complément ses enregsitrements également publiés par Decca, des sonates pour pianos de Mozart et Schubert qu’il aborda avec Svatoslav Richter.

Dietrich Fischer Dieskau et Janet Baker, son interprète de prédilection pour The Rape of Lucretia (Decca), ont laissé plusieurs témoignages éloquents sur sa direction subtile, sa capacité à soigner les phrasés, tout en privilégiant (surtout), « l’inspiration du moment ».
Le musicien devait s’éteindre le 4 décembre 1976, un après Chostakovitch son contemporain, avec lequel il entretint tardivement une profonde amitié.

Bibliographie
Résonance par Dietrich Fischer Dieskau, Belfond 1991
Benjamin Britten par Humphrey Carter, Charles Scribner’s Sons, New York, 1992.

Itinéraire d’un compositeur de l’après-guerre

L’enfant a la révélation de la musique lorsqu’à onze ans, en 1924, il écoute au concert la suite pour orchestre The Sea de Franck Bridge. Cette écoute décide de son avenir : il sera compositeur. Auprès de Bridge, son professeur, le seul véritable dont il reconnaît l’influence, l’adolescent s’initie aux styles des auteurs du XX ème, à ceux du XIX ème avec une affection avouée pour Elgar ; surtout, il se passionne immédiatement pour les compositeurs anciens, de Dowland à Purcell, tout en construisant son orchestre à l’exemple de celui de Debussy. En 1939, aux heures sombres où l’Europe bascule dans la barbarie de la guerre, Britten décide de s’exiler avec son compagnon Peter Pears, rencontré en 1937, aux Etas-Unis. De sorte qu’occupé à ce qui se dessine comme son premier opéra, Peter Grimes, le souvenir de sa terre natale balayée par la mer du Suffolk imprime la partition toute entière. Les fameux interludes marins expriment le souffle de ce premier chef d’œuvre dont le sujet cristalise le déclin d’une société gangrènée par le soupçon et la peur. Deux maladies vénéneuses qui se polarisent sur le héros épnoyme, devenu la figure universelle du paria, de l’exclu, du maudit et donc du coupable. Dans les réminiscences de l’océan qui donne cette atmosphère d’étuve, une nostalgie presque inquiétant colore ce premier chef-d’œuvre pour une grande partie conçu à New-York.
Créé à Londres, le 7 juin 1945, l’opéra suscite un triomphe qui révèle le talent d’un dramaturge précoce. Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, la Grande-Bretagne reconnaît avec fierté l’avènement d’un grand musicien national. Celui-ci ne tarde pas à fonder sa propre compagnie lyrique, the English opera group et se fixe dans le bourg côtier d’Aldeburgh. Le viol de Lucrèce, représenté à Glyndebourne en 1946 est une première tentative théâtrale qui est l’aboutissement, sous la forme d’un opéra de chambre, du travail de la jeune troupe (orchestre de treize musiciens). Si Lucrèce est une tragédie, Albert Herring créé l’année suivante, explore de nouvelles voies expressives en particulier sur le registre comique. Puis Billy Budd, opéra ouvertement homosexuel, que Britten dirige à Paris en 1952, consacre la plénitude et la maturation de son écriture théâtrale. La commande de Gloriana en 1953 pour le couronnement de la Reine Elizabeth II retentit comme une nouvelle consacrétion. Pourtant, l’homme garde en lui un terrible secret, lié à ses années d’internat à la South Lodge School où il est à présent avéré grâce aux recherches de Humphrey Carpenter, que l’enfant fut abusé par son professeur T.J.E. Sewell. Une blessure qui a déterminé sa vie. Même s’il a toujours parlé de son homosexualité comme d’un libre choix : elle n’en comporte pas moins une réalité douloureuse. Ce traumatisme qui ébranle les fondements même de son identité se voit explicitement évoqué dans le Tour d’écrou, créé à Venise en 1954. Britten a eu la révélation du sujet en lisant la nouvelle d’Henry James : immédiatement frappé par la beauté et le mystère du texte, il en a conçu un opéra d’une terrible violence émotive. Dans la figure du garçon, le jeune Miles, Britten projette son propre effroi : une déchirure toujours présente, jamais pansée ni guérie. D’ailleurs, le thème de la domination étouffante incarnée par une figure masculine abjecte, émaille tout l’œuvre : Claggart (Billy Budd), Peter Quint (Le Tour d’écrou). Comme à l’inverse, les personnages du page (le songe d’une nuit d’été), de l’enfant (la rivière aux courlis, the Golden Vanity), réactivent le rituel de la proie offerte et condamnée par son innocence.
A partir de 1960 (le Songe d’une nuit d’été), Britten semble développer sur un mode intimiste de nouveaux champs de création, en particulier comme désireux d’oublier le sinistre souvenir, dans le sillon du rêve et du sommeil. Suivent les trois paraboles d’églises, conçues pour être jouées dans une nef : La Rivière aux courlis (1964), la Fournaise ardente (1966) et le Fils prodigue (1968) : effectif mesuré, orchestre à l’économie, relecture du théâtre Nô et des mystères médiévaux, Britten semble renouer avec des formes très anciennes de rituel primitif. Homme du repli, de l’intériorité et de l’allusif, il affectionne ces pièces élaborées comme des épures. Doué d’un tempérament dramaturgique, il n’a cessé de redéfinir le cadre de la musique théâtrale comme en témoignent les œuvres qui suivent : Owen Windgrave, commande de la BBC de 1971 sur un thème important pour le musicien, le pacifisme. Puis, Mort à Venise d’après Thomas Mann (1974), sollicite plusieurs scènes de danse.
Figures du conflit dont la résolution reste souvent sombre (mort du jeune Miles dans le tour d’écrou), ou a contrario, tentatives d’échapper au sentiment de la fatalité meurtrière, les œuvres de Britten portent sur la scène un cadre dramatique d’une exceptionnelle intensité poétique.

Approfondir
Lire notre dossier consacré aux « opéras de Benjamin Britten : question de l’identité du héros« 

30 ans de la mort de Benjamin Britten (1913-1976)

Il fut l’un des compositeurs anglais du XX ème siècle les plus originaux. La force des œuvres de Benjamin Britten, en particulier ses opéras, se révèlent à chaque fois davantage au moment des représentations : solitude de l’homme, marginalisé par un ordre social intolérant ; désillusion et cynisme, mal-être et désenchantement, autant de motifs récurrents qui imposent le regard moderne d’une œuvre qui pourtant sait préserver sa part de poésie. Le constat d’un monde perdu et maudit n’est-il pas a contrario un appel pour une civilisation à bâtir… où, ce qui est tenu caché et mystérieux, pourrait enfin renaître et s’épanouir?

Robert Schumann: (8 juin 1810 – 28 juillet 1856)

28 juillet 2006 marque le 250 ème anniversaire de sa mort
La valeur d’un artiste, ne se révèlerait-elle pas dans sa faculté à produire d’apparentes contradictions ? L’être créateur, hypersensible dans le cas de Robert Schumann, se dérobe à toute schématisation. Schumann lui-même sut-il vraiment et immédiatement la voie qui devait être la sienne ? Tant entre la littérature – son père traducteur de Byron était libraire-, et la musique, son cœur a souvent balancé. Il se rêvait pianiste, l’égal de son épouse Clara, immense concertiste, adulée et reconnue. Il devint compositeur. L’énigme de Schumann tient en deux mots : cime ou abîme. Tenté par le suicide, succombant à maintes reprises à de profondes crises mélancoliques, il ne cessa cependant de rompre la trame de la fatalité. Vivre pour aimer, aimer pour composer. Sa vie s’est inversée grâce à la détermination du compositeur. Il nous laisse une œuvre marquée par le sceau de l’énergie et de la lumière.

Nous avons choisi d’aborder son œuvre par épisodes afin de souligner certains aspects de l’œuvre comme autant de thématiques révélatrices de son génie, autant dans la grande forme (symphonies, oratorios et opéra) que dans les cycles plus intimistes du lied et de la musique de chambre.

Vivaldi (1687-1741), l’épopée lyrique

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Vivaldi, l’épopée lyrique

Pourquoi un dossier sur les opéras de Vivaldi ? Les théâtres sont encore trop rares à le programmer. C’est le disque qui demeure la voie de sa revanche. Vivaldi à l’opéra ? C’est l’acrobatie vocale et l’énergie rythmique, le raffinement d’un orchestre qui palpite au diapason du cœur, le dévoilement récent d’un génie de la scène lyrique : un peintre de la déraison des sentiments, apte à brosser et transmettre sur les planches, vertiges et poésie des passions humaines.

La Rédaction de classiquenews.com vous invite à découvrir pas à pas, en reconstituant la carrière à la lumière de chaque nouvel opéra ressuscité par le disque, l’épopée lyrique du Pretre Rosso dans la première moitié du XVIII ème siècle.

Glenn Gould, au delà du temps (Bruno Monsaingeon, 2006). Arte, le 13 mai à 22h30

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Qui est Glenn Gould ? Comment expliquer la fascination que l’interprète mais aussi l’homme ont suscité auprès d’un public qu’il a décidé, en 1964, de mettre à distance ? Bruno Monsaingeon avec lequel le pianiste canadien a coréalisé plusieurs films essentiels pour comprendre son approche interprétative, nous offre au travers de regards multiples, grâce aux témoignages surtout de ses « fans », un portrait de l’homme.

Par la voix du comédien Mathieu Amalric, Gould se raconte : sa famille, sa mère organiste, ses premiers concerts, son travail surtout. Homme de la nuit, homme du montage et de l’enregistrement, il n’aura cessé en définitive de revenir toujours sur la perfection de son jeu. Sous l’oreille attentive du micro (réglé par la firme CBS) : multiplier les options, n’en trouver qu’une viable ; explorer le mystère de l’œuvre ; s’identifier au compositeur et par un phénomène d’identification qui confine à la transe, ne faire qu’un avec la pensée de l’auteur, Bach en particulier, et transmuer l’approche de l’interprète en acte de composition.

On ne saurait rassembler ailleurs, documents d’archives et témoignages aussi complets et même émouvants : chacun raconte son rapport à la musique grâce à Gould. Une expérience dont chaque individu ne sort pas indemne : héritage actuel que l’artiste n’aurait certainement pas renié tant son « art » ne s’adresse pas à la foule (phénomène collectif qu’il détestait) mais à l’individu. Rapport intime et d’introspection partagée qui atteste de sa quête originale qui, au-delà de l’exigence technicienne et technologique, -combien de temps passé à penser la musique, à exercer ses doigts sur le piano, puis à monter et démonter les bandes enregistrées ?- pour obtenir du sens.

L’homme qui a fait de l’enregistrement en studio une seconde langue musicale, n’espérait qu’un résultat : l’approfondissement et la réalisation d’un travail spirituel sur la matière musicale. Lui-même convaincu de l’au-delà, tentait d’approcher cette idée d’absolu, ce qui confère à son travail, sa signification quasi mystique. Ses entretiens filmés, son approche en particulier des dernières fugues de Bach, ce rituel devenu célèbre où il jouait contre le clavier, sur une chaise basse aux pieds avant surhaussés, en chaussettes, nourrissent le portrait sacralisé de l’interprète.
Cet aspect mystificateur de l’homme et de son « œuvre » est à mettre en rapport avec ce que dit Bruno Monsaingeon dans un récent entretien, paru dans les colonnes de notre confrère Diapason (mai 2006) : « Mais pour le plupart des gens, il y a chez Gould une dimension philosophique, quelque chose qui dépasse de loin la sphère musicale. Les problèmes qu’il pose sont d’ordre universel. C’est un phénomène christique. »

Aujourd’hui, 24 ans après sa mort, son œuvre nous parle ; elle nous déconcerte et nous subjugue. Que l’on soit irrité par son radicalisme, ou séduit par l’éclat et l’insolence du penseur, reconnaissons que peu d’artistes ont poussé aussi loin que lui, l’ascèse critique et l’abnégation de l’interprète, confronté à son œuvre de musicien.


Arte, Week-end Gould : les 13 et 14 mai.

Le 13 mai, à 22h30, « musica » : Glenn Gould, au delà du temps, film de Bruno Monsaingeon (2005, 1h46mn). Le dvd est annoncé au second semestre 2006 chez Idéale Audience.
Le 14 mai, à 19h, « maestro ». Série télévisée « Glenn Gould joue Bach », extraits des documents réalisés par Bruno Monsaingeon : La question de l’instrument (1979) et Un art de la fugue (1980).

Radio classique, semaine Gould : du 8 au 12 mai.

Radio classique consacre aussi plusieurs soirées à l’œuvre du pianiste et du compositeur. Du 8 au 12 mai, à 23h. Lire aussi notre notule dans « le Mag radio ».

Lire aussi notre entretien avec Bruno Monsaingeon, à propos du film « Glenn Gould, au delà du temps ».

Consulter également, sur le site d’Arte, le dossier Glenn Gould