vendredi 29 mars 2024

Richard Wagner (1813-1883), La Walkyrie (1870)

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A l’occasion d’un nouvel enregistrement particulièrement convaincant de la Walkyrie, publié par l’éditeur australien Melba (distributeur : intégral), et dont le plein apport interprétatif devrait mieux se dévoiler en perspective avec les autres opéras du Ring annoncés par la suite, chez le même éditeur, voici un court aperçu de la partition de Wagner, en s’attachant surtout à la personnalité de Brünnehilde, la Walkyrie qui donne le titre à la Première Journée du Ring. L’individualité des personnages wagnériens s’accomplit en Brünnhilde. Si elle fait son apparition à ce moment du cycle du Nibelung, c’est pour n’en jamais sortir. C’est elle qui incarne la conscience humaniste du drame, elle qui comprend les origines et la cause de la malédiction de son espèce, elle qui porteuse des valeurs de l’avenir du genre humain, donne la clé de l’action et conclue par le feu ce qui est une initiation dont elle nous délivre le secret.

Dresde, 1842. A l’origine, avant de composer son œuvre titanesque, Wagner affine sa propre conception d’un opéra total, littéraire, musicale, poétique, surtout psychologique. L’opéra qui est germe alors, cet opéra romantique de langue allemande, il en a l’idée. C’est à Dresde, dans la capitale de la Saxe, qu’il achève ses ouvrages légendaires et fantastiques, encore liés à un contexte historique du moins historicisant : Rienzi, le Vaisseau Fantôme, Tannhäuser, enfin Lohengrin, lequel boucle une première période esthétique.
C’est aussi à Dresde, fait du hasard, que Schumann se fixe à la même période. Les deux compositeurs, événement exceptionnel dans l’histoire musical de l’opéra et de la musique, sont occupés par la nécessité de définir le genre lyrique à venir. Tous deux réaliseront leur œuvre propre, contemporaine mais diamétralement opposée : Genoveva pour Schumann, Lohengrin pour Wagner.
Par la présence des deux compositeurs, les plus originaux de l’heure, Dresde au milieu des années 1840, fait figure de foyer musical particulièrement fécond pour la scène lyrique. Wagner qui s’était fixé à Paris en septembre 1839, arrive à Dresde en 1842, avec dans ses bagages plusieurs partitions achevées dont Rienzi et le Vaisseau Fantôme. Ce sont d’ailleurs ces deux opéras qui sont représentés à la Cour de Dresde, le 20 octobre 1842 pour le premier, puis le 2 janvier 1843 pour le deuxième. Wagner porte le prestige musical de la ville : il devient d’ailleurs chef d’orchestre de la Cour royale le 2 février 1843. Au moment où Schumann arrive dans la ville, Wagner est à la composition de Tannhäuser qu’il achève en avril 1845. Infatigable, il esquisse en prose les Maîtres Chanteurs de Nuremberg (repris quelques dix années plus tard) et termine le poème de Lohengrin. Lorsque Schumann compose sa Genoveva, Wagner est sur le métier de Lohengrin en 1846 et 1847. La partition sera achevée en avril 1848. Il est donc tentant de comparer les deux ouvrages conçus dans la même période, dans la même ville.
Entre temps, le 6 décembre 1846, Berlioz donne la première représentation de sa Damnation de Faust à l’Opéra-Comique devant un parterre décontenancé par la modernité de l’œuvre, son absence de dispositif scénique.

Premières ébauches du Ring. Place de la Walkyrie.
En novembre 1848, Wagner rédige le poème de la mort de Siegfried qui deviendra le Crépuscule des Dieux.
Dans la carrière de Wagner, Dresde marque le point de maturation du drame médiéval selon sa propre esthétique. Avec Lohengrin qui est l’aboutissement de ses idéaux, le poète compositeur passe une étape décisive dans l’évolution du style. Après la fuite de Dresde, qu’il a dû fuir pour avoir pris part à l’Insurrection finalement mâtée, il rédige les fruits de son expérience dramaturgique dans deux textes essentiels, Opéra et drame et l’esquisse autobiographique Une communication à mes amis (1851).
En mai et juin de la même année 1851, il avait commencé les premières esquisses de l’œuvre à venir, la Tétralogie, inaugurées avec Siegfried, auxquelles succèdent l’écriture des poèmes et des partitions de l’Or du Rhin et de la Walkyrie (1853-1854). Le grand œuvre devait ainsi l’occuper jusqu’en novembre 1874 (fin de la composition du Crépuscule des dieux). Au sein du massif tétralogique, il regroupe ses forces pour composer trois ouvrages : Tristan (écrit en interrompant la composition de Siegfried, de 1857 à 1859, composé à Zürich, Venise puis Lucerne) et adapte son Tannhäuser dresdois pour la scène de l’Opéra de Paris, créé le 13 mars 1861 avec un scandale mémorable ; enfin les Maîtres Chanteurs de Nurenberg (1861-1867) créé grâce au soutien de Ludwig II de Bavière rencontré en mai 1864, le 21 juin 1861 à Munich.
Première Journée du cycle, après le Prologue (L’or du Rhin), La walkyrie, en trois actes, livret du compositeur, est créée à Munich, le 26 juin 1870.

La Walkyrie, un opéra de l’amour. Au sein du Ring qui est l’épopée d’une tribu maudite, corrompue, celle des Dieux menés par leur chef Wotan qui a vendu toute valeur morale pour le pouvoir et la richesse, certaines figures offre d’autres valeurs. Brünnehilde est l’équation manifeste. La fille de Wotan, et même sa Walkyrie préférée, recèle un trésor qu’elle ignorait jusque là, avant de rencontrer Siegmund, le héros auquel son père a demandé finalement d’annoncer la mort : un trésor d’autant plus précieux qu’il va infléchir son propre destin : un cœur humain, aimant, généreux, compassionnel. Touché par l’amour impossible qui s’est déclaré entre Siegmunde et Sieglinde, l’épouse malheureuse de Hunding, Brünnehilde ose désobéir au père et prendre le parti des amants. Contre la loi tyranique de Wotan, elle proclame une autre voie, celle de l’amour. Cet amour, tissé dans l’étoffe de la compassion, du pardon, de la clémence, de l’amour confraternel qu’en son époque, héritier des Lumières, Mozart aborda tout au long de ses opéras : Idoménée, Enlèvement au Sérail, La Flûte enchantée et surtout, Titus.
Wagner aurait-il eu la nostalgie des Lumières ? Quoiqu’il en soit, Brünnehilde perd par compassion et humanisme généreux, son statut de déesse : elle sera destituée par Wotan, père meurtri, et destiné au premier guerrier capable de rompre l’anneau de feu qui entourera le lieu de son exil.
Elle est guerrière, devenue femme. Sous la carapace de la Walkyrie, la fille a blessé l’amour du père. Etre du sentiment et des idées généreuses, elle accompagne la fuite de Sieglinde, après l’assassinat de Siegmund. C’est encore Brünnehilde qui prend soin de conduire la pauvre femme, bientôt mère du héros à venir, Siegfried, dans une forêt profonde, celle du dragon et géant Fafner, dans laquelle Wotan ne pénètre pas.
Le dénouement du cycle renforce encore la place de Brünnehilde et souligne le parcours qui est le sien dans le déroulement de la Tétralogie. C’est elle enfin qui au terme des épisodes survenus pendant la dernière Journée, le Crépuscule des Dieux, après avoir défendu avec la même détermination, la parole de l’amour souverain, conclue toute l’action. C’est par sa voix que Wagner livrera les clés de son grand œuvre.

Les grandes voix de Brünnehilde
Qui connaît l’histoire du chant wagnérien et a identifié les interprètes légendaires, sait qu’il ne suffit pas d’avoir la carrure d’une Walkyrie pour honorer l’un des rôles les plus fascinants de la scène lyrique, pour voix de soprano dramatique. Voici quelques étoiles dont le timbre et le jeu scénique ont marqué l’histoire du rôle : Lili Lehmann, Kirsten
Flagstad, Astrid Varnay, Birgit Nilson, Gwyneth Jones, Hildgard Berhens, Régine Crespin.

La Walkyrie au disque
Lire notre critique de la version dirigée par Ascher Fisch à la tête des équipes de l’Opéra d’état d’Australie du Sud qui vient de paraître chez l’éditeur Melba.

Acte 1. Bruno Walter (1935)
Lauritz Melchior, Lotte Lehmann, Emmanuel List, Orchestre Philharmonique de Vienne, direction : Bruno Walter. 1 cd Emi (1935).

Intégrale
. Karajan (Berlin, 1966)
L’intégrale parue chez DG a marqué l’histoire de l’interprétation. Contre toute emphase, ciselant une sonorité transparente, Karajan a ouvert un nouveau champ de lecture, approfondissant l’intimisme, l’épaisseur des caractères, le délire inconscient, les intentions cachées, l’œuvre souterraine de la psyché. Avec lui, le Ring devenait aussi un opéra de chambre. Au sein du cycle, sa Walkyrie ne démérite pas, bien au contraire : en Régine Crespin, surprenante, alliant l’élégance à l’humanité et la tendresse, Brünnhilde a trouvé l’une de ses incarnations les plus originales, d’une expression palpitante, mémorable. Avec John Vickers (Siegmund), Gundula Janowitz (Sieglinde), Martti Talvela (Hunding), Thomas Stewart (Wotan), Joséphine Veasey (Fricka)…, Berliner Philharmoniker.

La Walkyrie au dvd
Pierre Boulez/Patrice Chéreau (Bayreuth, 1976)
Autre temps, autre révolution. Et si l’intelligence dans les mises en scène du Ring, c’était défendre avant tout l’action en excluant tout le vernis idéologique et le fatras historique imposés par les conservateurs? Le Ring du centenaire de Bayreuth marqua les esprits car il allait a contrario des habitudes, servant le texte avant de souligner les références familières, d’avant et d’après guerre. Chéreau insiste autant sur le cynisme politique à l’oeuvre dans la partition wagnérienne, que son appel à l’amour, sa féérie et sa part de fantastique. Dans la Walkyrie, Gwyneth Jones est Brünnehilde. Avec : Peter Hofmann (Siegmund), Jeannine Altemeyer (Sieglinde), Donald Mc Intyre (Wotan), Matti Salminen (Hunding)… Orchestre du festival de Bayreuth. 2 dvds (Deutsche Grammophon). Réalisateur : Brian Large.

Illustrations

Portrait de Richard Wagner (dr)
Arthur Rackham, une Walkyrie (dr)
Arthur Racham, Brünnehilde (dr)

Approfondir

Lire aussi notre dossier sur Richard Wagner, l’Anneau du Nibelung

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