lundi 7 juillet 2025
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Dame Joan Sutherland, sopranoPortrait (1926-2010)

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La diva australienne, incomparable dans le répertoire du bel canto pré-verdien et verdien, mais pas seulement, fête le 7 novembre 2006, ses 80 ans. Decca, la maison de disques pour laquelle elle a enregistré l’ensemble de ses principaux albums, souligne l’événement en rééditant opéras légendaires, coffret commémoratif, et inédits de « la Stupenda ». Voici une brève évocation de sa carrière et de ses prises de rôles.

Débuts
Née en 1926 à Sydney, Joan Sutherland, initiée par sa mère au chant, ne
tarde pas à perfectionner son style dès l’âge de 18 ans. Elle
interprète à 21 ans (1947), Didon, dans Didon et Enée de Purcell. Deux
années plus tard (1949), la jeune soprano n’a que 23 ans lorsqu’elle
remporte l’un des plus prestigieux concours de chant australiens, le « Sun Aria ». Elle part en Angleterre, afin de poursuivre sa formation à l’École d’opéra du Royal College of Music. Ses débuts
remontent au 28 octobre 1952 à Covent Garden dans le rôle de la
Première Dame de La flûte enchantée de Mozart.
Ses premiers rôles
suivent l’exemple de Kirsten Flagstad, son modèle. Amelia (Bal Masqué,
Covent Garden, 1953) puis Aïda, mais aussi Gloriana (création) de
Britten impose son style. Elle épouse en 1954 le chef d’orchestre,
Richard Bonynge qui lui conseille d’aborder le répertoire du bel canto
italien afin de mettre à profit son étonnante aisance dans le registre
aigü colorature.

Les années 1950 et 1960 : prodigieuse Lucia de 1959

Ainsi à partir du milieu des années 1950, elle
s’illustre dans des rôles de soprano colorature et dramatique : Eva
(Les Maîtres Chanteurs de Wagner), Agathe (Le Freischütz de Weber), Desdemona
(Otello de Verdi), Gilda (Rigoletto de Verdi), Donna Anna (Don Giovanni
de Mozart). Le baroque n’est pas absent de son oeuvre de défrichement :
ainsi, Alcina de Haendel en 1957. L’année suivante, elle est Madame
Lidoine pour la création anglaise des Dialogues des Carmélites de
Poulenc.

Autant de rôle préparatoire pour Lucia di Lammermoor de
Donizetti qu’elle transfigure littéralement en 1959 (Covent Garden,
sous la direction de Tullio Serafin, mise-en-scène : Franco Zefirelli).
La scène de la folie la consacre : Joan Sutherland devient une star internationale. Paris l’accueille dans le même
rôle en 1960, puis la Scala et le Met, en 1961.

Auparavant, son
Alcina légendaire présentée à la Fenice de Venise en 1960 lui vaut
d’être appelée la »Stupenda » (la Prodigieuse).
Aigü
strastosphérique (contre-mi plein et rond), agilité technique, ligne
vocale parfaite (legato exemplaire), la voix de Joan Sutherland reste
un mythe, au même titre que celle de Tebaldi ou de Callas. Suivant les propositions de son mari, elle s’affirme dans le répertoire italien du bel canto pré verdien (Bellini et Donizetti), et verdien (Traviata, Amelia).

Son timbre tendre convient idéalement aux héroïnes tragiques et fragiles. Même pour les caractères plus contrastés et sombres, voire violents, ce qu’elle tendra à explorer dans la décennie 1970, la couleur de la voix éclaire l’humanité blessée des personnages abordés. La
cantatrice qui a construit sa carrière retentissante au moment de
l’essor du microsillon, aborde ensuite les grands rôles féminins tragiques du
bel canto romantique : Violetta Valéry (La Traviata de Verdi), Amina (La
Somnambula
) et Elvira (Les Puritains) de Bellini, en 1960. Suivent
Beatrice di Tenda (1961), Marguerite de Valois (Les Huguenots de
Meyebeer), Semiramide (Rossini), en 1962. Surtout, La Fille du Régiment
de Donizetti.

Les années 1970
Au cours de la décennie suivante, celle des années
1970, la voix gagne en grave et en caractère. Même voilée et moins
transparente, enrichie d’un vibrato absent au début de sa carrière, la tenue et la puissance technique de la voix sont
demeurées intactes.
Joan Sutehrland fait partie des voix les plus demandées avec celles de Luciano Pavarotti, son partenaire habituel, ainsi que Marylin Horne.
La
cantatrice perfectionne aussi son articulation. La Stupenda aborde des
rôles plus denses et plus violents en particulier sur la scène du
théâtre Donizettien : Maria Stuarda, Lucrezia Borgia mais aussi le
personnage tragico féérique d’Esclarmonde de Massenet dont elle est la seule à posséder techniquement le rôle, une partition inchantable par d’autres, qui s’étend sur trois octaves. Elle chante
aussi Turandot au studio en 1972, avec Luciano Pacarotti,s ous la direction de Zubin Mehta. Autant de performances vocales et
dramatiques au service de la beauté du chant et de la distinction
dramatique lui valent d’être annoblie en 1978. Elle est faite « Dame of the British Empire’.

Les années 1980

Même si le diamant de
la voix décline un peu, le début des années 1980, est marqué par de
nouveaux personnages : Anna Bolena de Donizetti, Amelia d’I Masnadieri
de Verdi, et Adriana Lecouvreur de Cilea. Son dernier rôle sur la scène est Marguerite de Valois des Huguentos de Meyerbeer en 1990 à l’âge de 64 ans.

Le Bel Canto italien ne fut pas son unique répertoire : l’opéra français avec Massenet, Rossini (Semiramide), le baroque avec Alcina de Haendel qui lui valut son surnom légendaire de « Stupenda », mais aussi les véristes Puccini (Turandot avec Luciano Pavarotti) et Cilea (Adrienne Lecouvreur), lui ont permis de dévoiler l’étendue de ses possibilités techniques et dramatiques, ainsi que la curiosité élargie de l’interprète.
Pédagogue,
membre des jurys internationaux, Dame Joan Sutherland, outre le rayonnement
spécifique de sa voix, a chanté pendant plus de quarante ans. Une longévité rare parmi les artistes de sa génération. Le disque
a généreusement souligné la qualité et la fascination de son style
personnel. Elle a enregistré la plupart de ses rôles Donizettiens et
Verdiens, principalement chez Decca. La Stupenda s’est éteinte à l’âge de 83 ans en Suisse à Genève, le 10 octobre 2010.

L’édition des « 80 ans »
La cantatrice a enregistré l’ensemble de sa discographie chez Decca. Joan Sutherland devient avec Luciano Pavarotti, l’une des artistes phare de la compagnie discographique. Son association avec Decca dure plus de trente ans. Elle enregistre ses rôles les plus importants, Lucia, Norma, Traviata, Esclarmonde… au total plus de 30 opéras, dont certains en plusieurs versions, et de nombreux récitals.
Pour les 80 ans de Dame Joan Sutherland, le 7 novembre 2006, Decca réédite un cycle de documents indispensables.

Verdi, La Traviata (1962)
(Violetta). Orchestra e coro del Maggio Musicale Fiorentino, John Pritchard
Avec : Carlo Bergonzi, Robert Milnes…

Bellini, Norma (1964)
Norma. Orchestre symphonique de Londres, Richard Bonynge
John Alexander, Marylin Horne, Richard Cross, Yvonne Minton…

Rossini, Semiramide (1965-1966)
Orchestre symphonique de Londres, Richard Bonynge
Avec : Marylin Horne, Joseph Rouleau, John Serge…

Donizetti, L’elisir d’amore (1970)
(Adina). English chamber orchestra, Richard Bonynge
Avec : Luciano Pavarotti, Dominic Cossa, Spiro Malas…

Massenet, Esclarmonde (1975)
Huguette Tourangeau, Clifford Grant, Giacomo Aragall, Robert Lloyd…

Donizetti, Maria Stuarda (1987)
Orchestra & chorus of the Welsh national opera, Richard Bonynge
Avec : Samuel Ramey, Jerry Hadley, Susanne Mentzer…

Cilea, Adriana Lecouvreur (1988)
Orchestra & chorus of the Welsh national opera, Richard Bonynge
Avec : Carlo Bergonzi, Leo Nucci, Michel Sénéchal…

Decca fait aussi paraître :

Serate Musicali, mélodies (1978)
Rossini, Bellini, Donizetti, Massenet. Richard Bonynge, piano
Récital privé enregistré au domicile du couple Sutherland/Bonynge en Suisse

« The art of Joan Sutherland »
Coffret de 6 cds dont l’un (cd5) consacré à l’opéra français, comprend six airs inédits.

« Joan Sutherland, The Voice of the century »
édition limitée Deluxe
Livre disque de 100 pages
Duos avec Luciano Pavarotti, version inédite de Lucia, photos rares et discographie complète parue chez Decca avec la reproduction de chaque pochette.
2 cds

Autres enregistrements
réalisés chez Decca, en dehors du cycle de réédition pour les 80 ans de Dame Joan Sutherland

I Puritani,
Les Puritains (Elvira). Orchestre symphonique de Londres, Richard Bonynge (1973)
La Somnambule. National Philharmonic Orchestra, Richard Bonynge (1980)

Donizetti
Lucrezia Borgia. National Philharmonic Orchestra, Richard Bonynge (1977)
Maria Stuarda. Orchestre du Teatro Comunale de Bologne, Richard Bonynge (1975)

Massenet
Le Roi de Lahore (Sitâ). National Philharmonic Orchestra, Richard Bonynge (1979)

Puccini
Suor Angelica. National Philharmonic Orchestra, Richard Bonynge (1972)
Turandot. Orchestre philharmonique de Londres, Zubin Mehta (1972)

Verdi
Rigoletto (Gilda). Orchestre symphonique de Londres, Richard Bonynge ( 1971)

Récitals

The Art of Bel Canto. Nouvel Orchestre symphonique de Londres et Orchestre symphonique de Londres, Richard Bonynge (1963).
The Art of the Prima Donna. Orchestre de Covent Garden, Francesco Molinari-Pradelli (1960).

Crédit photographique
© service de presse Decca France

Le concerto pour piano romantiqueFrance musique, le 14 octobre à 18h

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Le concerto pour piano romantique

Samedi 14 octobre, à 18h

« La Querelle des Bouffons »
magazine présenté par Alexandre et Benoît Dratwicki.

Apparu au début du XVIII ème siècle, le concerto (un exécutant soliste face à l’orchestre) évolue au fil du siècle des Lumières jusqu’à supplanter le genre dont il est directement issu : le concerto grosso (plusieurs solistes). Alors que la génération des fils Bach instaure les règles modernes, en une coupe en trois parties (vif-lent-vif), Mozart, après Corelli et Vivaldi, insuffle au genre une dimension nouvelle. Il parvient avec ses 21 concertos pour piano à un idéal jamais atteint, modèle pour les générations futures, dans l’équilibre de la forme, par la cohérence du discours, où l’importance du soliste se fait beaucoup plus grande. Le clavecin, à cause de sa faible intensité sonore, étant un instrument mal adapté au concerto. On lui préférait par conséquent des instruments comme le violon, le violoncelle ou encore le hautbois.

L’apparition des piano-forte dans la deuxième moitié du XVIII ème siècle modifie en profondeur le genre. Alors qu’on préfère le violon à l’ère baroque, le piano devient l’instrument vedette du concerto classique. Il atteint son apogée au XIX ème siècle. Le concerto beethovénien, qui doit beaucoup à son modèle mozartien, influence directement la génération romantique. « Dans le principe concertant qui oppose soliste et orchestre, Beethoven découvre les sources vives d’un dialogue poétique libre qui, tout en préservant la forme traditionnelle du genre, la fait oublier… » (André Boucourechliev). Les caractéristiques essentielles du romantisme, dont l’exploration démesurée du moi et l’excessif narcissisme de l’artiste, ouvrent de nouveaux horizons : le soliste devient le symbole véritable du héros isolé, face à un environnement hostile : le nouveau conquérant tente par sa puissante virtuosité, d’imposer sa présence. Suivant les pas de Paganini qui développe pour le violon, une virtuosité diabolique sans égale, Liszt, Chopin mais aussi encore Schumann, développent de nouvelles possibilités techniques qui exploitent au maximum l’instrument. Avec le concerto, l’occasion est trop belle pour le compositeur de s’affirmer comme pianiste virtuose. Il peut désormais faire étalage de ses grandes prouesses.

L’orchestre quant à lui évolue peu dans son rôle après Beethoven, laissant place à un instrument roi. Il reste un soutien qui effectue de temps à autre des interludes pour laisser le pianiste se reposer entre deux exercices périlleux. D’ailleurs, de nombreux concertos de compositeurs virtuoses comme Moscheles, Hummel ou encore Field, sont aujourd’hui tombé dans l’oubli. Et c’est peut-être mieux ainsi.
Contrairement à leurs prédécesseurs, la génération romantique, celle de 1810, écrit des concertos en nombre relativement réduit. Mendelssohn en produira trois (un de jeunesse), écrit par un virtuose pour le virtuose (les concertos en sol mineur et en ré mineur ont encore la faveur d’être joués, mais ils méritent avec raison, plus d’attention). Schumann laisse un seul chef-d’œuvre, et Chopin écrit deux concertos de jeunesse où tout son génie précoce se déploie. Dans ces derniers, nombreux sont les reproches qui ont été fait face à l’orchestration jugée souvent pauvre et inconsistante, mais y a-t-il vraiment nécessité de faire faire à l’orchestre des chevauchées inutiles lorsque l’œuvre elle-même reste exemplaire pour son inspiration peu commune et les sentiments qu’elle dégage ? Schumann, Liszt, Brahms, dans la lignée de Beethoven, ont offert à la postérité des pages qui ont marqué l’histoire du piano, malgré les débats houleux qu’ils ont suscités. Leur génie créateur a dominé leurs contemporains, indiscutablement.

Illustrations
Portrait de Johannes Brahms
Eugène Delacroix, Portrait de Frédéric Chopin

Bruxelles. Théâtre royal de La Monnaie, le 16 septembre 2006. Die Entführung aus dem serail

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Le Théâtre royal de La Monnaie inaugure sa saison 2006-2007 avec Die Entführung aus dem serail. Singspiel en trois actes mis en scène par Christof Loy et dirigé par Paul Daniel.

Les décors, contemporains et minimalistes font place à une mise en scène qui privilégie le rôle des acteurs. Les récitatifs maintenus intacts ponctuent la musique de réels moments d’un très beau théâtre. Le metteur en scène accentue certains traits antipathiques chez les occidentaux et brise l’image caricaturale de la pièce (Belmonte essayant de régler la situation avec de l’argent alors qu’il s’agit pour le pacha d’une question d’honneur et de vengeance).

Dans la production de ce soir, Constanze est incarnée par la soprano suisse Rachel Harnisch qui fait ses débuts à La Monnaie. Elle compte à son actif plusieurs rôles dans des opéras de Mozart (Zerlina (Don Giovanni) en 2001 avec Harnoncourt, Fiordiligi (Così fan tutte) sous la direction de Claudio Abbado et Pamina (Die Zauberflöte) à Berne en 2004 …). On sent dans son premier air Martern aller Arten l’artiste dans une situation inconfortable lors des passages délicats. La pression de la tête de Selim contre elle n’a sans doute pas favorisé un épanouissement physique afin d’aborder cet air de bravoure. Ses autres interventions nous font vite oublier ce petit incident. Son rôle d’actrice dans le second acte lors du dîner en tête à tête avec Selim, est poignant. On sent Constanze séduite par la personnalité, les charmes orientaux et l’intelligence de Selim. Elle désire garder sa promesse de fidélité mais ne peut s’empêcher de tomber sous le charme du pacha Selim. Belmonte la retrouve littéralement métamorphosée et fait naître le doute en lui. Le pacha Selim, le seul rôle parlé de l’opéra, est joué de main de maître par Christophe Quest. Il offre des moments de grande intensité théâtrale et incarne un personnage qui s’impose par sa classe et son élégance. Il est un adversaire qui met en défaut Belmonte.

Blondine (Alexandra Lubchansky), intrépide et plein d’audace est impressionnée par les attraits du monde oriental et tente de résister à la tentation d’Osmin. Sans l’arrivée de Belmonte, on l’imagine aisément céder aux avances maladroites du gardien du sérail. Dissimulé derrière quelques éclats de violence, Osmin est présenté comme un être soigné et riche en émotions mais qui peine à les exprimer. Harry Peeters est d’une grande stabilité vocale, la mise en place de ses divers airs est sans faille.

Volontairement ou involontairement la lecture qui favorise le portrait des orientaux séducteurs avait d’autant plus de crédit que la tenue vocale de leurs rivaux n’étaient pas aussi convaincante.

Pedrillo, incarné par Peter Marsh est espiègle mais son jeu est parfois caricatural et finit par agacer. Belmonte est visiblement fatigué vocalement : il assure difficilement son air d’introduction. Tout au long de l’opéra, son investissement s’avère limité et ne convainc pas.

A l’heure où se posent les questions de l’adhésion de la Turquie dans l’UE et que certains voient d’un bon œil la notion de choc des civilisations, le message de paix de Mozart réconciliant Orient et Occident est plus que d’actualité.

Bruxelles.
Théâtre royal de La Monnaie, le 16 septembre 2006. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Die Entführung aus dem serail. Rachel Harnisch (Konstanze), Blagoj Nacoski (Belmonte), Alexandra Lubchansky (Blonde), Peter Marsh (Pedrillo), Harry Peeters (Osmin), Christoph Quest (Bassa Selim). Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie. Paul Daniel, direction. Christof Loy, mise en scène. Herbert Murauer,décors et costumes. Olaf Winter, éclairages. Piers Maxim, chef des choeurs.

Haendel, Theodora (1750)En octobre à Lille et à Paris

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L’oratorio est le genre dans lequel Haendel renouvelle son inspiration. L’opéra italien a montré ses limites : hier, aclamé, il n’attire plus les foules. Le compositeur s’est de nouveau illustré dans l’écriture de fresques morales sacrées qui lui permettent d’exprimer avec un feu intact, les passions humaines. Ainsi naîtront, après les chefs d’oeuvre : Israël en Egypte (1739) et Le Messie (1742), de nombreux « opéras religieux » dont, entre autres, Samson (1743), Belshazzar (1745), puis en 1749, Solomon et Susanna. C’est aussi l’année qui voit l’élaboration de Theodora.

Créé à Londres au Théâtre royal de Covent Garden, le 16 mars 1750, – alors que Haendel était âgé de 65 ans-, l’oratorio est d’autant plus singulier dans son œuvre qu’il s’agit de la seule partition sacrée dont le sujet puise dans l’histoire chrétienne.Thomas Morell qui a écrit le livret, s’inspire non pas de Corneille mais du récit moral de Robert Boyle, paru en 1687, « The martyrdom of Theodora and of Didymus ». Haendel compose la matière musicale avant le 31 juillet 1749, en réutilisant des airs antérieurs, et même en puisant dans des duos de Carlo Maria Clari. Malgré une distribution exemplaire où brilla le castrat Gaetano Guadagni (Didymus), aucune des représentations de 1750 ni la reprise de 1755, ne suscita d’intérêt ; Theodora fut même un échec confirmé qui n’altéra cependant en rien, l’affection de l’auteur pour son œuvre.

Pourtant dans cette œuvre grandiose, inspirée par la tendresse humaniste du compositeur, visiblement subjugué par la figure de la sainte martyre du IV ème siècle, l’écriture soigne la signification moralisatrice et exemplaire du sujet : somptueux chœurs des chrétiens, insouciance plus légères des païens, mais surtout, caractérisation toute en nuance et en progression des protagonistes. Aux côtés des deux amants (Theodora/Dydimus), s’affirment les rôles secondaires tout aussi minutieusement décrits : Irène, compagne de Theodora ; Septimius, le frère d’armes de Dydimus et l’inflexible Préfet Valens.
En cela Theodora préfigure l’accomplissement exceptionnel et plus approfondi encore de Jephté, le dernier oratorio de Haendel, créé deux ans plus tard, en 1752. Jephté est composé aux portes de l’abyme : Haendel doit ralentir son rythme de création et même s’arrêter d’écrire, incapable de poursuivre une œuvre fascinante à cause d’une cécité partielle puis complète.

Synopsis
Acte I. Au moment où Rome célèbre l’anniversaire de l’empereur Dioclétien, chacun est invité à sacrifier à Jupiter. Le jeune officier Didymus s’insurge contre la loi romaine qui contraint la liberté de conscience car il s’est secrètement converti au christianisme. Lui répond Theodora qui est arrêtée pour être prostituée dans le temple de Vénus. Inflexible, la jeune chrétienne se prépare à la mort.
Acte II. Didymus qui l’aime, obtient une entrevue. En revêtant de l’officier romain, elle peut fuir la geôle qui l’emprisonne.
Acte III. Libre, Theodora ne peut rester insensible à la tragédie qui frappe son aîmé : Dydimus a été arrêté et condamné à mort. La jeune femme se livre aux officiers et meurt avec Didymus.

Theodora, à l’affiche d’octobre
Deux représentations (par les mêmes interprètes) mettent à l’honneur l’avant dernier oratorio du Haendel de l’ultime maturité.

Geraldine McGreevy, Theodora
Anne Sofie von Otter, Irene
Stephen Wallace, Dydimus
Paul Agnew, Septimius
Matthew Rose, Valens

Orchestre et choeur du Concert d’Astrée
Emmanuelle Haïm, direction

Le 15 octobre

Opéra de Lille à 16h

Le 19 octobre
Théâtre des Champs-Elysées à 19h30

Illustration
Portrait du Fayoum, jeune femme, vers 170 après Jésus-Christ (Paris, musée du Louvre)

Marin Marais, Alcide (1693)Mezzo, à partir du 14 octobre

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Louis de Lully (1664-1734)
et Marin Marais (1656-1728)
Alcide ou le Triomphe d’Hercule,
tragédie lyrique,
création le 3 février 1693
Livret de Jean Galbert de Campistron
(1656-1723)

Opéra (2006, 2h20), réalisation : Ange Leccia, Isabelle Soulard
Enregistré le 7 octobre au Château de Versailles

Le 14 octobre à 20h45
Le 15 octobre à 13h45
Le 24 octobre à 15h45
Le 3 novembre à 15h40

Joueur de viole et compositeur, Marin Marais est né en 1656 et mort à Paris, en 1728. Fils d’un cordonnier, il est enfant de chœur à Saint-Germain-l’Auxerrois. Il devient le disciple du maître Sainte-Colombe qui lui enseigne la pratique et les subtilités de la viole dans les années 1670 ; la viole était alors considérée comme un instrument majeur, véhicule et transmetteur des émotions intimes et secrètes, le plus éblouissant moyen d’écouter les vanités de ce monde… outre Marais, Caix d’Herveloix et Antoine Forqueray, les autres élèves de Sainte-Colombe, recueillent et transmettent en Europe, l’art de la viole appris auprès de leur maître.
Marais quant à lui poursuit sa carrière à Versailles où il devient le disciple de l’officiel Lully qui lui transmet son art de la composition. Reconnaissant, Marais dédie au premier compositeur de la Cour de Louis XIV, son premier livre de pièces pour la viole.

Marais participe aux fastes de la première Cour européenne par son raffinement et ses manières. Et ce, pendant quarante-six ans. Nommé « joueur de viole à la Chambre » en 1679, il décide d’interrompre ses activités musicales en 1725, l’année du mariage de Louis XV. Entre-temps, il fut « batteur de mesure » à l’Académie royale de Musique, de 1695 à 1710, une période foisonnante sur le plan instrumental et lyrique qui voit les chefs d’oeuvre du théâtre musical dans le genre national, de la tragédie lyrique, créé par son maître, l’incontournable Lully. C’est durant cette période qu’il compose ses quatre opéras : Alcide ou Le Triomphe d’Hercule, Ariane & Bacchus, Alcyone et Sémélé.

Mondain, fastueux, Marais sait aussi émouvoir grâce à l’important catalogue de ses pièces intimistes pour la viole, son instrument favori. Aux côtés des oeuvres solennelles qui avec celles de Lully, éclairent notre perception de la majesté versaillaise, il nous laisse un cycle de pièces raffinés et méditatives d’une singulière profondeur : dix-huit pièces à deux violes, vingt et une à trois violes et près de six cents mouvements pour viole seule et basse continue.

Mezzo, au moment où l’on fête ici et là, le 350 ème anniversaire de sa naissance, diffuse un document inédit, l’opéra « Alcide ».

Avec le fils du Lully, Louis de Lully – dont la valeur du style musical demeure a réévaluée malgré la réputation du musicien auprès des historiens-, Marin Marais élabore Alcide dont le sujet fut traité auparavant par Lully le père précédemment. Avec Alcide, Marais débute officiellement sa carrière de violiste à l’Académie royale de Musique. L’oeuvre est créée la même année que Didon de Desmarest et Médée de Charpentier. Le sujet narre avec noirceur les amours d’Hercule et de Déjanire. Sans qu’on puisse aucunement le prouver, il est habituellement admis que Marais, maître de son style, composa dans l’opéra les plus belles pages dramatiques, laissant à Lully, le fils, le reste de la partition. Vision assez discutable que l’on écartera avec raison, tant selon une habitude mésestimée des historiens, les deux compositeurs ont fait acte de composition collégiale. Chacun y apportant sa manière pour l’efficacité générale.
Alcide fut repris sous le titre de La Mort d’Hercule en 1705 et, en 1716, sous celui de La Mort d’Alcide. Il fut de nouveau représenté à Paris en 1744, à l’époque où Rameau était le nouveau champion après Lully, et depuis son Hippolyte et Aricie (1733) du genre tant convoité, de la « tragédie lyrique ».

Aurélia Legay, Déjanire (dessus)
Salomé Haller, Iole (dessus)
Stéphanie Révidat, Aeglé (dessus)
Sophie Landy, L’Amour (dessus)
Brigitte Balleys, Thestilis (bas-dessus)
Paul Agnew, Alcide (haute-contre)
Nicolas Cavallier, Philoctète (basse-taille)

Mise en espace : Olivier Simonnet

Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles,
direction musicale : Olivier Schneebeli.
Les Paladins, direction : Jérôme Corréas.

Illustrations
André Bouys, portrait de Marin Marais, vers 1704
François Lemoine, Hercule et Déjanire
Le ténor Paul Agnew (DR)

Heinz Spoerli, Cendrillon (2003)Mezzo, à partir du 22 octobre à 20h45

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A 66 ans, le chorégraphe bâlois Heinz Spoerli affirme haut et fort sa maîtrise de l’excellence : selon ses propres termes, il est  » créateur de danse », nous dirions un architecte exceptionnel de la ligne et de la fluidité vitale ; formé auprès de l’américain Tod Bolender qui l’emmène à Winnipeg dans le désert de l’ouest canadien. Il dansera ainsi pendant trois ans à Montréal (Grands ballets canadiens, 1963-66).

Sa carrière de chorégraphe débute à Genève en 1972, avec un premier ballet professionnel ,  » le chemin » ; il a 32 ans. En visionnant la cassette de cette production, l’administrateur du théâtre de Bâle, Werner Düggelin, lui propose immédiatement la direction du corps de ballet : Spoerli accepte et pendant 17 ans, hissera la troupe de danseurs bâlois au niveau de l’excellence. Son style épuré, économe, d’une fulgurance esthétique sans pareil, l’amène à réviser l’art classique, avec une élégance qui n’est pas exempte d’humour… parfois les danseurs sont amenés à jouer en comédiens, permettant ainsi d’élargir leur palette expressive par le corps et sur leur implication totale du jeu …autant de traits d’une inspiration et d’une vision complète qui révèle le talent du « créateur de danse suisse ».

Après Bâle, il reprend au début des années 90, le ballet de Düsseldorf et pendant cinq ans (1991-1996) le conduit là aussi vers une ère de perfection technique et esthétique, lui donnant en création l’un de ses plus beaux ballets sur les « variations Goldberg » de Bach, un compositeur dont il aime à ciseler par la beauté des mouvements chorégraphiés, la grâce des arabesques, ce discours du silence qui plonge dans l’essence de l’éphémère et du fugitif. C’est en 1996, qu’il rejoint à l’âge de 56 ans, il rejoint le ballet de Zürich, une troupe de 40 danseurs. Pour ses soixante ans, il assure au ballet la possibilité de renouveler les talents en soutenant la constitution d’un ballet de danseurs juniors (Junior Ballet). Depuis lors, Spoerli compose de nouveaux ballets sur Mozart et Schnittke, Ligeti et Brahms, Schubert (remarquable création sur le Quintette en ut majeur), Berio et surtout Bach (Suites pour violoncelle) mais aussi revisite les « classiques », Giselle, Roméo et Juliette, Casse-Noisette, le lac des cygnes, ou encore comme Mezzo nous le propose, cendrillon. L’inventivité jamais tarie, l’excellence de la troupe qu’il dirige, l’impose incontestablement comme l’un des plus grands chorégraphes vivants.

Serge Prokofiev
Cendrillon

Ballet de Heinz Spoerli, 2003

Le dimanche 22 octobre à 20h45
Le lundi 23 octobre à 13h45

Ballet (2003, 1h45), réalisation : Andy Sommer. Enregistré a l’Opéra de Zurich avec Karine Seneca (Cendrillon), Stanislav Jermakov (Le Prince), les danseurs du Ballet de Zurich, l’Orchestre de l’Opéra de Zurich, direction : Vladimir Fedoseyev.

Crédit photographique
Portrait de Heinz Spoerli (DR)
Le Ballet de Zürich (DR)

Jean-Philippe Rameau retrouvédocumentaireMezzo, à partir du 13 octobre à 21h50

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Une vie laborieuse qui de sa naissance en 1683 à sa mort, en 1764, déploie une amplitude qui relie, Lully à Gluck. Rameau aura même entendu le jeune Mozart, lors de son séjour parisien de 1763.
Né Dijonais, il est formé par les Jésuites, et c’est son père organiste qui lui transmet la démangeaison du clavier et bientôt de l’écriture. Une seule ombre au tableau du futur dramaturge, génie de la scène française, il quitte trop tôt le banc des lettres latines et françaises. C’est à peine s’il sait convenablement écrire et rédiger, d’où peut-être le style surargumenté de ses traités (certes, Rameau n’avait pas la facilité d’un Rousseau qui lui disputera –vainement- la palme de l’érudition théorique), d’où peut-être encore, le peu d’intérêt pour ses livrets d’opéras, dont le niveau littéraire et dramaturgique n’atteint pas le génie de la musique.
Un court séjour italien, jusqu’à Milan, pas plus loin ; plusieurs postes d’organistes, dont celui de la cathédrale de Clermont-Ferrant qu’il occupe encore à la mort de Louis XIV (1715). Un premier livre de pièces de clavecin (Paris, 1706), composé à 23 ans. Surtout un traité parmi le plus important de sa carrière d’homme studieux et réfléchi, « Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels » (Paris, 1722) qui impressionne les milieux musicaux de la Capitale. A quarante ans, il monte à Paris, pour ne servir que sa passion, attisée depuis l’âge de douze ans à partir duquel il suit sans jamais rompre cette chaîne de découvertes, les spectacles à la mode…

Passion des planches
Il écrit à Houdar de La Motte, académicien célèbre pour ses livrets d’opéras… qui ne lui répond pas. Rameau fait alors la connaissance du fermier général La Riche de la Poupelinière, richissime mélomane, et qui lui offre le poste de directeur de son orchestre. Pendant vingt ans, Rameau peut librement exercer ses talents de compositeur, dans la villa de Passy, foyer artistique intense. Il rencontre l’abbé Pellegrin qui lui écrit le livret qu’il attend, Hippolyte et Aricie, créé en 1733, à l’âge de 50 ans. Venu tard au théâtre, mais avec quel génie ! Harmonie trop savante et presque inchantable (trio des Parques), foisonnement de la matière musicale (on dit alors qu’il y avait bien de la musique pour composer 10 opéras !) : son premier coup est un scandale et un triomphe. Dès lors Rameau ne cessera de renouveler la musique dramatique, en subtil expérimentateur et peintre visionnaire des passions humaines, et même jusqu’à l’abstraction comme l’indique son dernier opéra, Les Boréades qu’il ne vit jamais, étant mort pendant les répétitions (1764).
Lui qui avait bouscoulé les habitudes des Lullystes en 1733 avec la matière révolutionnaire d’Hippolyte, se voit à son tour fustiger par les pires critiques pendant la Querelle des Bouffons de 1752 : on lui reproche l’érudition asséchante de son style, le spectaculaire et l’épisme de ses sujets quand les comédies de l’opéra italien paraissent en comparaison d’un « naturel » plus évident. Ce retour à la nature que proclame son plus farouche adversaire, Rousseau. Mais le théâtre de Rameau restera dans les annales de l’Opéra, parmi les plus joués au cours du XVIII ème siècle et de son vivant. Cet homme grand et maigre, estimé par ses amis, dont la dureté et l’acharnement à défendre ses idées a suscité bien des témoignages, aimait aussi s’alanguir. A son ami l’organiste Balbastre, il disait souvent, le priant de jouer quelque air bien senti : « mon ami, faites-moi pleurer ».

Mezzo diffuse un documentaire inédit qui éclaire les pans essentiels de l’œuvre du divin Dijonais : son oeuvre d’organiste et son génie de la scène ; l’activité du théoricien pour lequel la musique est la science la plus parfaite, supérieure même à la géométrie. Elle est une maîtresse des arts : une vision que ne partagent pas ses contemporains dont les philosophes, Diderot par exemple, qui au départ l’avaient soutenu. Rameau, esprit affûté, singulier, hors des conventions et des usages de son temps, reste le plus grand symphoniste de son époque : il manie l’orchestre en maître, et même s’il n’écrivit aucune symphonie, la matière de ses opéras suffit à le hisser au plus haut rang des créateurs français. Gardiner, Christie, Pelly témoignent de leur admiration pour un compositeur trop méconnu du grand public, insuffisamment joué sur les scènes lyriques.

« Jean-Philippe Rameau retrouvé« 
Documentaire de Reiner Moritz (2004, 52 mn)

Diffusions
Le 13 octobre à 21h50
Le 14 octobre à 14h50
Le 19 octobre à 5h10
Le 21 octobre à 5h45
Le 22 octobre à 3h50

Plusieurs intervenants confrontés à la dramaturgie des opéras de Rameau témoignent : Laurent Pelly et Andreï Serban, metteurs en scène, William Christie, chef d’orchestre, Sylvie Buisson, directrice de recherche au CNRS. Chacun évoque les aspects d’une oeuvre riche et foisonnante.

Illustrations
Jacques André Joseph Aved, portrait de Rameau (Paris, musée de la cité de la musique)
Andrea Soldi, portrait de La Riche de la Pouplinière (DR)

Téléchargement vidéo (1). L’offre Artevod

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« vod » pour « video on demand » : l’offre téléchargeable vidéo sur le site d’Arte (Artevideo) s’étoffe jour après jour. En plus d’un catalogue en ligne de films à visionner, pertinent (originalité des sujets, choix des réalisateurs), l’accueil est des plus agréables et le fonctionnement, limpide, clairement expliqué, en trois étapes : tester (sa configuration), commander (en ligne), regarder (le/s programme/s que vous avez choisi/s).
Les étapes pour commander sont faciles : créer son compte, remplir son panier, payer (par carte bancaire selon une transaction 100% sécurisée via l’interface de la banque CIC)

Le catalogue disponible :
Voici une sélection de 12 titres de musique classique, à découvrir.

Le couronnement de Poppée
Opéra de trois actes de Claudio Monteverdi. Direction musicale : Marc Minkovski avec les Musiciens du Louvre, Grenoble. Mise en scène : Klaus Michaël Grüber. Réalisation : Vincent Bataillon.
Avec : Mireille Delunsch, Anne-Sofie von Otter, Sylvie Brunet, Charlotte Hellekant, Jean-Paul Fouchecourt. Producteurs : ARTE FRANCE, BEL AIR MEDIA, FRANCE MUSIQUES, FESTIVAL INTERNATIONAL D’ART LYRIQUE D’AIX-EN-PROVENCE
Lire notre critique


Le Tour d’écrou

Opéra de Benjamin Britten. Livret de Myfanwy Piper d’après le roman de Henry James
Direction musicale, piano : Daniel Harding avec le Mahler Chamber Orchestra
Mise en scène : Luc Bondy. Décors : Richard Peduzzi. Réalisateur : Vincent Bataillon
Producteurs : ARTE FRANCE, FRANCE MUSIQUES, BEL AIR MEDIA, FESTIVAL INTERNATIONAL D’ART LYRIQUE D’AIX-EN-PROVENCE, FRANCE 3
Lire notre critique

Don Giovanni
Opéra de Wolfgang Amadeus Mozart. Mise en scène de Peter Brook. Réalisateur : Vincent Bataillon. Distribution : Peter Mattei, Gilles Cachemaille, Alexandra Deshorties, Mireille Delunsch. Mahler Chamber Orchestra, direction : Daniel Harding. Producteurs : ARTE FRANCE, BEL AIR MEDIA, Festival d’AIX-EN-PROVENCE, MEZZO, NHK, ANF Munich
Lire notre critique

Ecoute
Réalisateurs : Miroslav Sebestik
Auteurs : Miroslav Sebestik, Anne Grange d’après une idée de Michel Fano. Avec les interventions de John Cage, György Kurtag, Kaija Saariaho, Knud Viktor, Johnny Griffin, Philippe Manoury, Iannis Xenakis… Producteurs : ARTE FRANCE, JBA PRODUCTION
Grâce à ce film exceptionnel, développez une nouvelle manière d’écouter qui pourrait transformer votre vie.

La Traviata
Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi. Livret : Francesco Maria Piave, d’après la pièce d’Alexandre Dumas fils, » La dame aux camélias ». Direction musicale : Yutaka Sado. Mise en scène : Peter Mussbach. Réalisateur : Don Kent. Producteurs : ARTE FRANCE, BEL AIR MEDIA. Enregistrement de la représentation au Théâtre de l’archevêché d’Aix-en-Provence en juillet 2003 dans une mise en scène contemporaine de Peter Mussbach.
Lire notre critique

La petite musique de Marie-Antoinette
Réalisation : Olivier Simonnet
Les Eléments, direction musicale : Guy van Waas. Coproduction : ARTE France, Camera Lucida Productions
Au Théâtre de la Reine tout juste rénové, l’ensemble interprète des oeuvres de Gossec et Grétry, compositeur préférés de Marie-Antoinette.
Lire notre critique

Le mystère Stradivarius
Réalisateur : Stéphane Bégoin. Productions : ARTE FRANCE, ET ASSOCIES.
Quand l’art dialogue avec la science : enquête sur le son unique des violons Stradivarius.
Lire notre critique

Concert Yiddish soul
Réalisateurs : Nathalie Rossetti, Turi Finocchiaro. Auteurs : Nathalie Rossetti, Turi Finocchiaro. Producteurs : ARTE FRANCE, LES FILMS DE LA MEMOIRE, LES PRODUCTIONS DU LAGON
Le sacré et le profane, la joie et la mélancolie cohabitent dans la musique yiddish. Tour d’horizon à l’occasion d’un concert exceptionnel à Bruxelles.

Marc-Antoine Charpentier
Un Automne musical à Versailles
Auteur et Réalisateur:Olivier Simonnet. Producteurs: ARTE FRANCE, CENTRE DE MUSIQUE BAROQUE DE VERSAILLES,CAMERA LUCIDA PRODUCTIONS.
Lire notre critique

Folles Journées de Nantes 2006: Bach et Rameau
Réalisateur : Frédéric Le Clair. Production : ARTE FRANCE, KM Production. Enregistrement de concert lors des Folles Journées 2006 à Nantes
Revivez les plus beaux concerts de la 12e édition du Festival « Folle Journée »de Nantes

Iris1ère partie et 2ème partie
Réalisation :Philippe Decouflé. Chorégraphie : Philippe Decouflé. Musique : Claire Touzi. Production : ARTE FRANCE, François Roussillon et Associés.
Pour accompagner la Biennale de la danse à Lyon jusqu’au 30 septembre, découvrez cette rêverie comique et cosmique sur notre manière d’habiter et de regarder un « monde en vrac », une chorégraphie de Philippe Decouflé à déguster en deux parties.

La symphonie du Hanneton

Réalisateur:Patrick Czaplinski. Auteur:James Thierree. Acteurs: James Thierree,Raphaëlle Boitel,Magnus Jakobsson,Uma Ysaman. Producteurs:ARTE FRANCE, COOPÉRATIVE DE PRODUCTION AUDIOVISUELLE THÉÂTRALE,THEATRE DU ROND-POINT CHAMPS ELYSEES
Le spectacle qui a fait connaître James Thierrée : mime, acrobate, danseur, musicien, metteur en scène virtuose et digne petit fils de Charlie Chaplin, récompensé par 4 Molières en 2006 !
Lire notre critique

Arthur Honegger, Jeanne au bûcherFrance musique, le 18 octobre à 20h

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Une idée d’Ida Rubinstein
A l’origine de Jeanne au bûcher, s’impose la figure d’une mécène et commanditaire avisée, Ida Rubinstein, décédée en 1960. Danseuse et actrice russe exilée en France, elle commande à Honegger, l’œuvre d’inspiration médiévale, comme elle fut l’initiatrice du Boléro de Ravel, de Perséphone et du Baiser de la Fée de Stravinsky, ou encore du Martyre de Saint-Sébastien de Debussy. Personnage audacieux qui ne craint pas la perspective d’un scandale, elle entreprend de monter par exemple, avec Léon Baskt et Michel Fokine, la pièce Salomé d’Oscar Wilde, le texte qui inspire l’opéra éponyme de Richard Strauss. La muse, d’une beauté fameuse, prend même des cours de danse auprès de Fokine, pour la scène de l’enlèvement des sept voiles. Même censurée, l’oeuvre fait scandale dans une forme dépouillée, en novembre 1908. Remarquée par Diaguilev, Ida rejoint la troupe des ballets russes et connaît le succès avec le ballet Cléopâtre (1909, musique d’Arenski, chorégraphie de Fokine) puis Shéérazade, l’année suivante. A Paris, Ida, proche du poète Robert de Montesquiou, rencontre D’Annunzio qui lui écrit le poème du Martyre de Saint-Sébastien. Debussy écrira la musique d’un ballet énigmatique dont la création, le 22 mai 1911, suscite un nouveau scandale : on ne supporte pas de voir ainsi aborder avec une liberté licencieuse, la figure d’un martyr chrétien. Pour déclamer le texte, Ida recueille les conseils de Sarah Bernhardt.
Muse, inspiratrice, Ida Rubinstein jusqu’au début des années 1930, se produit dans des spectacles pluridisplinaires qui associent danse, théâtre, musique, poésie et mime. Elle n’hésite pas à louer pour se faire le Palais Garnier, grâce à l’argent du richissime Walter Guiness dont elle est la maîtresse.
Au sein du cercle d’auteurs de tous horizons qu’elle fréquente et dont elle stimule les collaborations, naîtront ainsi : « Antoine et Cléopâtre » d’après Shakespeare, (traduction de Gide, musique de Florent Schmitt, 1920), mais encore en collaboration avec le compositeur Honegger, « Phaedre » de D’Annunzio, « Amphion » de Valéry, et Jeanne au bûcher, d’après le texte de Paul Claudel, en 1935. Pendant la Guerre, Ida Rubinstein se réfugie à Londres (1940). De retour en France, elle s’installe en 1953 dans sa villa du Sud provençal à Vence, où elle meurt solitaire et oubliée en 1960.

« Jeanne d’Arc au Bûcher »
C’est en assistant à une reconstitution du « Jeu de Robin et Marion d’Adam de la Halle », en 1934, par des étudiants de La Sorbonne passionnés de lettres médiévales, « les Théophiliens », qu’Ida Rubinstein décide de monter un drame inspiré des mystères du Moyen-Age. Il s’agit d’aborder la figure de Jeanne d’Arc.
D’abord réticent, Paul Claudel accepte d’écrire un texte. Pendant qu’Honegger pressenti dès le début du projet, s’attèle à la composition de l’œuvre en janvier 1935. Le compositeur achève alors, Icare, ballet pour Serge Lifar qu’il a élaboré pour un orchestre de percussions.
Le 30 décembre, la partition de Jeanne est achevée. Mais Ida ne parvient pas à réunir les fonds pour louer la salle du Palais Garnier. La création parisienne semble reportée. C’est finalement sous forme d’oratorio qu’avec l’aide du chef mécène Paul Sacher que « Jeanne au bûcher » est créée à Bâle, en Suisse, le 12 mai 1938. Jean Périer est Frère Dominique. Le succès est immédiat. Un an plus tard, Ida Rubinstein assure la création française, le 8 mai 1939, à Orléans, la ville où fut martyrisée la Sainte. Jean Hervé incarne Frère Dominique, sous la direction de Louis Forestier, avec le Philharmonique de Paris.

L’œuvre dans sa version opératique avec mise-en-scène sera curieusement réalisée par le Gouvernement de Vichy à partir de juin 1941, initiateur d’une série de spectacles en tournée, exaltant les figures populaires de l’Histore française. Paul Sacher n’est pas en reste : il permet de son côté, le 13 juin 1942, la production scénique en Suisse, avant que la même année, l’œuvre ne soit dirigée par Charles Munch, au Palais de Chaillot pour les 50 ans du compositeur.

Un prologue pour Jeanne
En 1944, Paul Claudel désire ajouter un prologue à l’œuvre qui n’en avait pas. Honegger révise selon son souhait la partition originale. Dans sa version scénique avec prologue, Jeanne au Bûcher est créée à Bruxelles au Palais des Beaux-Arts, le 2 février 1946 sous la direction de Louis de Vocht. L’année suivante, création au Théâtre des Champs –Elysées ; puis en 1950, à l’Opéra de Paris, avec Jean Vilar (Frère Dominique) et Claude Nollier (Jeanne).

L’œuvre
En une écriture dépouillée et directe, Honegger compose un opéra sacré qui renoue avec l’ancienne tradition des mystères médiévaux : tendresse et humanité, noirceur et tragédie, à la façon aussi des tragédies antiques où le chœur incarne à lui seul un personnage capital dans l’action. Il ne s’encombre jamais d’effets mais cible le cœur par un sens serré, efficace de l’expressivité directe.
Frère Dominique -à la fois sceptique et consolateur-, Jeanne –hallucinée et mystique-, la foule – aux visages divers et contrastés-, recomposent les éléments essentiels d’un drame de la foi confrontée à l’innocence machiavélique des hommes. La pureté virginale de la Pucelle confrontée à la paillardise des simples mortels. Démonisme de la foule et des vivants (truculence des riches comme des gueux), élévation printanière et céleste de l’héroïne (épisodes du Roi qui va-t-à-la guerre, de l’épée de Jeanne). Le personnage de Jeanne, intense et dramatique, offre à toute actrice un rôle puissant et large, porté par l’ascèse poétique du texte de Claudel, qui aime dresser le portrait d’une Jeanne enfant mais à l’âme aussi forte que l’acier.

Discographie
Seiji Osawa (direction). Marthe Keller, Georges Wilson, Chœur et Maîtrise de Radio-France, Orchestre National de France, (1 CD Deutsche Grammophon)

Laurent Petit-Girard (direction). Sonia Petrovna, Michael Lonsdale, Maîtrise des Hauts-de-Seine, Chœur et Orchestre Symphonique Français (2 CD Cascavelle). Incandescente et dramatique, apostrophant tout autour d’elle, Sonia Petrovna est Jeanne, une Jeanne humaine et déchirée qui se consume. Michael Lonsdale est d’une subtilité délectable comme à son habitude, et Laurent Petit-Girard signe là une version qui s’est imposée par sa cohérence et sa véhémence.

Serge Baudo (direction). Nelly Borgeaud, Alain Cuny, Maîtrise, Chœur et Orchestre Symphonique de Prague (2 CD Supraphon)

France musique
Mercredi 18 octobre à 20h

Arthur Honegger
Jeanne au Bucher

Oratorio dramatique
en 11 scènes (1935)
Livret de Paul Claudel

Enregistré le 13 juillet 2006 à l’Opéra Berlioz-Le Corum,
Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon

Sylvie Testud, Jeanne d’Arc
Eric Ruf, Frère Dominique
Mélanie Boisvert, La Vierge
Isabelle Cals, Marquerite
Marie-Nicole Lemieux, Catherine
Eric Huchet, Une voix/Porcus/Héraut I/Le Clerc
Nicolas Testé, Une voix/Hérault II/Un autre paysan

Chœurs de l’Opéra National de Montpellier
Chœur d’Angers Nantes Opéra
Solistes et Chœur d’enfants Opera Junior

Orchestre National de Montpellier
Alain Altinoglu,
direction

Illustrations
Jean-Dominique Ingres, Jeanne d’Arc
Jeanne d’Arc, enluminure, école de Jean Fouquet
Ary Scheffer (attribué), Jeanne d’Arc et Gilles de Rais
Sylvie Testud, Jeanne enfant et Jeanne mystique, © Festival de Montpellier 2006

Richard Strauss, Une vie de héros (1899)France musique, le 20 octobre à 20h

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Vendredi 20 octobre, à 20h
En direct de la Salle Pleyel
Concert Richard Strauss

Après
Don Quichotte (1898), Une vie de Héros, opus 40, met un terme au cycle
grandiose des poèmes symphoniques que l’auteur porte à son paroxysme
expressif, tout en absorbant les formes et les pistes de la modernité.
Strauss s’essaie avec liberté et invention à expérimenter une très
large palette de possibilités instrumentale, certes circonscrit dans le
« cadre » fixé par son sujet, ici une auto proclamation, une sorte de
journal autobiographique, une manière de double musical. Son esprit
facétieux autant qu’épique donne matière à un foisonnement de
l’écriture qui n’est pas seulement « descriptive » : il est aussi
purement instrumental, expérimental, toujours évocatoire…
A
l’époque de la Seconde Symphonie « Résurrection » de Mahler, également
autobiographique, Strauss semble animé par une même aspiration
spirituelle qui lui inspire ce mouvement spéculatif, expiatoire,
démonstratif sur sa propre carrière. Il a trente cinq.
Evocant les
épisodes d’une épopée domestique, six morceaux s’enchaînent formant une
ample sonate organisée par un ciment thématique (onze thèmes distincts)
dont le style a été considéré comme le plus classique des poèmes
composés, regardant vers Beethoven ou Berlioz.
L’oeuvre dédiée à
Willem Melgelberg et à l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam est
créée le 3 mars 1899 sous la direction de l’auteur, suscitant
l’enthousiasme du public.

1. « Der held », le héros. Au
commencement telle une autoproclamation dont la critique éreintée,
malgré le succès immédiat de l’oeuvre jusqu’à l’hystérie (selon les
témoignage de Romain Rolland), a reproché le narcissisme volontaire,
Strauss se présente avec une emphase lyrique pleinement assumée : c’est
l’avènement du héros victorieux et conquérant, défiant l’univers et les
hommes, dans la tonalité de mi bémol majeur, celle du triomphe.
2. « Des Helden Widersacher »
: il s’agit d’un scherzo caricatural dans lequel l’auteur épingle les
« ennemis duhéros » : ces critiques gavés de fausses et étroites
certitudes à l’esprit arrogant et pincé. Flûte, hautbois puis tuba
insistent sur la tonalité sarcastique de la pièce où malgré de vains
assauts contraires, le héros triomphe toujours.
3. « Des Helden Gefährtin »,
la compagne du héros est madame Strauss soi-même : personnalité
versatile et capricieuse s’il en est, comme l’indique le violon solo.
agitations, disputes? tout se calme bientôt en un long adagio amoureux,
pacifié.
4. « Des Helden Walstatt » : l’emportement guerrier
des trompettes installent « le combat du héros » : les adversaires du
deuxième chapitre, reparaissent. Volée de projectiles (flûte piccolo),
fracas des armes affrontées (cuivres) : la guerre brossée par un
Strauss qui veut en découdre enthousiasme Rolland qui reconnaît « la
plus formidable bataille jamais peinte en musique! ». L’envolée martiale
s’achève sur un nouveau chant de victoire (exaltant si majeur)
5. « Des Helden Friedenswerke »
expriment les « oeuvres de paix du héros » : aspiration mystique,
conscience philosophique qui citent les poèmes antérieurs, « Don Juan »
et « Zarathoustra » (aux cors à la noble puissance), mais encore, « Mort
et Transfiguration », « Don Quichotte » : l’auteur fait face à son oeuvre
et s’expose à une sorte de bilan personnel et rétrospectif
6. Après un court intermède tragique,
c’est « la retraite du héros et l’accomplissement » ( Des helden
weltflucht und vollendung) : cor bucolique, puis thème de la
résignation, enfin, renoncement exprimé en une lente berceuse. Au terme
du cycle des épreuves, le héros assume le sens de toute une vie
pleinement acceptée.

Concert Richard Strauss
En direct de la salle Pleyel
Jusqu’à 23h

« Prima la musica »
Présentation : Martin Kaltenecker

Don Juan
Capriccio : Scène finale
Une vie de héros

Soile Isokoski, soprano
Orchestre Philharmonique de Radio France
Paavo Järvi, direction

Hector Berlioz, Les Troyens (1863)à l’affiche d’octobre et novembre 2006

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Hector Berlioz,
Les Troyens,
1863
La Prise de Troie
Les Troyens à Carthage

Livret du compositeur
opéra en cinq actes et neuf tableaux
d’après L’Enéide de Virgile

A l’Opéra Bastille à Paris et à l’Opéra du Rhin
Du 11 octobre au 21 novembre 2006

L’oeuvre que ne vit jamais Berlioz
« Un aigle irrité auquel on a refusé son essor » : le portrait que brosse Théophile Gautier du « Grand Hector », nous rappelle combien furent sombres les dernières années parisiennes du musicien. Refus, malédiction : autant d’obstacles conspirant contre sa reconnaissance dont la vaine « Panthéonisation » annoncée, remise, abandonnée, fut en 2004, un nouvel avatar. A défaut des honneurs de la pierre, le dvd, le disque, puis enfin les scènes de la rentrée 2006 sont en passe de restituer au génie musicien, un peu de son lustre.

Objet de sa plus grande et profonde déception, l’opéra « Les Troyens », fut pour leur auteur, Hector Berlioz, une succession de ressentiments amers, la confirmation que toute gloire lui était interdite. Ce qu’il tenait pour sa dernière grande œuvre lyrique, l’équivalent de la tétralogie Wagnérienne, ce qui devait être un cycle jamais vu ni écouté jusque là, fut tout bonnement évacué par l’insouciant et pompeux Second Empire qui lui préféra toujours Meyerbeer et Offenbach.

Pourtant la fresque est inclassable autant que visionnaire : les cinq actes – presque 4h20 de musique- nous sont restitués ici quand le compositeur, de son vivant, ne put monter qu’une version réduite et dénaturée en « deux actes » (Paris, théâtre lyrique, 1863), devant un public visiblement déconcerté par son ampleur et ses audaces.

Lecteur de Virgile, Gœthe et Shakespeare, jamais Berlioz ne fut autant inspiré. Il y convoque les héros de l’Enéide en de terrifiants et sublimes tableaux : la musique façonne une épopée exaltante où les scènes humaines, d’un pessimisme noir, sont vivifiées par l’apparition des héros de la Mythologie. Berlioz nous livre sa science musicale (qui cite Rameau et Gluck), son étonnante culture poétique et littéraire (de Virgile, il puise le montage du livret qu’il écrit lui-même en y associant le souffle de la poésie Shakespearienne), surtout une idée du théâtre musical digne d’un tympan grecque : son marbre est le plus pur et les lignes qu’il y cisèle, sont du plus noble style.

A l’affiche
Rendez-vous d’abord à l’Opéra Bastille (du 11 octobre au 8 novembre, sous la baguette de Sylvain Cambreling, dans la mise-en-scène du regretté Herbert Wernicke qui l’avait produite pour le festival de Salzbourg en 2000, réalisée pour cette « recréation » parisienne par Tine Buyse). Avec Deborah Polaski dans les rôles de Cassandre et Didon.
Puis, à l’Opéra du Rhin (sous la direction de Michel Plasson, mise-en scène : Andreas Baesler, du 25 octobre au 21 novembre).

Parcours d’une oeuvre
Du studio à la scène. Sur les traces de Thomas Beecham et Rafael Kubelik, Colin Davis dans les années 1960 décidait d’exhumer (puis d’enregistrer au studio pour Philips en 1977) la fresque berliozienne d’autant plus pertinente qu’elle était grâce à lui intégralement restituée. Première résurrection, premier grand succès. C’est en 1990, un second coup de tonnerre qui consacra le chef d’oeuvre, lorsque Myung-Whun Chung dirigea pour inaugurer la nouvelle salle de l’Opéra Bastille, des Troyens en grand apparat, grâce à la mise en scène de Pier Luigi Pizzi. Enfin, John Eliot Gardiner donnait en 2004 une superbe production enregistrée pour le dvd au Châtelet. L’oeuvre grandiose poursuit donc sa route et l’Opéra Bastille confirme la place d’un opéra, jusque là écarté.

Radio
Les Troyens de Berlioz à l’Opéra Bastille
En direct sur

Le 4 novembre à partir de 18h

Illustrations
Jean-Dominique Ingres, le songe d’Ossian (Musée de Montauban)
Girodet, Ossian accueille les fantômes des héros français (1802, Musée de la Malmaison)

Gaetano Donizetti, Lucia di Lammermoor (1835)France musique, le 7 octobre à 19h

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Soirée opéra


Gaetano Donizetti
Lucia di Lammermoor,
1835

Donizetti

Né Bergamasque en 1797, Donizetti est le chaînon reliant Rossini à Verdi. Jeune compositeur reconnu à 25 ans, en 1822 avec son premier opéra, « Zoraide di Granata« , il enchaîne les oeuvres lyriques jusqu’en 1830, pas moins de 26 opéras nouveaux sur les épaules d’un jeune homme de 33 ans. C’est à partir de 1830, avec Anna Bolena, Torqueto Tasso, Lucrezia Borgia (1833), suivent en 1835, Maria Stuarda et Lucia di Lammermoor que le compositeur définit le nouvel opéra romantique. D’autant que la mort de Bellini (Puteaux, 1835) et la retraite de Rossini, lui ouvre les portes de tous les théâtres d’Europe.
Pour l’Opéra de Paris, il écrit ensuite, Les Martyrs, La Favorite et Dom Sebastian ; La Fille du régiment pour l’Opéra-Comique ; Linda di Chamounix et Maria di Rohan pour Vienne. Son dernier chef-d’oeuvre, Don Pasquale, voit le jour au Théâtre des Italiens en 1843. C’est une perle lyrique dans le registre pourtant déjà vu de la Comedia dell’arte. Malgré les deuils qui entâche la vie personnelle de l’auteur, et même de graves difficultés physiques, Don Pasquale renouvelle la pure comédie rossinienne.
Hospitalisé à Ivry en 1846, il meurt deux années plus tard en 1848 dans sa ville natale de Bergame, d’une dégénérescence cérébro-spinale.

Lucia
Le librettiste de Donizetti, Salvatore Cammarano, relit la Fiancée de Lammermoor de Walter Scott (1819) et la tragédie tirée de ce roman par Victor Ducange en 1828. Pour Donizetti, tragédie du destin de Lucia et virtuosité vocale sont indissoluble.
Précurseur de Verdi, le théâtre de Donizetti fixe des cadres qui seront repris ensuite après lui, comme les poncifs de l’opéra romantique italien. Le sextuor qui conclue l’acte II, où chacun des protagonistes chantent sa solitude pourtant simultanément aux autres personnages, la scène de la folie de l’acte III restent les temps forts de la partition. Dans un état de transe, semi-consciente au bord de la folie, Lucia erre et revit l’étreinte bienheureuse avec son aimé, Edgardo, au premier acte. L’acrobatie technique exigée de la soliste, fusionne avec la nécessité dramatique : la virtuosité exprime l’extrême désarroi d’une femme déconstruite.
L’opéra est créé à Naples (Teatro San Carlo), le 26 septembre 1835. Il existe une version française validée par Donizetti, créée au Théâtre de la Renaissance, le 6 août 1839.

Présentation : Edouard Garcin

Distribution
Natalie Dessay, Lucia
Matthew Polenzani,
Edgardo di Ravenswood
Salvatore Cordella, Arturo Bucklaw
Ludovic Tézier, Enrico Ashton
Kwangchul Youn, Raimondo Bidebent
Marie-Thérèse Keller, Alisa
Christian Jean, Normanno

Peter Burian, Chef de Chœur
Chœurs et Orchestre de l’Opéra National de Paris
Evelino Pido
, direction

Approfondir
Lire notre dossier Lucia di Lammermoor. La folie de Lucia, victime et meurtrière sied idéalement aux chanteuses à fort tempérament. Patricia Ciofi cet été à Orange, mais aussi Natalie Dessay dont la tenue du rôle-titre sur la scène de l’Opéra Bastille, au mois de septembre 2006, a marqué le grand retour sur la scène, après son opération. La voix retrouvée, intacte, aussi cristalline qu’à son meilleure. Pour preuve ce soir, sur les ondes de France Musique

Illustration
Edgard Degas, scène d’intérieur

Piotr Illyich Tchaïkovski, Symphonie n°6 « Pathétique » Documentaire. Arte, le 28 octobre à 22h30

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En 1893, Tchaïkovski s’investit pour la composition d’une nouvelle symphonie. Symphonie « subjective » dont le programme est laissé énigmatique pour que le public le devine par lui-même. Ainsi que le précise l’auteur dans sa correspondance à son neveu Vladimir Davydov, au mois de février. Tchaikovski emportera avec lui ses secrets les plus intimes puisque malgré la création de l’œuvre à Saint-Pétersbourg, le 16 octobre 1893, sous la direction de l’auteur, la « Pathétique » suscita la réaction déconcertée de l’audience. Or la nouvelle interprétation de la partition sous la baguette, peut-être plus expérimentée de Napravnik, trois semaines plus tard, produisit un éclatant succès. Mais entre temps, Tchaokovski était mort, après s’être suicidé suite à un scandale qui éclaboussait sa vie privée.

Engendrée dans un tel contexte tragique, la « Pathétique » n’a pas manqué d’être assimilée à une sorte de Requiem personnel, où le compositeur ayant la vision de sa mort prochaine, couche sur le papier, l’expérience et les dernières impressions de toute une vie.

Symphonie n°6 en si mineur, « Pathétique », opus 74
En 4 mouvements.
Commentaire. L’œuvre s’ouvre sur un adagio (1) aux résonances lugubres (basson). La lutte du héros s’exprime ouvertement en un développement des plus tragiques, auquel répondent les sonneries aussi solennels que terrifiantes des trombones : appel du Destin, comparution imminente devant le Juge suprême. D’ailleurs, l’auteur a glissé presque imperceptiblement, une phrase du Requiem orthodoxe « qu’il repose avec les saints ».
La valse de l’allegro con grazia (2) apporte un bref moment d’accalmie, même dans l’impression d’une apparente insouciance, les morsures évoquées dans le premier mouvement reparaissent.
Terrifié par la convocation ultime, mondain voire galant ensuite, Tchaïkovski se montre dans l’allegro molto vivace (3) rechargé, déployant la dernière énergie en une marche déterminée qui s’amplifie peu à peu : il y affirme son identité marquée comme une essence agissante. L’adagio lamentoso (4) qui conclue la forme sonate, apporte une réponse tout à fait personnelle à la tradition symphonique depuis Beethoven : un adagio pour finale est le dernier trait du génie de Tchaïkovski. Amertume, souffrance et angoisse sont enlevées une à une pour une traversée irrépressible de l’autre côté du miroir. Prémices de la félicité, paix tant espérée : le flux musical se fait murmure final dans une brume funèbre, conférant à l’ensemble du cycle sa texture originale et visionnaire.

Musica
Samedi 28 octobre à 22h30
« La Pathétique de Tchaïkovski »
Documentaire de Christian Labrande et Iossif Pasternak
(2006, 52 mn)
Le film est ponctué par les répétitions suivies par l’ensemble orchestral de Novossibirsk, sous la direction de Arnold Kats.

Richard Strauss, Elektra (1909)

Une histoire de famille
Clytemnestre, la mère: à l’aide de son amant Egisthe, elle a supprimé son époux Agamemnon, roi de Mycènes. Depuis lors, ses nuits sont hantées de cauchemars. Chrysothémis, la fille: douce, aimante, comme une simple mortelle elle rêve de bonheur terrestre, conjugal et maternel. Electre, soeur de Chrysothémis, sauvage et animale, divine et inconsolable de la perte du père. Elle vit dans la névrose engendrée par le désir de vengeance du meurtre commis par la mère. Oreste, le frère. Eloigné de bonne heure du foyer familial pour échapper aux meurtriers d’Agamemnon, il est appelé à jouer un rôle important dans l’expiation du crime. Alors qu’on le croyait mort au combat, il réapparait. Electre le conjure de l’aider à accomplir l’acte de vengeance.

Voici la trame sur laquelle le génial poète viennois Hugo von Hofmannsthal élabore son drame théâtral, Electre en 1903, revisitant le tragique mythe des Atrides d’après le drame classique de Sophocle. Enthousiaste après une représentation de la tragédie dans une mise en scène de Max Reinhardt à Berlin, Richard Strauss entreprend de rencontrer le poète pour évoquer une adaptation à la scène lyrique. Celui-ci parvient à dissiper les appréhensions du compositeur, qui craint la similarité du thème avec celui de Salomé. Strauss se lance dans la composition, Hofmannsthal dans l’élaboration du livret. Après une longue gestation, l’oeuvre est prête à l’automne de 1908. Elektra, opéra en un acte, sera créé au Théatre Royal de Dresde le 25 janvier 1909.

Destruction, renouveau. Première oeuvre issue de la collaboration exemplaire entre Strauss et Hofmannsthal, Elektra inaugure la longue série de chef-d’oeuvres réalisés par le duo légendaire: Der Rosenkavalier (1911), Ariadne auf Naxos (1913), Die Frau ohne Schatten (La Femme sans ombre, 1919), Arabella (1933)…, pour ne citer que les plus connus. S’il est le premier opéra conçu en commun par le compositeur et le poète, Elektra est aussi l’un des plus révolutionnaires. Au-delà de la densité psychique du propos, Elektra est une oeuvre de renouveau formel. Initié avec Salomé, le travail du compositeur sur la forme se poursuit. Strauss va plus loin encore dans le processus de déconstruction de l’opéra romantique. L’oeuvre est condensée: un seul acte pour quatre-vingt dix minutes de violence et d’obsession, durant lesquelles le compositeur ne laisse aucun répit à l’auditeur-spectateur. Ni prélude, ni ouverture, le drame est présent dès les premiers déchaînements de l’orchestre. L’opposition classique entre deux couples, formés traditionnellement l’un par la soprano et le ténor, l’autre par le baryton et la mezzo, est anéantie. C’est autour d’un trio de femmes que tout oppose, que l’opéra se construit, à peine troublé par deux personnages masculins dont finalement seul l’un, Oreste, est véritablement protagoniste.

Le langage musical reste tonal, mais le compositeur repousse sans cesse les limites de l’harmonie dans ce véritable drame expressioniste, « explorant les confins les plus extrêmes de la réceptivité de notre ouïe moderne » tel que Strauss l’a raconté lui-même dans ses Anecdotes et souvenirs. Une conversation symphonique, et non plus une succession d’arias entrecoupée de récitatifs cernés par des intermèdes instrumentaux, le langage musical se fait maelström, wagnérien, flot ininterrompu qui, dans un immense crescendo, mène au climax quasi insoutenable de la scène de la reconnaissance.

Vengeance, expiation. On chuchote à l’oreille de Clytemnestre qu’Oreste est mort: la reine, triomphante, exulte, se croyant libérée de ce fils dont elle craint le retour. Electre quant à elle, est dévastée à l’annonce de la mort du frère en qui elle avait mis tous ses espoirs de vengeance. Mais la nouvelle est contredite par l’arrivée aux portes du palais d’un étranger, qui dit avoir une mission à accomplir. Ne reconnaissant pas son frère, Electre accueille l’étranger avec arrogance et froideur, lui enjoignant de la laisser à sa souffrance. Petit à petit, au gré du dialogue, le frère reconnait en la pauvresse en haillons, la fille d’Agamemnon, et Electre, en l’étranger Oreste, le frère tant attendu.

« Oreste ! Oreste ! Oreste … » La reconnaissance du frère libérateur conduit à l’extase, tant dramatique que musicale. La scène, d’une puissance émotionnelle inouie, est l’une des plus extraordinairement belles qui ait jamais été créées pour la scène lyrique. Le retour d’Oreste permet à Electre de sortir un moment de sa torpeur névrotique, et d’insuffler à son frère la force nécessaire pour accomplir l’acte matricide qui vengera le meurtre d’Agamemnon. La pénombre du palais de Mycènes. Des hurlements déchirent la nuit. La hache vengeresse s’abat sur Clytemnestre, puis sur Egisthe. L’oeuvre est accomplie. Electre s’écroule dans une danse extatique, mélange d’ivresse et d’hystérie, tandis que Chrysothémis, hagarde, appelle Oreste.

Elektra

Dresde, Opéra Royal, 25 janvier 1909
Tragédie en un acte
Texte de Hugo von Hoffmansthal
d’après la tragédie de Sophocle

Discographie
La discographie est éblouissante de richesse et de qualité. Pour plus de quinze enregistrements disponibles, difficile, parmi les versions au sommet, de départager Solti (Decca, 1965) et Böhm (Deutsche Grammophon, 1961). La sonorité rutilante du Wiener Philharmoniker sous la baguette de Sir Georg Solti avec un plateau vocal dominé par l’Elektra de Birgit Nilsson et la Clytemnestre de Regina Resnik, n’ont d’égal que la sobriété de Karl Böhm et la splendeur des couleurs de la Staatskapelle de Dresde avec la légendaire Inge Borkh en Elektra et Dietrisch Fischer-Diskau dans le rôle d’Oreste. Lire également notre critique de l’excellente version signée récemment par Semyon Bychkov à la tête du WDR Sinfonieorchester Köln avec Deborah Polaski dans le rôle-titre (Hanssler, 2004).

Dvdthèque
Incontournable, le film tourné par Götz Friedrich en 1981 dans une mise en scène impressionnante de violence et de cruauté, disponible en DVD depuis 2005. Vingt ans après l’enregistrement cité ci-dessus, Karl Böhm et les Wiener Philharmoniker reviennent à Elektra, avec une distribution d’une force plus hallucinante encore qu’en 1961: Leonie Rysanek (Elektra), Astrid Varnay (Clytemnestre), Dietrisch Fischer-Diskau (Oreste). Deux DVD Deutsche Grammophon agrémenté d’un documentaire passionnant sur la genèse de cet enregistrement hors du commun.

Approfondir
Richard Strauss, Elektra, par Semyon Bychkov (Hänssler)
Elektra, fragments d’une mise en scène
la biographie de Richard Strauss

Illustrations
Pierre-Narcisse Guérin, Le meurtre d’Agamemnon (Musée du Louvre, Paris)

Entretien avec François-Frédéric Guy (piano)

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Pour Naïve, le pianiste François-Frédéric Guy réenregistre la Hammerklavier de Beethoven. Passion pour une oeuvre qui l’accompagne depuis toujours et qu’il a donné plus de soixante fois en concert, depuis sa première gravure en 1997 ; modernité de la parition ; évocation des opéras de Wagner et de Richard Strauss que le pianiste apprécie particulièrement. Entretien.

Vous semblez entretenir une très forte relation avec la Hammerklavier de Beethoven que vous reprenez dans votre album Naïve. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cette partition est-elle importante à vos yeux ?

C’est une œuvre qui m’accompagne en permanence ; c’est mon livre de chevet. Je l’ai travaillée très tôt et continue de l’aborder sans en épuiser ni la richesse ni les implications. Depuis mon premier enregistrement paru en 1998, je l’ai jouée plus d’une soixantaine de fois en concert; ma vision a évolué. Je pense que je n’en atteindrai jamais les limites, mais je peux sans avoir la prétention d’offrir une version « définitive », en repousser les perspectives… qui sont multiples. C’est comme lorsque vous visitez un continent : à votre retour, après l’avoir quitté, certaines images, certains épisodes se précisent avec plus de détails et d’acuité que d’autres…


Mais quel aspect vous passionne particulièrement ?

Il y a bien sûr l’adagio qui est un sommet de la littérature ; il est en cela assez proche de l’adagio de la Neuvième symphonie. Mais je crois que ce sont les répercussions artistiques, musicales, philosophiques de l’œuvre qui me fascinent. Toute nouvelle lecture n’est valable que dans le moment où vous la réalisez : je pourrais enregistrer 10 ou 20 fois cette œuvre inclassable.


Justement existe-t-il, de votre point de vue, une autre partition de Beethoven qui présente des aspects semblables à la Hammerklavier ?

La place de la Hammerklavier est spécifique. Il ne s’agit pas vraiment d’un testament artistique. Dans la mesure où ce terme convient mieux aux derniers Quatuors ou aux trois dernières sonates. La Hammerklavier constitue un enterrement en grande pompe de la sonate classique. Beethoven dresse la synthèse du genre, il nous laisse un archétype, une quintessence unique. Il veut à la fois s’en affranchir tout en repoussant les limites expressives du cadre. Je crois que la Neuvième Symphonie partage cette volonté d’approfondissement et de dépassement. C’est l’une des Symphonies les plus ambitieuses, par sa durée et son propos (adjonction d’un chœur et de solistes). Après la Hammerklavier, avec l’opus 109 qui suit, Beethoven change radicalement de cap.


Vous êtes passionné par l’opéra. Y puisez-vous une source d’inspiration pour votre jeu et pour votre approche des œuvres ?

Je suis plus précisément passionné par Wagner et Richard Strauss, lesquels d’ailleurs m’ont permis de renouveler ma compréhension des œuvres, mon choix des répertoires aussi. Je pense en particulier à l’école de Vienne et aux compositeurs germaniques.


Chez Wagner et Strauss, quelles sont les œuvres que vous appréciez le plus ?

Le Crépuscule des Dieux est fascinant parce qu’il exprime une vision noire ; j’aime la volonté de puissance qui s’en dégage et aussi sa résolution en cataclysme. Je trouve l’idée d’un cycle musical qui se déroule ainsi dans la durée, passionnant. Mais la musique également est stimulante, comme son ampleur et sa capacité à exciter notre imaginaire. Chez Strauss, j’ai la même difficulté pour choisir une œuvre parmi les autres. Ma préférence irait plutôt du côté des opéras de la jeunesse, Elektra, Salomé, mais je garde une préférence pour un ouvrage assez rare sur les scènes de théâtre, la Femme sans ombre. Il y a peut-être quelques longueurs mais Strauss me fascine aussi par les relations harmoniques qu’il y ose et développe. Toute mes études ont été bercées par la musique et le chant de personnages de l’opéra : je conserve en particulier à l’esprit, les voix de James King, Birgit Nilson Leonie Rysanek dans la version de Karl Böhm.

Propos recueillis par Alexandre Pham

4 dates clés dans la carrière de François-Frédéric Guy

1997
premier enregistrement de la Hammerklavier

1999
Débuts avec l’orchestre de Paris et Wolfgang Sawallisch (Concerto n°2 de Brahms, Salle Pleyel)

2005
Rencontre avec Esa-Pekka Salonen à Londres (Concerto n°2 de Prokofiev avec le Philharmonia Orchestra)

2006
second enregistrement de la Hammerklavier
(Naïve)

Approfondir
Lire notre dossier « les opéras de Richard Strauss » dans lequel figure la version de la Femme sans ombre par Böhm (live Salzbourg 1977).
Lire notre critique de l’album Beethoven de François-Frédéric Guy, paru chez Naïve en septembre 2006.

Crédits photographiques
© Naïve – Serge De Rossi

Richard Wagner, Tristan und Isoldeà l’affiche d’octobre 2006

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L’oeuvre par laquelle modernité et scandale, se sont pleinement imposés, occupe l’affiche des scènes lyriques d’octobre et jusqu’au 2 novembre. Tour à tour, les opéras de Montpellier (jusqu’au 11 octobre) et de Bruxelles (La Monnaie, jusqu’au 2 novembre) proposent une lecture nouvelle de l’opéra Tristan und Isolde de Richard Wagner.
Une occasion pour nous de réviser notre compréhension de l’oeuvre.

Tristan und Isolde
action musicale (musikalische handlung)
en trois actes
livret du compositeur
Première à Munich, Hoftheater,
le 10 juin 1865

Tristan à l’affiche

Opéra de Montpellier

Du 5 au 11 octobre
Direction : Friedemann Layer
Mise-en-scène : Georges Lavaudant

La Monnaie de Bruxelles
Du 14 octobre au 2 novembre
Direction : Kazushi Ono
Mise-en-scène : Yannis Kokkos

En liaison avec la production de Tristan,
La Monnaie organise une journée d’étude
le 21 octobre (Salle des choeurs), de 9h30 à 18h
en français et en anglais (15,10,5 euros)
Reinseignements : [email protected]
Téléphone : 00 + 02 229 13 85

Approfondir
Lire notre dossier « Tristan und Isolde »

Illustrations
Klimt, le baiser
Ary Scheffer, Les amants (à la une)

Henri Sauguet, les caprices de Marianne (1954)Théâtre Impérial de Compiègne, les 1er et 8 octobre

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Henri Sauguet
Les Caprices de Marianne
(festival d’Aix-en-Provence, 1954)
Opéra comique en deux actes
Paroles de Jean-Pierre Grédy
d’après la pièce de Musset

Direction artistique & mise en scène, Pierre Jourdan
Scénographie & costumes, Jean-Pierre Capeyron
Lumières, Thierry Alexandre

Orchestre Français Albéric Magnard
Direction, Miquel Ortega

Avec
Isabelle Philippe, Marianne
Magali Damonte, Hermia
Armando Noguera, Octave
Stéphane Malbec Garcia, Coelio
Matthieu Lecroart, Claudio
Lionel Muzin, Tibia
Mathias Vidal, l’aubergiste et le chanteur de sérénades
Jean-Pierre Descheix, la Duègne

Henri Sauguet (1901-1989)
Né à Bordeaux le 18 mai 1901, Henri Sauguet se passionne enfant pour le clavier (piano et orgue) et le chant. Quand éclate le confit de 1914, il doit suspendre ses espoirs d’un apprentissage au conservatoire. Après la guerre, il est l’employé de la préfecture de Montauban et rencontre Joseph Canteloube qui l’initie à l’harmonie. Dès 1920, il donne ses premiers concerts au sein du groupe des Trois, qu’il a fondé avec Louis Emié et Jean-Marcel Lizotte.
D’abord Debussyste, son oeuvre gagne en maturité personnelle avec la suite de pièces pour piano, « Françaises » (1923).
A Paris, grâce à l’entremise de Milhaud qui l’invite dans la Capitale, berceau enivrant des Années Folles, il fréquente le groupe des Six, en particulier Satie. Il parfait sa formation musicale auprès de Canteloube et surtout Koechlin. Le jeune provincial devient mondain fréquentant Max jacob et Christian Dior, le peintre Jacques Dupont : d’emblée, Saugeut fait figure de tête de file des « rénovateurs du style spontané », prôné par Cocteau.
Henri Poupart devient alors Henri Sauguet : l’opérette « le plumet du colonel », un ballet « les roses, l’impose dans le milieu parisien. 1927 marque la reconnaissance de son talent comme compositeur lorsque Diaghilev lui commande un nouveau ballet, « la Chatte », créé à Monte-Carlo avec Serge Lifar. Si le créateur suscite l’attention des contemporains, l’homme aussi séduit ceux qui l’approche. Il se montre fidèle en amitié, brillant, fin, doué d’un amour subtil. Son ballet, « les forains » composé en 1945 fait le tour du monde et consacre sa notoriété.
Les Caprices de Marianne couronne une oeuvre dramatique qui comprend aussi, « la chartreuse de Parme » (1936) et « la gageure imprévue » (1942).
Membre de la SACD, de la SACEM, il devient académicien en 1976. Auteur pour l’opéra, la danse (au total, 25 ballets), le cinéma, la radio (il travaille pour ces nouveaux medias surtout entre 1933 et 1965), et le théâtre (« Ondine » en collaboration avec Louis Jouvet, 1939), Sauguet reste un compositeur à redécouvrir d’autant que le catalogue de son oeuvre comprend aussi de nombreuses pièces de musique de chambre, de mélodies et de musique symphonique. Son succès tient à la clarté accessible de son écriture, spontanée, compréhensible, apparemment absente de toute sophistication érudite ou savante. Son sens de la mélodie contribue aussi à la séduction de son oeuvre.
Son jardin culturel et artistique vénère Verlaine et Cocteau dont il adhère aux idées esthétiques fondées sur une liberté de création, un culte à la mesure, son affranchissement de toute littérature ; il admire aussi Mallarmé.

Les caprices de Marianne
Créé le 20 juillet 1954 au festival d’Aix-en-Provence, le dernier opéra de Sauguet souhaite renouer avec une inspiration romantique. L’intrigue offerte par la pièce de Musset donne un prétexte au compositeur pour réaliser ce projet. L’idée aurait germé alors que le compositeur, familier du Festival, convive d’un dîner donné en présence de la cantatrice Lily Pons, se serait entendu proposer le projet d’un nouvel opéra pour le festival de 1954. En définitive, la cantatrice indisposée ne chantera pas pour la création, et c’est la soprano Gabriella Sciutti qui la remplacera dans le rôle de Marianne.
Malgré le succès de la création, l’oeuvre tombe vite dans l’oubli. Pourtant pour Gabriel Dussurget, directeur du festival aixois, Sauguet incarne l’esprit français : « le sérieux frivole ou, si l’on veut, la France à la frivolité sérieuse« .

Durée : 2h40 avec entracte

Théâtre impérial de Compiègne
Dimanches 1er et 8 octobre
à 17h30

Conférence
Le 1er octobre 2006, à 16h dans le Salon de l’Empereur :
Conférence de Hélène Rochefort-Parisy,
« A la découverte des opéras de Sauguet ». Entrée libre et gratuite

Un dvd de la production présentée à Compiègne est annoncée chez Cascavelle

Approfondir
Consultez la fiche de la production sur le site du théâtre Impérial de Compiègne

Giuseppe Verdi, Falstaff (1893)Mezzo, le 30 septembre à 20h45

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Le génie se bonifierait-il avec le temps ? Rien de plus avéré dans le cas de Verdi qui laisse pour ultime ouvrage en 1893, à 79 ans, un chef-d’œuvre comique d’une tonicité et d’une maîtrise musicale inégalées. Sir John Falstaff est ce bouffon sérieux, naïf et vaniteux, qui tient autant du Casanova drolatique que du brave compère de taverne. Ici tout tourne autour de la duperie et du ridicule : leçon de cynisme et aussi de philosophie où notre héros apprend à ses dépens que le monde est farce. Verdi a puisé chez Shakespeare (Les Joyeuses commères de Windsor) ce personnage truculent et a demandé à son librettiste, Arigo Boito, qui avait déjà « écrit » Otello (1887), de réadapter le sujet.

Riccardo Muti, verdien affirmé parfois massif, affine son propos et donne de Falstaff, dans cette captation de 2001, une vision classique (pour le centenaire de la mort du compositeur italien), d’autant que le plateau vocal comporte de vrais atouts, d’autant plus mis en valeur que la salle petite, celle du Teatro de Busseto, favorise l’intimité et la ciselure des voix. Palmes à Inva Mula et son apparition féérique dans le tableau nocturne à la minuit sonné ; duo caquetant à souhait de Barbara Frittoli et Anna Caterina Antonacci ; élégance et style également du côté des hommes, avec Juan Diego Florez qui campe un Fenton amoureux et palpitant. Dans la fosse, la baguette de Muti s’ingénie avec pertinence et finesse : rien de surprenant donc à ce que cette production soit un moment convaincant.
L’épopée burlesque se révèle allégorie de la condition humaine. Verdi inspiré par le drame de Shakespeare (circa 1595-97), retrouve la charge poétique du poète et dramaturge anglais : la farce et le cynisme nourrissent la violence subversive de la partition laquelle recèle mille et une « trouvailles » instrumentales. Grâce aux chanteurs, l’articulation délectable de l’italien s’accomplit dans un texte qui plonge dans l’esprit de la Commedia dell’arte, et donc aux racines du théâtre piquant et pittoresque. Il faut entendre à ce titre la scène de féerie nocturne qui ouvre l’acte III où chacun pour mieux tromper Falstaff se travestit en lutins et en fées ; il faut surtout prêter une attention décuplée au final qui est un rire collectif construit sur une fugue magistrale. Chanteurs inspirés et tous musiciens sans exception, chef sculpteur et impliqué, mise en scène sobre et non décalée (tous les costumes dans le style Renaissance ont été recréés selon une représentation documentée de 1913), cette production est un très bon spectacle.

Distribution
Inva Mula, Nannetta
Juan Diego Florez, Fenton
Barbara Frittoli, Alice
Anna Caterina Antonacci, Meg
Ambrogio Maestri, Sir John Falstaff

Choeur et orchestre du théâtre de la Scala
direction, Ricardo Muti

Réalisation : Ruggero Cappuccio
Durée : 2h05mn

Diffusion
Le 30 septembre à 20h45

Approfondir
Lire notre grand dossier Giuseppe Verdi
Après la diffusion de l’opéra, Mezzo diffuse un portrait de l’interprète de Nannetta, la soprano albanaise Inva Mula

Fitzcarraldo de Werner Herzog (1982)

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Fitzcarraldo… un nom de consonance romanesque qui sonne comme un opéra ! « Appelez moi « Fitzcarraldo, car ici les habitants ne peuvent pas prononcer mon nom correctement ; je m’appelle Fitzgerald ». C’est peut-être moins pour soulager la prononciation des indigènes que nourrir sa propre mythologie que le héros du cinéaste Werner Herzog, se proclame ainsi tel une figure de légende. Qui n’a pas depuis la sortie du film, où brille le feu ardent de l’acteur Klaus Kinski, fantasmer, imaginer mille et un épisodes sur ce nom, véritable porte de l’imaginaire.
Herzog a renouvelé la réussite d’Aguire (1971) soit dix ans avant Fitzcarraldo, en reprenant la même équipe, l’acteur (Klaus Kinski), le compositeur Popol Vuh (à ce titre, la musique de la BO originale n’est pas la plus inspirée ; nous préférons de loin, l’insertion incongrue et d’autant plus poétique, de la musique classique et de l’opéra, dans le massif amazonien), le chef opérateur, Thomas Mauch…
Il en résulte un livre d’images à la puissante attraction délirante. Un imaginaire qu’on a dit, faute d’adjectifs plus adaptés, « baroque » ; baroque, peut-être parce que la quête de l’aventurier Fitzcarradlo s’assimile à la course tout aussi vaine et inutile du Chevalier Don Quichotte, tous deux, figures ridicules, brasseurs de chimères ; un imaginaire qui a choisi d’ancrer ses perspectives dans la jungle amazonienne, sous la vapeur chaude et brumeuse des arbres impénétrables, entre montagnes et bras de fleuves ondulants.
Un air chanté par Caruso peut-il déplacer non pas des montagnes, mais bel et bien un bateau au dessus d’une montagne ? L’ivresse lyrique peut-elle inspirer l’impossible? ici, faire reculer une horde d’indiens hostiles ; là, nourrir l’utopie d’un ancien ingénieur de chemin de fer recyclé en aventurier, en rêveur halluciné ? Autant de questions qui excitent bien sûr notre imaginaire, et fondent l’attraction du film, mais cela n’est pas tout.

Fantasmagorie visuelle et rite de passage
Outre la fantasmagorie visuelle de cette utopie filmée, – qui valut au réalisateur le prix de la mise en scène au festival de Cannes 1982-, l’écriture d’Herzog cible l’indicible et se délecte dans l’allusif. Mains effleurées plutôt que paroles inutiles, ombres dessinant d’improbables visages, dialogues « allumés » plutôt que platement narratifs : tout ici est à l’économie et à la concision. Economie qui évite sagement l’effet, parfois fait traîner le préambule, mais l’oeil reste constamment fasciné par le visage, et son expression lunaire, d’un Klaus Kinski extra-terrestre, véritable sismographe des états émotionnels environnants. Sa passion de l’opéra est émouvante, elle est vécue avec emphase et délire, grandiose et aussi, un sens certain du tragique. Au travers des tableaux magnifiquement taillés sur le motif naturel, dans un éclairage d’étuve, les épreuves qui s’imposent à l’aventurier et son équipe, tiennent du rite de passage. Tout le film est bâti sur la ligne tendue de cette quête sans fin, irrépressible.
Qu’aurait-pu faire finalement l’ homme qui rêve de construire un opéra en pleine jungle, sans le concours des indiens réducteurs de têtes ?
Comment rencontrer l’autre et lui communiquer une énergie de dépassement, sans le concours des paroles, avec pour seul lien, l’intensité d’une passion hallucinante ?
Aux côtés de l’astre somnambule Kinski, Claudia Cardinale donne son nom au bateau de tous les défis, « Molly ». Elle est d’une élégance savoureuse et complice, l’associée et la maîtresse, bluffée comme tous les autres, par « ce conquérant de l’inutile ».

Et la musique…

dans ce film conçu comme un conte fantastique et féérique ? Elle donne sa matière à une série de climats dont la beauté cible le cœur. Par extraits, toujours par la voix de Caruso, l’opéra italien retentit dans la forêt ; Wagner est cité pour son Parsifal ; surtout, un trop court extrait de la Nuit Transfigurée de Schönberg souligne l’étrange rêverie qui émane de l’image du bateau coulant sur le ruban fluvial : coque élégante en suspension entre deux mondes, et qui bientôt ne touchera plus terre, s’élévera même par dessus la cime d’une montagne, par la seule volonté d’un homme ivre d’opéra. Que la machine lyrique ait depuis toujours suscité la passion de la féérie, nous n’en avons jamais douté ; qu’elle s’impose en réalisant l’impossible : rendre visible, l’invisible, exprimer l’indicible, rendre visible, ce qui existe mais que l’on ne voyait plus… défier l’insurmontable, voilà le sujet central de l’œuvre cinématographique. Apprivoiser la fiction, repousser les frontières de l’imaginaire et du conte, pour entrer de pleins pieds dans l’onirisme et le dépassement : c’est le but que s’est fixé et qu’a atteint, Fitzcarraldo, chevalier utopique de la jungle amazonienne.

Fitzcarraldo, film de Werner Herzog (Allemagne, 1982)2h35mn.
Avec Klaus Kinski(Fitzcarraldo), Claudia Cardinale (Molly), José Lewgoy (Don Aquilino), Miguel Angel Fuentes (Cholo)

Cinéma et musique

Que serait le cinéma sans la musique ? Nous avons choisi de vous rendre compte régulièrement des bandes-originales, œuvres des compositeurs de notre temps mais aussi des films, de tous les films légendaires où la musique revêt une beauté aussi ennivrante que l’image. Cinéma/musique = équation difficile, alliance exceptionnelle ? Chostakovitch ne composait-il pas pour le cinéma ? certes, souvent à contre-cœur.
Mais le 7ème art a suscité d’étonnantes collaborations, souvent sur le long terme, qui se sont révélées convaincantes tant elles accordaient idéalement l’image et la musique : que seraient les films de Truffaut sans la musique de George Delerue ; et ceux de Federico Fellini sans la complicité de Nino Rota ?

Ce sont aussi les cinéastes comme Joseph Losey qui ont créé le concept jamais usé depuis, du “film opéra”, plutôt qu’opéra filmé (dont nos lecteurs découvriront les critiques dans notre magazine des dvds). Un genre jamais égalé depuis Losey mais qui reste aussi d’une inventivité fascinante…

L’image n’a jamais plus exprimé que lorsqu’elle était associée à une musique adéquate… Que serait Barry Lyndon sans sa bande-originale qui associe Haendel à Schubert ? Et les autres films de Kubrick, sans l’onde obsédante/fulgurante des résonances façonnées par le cosmique Ligeti ?

Suivez pas à pas nos coups de cœur, selon l’agenda des sorties cinématographiques, mais aussi selon nos envies, à contre courant de l’actualité du calendrier, afin d’exhumer d’authentiques chefs-d’œuvre que le cinéma a produit quand il était en phase avec la musique dite classique…

Sommaire
1. Don Giovanni de Mozart par Joseph Losey(1979)
2. Fitzcarraldo de Werner Herzog (1982)
3. La Flûte Enchantée de Mozart par Kenneth Branagh (décembre 2006)
4. Tosca de Puccini par Benoît Jacquot (2001)

Crédits photographiques
Affiche du Don Giovanni de Losey
Ryan O’Neil dans Barry Lyndon de Stanley Kubrick

Donizetti, Lucia di LammermoorFrance musique, le 7 octobre à 19h

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Jusqu’à 23h

Donizetti
Lucia di Lammermoor

Enregistré en septembre 2006 à l’Opéra Bastille

Opéra en trois actes (1835)
Livret de Salvatore Cammarano
d’après « La Fiancée de Lammermoor »
de Walter Scott et la tragédie tirée du roman par Victor Ducange (en langue italienne).

Présentation : Edouard Garcin

Natalie Dessay, Lucia
Matthew Polenzani, Edgardo di Ravenswood
Salvatore Cordella, Arturo Bucklaw
Ludovic Tézier, Enrico Ashton
Kwangchul Youn, Raimondo Bidebent
Marie-Thérèse Keller, Alisa
Christian Jean, Normanno

Peter Burian, Chef de Chœur

Chœurs et Orchestre de l’Opéra National de Paris
Evelino Pido
, direction

Nouvelle production du chef-d’oeuvre de Donizetti.Lire notre dossier Lucia di Lammermoor. La folie de Lucia, victime et meurtrière sied idéalement aux chanteuses à fort tempérament. Patricia Ciofi cet été à Orange, mais aussi Natalie Dessay dont la tenue du rôle-titre sur la scène de l’Opéra Bastille, au mois de septembre 2006, a marqué le grand retour sur la scène, après son opération. La voix retrouvée, intacte, aussi cristalline qu’à son meilleure.

Illustration
Vermeer de Delft, La jeune fille à la perle

Mozart, Don Giovanni (1787/1788)Arte en direct de Baden BadenLe samedi 6 octobre à 20h

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L’année Mozart poursuit son cours. Soirée opéra sur Arte, de surcroît en direct. Quand le service public démissionne, préférant programmer les opéras après minuit, la chaîne culturelle franco-allemande nous gâte, en nous permettant d’accéder quasi librement et sans effort, dans la salle du Festspielhaus de Baden Baden, pour un Don Giovanni de grande classe, dirigé par le chef flamand René Jacobs.

La production présentée du 4 au 8 octobre 2006 permet de suivre le travail de René Jacobs, dans l’univers mozartien. Les représentations de Baden-Baden suivent celles du Festival d’Innsbrück qui a fêté ses 30 ans en 2006 et est dirigé par le chef flamand depuis 1997. L’équipe donnera par ailleurs, fin octobre, deux sessions en version de concert, à la Salle Pleyel (28 et 29 octobre).
René Jacobs s’intéresse minutieusement aux personnages de Mozart. Son Cosi fan tutte puis ses Noces de Figaro (parus sous étiquette Harmonia Mundi) ont suscité un légitime succè,s commercial et critique. Voilà donc la dernière pierre au cycle des trois opéras que Mozart a composé avec Da Ponte, Don Giovanni.
Créé à Prague en octobre 1787, puis repris à Vienne en mai 1788, « l’opéra des opéras » demeure un chef-d’oeuvre incontesté, par la grandeur préromantique et féérique de sa musique, par la conception neuve et visionnaire, libertaire et séditieuse voire révolutionnaire, qu’apportent les deux auteurs du mythe, traité avant eux par maints artistes, dramaturges ou compositeurs, de Tirso de Molina à Molière, de Goldoni (1736) à Gazzaniga (1782).

Ce soir à Baden-Baden, l’équipe menée par un Jacobs qui connaît Mozart jusqu’au bout des ongles (lire notre critique de son dernier opéra mozartien paru chez harmonia mundi, la Clemenza di Tito), qui se délecte en particulier à caractériser la psychologie des caractères, devrait relever le défi d’une interprétation pertinente et des aléas du direct.

Musica
vendredi 6 octobre 2006 à 20h
en direct de Baden Baden

Vincent Boussard, mise en scène
Vincent Lemaire, scènographie
Christian Lacroix, costumes

Johannes Weisser Don Giovanni
Marcos Fink Leporello
Werner Güra Don Ottavio
Svetlana Doneva Donna Anna
Alexandrina Pendatchanska Donna Elvira
Sunhae Im Zerlina
Nicolai Borchev Masetto
Alessandro Guerzoni Le Commandeur

Chor der Innsbrucker Festwochen (Festival d’Innsbruck)
Freiburger Barockorchester
René Jacobs direction musicale

Lire la fiche de la production sur le site du Festspielhaus de Baden-Baden

Approfondir
Qui est Don Juan? Qu’exprime Mozart? Pour le savoir, lire notre dossier spécial sur Don Giovanni.
Quel
autre regard mérite-t-il d’être connu? Voyez le film-opéra qu’en tira
le cinéaste génial, Joseph Losey dont une réédition superbe car remixée
est parue avant l’été 2006, chez Gaumont. Lire notre dossier spécial consacré au Don Giovanni de Joseph Losey

Don Giovanni à l’affiche
L’actualité sur la scène des théâtres lyriques est florissante au mois d’octobre 2007.
Pour découvrir les productions de Don Giovanni, consultez notre bilan et analyse
de la saison lyrique 2006 / 2007
, chapitre 3 : « la scène mozartienne ».

Illustration
Jacques-Louis David, Monsieur Sérizat (Paris, musée du Louvre)

Crédit photographique
© Rupert Larl

Dimitri Chostakovitch, Lady Macbeth de Mzensk (1934)Arte, le 11 novembre à 22h20

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Chostakovitch a, de longue date, été occupé par le théâtre, constamment inspiré par l’action dramatique. En dramaturge intuitif, il compose ballets, musiques de spectacle, musiques de film, et bien sûr, s’attaque à l’opéra. Le Nez d’après Gogol, est sa première tentative. Un coup de maître. Mais sa quête d’un théâtre de vérité, pleinement passionnel, porté par la dignité tragique d’un personnage, se réalise totalement en décembre 1932, à 26 ans, lorsqu’il achève la composition de sa « Lady Macbeth ». Créé au Théâtre Maly de Léningrad, le 22 janvier 1934, repris presque simultanément à Moscou, sur la scène du Nemirovitch-Dantchenko, l’œuvre fascine immédiatement le public par son intensité voire sa violence formelle.

Mais Chostakovitch va plus loin qu’une simple illustration dramatique d’un fait divers car l’intrigue s’inspire d’abord, avant la Lady Macbeth de Shakespeare, de la nouvelle de Nikolaï Leskov (mort en 1895), publiée dans le revue de Dostoïevski, « Epokha ». Chostakovitch imagine sans ambiguïté les épreuves semées d’infamies d’une femme meurtrière malgré elle, dont le seul crime en définitive, est d’avoir cru à l’amour, par excès de romantisme. Naïveté mais aussi grandeur d’une âme pure, déchirée, qui grâce au parti de l’auteur, sort grandie du drame. Chostakovitch se place continuement du côté de l’héroïne : Katerina n’a ni l’intelligence calculatrice de Lady Macbeth de Shakespeare, ni son instinct manipulateur, si ce n’est peut-être la flamme éruptive, cette passion sanguine qui la mène sans retenue à prendre le bonheur où il se trouve. Confrontation d’une femme de caractère, soucieuse de son bonheur, avec un système perverti et même crapuleux, la partition de Chostakovitch, sans être d’un féminisme racoleur, prend la défense de son héroïne contre le mensonge et la brutalité des hommes : son mari, son amant, son beau-père n’ont ici rien pour se racheter. Chacun incarne la perversion, la servilité et la corruption. Ni obscène ni triviale, encore moins « pornographique » comme on l’a écrit ici et là, sauf peut-être pour des oreilles bien mal inspirées et forcément réductrices, la partition exprime avec économie et tension, la quête avortée d’un être épris d’idéalisme, social et humain. Sans complaisance, l’auteur cerne son sujet avec une maestrià remarquable, tissant en miroir de la personnalité de l’héroïne et des situations auxquelles elle est confrontée, un voile musical lunaire et crépusculaire, d’une force souvent hallucinée, à la fascinante et sarcastique beauté. Son style singulier s’y déploie admirablement dans l’horreur, l’apparente légèreté, l’expression profonde des blessures souterraines. C’est une scène crue, -l’arène des misères et de trivialités du monde-, qu’assène à sa pauvre créature, un Chostakovitch doué malgré son jeune âge, d’un tempérament expressionniste indiscutable.

Les relations du musicien avec le pouvoir soviétique n’ont guère été sereines. Surtout sous la dictature de Staline, lequel après avoir assisté à la première partie de l’opéra, le 26 janvier 1936, décréta l’œuvre impropre et malsaine ; par l’intermédiaire d’un article assassin et acerbe paru dans le journal du Parti, La Pravda, le compositeur âgé de trente ans était décrêté de la même manière,« anti-populaire » et perverti par le formalisme occidental, en contradiction totale avec l’esthétisme du réalisme socialiste. Du jour au lendemain, l’œuvre était retirée de l’affiche, et Chostakovitch, étiqueté persona non grata.
Au moment du dégel, dans les années 1950, sous le règne de Krouchtchev, le compositeur reprend son premier canevas et modifie, coupe, atténue la charge originale : sa « Lady Macbeth du district de Mzensk » est devenue « Katerina Izmaïlova », dont la création a lieu à Moscou en 1963.
Si la nature coupable de Katerina reste pendant tout le drame, une interrogation jamais vraiment élucidée, -l’on serait enclin à penser qu’elle agit par idéalisme moins par défi ni revanche, quoique le milieu humain qui est le sien pourrait faire naître de furieuses envies d’en finir ou d’en découdre-, la musique indique clairement l’humanité du personnage mis en opposition avec la barbarie environnante. En particulier, la société des hommes, dont tous les protagonistes, son mari (Zinovi), son amant (Sergueï), son beau-père (Boris), offre chacun, le visage écoeurant des travers humains les plus abjects : violence, vulgarité, trahison.

La vision féministe de Chostakovitch serait de souligner combien cette femme est moderne, en ne se laissant pas soumettre. En 1930, brosser le portrait d’une humble parmi les crapules, dont les actes meurtriers seraient explicables voire excusables par la nature du milieu social, tient évidemment de la dénonciation politique. C’est un appel à la lutte des classes. L’héroïne même si elle est inspirée par un élan romantique, affirme une volonté libertaire qui proclame l’égalité des êtres, des femmes comme des hommes : Katerina ne manque pas d’aplomb pour défendre la grosse cuisinière, Aksinia, maltraitée par les ouvriers (scène 2, Acte I). Chostakovitch ne décrit pas l’action, il la commente en empruntant des chemins ténus dont la musique dévoile, sans ambiguïté, la charge de dénonciation. Chaque air de Katerina est plein d’une humanité avide, désireuse, d’une pureté étrangère à la sauvagerie musicale qui accompagne chaque glapissement de ses partenaires mâles.
L’orchestration d’un raffinement inouï caractérise intentions, connotations, non-dits et faux semblants d’une action ciselée au couperet. Le lugubre (basson), la profonde plainte d’une âme qui se lamente et chante sa souffrance (début de la scène 3, acte 1), l’âme éplorée qui ne peut cacher sa blessure béante (scène 5, acte II), disent cet effroi solitaire qui saisit l’héroïne en lui dictant, ses actes et ses paroles extrêmistes, jusqu’à la mort.

Télévision

Samedi 11 novembre à 22h20
Soirée opéra
Lady Macbeth de Mzensk
Version originale de 1934

Anatoli Kotcherga (Boris), Ludovit Ludha (Zinovi), Eva-Maria Westbroek (Katerina), Christopher Ventris (Sergei), Carole Wilson (Aksinya/une bagnarde), Nikita Storojev (Commissaire de police), Alexander Vassiliev (Pope/Surveillant), Lani Poulson (Sonietka), Vladimir Vaneev (Vieux bagnard)…
Koninklijk Concertgebouworkest,
Koor van De Nederlandse Opera,
Mariss Jansons (direction musicale)

Martin Kusej (mise en scène),
Martin Zehetgruber (décor),
Heide Kastler (costumes)

Réalisation : Thomas Grimm
Captation filmée en juin 2006 à l’Opéra d’Amsterdam

Saison lyrique 2006/2007
Le mois de mars 2007 concentre l’ensemble des productions de la partition de Chostakovitch.

La production diffusée sur Arte est d’autant plus intéressante qu’elle est dirigée par un Chostakovien de longue date, Mariss Jansons lui-même disciple du créateur de bon nombre de Symphonies du compositeur, Evgueni Mravinsky. Mariss Jansons vient de publier l’intégrale des Symphonies de Chostakovitch chez Emi, l’un des cycles récents les plus convaincants. Gageons qu’en lecteur familier des climats chostakoviens, ambivalents, cyniques, ironiques, aussi d’une pure poésie crépusculaire, le chef letton saura porter la richesse de l’oeuvre dans toute sa flamboyante plasticité.

Katerina Izmailova (1963)
Théâtre du Châtelet, version de concert
Du 8 au 10 mars

Lady Macbeth de Mzensk
Opéra de Massy
Du 15 au 18 mars

Lady Macbeth de Mzensk
Opéra de Genève
Du 8 au 18 mars

Illustrations
Une : Degas, portrait de jeune femme (DR)
Henri de Toulouse-Lautrec, deux portraits de femmes (DR)
Picasso, portrait de femme au chat (pictogramme Picasso) (DR)

Téléchargement audio (1). Le « Global Concert Hall » : DG concerts et DECCA concerts

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Où trouver l’offre de musique téléchargeable? Sur quelles plateformes? A quel prix? Quelle est aujourd’hui la pertinence des catalogues accessibles par le téléchargement? La Rédaction de classiquenews.com traque les perles, analyse le marché, distingue les inititaves marquantes, discerne le meilleur de la musique en ligne… Voici notre premier dossier exhausitf consacré au catalogue digital, (c’est à dire uniquement accessible en téléchargement et non en magasin sous la forme de cd) des prestigieux labels Decca et Deutsche Grammophon, qui présentent leur nouveau e-concept « DG concerts et Decca concerts ».

L’offre « DG concerts » et « DECCA concerts »
Et si demain, Internet devenait la plus grande et la plus riche salle de concert au monde ? C’est un peu le pari visionnaire que lance Universal avec son offre « Global Concert Hall » en mettant en ligne, uniquement sur Internet, plusieurs enregistrements de concerts publics sous label Deutsche Grammophon et Decca. En prise live, voici les concerts publics des grands orchestre du monde.
La révolution numérique fait son entrée dans l’univers du classique symphonique par la grande porte, grâce à l’initiative de Deutsche Grammophon et de Decca : les « DG concerts » et « DECCA concerts ». Les deux labels d’Universal music ont lancé un nouveau concept oeuvrant pour le « tout numérique ». Les initiateurs du projet annoncent chaque année, en moyenne 4 concerts live de chacun des orchestres partenaires. Le visuel de couverture est en cela très clair : un chiffre dans le coin inférieur gauche indique le numéro de l’enregistrement sur les quatre annuels prévus.
Chacun des enregistrements n’est achetable que sur le net. La distribution du « tout digital »vient de naître ainsi, depuis mars 2006. En France, via les plateformes téléchargement légales et sécurisées (fnacmusic.com, iTunes, Virginmega.fr), le catalogue « DG concerts » et DECCA concerts » sera disponible à partir du 30 octobre 2006. Mais le « Global concert Hall » n’oublie pas le bon vieux support cd, puisqu’un cd permettra d’écouter « en dur », le concert digital « événement » de l’année écoulée. Si la distribution traditionnelle en magasins rétrécit de façon croissante la diversité de l’offre de musique classique, Internet dévoile une alternative dont nous rêvions. Désormais, la richesse des catalogues sera accessible sur la Toile. Et pas ailleurs.

Quels sont les orchestres partenaires à ce jour de l’initiative « Global Concert Hall », dont les mélomanes téléchargeurs peuvent acheter à loisir, les concerts live ? Quelques phalanges, américaines et européennes parmi les plus intéressantes : New York Philharmonic, Los Angeles Philharmonic, Orchestre de Chambre d’Europe, Gewandhaus de Leipzig

Téléchargement
L’offre téléchargeable, légale et parfaitement sécurisée, se réalise via Fnacmusic.com, iTunes, virginmega.fr.
Achat à l’album (circa 9,99 euros), à l’œuvre (circa 5 à 6 euros), au morceau (selon les programmes, circa 0,99 euros).
Voici les neuf premiers concerts uniquement accessibles sur Internet, annoncés le 30 octobre, en cliquant sur les titres génériques, vous pourrez écouter des extraits de chacun des concerts publiques.

Los Angeles Philharmonic

1. Andriessen/Pärt

Louis Andriessen : Racconto dall’inferno, De Staat
Arvö Pärt : Tabula Rasa
Los Angeles Philharmonic
Reinbert de Leeuw
Live from Walt Disney Concert Hall, 24 et 26 mars août 2006
Lors de ce concert « Minimalist Jukebox », de Leeuw donne une leçon de direction électrisante. Le Pärt est époustouflant, et « la ville » (De Staat) de Andriessen, tout aussi déconcertante d’engagement et poésie. Un enregistrement magnifique. Aucun doute, si vous souhaitez choisir entre les premiers enregistrement du Los Angeles Philharmonic, commencer par celui-ci. Vous ne le regretterez pas.

2. Steve Reich

Variation pour vents, cordes et claviers
Trois mouvements pour orchestre
Tehilim

Los Angeles Philharmonic
Steve Asbury
Live from Walt Disney Concert Hall, 24 et 26 mars 2006
Rythmes hallucinés voire extatiques, prise de son impeccable, l’enregistrement constitue une entrée en matière idéale pour néophytes, peu familiers des univers minimalistes de Reich. Pour les connaisseurs, la captation est fidèle à la recherche des timbres et des couleurs des interprètes (comme nous l’avons dit somptuosité de texture et précision rythmique). Dommage que Tahilim n’est pas du même niveau. Programme accessible et, néanmoins, très convaincant.

3.
Beethoven/Lutoslawski

Beethoven : Ouverture Leonore II, Symphonie n°5
Lutoslawsi : Symphonie n°4

Los Angeles Philharmonic
Esa-Pekka Salonen
Live from Walt Disney Concert Hall, les 28 et 30 avril 2006

4. Beethoven/Hillborg

Beethoven : Symphonies n°7 et n°8
Hillborg : les Onze Portes (création mondiale)

Los Angeles Philharmonic
Esa-Pekka Salonen
Live from Walt Disney Concert Hall, les 4 et 12 mai 2006

Enregistrés à quelques jours d’intervalle, les deux programmes live Salonen sont emblématique de sa démarche à la fois inventive et pédagogique. Le brio transparent des Beethoven, la révélation des climats suspendus de la création mondiale : Les Onze Portes (« Eleven gates ») de Hillborg sont des témoignages saisissants. Remarquable aussi la prise de son. Deux programmes qui sont des valeurs sûres. Lire notre critique développée du concert Beethoven/Hillborg

New York Philharmonic

1.
Mozart

Les dernières symphonies
n° 39, 40 et 41 « Jupiter »

New York Philharmoniker
Lorin Maazel
Enregistrement live, Avery Fisher Hall
Sans être « miraculeuses », les dernières symphonies de Mozart rayonnent de fougue et d’honnète réalisation. Maazel tient son orchestre comme un Rolls : il obtient quasiment tout de ce qu’il demande. Un chef qui dispose d’une somptueuse machinerie huilée, obéissant à la carte. Lecture efficace et fluide. Lire notre chronique développée.

2. Joahnnes Brahms

Variations sur un thème de Haydn
Kodály: Danses de Galánta
Dvorák: Symphonie No. 7

New York Philharmonic
Lorin Maazel
Enregistrement Live du 31 mars 2006, à l’Avery Fisher Hall
Mêmes qualités que précédemment observées, avec peut-être, un maniérisme généreux en effets qui en agacera certainement certains.

3.
Berlioz/Mozart


Berlioz : Les Nuits d’été
(Soliste, Ian Bostridge, ténor)
Mozart : Sérénade en ré « Haffner » K 250

New York Philharmonic
Sir Colin Davis
Enregistrement live du 27 avril 2006, à l’Avery Fischer Hall
Deux diseurs accomplis s’accompagnent l’un et l’autre : l’articulation certes est là, à l’orchestre comme au chant, mais la question reste posée au niveau du style. Bostridge, comme à son habitude surjoue et minaude, ou pour les autres, s’engage et s’implique. Le texte de Théophile Gauthier, comme la musique de Berlioz, pour les Nuits d’été, ont-ils vraiment besoin de tant de démonstratives considérations? Cela sera pour chacun, selon son goût. Côté technique, les ingénieurs du son assurent. Du relief et de la vitalité de tout côté.

Leipzig Gewandhaus orchester

1.
Robert Schumann
Concerto pour piano et orchestre
(Martha Argerich, piano)
Symphonie n° 4 en ré mineur opus 12
(arrangements de Gustav Mahler)

Gewandhaus de Leipzig,
Riccardo Chailly
Enregistrement de septembre 2006
La fusion complice du chef et la pianiste est totale. L’ouverture de Genoveva sonne solennelle parfois peu émotive, mais quel panache. De son côté, Argerich murumure et cisèle avec une évidente ferveur qui a des épanchements de divine tendresse. Lire notre chronique développée.

Orchestre de Chambre d’Europe

1.
Mozart


Concertos pour pianos et orchestre K 453 et K 456
Symphonie n°33
Ligeti : Musica ricercata n°7

Orchestre de Chambre d’Europe
Pierre-Laurent Aimard
Enregistrement live des 1er et 2 juillet 2006, Graz
Articulation, clarté, précision des couleurs et facilité dialoguée entre soliste et orchestre : la lecture de Pierre-Laurent Aimard est brillante et même virtuose. Une sonorité resplendissante et même « évidente ».

Approfondir
pour découvrir en temps réel les nouvelles parutions ‘DG concerts » et DECCA concerts » du « Global Concert Hall », nous vous recommandons de consulter régulièrement cette rubrique. Depuis le 30 octobre 2006, l’ensemble de ces titres est accessible via les plateformes de téléchargement. Consultez aussi la présentation des titres du catalogue DG concerts et Decca concerts sur le site d’Universal music France (extraits en écoute)

Claude Debussy, Pelléas et Mélisande (1902)

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Debussy_claude_debussyPour Maeterlinck, Pelléas et Mélisande (écrit en 1892) exprime le désir d’un renouvellement et d’une rupture : « Pour le moment je travaille à un drame simplement et banalement passionnel, afin de me tranquilliser, et peut-être parviendrai-je à détruire ainsi cette étiquette de poète de l’horreur qu’on me colle sur le dos. » A défaut d’horreur, le dramaturge a définitivement clos la porte du réalisme. S’il se passionne étudiant à Paris, pour Mallarmé et Villiers de l’Isle-Adam, Maeterlinck ne tarde pas à trouver sa voie propre : une vision esthétique particulièrement marquée par le tragique et le sentiment de l’inéluctable catastrophe. C’est peut-être pour cette raison que son théâtre convient parfaitement à l’opéra. Un sentiment tragique qui ne s’incarne pas véritablement dans l’action mais imprègne les êtres et les situations comme un climat d’imperceptible inquiétude. Le non-dit, l’implicite, l’allusif distillent leur vénéneuse action. Pour lui, l’art exprime plus qu’il ne dévoile. Pas de héros antiques et de dieux opposés, souvent la simplicité des gens de peu mais dont l’épaisseur psychologique laisse deviner de profondes souffrances. Il était logique que la musique capable de dire sans parler, porte idéalement cette quête du mystère, cette écoute particulière aux mouvements de la psyché, ce théâtre de l’âme.

Le théâtre de Maeterlinck : mystère du style, faillite du mot
Je ne comprends pas non plus tout ce que je dis, voyez-vous…
Je ne sais pas ce que je dis… Je ne sais pas ce que je sais…
Je ne dis plus ce que je veux… »
(Mélisande, Acte V)

Celui que sa famille destinait au barreau se découvre poète. Un chantre des voies nouvelles et mystérieuses qui fut révélé à la Une du Figaro, par la plume du très sévère Octave Mirbeau lequel après la lecture de sa pièce, La Princesse Maleine, en fit un plaidoyer élogieux et de l’auteur, parlait d’un « nouveau Shakespeare ». A moins de trente ans, l’écrivain devenait célèbre, connaissant une carrière fulgurante et fondatrice pour le théâtre moderne dont le Prix Nobel obtenu en 1911 marque la valeur. L’œuvre de Maeterlinck s’est précisée par réaction à la mode de l’époque qui idolâtrait la scène classique et réaliste. Le poète gantois préfère non l’avons dit, le symbole et l’évocation. Contre le schématisme psychologique, il défend une vision plus nuancée du drame, où paraît la dignité tragique et silencieuse des individus les plus simples. Il a peint la grandeur muette d’exister. Il a fait entendre le murmure secret des blessures familières. Dans sa prose, se dévoile l’héroïsme et la grandeur du quotidien le plus –apparemment- anodin. « Tragique quotidien », tel est le genre qu’il entend illustrer : l’expression est choisie comme titre de son essai paraissant en 1896 dans Le Trésor des humbles. Cet idéal presque austère ne pouvait pas non plus s’accorder au lyrisme codifié du théâtre classique, en particulier de Racine.

Le théâtre qu’il impose peu à peu désire rendre l’humain plus humain en lui permettant de prendre conscience de sa propre vie et de sa signification profonde. « Quel jour deviendrons-nous ce que nous sommes ? ». La réussite de cette révélation dépendrait de l’épreuve que nous inflige le théâtre. En exprimant la partie cachée de l’existence, il souhaite nous apporter l’enseignement que la vie n’est que celle que l’on choisit de suivre. Et rien n’est plus tragique qu’une existence qui ignore où elle va. Or souvent chacun s’accorde de cette impossibilité. Résignation et renoncement. Ou conscience et illumination. Symboliste dans le sillon tracé par le visionnaire Mallarmé, proche de Wagner aussi qui est poète et musicien, Maeterlinck en prônant la vie intérieure et l’autre versant du miroir, veut un autre théâtre. Ni classique ni réaliste. Pour sa création au théâtre (Bouffes Parisiens, mai 1893), Pelléas et Mélisande, outre la noirceur du sujet, est une expérience scénique originale. Les acteurs récitent leur texte lentement sous une lueur lunaire et derrière un voile de gaze qui les sépare du public, leur conférant des allures fantomatiques. Les costumes sont inspirés de Memling. Nous sommes en plein gothique fantastique. De surcroît tous les personnages semblent enchaînés à leur propre secret qu’ils ne peuvent dire ni faire partager. Le sceau du destin les emmure chacun dans une solitude qui les rend totalement étrangers les uns des autres. Qui est véritablement Mélisande ? Pourquoi pleure-t-elle à la fontaine ? Que lui a-t-on fait ? De même à la fin de l’œuvre, Golaud sait-il vraiment quel amour a uni Pelléas à Mélisande ?

En définitive, est-il possible de nommer les choses, d’expliquer, de dévoiler ? L’identité profonde de chacun se construit dans un autre langage que ce qui est prononcé. Le sens véritable de nos vies se tient caché : à nous d’en décoder les fugaces éclaircissements. Dans le détour d’une phrase plus murmurée qu’articulée, par déduction, dans l’allusion, la connotation. Il semble que les personnages de Maeterlinck ne peuvent dire clairement ce qu’ils sont parce que cela leur serait douloureux. Faute, culpabilité, blessures demeurées béantes et cachées, chacun reste tapi dans l’ombre. La parole est vaine. L’essence de la vie n’est pas dans ce que l’on dit mais enfouie en soi dans l’épreuve muette. Ce en quoi avant Beckett ou Ionesco, Maeterlinck réinvente le langage théâtral en disant la faillite du mot et de la parole. Combien de scènes où les personnages parlent en quasi-monologue, de façon simultanée, sans que jamais leur discours ne répondant à l’autre, se rencontrent vraiment.

Debussy s’empare de Pelléas
Dès le début de la genèse de la pièce, le musicien, spectateur de l’unique soirée de représentation (le 17 mai 1893) témoigne son vif intérêt pour le sujet et l’esthétique qu’il sous-tend. Maeterlinck réceptif rédige lui-même un livret d’après sa pièce en 1902. Mais Debussy n’a cure des intentions du poète : il arrange son propre texte et surtout, ne souhaitera plus engager dans le rôle de Mélisande, la chanteuse Georgette Leblanc, compagne de Maeterlinck depuis 1895, pourtant naturellement pressentie. Le compositeur lui préfère Mary Garden. Ces dispositions montrent à quel point, en définitive, les deux artistes ne se sont pas retrouvés dans un travail commun. Bien au contraire, il s’agit de la part du musicien d’un rapt parfaitement et sciemment orchestré. Et leur brouille sera retentissante. Mais Debussy a le soutien d’Albert Carré, directeur de l’Opéra Comique. « On parvint ainsi à m’exclure de mon œuvre… En un mot, le Pelléas de l’Opéra-Comique est une pièce qui m’est devenue étrangère, presque ennemie… » écrit dans les journaux le poète dépossédé.

Serait-ce que Debussy eût souhaité se réapproprier une œuvre qu’il tenait comme son œuvre propre ? La fameuse scène où Mélisande arrange sa longue chevelure jusqu’au pied de la tour est bel et bien conservée, – elle est devenue l’épisode le plus célèbre de l’opéra-, alors que dans les rééditions postérieures à celle, originale, de 1892, Maeterlinck écarte le texte pour lui préférer un autre. Quoiqu’il en soit, le musicien compose l’essentiel de la musique entre 1893 et 1895, une période extrêmement féconde qui voit aussi la naissance du son Quatuor et du Prélude à l’Après-midi d’un Faune. En dehors de ces altérations de surface, avouons que dans le fonds du sujet, les deux cerveaux partagent la même attraction pour l’indicible. Debussy tout en admirant Wagner, défend sa propre conception dramaturgique et précise la place de la musique par rapport à la voix : « Je conçois une for
me dramatique autre : la musique y commence là où la parole dramatique est impuissante à exprimer. La musique est faite pour l’inexprimable ».

C’est bien cette part du non-dit mais du tout-signifiant qui les rapproche et explique pourquoi Debussy eut la révélation de Pelléas en tant que pièce théâtrale. Il ne coûta que peu d’efforts au compositeur de transposer le caractère énigmatique et onirique du texte de Maeterlinck dans sa matière musicale, aux résonances aussi multiples que géniales, une musique d’autant plus apte selon ses aspirations, à exprimer l’inexprimable. L’une et l’autre se mêlent parfaitement et même se soutiennent sans heurts ni décalages pour porter toujours la tension du sens. Mais dans la propre vie de Debussy, ce drame ressuscitait aussi des souvenirs chers et intacts. Se voyait-il en Pelléas, conquérant de la belle Mélisande comme il avait ravi quelques années auparavant, le cœur de Marie-Blanche Vasnier qui était pourtant mariée ? Si les personnages paraissent dénués de volonté et totalement démunis, c’est bien la musique qui dévoile l’activité de leur inconscient. Et même si ici l’errance, la perte d’une identité jamais vraiment assumée, le flottement, le mystère des origines semblent caractériser chacun des personnages, à l’exception cependant de Pelléas (de loin le personnage le plus authentique parce qu’il ne se ment pas à lui-même et ne ressent aucune culpabilité), l’action est bel et bien présente en ce qu’elle conduit inévitablement tous les personnages à la catastrophe. Et d’une façon parfaitement structurée quoiqu’on ait écrit ici et là : plusieurs thèmes conducteurs cimentent la partition ce qui n’empêche pas Debussy dans la voie tracée par Wagner, de laisser tous les doutes possibles sur le temps véritable et l’époque précise de l’action. Tout se passe à la suite d’histoires centenaires, dans un château et une forêt qui n’ont plus d’âge, dans une contrée d’ancienne mémoire. Ce qui rend les personnages plus errants encore comme les voyageurs perdus dans l’océan de la destinée.

Si le fatalisme de Maeterlinck ne laisse aucune issue à ses personnages, Debussy quant à lui est moins tranché : le tissu musical qui accompagne chacun des individus laisse libre et sans contraintes l’activité du psychisme. Les divagations harmoniques et la multitude de petites formes rythmiques et mélodiques imbriquées, souvent à peine développées, disent en définitive la liberté de chacun dans cette propension à doubler son inertie apparente. Si la parole peut mentir (et dans ce registre Mélisande invente souvent), la musique qui se déploie alors manifeste la réalité plurielle des états de l’âme : – le « vivifiant effluve » dont a parlé justement Mallarmé. Cette seconde action qui s’épanouit dans la musique sans contredire vraiment le texte, ouvre des perspectives illimitées, hors du cadre strict de la scène. C’est ce fourmillement affleurant, qui opposé au statisme des figures, est fascinant.

Autant d’options novatrices ne furent pas sans déconcerter le public. Etrange, fantasque, sans action, énigmatique… Les critiques et réactions lors de la création de l’opéra en avril 1902, à l’Opéra-Comique sont éloquents. L’audience de la première montra son dénigrement le plus vif, n’hésitant pas à reprendre quolibets et surnoms injurieux qui s’était répandu avant la création : « Pédéraste et Médisante ». Messager dans la fosse doit se retourner à plusieurs reprises sans guère de succès face à un parterre qui n’écoute pas la musique mais détourne le sens de chaque mot pour en rire à gorge déployée.

Fauré montre sa réticence, plus précisément sa totale incompréhension pour une œuvre trop moderne pour lui. Mais c’est Paul Dukas, proche de Debussy et de Maeterlinck, qui a laissé un témoignage juste sur la modernité de Pelléas à l’opéra. Autres partisans, Ravel et Déodat de Séverac qui se demandait : « est-il possible de trouver encore après Pelléas ? ». Il est vrai que l’ouvrage réussit ce que plus deux cents ans d’opéra peinait à réussir. A la musicalité de la prose de Maeterlinck répond la texture poétique de Debussy de sorte que ce que l’on pensait combiné est ici associé, et même fusionnel.

Avons-nous tout dit de Pelléas ? Certes non. Le propre des chef-d’œuvres est de se dérober à une lecture unique. Il est possible cependant de souligner plusieurs contresens tenaces qui persistent ici et là, à propos du premier et dernier opéra de Debussy. Il est vain d’en faire une mise en scène réaliste, avec détournement historique ni même d’en produire une tapisserie médiévale, maniérée et précieuse, cette « tisane poétique » dont parle Pierre Boulez. Le génie de Debussy est d’inscrire le poème de Maeterlinck dans sa brume hallucinée et hyptnoptique qui interroge au-delà des apparences les messages du psychisme caché. On a de la même façon voulu faire de Pelléas, un manifeste antiwagnérien : c’est inexact et Pierre Boulez a souligné avec raison la parenté de Pelléas avec Parsifal. Il a établi des parallèles entre les personnages des deux œuvres : Gurnmanz/Arkel, Klingsor/Golaud… même lorsque Debussy conçoit la scène de la tour où Mélisande déploie sa longue chevelure, il n’oublie pas le nocturne de …Tristan. Les interludes qui permettent le changement de décors, citent quasiment l’instrumentation de Parsifal. Mais l’on pourrait aussi citer Carmen de Bizet inspirant la couleur du dernier acte. Tout cela démontre la richesse d’une œuvre inclassable dont la modernité nous touche encore.

C’est l’écho que l’œuvre suscita dans l’écriture d’un immense écrivain, qui montre la mesure du retentissement de la partition sur le plan artistique. Contemporain frustré – parce qu’il ne put assister à la création parisienne-, Proust, dès 1911, témoigne à maintes reprises de sa fascination pour Pelléas. Citations dans plusieurs passages de La Recherche dont Sodome et Gomorrhe ; surtout, l’écrivain qui a vécu claustré dans son appartement et écoutait les œuvres sur son théatrophone, a laissé un pastiche de Pelléas et Mélisande, cité par extraits dans sa correspondance à Reynaldo Hahn.

Discographie
Voici un fleuron des versions disponibles que tout debussyste doit posséder :

Jacques Jansen, Irène Joachim, Henri Etcheverry, Paul Cabanel, Germaine Cernay ; orchestre non spécifié, direction : Roger Désormière – EMI

Camille Maurane, Erna Spoorenberg, George London, Guus Hœkman, Josephine Veasey ; Orchestre de la Suisse Romande, direction : Ernest Ansermet Decca (2 ème version Ansermet, 1965)

George Shirley, Elisabeth Söderström, Donald McIntyre, David Ward, Yvonne Minton : Orchestre de Covent Garden, direction : Pierre Boulez – CBS (1970)

Richard Stilwell, Frederica Von Stade, José Van Dam, Ruggiero Raimondi, Nadine Denize ; Orchestre Philharmonique de Berlin, direction : Herbert von Karajan. Emi (deuxième version Karajan, 1978)

Claude Dormoy, Michèle Command, Gabriel Bacquier, Roger Soyer, Jocelyne Taillon ; Orchestre National de Lyon, direction : Serge Baudo – RCA

Wolfgang Holzmair, Anne Sofie von Otter, Laurent Naouri, Alain Vernhes, Hanna Schaer ; Orchestre National de France, direction : Bernhard Haitink Naïve (2000).

Dvdthèque
Chœur et orchestre de l’Opéra de Lyon, direction : John Eliot Gardiner.
Subtile à peine narrative, la mise en scène de Pierre Strosser met l’accent sur le non-dit et l’indicible. Pas d’action illustrative mais des tableaux statiques dans une pénombre croissante qui renforcent par leur apparente sérénité, la solitude, l’angoisse et la tragédie de chaque personnage. José Van Dam est suspicieux, rongé par le poids de ses fautes et de ses faiblesses, violent et fragi
le, une résurgence de Klingsor ; le couple Pelléas/Mélisande très convaincant : François Leroux, transparent amoureux ; Colette Alliot-Lugaz, froide, énigmatique, lunaire. En outre l’adaptation en film est l’objet d’une relecture particulière : mouvements de caméra suivant les personnages, absence du public. Le film tire le sujet vers le cinéma tout en gardant sa nature théâtrale. La conception privilégie la fiction sur la représentation. L’onirisme et l’ambivalence de l’œuvre n’en sont que plus frappants. Quant au travail fluide et analytique de Gardiner, l’Orchestre de Lyon apporte sa très cohérente contribution. Remarquable. Production de l’Opéra de Lyon, 1987. 1 DVD Arthaus Musik 100 100 (distribution Integral)

Orchestre du Welsh national opera, direction : Pierre Boulez.
Neil Archer, Alison Hagley, Donald Maxwell, Kenneth Cox, Sarah Walker; mise en scène : Peter Stein.
2 dvds Deutsche Grammophon (distribution : Universal)

Choeur et orchestre de l’Opéra de Zurich, direction : Franz Welser-Möst
2 dvds TDK, novembre 2004 (distribution : Intégral)

Crédits photographiques
Jacques-Emile Blanche, Claude Debussy (DR)
Mary Garden, la première Mélisande (DR)

Saison Lyrique 2006/2007(3). La scène mozartienne : des « Noces de Figaro » à « Bastien et Bastienne »

L’année Mozart bat son plein en septembre 2006. Effet incitatif, les nouvelles saisons 2006/2007 rendent un hommage appuyé au compositeur qui n’aura jamais été aussi fêté, d’ici juin 2007. Quels sont les opéras les plus joués ? Don Giovanni, Les Noces ou la Flûte ? Quelles sont les nouvelles productions attendues, prometteuses ? Pour tout savoir, voici notre premier bilan.

Les Noces de Figaro, opéra le plus joué
L’ouvrage phare de la nouvelle saison mozartienne est sans conteste, Les Noces de Figaro. Près de 10 lieux accueillent la partition dont pas moins de quatre nouvelles productions. Opéra éclaté présente deux versions, la partition habituelle (28 septembre-15 juin) complétée par de « Petites Noces » (du 26 septembre au 12 mai). L’ouvrage mis en scène par Desbordes, passera par l’Auvergne (3 octobre) puis Dijon (10-14 octobre). En novembre, Les Noces seront à l’affiche de Nancy (26 novembre au 5 décembre), puis à Angers (nouvelle production, 28 novembre-19 décembre). Ce sont ensuite les théâtres de Caen (nouvelle production, 19 au 23 décembre), Besançon (24-28 janvier), Lausanne (nouvelle production, 20-29 avril), Bordeaux (mise en scène : Robert Carsen, du 22 juin au 2 juillet), enfin Lyon (direction : William Christie, du 24 juin au 8 juillet).

Don Giovanni, deuxième ouvrage plébiscité
Une saison marquée par le jeu des Noces, « l’opéra des femmes », -lire notre dossier « Noces de Figaro »-, ne saurait satisfaire les attentes des mélomanes sans être associé à la troublante jubilation de Don Giovanni, « héros libertaire, scandaleux et révolutionnaire », lire notre dossier Don Giovanni– : « l’opéra des opéras » suscitent toujours autant de productions lyriques en cette nouvelle saison.
Dès octobre, Arte puis la salle Pleyel le mettent à l’honneur sous la baguette électrisante et dépoussiérée de René Jacobs. En octobre, heureux Mozartiens vous irez à Massy (13-17 octobre), puis en Avignon (27-31 octobre). Les plus amateurs suivront ensuite les nombreuses offres «Don Giovannesques », jusqu’en juin 2007 : sous la baguette de Jean-Claude Malgoire à Tourcoing d’abord (16 novembre-30 janvier), puis à Reims (26 au 30 janvier) ; autre production à Toulon (10-15 décembre), à Paris, dans la mise en scène sulfureuse de Michel Haneke (Opéra Bastille, du 17 janvier au 17 février), enfin l’opéra des Flandres affiche le chef-d’œuvre de Mozart, du 14 avril au 12 mai (Anvers et Gand).

Suivent trois ouvrages dont chacun est le sujet de trois productions : Cosi fan tutte, à Paris (23 octobre-8 novembre), Genève (nouvelle production, 8-19 novembre), enfin, Nice (24-30 janvier). L’enlèvement au sérail qui ne suscite que des nouvelles productions, à La Monnaie de Bruxelles (nouvelle production, 5-20 septembre), à Marseille (6-13 mars), puis à Saint-Etienne (20-24 avril).
La flûte enchantée pour sa part, est à l’affiche de l’opéra d’Avignon (29 décembre-7 janvier), puis en juin 2007, à Bruxelles (La Monnaie, 8-19 juin) et à Toulouse (15-28 juin).

La Clémence de Titus, le retour en grâce
Réhabilitée par le disque, apparemment convaincante pour scénographes et musiciens, la Clémence de Titus continue son lent retour en grâce : à Paris, grâce à une mise en scène indémodable signée par le couple Herrmann, -récemment diffusée sur Mezzo-, (Bastille, 9 septembre-16 octobre), à Tourcoing, en version de concert (27-30 mars), à Paris à nouveau (Théâtre des Champs-Elysées, le 30 mars). Préparez vos prochaines soirées en lisant notre dossier spécial « Clémence de Titus ».

Signalons enfin, deux productions d’Idoménée : signée Thomas Hengelbrok (Paris, 30 novembre-29 décembre), et William Christie (à Paris, TCE, le 15 septembre, puis en version de concert, à Lyon, le 17 septembre). Pour finir, Rouen, présente « Bastien et Bastienne » (Laurence Equilbey, 15-18 mars).

Conclusion
Les Noces de Figaro et Don Giovanni, largement célébrés, -preuve que le duo Da Ponte/Mozart fait toujours recette-, puis Cosi, La Flûte, Idoménée, l’Enlèvement au sérail, également servis, enfin une Clémence de Titus qui se maintient, avec une unique production de « Bastien et Bastienne » : voilà une saison mozartienne 2006/2007, plus qu’honnête.

Dimitri ChostakovitchSymphonies n°6 et n°9/Leonard BernsteinMezzo, à partir du 16 septembre

Mois Chostakovitch sur Mezzo. Aux côtés de France 3 (voir notre grille télé du 24 septembre après minuit) et surtout d’Arte qui décline jusqu’en novembre, une fin d’année 2006 « Chostakovitch », la chaîne classique et jazz, honore à son tour le « Beethoven du XX ème siècle », en diffusant un document légendaire : les symphonies n°6 et n°9 par Leonard Bernstein avec les musiciens du Philharmonique de Vienne, sous les caméras d’Humphrey Burton en 1985 et 1986 (paru également en dvd chez DG).

Le drame humain, le destin irrépressible, la machine militaire, la force des éléments, la fatalité mais aussi, surtout, la violence insoumise de la volonté sont ici au rendez-vous. Certes Chostakovitch aimait nourrir l’ambiguité sous une apparente soumission à l’ordre soviétique. Lucidité et cynisme voire amertume sarcastique fondent de façon souterraine une œuvre qui comme celle de Mahler, rapproche l’humain et l’inhumain, l’aspiration à la paix et l’expression la plus noire de la terreur et de la barbarie, vécues, cotoyées, défiées.

Leonard Bernstein fidèle à lui-même, replace le propos des deux symphonies, 6 (enregistrée en 1986) et 9 (enregistrée en 1985) au centre de la question de l’humain, tout en ciselant non sans cynisme et grimace parodique, la charge séditieuse de la musique. C’est pourquoi le cycle des diffusions sur Mezzo, de ces deux monuments de musique filmée, est immanquable. A partir du 16 et jusqu’au 27 septembre 2006. Les deux symphonies sont diffusées l’une après l’autre : la Sixième, puis la Neuvième.



Diffusion

Le 16 septembre à 13h45
Le 21 septembre à 3h
Le 27 septembre à 10h.

Genèse
Pour mieux vous préparer à l’écoute des deux symphonies, voici leur genèse.

Symphonie n°6
En si mineur opus 54
Créée à Léningrad sous la direction de Evgueni Mravinski, le 5 novembre 1939, la Sixième suit l’interdiction officielle qui frappe Chostakovitch, après que Staline l’ait jugé sans appel, compositeur « anti-peuple » et formaliste, après que le dictateur ait été choqué par son opéra Lady Macbeth de Mzensk. La partition est composée en 1939, assez rapidemment entre le Premier Quatuor et le Quintette avec piano. A la place d’une œuvre spectaculaire annoncée à la gloire de Lénine, Chostakovitch fait entendre une œuvre en tryptique, de trente minutes, initiée par un largo, suivi de deux scherzos.
Le largo initial développe un climat de morbide langueur, solennelle et pathétique. Le premier scherzo quant à lui, rompt le ton en affichant sous une fluidité allègre, un cynisme mordant. L’insouciance se précise sans équivoque cependant dans le second scherzo qui cite même la virtuosité piquante de Rossini. Où se cache le véritable message du musicien. Tout est là, dans les replis de la musique. Il suffit d’écouter.

Symphonie n°9
En mi bémol majeur opus 70
C’est également Evgueni Mravinski qui créa l’ œuvre, le 3 novembre 1945, à Léningrad.  Plus courte encore que la Sixième, la Neuvième développe en vingt-cinq minutes maximum, un climat allègre, emporté par Chostakovitch qui s’y attela pendant un mois, en août 1945. Cinq mouvements (allegro, moderato, presto, largo, allegretto) se succèdent à l’instar de la Huitième, les trois derniers étant enchaînés. La clarinette entame un hymne orientalisant dans le moderato et seul, le largo entonne un chant de grandiose dramatisme, en affinité avec la fin de la guerre qui méritait bien une déclamation de victoire. Mais Staline ne l’entendit pas ainsi : il fut, selon Chostakovitch, très déçu par la partition qui ne répondait en rien à la propagande spectaculaire et triomphale qu’il s’attendait. Preuve supplémentaire du décalage récurrent entre les deux personnalités. Preuve aussi que Chostakovitch s’ingénia toujours à surprendre, en produisant des oeuvres toujours surprenantes.

Entretien avec Damien Top, directeur du festival international Albert Roussel

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A partir du 16 septembre 2006, le 10 ème Festival international Albert Roussel débutera, permettant comme nulle part ailleurs, que l’oeuvre d’Albert Roussel et celles de ses disciples et contemporains, soient jouées. Le patrimoine musical qui est à l’honneur est injustement méconnu. A l’occasion des 10 ans du festival en 2006, nous avons rencontré son directeur, Damien Top. Quel est l’axe de la programmation du festival ? Comment se précise la place d’Albert Roussel et quel est le choix des compositeurs qui sont également joués à ses côtés? Bilan et perspectives d’un festival injustement méconnu, qui cependant, nous offre de redécouvrir une colonie de compositeurs exceptionnels, autour de la figure centrale d’Albert Roussel. Entretien.

Quelle est la ligne artistique du festival Albert Roussel ?

Elle est définie par son intitulé même : la figure et l’œuvre du compositeur Albert Roussel en constituent la ligne directrice. Il s’agit de mettre en valeur -voire de redécouvrir- ses ouvrages en favorisant leur interprétation par des artistes venus de tous horizons. Nous élargissons la programmation avec des compositeurs qui sont soit directement liés à Roussel, ses maîtres (d’Indy, Gigout, Boëllmann), ses amis (Schmitt, Ropartz, Cras, Koechlin, Delvincourt, Hoérée,…), ses élèves de la Schola Cantorum (Satie, Le Flem, Golestan, Roland-Manuel, Varèse) ou en privé après la guerre (Martinu, Palenicek, Beck, Jersild, Riisager, Martinon, Thiriet,…) soit indirectement parce qu’ils sont proches de son esthétique. Notre champ d’action est donc très étendu. Il reflète l’importance du rayonnement de la personnalité de Roussel…
Ainsi le festival propose-t-il lors de chaque concert une œuvre de Roussel confrontée à celles d’autres compositeurs. Elles s’éclairent mutuellement sous un jour original et complémentaire.


Quels seront les grands rendez-vous de l’édition 2006 qui est aussi l’édition des 10 ans du Festival?

Certainement les concerts de clôture avec la Philharmonie Tchèque. Nous jouerons « le Festin de l’Araignée » et le « Concerto pour piano » de Roussel mais aussi « le Poème des îles » de Claude Guillon-Verne, neveu de Jules Verne et disciple de Roussel, disparu il y a 50 ans, ainsi qu’ « Œdipe-Roi » de Maurice Thiriet d’après le texte original de Jean Cocteau. Thiriet l’a composé alors qu’il était emprisonné au Stalag IX A. La partition est écrite pour orchestre et chœur d’hommes, ce qui accentue la dimension tragique de cet oratorio. Le jeune Thiriet avait bénéficié des conseils de Roussel qu’il voyait l’été à Vasterival dans les années 30. On connaît évidemment mieux ses nombreuses musiques de films : « les Visiteurs du soir » ou « Les Enfants du paradis ». Nous sommes apparemment les seuls à honorer le centenaire de la naissance de ce magnifique compositeur.

D’autres moments forts seront la reprise de la version originale du « Marchand de Sable qui passe… » conte lyrique en vers de Georges Jean-Aubry que Roussel sertit d’une magnifique musique de scène ou encore le concert qui se tiendra en l’église de Varengeville-sur-Mer, à deux pas de la tombe d’Albert Roussel qui fait face à l’océan.

Quels sont vos projets pour le festival dans les années à venir ?

L’œuvre de piano, comme la musique de chambre ou les pièces vocales de Roussel ont déjà été donnés à plusieurs reprises depuis la création du festival. J’aimerais beaucoup mettre l’accent à présent sur la programmation de ses œuvres orchestrales, en lesquelles éclate véritablement le génie de Roussel, les symphonies bien sûr, mais aussi les œuvres scéniques. Donner ses opéras : « Padmâvatî » ou « la Naissance de la lyre » qui reste un rêve à réaliser. L’opérette « Le Testament de la Tante Caroline » n’est connue que dans sa version concentrée en un acte, alors que c’est l’original en trois actes qui mériterait d’être exhumé. Il s’agit d’un travail immense qui prendra plusieurs années.


Au fur et à mesure des éditions, certaines thématiques liées à l’œuvre de Roussel se sont-elles détachées ?

Sa production est suffisamment riche pour susciter de nombreuses explorations thématiques. Nous avions par exemple organisé une édition autour de son œuvre pianistique, une autre autour de ses mélodies, une autre encore avait pour sujet : « l’esprit de suite ». Nous avons également abordé le thème de la danse dont les formes et les rythmes innervent moultes de ses partitions. Le voyage, l’ailleurs, l’Orient, les pays qu’il visita constituèrent le thème d’une récente édition. Grand voyageur, Roussel fut un éternel curieux et son appétit de connaissances transparaît à travers sa vie et toute sa production artistique.

Vous vous êtes penché sur l’œuvre et la vie de Roussel ? Pouvez-vous nous en dire davantage sur l’homme et le compositeur?

L’image que l’on véhicule de lui est quelque peu déformée. Au cours de mes recherches, je me suis aperçu combien la mer représentait une composante essentielle dans le processus créateur rousselien. Il demeura toute son existence un éternel marin. Certes il renonça à la Marine en 1894, mais pour des raisons de santé. Son œuvre entière demeure perpétuellement rattachée à l’élément liquide. La proximité de l’eau lui est nécessaire pour composer, et très souvent elle est présente de manière plus ou moins sous-jacente. Prenez par exemple le troisième mouvement de sa symphonie avec chœur « Evocations » : il se déroule « au bord du fleuve sacré » (Le Gange). La guerre fit avorter son projet de « Poème des Eaux » sur un texte de Verhaeren.
Si l’Inde paraît caractériser sa production juste avant-guerre, c’est la Grèce antique qui l’attira à partir de 1920. Il garda constamment une âme d’explorateur : n’avait-il pas conçu le projet d’un opéra futuriste, un ouvrage de science-fiction : « Voyage au Monde à l’envers » ? Doté d’un esprit en perpétuel éveil, c’est un créateur qui échappe à tout cadre classique.
Voilà deux aspects parmi ceux que j’ai voulu souligner dans la biographie que j’ai écrite (ndlr : éditée chez Séguier en 2000) mais ce petit livre est loin d’être complet puisque conformément à la ligne éditoriale de la collection, les commentaires purement musicologiques y étaient à éviter. La biographie définitive d’un compositeur aussi capital reste donc à publier. Avis aux éditeurs…

Si vous étiez obligé de choisir parmi ses œuvres, celles que vous emporteriez sans hésitation… sur l’île déserte, lesquelles précisément ?

Aucune ! car je serais frustré de ne pouvoir emporter les autres. Ni celles d’autres de mes compositeurs favoris… De toute façon, les œuvres qui vous sont chères sont indélébilement ancrées en vous.
Toutefois, si vous m’obligez absolument à faire un choix, j’opterai pour son opéra « Padmâvatî » (dans la version de Michel Plasson, chez Emi), le ballet « Bacchus et Ariane » et ses symphonies que je ne parviens pas à départager : le « Poème de la forêt » est une œuvre impressionniste tenant de d’Indy et de Debussy ; la deuxième est une partition plus complexe sur le plan harmonique, une vaste réflexion sur le devenir de l’Occident après la guerre mêlant âpre douleur et enthousiasme débordant en face d’un monde nouveau. Les deux dernières symphonies, « néo-classiques », affirment une écriture parfaitement maîtrisée. Je reste impressionné par ses quatre symphonies, avec peut-être une prédilection pour cette extraordinaire leçon de vitalité qu’est la 3ème, la plus célèbre, à juste titre d’ailleurs parce qu’elle est la plus aboutie (dans la version de Charles Münch).


Avez-vous des projets au disque ?

Nous avons inauguré la collection du festival avec le CD consacré aux mélodies d’Emile Goué. Cette collection permettra de fixer les œuvres rares redécouvertes à l’occasion du festival. Je termine actuellement un enregistrement consacré à Claude Guillon-Verne. Les autres albums proposeront la musique de chambre d’Albert Roussel (avec des inédits), celle de René de Castéra, Ladislas de Rohozinski, Emile Goué, Claude Delvincourt, puis de la musique orchestrale.

Albert Roussel demeure plus connu des initiés que du grand public. Comment changer cette image réservée et comment élargir le cercle de vos partenaires ?

Ni Tourcoing, où il est né, ni Dieppe, où il s’était établi et où de nombreux jeunes musiciens venaient le consulter, ne sont véritablement impliquées par notre oeuvre de promotion. Aujourd’hui, c’est essentiellement la Région Nord-Pas-de-Calais et le département du Nord qui soutiennent avec énergie notre projet. Beaucoup de personnes étiquettent le festival comme un événement élitiste : or il suffit d’assister aux concerts pour y mesurer la générosité, l’ouverture et l’enthousiasme des participants, public et artistes confondus. Lors de chaque week-end, nous sommes attentifs à développer des passerelles entre les arts, l’histoire et la spécificité des lieux d’accueil. Autour de Roussel et de ses contemporains, il s’agit en outre de permettre la redécouverte du patrimoine de nos régions. Et celui du Nord –par ailleurs fournisseur de beaucoup d’interprètes – me semble particulièrement négligé. C’est pourquoi depuis sa création le festival a développé un fort ancrage territorial. A ce titre, le concert d’ouverture illustre notre approche : le spectacle « opérettes à la flamande » comprend par exemple des œuvres d’Auguste Taccoen, sorte d’Offenbach flamand et aussi d’Edmond de Coussemaker, savant musicologue originaire de Bailleul, auteur en 1852 d’une Histoire de l’Harmonie au Moyen-Age qui fait toujours autorité, très connu en Flandre pour sa collecte de chants populaires mais dont nous interprèterons des chansons légères qui étonnent sous sa plume.

Festival international Albert Roussel
Toutes les infos sur l’édition 2006 : les « 10 ans »

Discographie
Emile Goué, mélodies
Disponible sur www.recitalmedia.com

Bibliogra
phie

Damien Top, Albert Roussel, un marin musicien (Séguier, 2000).

Crédits photographiques
Damien Top (DR)
Albert Roussel à Varengeville (DR)

Joseph Danhauser, Liszt au piano (1840)

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Présentation de l’œuvre. Le 13 mai 1840, il est possible de lire un compte-rendu de l’artiste et critique JF Castelli, publié dans le journal « Wiener Zeitung », intitulé « Le dernier tableau de Danhauser » :« Danhauser a encore peint un nouveau tableau. – Assez pour ceux qui ont vu ses œuvres artistiques magnifiques, parmi lesquelles notamment une de ses dernières – l’ouverture du testament – a fait une impression ineffaçable sur les artistes et les amateurs dans l’exposition d’art de cette année. Danhauser a donc peint un nouveau tableau et pour ceux qui tiennent à la longueur et à la largeur d’une œuvre d’art, sachez qu’il mesure 5 pieds 3 pouces de large et 4 pieds de haut [119 x 167 cm]. Notre instrumentiste impérial royal de cour, à juste titre connu de tous, Conrad Graf, qui, outre son propre art, sait estimer tous les autres, a aussi les moyens de récompenser dignement les artistes. Louée soit la fortune souvent injuste mais très juste dans ce cas ! Il souhaitait obtenir un tableau de notre Danhauser, mais un tableau dans lequel Liszt serait le personnage principal. Lorsqu’il était garçon, Liszt était déjà venu dans sa maison et avait déjà à l’époque jouer sur ses instruments avec une telle force et une telle énergie que le maître compris que pour des virtuoses de ce genre, il devait chercher à produire quelque chose de plus solide, ce qu’il réussit aussi par la suite à la perfection. Danhauser devait et voulait donc peindre Liszt. Il le voulait aussi avec plaisir car le jeu du héros musicien lui avait aussi fait la plus profonde impression et les deux artistes s’appréciaient beaucoup. ».
Plusieurs journaux de la région déclarèrent à l’époque que le tableau représentait Liszt dans un salon parisien. Cependant, ce n’est ni un salon, ni des hommes de salon. Il s’agirait plutôt de Liszt dans ses appartements, entouré de ses âmes sœurs, musiciens et écrivains, amis fidèles réunis le temps d’un instant par la musique. Nous verrons pourquoi dans la description du tableau. Pour Danhauser et ses contemporains viennois, le génie de Liszt, dépassait les frontières de l’ordinaire. Le dédain du hongrois pour les formes conventionnelles ordinaires, le culte du pianiste compositeur pour Beethoven, le dévouement plein de sentiments pour l’art, bref, voici donc l’impression que Danhauser a du avoir de l’artiste et c’est tout ceci que le peintre a voulu représenter. L’œuvre a été commandée par Conrad Graf, facteur de piano et riche investisseur viennois. La planche sur laquelle elle a été peinte a été construite par Graf lui-même à partir de ses meilleurs bois de table d’harmonie. Le propriétaire permit que ce tableau soit exposé dans l’atelier du peintre, à Wieden, dans sa maison où chacun put, jusqu’à la mi-juin, avoir le plaisir de le voir. Il est envoyé plus tard à Pest pour une exposition artistique. Pest, capitale de la Hongrie avait reçu Liszt avec les plus grands honneurs. C’est probablement pour cette raison que le tableau fut un temps prêté aux hongrois. Il appartient à Conrad Graf jusqu’en 1856 puis devient ensuite la propriété de F.J. Gsell. Ce dernier le met en vente en 1872. Plus tard, l’oeuvre fait partie de la collection de Martha von Scahub à Vienne. Aux alentours de 1940, elle est acquise par le gouvernement comme propriété de l’Etat et depuis 1967, est l’objet d’un prêt permanent de la République fédérale d’Allemagne au musée la galerie Nationale de Berlin. L’œuvre y est exposée encore aujourd’hui.

Analyse plastique, sociale et culturelle. L’œuvre peut être présentée comme une scène de genre et comme un manifeste artistique car celle-ci regroupe des artistes de disciplines différentes que le courant romantique a depuis ses origines étroitement associés : littérature et musique. La peinture est quant à elle ici associée en étant le médium de cette représentation.
Dans l’appartement parisien de Liszt, une société recherchée d’artistes se réunit. Des cahiers de partition éparpillés de manière désordonnée sur le piano ainsi que le buste de Beethoven, posé sur une pile de partitions, sont les indices qui permettent d’identifier le domicile du compositeur imaginé par Danhauser. Sous la fenêtre ouverte, par laquelle on perçoit un ciel orageux rougi par le coucher du soleil, se trouvent des pieds de camélia. Cette fleur signifie que l’on « aime à en mourir » et doit sa réputation au célèbre roman « La dame aux camélias » d’Alexandre Dumas fils. Depuis, elle est devenue le symbole fort et incontournable du romantisme.
Un tableau de Byron est accroché au mur, symbole des racines du romantisme. Des livres sont dispersés ça et là sur le sol et cachent un cahier sur lequel on lit « dédié à son élève Liszt par Charles Czerny»*. Sur une petite table, au coin du feu, se trouvent une statuette de Jeanne d’Arc, qui rappelle le culte du Moyen-âge, un encrier, un foulard couleur sable et des cigares. Tous ces éléments montrent encore qu’il ne peut que s’agir de l’appartement du musicien. Il est intéressant de remarquer un narguilé tout en bas à gauche du tableau : ici encore, ce détail n’est pas anodin car il fait référence à l’orient qui fait partie des grandes inspirations du romantisme.
Comme cela va de soi, le personnage principal occupe le centre du tableau. Liszt est assis au piano, habillé idéalement d’un long drap de soie noir, négligemment entouré autour du cou. Son regard de feu, adouci par la pâleur de son visage, et les joues creuses, s’élèvent de manière fantastique vers le haut en direction du buste de Beethoven, réalisé par Anton Dietrich (voir annexe 3), qui lui fait face. Dans ce regard on réalise que le moment de la consécration semble arriver. Avec force, il plaque de ses longs doigts vigoureux le clavier piano et ordonne aux touches de faire résonner, tant qu’elles le peuvent, les premiers accords de la « Marcia Funebre sulla morte d’un Eroe de Beethoven »*. Le peintre a inscrit sur le cahier de partition qui est posé devant Liszt, sur le pupitre du piano, le nom du morceau. Ce cahier n’est certes pas ouvert, mais à quoi bon? Le pianiste connaît chaque note par cœur. Le musicien est ici aussi entouré de romantiques. A sa gauche se trouve Paganini et Rossini ; Paganini, le grand esprit avec le corps misérable et Rossini le bon vivant bien nourri. Les deux s’opposent non seulement par leur corps mais aussi par leur esprit. Le corps décrépi de Paganini supporte le lourd poids de Rossini qui s’appuie sur son épaule. Les deux écoutent attentivement. Il semblerait presque que Rossini attend une mélodie un peu plus agréable. Mais Paganini couvre entièrement le sombre coloris du morceau de musique présenté. La composition est faite d’un contraste entre un groupe de fervents, regroupés en pyramide dont le sommet serait au dessus du “couple” Rossini et Paganini, groupe et d’un groupe opposé à la figure du buste de Beethoven qui semble être la source de l’admiration des artistes, en particulier du pianiste, Liszt, en communion d’inspiration avec son prédécesseur.
Le buste est d’autant plus “théâtralisé” qu’il est mis en avant, que deux rideaux l’assimilent à une apparition, et qu’il est placé près de la fenêtre totalement ouverte, où se profile un horizon prometteur, signe d’une aube nouvelle. En se plaçant dans l’admiration de Beethoven, les musiciens réunis, tous tournés vers lui, reconnaissent dans la figure fédératrice du musicien, leur tuteur, un père spirituel qui ouvre les voies de l’avenir et de la modernité.
Derrière Liszt, dans un fauteuil de cuir est assise d’une façon renversée, Aurore Dupin plus connue sous son pseudonyme George Sand. Elle est vêtue d’un costume folklorique d’homme, mais les mains et les pieds délicats, et le menton sans barbe, fon
t que l’on reconnaît bien ici les traits d’une femme, qui s’est émancipée. Sa tête est appuyée sur le fauteuil et on peut lire clairement sur son visage la profonde impression que le jeu de Liszt exerce sur elle. Entre les doigts de sa main gauche, elle tient un cigare encore rougeoyant et laisse s’échapper de sa bouche la fumée qui flotte au-dessus de la tête de Liszt sous forme de petits nuages. Le peintre fait peut-être allusion au fait que pour le compositeur, toute fumée devient encens. Elle tient à sa main droite l’écrivain Alexandre Dumas, qui est assis sur une chaise à côté d’elle, tenant un livre qu’il était en train de lire. Peut-être, George Sand tente-elle de lui faire comprendre : « maintenant ferme tes yeux et ouvre tes oreilles ! ».
Derrière la chaise de Dumas se tient Victor Hugo, négligemment vêtu certes, mais portant dans sur veste simple le ruban de la légion d’honneur; il tient aussi un livre dans la main qu’il a toutefois lui-même fermé pour écouter la mélodie de Liszt.
Au pied de Liszt, une tête très blonde, appuyée sur le piano, est assise sur un coussin posé au sol. Il s’agit d’un personnage féminin, dont on peut apercevoir, du moins deviner le visage ou le bout du nez qui apparaît sous les longues boucles et les longs cils. Cette femme semble avoir pour Liszt un plus grand intérêt pour l’homme que pour l’artiste. Elle se noie autant dans son regard qu’il se perd dans celui de Beethoven. Il s’agit de Marie d’Agoult, sa maîtresse. La figure de femme agenouillée confirme la référence aux tableaux baroques. De plus elle rappelle étrangement les femmes peintes par Metsu par exemple, autre peintre des intérieurs domestiques à une palette italienne, en particulièrement vénitienne.
Tons chauds et chatoyants, rouges, ocre et bruns, tonalités chaleureuses qui insistent allusivement sur le caractère d’entente et de communion des personnes réunies : ces couleurs sont les plus utilisées par les romantiques. Le ciel, orageux, rosée, d’une couleur quasi inexistante dans la réalité est un des éléments les plus romantiques de l’œuvre.
L’œuvre reflète des expressions très visibles, unissant tous les personnages au travers de l’écoute musicale. Ils ont tous une similitude de portrait. Danhauser n’a pu représenter les personnages que d’après des gravures sur cuivre ou des lithographies. Cependant les contemporains qui les connaissaient personnellement trouvaient l’expression de leur caractère très approprié.
Si l’oeuvre en elle-même est d’un caractère typiquement romantique, l’influence des maîtres anciens, en particulier baroque, à travers divers pays européen, se fait ressentir. En procédant à une lecture qui interroge le métier du peintre, il semble évident que Danhauser est proche des écoles flamande et hollandaise spécialistes des scènes de réalité. Des peintres tels que Vermeer et Peter de Hooch étaient en leur temps des maîtres en matière de scène de genre, et qui maîtrisaient de l’harmonie chromatique et, la perspective.
Les personnages sont représentés en duos : George Sand et Alexandre Dumas, Paganini et Rossini, Liszt et Marie d’Agoult ; seul Victor Hugo se détache, triomphant après la bataille d’Hernani, manifeste de la modernité du théâtre. Est-ce ici un signe qui fait de lui, le chef de file du mouvement ?
Liszt et Marie d’Agoult, laquelle est représentée aux pieds du pianiste, symbolisent cette audience frénétiquement passive, hébétée, d’un nouveau genre de concertiste vedette dont Liszt est le prototype, comme d’ailleurs Paganini.
Nous pouvons remarquer qu’un groupe de trois écrivains s’opposent à un groupe de trois musiciens. Seul Marie D’Agoult, bien qu’elle soit écrivain, est en dehors du groupe. Chez Dumas, Hugo et Sand, la pyramide a pour sommet Victor Hugo, alors que pour les musiciens, elle est inversée, son sommet étant Franz Liszt.
En seconde lecture, le tableau insiste allusivement sur le statut de l’artiste, objet d’adoration, porteur de valeur suprême. Liszt incarne un modèle en ce sens, figure artistique et mondaine, unanimement respectée et célébrée. La figure du duo peut tout autant s’appliquer à Liszt visiblement en pleine communion avec son “Dieu”, Beethoven. En traçant les lignes directrices reliant les têtes des personnages, il est intéressant de voir que toute converge vers le buste. Notre regard est intensément porté vers celui-ci.
Un fait certain : l’écoute musicale suscite un état second qui traduit l’alliance harmonique des arts. Ici, écrivains mais aussi musiciens sont unis sous l’action de la musique. Le piano, instrument orchestre, joué par le plus grand interprète de l’époque semble être le fédérateur privilégié de cette union, un état qui stimule aussi le rêve, la torpeur, l’inspiration, le passage dans l’autre monde, fantastique, surnaturel, voilà pourquoi peut-être Hugo ou Sand semblent soudainement être saisis par une inspiration que l’écoute musicale a suscité.
Avec davantage de recul, l’on pourrait même énoncer que la musique est au centre de cette communion de sensibilité, comme la peinture qui en permet la représentation, de façon muette mais d’autant plus sonore, efficace. Le silence figé de la peinture représente un instant de musique immortalisé par le peintre.
Tous les visages sont tournés vers la droite, ce qui symbolise que tous sont tournés vers l’avenir, vers la modernité de l’art. On peut remarquer un contraste d’opposition entre un fond gauche sombre du tableau et le fond droit, éclairé et aéré. A gauche, se trouve une porte à moitié ouverte. Derrière elle, du noir, qui symbolise le vide, le néant, le passé dont il faut désormais s’affranchir. Tout guide notre regard vers la droite.
Franz Liszt et Beethoven semblent les deux héros de la composition. Alors que tout le groupe se situe dans une moitié du tableau, la distance entre Liszt et Beethoven est en comparaison bien plus grande. Peut-être signifie t-elle la distance que Liszt a à parcourir pour atteindre l’idéal beethovénien ?
La place du piano est aussi importante. C’est un meuble du salon, essentiel : il occupe le tiers de l’espace ! L’art du commanditaire est d’avoir représenté son “produit” dans une scène de genre “artistique”, cautionnée par la dignité et le prestige des personnalités représentées. La marque du piano est bien visible, ceci n’est pas un détail anodin et il peut sembler évident que le commanditaire, Conrad Graf fabricant du piano, fait preuve d’un stratagème commercial astucieux pour se faire une certaine publicité.

Une peinture de genre, représentant un groupe
. Ce tableau représente, à la manière des grands portraits collectifs hollandais, les artistes d’un temps associés par leurs affinités spirituelles. Il ne s’agit pas à cette époque d’un genre nouveau en peinture. En effet depuis la renaissance, soit trois siècles auparavant, des peintres ont déjà réalisé des œuvres où figurent plusieurs artistes unis par les caractéristiques d’un art qu’ils ont en commun. Avec le retrait progressif de la religion dans les arts, la scène de genre se développe à la renaissance, en particulier dans les Flandres. Mais commençons par Raphaël (1483-1520) qui peint en 1511 avec une grande liberté d’esprit les quatre grandes « facultés » classiques dans sa célèbre « École d’Athènes » (voir annexe 8-b). Il représente au centre Platon et Aristote, Socrate est reconnaissable sur la gauche par son profil, Diogène est accoudé sur l’escalier dans sa posture de cynique. Le tableau comprend aussi Euclide, Pythagore, Ptolémée et Zoroastre, tous grands philosophes et mathématiciens de la Grèce antique. On s’est plu à reconnaître les modèles qui ont servi pour l’œuvre, puisqu’il s’agit des peintres contemporains de Raphaël. Ainsi Platon es
t dessiné sous les traits de Leonard de Vinci, Héraclite est le portrait de Michel-Ange, et l’auteur du tableau a inclus son autoportrait comme cela se faisait fréquemment à l’époque. Le Pérugin apparaît juste à ses cotés. De même qu’il représente des artistes d’une époque, Raphaël a cherché à définir en une seul oeuvre tout le prestige d’une civilisation. De nombreux symboles et figures allégoriques de la philosophie et des Arts libéraux sont représentés : grammaire, rhétorique, dialectique, musique, arithmétique, géométrie et astronomie.
Dans le même genre, Véronèse a glissé dans un sujet biblique du nouveau testament, « les Noces de Cana » * (voir annexe 8-c), un groupe d’artistes liés par le courant artistique de leur époque. Devant le personnage du Christ se trouve un groupe de musiciens. L’œil averti peut y reconnaître l’auteur du tableau accompagné de Bassano, Tintoret et Titien, les grands peintres contemporains de Véronèse. Cette œuvre, du XVIe siècle ne serait-elle pas une des premières à indiquer une fusion entre les arts ?

Mais c’est surtout les peintres flamands qui sont les véritables initiateurs de la peinture de groupe. Le XVIIe siècle néerlandais voit s’opérer une révolution discrète mais qui aura de grandes conséquences pour les générations suivantes. « La vie quotidienne s’installe pour la première fois dans l’espace pictural, où il n’y avait jusqu’alors de place que pour les personnages historiques, mythologiques ou religieux. Cette peinture, appelée peinture de genre, étonne par son silence empli d’humanité et saisi par l’attention, la tendresse et la bienveillance du peintre à l’égard de son sujet, sa présence, son intimité et son intériorité » .

Prenons l’exemple de Rembrandt, et son œuvre « Les syndics de drapiers » (voir annexe 8-a). Celui-ci ne représente pas des artistes de son temps, cependant la filiation avec l’œuvre de Danhauser réside dans le fait que ces cinq hommes, liés par leur métier et conscients de leurs responsabilités sont présentés comme un groupe et que l’individualité de chacun d’entre eux importe plus qu’un lien pathétique ou théâtral.
On le voit, au départ, les artistes se représentent discrètement en se glissant dans le décor d’une peinture d’histoire ou biblique. Bien qu’ils ne s’agissent pas de leur première intention, ils opèrent une sorte d’hommage personnel. Mais avec l’œuvre de Danhauser, les artistes, qui ne sont des sujets ni bibliques, ni historiques ou mythologiques, sont les véritables protagonistes du tableau. Au XIXe siècle l’expression peinture de genre désigne des œuvres représentant des scènes de la vie quotidienne ou intime, par opposition aux peintures de genre historique. Une des originalités de « En souvenir de Liszt » est que contrairement aux époques précédentes où les personnages étaient représentants d’une école particulière concernant un art, ici Danhauser opère une fusion entre deux arts et représentent des artistes de différentes nationalités. Il existe dans ce même siècle d’autres œuvres représentant des artistes et personnalités liées entre elles, mais elles ne se réfèrent qu’à un groupe isolé de compatriotes, comme par exemple « L’atelier du peintre » de Gustave Courbet. La lithographie (en annexe 8-d) peut-être citée dans le même genre pour l’Allemagne. Ici, les poètes, bien qu’ils se connaissaient, n’ont pas posé en groupe. L’auteur a voulu, avant l’existence de la photographie, immortaliser par l’image un groupe de poètes qui a marqué son époque.
Il est probable que Danhauser se soit inspiré d’une œuvre comme « Schubert au piano » de Julius Schmid (voir annexe 8-e). Cette œuvre d’inspiration romantique, à l’époque du Biedermeier, représente le célèbre compositeur viennois au piano, au centre du tableau, entouré de la bourgeoisie viennoise (œuvre très idéaliste lorsqu’on connaît la vie de Schubert). Ce tableau reste dans la filiation du « Souvenir dans Liszt » dans le sens où un musicien célèbre fait figure de principal acteur de la toile.
Dans la lignée de l’œuvre de Danhauser, on pourrait citer l’ « Hommage à Delacroix » de Fantin-Latour (voir annexe 8-f). Ce portrait de groupe rassemble Louis Edmond Duranty (homme de lettres), James Abbott Mac Neill Whistler (peintre), Champfleury, Jules Husson (écrivain), Edouard Manet (peintre), Charles Baudelaire (poète et critique), Louis Cordier, Alphonse Legros (peintre), Félix Bracquemond (graveur), Albert de Balleroy (peintre), Henri Fantin-Latour devant un portrait célèbre d’Eugène Delacroix, décédé l’année précédente. Bien que les auteurs et artistes représentés soient tous français, le portrait en fond, est susceptible de rappeler le portrait de Lord Byron et le buste de Beethoven dans le tableau de Danhauser, symbolisant la vénération des maîtres pour les investigateurs d’une nouvelle modernité.

Le piano Graf :
Piano fabriqué par Graf qui a certainement servi de modèle au tableau. Hammerflügel de graf, 1840, Vienne. 245 centimètres. Mécanisme viennois avec étouffages.
Inscription incrustée de métal figurant sur le piano Graf

Peinture de groupe :
a- Rembrandt : Le syndic des drapiers.
b- Raphaël : l’école d’Athènes, vers 1511/12
c- Véronèse : les Noces de Cana
d- Les six grands poètes allemands : Goethe au centre, Klopstock, Schiller, Wiedland, Lessing, et Herder.
e- Schubert dans un salon romantique allemand imaginaire
f- Henri-Fantin Latour : hommage à Delacroix (1864)

Une matinée chez Liszt:
a- Une matinée chez Liszt. Lithographie de Josef Kriehuber, 1846, qui témoigne de l’influence de la toile de Danhauser.
b- Liszt au piano, Czerny debout avec ses lunettes, à coté Berlioz. A droite au violon, Heinrich W. Ernst. A gauche, Kriehuber, auteur de la lithographie. Liszt joue sur un instrument Conrad Graf. Devant lui la partition de sa mélodies hongroises et de la sonate en la bémol. Op.26 de Beethoven (même partition que dans l’œuvre de Josef Danhauser).

Camille Saint-Saëns, Concerto pour piano n°5France musique, le 29 septembre à 20hEn direct de la salle Pleyel

Vingt ans séparent le Concerto n°5 dit l’Egyptien, du précédent opus dans la même formation concertante, le n°4. Certes, Saint-Saëns le composa effectivement pendant un séjour à Louxor, en 1895. Il est incontestablement inspiré par le climat local, et son écriture revêt quelques colorations arabisantes. Le compositeur reste assez vague sur les sources des motifs ici développés : seul l’andante emprunterait effectivement aux musiques indigènes.
Il reste plus sage de parler d’évocation orientalisante voire égyptisante que d’une musique aux prétentions ethnomusicales.
L’œuvre fut créée à la Salle Pleyel, le 2 juin 1896, pour célébrer le jubilé de la carrière de l’auteur comme pianiste concertiste.

Plan de l’œuvre en trois parties
(lent, vif, lent). L’allegro animato, au rythme syncopé alterne deux motifs dont une réminiscence de l’air « mon cœur s’ouvre à ta voix » extrait de son opéra, « Samson et Dalila ». L’andante approfondit la fascination de Saint-Saëns pour le rêve oriental. Il s’agit même selon ses commentaires d’un « voyage en Orient qui va même jusqu’en Extrême-Orient ». Il y citerait en particulier le chant de bateliers nubiens entendus sur le Nil… Le piano en une libre fantaisie, imite le gamelan (résonance harmonique des quintes).

Aussi inventif voulait-il être, l’orientalisme de Saint-Saëns est l’exact contrepartie musicale des peintures de son époque sur le même thème : des gâteries filtrées par le goût européen, certes séduisantes mais d’une fausse simplicité, en tout cas totalement artificielles. Alfred Cortot a tranché sans complaisance sur la qualité de l’œuvre finalement plus décorative que suggestive : « la notion superficielle » est ici, heureusement amoindrie et presque transcendée par « une orchestration surprenante de finesse », « un tourbillon d’octaves crépitantes ».

Dans le cadre des premiers concerts de la première saison de la nouvelle salle Pleyel, Laurent Bayle, directeur général du nouveau lieu a eu raison de programmer une oeuvre pianistique, rarement donnée par ailleurs, et qui appartient à l’histoire de la salle de concert. D’autant que le pianiste Aldo Ciccolini, qui a l’habitude de l’interpréter, s’est révélé un ambassadeur idéal des climats et de la texture raffinée de Saint-Saëns.

Le 29 septembre à 20h
En direct de la Salle Pleyel

Maurice Ravel,
Une barque sur l’océan

Claude Debussy,
Iberia

Camille Saint-Saëns,
concerto pour piano n°5
« l’Egyptien »

Aldo Ciccolini, piano
Orchestre Philharmonique de Radio France,
direction, Mikko Franck

Illustrations
Nadar, portrait de Camille Saint-Saëns
Alma-Tadema, défilé au bord du Nil à l’époque du Nouvel Empire

Adam de la Halle (circa 1240 – circa 1288)

Né à Arras vers 1240. Fils d’un employé à l’échevinage d’Arras, il
étudie à l’Abbaye cistercienne de Vauxcelles. Renonçant à une carrière
dans les ordres, il se marie en 1270 avec une dénommée Marie, puis
vient à Paris où il obtient le titre Maître ès arts et devient clerc.
Il rentre peut-être en contact avec les déchanteurs de l’École de
Notre-Dame. Puis il retourne en Artois, où il retrouve sa femme pour
aller vivre quelques années à Douai. Enfin il rentre au service de
Robert d’Artois en 1271 qu’il suit à Naples vers 1282, s’en allant
soutenir Charles d’Anjou, roi de Sicile. C’est dans cette ville, à la
Cour de France, qu’il donne son célèbre Jeu de Robin et Marion, connu
pour être le point de départ du théâtre profane en France. Il serait
mort vers 1288 en Italie, selon un contemporain.
Son répertoire, l’un des plus riches de son temps, associe monodie et polyphonie. Trouvère
très renommée en son temps, et toujours le plus célèbre
aujourd’hui, ses talents de poète et de monodiste enchantèrent
ses contemporains. Cependant la postérité retient surtout sa musique
polyphonique, en particulier ses quatorze rondeaux à trois voix, qui font
de lui le premier musicien à avoir composé une polyphonie profane
indépendante du motet. Il a contribué d’autre part, à
l’élaboration des formes fixes qui constitue la base de la production
profane en usage jusqu’au XV ème siècle. Il figure comme le premier
musicien à avoir signé conjointement des pièces monodiques
et polyphoniques.

Oeuvres principales

2 pastourelles : Le jeu de Robin et Marion (qualifié parfois de «
premier opéra comique français »), Le jeu de la feuillée
34 chansons monodiques
14 rondeaux à 3 voix (regroupés sous le titre Li Rondel Adan)
1 Rondeaux-virelai, 1 ballade, 16 jeux-partis
6 motets

Mozart, la clemenza di Tito (1791) Paris, Opéra. Du 11 septembre au 2 octobre

2006 aura marqué certes l’année Mozart, surtout la réévaluation de son dernier opéra seria, La clemenza di Tito. Récolte foisonnante de lectures au cd et en dvd (voir notre sélection ci-après).
L’opéra que beaucoup tenait par « tradition » comme un ouvrage déséquilibré et expédié faute de temps, est bien au contraire, l’œuvre d’un génie du théâtre qui ayant auparavant, produit les chefs d’œuvre que l’on sait avec Lorenzo da Ponte, entre 1786 et 1790, donne au moment de la création de son Titus, à Prague le 6 septembre 1791, un nouvel éclairage sur la métamorphose des cœurs. Certes, en frère maçonnique, Mozart est inspiré par l’idéal de fraternité et de pardon. Mais, jamais son écriture n’aura été aussi épurée, efficace, économe, fulgurante.

Sous la baguette de Gustav Kuhn, l’Opéra national de Paris sur la scène du Palais Garnier représente l’œuvre dans la mise en scène du couple Herrmann (Karl-Ernst et Ursel).
Du 11 septembre au 2 octobre.

Distribution

Tito, Christoph Prégardien

Vitellia, Anna Caterina Antonacci

Servilia, Ekaterina Syurina

Sesto, Elina Garanca

Annio, Hannah Esther Minutillo

Publio, Roland Bracht

Consultez la fiche de la production sur le site de l’Opéra de Paris.

Approfondir

Lire notre dossier spécial consacré
au dernier opéra seria de Mozart : « plaidoyer pour Titus »

Découvrir notre discographie de Titus

Lire notre critique du dvd de la production
dirigée par Nikolaus Harnoncourt à Salzbourg (paru chez TDK).

Voir
La production de l’Opéra de Paris a été filmée.
L’enregistrement est diffusée sur Mezzo jusqu’au 15 septembre à 15h45.
Lire notre présentation de ce programme.

Crédit photographique
© service de presse Opéra national de Paris

Antonio Vivaldi Radio classique, le 28 septembre à 21h

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Qui est Vivaldi ? On semblait connaître définitivement « il Pretre Rosso » : rien que des concertos pour mandoline, pour violons, pour violoncelle ; certes, les Quatre Saisons : un cycle époustouflant par ses couleurs et sa texture, qui révèle une sensibilité à peindre des états climatiques. Pas de quoi, cependant, le hisser au-dessus de ses contemporains, les plus grands tels Bach, Haendel ou Rameau…
Or celui qui a vingt-deux ans en 1700, trace son empreinte dans la constellation artistique du XVIII ème siècle. Nous lui devons aujourd’hui, grâce au disque principalement, d’étonnantes découvertes au théâtre. Vivaldi, violoniste virtuose, est surtout un dramaturge de génie qui embrase la scène lyrique vénitienne : voilà l’enseignement majeur de la musicologie récente.
Tito Manlio (1719), après les coups de maître que sont Orlando Finto Pazzo puis Arsilda, fut composé en « cinque giorni » comme le précise son auteur, non sans fierté, sur le manuscrit achevé : « musica del Vivaldi fatta in 5 giorni ». Il est doué, compose comme l’éclair; il est rapide, fier de cette fulgurance. « fare presto », faire vite ; ce principe par lequel s’affirme le statut de l’artiste, opère sur une autre scène que la musique : la peinture. Guardi bien sûr, et Gian Batista Tiepolo dont les dessins disent cette apothéose du trait foudroyant. Et que dire de Fragonard, qui tout en préparant le néoclassicisme et sa rigeur linéaire, incarne aussi la fulgurance brossée, l’étincelle et l’éclat du génie fugace.

Vivaldi compose comme un peintre.
A la nervosité, les plus grands ajoutent une autre qualité, celle des tonalités. La couleur apporte de nouvelles résonances et l’on sait que Vivaldi aimait aussi colorer ses œuvres : dès Ottone, puis de Arsilda à Judith, de Tito à Orlando Furioso, entre autres, un choix particulier d’instruments caractérise souvent ses partitions.
Il remet en question nos idées sur le baroque italien, précisément sur les événements musicaux qui ont marqué l’histoire de la création à Venise dans la première moitié du XVIII ème siècle. Son art est unique, déjà romantique, densément expressif voire expressionniste ; d’une hypersensibilité qui sait capter les phénomènes de la nature. Du musicien au peintre, l’agilité de la brosse ou du coup d’archet sait frissonner et murmurer, rugir et languir.

Qui sait approfondir sa musique, en particulier ses opéras, ce à quoi nous invite les choix judicieux de l’industrie du disque aujourd’hui, découvrira un maître des passions humaines, un amoureux des voix, un connaisseur et un magicien du théâtre. En cette rentrée 2006, voici un court portrait annoncé sur Radio classique mais une opportunité légitime pour dresser un premier bilan de la « déferlante Vivaldi », au moment où Naïve publie un nouveau coffret lyrique, « Griselda« .

La vie baroque
Antonio Vivaldi
Portrait discographique
Jeudi 28 septembre à 21h

Approfondir
Lire notre grand dossier sur les opéras du compositeur :
« Vivaldi, l’épopée lyrique« 

Dimitri Chostakovitch, Symphonie n°13 ‘Babi Yar »France musique, le 28 septembre à 20h

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Cantate en plusieurs mouvements ou symphonie pour soliste ? Comme l’opus qui suit (Symphonie n°14), Chostakovitch organise sa Symphonie n°13 en associant instruments et voix. L’œuvre n’a de disparate ou d’éclectique, en apparence, que ses options formelles. L’unité en est assurée par le prétexte littéraire : la symphonie suit le cycle de cinq poèmes d’Evguenei Evtouchenko : « Babi Yar », « l’Humour », « Au magasin », « les terreurs » et « la Carrière ». Le poète né en 1933, s’est fait connaître dès 1957, en dénonçant au nom de l’idéal révolutionnaire la corruption du système stalinien. Son poème affûté, « Babi Yar », dénonce en 1961, l’antisémitisme du pouvoir. Evtouchenko sera comme Chostakovitch déçu par les nouveaux décisionnaires politiques qui ont succédé au Stalinisme. Le retour à un pouvoir centralisé, à ses dérives conformistes au nom du réalisme socialiste, ne fera qu’aiguiser l’opposition du poète, cependant de moins en moins militant, comme il l’avait été au début des années 60 (quand CHostakovitch s’engage pour sa prose et ses revendications), en organisant des meetings poétiques qui réunissaient plusieurs milliers de personnes.
Au départ, le compositeur ne souhaitait « illustrer » que le premier poème, découvert en 1961. Une première partition sur ce seul poème fut achevée en avril 1962. Puis, Chostakovitch décida de compléter l’œuvre en lui associant les poèmes complémentaires. La partition sur les quatre autres poèmes fut terminée en trois mois.
Et l’auteur put entendre la création de sa Symphonie n°13, intitulée « Babi Yar », le 18 décembre 1962, sous la direction de Kirill Kondrachine (avec le soliste Vitaly Gromadski).

Fiche symphonie
Symphonie n°13, « Babi Yar»
Orchestre : percussions abondantes, comprenant castagnettes, xylophone, célesta, cloches… Contrebasses à 5 cordes.
Commentaires des cinq mouvements : l’adagio initial (1) peint l’horreur. La vision d’un charnier « Babi yar », le ravin des femmes, contenant de nombreux cadavres de juifs soviétiques martyrisés par les nazis. Atmosphère oppressante sur un rythme de marche, sons de cloches. Les courtes vagues chorales constrastent avec les phrases du soliste plus développées. L’allegretto (« l’humour ») (2) est porté par le sarcasme léger et mordant du compositeur : l’humour qui y est célébré, est le plus irrévérencieux, c’est l’apologie de l’insolence contre toute forme d’oppression et d’autorité. L’adagio de « Au magasin » (3) est durablement construit sur un registre doux et songeur. Le quotidien des femmes russes y est évoqué : faire de longues queues devant les magasins. Le largo (« les terreurs ») (4) s’inscrit contre la période de la déstalinisation. Le compositeur, inspiré par la poète y exprime la terreur des temps où « parler à sa propre femme » était une « terreur »… Dans l’allegretto final (« la carrière »)(5), Chostakovitch évoque les hommes de bonne volonté qui par leurs idées, ont pris des risques. Chostakovitch semble inspiré tour à tour par une apparente insouciance puis une profondeur méditative : il se confesse à lui-même, non sans un cynisme terrifiant : « je fais une carrière en ne la faisant pas ».


Prima la musica

Jeudi 28 septembre à 20h

Dimitri Chostakovitch

Symphonie n°13 « Babi Yar »

Sergueï Leiferkus, baryton
Chœur de Radio France
Orchestre national de France,
Direction, Kurt Masur

Crédits photographiques (DR)
Evgueni Evtouchenko, photo
Dimitri Chostakovitch et Kirill Kondrachine,
pendant l’enregistrement en 1962 de la Symphonie n°13.

Messe de Rodolphe II à Prague France musique, le 26 septembre à 15h

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Certes Prague applaudit et s’enthousiasme coup sur coup, pour Les Noces de Mozart (1786) puis, surtout, Don Giovanni (1787) de Mozart. A-t-on depuis constaté en Europe une telle affinité immédiate entre un public et un compositeur ? Pourtant, les Praguois ont, avant Mozart, et dès la fin de la Renaissance, connu nombre de compositeurs, écouté tant d’œuvres, suivi le goût des monarques mélomanes, dont l’un des plus illustres : Rodolphe II, empereur Habsbourg. Heureux Praguois qui assistent au couronnement du nouveau souverain le plus puissant d’alors, en 1576, lequel d’ailleurs a décidé d’implanter la Cour et donc le siège de la capitale impériale, non plus à Vienne, mais à Prague.

Alchimiste passionné, collectionneur de peintures, érudit parfois fantasque, il aime surtout la musique, et l’activité de sa chapelle musicale, en témoigne.
Le programme interprété par l’ensemble Doulce Mémoire et son chef fondateur, Denis Raisin-Dadre, est le fruit d’une collaboration exemplaire entre les autorités culturelles et politiques Tchèques et le Festival de Sablé qui depuis plusieurs années, accompagne et favorise un programme de résurrection musical autour de l’axe France-Tchéquie, particulièrement foisonnant et éclatant à l’époque de la Renaissance, du baroque et de l’époque classique. L’Europe des 25 se met peu à peu en place. Mais l’Europe musicale européenne s’est construit naturellement bien plus tôt.

A Prague Rodolphe, nomme à la direction de sa chapelle, Philippe de Monte, qui était déjà au service de son père, l’empereur Maximilien II. Le musicien parfaitement connu et documenté, s’entoure de compositeurs de sa valeur, tels Karl Kuyton, Jacob Regnart, Franz Sales. Leurs œuvres sont publiées chez Georg Nigrimus ou chez Berg, à Munich. Les sources exploitables ne manquent donc pas.
Empereur pieux, exigeant de son compositeur attitré plusieurs messes et musiques liturgiques ou sacrées pour la Chapelle Impériale, Rodolphe II est aussi un souverain fastueux : il dispose donc d’une formation d’instrumentistes dont de nombreux musiciens italiens, parmi les plus virtuoses de l’heure.
Après avoir repéré de nombreux manuscrits de la fin du XVI ème siècle, Denis Raisin-Dadre propose La Missa Confitebor tibi Domine, une messe à double chœur de Philippe de Monte dont le manuscrit est conservé à Prague. Cette œuvre centrale est complétée par d’autres pièces sacrées signées Regnart, Orologio, Lambert de Sayve (musique à triple chœur) qui était le maître de la chapelle de l’archiduc Matthias, frère de Rodolphe II.
Le programme a été donné au Festival de Sablé 2006 (le 23 août dernier).

Prima la musica
Mardi 26 septembre à 15h

Philippe del Monte, Jacob Regnart…
Messe pour la chapelle de l’empereur Rodolphe II à Prague

Doulce Mémoire,
direction, Denis Raisin-Dadre

Illustrations
Philippe del Monte, gravure
Rodolphe II, portrait (DR)

Richard Strauss (1864-1949)

Richard Strauss naît le 11 juin 1864 à Munich. Il manifeste très tôt des dons exceptionnels pour la musique et grâce à un contexte familial particulièrement favorable, le tout jeune garçon peut prendre ses premières leçons de musique. Son père est corniste solo réputé à l’opéra de Munich, militant anti-wagnérien ; sa mère lui enseigne le piano et son oncle, le violon. Quelques temps après, il étudie le piano avec August Tombo, harpiste à l’Orchestre de la Cour, puis Benno Walter, violon solo du même orchestre, lui enseigne le violon. Enfin, F. W. Meyer lui enseigne la composition (harmonie et contrepoint) et la direction d’orchestre. Il complète cet apprentissage par de sérieuses études générales qui se terminent à l’université de Munich en 1883.

Il écrit ses premières œuvres très jeune sous l’influence de Schumann, Mozart et Mendelssohn, et publie dès 1881 plusieurs partitions qui attirent l’attention d’Hans von Bülow. Il rencontre ce dernier qui lui fait découvrir l’art wagnérien et qui lui facilite ses débuts de chefs d’orchestre. La création de Parsifal à Bayreuth lui laisse une impression profonde et le laisse définitivement grand admirateur de Wagner, malgré les précautions prises par son père dans sa jeunesse. En 1886, il succède à Bülow, après avoir été son assistant, comme chef d’orchestre de Meiningen et devient par la suite assistant chef d’orchestre à l’opéra de Munich, puis à la cour de Weimar. C’est l’époque de ses premiers poèmes symphoniques (Macbeth, Don Juan, …) qui déjà suscitent de violentes controverses pour leurs audaces mais qui impressionnent par leur maturité.

Une longue maladie le contraint à cesser toute activité pendant plusieurs mois. Il voyage ainsi en Grèce et en Italie où il prépare son premier opéra Guntram. L’ouvrage, sous influence Wagnérienne, chute à Weimar lors de sa création en 1894. Cette même année, il dirige au Festival de Bayreuth, Tannhäuser et épouse la cantatrice, Pauline de Ahna qu’il a rencontré en 1887. Entre temps, il succède à nouveau à Bülow en 1892, mais cette fois-ci, comme directeur des concerts philharmoniques de Berlin. Puis en 1898, il est nommé chef d’orchestre de l’Opéra de Berlin. Sa réputation atteint son apogée, il devient une des personnalités les plus prestigieuses et estimée du monde musical allemand et entreprend d’importantes tournées à travers toute l’Europe. Dès 1910, il consacre la majeure partie de son temps à la composition et enseigne entre 1917 et1920 à la Hochschule für Musik de Berlin. Avec l’avènement du régime hitlérien, il succède à Bruno Walter comme directeur musical du Gewandhaus de Leipzig et devient président d’une Reichsmusikkammer. Cependant, il rompt avec l’autorité nazie qui condamne officiellement son opéra La Femme silencieuse (l’auteur du livret, Stéphane Sweig, étant juif). Sa situation demeure dès lors pénible et les nazis lui interdisent de quitter le territoire. Il finit par renoncer à toute fonction publique pour se retirer dans sa maison de Garmisch. Après la guerre, profondément affecté et épuisé par tous les événements politiques, il s’installe en Suisse. Puis il revient à Garmisch pour y mourir le 8 avril 1949.

L’immense chef d’orchestre et compositeur de génie fait souvent figure de dernier grand romantique de l’histoire de la musique Son activité intense s’étend sur plus de 60 années. Connu avant tout pour ses grands opéras et poèmes symphoniques, il a su aborder quasiment tous les genres. Principal héritier de Wagner, Strauss fut le dernier à composer une musique essentiellement tonale qui semble alors ignorer les nouvelles écoles de ses contemporains Stravinsky, ou encore Schoenberg, Berg et Webern.

Parmi ses œuvres les plus importantes :
15 opéras dont Salomé (1905), Elektra (1909), Der Rosenkavalier (1911), Ariane auf Naxos (1912), Die Frau ohne Schatten (1919), Arabella (1933), Cappriccio (1942).

8 poèmes symphoniques : Aus Italien, Don Juan, Macbeth, Tod und Verklärung, Till Eulenspiegel, Also sprach Zarathustra, Don Quichotte et Ein Heldenleben.

Et aussi :
Deux symphonies (1880 et 1883)
Un Concerto pour violon (1882)
Burlesque pour piano et orchestre en ré mineur (1886-1890),
Suite pour orchestre : le bourgeois gentilhomme (1917),
Deux concertos pour cor
Un concerto pour hautbois (1945)
Double concertino pour clarinette, basson et orchestre
Metamorphosen, étude pour 23 instruments (1945)

140 lieder avec piano (Morgen, Wiegenlied…)
15 lieder avec orchestre (dont les 4 derniers lieder composés quelques mois avant sa mort)

Elektra, fragments d’une mise en scèneMezzo, le 30 septembre à 5h22

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« N’oublions pas que Hofmannsthal a réécrit totalement l’histoire grecque d’après Sophocle mais dans le style et l’esprit de son époque, c’est à dire l’année 1903. En définitive, Elektra raconte une histoire de famille, qui est de ce fait plus proche de Freud que de la tragédie des Anciens. J’aimerais exprimer l’intimité de l’action même si la musique et le chant sont d’un autre volume. » ainsi s’explique Stéphane Brunschweig sur les options de sa mise en scène, devant l’équipe de la production du spectacle présenté à l’Opéra du Rhin et aussi à La Monnaie de Bruxelles, en 2002.

Elektra est le premier chef-d’œuvre du duo mythique à l’opéra, Richard Strauss et son librettiste, le poète Hugo Von Hofmannsthal est abordé à l’Opéra du Rhin à Strasbourg, sous l’œil du metteur en scène Stéphane Brunschweig, qui d’ailleurs vient de signer le premier volet de la Tétralogie de Wagner, l’Or du Rhin, à Aix-en-Provence cette année, en juillet 2006.

L’homme de théâtre suit les mouvements des chanteurs, en particulier de la chanteuse Luana de Vol(qui chante le rôle-titre), que les parisiens ont pu écouter dans La Femme sans ombre du même Strauss, à l’Opéra Bastille où elle incarnait la femme du Teinturier. Donner les clés du récit, par une gestion nuancée des attitudes, distinguer dans les strates du chant déclamé, le pensé et l’exprimé ; le soin apporté aux éclairages, l’efficacité et l’économie des gestes… le travail du metteur en scène soigne la lisibilité de l’action. Il fait sous nos yeux de la frise antique imaginée par Hofmannsthal, un huit-clos, circonscrit par une fosse rouge sang où se déploie la sanglante catastrophe qui soustend toute la partition : désir du meurtre, désir de vengeance, furie éructante et sauvage : Elektra, possédée par sa soif sanguinaire réalise au prix de sa propre vie, le crime le plus atroce : tuer la mère.

Difficile de gérer la corde tendue d’une œuvre particulièrement expressive sur le plan musical et vocal. Tout le travail est là devant la caméra. Car dans ce documentaire plus qu’illustratif, le sens de l’action contrôlée affleure. Dommage que le principe du film de Mustapha Hasnaoui ne suive qu’une répétition filmée. Collecter la parole de Brunschweig sur l’œuvre et sur sa propre conception théâtrale du drame de Hofmannsthal (qui était avant d’être un opéra, une pièce de théâtre), aurait apporté un autre éclairage.
Notre regard toujours porté à distance reste un peu frustré mais cela n’ôte rien à ce témoignage clé d’une œuvre en train de naître.

Elektra, fragments d’une mise en scène
Répétitions filmées (Opéra du Rhin à Strasbourg, 2002. 56mn)
Le 30 septembre à 5h22

Approfondir
Lire notre dossier sur les opéras de Richard Strauss, premier volet d’un feuilleton consacré à l’oeuvre théâtrale de Richard Strauss.
Lire notre critique de la version récente parue chez Hänssler Profil, dirigée par Semyon Bichkov (mai 2006).

Illustrations
William Blake, le théâtre antique, la scène tragique
Portrait de Hugo Von Hofmannsthal
Portrait de Richard Strauss

Mozart, Don Giovanni France musique, le 16 septembre à 19h

L’année Mozart ne doit pas s’achever sans que nous ne soulignions assez la saveur séditieuse et même révolutionnaire du chef-d’œuvre absolu du théâtre lyrique, Don Giovanni, composé et conçu par Mozart et son librettiste Lorenzo da Ponte. Heureux Mozart qui en cette année 1787, est l’hôte et le favori acclamé des Pragois, heureux de retrouver leur cher compositeur dans une nouvelle partition, déjà subjugués par son génie, depuis le triomphe récent des Noces de Figaro (1786).

2006, l’année Don Giovanni. Gaumont a démontré l’actualité du mythe libertin mis en musique par Mozart et transféré par Joseph Losey au cinéma (1979), dans une réédition jubilatoire, en dvd, de surcroît bénéficiant de dernières performances du remixage, à laquelle nous avons consacré un dossier spécial.
Après le festival de Salzbourg 2006 qui a offert aux riches spectateurs venus les entendre, tous les opéras du divin Wolfgang, France musique nous comble tout autant sinon mieux, en diffusant le 16 septembre, la production présentée par le théâtre des Champs Elysées en juin 2006, sous la direction percutante et flexible d’Evelino Pido, certainement galvanisé par l’orchestre Concerto Köln.

Portrait du héros mozartien. Pas exactement « croyant dévoyé » ni « chasseur du beau sexe » : Don Juan incarne un surhomme, le mythe de l’homme moderne : un humaniste libertaire. C’est l’un des ces « esprits forts, qui ne veulent rien croire » (Molière, Dom Juan, 1665). En revendiquant sa liberté, il œuvre pour la liberté souveraine de chacun. Apte à suivre le destin qu’il s’est choisi, prompt à rompre les chaînes de la morale chrétienne fondée sur la culpabilité et la repentance, trop heureux à dissoudre et même choquer avec délices, les convenances sociales. C’est un égoïste, un indépendant, un cynique qui plus que tout autre sait qu’il est né seul et mourra seul. Mais il fait de son existence, une vie édifiante, orgueilleuse et créative, « un destin » selon le mot de Kierkegaard.
A cette figure monstrueuse et désirable à la fois, Mozart fait correspondre l’admirable et doux visage d’Elvire qu’il emprunte à Molière. Toujours prête à pardonner et aimer. Même Anna dont le père vient pourtant d’être assassiné par le diable libertin, ne peut s’empêcher d’être insensible à l’énergie (trop érotique ?) de l’impie et de l’infâme. Ottavio peut attendre.
De son côté, mais sous l’œil expert d’un Mozart dramaturge, Da Ponte puise les ficelles de son livret, dans le Don Giovanni de Bertati mis en musique par Gazzaniga, (représenté en 1782, et repris à Venise en janvier 1787, quelques mois avant l’opéra de Mozart).
Le duo génial reprend le mythe, lui assène un renouvellement préromantique : le fantastique et le surnaturel, la tragique et le comique, la fulgurance irrésistible de la musique confèrent au sujet un souffle inédit. Romantique, le mot ne doit pas étonner : Werther date de 1776 et l’on sait que Mozart, est le frère musical de Goethe. L’écrivain allemand se révéla d’une rare perspicacité à l’égard des œuvres de Mozart. Il dira plus tard que seul Mozart aurait pu mettre en musique son Faust ! Le Merveilleux diabolique de Don Giovanni est bien dans l’air du temps. Et Mozart qui s’ingénie en dramaturge exceptionnel, à mêler les registres de la narration et de l’évocation poétique et dramatique, se montre bel et bien au-dessus de tous les autres.

Année Mozart. Mozart, Don Giovanni
Soirée Opéra, de 19h à 23h

Enregistré le 23 juin 2006
au Théâtre des Champs-Elysées, Paris
Présentation : Jérémie Rousseau

Dietrich Henschel, Don Giovanni
Patrizia Ciofi, Donna Anna
Alexandrina Pendatchanska, Donna Elvira
Francesco Meli, Don Ottavio
Gian Battista Parodi, Il Commandatore
Lorenzo Regazzo, Leporello
Anna Bonitatibus, Zerlina

Chœur du Théâtre des Champs-Elysées
Concerto Köln
Evelino Pido, direction

Approfondir
Lire notre dossier spécial Don Giovanni, la genèse de l’opéra et les enjeux du mythe

Agenda des concerts
ne manquez non plus la lecture en version de concert de Don Giovanni, proposée les 28 et 29 octobre dans la nouvelle salle Pleyel, par René Jacobs, nouveau mozartien indiscutable, confirmé cette année avec La Clemenza di Tito, parue chez Harmonia mundi.

Illustration
Pierre-Paul Prud’hon, La justice et la Vengeance divine poursuivant le crime (1808). Paris, musée du Louvre. Un incroyant, décadent et homicide : voilà d’un côté l’aspect de Dom Juan… dans les yeux des bien-pensants, Donna Anna et Don Ottavio. Mais il y a aussi une superbe solaire chez ce libertaire révolutionnaire, telle que la stigmatise en peinture, le portrait de fantaisie brossé en quelques heures par le génie fulgurant de Fragonard.

Dimitri Chostakovitch, Symphonie n°7 (1942) France musique, le 22 septembre à 20h

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Pendant la guerre contre l’ennemi fasciste et le siège de Léningrad, Chostakovitch s’est impliqué pour le maintien de la vie culturelle dans la ville occupée. La culture, expression de la résistance d’une nation menacée mais réunie et solidaire. Le compositeur travaillait alors comme assistant musical pour un théâtre qui donnait des représentations aux militaires et dans les hôpitaux. Il allait aussi être affecté comme pompier à la défense de Léningrad. L’invasion militaire et la menace que font peser les conflits, sont explicitement évoquées dans la partition. D’ailleurs, au préalable, Chostakovitch avait l’intention d’intituler chacun des quatre mouvements : « la guerre », « souvenirs », « les grands espaces de ma patrie », « la victoire finale ». Moins anecdotique que cela, l’auteur aime nourrir la richesse suggestive de son œuvre, et dans ses mémoires, il précise une autre intention, en liaison avec une indéfectible lucidité. La guerre dont il est indiscutablement question ici, peut être celle menée contre l’envahisseur nazi, mais il s’agirait aussi d’une autre oppression tout aussi accablante pour la nation, la politique des purges staliniennes. De sorte qu’en une seule œuvre, Chostakovitch ferait le procès et de la barbarie nazie et de la terreur stalinienne.
Quoiqu’il en soit, l’œuvre créée le 5 mars 1942 à Kouibychev sous la direction de Samuel Samosoud, suscita immédiatement l’enthousiasme de l’audience, exaltée car elle retrouvait dans la musique, mêlant accablements tragiques et élan vital, les sentiments de toute une nation. La célébrité de la Symphonie n°7, baptisée « Léningrad », devait gagner un retentissement international lorsque Toscanini la dirigea à son tour le 19 juillet 1942 lors d’un concert mémorable qui fut retransmis sur la NBC.

Fiche symphonie
Symphonie n°7 « Léningrad » opus 60
Créée le 5 mars 1942 à Kouibychev

Orchestration : trombones et trompettes doublées (au total, 6 par pupitres)
Durée moyenne : entre 1h10 et 1h20.
Quatre mouvements : dans l’allegretto initial (1), la sérénité joyeuse est laminée par un thème martial de plus en plus développé, asséné à force de roulements de tambour. Le moderato poco allegretto (2) est un « intermezzo lyrique, assez doux » qui toujours selon les mots de l’auteur, contient une pointe d’humour (cantilène du hautbois), car à l’image des recommandations de Shakespeare, « on ne peut continuellement tenir l’auditoire en état de tension ». Dans l’adagio (3), le visage terrifiant de la guerre réapparaît. Mais désormais, contre la menace, Chostakovitch dresse la force d’un peuple résistant. L’allegro non troppo final (4), qui est enchaîné avec le dernier choral de l’adagio précédent, dépeint l’implication de toutes les ressources pour contrer l’ennemi. Rafales de gammes portées par tout l’orchestre, émergence du sentiment de victoire, l’épisode de fin se précise en une apothéose glorieuse.

Le 22 septembre à 20h.
Jusqu’à 23h. Présentation : Anne Montaron
« Prima la musica »

Symphonie n°7 « Léningrad »
Concert en direct
du Neuen Gewandhaus de Leipzig

Orchestre du Gewandhaus de Leipzig
Dmitri Kitajenko, direction

Programme couplé avec
Ludwig van Beethoven
Concerto pour piano et orchestre n°5
opus 73 en mi bémol Majeur

(Lars Vogt, piano).

Approfondir
Lire aussi notre dossier Dimitri Chostakovitch, à l’occasion du 26 septembre 2006 date événement, marquant le centenaire de la naissance du compositeur russe.

Crédit photographique
Dimitri Chostakovitch sous le portrait de Beethoven (DR).

Robert Schumann, Scènes de Faust (1848)Paris, Salle Pleyel. Le 7 décembre à 20h

Année des 150 ans de la mort, 2006 met à l’honneur Robert Schumann. Si les lieder et les symphonies sont régulièrement à l’affiche des salles de concerts, plus rares voire exceptionnelles, ses oeuvres pour orchestre, solistes et choeurs. Mi-oratorios, mi-opéras, sans dramaturgie scénique, elles offrent néanmoins de superbes tableaux dramatiques. En témoignent les Scènes de Faust que fort judicieusement, l’Orchestre de Paris dirigé par son chef principal, Christophe Eschenbach, a inscrit dans sa programmation du mois de décembre 2006. Bilan sur un mythe littéraire transfiguré en musique. Du Faust historique au texte de Goethe, de Berlioz à Schumann, bilan sur les avatars et les enjeux d’un sujet éternel.

Une oeuvre laboratoire (1844-1848). Schumann a porté son Faust pendant une dizaine d’années, remettant son ouvrage, reprenant, un fil laissé inachevé des années auparavant. La succession des parties composées donnent aussi la mesure d’un cycle hétérogène qui n’a comme seul colonne vertébrale, que la prodigieuse personnalité de celui qui l’a conçu. Produisant in fine un ensemble de 13 scènes structurées en 3 parties, la composition du Faust schumannien débute en 1844 par la troisième partie. Suit une période de fragilité mentale et de silence que rompt, à partir de 1847 puis 1848, l’écriture des première, puis deuxième parties.

Oeuvre laboratoire qui recueille la maturité de plusieurs périodes, Faust accompagne sur une longue période la réflexion et le travail de Schumann. Un Schumann habité par une idée musicale et littéraire, toujours soucieux de produire une nouvelle forme de composition, où le chant et la musique seraient la continuité du verbe, et réciproquement. Le compositeur après la voie des symphonies, aborde l’opéra (Genoveva) mais il ne prolongera pas cette expérience, laissant sur ce registre, le champion en titre, clamer sa suprématie en matière d’opéra romantique, Wagner.
L’esthétisme musical de Schumann favorise le suggestif et l’onirique. Le cadre de l’action musicale qu’il entend développer, comprenant solistes, chœurs et grand orchestre, est ailleurs que sur la scène familière d’un théâtre d’opéra. Ici la musique se substitue à l’action dramaturgique. Elle est action. Le Faust que concocte Schumann est l’aboutissement de sa réflexion sur le genre dramatique en musique. Lui qui a ciselé l’alliance de la poésie et de la musique dans ses nombreux cycles de lieder, entend restaurer la même complicité chant/musique à l’échelle de l’orchestre. Son assuidité à cette tâche s’avère même pernicieuse pour sa santé : le médecin Helbig le dissuade de poursuivre la composition de Faust. Il faut « cesser de s’attacher aux idées musicales qui courent en lui sans fin ». Nul doute qu’en Faust, Schumann s’est totalement identifié. Le compositeur y trouve exprimées les forces contradictoires de la vie : le désir, l’ambition, la mort, l’inévitable peine, la souffrance et la mélancolique solitude, cette « malédiction romantique ».

Que comprendre du mythe de Faust? qu’en retirent Goethe, puis Schumann ?
Johann Faust
aurait vécu dans la première moitié du XVI ème siècle. Astrologue et maître d’école, c’est un personnage fantasque, une sorte de Cagliostro amateur. Il n’a pas l’envergure des grands découvreurs et chercheurs tels Paracelse (1493-1541) ou Cornélius Agrippa (1486-1535), ses chercheurs infatigables qui tout en ayant la caution de l’autorité universitaire, se montrent perméables à d’autres formes de connaissances et de savoirs. Mais la légende étoffe une figure historique à l’origine, assez réduite : elle lui prête des capacités intellectuelles supérieures, et même des pouvoirs magiques. Faust Cagliostro devient aussi un nouveau Merlin. Déjà, la croyance associe la détention d’un savoir prodigieux et enchanteur, à la réalisation d’un pacte secret avec le diable. Se fondant sur le principe que tout ce qui est possédé, doit être payé, la science de Faust s’est réalisée grâce au concours d’une force maléfique, celle du serviteur diabolique, Méphistofélès, pur esprit de l’intelligence noire.

L’aspect diabolique de Faust renvoie à l’époque médiévale où tout savoir qui n’était pas validé par les instances catholiques, en particulier l’Inquisition, était jugée démoniaque. Dans une lecture plus générale du mythe, la connaissance permet la divulgation des grands secrets de la nature, selon une vision alchimique, le chercheur perce à jour le savoir du grand architecte : Faust incarne le mythe du savant alchimiste, dont l’ambition mène non pas à la connaissance des secrets de la nature mais une conscience élargie de la complexité du monde. En lui naît alors ce vertige mélancolique (à l’œuvre au début du Faust de Berlioz). Un vertige intérieur qui fonde son amertume, son septicisme et son humeur suicidaire.

L’hyperconscience vécue par le héros romantique est à la source de la fascination des poètes, écrivains et compositeurs. L’homme Faust, moins le savant, fait l’expérience de toutes les vies, connaît toutes les épreuves qu’aucune, prise isolément, ne saurait éprouver. Confronté à l’immensité insondable de l’existence, Faust s’impose comme un surhomme, ce héros moderne, qui n’est capable d’aucun exploit comme le sont les héros de la mythologie grecque et romaine, mais un être accablé, sujet d’un profonde conscience humaniste : il porte en lui toutes les peines du monde. Il a conscience de la malédiction qui entache chaque destinée humaine. La naissance est vouée à la mort. En liaison avec le poids de la culpabilité, la liaison de Faust et de Marguerite illustre la chute des amants livrés à leur seule jouissance. Marguerite dont Faust fait une matricide passive, pourra-t-elle être sauvée, son âme tirée des rets de la damnation éternelle ? Faust, être de compassion qui souffre pour les autres, saura libérer son aimée du cycle infernal. Telle est la vision conclusive que Berlioz apporte au mythe.
Or le défi de Faust ayant pactisé avec le Diable ne serait-il pas dans sa résistance à conserver toujours cet appétit du savoir contre la tentation des plaisirs faciles et terrestres ? La volonté du jouir contre celle du dépassement. Dans le texte de Goethe, et de façon cyclique, Méfistofélès tente son sujet, en le soumettant à proximité des plaisirs irrésistibles (nuit de Walpurgis).
Goethe, poète et peintre des grandes fresques, donne un souffle incomparable au sujet. Dans son texte, se fondent toutes les aspirations de l’homme, ses projets idéalistes, ses utopies dont l’illusion amoureuse, ses fautes et ses contradictions, ses réalisations fugaces autant que catastrophiques, son exaltation dans l’action, ses effondrements contemplant la vanité de l’existence terrestre : mais au final, homme traversé inéluctablement par un humaniste positif, Goethe offre une issue à son héros : Faust sera sauvé. Son âme est escortée par les anges de lumière car « celui qui s’efforce toujours et cherche dans la peine, nous pouvons le sauver ».

Résumé du Faust de Goethe. Première partie. Faust est un vieux savant qui a conscience d’avoir perdu sa jeunesse pour les livres et les perspectives d’une quête insatiable, aux fruits improbables. Mélancolique, n’ayant connu aucun des plaisirs terrestres, il songe au suicide. Méphistophélès apparaît et lui offre contre son âme, une jeunesse retrouvée, avec ses jeux et ses plaisirs infinis. Faust accepte. Après tout, qu’a-t-il à perdre? Lui qui souhaitait mettre fin à ses tristes jours? Méphistofélès tente le jeune homme dans la taverne d’Auerbach, lieu de débauche qui dégoûte celui qui est censé y être sensible. Après l’orgie dans la cuisine des sorcières, surgit la vision qui exalte son jeune cœur romantique : le visage de Marguerite.

Elle incarne l’insouciance et l’innocence, tout ce que Faust, âme damnée, a perdu irrémédiablement. Pour corrompre l’âme de Marguerite, Méphistofélès pénètre dans sa chambre et dépose un coffret de bijoux et de parures éblouissantes. La jeune femme s’en détourne néanmoins. Un poison plus imperceptible la perd définitivement : l’amour que lui inspire Faust, la soumet à l’attente longue et inassouvie. Cet amour la rend inquiète et désormais angoissée. Elle aussi a perdu l’insouciance. Les deux amoureux sont désormais maudits par leur propre amour. Pour preuve, Marguerite accepte de verser toujours plus de somnifère dans le breuvage de sa mère pour voir son cher Faust. Marguerite finira par la tuer, ayant trop abuser de la drogue. Découvrant la passion secrète et le crime perpétré par sa sœur, Valentin provoque en duel Faust qui le tue.

Pire, Marguerite devient mère mais elle est abandonnée par Faust qui est conduit par Mephistofélès dans la Nuit de Valpurgis, nouveau chapitre des perditions et turpitudes de son âme faible et aventureuse. Ainsi sur le Blocksberg, le héros se perd dans les orgies les plus infâmes aux côtés des démons et des sorcières. Pris de remords, Faust songe à Marguerite dont il a la prémonition du supplice : en effet, la jeune femme a tué son enfant. Elle est emprisonnée et sera exécutée. Mais Faust, aidé de son double machiavélique, lui rend visite. Marguerite pourrait les suivre, mais âme coupable, elle veut assumer le poids de ses fautes. Il ne s’agit plus pour elle de fuir.

Seconde partie. Goethe nourrit son récit des expériences de sa propre vie : Faust continue son errance maudite. Il découvre la duplicité des intrigants, la politique et les astuces de petits mondains, suscite la confiance de l’Empereur ; surtout, découvre le bonheur de la réalisation (fondation d’une nation utopique, sur une terre libre au sein d’un peuple libre) et les vertus de la contemplation esthétique, qui, un court instant apportent apaisement et sérénité. Héros d’un drame devenu épopée, Faust épouse Hélène de Troie. Leur fils, Euphorion, incarne le génie poétique.

Goethe, Berlioz, Schumann
. La partition littéraire de Goethe offre entre Berlioz et Schumann un point de conjonction assez troublant. Les deux musiciens s’intéressent au texte romantique, dans la même période. Berlioz achève son Faust, trois années avant que Schumann ne termine sa propre relecture du mythe. Les deux compositeurs, inspirés par Goethe, redéfinissent chacun selon leur sensibilité, la notion de drame musical Ils produisent un équilibre innovant entre texte, musique, action. Il a esquissé son Faust dès 1826 avec Huit première Scènes qu’il remaniera pour son Faut final. Le pouvoir d’évocation de la musique se substitue à la narration scénique. Les deux romantiques travaillent simultanément à la même oeuvre de rénovation du langage dramatique… comme Wagner. Mais ce dernier demeure attaché au développement scénique et à une dramaturgie visuelle. On sait qu’à Leipzig, Berlioz rencontre Schumann qui s’enthousiasme pour le travail de son « confrère » français (février 1843).

La figure goethéenne inspire Schumann une première série d’esquisses qui correspondent à ce qui sera dans le cycle définitif, la dernière scène : le chorus Mysticus. A Dresde, Schumann achève Genoveva, son opéra romantique d’après une légende médiévale et populaire, tout à fait dans l’esprit néogothique du XIX ème siècle. Mi-fantastique, mi-tragique, mi-onirique. Mais contrairement au théâtre de Wagner, marqué par un cynisme amer qui souligne la malédiction dont les héros sont les victimes, Schumann conclue Genoveva sur une note positive. L’apothéose de ce qui semble impossible chez Wagner : les retrouvailles heureuses des époux. Lire notre dossier Schumann, et la lecture comparative Genoveva/Lohengrin (deux opéras romantiques composés simultanément à Dresde).

Dans la fuite de Dresde, livrée aux révolutionnaires puis scène des répressions, Schumann retrouve Goethe, frère littéraire dont il aime relire la réconfortante prose d’un romantisme sombre mais apaisé. Il aborde Wilhelm Meister dont la figure de Mignon lui inspirera en 1852, le Requiem pour Mignon opus 98, page orchestrale pour chœur et solistes d’une superbe inspiration. Historique avec Genoveva, tourmenté dans Manfred, le romantisme schumanien revêt bien des visages. Avec Mignon, il s’agit de prendre un certain temps de repos et d’approfondissement.

L’affinité avec Goethe devait naturellement s’accomplir avec Faust. Comme Berlioz, le sujet a hanté sans discontinuité l’ardente sensibilité du musicien. A tel point qu’au final, la partition que nous connaissons ne donne pas vie à un ouvrage unitaire, dramatiquement cohérent et unifié ; mais plutôt à une sorte de journal personnel sur le thème de Faust où la figure du héros goethéen est abordée selon l’évolution musicale et les épisodes de la carrière. Confrontation hallucinante de Marguerite et de l’esprit du Mal (acmé dans le Judex ergo) ; immatérialité aérienne des champs de harpes et de violons dans l’évocation du séjour d’Ariel ; surtout apothéose de Faust emporté par les anges, après avoir été déchiqueté par les Lémures – comme Schumann le dira de lui—même dans ses derniers cauchemards éveillés, les Scènes de Faust demeurent l’une des pages les plus intenses jamais écrites par le compositeur et certainement avec l’opéra de Berlioz (plutôt, « légende dramatique »), le chef d’œuvre de la littérature romantique. Les aspirations faustéennes d’un Schumann inquiet et de plus en plus en proie à l’effondrement intérieur, trouvent une juste réalisation dans l’élévation finale du héros : Schumann/Faust peut atteindre la paix, après une existence éprouvante qui a usé jusqu’aux limites de son âme insatisfaite.
A l’été 1849, le compositeur peut être satisfait d’avoir offert le plus abouti des hommages rendus au poète de Weimar. Pour le centenaire de la naissance de Goethe, son Faust est interprété à Dresde, Leipzig et Weimar !

Cd
Benjamin Britten, 1972. Puissance hallucinée de l’orchestre, plateau de solistes dramatiques, fins, subtiles incarnations des personnages du mythe goethéen (le Faust de Dietrich Fischer-Dieskau est anthologique) : la version enregistré pour Decca par le chef britannique est l’une des plus habitées : certes hédoniste et d’une somptueuse finition en termes de couleurs et d’articulation du texte mais humaine et tendre surtout, immensément humaine. L’humanisme de Faust y est atteint. Cette nuance montre la juste intuition du chef Britten et hisse cette version à son sommet insurpassable. Une version incontournable. 2 cds Decca.

Concerts
Jeudi 7 décembre à 20h
Salle Pleyel. Robert Schumann, scène du Faust de Goethe

Matthias Goerne (doktor Marianus, Faust)
Annick Massis (Gretchen, Une pénitente)
Alan Held (Méphistofélès)
John Mark Ainsley (Ariel, Pater Ecstaticus)
Yvonne Naef (Sorge, Magna Peccatrix)
Elsa Maurus (Marthe, Mulier Samaritana)
Jing Yang (Mater Gloriosa, Maria Aegyptica)
Cassandre Berthon (Not engel)

Maîtrise de Paris, Chœur de l’Orchestre de Paris
Orchestre de Paris,
Direction, Christophe Eschenbach

Consultez la fiche de la production sur le site de la salle Pleyel

Approfondir
Lire notre dossier « Rayonnement du mythe de Faust auprès des musiciens au XIXème et au XXème siècle » : Spohr, Berlioz, Liszt, Wagner, Gounod, Boïto, Mahler, Busoni…

Illustrations
(1) Arnold Bocklin, autoportrait. L’artiste et la mort, l’homme confronté à sa finitude, hésitant entre la réalisaiton de ses plaisirs égoistes ou l’action humaniste portée vers les autres. Le texte de Goethe nous confronte au mystère et au défi du destin de chaque homme.
(2) James Tissot, Faust et Marguerite. Pour le peintre mondain, l’Idylle de Faust est prétexte à une peinture pastiche du style gothique flamand, à la manière du XV ème siècle, en particulier d’après le style de Van der Weyden.
(3) Rembrandt, Docteur Faust. Dans son cabinet laboratoire, Faust en quête de la vérité du monde, a perdu innoncence, illusion, bonheur et jeunesse. Cete vie de recherche vaut-elle tous ses sacrifices?
(4) Ary Schaeffer, Faust et Marguerite. Lorsque Faust s’éprend de Marguerite, ils incarnent le couple amoureux à la fois idéal et maudit.
(5) J.H. W. Tischbein, Portrait de Goethe, 1787.