vendredi 8 novembre 2024

Arthur Honegger, Jeanne au bûcherFrance musique, le 18 octobre à 20h

A lire aussi

Une idée d’Ida Rubinstein
A l’origine de Jeanne au bûcher, s’impose la figure d’une mécène et commanditaire avisée, Ida Rubinstein, décédée en 1960. Danseuse et actrice russe exilée en France, elle commande à Honegger, l’œuvre d’inspiration médiévale, comme elle fut l’initiatrice du Boléro de Ravel, de Perséphone et du Baiser de la Fée de Stravinsky, ou encore du Martyre de Saint-Sébastien de Debussy. Personnage audacieux qui ne craint pas la perspective d’un scandale, elle entreprend de monter par exemple, avec Léon Baskt et Michel Fokine, la pièce Salomé d’Oscar Wilde, le texte qui inspire l’opéra éponyme de Richard Strauss. La muse, d’une beauté fameuse, prend même des cours de danse auprès de Fokine, pour la scène de l’enlèvement des sept voiles. Même censurée, l’oeuvre fait scandale dans une forme dépouillée, en novembre 1908. Remarquée par Diaguilev, Ida rejoint la troupe des ballets russes et connaît le succès avec le ballet Cléopâtre (1909, musique d’Arenski, chorégraphie de Fokine) puis Shéérazade, l’année suivante. A Paris, Ida, proche du poète Robert de Montesquiou, rencontre D’Annunzio qui lui écrit le poème du Martyre de Saint-Sébastien. Debussy écrira la musique d’un ballet énigmatique dont la création, le 22 mai 1911, suscite un nouveau scandale : on ne supporte pas de voir ainsi aborder avec une liberté licencieuse, la figure d’un martyr chrétien. Pour déclamer le texte, Ida recueille les conseils de Sarah Bernhardt.
Muse, inspiratrice, Ida Rubinstein jusqu’au début des années 1930, se produit dans des spectacles pluridisplinaires qui associent danse, théâtre, musique, poésie et mime. Elle n’hésite pas à louer pour se faire le Palais Garnier, grâce à l’argent du richissime Walter Guiness dont elle est la maîtresse.
Au sein du cercle d’auteurs de tous horizons qu’elle fréquente et dont elle stimule les collaborations, naîtront ainsi : « Antoine et Cléopâtre » d’après Shakespeare, (traduction de Gide, musique de Florent Schmitt, 1920), mais encore en collaboration avec le compositeur Honegger, « Phaedre » de D’Annunzio, « Amphion » de Valéry, et Jeanne au bûcher, d’après le texte de Paul Claudel, en 1935. Pendant la Guerre, Ida Rubinstein se réfugie à Londres (1940). De retour en France, elle s’installe en 1953 dans sa villa du Sud provençal à Vence, où elle meurt solitaire et oubliée en 1960.

« Jeanne d’Arc au Bûcher »
C’est en assistant à une reconstitution du « Jeu de Robin et Marion d’Adam de la Halle », en 1934, par des étudiants de La Sorbonne passionnés de lettres médiévales, « les Théophiliens », qu’Ida Rubinstein décide de monter un drame inspiré des mystères du Moyen-Age. Il s’agit d’aborder la figure de Jeanne d’Arc.
D’abord réticent, Paul Claudel accepte d’écrire un texte. Pendant qu’Honegger pressenti dès le début du projet, s’attèle à la composition de l’œuvre en janvier 1935. Le compositeur achève alors, Icare, ballet pour Serge Lifar qu’il a élaboré pour un orchestre de percussions.
Le 30 décembre, la partition de Jeanne est achevée. Mais Ida ne parvient pas à réunir les fonds pour louer la salle du Palais Garnier. La création parisienne semble reportée. C’est finalement sous forme d’oratorio qu’avec l’aide du chef mécène Paul Sacher que « Jeanne au bûcher » est créée à Bâle, en Suisse, le 12 mai 1938. Jean Périer est Frère Dominique. Le succès est immédiat. Un an plus tard, Ida Rubinstein assure la création française, le 8 mai 1939, à Orléans, la ville où fut martyrisée la Sainte. Jean Hervé incarne Frère Dominique, sous la direction de Louis Forestier, avec le Philharmonique de Paris.

L’œuvre dans sa version opératique avec mise-en-scène sera curieusement réalisée par le Gouvernement de Vichy à partir de juin 1941, initiateur d’une série de spectacles en tournée, exaltant les figures populaires de l’Histore française. Paul Sacher n’est pas en reste : il permet de son côté, le 13 juin 1942, la production scénique en Suisse, avant que la même année, l’œuvre ne soit dirigée par Charles Munch, au Palais de Chaillot pour les 50 ans du compositeur.

Un prologue pour Jeanne
En 1944, Paul Claudel désire ajouter un prologue à l’œuvre qui n’en avait pas. Honegger révise selon son souhait la partition originale. Dans sa version scénique avec prologue, Jeanne au Bûcher est créée à Bruxelles au Palais des Beaux-Arts, le 2 février 1946 sous la direction de Louis de Vocht. L’année suivante, création au Théâtre des Champs –Elysées ; puis en 1950, à l’Opéra de Paris, avec Jean Vilar (Frère Dominique) et Claude Nollier (Jeanne).

L’œuvre
En une écriture dépouillée et directe, Honegger compose un opéra sacré qui renoue avec l’ancienne tradition des mystères médiévaux : tendresse et humanité, noirceur et tragédie, à la façon aussi des tragédies antiques où le chœur incarne à lui seul un personnage capital dans l’action. Il ne s’encombre jamais d’effets mais cible le cœur par un sens serré, efficace de l’expressivité directe.
Frère Dominique -à la fois sceptique et consolateur-, Jeanne –hallucinée et mystique-, la foule – aux visages divers et contrastés-, recomposent les éléments essentiels d’un drame de la foi confrontée à l’innocence machiavélique des hommes. La pureté virginale de la Pucelle confrontée à la paillardise des simples mortels. Démonisme de la foule et des vivants (truculence des riches comme des gueux), élévation printanière et céleste de l’héroïne (épisodes du Roi qui va-t-à-la guerre, de l’épée de Jeanne). Le personnage de Jeanne, intense et dramatique, offre à toute actrice un rôle puissant et large, porté par l’ascèse poétique du texte de Claudel, qui aime dresser le portrait d’une Jeanne enfant mais à l’âme aussi forte que l’acier.

Discographie
Seiji Osawa (direction). Marthe Keller, Georges Wilson, Chœur et Maîtrise de Radio-France, Orchestre National de France, (1 CD Deutsche Grammophon)

Laurent Petit-Girard (direction). Sonia Petrovna, Michael Lonsdale, Maîtrise des Hauts-de-Seine, Chœur et Orchestre Symphonique Français (2 CD Cascavelle). Incandescente et dramatique, apostrophant tout autour d’elle, Sonia Petrovna est Jeanne, une Jeanne humaine et déchirée qui se consume. Michael Lonsdale est d’une subtilité délectable comme à son habitude, et Laurent Petit-Girard signe là une version qui s’est imposée par sa cohérence et sa véhémence.

Serge Baudo (direction). Nelly Borgeaud, Alain Cuny, Maîtrise, Chœur et Orchestre Symphonique de Prague (2 CD Supraphon)

France musique
Mercredi 18 octobre à 20h

Arthur Honegger
Jeanne au Bucher

Oratorio dramatique
en 11 scènes (1935)
Livret de Paul Claudel

Enregistré le 13 juillet 2006 à l’Opéra Berlioz-Le Corum,
Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon

Sylvie Testud, Jeanne d’Arc
Eric Ruf, Frère Dominique
Mélanie Boisvert, La Vierge
Isabelle Cals, Marquerite
Marie-Nicole Lemieux, Catherine
Eric Huchet, Une voix/Porcus/Héraut I/Le Clerc
Nicolas Testé, Une voix/Hérault II/Un autre paysan

Chœurs de l’Opéra National de Montpellier
Chœur d’Angers Nantes Opéra
Solistes et Chœur d’enfants Opera Junior

Orchestre National de Montpellier
Alain Altinoglu,
direction

Illustrations
Jean-Dominique Ingres, Jeanne d’Arc
Jeanne d’Arc, enluminure, école de Jean Fouquet
Ary Scheffer (attribué), Jeanne d’Arc et Gilles de Rais
Sylvie Testud, Jeanne enfant et Jeanne mystique, © Festival de Montpellier 2006

Derniers articles

CRITIQUE, concert. Toulouse, Halle aux Grains (« Les Grands Interprètes »), le 5 novembre 2024.. MOZART / GLUCK. Sonya YONCHEVA / Les Arts Florissants / W....

Ce concert proposé par Les Grands Interprètes permet au public toulousain ce soir de se pencher sur un pan...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img