jeudi 28 mars 2024

Dimitri Chostakovitch, Lady Macbeth de Mzensk (1934)Arte, le 11 novembre à 22h20

A lire aussi

Chostakovitch a, de longue date, été occupé par le théâtre, constamment inspiré par l’action dramatique. En dramaturge intuitif, il compose ballets, musiques de spectacle, musiques de film, et bien sûr, s’attaque à l’opéra. Le Nez d’après Gogol, est sa première tentative. Un coup de maître. Mais sa quête d’un théâtre de vérité, pleinement passionnel, porté par la dignité tragique d’un personnage, se réalise totalement en décembre 1932, à 26 ans, lorsqu’il achève la composition de sa « Lady Macbeth ». Créé au Théâtre Maly de Léningrad, le 22 janvier 1934, repris presque simultanément à Moscou, sur la scène du Nemirovitch-Dantchenko, l’œuvre fascine immédiatement le public par son intensité voire sa violence formelle.

Mais Chostakovitch va plus loin qu’une simple illustration dramatique d’un fait divers car l’intrigue s’inspire d’abord, avant la Lady Macbeth de Shakespeare, de la nouvelle de Nikolaï Leskov (mort en 1895), publiée dans le revue de Dostoïevski, « Epokha ». Chostakovitch imagine sans ambiguïté les épreuves semées d’infamies d’une femme meurtrière malgré elle, dont le seul crime en définitive, est d’avoir cru à l’amour, par excès de romantisme. Naïveté mais aussi grandeur d’une âme pure, déchirée, qui grâce au parti de l’auteur, sort grandie du drame. Chostakovitch se place continuement du côté de l’héroïne : Katerina n’a ni l’intelligence calculatrice de Lady Macbeth de Shakespeare, ni son instinct manipulateur, si ce n’est peut-être la flamme éruptive, cette passion sanguine qui la mène sans retenue à prendre le bonheur où il se trouve. Confrontation d’une femme de caractère, soucieuse de son bonheur, avec un système perverti et même crapuleux, la partition de Chostakovitch, sans être d’un féminisme racoleur, prend la défense de son héroïne contre le mensonge et la brutalité des hommes : son mari, son amant, son beau-père n’ont ici rien pour se racheter. Chacun incarne la perversion, la servilité et la corruption. Ni obscène ni triviale, encore moins « pornographique » comme on l’a écrit ici et là, sauf peut-être pour des oreilles bien mal inspirées et forcément réductrices, la partition exprime avec économie et tension, la quête avortée d’un être épris d’idéalisme, social et humain. Sans complaisance, l’auteur cerne son sujet avec une maestrià remarquable, tissant en miroir de la personnalité de l’héroïne et des situations auxquelles elle est confrontée, un voile musical lunaire et crépusculaire, d’une force souvent hallucinée, à la fascinante et sarcastique beauté. Son style singulier s’y déploie admirablement dans l’horreur, l’apparente légèreté, l’expression profonde des blessures souterraines. C’est une scène crue, -l’arène des misères et de trivialités du monde-, qu’assène à sa pauvre créature, un Chostakovitch doué malgré son jeune âge, d’un tempérament expressionniste indiscutable.

Les relations du musicien avec le pouvoir soviétique n’ont guère été sereines. Surtout sous la dictature de Staline, lequel après avoir assisté à la première partie de l’opéra, le 26 janvier 1936, décréta l’œuvre impropre et malsaine ; par l’intermédiaire d’un article assassin et acerbe paru dans le journal du Parti, La Pravda, le compositeur âgé de trente ans était décrêté de la même manière,« anti-populaire » et perverti par le formalisme occidental, en contradiction totale avec l’esthétisme du réalisme socialiste. Du jour au lendemain, l’œuvre était retirée de l’affiche, et Chostakovitch, étiqueté persona non grata.
Au moment du dégel, dans les années 1950, sous le règne de Krouchtchev, le compositeur reprend son premier canevas et modifie, coupe, atténue la charge originale : sa « Lady Macbeth du district de Mzensk » est devenue « Katerina Izmaïlova », dont la création a lieu à Moscou en 1963.
Si la nature coupable de Katerina reste pendant tout le drame, une interrogation jamais vraiment élucidée, -l’on serait enclin à penser qu’elle agit par idéalisme moins par défi ni revanche, quoique le milieu humain qui est le sien pourrait faire naître de furieuses envies d’en finir ou d’en découdre-, la musique indique clairement l’humanité du personnage mis en opposition avec la barbarie environnante. En particulier, la société des hommes, dont tous les protagonistes, son mari (Zinovi), son amant (Sergueï), son beau-père (Boris), offre chacun, le visage écoeurant des travers humains les plus abjects : violence, vulgarité, trahison.

La vision féministe de Chostakovitch serait de souligner combien cette femme est moderne, en ne se laissant pas soumettre. En 1930, brosser le portrait d’une humble parmi les crapules, dont les actes meurtriers seraient explicables voire excusables par la nature du milieu social, tient évidemment de la dénonciation politique. C’est un appel à la lutte des classes. L’héroïne même si elle est inspirée par un élan romantique, affirme une volonté libertaire qui proclame l’égalité des êtres, des femmes comme des hommes : Katerina ne manque pas d’aplomb pour défendre la grosse cuisinière, Aksinia, maltraitée par les ouvriers (scène 2, Acte I). Chostakovitch ne décrit pas l’action, il la commente en empruntant des chemins ténus dont la musique dévoile, sans ambiguïté, la charge de dénonciation. Chaque air de Katerina est plein d’une humanité avide, désireuse, d’une pureté étrangère à la sauvagerie musicale qui accompagne chaque glapissement de ses partenaires mâles.
L’orchestration d’un raffinement inouï caractérise intentions, connotations, non-dits et faux semblants d’une action ciselée au couperet. Le lugubre (basson), la profonde plainte d’une âme qui se lamente et chante sa souffrance (début de la scène 3, acte 1), l’âme éplorée qui ne peut cacher sa blessure béante (scène 5, acte II), disent cet effroi solitaire qui saisit l’héroïne en lui dictant, ses actes et ses paroles extrêmistes, jusqu’à la mort.

Télévision

Samedi 11 novembre à 22h20
Soirée opéra
Lady Macbeth de Mzensk
Version originale de 1934

Anatoli Kotcherga (Boris), Ludovit Ludha (Zinovi), Eva-Maria Westbroek (Katerina), Christopher Ventris (Sergei), Carole Wilson (Aksinya/une bagnarde), Nikita Storojev (Commissaire de police), Alexander Vassiliev (Pope/Surveillant), Lani Poulson (Sonietka), Vladimir Vaneev (Vieux bagnard)…
Koninklijk Concertgebouworkest,
Koor van De Nederlandse Opera,
Mariss Jansons (direction musicale)

Martin Kusej (mise en scène),
Martin Zehetgruber (décor),
Heide Kastler (costumes)

Réalisation : Thomas Grimm
Captation filmée en juin 2006 à l’Opéra d’Amsterdam

Saison lyrique 2006/2007
Le mois de mars 2007 concentre l’ensemble des productions de la partition de Chostakovitch.

La production diffusée sur Arte est d’autant plus intéressante qu’elle est dirigée par un Chostakovien de longue date, Mariss Jansons lui-même disciple du créateur de bon nombre de Symphonies du compositeur, Evgueni Mravinsky. Mariss Jansons vient de publier l’intégrale des Symphonies de Chostakovitch chez Emi, l’un des cycles récents les plus convaincants. Gageons qu’en lecteur familier des climats chostakoviens, ambivalents, cyniques, ironiques, aussi d’une pure poésie crépusculaire, le chef letton saura porter la richesse de l’oeuvre dans toute sa flamboyante plasticité.

Katerina Izmailova (1963)
Théâtre du Châtelet, version de concert
Du 8 au 10 mars

Lady Macbeth de Mzensk
Opéra de Massy
Du 15 au 18 mars

Lady Macbeth de Mzensk
Opéra de Genève
Du 8 au 18 mars

Illustrations
Une : Degas, portrait de jeune femme (DR)
Henri de Toulouse-Lautrec, deux portraits de femmes (DR)
Picasso, portrait de femme au chat (pictogramme Picasso) (DR)

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CD événement, annonce. Franz SCHUBERT : OCTUOR en fa majeur D. 803. SOLISTES DE L’ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE BERLIN (1 cd Indésens).

Le label français INDÉSENS publie le nouvel album des solistes de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, dédié à l’Octuor en...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img