jeudi 28 mars 2024

Richard Strauss, Elektra (1909)

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Une histoire de famille
Clytemnestre, la mère: à l’aide de son amant Egisthe, elle a supprimé son époux Agamemnon, roi de Mycènes. Depuis lors, ses nuits sont hantées de cauchemars. Chrysothémis, la fille: douce, aimante, comme une simple mortelle elle rêve de bonheur terrestre, conjugal et maternel. Electre, soeur de Chrysothémis, sauvage et animale, divine et inconsolable de la perte du père. Elle vit dans la névrose engendrée par le désir de vengeance du meurtre commis par la mère. Oreste, le frère. Eloigné de bonne heure du foyer familial pour échapper aux meurtriers d’Agamemnon, il est appelé à jouer un rôle important dans l’expiation du crime. Alors qu’on le croyait mort au combat, il réapparait. Electre le conjure de l’aider à accomplir l’acte de vengeance.

Voici la trame sur laquelle le génial poète viennois Hugo von Hofmannsthal élabore son drame théâtral, Electre en 1903, revisitant le tragique mythe des Atrides d’après le drame classique de Sophocle. Enthousiaste après une représentation de la tragédie dans une mise en scène de Max Reinhardt à Berlin, Richard Strauss entreprend de rencontrer le poète pour évoquer une adaptation à la scène lyrique. Celui-ci parvient à dissiper les appréhensions du compositeur, qui craint la similarité du thème avec celui de Salomé. Strauss se lance dans la composition, Hofmannsthal dans l’élaboration du livret. Après une longue gestation, l’oeuvre est prête à l’automne de 1908. Elektra, opéra en un acte, sera créé au Théatre Royal de Dresde le 25 janvier 1909.

Destruction, renouveau. Première oeuvre issue de la collaboration exemplaire entre Strauss et Hofmannsthal, Elektra inaugure la longue série de chef-d’oeuvres réalisés par le duo légendaire: Der Rosenkavalier (1911), Ariadne auf Naxos (1913), Die Frau ohne Schatten (La Femme sans ombre, 1919), Arabella (1933)…, pour ne citer que les plus connus. S’il est le premier opéra conçu en commun par le compositeur et le poète, Elektra est aussi l’un des plus révolutionnaires. Au-delà de la densité psychique du propos, Elektra est une oeuvre de renouveau formel. Initié avec Salomé, le travail du compositeur sur la forme se poursuit. Strauss va plus loin encore dans le processus de déconstruction de l’opéra romantique. L’oeuvre est condensée: un seul acte pour quatre-vingt dix minutes de violence et d’obsession, durant lesquelles le compositeur ne laisse aucun répit à l’auditeur-spectateur. Ni prélude, ni ouverture, le drame est présent dès les premiers déchaînements de l’orchestre. L’opposition classique entre deux couples, formés traditionnellement l’un par la soprano et le ténor, l’autre par le baryton et la mezzo, est anéantie. C’est autour d’un trio de femmes que tout oppose, que l’opéra se construit, à peine troublé par deux personnages masculins dont finalement seul l’un, Oreste, est véritablement protagoniste.

Le langage musical reste tonal, mais le compositeur repousse sans cesse les limites de l’harmonie dans ce véritable drame expressioniste, « explorant les confins les plus extrêmes de la réceptivité de notre ouïe moderne » tel que Strauss l’a raconté lui-même dans ses Anecdotes et souvenirs. Une conversation symphonique, et non plus une succession d’arias entrecoupée de récitatifs cernés par des intermèdes instrumentaux, le langage musical se fait maelström, wagnérien, flot ininterrompu qui, dans un immense crescendo, mène au climax quasi insoutenable de la scène de la reconnaissance.

Vengeance, expiation. On chuchote à l’oreille de Clytemnestre qu’Oreste est mort: la reine, triomphante, exulte, se croyant libérée de ce fils dont elle craint le retour. Electre quant à elle, est dévastée à l’annonce de la mort du frère en qui elle avait mis tous ses espoirs de vengeance. Mais la nouvelle est contredite par l’arrivée aux portes du palais d’un étranger, qui dit avoir une mission à accomplir. Ne reconnaissant pas son frère, Electre accueille l’étranger avec arrogance et froideur, lui enjoignant de la laisser à sa souffrance. Petit à petit, au gré du dialogue, le frère reconnait en la pauvresse en haillons, la fille d’Agamemnon, et Electre, en l’étranger Oreste, le frère tant attendu.

« Oreste ! Oreste ! Oreste … » La reconnaissance du frère libérateur conduit à l’extase, tant dramatique que musicale. La scène, d’une puissance émotionnelle inouie, est l’une des plus extraordinairement belles qui ait jamais été créées pour la scène lyrique. Le retour d’Oreste permet à Electre de sortir un moment de sa torpeur névrotique, et d’insuffler à son frère la force nécessaire pour accomplir l’acte matricide qui vengera le meurtre d’Agamemnon. La pénombre du palais de Mycènes. Des hurlements déchirent la nuit. La hache vengeresse s’abat sur Clytemnestre, puis sur Egisthe. L’oeuvre est accomplie. Electre s’écroule dans une danse extatique, mélange d’ivresse et d’hystérie, tandis que Chrysothémis, hagarde, appelle Oreste.

Elektra

Dresde, Opéra Royal, 25 janvier 1909
Tragédie en un acte
Texte de Hugo von Hoffmansthal
d’après la tragédie de Sophocle

Discographie
La discographie est éblouissante de richesse et de qualité. Pour plus de quinze enregistrements disponibles, difficile, parmi les versions au sommet, de départager Solti (Decca, 1965) et Böhm (Deutsche Grammophon, 1961). La sonorité rutilante du Wiener Philharmoniker sous la baguette de Sir Georg Solti avec un plateau vocal dominé par l’Elektra de Birgit Nilsson et la Clytemnestre de Regina Resnik, n’ont d’égal que la sobriété de Karl Böhm et la splendeur des couleurs de la Staatskapelle de Dresde avec la légendaire Inge Borkh en Elektra et Dietrisch Fischer-Diskau dans le rôle d’Oreste. Lire également notre critique de l’excellente version signée récemment par Semyon Bychkov à la tête du WDR Sinfonieorchester Köln avec Deborah Polaski dans le rôle-titre (Hanssler, 2004).

Dvdthèque
Incontournable, le film tourné par Götz Friedrich en 1981 dans une mise en scène impressionnante de violence et de cruauté, disponible en DVD depuis 2005. Vingt ans après l’enregistrement cité ci-dessus, Karl Böhm et les Wiener Philharmoniker reviennent à Elektra, avec une distribution d’une force plus hallucinante encore qu’en 1961: Leonie Rysanek (Elektra), Astrid Varnay (Clytemnestre), Dietrisch Fischer-Diskau (Oreste). Deux DVD Deutsche Grammophon agrémenté d’un documentaire passionnant sur la genèse de cet enregistrement hors du commun.

Approfondir
Richard Strauss, Elektra, par Semyon Bychkov (Hänssler)
Elektra, fragments d’une mise en scène
la biographie de Richard Strauss

Illustrations
Pierre-Narcisse Guérin, Le meurtre d’Agamemnon (Musée du Louvre, Paris)

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