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Parsifal’progress. Richard Wagner, ParsifalMezzo, le 22 février 2007 à 3h50

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Richard Wagner,
Parsifal


Le 22 février 2007 à 3h50

Documentaire. Réalisé par Reiner E. Moritz, Opéra de Baden Baden, 2004. Mise en scène: Nicolas Lehnoff. 52 mn.

Religion, combien de crimes ont été commis en ton nom? A l’heure où le terrorisme se répandau sein des démocraties évoluées, sous le feu de fanatiques religieux, l’éclairage désacralisant qu’apporte le metteur en scène Nicolas Lehnoff ne manque pas de nous troubler par sa pertinence et d’interroger sur le plan musical, le mythe de Parsifal. Déclin et usure d’une société maudite, qui ayant perdu le sens profond de la vie et de l’homme, poursuit l’observance de rites qui ne fonctionnent pas… Surgissement d’un « idiot » aussi beau que naïf qui apporte le salut de ce monde perdu… En Parsifal, Lehnoff voit l’élu, pur, innocent qui découvre l’histoire de chaque être rencontré dont l’histoire est une péripétie de fautes, de crimes, de frustrations haineuses: Klingsor et ses filles fleurs expriment le pouvoir de la magie noire, celle qui veut détruire la pureté; Amfortas, déchiré par une plaie jamais fermée et les chevaliers du Graal, expriment l’éclat qui a pâli de la magie blanche, laquelle tourne à vide. Kundry est prise entre ces deux forces antagonistes condamnées à s’autodétruire.
Chacun des chanteurs témoigne de son personnage. D’autant que tous, en particulier Matti Salminen (Gurnemanz), Thomas Hampson (Amfortas) ou Waltraud Meier (Kundry) ont déjà éprouvé leurs aspects respectifs pour les avoir chantés à de nombreuses reprises. Et avec quel engagement! Devant la caméra de Moritz, Nicolas Lehnoff explicite son point de vue: il insiste sur le personnage salvateur de Parsifal dans lequel il voit un élu, celui qui indique un autre avenir pour une humanité exsangue, déchirée par l’antagonisme des religions. Et si, selon son point de vue, le sort de l’humanité dépendait de la faculté des hommes à bâtir un nouveau monde sans l’impasse des religions? Passionnant. Le montage fait alterner témoignages des interprètes et de l’équipe de mise en scène, avec de nombreux extraits de la production présentée sous la baguette de Kent Nagano à l’Opéra de Baden Baden en 2004. Dommage que manquent les sous-titres sur chaque extrait lyrique: la compréhension des situations clés en aurait été facilitée.

Georg Friedrich Haendel, Teseo (1713)Opéra de Nice, les 18, 20 et 22 mars 2007

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Georg Friedrich Haendel
Teseo
, 1713
Opéra de Nice
Les 18, 20 et 22 mars 2007

Amour triomphal, vaine magie

Le livret de Teseo est rédigé par Nicolas Francesco Haym, lequel s’inspire du texte que Philippe Quinault adapta un siècle auparavant pour la tragédie lyrique de Lully (1675). La construction en cinq actes, propre à la tragédie française a été conservée. C’est le seul exemple dans l’oeuvre de Haendel.
Le compositeur qui a obtenu de l’Electeur de Hanovre, la faculté de gagner Londres où il arrive à l’été 1712, souhaite atténuer l’échec de son Pastor Fido par une oeuvre grandiose et spectaculaire. Pour composer sa nouvelle oeuvre, il s’installe dans la résidence de Lord Burlington, (dans l’actuelle Piccadilly), jeune homme de dix-ans, auquel sera dédié le nouvel opéra, un « dramma tragico per musica » (HWV 9), dont la partition est achevée en décembre 1712. Moins d’un mois plus tard, l’ouvrage connaît un certain succès dès sa création, le 10 janvier 1713: elle dépasse les 10 représentations, sur les planches du Queen’s Theatre de Londres. La performance mérite d’être soulignée car le directeur du théâtre parti avec les bénéfices de la caisse, mit en péril les chances de pérennité d’une production ambitieuse. Haendel put néanmoins compter sur un nouvel associé, John James Heidegger avec il travaillera de longues années. Les chanteurs firent de même: ils poursuivirent l’aventure, qui grâce aux décors flambants neufs entre autres, la richesse de la palette psychologique dont le spectaculaire féerique du personnage de Medea, suscita un réel engouement du public londonien, jusqu’en mai 1712. Teseo était chanté par un castrat soprano; Medea par une soprano.

Mixité des genres, puissance de la féerie

Sur le mode tragique, Haendel renoue avec la mixité des genres: le registre amoureux y côtoie le merveilleux et le féerique, l’épopée et l’action virile, sans omettre la tragédie qui se concentre sur la figure centrale de Médée dont il fait une magicienne amoureuse et jalouse, pourtant vouée à la solitude et à l’échec.
Thésée est un héros aimé des dieux. Avant d’abandonner la belle Ariane qui l’avait pourtant sauvé du Labyrinthe de Minotaure, le courageux jeune homme soutient les Athéniens et remporte la victoire. Mais il suscite la jalousie d’Egée parce que le souverain aime Agilea… qui aime Thésée. Médée amoureuse de ce dernier manipule et enchante, tourmente et séduit, mais ne peut rien contre la force de l’amour.
Contre sa volonté, un père retrouve ici son fils: Thésée est bien le fils d’Egée, comme en témoigne l’épée que porte le jeune héros.
Dans le livret de Haym fortement inspiré de Quinault, l’épopée héroïque s’impose grâce aux personnages du Roi des athéniens, Egeo, et de son fils, Teseo. L’intrigue amoureuse est personnifiée par ceux d’Agilea et de sa suivante Clizia (aimée d’Arcane). Le personnage le plus important reste Medea, magicienne et manipulatrice, capable d’enchantement et de sortilège mais qui s’avère impuissante face à la violence de l’amour, éprouvé par Teseo pour Agilea.
Au terme d’une action à rebondissement, le triomphe du fils se réalise, en particulier grâce à l’intervention inespérée de Minerve à la fin de l’ouvrage. Après la dernière représentation de Teseo à la mi mai 1714, Haendel ne reprit jamais plus cet opéra tragique dont la coupe française, reste une exception notable dans son oeuvre.

Teseo à l’Opéra de Nice
Nouvelle production
25 ème anniversaire de l’Ensemble Baroque de Nice

Jacek Lazckowski, Teseo
Brigitte Hool, Agilea
Aurélia Legay, Medea
Pascal Bertin, Egeo
Valérie Gabail, Clizia
Damien Guillon, Arcane

Gilbert Blin, mise en scène
Ensemble Baroque de Nice
Gilbert Bezzina
, direction

Approfondir

Lire notre dossier « Teseo de Haendel« 
Lire notre entretien avec Gilbert Bezzina à propos de Teseo à l’Opéra de Nice
Illustrations
Laurent de La Hyre, Thésée retrouve l’épée de son père (DR)
Thésée et le centaure Chiron, fresque romaine (DR)

Giacomo Puccini, Turandot (1926) Genèse et enjeux

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Giacomo Puccini
Turandot
, 1926

Le 25 avril 1926, Toscanini dirige la création de l’ultime opéra de Puccini, Turandot. Respectueux de la genèse de l’oeuvre, le maestro italien interrompit contre l’usage traditionnelle la représentation. Lorsqu’à l’acte III, Liù meurt sur la scène, en se poignardant, le chef italien marqua un temps d’arrêt, soulignant que l’auteur en était là, dans sa partition, lorsqu’il mourut, laissant l’ouvrage inachevé.

En quête de vérité

Quand Puccini succombe à Bruxelles, le 29 novembre 1929, son dernier manuscrit n’a pas trouvé d’achèvement. Le compositeur célébré dans le monde musical et auprès du grand public pour ses nombreux chefs-d’oeuvre antérieurs tels Manon Lescaut, La Bohème, Tosca, Madame Butterfly, s’intéresse dès 1920, à la Turandot que Schiller adapte d’après Gozzi. En rapport avec son librettiste, Renato Simoni qui avait séjourné en Chine en 1912, en particulier à Pékin et Shangaï, Puccini échaffaude l’intrigue et la coloration exotique de son nouvel opéra.
Les auteurs attachent une importance soutenue à la crédibilité des citations du floklore chinois: lanterne rouge de fête, lanterne blanche de deuil, voeu du choeur « dix mille ans de vie à l’empereur » sont correctes, de même que la mélodie des masques que Puccini emprunte à l’air de la boîte à musique de son ami le baron Fassini écoutée à l’été 1920, lequel avait séjourné en Chine comme diplomate. Le musicien demande à son éditeur Ricordi des partitions de mélodies authentiquement chinoises. Sa volonté de créer une oeuvre vraisemblable s’impose pendant la genèse de l’opéra. Il ne s’agit pas que de produire une carte postale, nourrie de clichés factices.
Dans la fosse et sur la scène, le compositeur prévoit l’usage d’un gong (à neuf notes dans l’orchestre) mais aussi d’autres percussions qui sans être spécifiquement chinoises, renforce la caractère d’exotisme de sa musique (célesta, glockenspiel, tambour, cloches tubulaires). L’travilexigence de Puccini s’inscrit aussi dans la rédaction du livret et la collaboration du versificateur, si précieuse pour La Rondine, Giuseppe Adami, est sollicitée.

Les sources du sujet

Il existe bien un poème persan du XII ème siècle évoquant l’oeuvre d’une princesse sanguinaire: « Le Pavillon des sept princesses » de Nezâmi de Ganja. Au siècle suivant, l’écrivain Lari, a dû en avoir connaissance quand il imagine son propre conte intitulé « Turandot » dont le nom signifie logiquement: « Turan » (de Chine) et « Dot » (Princesse). Mais, la figure de la « fille du ciel » telle qu’elle apparaît en Occident, est transmise par la traduction des Contes des Milles et une nuit (d’origine persane) par François Pétis de la Croix. En particulier, l »Histoire du prince Calaf et de la princesse de la Chine » qui inspire à Lesage puis Gozzi, leur oeuvre respective: l’opéra-comique, « La Princesse Turandot » (1729), « Turandotte » (1762).
Mais, l’invention de Puccini et de ses librettistes apporte des changements importants qui approfondissent la psychologie de l’héroïne, en particulier ils inventent avec génie, l’ancêtre dont Turandot perpétue la mémoire et le voeu. Ils en font une vierge hystérique mais sensible et surtout rendu humaine par la blessure dont l’origine la précède et qui la rend elle-même prisonnière d’une sorte de malédiction perpétuée malgré elle. Sa terreur primitive renvoie à l’idée qu’elle associe à la jouissance. La crainte des hommes, et la volonté de décapiter chaque nouveau prétendant, vient de ce que pour Turandot, la jouissance sexuelle apporte la mort. En contrepoint au portrait sadique de la princesse, s’affirme également, dans la conception puccinienne, la bonté et la générosité de l’esclave Liù, pur amour qui à l’inverse, n’hésite pas à faire le don de sa vie, pour sauver l’homme qu’elle aime.
Inspirés par un même désir d’humanisation, les auteurs humanisent le prince Calaf qui révèle le mystère de son nom, offrant par là même, à son tour, sa propre vie. L’acte du don de soi est la preuve éclatante d’un amour véritable. La métamorphose de chaque être est donc ici essentielle. La force de cette évolution qui s’impose de façon radicale à l’esprit des trois protagonistes: Turandot, Liù, Calaf confère à l’opéra, même dans son inachèvement, sa totale réussite. On sait qu’aucun des ouvrages de Puccini ne fut laissé indemne après sa création. Chaque opéra fut en effet soumis à l’autoanalyse d’un compositeur exigent. Songeons à ce qu’aurait été Turandot si son créateur l’avait révisé selon sa conception. Ne fait-il pas comprendre par conséquent, dans une oeuvre exotique qui convoque tour à tour la pure féerie, le fantastique et le tragique, une volonté de perfection (certes inaboutie) et moderniste.
Le raffinement de l’écriture, les audaces harmoniques (polytonales) dont il s’agit, convoquent aussi l’étranger au sens premier du terme: ce que l’on ne connaît pas, ce qui est à inventer. Désir d’abstraction pour le moins d’expérimentation, de la part d’un auteur que certains, beaucoup, veulent enchaîner au passé….

Pour se concentrer sur l’action de Turandot, Puccini quitte sa villa de Torre del lago pour une villa à Viareggio dans laquelle il s’installe en décembre 1921. Pendant les trois années qui suivent l’écriture se poursuit sans heurts, jusqu’à 1924, où la santé du musicien se détériore. Un cancer de la gorge est diagnostiqué et pensant consulter un spécialiste belge réputé, Puccini gagne Bruxelles avec son manuscrit encore inachevé. Il n’aura le temps que de parfaire l’orchestration et de coucher quelques esquisses de l’acte III. Le choeur ému par la suicide de Liù est la dernière étape autographe du manuscrit véritablement élaborée. Le reste concerne des esquisses et des indications qui nécessitent une mise au propre.

Alfano sous la dictée de Toscanini

Le manuscrit inachevé de Puccini est donc marqué par le calvaire de son créateur, usé et accablé par la maladie. Mais il est une autre souffrance attachée hélas à sa terminaison, celle du compositeur Franco Alfano qui répond à la demande que lui fait Toscanini, soucieux d’achever le dernier opéra de Puccini pour en diriger la création. Alfano remet une premier travail en décembre 1925 aux éditions Ricordi, lequel est vertement refusé. Sous la dictée de Toscanini, Alfano semble reprendre son labeur sans conviction et surtout dans un temps insatisfaisant: pressé, et certainement trop contraint par la volonté du chef à l’instinct tyrannique bien connu, Alfano n’a pas le temps de se plonger dans le raffinement de l’orchestration qui colore spécifiquement les deux premiers actes. Coupures intempestives, incohérence psychologique et dramatique, le troisième acte s’enchaîne mal avec ses précédents. Le duo final est un tableau sans action, le changement d’attitude de la princesse, « Fille du ciel », est relativement brutal: elle en perd sa substance et sa finesse psychologique. Aujourd’hui, cet aspect « bâclé », et le déséquilibre dramaturgique qui en découle, nuisent aux représentations de l’oeuvre mais Toscanini s’en contenta en créant l’ouvrage comme nous l’avons dit, le 27 avril 1926, donnant la version ainsi complétée, après avoir créé la veille, le 26 avril, l’oeuvre inachevée laissée par le compositeur.

Illustrations

Portrait de Giacomo Puccini (DR)
Luana DeVol dans le rôle de Turandot (DR)
Affiche d’époque (DR)
Franco Alfano (DR)

Bruxelles. 100% Schubert. Concert de clôture, le 11 février 2007. Quatuor Pražák, Marie Hallynck

Six journées et six soirées consacrées à Franz Schubert. Beaucoup de moments très réussis, certains un peu moins, mais n’est-ce pas, inévitablement, le lot de toute manifestation artistique quelque peu ambitieuse ? Pour clôturer en beauté ce festival 100% Schubert à Flagey, quelle oeuvre était plus appropriée que l’admirable Quintette à cordes D. 956. Chef-d’oeuvre pour l’île déserte, le Quintette à cordes, composé en 1828, la dernière année de la vie du compositeur, est une oeuvre unique. Non seulement parce qu’il s’agit du seul quintette à cordes du prolifique Schubert, mais surtout parce que – contrairement à la plupart des quintettes à cordes du répertoire, ceux de Mozart, Mendelssohn, Brahms notamment – celui de Schubert fait appel, non à un second alto, mais à un second violoncelle. Avant lui, il n’y a quasiment que Boccherini qui avait pratiqué cette combinaison.

Le choix du Quatuor Pražák et de Marie Hallynck s’est révélé judicieux car, à écouter ces musiciens, tous plus attachants les uns que les autres, on n’aurait pas pu rêver interprètes plus adéquats pour présenter au public de Flagey cette oeuvre majeure de la musique de chambre. Le Pražák accompagné de Marie Hallynck l’a rendue accessible et intelligible au plus grand nombre, y compris à un public qui n’est pas forcément familier de la musique de chambre, réputée difficile voire rébarbative.

Le public de Flagey aura apprécié, d’emblée, la merveilleuse présence et la musicalité communicative de Marie Hallynck qui, avec le charme qu’on lui connait, n’a aucun mal à s’approprier le rôle titre: avec son tempérament exquis, Marie Hallynck mène le jeu, entourée de son quatuor d’hommes. Elle nous fait découvrir, sentir, visualiser aussi, toute l’importance du second violoncelle dans la partition de Schubert. Tout juste aurait-on souhaité un partenariat un peu plus serré entre les deux violoncelles, de façon à renforcer leur dialogue face aux deux violons. Mais sous cette petite réserve, on a beaucoup aimé la qualité sonore du Quatuor Pražák, à la fois douce et décidée, ainsi que ses tempi, idéalement ajustés aux différents climats qui traversent les quatre mouvements, tour à tour enjoué et dramatique dans le premier mouvement, se muant, dans le deuxième mouvement, en un captivant adagio, pour passer ensuite au climat sombre et douloureux que l’on retrouve aussi dans l’épisode central du troisième mouvement. L’allegretto final est rythmé, dansant, rendu avec brio et humour. Humanité, sensibilité, le Quatuor Pražák et Marie Hallynck excellent dans l’ultime chef-d’oeuvre de la musique de chambre schubertienne, et conclut de façon très convaincante la première édition de 100% Schubert.

Approfondir

Découvrez le site du Quatuor Pražák: www.prazakquartet.com

Bruxelles. Flagey. 100% Schubert,  le 11 février 2007. Franz Schubert (1797-1828) : Quintette à cordes en ut majeur D.956. Quatuor Pražák, Marie Hallynck, violoncelle.

Crédit photographique
Quatuor Pražák, Marie Hallynck (DR)

Ivry Giltis joue les 24 caprices de Paganini (1 cd Philips)

Ivry Giltis joue Paganini

Paganini/Giltis: deux artistes différents mais une même passion pour un instrument souverain, carte de la virtuosité et de la ferveur la plus explicite: le violon romantique. Philips publie le 26 février 2007, une bande inédite enregistrée en 1976 à Paris: l’intégrale des 24 caprices de Nicolo Paganini, interprétée par Ivry Giltis.

Le coeur et la passion d’un enfant

Le violoniste se rappelle que pour les séances d’enregistrement, il habitait une île à 40 km de Paris et travaillait son jeu jusque très tard dans la nuit et jusqu’au petit matin afin d’exprimer l’intensité et l’exacerbation passionnelle de chacun des 24 caprices. « En fait il s’agit presque d’un enregistrement live car la plupart ont été gravés d’un seul jet avec très peu de montages et le tout en quelques jours. Pour moi c’est d’ailleurs l’esprit même dans lequel il faut concevoir ces Caprices qui doivent jaillir du coeur de l’interprète ».
Jaillissement, spontanéité, incandescence: 31 ans après l’enregistrement, et à l’invitation de ses amis Zubin Mehta et Martha Argerich, Ivry Giltis autorise aujourd’hui la parution des 24 joyaux, même si de son point de vue de perfectionniste, pointe ici ou là une petite faiblesse. A la façon des souffleurs de verre, le violoniste saisit la matière musicale, la fait danser sur les cordes de son violon endiablé jusqu’à les chauffer à blanc, faisant pleurer, palpiter, se pâmer une sonorité ardente et vive. « Je trouve qu’il a a assez d’émotion ici pour faire comprendre que les Caprices sont bien autre chose que des notes« . A l’adresse de la génération nouvelle des violonistes et à l’attention du public, Ivry Giltis poursuit: « je laisse cet enregistrement sortir aujourd’hui pour donner le courage à certains jeunes musiciens de jouer la musique comme ils la sentent et de prendre des risques ».
Audace, risques assumés, instinct éclatant: Ivry Giltis a conservé son « coeur et sa passion d’enfant »… et un désir de transmettre la joie et le feu qui l’habitent, lesquels le rapprochent encore de Paganini.

Un archer flamboyant

Elève de Boucherit, Flesch, Enesco et Jacques Thibaud, Ivry Giltis impose une musicalité vertigineuse, où l’audace rit avec le risque, l’élégance avec la facétie, l’imagination avec la haute technicité. Son vibrato crépitant, l’intensité du jeu caractérisent un tempérament artistique de la trempe de Yehudi Menuhin, Yasha Heifetz, Georges Enesco. Au travers des 24 Caprices, l’artiste fait valoir une énergie irrésistible par sa spontanéité et la violence des climats exprimés en quelques mesures. C’est à la fois un jeu technicien où le compositeur génois recule toujours plus loin les capacités expressives de l’instrument. C’est aussi en une ample respiration, un chant d’amour, ivre et primitif. La santé du musicien est déconcertante, ses dispositions inouïes. L’enregistrement dévoile ce que tout interprète se doit d’offrir dans l’acte interprétatif. Une recréation qui a force de maîtrise et d’art, sublime la nature, revivifie la partition. Le chant exalté de Giltis incarne la jubilation du violon, et au-delà, l’énergie première de la musique. Un événement!

Nicolo Paganini
Les 24 caprices pour violon seul, opus 1
Yvry Giltis, violon
(1 cd Philips)
Lire notre critique des 24 caprices pour violon seul de Paganini par Yvry Giltis

Crédit photographique

Ivry Giltis © Pierangeli

Bientôt, trop de salles à Paris?

Trop de salles à Paris?

Pleyel rénové avec succès a retrouvé ses publics depuis le 13 septembre 2006, offrant chaque soir 1900 places dans une acoustique régénérée. A l’horizon 2012, une nouvelle salle au « grand nord » de Paris, intitulée « Philharmonie de Paris » (2400 places) verra le jour. Auparavant, la Maison de Radio France aura redessiné son propre auditorium, gagnant en confort et en sièges… pour 2011 (1500 places).
L’avenir des salles parisiennes et les réaménagements ou nouveaux chantiers vont bon train. Mais aux côtés des offres déjà existantes comptant entre autres, Gaveau, la Cité de la Musique, et les cycles symphoniques des théâtres de musique et d’opéra (Châtelet, Champs-Elysées, Opéra de Paris) sans omettre les auditoriums des musées (Louvre et Musée d’Orsay), les Bouffes du Nord, et les salles émergentes telle l’Archipel ou l’auditorium coeur de ville de Vincennes, n’y-aura-t-il pas bientôt trop de concerts à Paris et dans sa périphérie? Une richesse qui annonce une concurrence accrue pour des spectateurs qui font déjà le plein des offres actuelles… En résumé, le public suivra-t-il toujours l’augmentation sensible de l’offre?

Acteurs publics et privés

Un nouvel équilibre se précise. Autour de l’axe Cité de la musique et Salle Pleyel, deux institutions publiques, s’organise aujourd’hui l’offre des concerts parisiens. La répartition géographique est une nouvelle donne, soulignant la forte attractivité du nord : le pôle Conservatoire/Cité de la musique aimante l’attention des spectateurs selon un phénomène qui ira croissant jusqu’à l’ouverture du chantier local de la grande salle symphonique à venir dite « Philharmonie de Paris ». Ce qui reste imminent. A moins que les résultats des urnes, lors de la Présidentielle de 2007, ne contredise ce qui a été annoncé.
Aujourd’hui Pleyel et la Cité de la Musique, dirigés par Laurent Bayle, -un temps pressenti pour succéder à Gérard Mortier à l’Opéra de Paris, avant que Nicolas Joel ne soit finalement nommé-, font figure de modèles. Grâce à des moyens importants, mais surtout une politique artistique équilibrée et pertinente, la diversité de l’offre, en matière de répertoires comme de formes musicales, est exemplaire. Thématisés autour d’une période, d’un genre, d’une personnalité, les concerts sont aussi remarquables que riches en découvertes.
Or la clé est là. La diversité de l’offre et la qualité, l’audace, l’originalité des programmations font la différence. Il est réjouissant que tant de qualités puissent être satisfaite par les institutions publiques. D’autant que la politique des prix reste continûment exigeante, favorisant l’accès au plus grand nombre.
Les producteurs privés qui engagent souvent leurs fonds propres pour assurer une bonne affiche, ne peuvent peser face aux poids lourds comme Pleyel aujourd’hui. Question de moyens, bien sûr. C’est pourquoi, souvent leur spécialité concerne des solistes ou de petits ou moyens ensembles, quand la Cité de la musique, Pleyel et bientôt, la Philharmonie de Paris, s’intéresseront aux orchestres.
Voilà qui précise le pré carré de chaque structure, répartissant les activités selon la taille des salles et les budgets alloués : les théâtres feront de l’opéra; les salles ambitieuses, du Symphonique; et les indépendants continueront d’accompagner (souvent de façon exclusive), l’éclosion, l’essor et la consécration des talents individuels.

Des maux, leurs remèdes

Vu sous cette angle, tout ira dans le meilleur des mondes. Or il reste une donnée capitale: le coût de la place pour le consommateur. En période de crise, où quoiqu’on dise le passage à l’euro n’a pas stabilisé le cours des prix (bien au contraire), c’est la culture et le poste concert et opéra qui en pâtissent.
A cela s’ajoute la difficulté de se distinguer, dans une diversité de l’offre de plus en plus foisonnante, la capacité des productions à émerger. Dans ce domaine, la manière avec laquelle les producteurs communiquent et font la promotion de leur « saison’ ou de leur événement, reste désespérément classique.
Enfin, le public mélomane qui reste l’un des plus fidèles, retourne volontiers dans un lieu dont la programmation correspond à ses attentes. En plus de la question de l’accès tarifaire aux salles de concert, il faut aussi réussir l’image et la communication du classique auprès du grand public. Ces deux aspects sont essentiels pour le renouvellement des audiences. De ce côté, l’image de la musique classique a encore un sacré chemin à parcourir. Quand elle n’est pas taxée de ringarde ou de conservatrice, on l’a dit ennuyeuse ou surtout élitiste!
Les préjugés sont tenaces par définition. Nous savons assez combien le classique et la « grande musique » tendent à rebuter les plus jeunes. Question de culture et de génération.
Ah, s’ils savaient combien Mozart pourrait leur être agréable! Non par doses homéopathiques, mais au quotidien! Fort heureusement la popularité du Wolfgang ne faiblit pas… Il suffirait que les producteurs réapprennent à communiquer, en s’appuyant aussi sur une politique de prix accessible, tout en offrant une qualité de programmation fondée sur la découverte, l’audace, l’actualité, l’invention (il y a quelques années des publicitaires justement avaient inventé ce slogan mémorable « en France, nous n’avons peut-être pas de pétrole mais nous avons des idées »)… Des idées, de l’audace, du rêve et des petits prix! Equation plus idéale que réaliste? Pas si sûr.
Les chiffres de remplissage des théâtres d’opéra montrent de leur côté combien la machine lyrique fait encore rêver, captive, transporte. En 2007, le genre lyrique fête ses 400 ans (les 16, 17 et 18 février précisément, dans le cadre des Journées Européennes de l’Opéra). Qui avait prédit cet essor constant? Quand depuis ses origines, chacun a annoncé sa mort lente ou décrété qu’il était un spectacle impossible! Directeurs et programmateurs faîtes-nous rêver!
Le dernier succès du Bourgeois Gentilhomme de Molière/Lully revisité par le trio Dumestre/Lazar/Roussat montre combien la féerie fascine, fidélise, convainc. Le spectacle vivant s’il réussit ce qui le caractérise: la magie et l’émotion, a encore des beaux jours à vivre.

Changer leur offre en besoin

Alors, demain trop de salles, plus assez de spectateurs? La question est peut-être mal posée. Les lois du marketing nous éclairent assez: toute offre peut trouver son marché en fidélisant sa cible. Et même si le spectacle ne peut se vendre comme un banal produit commercial, les salles devront comme toute entreprise commerciale émerger dans le brouillard des offres, captiver, surtout fidéliser. Les faiseurs d’images et les responsables de la communication sont certainement les métiers de l’avenir du culturel. Une belle image, créative, risquée, surprenante séduit les publics: elle rassure mécènes et sponsors. Aux salles de savoir nous solliciter et de changer leur offre en besoin.
Accessibilité des prix, audace et qualité de la programmation, communication inventive et marquante: telles sont pour nous les recettes qui gagneront leurs publics!

Crédits photographiques
(1). Salle Gaveau, joutes pianistiques devant l’orgue du fond de scène (DR)
(2). Salle Pleyel, la nouvelle salle rénovée (DR)

Halévy, La Juive (1835). Paris, Opéra Bastille. Du 16 février au 20 mars 2007

Jacques Fromental Halévy,
La Juive
, 1835
Paris, Opéra Bastille
Du 16 au 20 mars 2007

Le 16 février 2007, un opéra monumental, comprenant un quintette de protagonistes difficiles à distribuer, des choeurs impressionants, un orchestre fourni, réapparaît sur la scène de l’Opéra de Paris d’où il avait été banni en avril 1934. Comme au moment de sa création, la reprise est d’autant plus attendue qu’elle annonce un plateau vocal exceptionnel: Anna Maria Antonacci dans le rôle de Rachel, Neil Shicoff (spécialiste du rôle de son père adoptif, Eléazar), surtout Annick Massis prêtant sa voix à Eudoxie.

Un sujet fascinant

Quant Meyerbeer compose Les Huguenots, Halévy d’origine juive également, se passionne pour Rachel. Et le titre de son opéra ne fera pas mystère de son identité. La Juive, malgré les critiques immédiates qu’elle suscita, provoqua une fascination irrépressible sur le public parisien et européen, à partir de sa création à l’époque de la Monarchie de Juillet, en 1835, imposant un musicien âgé de 36 ans.
Scribe conçoit d’abord le livret avant de trouver le compositeur digne de le mettre en musique. L’action se déroule à Constance, en 1414.
Comment ne pas succomber à la force de l’intrigue? Ici, un orfèvre juif qui au moment du sac de Rome par les lombards, recueille la fille du magistrat Brogni qui avait pourtant exécuter ses fils et l’avait fait condamner à l’exil. Tu chériras tes bourreaux… et leurs enfants.
Mais Rachel élevée comme une juive découvre que son amant le chrétien Léopold, est l’époux d’Eudoxie, nièce de l’Empereur. Forte et loyale, Rachel dénonce l’adultère qu’elle a commis avec Léopold, vouant à la mort Léopold mais aussi son père Eléazar. Brogni devenu Cardinal, invite la fille et le père à abjurer la religion juive et à se convertir, s’ils veulent échaper à la mort. Il s’entête coûte que coûte à sauver la jeune fille dont il se sent proche. La tentative reste vaine.
Au moment de mourir, Eléazar désigne Rachel comme la fille du cardinal mais il est trop tard, l’ordre a été donné et l’enfant est exécutée. Cruauté originelle de Brogni, vengeance radicale d’Eléazar. Tu as fait exécuter mes fils, je t’ai conduit à condamner ta fille.
Quand Scribe lui raconte l’intrigue, Halévy est subjugué par la violence des passions qui s’y opposent et qui associe, dans la même mouvement, très étroitement chacun des personnages. Prix de Rome précoce, à 20 ans, en 1819, le musicien végète: il n’a pas trouvé l’opportunité de composer une oeuvre d’envergure. Le disciple de Cherubini cherche un sujet. Sa rencontre avec Scribe se révèle donc miraculeuse.

L’ambiguïté d’Eléazar

La fascination du sujet vient du personnage d’Eléazar et des motivations réelles qui l’ont conduit à recueillir la fille de son tortionnaire. Esprit machiavélique capable de feindre la générosité pour se venger de la mort de ses propres enfants? Figure paternelle du pardon, soumis à la loi sadique d’un cardinal cruel?
La question reste entière, et aux côtés du genre du grand opéra, comprenant un fastueux déballage d’effets décoratifs, l’auteur ajoute la profondeur d’un mystère qui plonge dans l’inconscient le plus secret.
Pourtant même si l’on souhaite trouver des indices de la bonté d’Eléazar, il faut reconnaître qu’il aurait pu mieux défendre l’honneur de sa « fille » Rachel, qui s’est auto-accusé d’adultère. Dans ce silence presque criminel, le père inconsolable d’avoir perdu ses fils ne voulait-il pas s’en venger en versant le sang de l’enfant de son ennemi criminel, de surcroît en conduisant celui-ci à proclamer la sentence de mort qui fait abattre sa propre fille? Le sang sacrifié exige un autre sang versé. Terrible engrenage des haines homicides, entretenues et transmises de génération en génération. Car il est bien question de haine profonde dans La Juive: Léopold haït la religion de son aimée. Mais il est aussi prêt à tout quitter pour elle. De son côté, Eléazar abhorre ces chrétiens qu’il prend « plaisir à tromper ». Le juif diabolisé ici par Scribe, retors, calculateur et manipulateur, oeuvre pour la vengeance de l’ombre, silencieuse, implacable d’autant plus effroyable. Quand Brogni lui offre la paix, Eléazar refuse. De même Rachel veut aimer les chrétiens. Pourtant quand se précise la trahison de Léopold qui lui avait caché qu’il était marié, la jeune femme n’hésite pas à le dénoncer et se perdre avec lui.

Vision large, souffle épique

Inextricable liens qui nouent les êtres d’une tragédie qui les emporte tous. Contre la loi de la vengeance, l’opéra n’indiquerait-il pas l’échec de la haine, et donc ne militerait-il pas en faveur du pardon?
Pourtant l’ambiguïté demeure. Et c’est bien la violence et la sauvagerie de la psychologie brossée par Halévy, en une musique exceptionnelle, qui fonde ce drame à grand spectacle. L’intensité des personnages composant ce quintette d’une rare profondeur: Rachel/Eléazar, Léopold/Eudoxie, Brogni donne la chair et la vérité de ce qui n’aurait été par ailleurs, qu’une fresque historique. Or le compositeur pour son premier opéra, sait ouvrager l’éclat et les conflits secrets de chacun des personnages.
La vision qu’apporte Halévy, qui se souvient de Beethoven et de Cherubini, de Weber aussi et de Mozart, impose un souffle irrésistible. Cette grandeur exaltante, presque spontanée, jaillit dans La juive, y explique certaines irrégularités, quelques faiblesses. Or ici, le flot de la musique convoque la force des éléments, les vagues du destin. Une conception contradictoire avec celle de Scribe pour lequel rien ne devait freiner l’unité et la cohérence dramatique.
En digne suiveur d’un Véronèse, Halévy voir grand et large. Mais jamais la justesse et la précision du détail ne sont sacrifiées à l’unité de l’ensemble. Les protagonistes sont virtuoses (pour la création paraissent Cornélie Falcon et Adolphe Nourrit, dans les rôles de Rachel et d’Eléazar), le choeur spectaculaire, l’orchestre flamboyant. Du début à la fin de la partition, le compositeur favorise l’hédonisme des spectateurs. Cette opulence fut immédiatement comprise: elle explique combien le public de la Monarchie de Juillet succomba, avec raison, aux délices pourtant noirs et tragiques, de La Juive.

Les repésentations parisiennes 2007

La première du 16 février a été affecté par quelques dysfonctionnement des lumières à cause d’un mouvement de grève des électriciens de l’Opéra de Paris. Le 20, c’était Neil Shicoff dont on connaît l’anxiété avant chaque représentation en particulier pour le rôle (écrasant) d’Eléazar, qui déclarait forfait, et était remplacé par Chris Merritt, déjà prévu les 3 et 20 mars 2007.
Nul doute qu’à défaut d’une voix bien placée et désormais « ruinée », le ténor américain joue à présent uniquement sur son engagement physique, qu’il aime conduire jusqu’à ses extrêmes limites.
Hélas Chris Meritt étale un français beurré, sans accents, sans mordant, assez laid. Les spectateurs n’ont pas gagné au change. Heureusement il y a la mise en scène, subtilement pensée par Pierre Audi que semblent mieux comprendre la Rachel parfois crispée d’Anna Caterina Antonacci, et surtout le Léopold aux aigus fluides et souples de John Osborn. La révélation de la production est sans conteste Annick Massis qui campe une Eudoxie aimante, ardente, souveraine de port, de grâce, de puissance mêlées. Un prodige de vérité et de prestance qui rend au personnage son émotivité princière. Dans la fosse, Daniel Oren s’en tire plus qu’honnêtement: il rend les climats poétiques d’un grand spectacle dont on comprend que le XIX ème sut s’enivrer jusqu’à satiété (Guillaume Hugues Fernay, les 16 puis 20 février 2007).

CD

Antonio de Almeida, 1989
Pour Philips, et autour de José Carreras, le plateau vocal ne convainc que modérément, exception faite des deux sopranos: Julia Varady et June Anderson. La version comporte de regrettables coupures.

DVD

Deutsche Grammophon a filmé la prestation d’un spécialiste du rôle d’Eléazar, le ténor américain Neil Shicoff, embrasé, éruptif, sur la corde raide. Sa prestation fait l’attrait de la captation en provenance de l’Opéra de Vienne en 2003. A ses côtés, Krassima Stoyanova est une Rachel non moins ardente. D’autant que les options dramaturgiques de Günter Krämer ne manquent pas de piments, riches en tension théâtrale. Lire notre critique complète du dvd de la Juive de Halévy avec Neil Shicoff

Illustrations

Cornélie Falcon, la créatrice du rôle de Rachel en 1835 (DR)
Anna Caterina Antonacci et Neil Shicoff, Opéra de Paris 2007 © R. Walz
Girodet, Attala (DR)

Bruxelles. Flagey. 100% Schubert, le 11 février 2007. Récital Philippe Cassard et Delphine Bardin, piano à quatre mains

Moment musical de pur bonheur, ce récital de piano à quatre mains offert aux 100% Schubertiens ce dimanche 11 février. Dès l’énoncé du thème initial de la Fantaisie en fa mineur, bouleversant par la simplicité et la beauté de son chant, les affinités des deux pianistes français avec cette oeuvre à la fois intense, lyrique et émouvante, s’imposent d’évidence. Philippe Cassard et Delphine Bardin ont indubitablement le ton juste pour aborder cette Fantaisie, qui, sous leurs doigts, s’adresse directement au coeur. Pièce maîtresse du répertoire schubertien pour piano à quatre mains, il s’agit aussi d’une des oeuvres les plus abouties du compositeur viennois car, dès son énonciation, le magnifique motif principal, au charme si mélancolique, s’élance pour porter et transporter toute une structure musicale qui, en quatre mouvements enchaînés, prend fin par une abrupte coda en forme de fugue. Merveilleux de musicalité accordée, l’on retiendra la délicatesse dans le toucher et la retenue dans l’approche des deux complices du piano.
 
En début de programme, Philippe Cassard et Delphine Bardin présentèrent, avec un égal bonheur, un florilège de petites pièces au charme convivial et spontané quoiqu’inégal, et dont l’intérêt principal réside précisément en ce qu’elles étaient destinées aux schubertiades, ces soirées improvisées entre amis musiciens que Schubert et son entourage affectionnaient tant. Un extrait du Divertissement à la hongroise D.818 offert en bis, vient clore un des événements les plus réussis de 100% Schubert.
 
Bruxelles. Flagey. 100% Schubert,  le 11 février 2007. Franz Schubert (1797-1828) : Grande Marche D.819, Andantino varié D.823, Polonaises D.824, Fantaisie en fa mineur D.940. Philippe Cassard, Delphine Bardin, piano à quatre mains.
 
Crédit photographique
Philippe Cassard (DR)

Haendel, Hercules (1745)Mezzo, du 10 au 30 mars 2007

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Georg Friedrich Haendel
Hercules
, 1745

Le 10 mars 2007 à 20h45
Le 11 mars 2007 à 13h40
Le 20 mars 2007 à 15h45
Le 22 mars 2007 à 3h40
Le 30 mars 2007 à 15h45

Entre oratorio et opéra

L’opéra Hercules date de la période où Haendel a successivement dû abandonner les deux scènes pour lesquelles il s’entêtait à poursuivre son idéal musical fondé sur le modèle de l’opéra italien: L’Académie royale de musique, fermée en 1728, puis le King’s Theatre, en 1741. C’est un homme durement éprouvé qui néanmoins s’obstine habilement à suivre son « idée fixe »: maintenir coûte que coûte l’écriture dramatique, quitte à faire évoluer sa manière et le genre lyrique qu’il sert. Ses efforts le conduiront sous la pression de la concurrence et du goût du public, à passer de l’opéra italien mythologique et historique, à l’oratorio sacré anglais. Hercules appartient encore à l’opéra historique italien, mais la forme en langue anglaise, simplifie l’action tout en l’intensifiant. Exaltée, portée à incandescence, la psychologie des personnages est projetée au devant de la scène.

Vingt après Giulio Cesare, dix ans après Alcina, Haendel, âgé de près de soixante ans, poursuit son travail de dramaturge. A mesure que son style exalte l’expression des passions humaines, il semble se détacher du développement scénique, comme si trop de décorum gênait l’attention du spectateur, l’empêchant de se concentrer sur le chant et la musique. Il tend progressivement vers une épure théâtrale qui a valeur d’exemple, où le choeur tragique commente et oriente les auditeurs, où chaque soliste exacerbe isolément, un sentiment spécifique. Il s’agit souvent, plus de tableaux que d’action continue. Avec Haendel, la langue de Purcell ressuscite, elle retrouve un équilibre remarquable avec la musique. En 1745, à mi chemin entre l’opéra qui n’a plus l’attrait antérieur et l’oratorio, un genre qui a la faveur du public, surtout s’il est chanté en anglais, le compositeur écrit deux drames inspirés par l’histoire antique: Semele, puis Hercules, deux êtres qui se consument.

Déchéance du héros

L’incroyable intensité d’Hercules s’intéresse à la déchéance du héros. Le vainqueur et le conquérant ayant failli et trahi l’honneur de son prestige, après avoir massacré sa famille (son épouse Mégarée et leurs enfants), veut expier, accepte de perdre sa dignité d’essence divine, et de souffrir dans le corps d’un homme ordinaire, terrassé par la faiblesse et la colère: envie, désir, lâcheté. D’ailleurs, il devra quitter non sans souffrance, cette enveloppe et cette peau d’homme honteux, s’il veut rejoindre l’Olympe, la demeure des dieux. L’intrigue dépeint l’embrasement fatal qui s’empare de lui, jusqu’à son incinération en forme d’apothéose. Sur les cendres encore chaudes du feu libérateur, l’union de son fils Hyllus avec Iole peut enfin se réaliser, apportant une conclusion à peine consolatrice, après plusieurs heures de peine et de tension.

Hercules à l’Opéra de Paris
Dans la mise en scène de Luc Bondy, avec les décors d’une simplicité noble et austère de Richard Peduzzi, la tragédie terrifiante s’accomplit. Sur le sable, les êtres se déchirent et se dévorent. A chaque insulte ou à chaque accusation proférée, les victimes et leurs bourreaux impriment la terre, d’une meurtrissure nouvelle. En définitive, Hercules raconte le lot familier de l’espèce humaine, possédée par l’empire de l’instinct, sacrifiant la raison pour la jouissance: traîtrise, lamentations, folie, souffrances, agonie. Théâtre du désenchantement mais scène sublime des passions humaines. Le plateau vocal s’appuie sur des tempéraments complices: virilité qui se consume de William Shimell (Hercules), feu dévoré et délirant de Joyce DiDonato (Déjanire), tendresse stylée de Tobi Spence (Hyllus). Et dans la fosse, « Bill » fait ce qu’il accomplit de mieux: enflammer les cordes, gonfler les arabesques de la rage baroque. La caméra de Vincent Bataillon ne se contente pas de filmer: elle accompagne les protagonistes, les suit dans leur déplacement, prend parti et s’engage du côté d’un personnage ou de l’autre. Le montage et la diversité des plans compensent l’implacable dénuement de l’action. L’un des grands spectacles, denses et noirs de l’ère Mortier. La production, filmée à l’Opéra de Paris en 2004, a été publiée en dvd par l’éditeur Bel Air classiques.

Distribution
Opéra (2h50), réalisation : Vincent Bataillon. Avec William Shimell (Hercules), Joyce DiDonato (Dejanira), Toby Spence (Hyllus), Ingela Bohlin (Iole), Malena Ernman (Lichas), Simon Kirkbride (prêtre de Jupiter). L’Orchestre et le chœur des Arts Florissants sont dirigés par William Christie. Mise en scène : Luc Bondy, décors : Richard Peduzzi

Illustrations

Production Opéra de Paris (DR)
Apothéose d’Hercules (DR)

Haendel, Poro (1731)Arte, samedi 10 mars 2007 à 22h30

Georg Friedrich Haendel
Poro, Re dell’India
, 1731


Samedi 10 mars 2007 à 22h30

Nouveau jalon de son cycle de documentaires d’1 heure, lancé en janvier 2007, intitulés « Découvrir un opéra », après Platée et Cardillac, Arte diffuse un nouveau volet dédié à un opéra méconnu (injustement) de Haendel. L’oeuvre créée à Londres (triomphalement) montre l’obstination du compositeur à imposer l’opéra italien (mais selon son esthétisme personnel, c’est à dire contre le goût napolitain dominant), réaffirme son invention mélodique et son inspiration passionnelle, tout en se soumettant aux vertus classicisantes du texte de son librettiste, Pietro Metastasio.

Documentaire. Réalisation: Barbara Thiel, Andreas Goerke. 1h, 2006. La production lyrique qui est le prétexte et l’illustration de la réalisation, a été filmée lors du festival Haendel de Göttingen, en Allemagne.

Poro, roi de Londres

En 1731, Haendel connaît l’un de ses plus beaux succès avec Poro, Re dell’India. Pourtant deux années plus tôt, en 1728, le compositeur se vit dans l’obligation déchirante pour lui qui avait tant donné pour sa réussite, de fermer le théâtre qu’il dirigeait, la « Royal Academy of Music ». La scène était d’autant plus chère qu’elle avait accueilli ses plus grands ouvrages: Tamerlano, Giulio Cesare, Rodelinda, Admeto… C’est que parmi les publics de Londres, l’opéra italien a de moins en moins de succès. Les spectateurs préfèrent applaudir des productions en langue anglaise, tel le critique et parodique Beggar’s opera de Gay et Pepusch.
Pas désappointé pour un sou, Haendel repartait en campagne, glorieux ambassadeur de la lyre italienne: il persuadait le directeur du King’s Theatre, Heidegger, de produire de nouveaux serias, dignes, moraux, spectaculaires. Ainsi, le compositeur put se remettre à l’ouvrage, à peine huit mois après la fermeture de son Académie Royale de musique, et recruter sur place, divas italiennes et castrats non moins célébrés… Ainsi, le 2 décembre 1729, Lotario affirmait sur la scène du « Second théâtre lyrique de Haendel », la persistance d’une volonté jamais éteinte.
Mais, Lotario fut un four, comme l’opéra qui suiva, Partenope. Or rien de tel avec, Poro, créé le 2 février 1731. Presque 30 représentations: un succès en forme de record qui renouait avec son Siroe de 1728.

Rien ne fut négligé

Haendel s’assura les services poétiques d’un jeune librettiste, promis à un bel avenir: Pietro Metastasio. Le texte porte déjà l’idéalisme moral, vertueux et classique du futur poète de la Cour impérial de Vienne. En ce sens, le glorieux et vainqueur Alexandre, sait pardonner, être clément, abandonner pouvoir et amour en faveur du Roi de l’Inde, qu’il a préalablement soumis. Grandeur du héros, conquérant pacificateur. Il est étonnant à ce titre de constater que l’inspiration de Haendel, amateur des emportements fantastiques et de la passion dévorante, se soumette ainsi à la loi du rationalisme et de l’équilibre moralisateur. Au poète déjà classique dans les années 1730, période du pur rococo, correspondait le musicien des contrastes outrés, des violences et de la sauvagerie sentimentale. Haendel n’avait plus rien à perdre: tout accepter plutôt que rompre le cycle de ses productions italiennes!
Le compositeur opta pour une ligne mélodique favorisée, souveraine comme en témoigne l’air d’Erissena, « Son confusa pastorella » (Acte III), qui connut un triomphe populaire. Le compositeur ose néanmoins résister au style envahissant des napolitains, luttant contre la simplification inexpressive, selon lui, de l’harmonie, la simplicité fade des airs… Il devra pourtant déclarer forfait en 1741, constatant que l’opéra italien ne convainc plus. Pire, il fait fuir.
En 1731, avec Poro, rien de tel encore: la science des airs, l’opulence claire et intelligible de la mélodie indique que Haendel a acclimaté les ficelles des napolitains. Le succès de Poro vint également des chanteurs, virtuoses, célébrissimes: le castrat Senesino (Poro), Anna Maria strada del Po (Cleofide dans Poro) s’imposèrent, déclanchant l’hystérie du public. La chanteuse assez disgracieuse puisque surnommée sans ménagement pour sa personne, « the pig », compensait par d’évidentes dispositions vocales. Elle sera Alcina en 1735. Enfin, le ténor bolonais Balino, incarnait Alessandro: le seul ténor qui put rivaliser avec les plus grands castrats de l’heure. L’orchestre fourni, comprenait au moins trente cordes, quatre bassons. Un volume instrumental appréciable pour la salle du King’s Theatre qui ne pouvait contenir que 800 spectateurs.
En 1732, Handel reprit quatre fois Poro. En 1736, Haendel voulut reprendre son opéra triomphal mais seule la Strada resta dans son théâtre. Tous les autres préférèrent rejoindre le théâtre rival, financé par le Prince de Galles, au Covent Garden, temple lyrique où se donnèrent désormais les plus grands succès napolitains.

Classicisme du poète,
Ivresse passionnelle du compositeur


Dans cette oeuvre où il faut reconquérir un public, Haendel doit se soumettre au diktat classicisant du jeune maître Métastase. Le premier acte d’exposition, assez terne, finit par presque rompre la corde de la patience. Seul le dernier air « ose » un mode mineur! Heureusement, le couple des souverains de l’Inde, Poro et Cleofide, qui se disputaient auparavant, ouvre le deuxième acte, en un duo d’amour embrasé et sensuel : kaput, Metastasio! Les palmes vertueuses du poète perdent de leur superbe. La fougue et le sang haendéliens resurgissent nettement. D’ailleurs, tout le second acte est dominé par le mode mineur, et le final affirme la prééminence du musicien, en un bon si mineur (solitaire et mélancolique comme nous le rappelle Charpentier): enfin, voilà le vrai visage de Haendel: sanguin, impatient, sombre, comme nous l’aimons sur la scène.

Poro, Re dell’india
Opéra en deux actes
Livret de Pietro Metastasio
Créé à Londres, King’s Theatre,
le 2 février 1731

Illustrations
Georg Friedrich Haendel (DR)
Trois portraits sculptés d’Alexandre le Grand (DR)

Charles Chaynes, Poèmes rimbaldiens, Mi amorParis, Metz. Du 1er au 27 mars 2007

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Charles Chaynes
(né en 1925)

Poèmes Rimbaldiens
Paris, Radio France
Le 1er mars 2007 à 20h

Mi amor, opéra
Création mondiale
Metz, Opéra-Théâtre
Les 23, 25 et 27 mars 2007

Pour son cinquième opéra, Mi amor, Charles Chaynes retrouve un librettiste familier qui a déjà travaillé avec lui pour son ouvrage précédent, Cecilia (créé à Monte-Carlo, en 2000): l’écrivain cubain Eduardo Manet. Le sujet se passe dans l’Argentine des années 1930. Adriana, jeune et riche veuve, se passionne pour le révolutionnaire recherché par la police, Miguel. Il s’agit aussi d’un inceste avec comme fond historique, les effets terrifiants de la dictature militaire. Deux passions amoureuses parallèles, dont l’expressivité est en rapport avec la dureté de la dictature ambiante. L’orchestre de 30 musiciens se parent des couleurs propres au pays du tango: il comporte bandonéon et guitare. Le compositeur renoue avec sa fascination de la femme: auteur du monodrame Erzsébet, pour voix de femme seule (1982), sa première oeuvre lyrique, et la plus déterminante. La comtesse hongroise Erzsébet vécut au XVII ème siècle, pratiquait la sorcellerie et commanditait des meurtres de jeunes vierges. Elle fut condamnée à l’isolement à vie, et mourut en 1614.
Plutôt que de juger, Chaynes s’intéresse à la schyzophrénie progressive et contradictoire de l’héroïne. Il brosse le tableau de la victime non du monstre. Pourquoi a-t-elle décidé de se soumettre aux forces du mal? L’orchestre détaille plusieurs états intérieurs qui dévoilent l’esprit de la comtesse et le choix de l’instrumentation suit très précisément l’expression psychologique de cette femme qui n’est plus dans notre réalité. Ensuite, s’affirment, Jocaste (création à l’opéra de Rouen en 1991), puis Cecilia, drame social, qui peint sous la pression des usages de la société permissive et normative, la folie qui s’empare d’une jeune femme apparemment forte. C’est une nouvelle introspection violente et intime qui plonge dans l’univers intérieur, au coeur de la dramaturgie de l’héroïne.
Au final, l’écriture de Charles Chaynes est un questionnement de l’humain. Le compositeur utilise les couleurs et les timbres, en les associant avec une acuité personnelle, souvent très originale. Atonal, il sait être lyrique. Son oeuvre est fascinante. Gageons que son nouvel opéra saura s’inscrire dans l’intensité et souscrira à la poésie des ouvrages précédents. Les deux concerts à Paris, comme à Metz, sont des événements.

Programmes
Paris, Radio France
Festival Présences 2007
Poèmes Rimbaldiens
pour baryton et orchestre.
Jean-Marc Salzmann, baryton
Orchestre de Pau-Pays de Béarn
Fayçal Karoui, direction

Metz, opéra théâtre
Mi amor
Livret d’Eduardo Manet
Mise en scène: Bernard Habermayer
Avec: Carole Louis, Richard Rittelmann, Jacqueline Mayeur, Alain Fondary
Orchestre national de Lorraine,
Arturo Tamayo, direction

Crédit photographique
Charles Chaynes (DR)

Bruxelles. 100% Schubert, le 8 février 2007. Récital du pianiste Michel Dalberto

Précédé d’une réputation flatteuse, la participation de Michel Dalberto à 100% Schubert était d’autant plus attendue que les mélomanes belges n’ont pas fréquemment l’occasion d’applaudir ce pianiste qui – lauréat en 1975 du Concours Clara Haskil – compte assurément parmi les meilleurs de sa génération et que, très tôt, le monde musical n’a pas hésité à comparer tantôt à Schnabel, tantôt à Arrau ou Perlemuter. Le public était donc venu nombreux à Flagey, ce 8 février 2007, pour entendre Michel Dalberto nous conter Schubert. Et de fait, avec Michel Dalberto on assiste à du grand piano, du très grand piano même. Une technique infaillible, un jeu d’une précision méticuleuse, une puissance physique étonnante qui autorise des contrastes dynamiques vertigineux, du fortissimo le plus affirmé au pianissimo le plus ténu. Mais par-dessus tout, et au-delà de toutes ces qualités, ce qui frappe le plus chez Michel Dalberto, c’est l’inébranlable concentration et l’extrême maîtrise, intellectuelle et pianistique, du musicien.

Dès les Klavierstücke D.946, l’impression est celle d’un Schubert héroïque, dramatique. Le Schubert de Michel Dalberto déconcerte, et souvent nous prend de court, car les climats sont sombres, violents, tourmentés, à l’opposé d’un Schubert plus intimiste et plus feutré. La tendance à l’extériorisation se confirme dans la Sonate D.959 : les plans sonores sont contrastés, architecturés, la charpente est vigoureuse. La ligne mélodique est sûre, articulée avec netteté, mais le tout est présenté sur un mode qui nous semble hyper-dramatisé, et qu’un rien pourrait faire virer au flamboyant – à tel point que par moment on croit assister à 100% Dalberto, plutôt qu’à 100% Schubert.

A mi-parcours du récital, une évidence semble s’imposer : malgré l’intensité du propos et la densité intellectuelle, Dalberto ne sera pas, ce soir, l’ami complice qui nous fera explorer les sentiers schubertiens, ceux du coeur et de l’âme. Son approche, plus structurée et rigoureuse que chaleureuse, nous prive d’une part de charge affective, d’évasion et de rêve. Certes, Dalberto a le don de captiver l’auditeur, le beau succès couronnant sa prestation en est la preuve éclatante, mais dans la Sonate D.960, ultime étape du voyage schubertien, oeuvre où à chaque instant la beauté crépusculaire confine au sublime, on a attendu, souvent en vain, que se produise le miracle de l’empathie. L’on aurait aimé que Michel Dalberto nous fasse arpenter, avec davantage d’innocence et de tendresse, les paysages intérieurs de Schubert, qu’avec une plus grande économie de moyens peut-être, il nous fasse partager plus intensément le dernier rêve pianistique de Schubert.

Bruxelles. Flagey. 100% Schubert, le 8 février 2007. Franz Schubert (1797-1828):  Klavierstücke D.946, Sonate n°20 en la majeur D.959, Sonate n°21 en si bémol majeur D. 960. Michel Dalberto, piano.

Crédit photographique
Michel Dalberto (DR)

Entretien avec Jérôme Corréas,Directeur des Paladins

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En août 2005, nous l’avions rencontré dans le cadre du Festival Musique et Mémoire. Haendel, Berlioz, et bientôt l’Opéra Comique Français… les champs de découvertes et de travail investis par le baryton Jérôme Correas, aujourd’hui directeur depuis 1997, de son ensemble Les Paladins, sont vastes mais toujours concentrés sur la notion de geste vocal et instrumental. A la convergence du poème et du chant, il s’intéresse particulièrement à favoriser l’impact expressif des partitions abordées. Il a privilégié les auteurs romains du XVIIe. Après la parution d’un album Carissimi dans lequel, pour le quatrième centenaire de la naissance du compositeur, il dévoile un oratorio inédit, celui de la Vierge, Jérôme Correas, en résidence au XIIe festival « Musique et mémoire », aborde un contemporain : Domenico Mazzocchi.

Nous nous voyons après votre cd dédié à Carissimi, le maître de Charpentier que l’on a célébré avec faste. Pourtant Carissimi ne suscite guère d’enthousiasme ici et là. Pouvez-vous nous parler de votre vision du compositeur romain ?

Jérôme Correas: Son œuvre s’inscrit dans le contexte de la Contre-Réforme. Il s’agit d’une musique théâtrale dont la fonction est d’assurer la propagande des idéaux de la Rome papale. Il s’agit d’édifier et de toucher les pèlerins, de reprendre les âmes converties par les mirages de la Réforme. Ce qui est plus intéressant encore c’est que sur le plan artistique, ces œuvres utilitaires sont des chef-d’œuvres. Des modèles qui combinent très habilement texte et musique. La plupart illustrent des passions exaltantes, des exemples de vertus. Ce que les peintres de l’époque réalisent aussi. La clarté du discours est très efficace : n’oublions pas que Carissimi passe toute sa vie au Collegio Germanico dirigé par les Jésuites, lesquels sont passés maîtres de l’enseignement et de la rhétorique. La langue de Carissimi est démonstrative, parlante, très expressive et jamais diluée : il use avec intelligence de tournures, ruptures, de chœurs interrompus. Son style est vivant et contrasté. Je crois qu’il faut restituer à sa musique, son intelligibilité particulièrement si l’on traite la langue latine ici comme s’il s’agissait de parler italien.

Dans votre album paru chez Pan classics, vous révélez une partition inédite, l’Oratorio de la Vierge dont il ne reste d’ailleurs aucune preuve réelle sur l’authenticité et légitimant l’attribution à Carissimi ?

Il existe une édition moderne de cet oratorio (1950). Conservée à la BN à Paris. C’est la seule partition éditée aux côtés de la très connue, Jephté. Le texte est en italien, et son inspiration très ensoleillée, très aimable. Je suppose une note humoristique de la part de Carissimi qui imagine une Vierge démonstrative, qui s’auto glorifie en permanence. Une place que l’on a pas l’habitude de la voir tenir. La partition semble avoir été composée à la suite d’un événement « miraculeux » survenu en 1649 dans l’église où travaillait Carissimi. Un tremblement de terre a provoqué la chute du revêtement d’un mur où se trouvait en dessous, une représentation de la Vierge. L’oratorio aurait été composé pour célébrer le miracle.

Vous explorez le Seicento romain et nous révélez un contemporain de Carissimi, Domenicho Mazzocchi. Pouvez-vous nous parler de l’homme et de son œuvre ?

Son style est extrêmement séduisant. Il s’adresse aux amateurs lettrés et mélomanes de la Curie Romaine qui par ailleurs étaient privés d’opéra à la différence des autres villes italiennes. A Naples, à Venise, les patriciens vont au spectacle tous les jours pour s’y ennivrer de la musique vocale. Il fallait bien que Rome trouve un genre musical spécifique correspondant à la demande et respectant les usages. L’oratorio et l’histoire sacrée s’y sont donc développés. Mazzocchi est lié au cercle des princes et prélats que passionnait la recherche d’un idéal esthétique fusionnant poésie et musique. Les Académies comme l’Arcadie réunissaient les intellectuels, artistes et mécènes, préoccupés par ce travail, comme l’avaient fait les membres de la Camerata Bardi à Florence. Mazzocchi illustre parfaitement leurs recherches : sa musique expérimente constamment, variant les climats et les formes. Son style est plus brillant et musical que celui de Carissimi où l’équilibre de la musique et du texte est idéal. Mazzocchi s’autorise toutes les libertés, il rompt la ligne mélodique, renouvelle l’harmonie mais toujours pour projeter l’expression du texte. Son frère Virgilio a laissé des œuvres qui ne sont pas aussi abouties. Les textes italiens qui ont été publiés (Musiche sacre e morali, Rome 1640) sont des madrigaux spirituels et moraux qui étaient joués en concerts privés, devant les amateurs lettrés parfaitement initiés pour en comprendre toutes les subtilités. A l’époque, les parties aiguës étaient tenues par les castrats. Aucune femme n’étaient tolérée.

Avec Porpora nous quittons Rome pour Naples. Comment expliquez-vous l’attraction européenne du compositeur ?

A la différence de Vivaldi ou de ses contemporains napolitains, Porpora se distingue par la richesse de sa recherche harmonique. Il ne se satisfait pas de la seule agilité mélodique. Sa musique religieuse est théâtrale, expressive et dramatique. Ce qui transparaît avec force dans ses Leçons de Ténèbres que nous jouons dans notre spectacle « la cantatrice Imaginaire » d’après « Consuelo » de Georges Sand.

L’écriture vocale, l’articulation dramatique et la notion de geste musical sont au centre de votre démarche. Quels sont vos projets à venir ?

Evidemment, j’aimerais beaucoup aborder l’opéra. Nous avons un projet bien avancé à ce jour et je souhaite qu’il se concrétise. En septembre, pour le festival d’Ambronay, nous jouerons un oratorio de Hasse, les serpents de feu dans le désert. Il s’agit comme les partitions de Porpora que nous avons abordées ici, d’une œuvre affirmant la suprématie du style napolitain à Venise puisque Hasse comme Porpora ont dirigé les fameux Ospedale Vénitiens. Il s’agit d’une partition qui remonte au premier séjour de Hasse à Venise, en 1739. Il dirigeait les Incurabili et l’œuvre est logiquement composée pour les voix des jeunes filles pensionnaires. Moïse tenu par une contralto est l’intercesseur des hébreux punis par Dieu qui a envoyé les serpents de feu pour châtiment. C’est un opéra sacré comptant de superbes épisodes dramatiques comme la scène du tonnerre. L’écriture est déjà préclassique et annonce Mozart. L’approche de ce répertoire tend à nous familiariser avec l’écriture vocale dont on maîtrise à peine la technique si l’on prend pour référence les témoignages de l’époque. Les auditeurs étaient subjugués par l’agilité des chanteurs capables d’une liberté inouïes dans la hauteur, la durée et l’acrobatie rythmique… Notre travail devrait se focaliser sur cet aspect sans perdre l’intelligibilité du texte.
Dans l’avenir, j’aimerais me concentrer sur l’opéra comique français. Je pense en particulier à Grétry qui a travaillé à Naples et donc s’est formé à la source des grands napolitains : Porpora, Traetta, Pergolèse, Jommelli… tous ceux qui forment ce chaînon manquant entre Alessandro Scarlatti et Mozart et sans lesquels le théâtre musical n’aurait pu évoluer comme il l’a fait.
Mais pour monter un opéra il faut non seulement composer un plateau de bons chanteurs sachant jouer et aussi rencontrer un metteur en scène qui travaille dans le même sens que vous. Et ce qui m’intéresse, c’est justement quand la vision du metteur en scène et celle du directeur musical se rencontrent.

Discographie des Paladins
Haendel, Apollo e Dafne. Salomé Ha
ller, Jérôme Corréas. 1 cd Arion ARN 68565
Carissimi, Histoires sacrées, oratorio de la Vierge. Pan Classics.
Porpora, Leçons de Ténèbres. 1 cd Arion.
Mazzocchi : « Musiques pour la Chapelle Sixtine ».
Hasse: Les serpents de feu du désert, oratorio (Ambronay)

Festival « Piano à Maisons-Laffitte » Les 10 et 11 mars 2007

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Piano à Maisons-Laffitte

Les 10 et 11 mars 2007

Maisons-Laffite, célèbre pour son château, chef-d’oeuvre de l’architecture classique française du XVII ème siècle, signé par François Mansart propose pendant le week end des 10 et 11 mars 2007, un festival de piano.

Samedi 10 mars 2007

Salle Malesherbes tout d’abord, samedi soir, « Nuit du piano » consacré à Frédéric Chopin, pendant laquelle se succéderont Jean-Claude Pennetier à 19h30, Hortense Cartier-Bresson (21h) puis Philippe Bianconi (22h30), chacun mêlant à Chopin, plusieurs autres compositeur de son choix, respectivement: Fauré, Bach et Schumann.

Dimanche 11 mars 2007

Après midi tout autant lyrique et passionnée, dans l’ancienne église, avec un récital de jeunes interprètes: Axel Lenarduzzi (Brahms, Liszt, Dutilleux, à 14h30), Guillaume Coppola (Brahms, Beethoven, Liszt, Granados, à 16h), enfin, Shani Diluka, qui vient d’enregistrer chez Mirare, un album Grieg, dans un programme Grieg naturellement et Beethoven (17h30).

Crédit Photographique
(DR)

Simon Rattle, Berliner PhilharmonikerParis, Bruxelles. Les 4, 5 et 8 mars 2007.

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Simon Rattle,
Berliner Philharmoniker

Paris, Salle Pleyel.
Les 4 et 5 mars 2007

Bruxelles, Bozar
Le 8 mars 2007

Ses concerts en France sont trop rares pour les manquer. A la tête de l’orchestre qu’il dirige depuis 1999, succédant à ce poste à Claudio Abbado, Sir Simon Rattle est l’invité de la salle Pleyel pour deux soirées exceptionnelles.
Rien de tel qu’une symphonie de Mahler, tout d’abord, pour entrevoir les cimes paradisiaques qui attendent chacun de nous. Mais avant, il faudra traverser des paysages dévastés, tissés d’amère souffrance et de visions terrifiantes et vertigineuses (le 4 mars 2007).
Le lendemain, 5 mars 2007, programme tchèque avec deux oeuvres flamboyantes de Dvorak et Janacek. Mais aussi, place à la création contemporaine grâce à la présence d’un compositeur dont Rattle est un admiteur, Thomas Adès. Le chef britannique jouera la nouvelle oeuvre symphonique de son compatriote, « Tevot« . Sorte de conclusion magistrale aux concerts qui se seront déroulés du 9 février au 4 mars 2007, à la Maison de Radio France, lors du festival Présences 2007 dont l’invité d’honneur était Thomas Adès.

Dimanche 4 mars 2007 à 17h
Gustav Mahler: Symphonie n°2, « Résurrection »
Berliner Philharmoniker
Choeur de Radio France
Solistes: Dorothea Röschmann, Bernarda Fink

Lundi 5 mars 2007 à 20h
Leoš Janácek: Sinfonietta
Thomas Adès: Création mondiale
Antonín Dvorák: Symphony n°.7 opus 70
Berliner Philharmoniker

Simon Rattle est aussi à l’affiche du Bozar de Bruxelles, le 8 mars 2007 à 20h
Les mêmes interprètes joueront dans la salle de concert belge, le programme parisien du 5 mars 2007 : Janacek, Adès et Dvorak.

Crédit photgraphique
Simon Rattle(DR)

Francesco Cavalli, L’Ormindo, 1644 Les Paladins. Du 9 mars au 15 mai 2007

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Francesco Cavalli,
L’Ormindo
, 1644

Les Paladins,
Tournée en France
Du 9 mars au 15 mai 2007

L’opéra vénitien

Après la mort en 1643 de Claudio Monteverdi, son maître et le fondateur de l’opéra à Venise, Francesco Cavalli, -né Bruni à Crema en 1602-, qui portait le nom de son protecteur (Federigo Cavalli), devint de fait, le plus grand compositeur lyrique d’Europe.
Soprano dans le choeur de Saint-Marc, la chapelle musicale du Doge, alors dirigée par Monteverdi, le jeune Cavalli devint par la suite ténor, second puis premier organiste. Tout en poursuivant son activité pour l’église vénitienne, c’est surtout comme compositeur d’opéras, qu’il imposa son style, bénéficiant d’un renom inégalé alors. Il sera nommé Maître de chapelle de Saint-Marc, distinction enviable qui couronnait une carrière déjà longue et prestigieuse.
Compositeur attitré du Teatro San Cassiano, près de l’Accademia actuelle, Cavalli écrit un opéra chaque année jusqu’en 1646. L’Ormindo y est créé en 1644, poursuivant la perfection théâtrale désormais fixée par les opéras de Monteverdi, dont Le Couronnement de Poppée en 1642, est l’aboutissement. L’homme reste à Venise, jusqu’à ce que Mazarin, l’invite pour écrire en 1660, un opéra à l’occasion du mariage du jeune Louis XIV. Insigne honneur qui montre d’une part, la gloire attachée à son nom, et la volonté du Cardinal de sensibiliser le public et les élites françaises au raffinement de l’opéra italien. Le théâtre de Cavalli incarnait alors la perfection dans ce domaine. Or après son arrivée à Paris, Cavalli eut la déception d’assister aux funérailles de son protecteur. En place avant lui auprès du Souverain français, Lully oeuvra pour faire davantage applaudir les ballets qu’il composa pour l’Ercole Amante de Cavalli, que l’opéra italien lui-même. Dépité, Cavalli repartit définitivement à Venise. Et le voyage de gloire devint la source d’une amère désillusion. La France n’était pas prête à goûter l’élégance de l’opéra italien. Elle préférera rire des comédies-ballets de Molière et de Lully quelques années encore avant que plus de 10 années après, Lully, décidément indétrônable, ne crée pour le Roi Soleil, un opéra national, en langue française, digne de son renom, la tragédie lyrique, à Versailles en 1673, pour la Cour du Roi Soleil.
A Venise, Cavalli poursuit la composition d’opéras et aussi de musique religieuse dont un Requiem pour ses propres funérailles, lesquelles advinrent en janvier 1676.

L’oeuvre lyrique Cavalienne: la place de l’Ormindo

Entre 1636 et 1666, Cavalli compose pas moins de 40 opéras. Son activité redouble, jusqu’en 1651, où il compose jusqu’à quatre ouvrages pour cette seule année!
Pendant sa carrière au théâtre, Cavalli collabore avec plusieurs librettistes plus ou moins exigeants quant à la cohérence dramatique de l’action. Le musicien eut cependant la bonne intuition de travailler avec de grands poètes, tels Busenello (le librettiste de Monteverdi pour Poppée), Minato mais aussi, comme c’est le cas d’Ormindo, de Giovanni Faustini.
Cavalli, en mélodiste virtuose, s’ingénie à combiner récitatif et air, ciselés avec la même rigueur, conférant à la ligne vocale d’un personnage, une exceptionnelle fluidité, d’un épisode à l’autre, d’une forme à l’autre. Il se montre plus enclin à perfectionner l’art de la conversation musicale, du recitar cantando continu, plutôt que de satisfaire le goût du public croissant pour les vedettes et leur agilité technique. La performance contre la continuité de l’action dramatique. A ce jeu là, Cavalli dut s’incliner et constater peu à peu la faveur dont jouissait les acrobaties de l’air, mettant en avant le talent d’un artiste, sur toute autre considération dans l’écriture. Ainsi Naples et son école de chant allaient bientôt s’imposer partout, avec la « tyrannie » de la coupe asséchante: récitatif puis aria, en une mécanique aussi réglée qu’ennuyeuse et répétitive.
Cavalli incarne l’essor de l’opéra vénitien dans sa phase dernière, post montéverdienne, d’une grande liberté formelle mais respectueuse des intentions de l’action et flamboyante quant à la psychologie des personnages.
Le mariage du comique bouffon et du tragique, du langoureux sentimental et du picaresque réaliste voire cynique et même sarcastique, semble avoir été un point de réussite dans son oeuvre lyrique. En mêlant les registres, en aiguisant le relief des contrastes des situations et des personnes, Cavalli révèle son génie de dramaturge dont le théâtre de Mozart par exemple, est un écho fraternel. Les genres mêlés renforcent le caractère de vraisemblance. Après Cavalli, l’opéra italien ira en se systématisant, se cloisonnant, bridant l’inventivité des auteurs, imposant la séparation du buffa et du seria.

Une carte du tendre à l’orientale

L’action se passe en Afrique du Nord, dans un Orient proche, à Fès. Le Maroc offre un décor orientalisant qui sert de faire-valoir à la véritable évasion, celle qui fait voyager le spectateur dans le coeur des personnages. Deux princes, Ormindo et Amida aiment Erisbe, jeune épouse du vieux roi du Maroc, Ariadeno. Au travers d’une intrigue complexe qui fait intervenir la magie et les passions les plus extrêmes, Cavalli et Faustini peignent un tableau affûté de la nature humaine: ses défaillances, ses contradictions, sa fragilité irrépressible. Et même s’ils imaginent une fin heureuse (lieto finale), l’aventure n’est qu’un prétexte pour exprimer la tentation permanente des êtres, à tromper, à trahir, tout en affirmant la force de l’amour, incarné par le couple Erisbe/Ormindo.

L’opéra des métamorphoses

Chacun des personnages évolue, se transforme, selon le concept de métamorphose, propre à l’opéra baroque. La jeune Reine Erisbe change de caractère: de l’insouciance du début jusqu’à la femme passionnée prête à mourir pour son aimé, Ormindo, à la fin. Sur un autre registre, Sicle, Princesse d’Egypte est sombre et exaltée quand Amida qu’elle poursuit, se montre d’une nature secrète. Ici, en dehors des travestissements, la parole exprime la puissance du coeur et des intentions, masquée par l’obligation des apparences. Commençant comme une comédie légère, Ormindo se déroule ensuite en un chemin parsemé de découvertes et de surprises de plus en plus sombres: la joie du sentiment amoureux n’est jamais éloignée des épines de la désillusion, et l’exaltation n’empêche pas l’amertume la plus blessante. Ce parcours du désenchantement, chacun des personnages l’éprouve à sa mesure. Cavalli poursuit en cela l’oeuvre de Monteverdi, en particulier son cynisme à l’oeuvre dans Poppée. Ils ont élevés l’opéra italien, en particulier vénitien jusqu’à une profondeur poétique inégalée.

Raymond Leppard dans un enregistrement paru chez Decca avait montré la voie, en soulignant les vertus d’une partition aussi méconnue que géniale. En 2007, Les Paladins dirigés par le baryton Jérôme Corréas abordent l’oeuvre de Cavalli, au cours d’une tournée hexagonale, du 9 mars au 15 avril 2007. Après Ercole Amante interprété en 2006 par le Festival d’Ambronay dans le cadre de son Académie Européenne, nous voici aux origines de l’Opéra italien, à l’époque de ses manifestations premières, à Venise, sous la tutelle de Cavalli, l’un des disciples les plus doués de Monteverdi.

Francesco Cavalli (1602-1676)
L’Ormindo
Créé à Venise, au Carnaval 1644
Teatro San Cassiano
Livret de Giovanni Faustini

Ormindo: Thierry Grégoire, contre-ténor
Amida: Romain Champion, ténor
Nerillo: Arnaud Raffarin, contre-ténor
Sicle: Anne Rodier, soprano
Erice: Jean-François Lombard, ténor
Erisbe: Stéphanie Révidat, soprano
Mirinda: Patricia Gonzalez, soprano
Ariadeno: Jacques Bona, baryton-basse
Osman: Pierrick Boisseau, baryton

Les Paladins
direction: Jérôme Correas
mise en scène: Dan Jemmett

Agenda de la tournée

Les 9 et 10 mars 2007
Nanterre, maison de la musique. Création
Le 20 à Quimper
Le 24 à Maisons-Alfort (94)
Du 27 au 30 à Rennes
Le 5 avril à Orléans
Le 12 à Charleville-Mézières
Le 27 à Massy (91)
Du 3 au 5 mai, à Paris, théâtre Sylvia Monfort
Les 12 et 13 à Reims
Le 15 mai 2007 à Troyes
Toutes les infos sur le site de l’Arcal, compagnie nationale de théâtre lyrique et musical, producteur du spectacle: www.arcal-lyrique.fr

Illustrations

Bernardo Strozzi, portrait de femme musicienne: Bernarda Strozzi (DR)
Simon Vouet, la reine Sophonisbe (DR)

Mascagni/Monleone: l’affaire Cavalliera Rusticana

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Cavalliera Rusticana
de Mascagni et de Monleone

Le 23 juillet 2001, le festival de Radio France et Montpellier programmait le chef d’oeuvre de Pietro Mascagni suivi de l’ouvrage éponyme signé de Monleone. Retour sur une soirée mémorable qui venait à poing nommé éclaircir une « affaire » scandaleuse. Défendu par son éditeur, Cavalliera Rusticana de Mascagni, au triomphal immédiat, fit de l’ombre à l’ouvrage suivant signé par Monleone.

Un opéra et sa copie interdite

En ouverture de son cycle lyrique le 16 juillet 2001, le festival de Radio France et Montpellier a programmé un enchaînement sulfureux : deux partitions « Cavalleria rusticana » écrites par deux compositeurs différents, inspirées de la même œuvre littéraire du poète Verga, « Vie des champs », et dont la ressemblance fit l’objet d’un procès à l’époque.

Mettre en perspective un sujet traité selon les éclairages musicaux qu’il a suscités, est digne d’intérêt. Quel festival aujourd’hui interroge la signification d’un mythe à travers ses différentes adaptations ? Pouvons-nous rêver de voir un jour un cycle dédié au seul sujet d’Orphée et d’assister en conséquence, aux ouvrages de Monteverdi, Gluck, Offenbach… ? Un tel projet riche en découvertes nées des confrontations mériterait d’être approfondi et souhaitons qu’un directeur artistique le développe totalement. Revenons au programme du concert de Montpellier.

Si le premier volet était signé de l’illustre inconnu Domenico Monleone, la seconde partie du programme affichait l’exceptionnel chef d’œuvre de Pietro Mascagni. Ainsi les fidèles du festival retrouvaient cette alliance emblématique, du connu indiscutable et de la nouveauté la plus séditieuse puisque l’ouvrage de Monleone demeurait « interdite » après un procès à rebondissement intenté contre son auteur.

Cavalleria Rusticana de Mascagni, créée en 1890, est une œuvre majeure de l’histoire de l’opéra italien. Elle renouvelle le genre en redonnant à l’opéra « son rôle officiel de spectacle populaire », comme le souligne Guido Salvatti. Une intrigue tragique, simple et puissante ; des personnages tirés de la rue – ici, de la campagne sicilienne, particulièrement caractérisés, captivent une audience conquise par un drame nouveau dont la vérité égale la force émotive.
L’opéra souligne le rôle central de l’amoureuse Santuzza, rejetée par Turiddu qui lui préfère Lola, laquelle est mariée à Alfio. Ce quatuor circonscrit une arène sanglante, celle d’une femme blessée, maudite par son amour refusé, qui se venge en faisant tuer par duel l’homme qui l’a bafouée. Mascagni, à peine âgé de 26 ans, puise dans la nouvelle de Verga (publiée en 1880 dans le recueil « Vie des champ »), un authentique chef d’œuvre : rien ne dilue la lente et progressive tension menant au duel final. Ni la puissance des évocations de l’orchestre qui peignent les miroitements du paysage de la campagne sicilienne, le soir ou au lever du soleil ; ni chacun des airs des solistes, véritables tours de force exprimant le désarroi et la violence des passions les plus profondes. Le chœur tout aussi présent dessine aussi une trame continue : les scènes collectives aux champs ou à l’église insistent davantage sur la vérité de cet opéra paysan. La Nature, l’humanité se mêlent ici avec lyrisme et poésie. Avec cette œuvre capitale, Mascagni devait marquer une colonie de compositeurs : Leoncavallo, Cilea, Giordano et même Puccini, tous inspirés par le modèle mélodramatique fixé par Cavalleria Rusticana.

L’opéra de Monleone
Dans cette vague montante s’inscrit la figure de Domenico Monleone, chef d’orchestre comme son père et compositeur. En hommage à l’ouvrage de son aîné Mascagni, il décide de reprendre le sujet de la Cavalleria, et en accord avec le poète Verga, crée sur un livret de son frère Giovanni, 17 ans après la première version, sa « lecture » du sujet lors d’un concert retentissant à Amsterdam, le 7 février 1907. Le succès est immédiat. Mais l’éditeur de Mascagni, Sonzogno, surpris par l’accueil unanime de l’opéra de Monleone, intente un procès contre les frères Monleone et contre Verga lui-même pour « violation des droits d’auteur et plagiat ». Abusive motivation qui prêterait à sourire si l’histoire n’avait pas pesé au final en défaveur des auteurs Monleone. Le tribunal de Milan donnait en effet raison à Sonzogno et faisait interdire l’ouvrage, le 23 décembre 1907, soit presque 8 mois seulement après la création de l’œuvre.

Voici donc planté le contexte de notre concert du 16 juillet. D’un côté un chef d’œuvre incontestable et « préservé » ; de l’autre, son double refusé, « interdit ». Rendons hommage au courage de René Koering, directeur artistique du festival, jamais en reste de pertinence facétieuse. Il est juste de rétablir une œuvre, fut-elle « interdite ». Programmer la Cavalleria Rusticana de Monleone pose aujourd’hui une question capitale : peut-on encore accepter l’idée d’interdire une œuvre ? A elle ensuite de s’imposer auprès de publics en fonction de ses qualités musicales intrinsèques.
Fidèle à ses choix artistiques, le festival confirme sa volonté de découverte. Il semble même mener un procès contre tous les procès instruits par la petite histoire juridico-financière, et rendre à l’art sa liberté. Cette entreprise est menée avec un succès chaque année confirmé puisque la Cavalleria Rusticana de Monleone fait suite à un cycle à présent important d’exhumations exemplaires : citons, entre autres, Macbeth d’Ernest Bloch, Le livre de la jungle de Charles Koechlin, Parisina de Pietro Mascagni, Cassandra de Vittorio Gnecchi. N’omettons pas non plus, les « révélations » du cru 2001 qui succèderont à la Cavalleria de Monleone : Risurrezione de Franco Alfano (le 23 juillet) et Notre-Dame de Paris de Franz Schmidt (d’après Victor Hugo), le 31 juillet. (Lire notre calendrier en fin d’article).

Les interprètes du 16 juillet 2001

Le concert du 16 juillet dernier donné en version non scénique dans le vaste Opéra Berlioz-Le Corum de Montpellier remontait le concert inaugural du 5 février 1907, mais ici dans un ordre inversé : Monleone d’abord, Mascagni ensuite. Conduits par le chef Friedemann Layer, l’orchestre national de Montpellier Languedoc-Roussillon, le chœur de la radio Lettone ont exprimé la force évocatoire des deux partitions : les sublimes pages instrumentales des paysages sonores (la « nuit de printemps » ouvrant l’œuvre de Monleone, les « interludes » pour orchestre seul chez Mascagni) ont souligné la violence lyrique des deux compositeurs.
Bien sûr, l’histoire de la musique n’en sera pas modifiée et le chef d’oeuvre de Mascagni restera un indiscutable artistique par ses mille fulgurances lyriques, poétiques, passionnelles. La structure dramatique, l’ordre des tableaux musicaux, la confrontation des caractères vocaux subliment une intrigue au demeurant peu originale. Le style de Mascagni fait toute la différence. Mais la « relecture » de Monleone n’en paraît pas pour autant insignifiante, loin de là. L’opéra en un prologue et un acte dont la durée n’excède pas 50 minutes, (plus court que l’œuvre de Mascagni), surprend par sa violence sauvage, la fureur de certaines scènes. Le mérite revient principalement au plateau des solistes qui chez Monleone comme chez Mascagni ont donné une leçon d’équipe. Le chant vériste en sort gagnant. Le ténor slovène Janez Lotric qui connaissait déjà le rôle de Turiddu pour l’avoir interprété à Salzbourg n’a pas manqué de vaillance ni de sensibilité en particulier dans l’ultime scène du Mascagni (air « Mamma, quel vino è generoso… »), l’Alfio de Jean-Philippe Lafont était noble et la soprano Denia Mazzola-Gavazzeni a touché son auditoire (lire plus haut).

Discographie

La collection du festival Radio-France et Montpellier éditée au disque chez Actes Sud.
Disponibles à ce jour : Macbeth de Ernest Bloch (Live 26 juillet 1997), Le livre de la Jungle de Charles Koechlin (live 22 juillet 1998), Parisina de Pietro Mascagni (live 22 juillet 1999), Cassandra de Vittorio Gnecchi (live 13 juillet 2000, éditions Agora).
Annoncé en septembre 2001 : Elektra de Richard Strauss (live 3 août 1995 avec Hildegard Behrens), Les exilés de Sibérie de Gaetano Donizetti (live 12 juillet 1999), La Finta Giardiniera de Wolfgang Amadeus Mozart (live 17 juillet 1995).

Les opéras au programme du Festival 2001

Le 23 juillet : Rissurezione (1902-1903) de Franco Alfano
Le 24 juillet : Li Zite’n galera (1722) de Leonardo Vinci
Le 31 juillet : Notre-Dame de Paris (1902-1904) de Franz Schmidt

Illustrations

Pietro Mascagni (DR)
Domenico Monleone (DR)

Camille Saint-Saëns, Samson et Dalila, 1877Bruxelles, Bozar. Les 21, 23 et 25 mars 2007

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Camille Saint-Saëns,
Samson et Dalila
, 1877
Bruxelles, Palais des Beaux-Arts
Les 21, 23 et 25 mars 2007

Version de concert

Opéra en trois actes et quatre tableaux.
Livret de Ferdinand Lemaire

Olga Borodina, Dalila
Carl Tanner, Samson
Jean-Philippe Lafont, Dagon
Federico Sacchi, Abimélech

Orchestre symphonique et choeurs de la Monnaie
Direction musicale: Kazushi Ono

Les opéras bibliques sont rares car les compositeurs préfèrent les oratorios. Or, à la suite de la Jephté de Monteclair (1732), Saint-Saëns se passionne pour l’histoire du champion des hébreux contre les philistins. L’opéra sera finalement créé en allemand à Weimar en 1877, grâce à l’appui de Franz Liszt, puisque Paris faisait la fine bouche. A Bruxelles, après l’avoir maintes fois incarné sur la scène comme enregistré au disque, Olga Borodina incarne une Dalila à la sensualité dévorante et Jean-Philippe Lafont, un grand prêtre des Philistins tout autant diabolique. Samson et Dalila est pour Saint-Saëns ce que fut Tannhäuser dans l’oeuvre de Wagner: la représentation flamboyante du combat entre les forces de la tentation et celle du devoir et de la pureté. Il n’y a pas finalement beaucoup de différence entre les personnages de Dalila et de Vénus, entre ceux de Samson et Tannhäuser. La Monnaie opte pour une distribution de grande classe. Version de concert mais frissons assurés.

Approfondir
Lire notre présentation de l’opéra Samson et Dalila de Saint-Saëns dans le cadre de sa diffusion sur Mezzo en février 2007.
Lire la fiche de la production sur le site de La Monnaie

Crédit photographique
Olga Borodina dans la rôle de Dalila (DR)

Joseph Haydn, La Fedelta premiata (1780)Radio classique, le 4 mars 2007 à 21h

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Joseph Haydn
La fedelta premiata
, 1780

Le 4 mars 2007 à 21h

La fedelta premiata, dramma giocoso en trois actes, sur un livret de Lorenzi, date de 1780, une année qui s’inscrit dans la période de pleine maturité de Joseph Haydn. Le musicien, au service des princes Esterhazy, a déjà composé maints ouvrages : L’infedelta Delusa (1773), L’incontro improvviso (1775), Il Mondo della Luna (1777), La vera costanza (1778) et l’Isola Disabitata (1779). A venir après La fedelta premiata, Orlando Palatino (1782), Armida (1783) et l’Anima del Dilosofo ou Orfeo ed Euridice de 1791. Voici donc le catalogue d’un maître de la scène lyrique dont le style reste à redécouvrir, même si Antal Dorati enregistra l’intégrale des opéras et si plus récemment, Harnoncourt a défriché avec panache et délire, l’Orlando Palatino (2006, DHM).
L’ouvrage fut créé pour la réouverture du Théâtre d’Esterhaza, après l’incendie dont il fut victime l’année précédente. Le style musical s’y montre d’un exceptionnelle élégance et d’un raffinement psychologique, propre au génie de Haydn. Il y est question d’une tradition sanguinaire: les habitants d’un village proche de Cuma, sacrifient chaque année un couple de fidèles amants qu’ils destinent à l’appétit d’un monstre marin, afin de satisfaire aux volontés de la déesse Diane. Mais Amaranta recherche à la veille du sacrifice, consolation et compréhension de la part du prêtre Melibeo qui est amoureux d’elle… l’intrigue mêle les amoureux éconduits, les mensonges et les sentiments inavoués. Mais au final, chacun retrouve sa chacune, grâce à la clémence d’une déesse compatissante.

Composé d’après le livret qu’avait rédigé Lorenzi pour Cimarosa, en 1779, et son opéra, L’infedelta fedele, l’opéra de Haydn mêle sérieux et comique. Haydn profite par exemple du personnage assez drolatique du Conte pour parodier dans son air « Salva…salva… », le style Strum und Drang. Celia de son côté, plonge dans des eaux plus sombres et contemplatives. Toute la finesse de Haydn tient à un savant équilibre entre la veine buffa et seria, parodique et sentimentale. La fedelta premiata connut aussi la gloire à Vienne, en 1784 où elle
fut reprise en allemand par la troupe de Shikaneder, le futur
collaborateur de Mozart pour La flûte enchantée (1791).

La version diffusée par Radio Classique appartient au cycle de l’intégrale discographique enregistré par Antal Dorati, en 1975, avec un plateau vocal exceptionnel: Ileana Cotrubas, Frederica Von Stade, Luigi Alva, …

Au final qu’avons-nous? Un opéra qui recueille la maturité d’un compositeur de génie, qui soigne davantage la forme que l’effet théâtral. Les douze opéras italiens de Haydn furent créés pour la Cour des Princes Esterhazy, soit de 1762 à 1784. La chronologie des partitions indiquent des oeuvres extrêmement soignées musicalement dont les finales spectaculaires, la définition fine et inventive des personnages, l’assemblage mêlé du comique et du tragique, du parodique caricatural et du sentimental, annoncent directement le théâtre du coeur de Mozart.

Illustrations

Joseph Haydn (DR)
Roslin, Courtisane (DR)

La Querelle des Bouffons, 1752France musique, le 24 février 2007 à 18h

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La Querelle des Bouffons, 1752
Alexandre et Benoît Dratwicki

France musique, le 24 février 2007 à 18h

Paris, 1752. A l’Opéra (à l’époque Académie Royale de musique), un violent débat agite les esprits, théoriciens, musiciens, philosophes, spectateurs de tout genre.
D’un côté, Rousseau se passionne pour la Serva Padrona de Pergolèse, un intermezzo italien, simple et frais, facile à entendre, séduisant et accessible dont le spectacle a déclenché les joutes critiques.
De l’autre, les partisans de la grande tradition théâtrale, héritée de Lully, le fondateur de la tragédie lyrique du Grand Siècle, et que perpétue Rameau, à l’époque de Rousseau.

Sous la Querelle des Bouffons, dont le nom vient de la troupe des chanteurs interprétant le joyau de Pergolèse, se cache l’une des batailles esthétiques les plus cinglantes dont Paris a l’exclusive. Les esprits s’échauffent sur la question de l’opéra. Machine obsolète appartenant à l’ordre monarchique (de fait, toute tragédie lyrique doit comprendre son prologue qui avantage explicitement la personne du roi), invraisemblable, sophistiquée, ennuyeuse, d’un côté. De l’autre, genre noble par excellence, seul capable d’élever moralement le coeur des auditeurs, de les transporter au delà de l’imaginable. L’affaire prend donc aussi un tour politique et même social: dans les attaques qui fustigent un ordre obsolète et poussiéreux, se précise aussi une remise en cause profonde de la représentation des héros et des dieux, par conséquent des souverains et de la monarchie.
Sur la scène des Bouffons soufflent déjà l’esprit d’une contestation jamais éteinte.
Et après la mort de Rameau (1764), Gluck, favori de la Reine Marie-Antoinette semblera répondre à la levée de boucliers, vers plus de simplification et de clarté expressive, au travers des tragédies qu’il fait représenter sur la scène parisienne, à partir de 1774.

Illustrations

Jean-Jacques Rousseau (DR)

Molière et Lully, Le Bourgeois Gentilhomme (1670)Arte, les 4 et 11 mars 2007 à 9h30

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Molière & Lully
Le Bourgeois Gentilhomme

Comédie-ballet, 1670

(Câble, satellite, TNT)

Le 4 mars 2007 à 9h30,
première partie.
Le 11 mars 2007 à 9h30,
seconde partie.

Les deux premiers dimanches de mars 2007, Arte rediffuse (après le 9 octobre 2005), une production miraculeuse, celle du duo Dumestre/Lazar, qui revisite avec délices, la comédie-ballet de Molière et Lully, Le Bourgeois Gentilhomme que l’on peut légitimement considérer comme un laboratoire musical et théâtral qui prépare au futur opéra français à venir, la tragédie lyrique (1673).

L’oeuvre
Lors de sa « création parisienne », au théâtre du Trianon, le 10 novembre 2004, nous avions été saisi par la puissance expressive, la féerie et l’acuité du délire comique du spectacle. La tournée qui a suivi a suscité un enthousiasme unanime, auquel la publication en dvd qui nous occupe ici, a donné raison.
Devant la caméra de Martin Fraudeau, la magie du théâtre baroque se révèle. Lueur intermittente des bougies, ombres portées sur les décors ciselés au motif de l’arabesque (lire ci après); déclamation mi parlé mi chantée des acteurs, dans tous les registres: comique, sérieux, tragique, amoureux; la force de l’opéra français, à ses balbutiements, qui ne porte pas encore son nom, jaillit ici avec une intensité première, grâce au collectif des comédiens, chanteurs, danseurs, instrumentistes, réuni par le chef Vincent Dumestre.

Une esthétique jubilatoire
du caractère et de l’arabesque


Caractère à la manière d’un Labruyère, et même contrastes dans la drôlerie la plus délirante : Molière, expert du psychologique et du comique de situation, nous offre dans ce « Bourgeois », l’une de ses galeries de portraits les plus saisissants. Il cisèle avec dextérité les registres du bouffon, du truculent, de la satire aussi. La troupe des acteurs est d’une rare cohérence, communiquant sans s’épargner l’esprit du théâtre comique le plus endiablé. Ce Bourgeois « falstaffien » est le dindon de la farce, le mouton d’une duperie qui va fortissimo : depuis les scènes où chacun de ses professeurs (de danse et de musique, maître d’arme et professeur de philosophie, puis maître tailleur, véritable caricature charge de la créature poudrée Versaillaise) surenchérissent dans la dérision comique jusqu’à ce sommet du délire facétieux : l’intronisation de Monsieur Jourdain en « mamamouchi ». Mais Molière sait aussi atténuer la satire : il ajoute cette naïveté désarmante qui rend son héros comique, si sympathique. Ce dont joue avec tact, Olivier Martin Salvan dans le rôle-titre. La musique de Lully quant à elle, parachève les coups brossés de son complice Molière. Elle renforce l’acuité drolatique de cette sublime bouffonnerie.

Arabesques de la langue
A l’appui des caractères de la scène, le style des acteurs et des décors ajoutent leur contribution à la valeur du spectacle. On ne saurait être ici indifférent à la langue des acteurs. Contours et détours presque ensorcelants d’une langue théâtrale restituée/recréée : contournements chantants et précieux d’une déclamation parlée diphtonguée qui manie consonnes et voyelles, projetées et toutes dites, avec une savoureuse créativité… (Madame Jourdain, tenue par un comédien visiblement « habité » par ce travestissement fidèle à l’époque)… preuve que les tentatives du chercheur linguiste Eugène Green ne sont pas demeurées lettres mortes. Le metteur en scène de ce Bourgeois hors normes, Benjamin Lazar, est lui-même l’élève de Green. Il nous reste à l’esprit le souvenir où le « maître ès français baroque », avait produit à l’occasion d’un premier « mai baroque à Paris », Corneille au théâtre de l’épée de bois à la Cartoucherie de Vincennes, dans les éclairages d’époque (là aussi des bougies par dizaine) et dans une approche nouvelle de l’articulation des textes. Cette diction opérante qui n’a jamais l’arrogance de la reconstitution savante, fait s’écouler le texte de Molière avec une prodigieuse vivacité : sur scène, elle électrise littéralement l’action dramatique et dépoussière les ressorts du comique de chacun des dialogues. Preuve nous est donnée que le théâtre du Grand Siècle n’est pas une récitation morte. Et son « actualité » nous touche tant, dans maints détails de cette scène d’humanité grotesque et « ridicule » (si l’on reprend le registre réclamé par le Roi lors de sa commande à Molière et Lully), qu’on ne cesse de reconnaître tout au long de cette « comédie-ballet » de 1670, que leurs auteurs accordés, préludant aux grands duos de la scène à venir, Mozart et Da Ponte, Strauss et Hofmannsthal, n’ont jamais rien conçu, de plus juste ni de plus intelligent.

Arabesques des silhouettes et des décors

Arabesques aussi, dans la mise en scène, des gestes et attitudes, toutes puisées à la seule source que nous a transmis l’époque de Molière : les peintures du XVIIème siècle. Rhétorique du geste autant que des regards qui d’autant plus « agissants », sont accentués par cet éclairage de lanterne magique : la rampe symbolique que constitue la rangée des bougies allumées pendant les presque quatre heures de représentation, évoque le cabinet féerique de notre enfance, la boîte aux illusions et aux métamorphoses qui a ce pouvoir fascinant de nous transposer, comme par enchantement, sur la scène baroque.
Arabesques contournées enfin, des vantaux décoratifs formant le cadre de l’action : à la manière des cabinets du XVII ème, meubles à transformation contenant toujours un secret mécanisme, la scène du Bourgeois est un espace clos et raffiné où à la lueurs des bougies, paraissent les figures-acteurs dans cet écrin précieux, couvert de figures d’écailles et de laiton cuivré enroulées de palmes et d’acanthes, à la façon d’André Charles Boule, maître de la marqueterie luxueuse, celle qu’affectionnera tant Louis XIV pour Versailles.

La mise en scène de Benjamin Lazar est limpide. Elle est à la mesure de son jeu d’acteur : il campe un maître de Philosophie d’une très efficace finesse et d’une vivacité désopilante, en particulier dans la scène où il s’agit d’arranger le poème de Monsieur Jourdain : « Belle Marquise… ». D’un foisonnement de scènes cocasses et survoltées, d’une ivresse délirante inouïe, Lazar sait doser et conduire la tension jusqu’à son acmé : la cérémonie turque, préambule bouffon d’une totale fantaisie préparant lui-même au Ballet des nations dont Lully fait une surenchère musicale conclusive (jubilatoires « première et troisième entrées » : qu’il s’agisse de l’essaim des fâcheux qui se disputent les livres du distributeur, ou des pas cadencés « des Espagnols », la magie du théâtre opère avec plénitude).

Des interprètes magiciens
pour une œuvre délirante


Ce qui est assurément satisfaisant, c’est l’esprit de la troupe. Porté par un collectif de comédiens-acteurs-chanteurs-danseurs absolument confondants, et dans la saveur burlesque et dans le pastoralisme sensuel et langoureux, le chef d’orchestre, ailleurs directeur du Poème Harmonique (fondé en 1997), Vincent Dumestre, met ici à profit les fruits de ses recherches gravées au disque chez le label Alpha : il nous délecte de son art de l’articulation de ce «français Grand Siècle » dont, si nous n’en ne possédons pas l’exacte connaissance, du moins en avons-nous comme moteur stimulant, une indéfectible nostalgie. Dumestre, maître des dosages de timbres instrumentaux, excellent « diseur de ballets », qui en exprime les rythmes et les accents comme personne, ajoute à l’ouvrage, ce supplément d’âme indicible qui recrée littéralement ce prodigieux laboratoire esthétique : « comédie-ballet », au carrefour de milles registres et d’innombrables formes, jetés là comme de géniales esquisses : de la danse et du chant, de la farce comique et de l’élégie amoureuse, tout s’exalte et produit une forme en devenir, un « work in progress », stupéfiant de vitalité et de cynique vérité où ce Bourgeois aux prétentions nobiliaires, est plus émouvant que détestable.

Le chant n’a pas encore la part belle, l’exemple de la tragédie antique, point encore la primauté sur tout autre sujet : Lully structurera tout cela, trois ans plus tard, en 1673, avec Cadmus et Hermione, première tragédie lyrique de l’Histoire. Ici, on écoute avec ferveur cette science dans la tenue des danses, dans l’équilibre des parties, dans l’acuité des rebonds rythmiques (la marche turque est d’une souveraine netteté). On sent bien que rien n’est laissé au hasard mais tout coule de source. Chaque gestuelle a été soigneusement réglée par Cécile Roussat.

Cette indiscutable production nous fait partager le sentiment inestimable d’assister, – comme Louis XIV, alors jeune monarque fougueux et ardent, tout occupé à la jouissance de ses plaisirs -, à la naissance d’un divertissement de grand style, libre dans sa forme, prodigue par ses effets, conçu par un duo échevelé, les « deux Baptistes » dont la collaboration bien que d’une issue malheureuse, et même fatale pour l’un deux, allait engendrer l’opéra Français à Versailles.

Distribution

Le Bourgeois Gentilhomme, comédie-ballet de Molière et Jean-Baptiste Lully. Mise en scène : Benjamin Lazar. Chorégraphie : Cécile Roussat. Comédiens : Olivier Martin Salvan, Monsieur Jourdain. Nicolas Vial, Madame Jourdain. Louise Moaty, Lucile. Benjamin Lazar, Cléonte/ le maître de philosophie. Anne Guersande Ledoux, Dorimène. Lorenzo Charoy, Dorante/ le maître d’armes. Alexandra Rübner, Nicole/ le maître de musique. Jean-Denis Monory, Covielle/ le maître tailleur. Julien Lubek, Le maître à danser. Chanteurs : Arnaud Marzorati, le Mufti/ le vieux bourgeois babillard/ l’élève. Claire Lefilliâtre, la musicienne/ la femme du bel-air/ l’Italienne. François-Nicolas Geslot, le premier musicien/ la vieille bourgeoise babillarde/ un Espagnol/ un Poitevin. Serge Goubioud, un Gascon/ un Poitevin/ un chanteur. Lisandro Nessis, un Espagnol/ un Gascon/ un chanteur. Bernard Arrieta, un Espagnol/ l’homme du bel-air/ un chanteur. Arnaud Richard, l’Italien/ le Suisse. Orchestre Musica Florea. Direction musicale : Vincent Dumestre.

Discographie

En complément du dvd, vous pourrez vous reporter, côté disque, sur une gravure « historique » et pionnière (1988), couplée avec « L’Europe Galante » de Campra, (Orchestre de la Petite Bande, direction : Gustav Leonhardt chez Deutsche harmonia mundi). Cette version pourtant ancienne a toutes nos préférences : sa patine n’a pas perdu de sa sublime nostalgie poétique (grâce entre autres, à Rachel Yakar qui y distille une leçon d’articulation et de style. Splendide !)

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Visitez le site de la production du Bourgeois Gentilhomme de Molière et Lully par Vincent Dumestre.

Crédits photographiques :
(1) : © Pascal Victoir
(2) : © Robin Davies
(3) : © Pascal Victor

Hans Spoerli, Suites de Bach, Ballet de Zürich Mezzo, les 25 et 26 février 2007

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Hans Spoerli, Suites de Bach

Ballet de Zürich

Le 25 février à 22h30
Le 26 février à 15h30

Né à Bâle en 1940, Hans Spoerli débute comme danseur au Royal Winnipeg ballet (Canada). De retour en Suisse en 1971, il s’impose comme chorégraphe à Genève et surtout au théâtre de Bâle, sa ville natale, où il constitue sa propre compagnie dans la révision du répertoire classique. Il passe au début des années 90 à Düsseldorf. C’est à ce moment qu’il aborde Bach, avec les Variations Goldberg. Puis, en 1996, le Zürcher ballet, Ballet de Zürich, lui offre le poste de directeur artistique en 1996: consécration et liberté créative sont à l’honneur, comme en témoigne la chorégraphie « In der Winden im Nichts », d’après Trois suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach.
Filmé par Andy Sommer, la captation à l’Opéra de Zürich suit la création de l’oeuvre, le 7 septembre 2003. Elle montre les caractères d’un style parvenu à sommet. La clarté expressive s’impose d’elle-même. Spoerli joue l’abstraction et permet aux corps d’affûter leur langage propre dans la musique. L’intensité et la fluidité des épisodes, qu’il s’agisse des pas de deux, ou des ensembles, offrent aux sarabandes, gigues, menuets, gavottes, des correspondances rythmiques d’une absolue beauté. La netteté nerveuse et dynamique des pirouettes et des sauts est impeccable: elle montre le niveau de la Compagnie confiée au « créateur de danse ». La jeunesse et l’énergie des danseurs y est assurément pour beaucoup, mais le sens esthétique du chorégraphe sublime la portée et l’équilibre de la musique (interprétée par le violoncelliste Claudius Herrmann).
Erotisme, élégance, tension, ivresse du geste sont célébrés et exaltés comme les pulsations premières d’un nouveau langage corporel: « In den winden im nichts » est l’un des meilleurs ballets de Spoerli. Le soin apporté aux lumières, au décor, très « essentiel », ajoute à l’hypnose du spectacle. Eblouissant. Le dvd de cette production zürichoise, « In den winden im nichts » de Hans Spoerli, est disponible chez Bel Air classiques.

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Visitez le site de Hans Spoerli

Crédit photographique
Hans Spoerli et les danseurs du Zürcher Ballet (DR)

Tchaïkovski, Eugène Onéguine (1881)Arte, en direct du Met. Samedi 24 février 2007 à 22h30

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Piotr Ilyitch Tchaïkovski
Eugène Onéguine
, 1881

Samedi 24 février 2007 à 22h30
En direct du Metropolitan Opera de New York

A New York, il est 13h30 de l’après-midi mais sur Arte sous nos latitudes, l’opéra de Tchaïkovski, Eugène Onéguine, son chef-d’oeuvre lyrique avec La dame de pique, est diffusé en seconde partie de soirée, à 22h30, dans la case « Musica ». Filmée par les caméras de Brian Large, la production mise en scène par Robert Carsen, ce « faiseur de rêves » auquel nous devons quelques très beaux spectacles à Paris, – songez aux Contes d’Hoffmann d’Offenbach, ou encore aux Boréades de Rameau-, promet d’être excellente. Renée Fleming en Tatiana donnera un relief psychologique et une profondeur renouvelée à son personnage dans la lignée de ses incarnations jubilatoires de la Comtesse dans Capriccio de Richard Strauss (sur les planches de l’Opéra Garnier, dans la mise en scène du même Carsen) ou de La Maréchale dans Le Chevalier à la rose du même Strauss; de même que Dmitri Hovrostovsky dont la photogénie et le métal de la voix incarneront un Onéguine d’une humaine épaisseur. Nous sommes moins enthousiastes a prioiri, quant au Lensky de Ramon Vargas dont le propre n’est pas la finesse, quoique … tout reste possible s’agissant d’un direct… Et dans la fosse, pas moins que le feu et la nervosité mâle du maestro Gergiev. Splendide soirée en perspective!

A savoir avant le début de la soirée

Scènes lyriques en trois actes et sept tableaux, Eugène Onéguine puise son sujet du roman éponyme de Pouchkine que Tchaïkovski avec la collaboration de Constantin Chilovski, adapte pour la scène lyrique. Se poursuivant entre mai 1877 et janvier 1878, la composition de la partition est assez chahutée. La matière dramatique de l’ouvrage trouve une résonnance particulièrement tragique dans la vie personnelle du compositeur. C’est que son écriture est contemporaine de son mariage avec Antonina Milukova, célébré le 6 juillet 1877, lequel s’avère en définitive catastrophique en raison de l’identité homosexuelle du musicien. Au tragique de la relation avortée, correspond le traumastisme d’un scandale inévité et le profond désarroi d’un homme terrassé par une effroyable vérité. Onéguine recueille ainsi la terrifiante crise solitaire d’un homme en échec, dans l’obligation de faire face à lui-même et de résoudre, tout au moins trouver l’apaisement de son être le plus intime. L’opéra, marqué par ce trauma, est achevé pendant un voyage en Italie.
Tchaïkovski, âgé de 37 ans, suit le portrait que donne Pouchkine des trois personnages principaux: Tatiana, Onéguine et Lenski. Histoire d’une passion malheureuse, tragique jamais dite et vécue pour elle-même, Onéguine peint le désarroi des êtres impuissants, blessés, incapables. Les seuls registres qui leur sont propres, sont le remords et l’amertume. Cynique et fier, Onéguine cache en lui-même une blessure, la plaie béante d’une âme écorchée. C’est pourquoi, il ne semble pas connaître de sérénité mais un tourment continu.
Jamais extérieur ni exhibitionniste, encore moins descriptif, Tchaïkovski reste proche de l’esprit de Pouchkine. L’opéra est l’une des oeuvres les plus intimes jamais écrites. La musique exprime l’intériorité des êtres dont le chant masque le tourment venimeux qui empoisonne leur esprit. Malgré les critiques émises lors de sa création, en dépit détracteurs qui trouvaient l’oeuvre « non scénique » et pas représentable, en raison justement de son caractère psychologique, Eugène Onéguine s’est imposé sur toutes les scènes tant son expressionnisme intérieur incarne un âge d’or du romantisme russe.
L’opéra est créé à Moscou, le 29 mars 1879 par les élèves du Collège Impérial de musique, puis repris à l’Opéra Impérial (Théâtre du Bolchoï), le 23 janvier 1881… quelques jours avant que ne soit créé à l’Opéra-Comique, Les contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach (le 10 février 1881).

Distribution

Tatiana: Renée Fleming
Lenski: Ramón Vargas
Onegin: Dmitri Hvorostovsky
Gremin: Sergei Aleksashkin

Production: Robert Carsen
Set Designer: Michael Levine
Costume Designer: Michael Levine
Lighting Designer: Jean Kalman
Choreographer: Serge Bennathan
Stage Director: Peter McClintock

Metropolitan orchestra and chorus
Valery Gergiev, direction

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Lire la fiche du spectacle sur le site du Metropolitan Opera de New York

Lire notre présentation de l’opéra Eugène Onéguine de Tchaïkovski, au moment de la production de l’Opéra de Lyon, présentée en janvier 2007

Crédit photographique
Piotr Ilyitch Tchaïkovski (DR)
Renée Fleming (DR)

Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, le vendredi 2 mars 2007 à 20h

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Après plusieurs années d’absence, le Palais des Beaux-Arts nous convie, le vendredi 2 mars 2007, à apprécier l’un des meilleurs orchestres russes « le Philharmonique de Saint-Pétersbourg » dans un programme réunissant les oeuvres à succès du répertoire russe. En soliste, une toute jeune Japonaise au curriculum déjà impressionnant.

Sayaka Shoji
Née en 1983, Sayaka Shoji donne son premier récital à l’âge de 13 ans et compte à son actif, de nombreuses distinctions lors de différents concours internationaux. Elle se produit en compagnie de chefs tels que Mehta, Ashkenazy, Jansons, Sawallisch et donne régulièrement des concerts en tant que soliste ou chambriste en Europe et au Japon. Parmi ses professeurs, mentionnons Uto Ughi, Riccardo Brengola, Shlomo Mintz et Zakhar Bron.

Sa discographie composée de deux opus édités chez Deutsche Grammophon comporte un enregistrement des concertos de Mendelssohn/Tchaikovsky ainsi qu’un « live » à l’auditorium du Louvre dans une sélection de pièces de Dvorak, Szymanowski, Brahms et Ravel.

Programme
Sergey Prokofiev: Symphonie n° 1, op. 25, « Classique », Concerto pour violon et orchestre n° 1, op. 19
Pyotr Ilyitch Tchaïkovsky: Le Lac des Cygnes, suite


Sayaka Shoji, violon. Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Youri Temirkanov, direction.

Bruxelles, Palais des Beaux-Arts
Le vendredi 2 mars 2007 à 20h

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Sakaya Shoji (DR)

Paris. Salle Pleyel,  le mercredi 7 Février 2007. Concert Schumann, Poulenc, Ravel. Orchestre de Paris, Gilbert Varga, direction.

L’Orchestre de Paris accueillait Gilbert Varga, actuel directeur musical de l’Orchestre d’Euskadi au Pays Basque. Un très beau programme, varié, nous était proposé. Tout d’abord, la Troisième Symphonie de Schumann. Le premier mouvement est tout à la fois héroïque, sans pour autant que l’inquiétude en soit absente. Varga construit magnifiquement son propos, il ménage des moments de détente, de sérénité, de respiration tout simplement, avant que des passages plus tempétueux ne nous saisissent de tout notre être. Pour l’auditeur, cette vision est merveilleuse, tant tout lui parait souple, fluide, équilibré, naturel et simple. Les pupitres de violoncelles et de contrebasses y sont pour quelque chose : ils relancent sans cesse le discours musical qui s’épanouit lumineusement dans les autres pupitres. Les deux mouvements suivants sont sans doute un peu trop rapides – n’est-ce pas une manière aussi d’unifier l’œuvre, qui parait avec d’autres si souvent décousue ? – mais cela correspond tout à fait à la conception de Varga qui nous convie à une humble et conviviale ballade musicale. La Symphonie a pris la place de la traditionnelle ouverture ou du poème symphonique, ce n’est pas anodin : Varga nous brosse une véritable série de tableaux en musique.
Ensuite, l’Orchestre de Paris interprétait le Concerto pour orgue, timbales et orchestre à cordes de Poulenc. Interprétation sereine, plus mélancolique qu’inquiète. Tout en respectant les étonnants changements d’éclairage et jeux de timbres que Poulenc distille tout au long de son œuvre, elle aurait pu être plus implacable, plus contrastée, plus violente. Nous sommes un peu décontenancés par l’orgue utilisé, dont les jeux manquent selon nous de personnalité et de poésie. Pourquoi ne pas avoir choisi plutôt le Concerto champêtre ? Cependant, le passage « Très calme, lent » (vers les 15’) était remarquable de ferveur.  
Le public déjà conquis, est comblé avec les deux suites de Daphnis et Chloé de Ravel. Varga se fait ici peintre, poète et musicien. Dès le Nocturne, on est admiratif devant l’agencement des timbres, la conduite naturelle des phrases, et surtout, l’auditeur a cette impression de sentir physiquement le doux vent du soir. Varga se rapproche d’un de ses maîtres, Sergiu Celibidache, dont il existe une sublime interprétation de ces deux suites publiée autrefois chez Arlecchino. Même sens de la ligne, même subtilité dans l’amplification sonore (Lever du jour), même art de la suspension pour évoquer le temps mythologique. En outre, les phrasés s’épanouissent avec une simplicité confondante : ils évoquent tout autant l’admiration devant l’être aimé que l’élan sexuel, charnel qui anime les deux protagonistes (passage de transition avant la Pantomime). Une différence avec son maître, cependant : Varga rétablit le tempo dans les danses dont le côté furieux, implacable, virtuose est rendu à merveille, trop stravinskien peut-être ici. Gilbert Varga se doit de revenir à Paris pour nous donner le ballet intégral.

Paris. Salle Pleyel,  le 7 février 2007. Robert Schumann(1810-1856) : Symphonie n° 3 en mi bémol majeur opus 97 dite « Rhénane ».Francis Poulenc (1899-1963) : Concerto pour orgue, timbales et orchestre à cordes.Maurice Ravel(1875-1937): Daphnis et Chloé (Suites n° 1 & 2).Jacques Taddei, orgue. Orchestre de Paris.  Gilbert Varga, direction. Reprise ce soir,  jeudi 8 février 2007 à 20h à la Salle Pleyel.

Crédit photographique
Gilbert Varga (DR)

Solistes de Lyon-Bernard Tétu. Concert Franck, JarrellLyon, église Saint-François de Sales, le 3 mars 2007 à 20h30

César Franck: Cantiques,
Offertoires et Motets.
Michael Jarrell: Eco III


Samedi 3 mars 2007 à 20h30

Lyon, Eglise Saint François de Sales

Pater Seraphicus

Dieu sait que le pieux surnom donné à César Franck par un de ses confrères puis amplement diffusé aura beaucoup fait pour sanctifier mais aussi quelque peu niaiser le compositeur !: Ou en tout cas ne faire voir et entendre qu’un aspect du personnage, ambivalent…en diable, et constamment tiraillé entre son être clérical et son attirance vers des nourritures plus terrestres et amoureuses. D’un côté la tribune de Sainte-Clotilde, les Béatitudes et tant d’œuvres catholiques, de l’autre la tendre présence d’Augusta Holmes et Psyché. L’inspiration de la musique allemande – de Bach à Beethoven et Wagner – et le désir de restaurer l’éminente dignité d’un art français. Le modeste enseignement d’un compositeur très tardivement reconnu et l’influence sur la postérité, via « la bande à Franck » Ou même la belgitude originelle et les sarkovexations de la France louis-philipparde devant la naturalisation….Oui, connaît-on tout à fait César Franck, dont le double musical et privé le plus plausible fut le Vinteuil de Proust ? Et même le compositeur-pour-l’église, malgré la célébrité de superbes pièces d’orgue ?

Un parfait Cavaillé-Col

Cette dernière interrogation figure dans les recherches que Bernard Tétu aime bien mener, notamment dans la musique chorale et instrumentale du XIXe : le fondateur du groupe des Solistes de Lyon, au catalogue duquel on trouve une trentaine de disques (dont une 1ère mondiale de Fauré, La Naissance de Vénus) , commence donc une intégrale de l’œuvre vocale avec orgue du Seraphicus. Curieusement, mis à part le très ressassé Panis angelicus, ce domaine franckiste demeure de l’investigation, et il faut sûrement dépasser les jugements catégoriques à la Saint-Saëns pour aborder ces partitions religieuses avec motets, cantiques, plain-chant harmonisé, faux-bourdons et serpents, ces va-et-vient entre la solennité de l’orgue et la rusticité de l’harmonium. Et en arrière-plan, des trésors sociologico-musicaux à la clé : nationalisme français et autorité vaticane, catholicisme revanchard et expiatoire après les révolutions, liturgie et piété moderniste ou de retour aux traditions…Coïncidant avec la sortie du 1er disque de cette intégrale (Aeolus, AE10651), voici donc un concert inaugural qui donne à écouter 6 Offertoires, 7 motets, 8 faux-bourdons et 4 pièces d’orgue. Bernard Tétu y dirige ses Solistes, la Maîtrise du Conservatoire Populaire de Genève (Magali Daniel), six solistes vocaux et instrumentistes, dont l’organiste argentin Diego Innocenzi. Le lieu est soigneusement choisi : au cœur de la presqu’île lyonnaise, Saint-François-de-Sales abrite un Cavaillé-Col (1879) que son auteur désignait comme « le plus parfait » sorti de ses ateliers.

Les échos d’Eco III

Bernard Tétu se refuse à être tout-XIXe, et il a créé au concert de nombreuses œuvres contemporaines (Ohana, Kagel, Amy, Hersant, Duhamel…). En écho de Franck, il fera écouter… Eco III, une pièce de Michael Jarrell écrite sur un sonnet du précieux absolu espagnol, Gongora. Le compositeur suisse, résident de l’O.N.L. il y a 15 ans, demeure très présent entre Rhône et Saône. Fervent praticien d’une correspondance des arts entre peinture et musique, il évoque ici « la surimpression des plans poésie-chant, une communion avec le silence ». Tout le concert est présenté dans le cadre de « la Belle Voisine », série franco-suisse qui célèbre en 2007 la création contemporaine entre hexagone et lacs alpins.

Tél.:04 72 98 25 30 ; www.solisteslyontetu.com

Crédits photographiques
Les Solistes de Lyon (DR)
Michael Jarrell (DR)

Jacques Offenbach (1819-1880), Les contes d’Hoffmann, 1881

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Longtemps, Offenbach rêvait de monter un opéra fantastique. Les fées du Rhin, Fantasio sont des premiers essais, encore sous-évalués et dès leur création, honteusement critiqués. La genèse des Contes d’Hoffmann est lente et souvent reportée. Le compositeur ne verra jamais la création, il meurt pendant les répétitions, laissant une partition pas totalement achevée.

Comprendre l’oeuvre: rupture ou continuité?

Retracer le catalogue des oeuvres composées par le plus grand amuseur du Second Empire, laisse perplexe quant à la signification de son dernier opus, de surcroît sur un sujet tragique. Les Contes d’Hoffmann, ouvrage par ailleurs laissé inachevé, sans ordre et sans construction clairement énoncés ni résolus, serait-il un aboutissement ou un dernier avatar sans lien avec les oeuvres précédentes?
On dit que l’oeuvre serait une manière de rachat orchestré par l’auteur des bouffonneries séditieuses un tantinet scrabreuses. Une sorte de sauve conduit pour l’éternité critique, une oeuvre d’excuse qui lui aurait permis, hélas presque trop tard, car il est mort avant d’achever son projet, de gagner le panthéon des grands auteurs en traitant in extremis, le grand genre, celui de l’opéra tragique et fantastique. Est-ce lui rendre justice?
En fait, l’oeuvre s’inscrit bien dans la continuité d’un style et d’une personnalité dont l’idéal artistique semble trouver avec Hoffmann, une manifestation parfaite. En maints endroits, il s’agirait même d’y relever la résurgence de souvenirs personnels liés à la carrière du compositeur.
Ainsi le premier tableau, bruyant, qui met en avant la foule et l’agitation de la taverne, évoque les débuts du jeune musicien quand il tentait de percer dans les auberges et les bistrots de Cologne. D’ailleurs, l’Allemagne dont il est question dans le texte de Barbier, est celle du jeune Jacques/Jacob avant de rejoindre la France en 1833, à 14 ans. Dans les salons bourgeois de la Monarchie de Juillet, Offenbach qui veut percer comme violoncelliste virtuose, traîne derrière lui, une réputation diabolique malgré lui car sa mise rappelle étonnamment celle des héros de E.T.A. Hoffmann: sombre et perçant, emporté et expressif.

Offenbach, subjugué par la veine fantastique

Le compositeur est contemporain de la création à l’Odéon, de la pièce de Barbier et Carré, « Les Contes d’Hoffmann », en mars 1851. Le fantastique et le caractère tragique le bouleversent certainement car ils correspondent à ce qui lui est cher. D’ailleurs, absorbé par la création de son propre théâtre, Les Bouffes-Parisiens, passage Choiseul, il monte en 1857, « Les Trois baisers du diable », opérette fantastique d’après le Freischütz et Robert le Diable. En composant la musique, Offenbach se rapproche de ce qu’il réalisera pleinement dans Hoffmann: le fantastique.
Après le succès d’Orfée aux enfers (1858), son rêve est d’accéder à la scène de l’Opéra-Comique. « Barkouf », écrit avec Eugène Scribe (librettiste adulé de La Dame Blanche et de Fra Diavolo), est emporté dans une cabale retentissante qui veut effacer le triomphe d’Orphée. Fort à propos, l’Opéra Impérial de Vienne lui commande « Die Rheinnixen », les Filles du Rhin, qui se déroule au XVI ème siècle, et dans lequel les sombres lueurs du fantastiques ne sont pas absentes. Créé en 1864, l’ouvrage ne comporte pas, a contrario des oeuvres comiques du maître, de scènes parlées, comme Hoffmann. Mais hélas, la partition ne convainc pas mais le thème de son ouverture qui évoque le choeur des esprits du Rhin sera réutilisé pour la Barcarolle des Contes d’Hoffmann.
A Paris, Offenbach semble néanmoins s’affirmer grâce à l’accueil réservé à son « Robinson Crusoé » (1867), et à Vert-Vert (1869).

Hoffmann, l’oeuvre d’un mourant

Avec la chute du Second Empire et le trouble politique qui suit, enfin l’avènement de la III ème République, Offenbach se maintient artistiquement mais le milieu parisien ne l’entend pas ainsi qui veut lui faire payer le succès du « Bouffon Impérial ». Ainsi quand il propose en 1872, « Fantasio » d’après Musset, une nouvelle cabale emporte son chef-d’oeuvre. Dégoûté, le compositeur s’éloigne de l’Opéra-Comique: il lui semble revivre l’échec et l’amertume de « Barkouf » dix années auparavant.
Pourtant les années qui suivent se montrent plus clémentes. D’après un texte de Victorien Sardou qui s’inspire d’E.T.A. Hoffmann, Le Roi Carotte triomphe à la Gaîté Lyrique dont Offenbach devient directeur en juin 1873. Il le restera deux années pendant lesquelles il fait représenter Jeanne d’Arc de Gounod sur un livret de Barbier. Ce dernier est alors sollicité par le compositeur d’Orphée aux Enfers pour reprendre l’idée d’adapter à l’opéra, Les Contes d’Hoffmann. Mais Offenbach qui a dû quitter ses fonctions à la Gaîté a convaincu Albert Vizentini, son successeur de l’intérêt de l’ouvrage. L’opéra est à l’affiche de la saison 1877-1878, et le compositeur s’engage à rendre sa copie. Hélas, nouvelles déconvenues, la Gaîté n’a plus les moyens financiers pour monter l’oeuvre d’Offenbach. Et le compositeur fait entendre plusieurs scènes de son nouvel opéra, quasi achevé, dans son propre appartement, boulevard des Capucines. L’audition porte ses fruits. L’Opéra de Vienne retient l’ouvrage et Carvalho, directeur de l’Opéra-Comique depuis 1876, réserve aussi la création de l’opéra à Paris. Pour la création parisienne, Offenbach très malade, travaille à l’achèvement de son oeuvre. On sait que les défaillances techniques de la poupée Olympia renvoie aux souffrances personnelles qui l’accablent pendant la gestation de l’ouvrage. En août 1880, il s’en ouvre à sa fille dans une lettre célèbre: « Le ressort de la poupée articulée se détraque maintenant à la moindre fatigue ». Les répétitions commencent le 11 septembre 1880. L’auteur meurt le 5 octobre sans pouvoir assister comme il l’espérait à la création de son chef-d’oeuvre. Le fils du compositeur, Auguste, aidé d’Ernest Guiraud, chargé par la famille de terminer la partition, accompagnent les répétitions. On sait à présent que l’ouvrage laissé par Offenbach était quasiment abouti, mais seule l’orchestration était fragmentaire. La création a lieu le 10 février 1881 à l’Opéra-Comique dans une version révisée par Carvalho : les rôles de la Muse et de Nicklausse qui ne formaient qu’un seul personnage, sont séparés et chantés par deux interprètes différents. Pire, l’acte de Venise a été tout bonnement censuré. Il faudra que les parisiens patientent jusqu’en 1911 pour l’écouter.
Le succès est triomphal et la 100 ème est atteinte dès le mois de décembre suivant, avant que l’Opéra de Vienne ne sombre dans les flammes, empêchant une carrière plus prestigieuse encore. Entre Paris et Vienne, l’opéra d’Offenbach a fait son entrée par la grande porte.

Illustrations

Fussli, le cauchemard (DR)
Goya, le rêve du poète (DR)

Signes, ballet de Carolyn Carlson, créé en 1997,paraît en dvd chez Bel Air Classiques

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L’éditeur Bel Air classiques fait paraître à partir du 22 février 2007, l’un des ballets de danse contemporaine les plus aboutis, créé en mai 1997, à l’Opéra Bastille. L’oeuvre pluridisciplinaire est née de la rencontre du peintre Olivier Debré, avec la chorégraphe Carolyn Carlson et le compositeur, René Aubry.

Architecture de la couleur

A l’origine du projet, la conception des décors a précédé toute idée d’action scénique. Olivier Debré avait proposé à l’Opéra de Paris, un ouvrage lyrique autour de son oeuvre picturale. L’idée que les couleurs seules puissent engendrer une action devait amorcer un projet plus ambitieux associant les autres arts, plus immédiatement expressifs: la musique, le théâtre, la voix… Finalement, Brigite Lefèvre, Directrice de la danse à l’Opéra de Paris, poursuit l’idée, discute avec le peintre, et l’esquisse d’un ballet se précise. Bientôt, associer Carolyn Carlson devient évident. C’est aussi l’occasion pour la troupe du Ballet parisien de reprendre le contact avec la chorégraphe, qui avait déjà travaillé dans la Maison.
Le plasticien qui travaille dans la couleur, à grande échelle, a imaginé le concept de « signes personnages » dès 1949, et la sensibilité de la chorégraphe qui pense en lignes et en attitudes se retrouvent, dans la confrontation comme dans la divergence.
Au cours de la collaboration, l’entente s’intensifie jusqu’à la rupture, … ensuite surmontée dans un café (autour d’un verre de vin!)… Ainsi en est-il des projets impliquant plusieurs créateurs… comme « une relation amoureuse », selon les propres mots de Carolyn Carlson dans le documentaire « legato », complétant le dvd. Après la rencontre, ses espoirs, ses crises… les images d’archives de plusieurs séances de travail montrent l’architecte des formes colorées, et la poète du mouvement, à l’oeuvre: choix des décors, conception avec René Aubry de la présence musicale, ligne des costumes…
Pour Carolyn Carlson, qui a travaillé intensément à Paris, pour l’Opéra, à l’époque où Rolf Liebermann était directeur (1974-1980), il s’agit d’un retour. Avant « Signes« , la chorégraphe avait écrit « Don’t look back » (1993) pour Marie-Claude Pietragalla, sur une musique de René Aubry, un fidèle collaborateur avec lequel Carolyn Carlson a réalisé plus de 15 créations.

Accord Couleurs-Danse-Musique

Au final, le spectacle créé en 1997 sur la scène de l’Opéra Bastille époustoufle par sa puissance expressive. Les toiles imaginées par le peintre pour les sept tableaux, la musique de René Aubry, le mouvement des corps fusionnent idéalement. Certes il y a cette évocation (anecdotique en définitive) du sourire, un thème emprunté à La Joconde de Leonard de Vinci, sur lequel le peintre travaille depuis 50 ans. Ce que dit Carolyn Carlson à propos de sa relation au visage et au corps, nous paraît dans le projet du ballet, nettement plus pertinent: un sourire illumine le visage, il donne même au corps dans sa totalité, une ligne, un dessin, une dynamique.
Dans « Signes« , ce qui fait sens, c’est surtout sur le plan plastique, la violence et le choc des formes colorées, des lignes et des cernes qui créent continûment une symphonie d’éclats et d’opposition, de sensations émotionnelles: « Ce n’est pas ma volonté qui intervient, mais l’émotion qui me domine. Je ne suis sincère que dans le choc, l’élan« , précise le peintre.
De fait, de l’inflexion des doigts, jusqu’à la pointe du talon, dans l’arc tendu des épaules, dans le port du cou: tout fait signe. Avec une grâce et un humour parfois explicite (quand Kader Belarbi pastiche Chaplin par exemple, dans le deuxième tableau, « Loire du matin« ). Et dans un temps recomposé: celui d’une lenteur qui absorbe toute idée de précipitation ou d’agression, de calcul ou d’économie. La plénitude des gestes, l’esprit de la pose, d’une élégance parfois altière, seraient assurément les éléments distinctifs de la chorégraphie « Signes« .

Mais il y a aussi l’exaltation du groupe qui fait corps et qui prend sa pleine signification dans « Les moines de la baltique » et le tableau final, « Victoire des Signes ». Ici, c’est l’expression brute et sanguine de l’énergie et de l’élan vital; là, c’est l’eurythmie des alignements de danseurs, l’exaltation sereine d’une assemblée fluide et solennelle, jusqu’en son terme, suspendu, hors du temps. Comme le précise la chorégraphe, elle fait de la danse, une poésie du mouvement, de l’espace et du temps. Dans la suite de la création de « Signes » en 1997, René Aubry obtient une Victoire de la musique en 1998, et Marie-Agnès Gillot, lors de la reprise du ballet en 2004, est nommée « danseuse étoile ».

Le peintre pour sa part s’est éteint à Paris, le 1er juin 1999, à l’âge de 79 ans. La reprise de « Signes » sur les planches de l’Opéra Bastille, en 2000, lui rendait hommage.

Approfondir

Lire notre critique du dvd Signes de Carolyn Carlson (Bel Air classiques)

Crédits photographiques
© Michel Lidvac. Hervé Courtain. Gillot et Kader Belarbi. Cinquième et dernier final : « Victoire des signes », Marie-Agnès Gillot et Kader Belarbi.

Magic connexions: cycle de concerts présentés par le Concours International de piano d’Orléans. Du 9 mars au 12 avril 2007.

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Des compositeurs
et des interprètes


Tous les deux ans, le Concours International de piano d’Orléans présente un cycle de créations contemporaines jouées par les lauréats et candidats du Concours. Dans le cadre du Prix André Chevillon-Yvonne Bonnaud, une partition jouée en création mondiale par un jeune pianiste est ainsi récompensée. A partir de l’ensemble des oeuvres créées au cours de histoire, le Concours (dont la prochaine édition se tiendra en 2008) présente à partir du 9 mars et jusqu’au 12 avril 2007, plusieurs concerts mettant en avant ce fonds qui concerne et l’écriture contemporaine, et la jeune génération des pianistes d’aujourd’hui. Il s’agit aussi, d’où son titre, de mettre en avant cette « connexion magique » d’où « magic connexion », entre le compositeur et l’interprète.

Une série « magique » en quatre temps

A la série des concerts de cette série qui accorde les talents, le Concours ajoute aussi la deuxième édition du Concours Brin d’Herbe (Orléans, du 29 mars au 2 avril 2007) qui invitent les plus jeunes pianistes, âgés de moins de 18 ans, à concourir lors d’auditions classiques et de séances d’improvisation.

« Les Créations »

Le 9 mars 2007 à 20h30
Paris, Salle Cortot.
Renseignements : 02 38 62 89 22
Avec Prodromos Symeonidis, Wilhem Latchoumia, Adam Marks, Nika Shirocorad (pianos)
Trois créations mondiales, de Nika Shiricorad, David Rakowski et Pierre Jodlowski.

Récital de piano
Le 11 mars 2007 à 18h
Metz, Arsenal

Albeniz, Granados, Crumb et Villa-Lobos
Wilhelm Latchoumia, piano
dans le cadre du festival Jeunes Talents.

Concours Brin d’Herbe

Orléans, Salle de l’Institut.
Du 29 mars au 2 avril 2007

« La porte des jardins magiques »
Renseignements : 02 38 62 89 22
Répertoire de 1900 à nos jours. Programme libre (durée: 10 à 25 minutes), intégrant une oeuvre de G.Kurtág et une oeuvre courte au choix d’A.Schœnberg, C.Debussy, L.Janacek, O.Messiaen, L.Berio, H.Dutilleux, G.Ligeti ou P.Boulez. Épreuve facultative d’improvisation.

Concert de prestige

12 avril 2007 à 20h30

Orléans, Carré Saint-Vincent/Scène nationale.
Renseignements : 02 38 62 45 68

Prokofiev, Berio, Unsuk Chin (création française),
Wilhelm Latchoumia, Prodomos Symeonidis, (pianos)
Orchestre national de Lille
Jean Deroyer, direction

Approfondir

Consultez le site du Concours international de piano d’Orléans: www.oci-piano.com

Crédit photographique
Visuel du Concours Brin d’Herbe 2007 © Sandra Pozzo di Borgo
Le Pianiste Wilhelm Latchoumia © S. Amiet

Lyon. Opéra, le 31 janvier 2007. Tchaïkovski, Eugène Onéguine.

2ème de la trilogie

La trilogie Pouchkine: opéra sauvage et guerrier, le Mazeppa de la saison dernière mis en scène par Peter Stein. Onéguine de cet hiver sans hiver: la passion amoureuse et fatale, mais dont la sauvagerie et le désespoir  intérieurs percent sous le vernis de la société provinciale ou pétersbourgeoise. Et La Dame de Pique, à venir. Ce que fait d’abord sentir P. Stein, c’est la force dialectique à l’œuvre entre la solitude (Tatiana passionnée et bafouée, Lenski jaloux finissant par basculer dans son ravin neigeux, ou même à sa façon, Onéguine) et la cruauté des chants et danses de la mort sociale, à travers le divertissement et le regard mondain du jugement sans pitié. Comme, Dieu merci, P.Stein n’est en aucune façon tenté par quelque transposition branchée, genre kalachnikov et bal chez les mafieux poutinophiles, on en reste à une vision classico-romantique très lisible mais non dépourvue d’arrière-plans vertigineux, que suggèrent les décors de F.Wogernauer, et que surtout armature la direction ardente mais discrète de Kirill Petrenko. Ces mises en espace visuel mais surtout sonore ont volontiers tendance à valoriser le dramaturge des gestes (surtout s’il est célèbre) au détriment de celui des voix, actrices et orchestrales. Avec Petrenko et l’essentiel de la distribution vocale, on est « russe jusqu’à la moëlle des os », comme s’autoportraiturait Tchaïkovski-le-trop-européen…

Tatiana et Lenski mais Onéguine
C’est donc à lui comme à Stein qu’on rend hommage du meilleur : la musicalité si tendre d’une Tatiana (Olga Mykytenko), devenue sœur en Tolstoï, Dostoïevski ou Tchekhov, la jalousie vaillante et suicidaire de Lenski (Marius Branciu). Mais il y a du bien moins bien : l’Onéguine de Wojtek Drabowicz, même si le personnage prend davantage de densité au dernier acte. Avec cet interprète un peu indifférent, on en oublierait de poser la question fondamentale : que signifie ce cynique incohérent rattrapé par la justice immanente de l’amour fou ? Et quel sens a le pouvoir démesuré d’un coup de foudre  qui vous laisse à jamais incendié ? Le génie musical de Tchaïkovski – révulsé par cette « force qui va » du personnage légué par Pouchkine –  exige ici autre chose qu’un chanteur au demeurant bon technicien ; au moins y faudrait-il un peu de la séduction canaille d’un Delon-Tancrède pour le Guépard de Visconti, ce film-opéra auquel maintes scènes (les bals…) font penser. Eloges aux autres personnages et surtout aux chœurs (Opéra de Lyon), mobiles et harmonieux, bien « doublés » par la chorégraphie de Lynne Hockney. Voilà un opéra très rassemblé, par force mais non sans subtilité parfois angoissante…

Eugène Onéguine.
Scènes lyriques en trois actes et sept tableaux, 1879
Livret du compositeur et de Constantin Chilovski,
d’après le poème d’Alexandre Pouchkine

Wojtek Drabowicz, Eugène Onéguine
Olga Mykytenko, Tatiana
Marcus Branciu, Lenski
Elena Maximova, Olga
Michail Schelomianski, Le Prince Grémine
Stefania Toczyska, Madame Larina
Margarita Nekrasova, Filipievna, la nourrice
Christophe Mortagne, Monsieur Triquet
Jérôme Varnier, Zaretski
Paolo Stupenengo, Un capitaine
Jérôme Avenas, Un paysan

Mise en scène : Peter Stein
Décors : Ferdinand Wögerbauer
Costumes : Anna Maria Heinreich
Eclairages : Duane Schuler, Japhy Weideman
Orchestre et Choeurs de l’Opéra de Lyon
Kirill Petrenko, direction

Opéra de Lyon, du 25 janvier au 7 février 2007.

Crédit photographique
Service photo de l’Opéra de Lyon (DR)

Lyon. Conservatoire national supérieur de musique et de danse, les 2 et 3 février 2007. Bach aux claviers.

On ne saurait laisser passer cette seconde édition d’une fin de semaine totalisante sans saluer l’initiative rassembleuse du CNSM, sous la houlette de Yves Rechsteiner (département de musique ancienne). En 2006, les 32 sonates de Beethoven (et pour chacune d’entre elles, un écho de notre bel aujourd’hui) étaient plus tapageuses – au bon sens du terme -, et d’ailleurs hors les murs (salle Molière). En 2007, une certaine austérité a prévalu par le choix de « J.S.Bach aux claviers », pôle un peu nordique d’un monument sublime voué à la métaphysique du sacré. Le mélomane (en entrée libre, c’est à souligner) fait son choix et pilote les contraintes de ses horaires. Pour le signataire de ces trop brèves lignes, ce fut trois seules parcelles, hautement éloquentes, accueillies par l’admirable amphithéâtre Darasse, où les splendeurs de l’orgue Grenzig se contrepointent du regard par verrières en arc de cercle sur la polyphonie dépouillée des arbres du parc. Avec quelle science sans emphase les deux enseignants, Liesbeth Schlumberger et François Espinasse, ont exploré le monde des 18 chorals de Leipzig, jusqu’à la lumière apaisée du grand Cantor prêt à paraître devant le trône de son Dieu ! Puis c’étaient les six sonates en trio, confiées aux élèves, tous excellents, intimidés comme il convient devant la splendeur de Bach, mais résolus, ou même expérimentateurs dans trois (des six) sonates confiées aux…marimbas, avec une magie sonore troublante dans la 4e. Enfin, nous aurons pu écouter le seul 1er volet du Clavier Bien Tempéré, lui aussi confié aux élèves, et partagé dans un bonheur identique entre orgue et clavecin… Ensuite la salle Varèse confierait au piano la mission de l’instrumentation moderne. Il faut que de telles initiatives, si totalisantes mais communiquant dans l’intimité de la  grâce sanctifiante (et bien sûr laïques), soient davantage connues et pratiquées par des publics pas forcément spécialistes. Sans aller jusqu’au pastiche de l’inapprochable syndrome nantais, à quand deux folles journées de 2008, et sur quel(s) thèmes ?

Lyon. Conservatoire national supérieur de musique et de danse, les 2 et 3 février 2007.

Crédit photographique
Yves Rechsteiner (DR)

Les Victoires de la Musique classiqueFrance 3, le 28 février 2007 à 20h50

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Les Victoires
de la Musique classique



France 3, le 28 février 2007 à 20h50

Soirée en direct. Présentée par Marie Drucker (notre photo) et Frédéric Lodéon. En simultané sur France Inter.
Chaque année, Les Victoires de la musique classique sont le grand rendez-vous annuel qui célèbre les vedettes confirmées, encourage les talents prometteurs, diffuse la magie du spectacle vivant à une heure de grande écoute sur l’une des chaînes publiques Françaises. Cette année, France 3 s’engage pour l’événement et transmet en direct depuis la Salle Pleyel à Paris, récemment rénovée, (inaugurée en septembre 2006, le lieu fête ses 80 ans en 2007), la remise des « Victoires » au cours d’une soirée où la musique classique est défendue par ses plus ardents ambassadeurs.
Pour cette 14 ème édition, l’Orchestre national de France dirigé par Eivind Gullberg Jensen et Fabien Gabel accompagnera les solistes mis à l’honneur dont Natalie Dessay, Rolando Villazon, Nicholas Angelich, Jean-François Zygel, David Guerrier, June Andersen, Jean-Yves Thibaudet, Roberto Alagna, Thierry Escaich…
Fabien Gabel, lauréat du Concours de direction d’orchestre Donatella Flick à Londres en 2004, a été l’assistant de Kurt Masur à l’Orchestre National de France (2002-2005). Le norvégien Eivind Gullberg Jensen, a étudié la direction d’orchestre avec Jorma Panula à Stockholm et Leopold Hager à Vienne. Il dirige de nombreux orchestres dans le monde et prépare une nouvelle production de Tosca, pour le Festival de Baden-Baden à l’été 2007.
Sur le plan technique, la soirée est produite avec le concours d’Air Productions et réalisée par Gérard Pullicino (11 caméras, pour un peu plus de 2h10mn de spectacle continu).

Pour fil rouge thématique, la musique américaine sera l’occasion d’écouter quelques standards de la comédie américaine, et plusieurs pages des compositeurs d’Outre-Atlantique tels Georges Gershwin ou Leonard Bernstein…

Les catégories, les nommés 2007
Au cours de la soirée, seront remises les célèbres « Victoires », trophées qui couronnent une réalisation ou une carrière. Voici l’ensemble des nommés 2007, dans chaque catégorie concernée, qui recevront peut-être la distinction tant convoitée:

L’enregistrement classique de l’année
Chopin, Nocturnes
Maurizio Pollini, piano
Deutsche Grammophon

Vivaldi, Griselda
Marie-Nicole Lemieux, Veronica Cangemi, Philippe Jaroussky, …
Ensemble Matheus
Jean-Christophe Spinosi
Naïve

Voyages
(œuvres pour basson & ensemble, basson solo et basson & chœur mixte de Toshio Hosokawa, Luciano Berio, Philippe Schoeller)
Pascal Gallois, basson, Choeur Mikrokosmos, Loïc Pierre. Orchestre Philharmonique de Radio France, Daniel Kawka, direction
Stradivarius

Le soliste instrumental de l’année
Nicholas Angelich (piano)
Nelson Freire (piano)
David Guerrier (trompette)

L’artiste lyrique de l’année
Roberto Alagna (ténor)
Philippe Jaroussky (contre-ténor)
Sandrine Piau (soprano)

L’ensemble de l’année
Ensemble vocal :
Musicatreize, direction: Roland Hayrabedian

Ensemble instrumental (ex-aequos):
La chambre philharmonique, direction: Emmanuel Krivine

Ensemble de musique ancienne ou baroque :
Ensemble Matheus, direction: Jean-Christophe Spinosi

Création de l’année
Pascal Dusapin, Faustus
Orchestre de l’Opéra National de Lyon
Direction : Jonathan Stockhammer
Mise en scène : Peter Mussbach
Création en France le 9 mars 2006à l’Opéra de Lyon

Bruno Mantovani, L’autre côté
Chœurs de l’Opéra du Rhin
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Percussions de Strasbourg
Direction : Bernhard Kontarsky
Création le 23 septembre 2006 au Festival Musica

Nicolas Bacri, musique de chambreACRI
Ensemble Capriccioso
Triton

La révélation soliste instrumental de l’année
Sarah Nemtanu (violon)
Jean-Frédéric Neuburger (piano)
Antoine Tamestit (alto)

La révélation artiste lyrique de l’année
Jean-Luc Ballestra (baryton)
Amel Brahim-Djelloul (soprano)
Sébastien Droy (ténor)

(pour ces deux dernières catégories, le grand public a été sollicité avant la soirée du 28 février 2007, afin de sélectionner son favori)

Le dvd de l’année
Glenn Gould, Au-delà du temps
Réalisation : Bruno Monsaingeon
Idéale Audience

Mozart, La Clémence de Titus
Susan Graham, Christoph Prégardien
Orchestre & Chœur de l’Opéra de Paris
Direction : Sylvain Cambreling
Réalisation : Thomas Grimm
Opus Arte / Opera National de Paris

Verdi, La Traviata
Rolando VIillazon, Anna Netrebko, Thomas Hampson Wiener Philharmoniker
Direction : Carlo Rizzi
Réalisation : Brian Large
Deutsche Grammophon

Natalie Dessay, Le miracle d’une voix
Virgin Classics

Crédit Photographique
Marie Drucker (DR)

Giaochino Rossini, Le Barbier de Séville (1816) France 3, samedi 17 février 2007 à 22h50

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Gioachino Rossini,
Le Barbier de Séville
(1816)

Samedi 17 février 2007 à 22h50

Cycle de documentaires, « L’heure de l’opéra. Documentaire. Réalisation: Jérémy Rozen. 52 mn, 2007.

En 1 heure de temps, de façon claire et vivante, comment comprendre et découvrir un opéra? La recette est simple: suivre l’action, et interroger les interprètes: chanteurs principalement (mais aussi metteurs en scène: Jérôme Savary, ou chef d’orchestre: Philippe Jordan), et rencontrer les personnages de l’intrigue au fur et mesure de leur entrée sur la scène.
Le baryton français, Arnaud Marzorati présente Figaro qui mène le jeu; Cecilia Bartoli précise la finesse psychologique de Rosine, une jeune femme sequestrée par son tuteur abusif. Douce et obéissante, la beauté adolescente n’entend pas se laisser faire. Ruggiero Raimondi qui chante dans la production madrilène (2005) qui sert d’illustration à l’exposé, nous donne un cours de caractérisation dramatique, en évoquant le personnage délirant, suspicieux, machiavélique de Don Basilio, dans son air fameux de la calomnie.
D’après Beaumarchais, Le barbiere di Seviglia, est composé par un Rossini de 24 ans, en moins de quinze jours. La partition créée à Rome en 1816 subit tout d’abord une cabale orchestrée par Paisiello, furieux de voir qu’un autre compositeur, de surcroît plus jeune, ose adapter la même histoire, après lui. Coup inutile, puisque l’opéra de Rossini connaît un triomphe immédiat par la suite, imposant le génie d’un auteur élégant, espiègle, virtuose, magicien du crescendo et des phrases répétitives, orchestrateur brillant, dramaturge facétieux. Le ton est enlevé, sans temps mort. Les exemples, convaincants. Sur la scène du Teatro real de Madrid, les amateurs comme les néophytes pourront écouter le chant de la soprano Maria Bayo (Rosina) ou celui de Juan Diego Florez (Lindoro). On attend avec impatience, la suite de la collection « L’heure de l’opéra » sur France 3.

A 23h, l’opéra intégral
Après le documentaire « L’heure de l’opéra », France 3 enchaîne avec l’intégrale de l’oeuvre dans la production en provenance du Teatro Real de Madrid, sous la direction de Jésus Lopez-Cobos, avec Maria Bayo (Rosina), Juan Diego Florez (Lindoro), Ruggero Raimoni (Basilio)…

Crédit photographique
Ruggero Raimondi, baryton (DR). Le chanteur interprète dans la production lyrique qui illustre le documentaire un Don Basilio mémorable, en particulier dans l’air de la Calomnie. Devant la caméra de France 3, côté documentaire, l’acteur explique, grimace et composition à l’appui, la psychologie de son personnage, une sorte de faux pieux soupçonneux, avec un humour détonant.

Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d’HoffmannFrance Musique, Samedi 24 février 2007 à 19h30

Jacques Offenbach (1819-1880)
Les Contes d’Hoffmann, 1881

Samedi 24 février 2007 à 19h30
Opéra fantastique en 3 actes,
un prologue et un épilogue
Livret de Jules Barbier
d’après le drame de Jules Barbier
et Michel Carré

Librettistes de Gounod pour son Faust (1859), Barbier et Carré rédigent le livret des Contes d’Hoffmann à partir de la pièce de théâtre qu’ils avaient eux-mêmes conçus à partir des textes de l’écrivain E.T.A. Hoffmann. Au travers d’épisodes distincts, est traité un même personnage, Hoffmann qui narrateur et témoin malheureux de l’intrigue, évoque trois femmes (Olympia, Antonia, Giuletta), toutes héroïnes malheureuses et tragiques, figures évanescentes dont l’apparition est mise à mal par une force de l’ombre, machiavélique et pernicieuse, incarnée par un personnage diabolique, lequel revêt une apparence différente pour chacun des trois tableaux: Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto. Offenbach mêle romantisme, onirisme, fantastique.

Frappé par la pièce de Barbier et Carré dès 1851, le compositeur décide de l’adapter en opéra, en 1876. Il meurt avant d’avoir mis au clair un ensemble disparate de partitions. L’opéra que nous connaissons est le fruit d’un montage posthume, variant pour des raisons diverses entre la version de Choudens et la version Oeser qui en général est réputée plus « complète » et respecteuse des dernières intentions de l’auteur. L’oeuvre est créée à l’Opéra-Comique, le 10 février 1881.

Production de l’Opéra de Paris
Opéra enregistré les 10, 13 et 15 février 2007 à l’Opéra Bastille à Paris.

Distribution
Hoffmann: Rolando Villazon
La muse/Nicklausse: Ekaterina Gubanova
Lindorf, Coppélius, Dr Miracle, Dapertutto: Franck Ferrari
Andres, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio: Christoph Homberger
Olympia: Patricia Petibon
Antonia: Annette Dasch
Giulietta: Nancy Fabiola Herrera
La mère d’Antonia: Marie-Paule Dotti
Nathanaël: Jason Bridges
Spalanzani: Christian Jean
Hermann: Sergei Stilmachenko
Schlemil: Yuri Kissin
Luther, Crespel: Alain Vernhes

Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Marc Piollet, direction
Robert Carsen, mise en scène

Approfondir

Rolando Villazon vient de faire paraître un nouvel album « Gitano » (Emi), dédié à la Zarzuela. Un programme intense et dramatique dans lequel le ténor est accompagné par son mentor et modèle, Placido Domingo, lequel dirige l’orchestre Comunidad de Madrid. Lire notre critique du cd « Gitano » de Rolando Villazon

Illustration
Portrait de Jacques Offenbach (DR)

Hagen QuartettBruxelles, Conservatoire, le lundi 26 février 2007 à 20h

L’excellence faite quatuor à cordes : le 26 février 2007, à l’invitation de Bozar Music, le célèbre Hagen Quartett jouera Haydn, Beethoven et Szymanowski au Conservatoire royal de Bruxelles. Un concert qui figure d’ores et déjà parmi les grands moments chambristes de la saison bruxelloise 2006-2007. Evocation du parcours sans fautes d’un ensemble de musique de chambre à la cohésion exceptionnelle.

Musique en famille. Trois frères et soeur (Lukas, premier violon, Veronika, alto, Clemens, violoncelle), auxquels Rainer Schmidt (deuxième violon) s’est adjoint en 1987, le Quatuor Hagen illustre – à la lettre – l’esprit de famille fondateur de toute cohésion chambriste. Cette solide charpente familiale a sans nul doute favorisé l’éclosion et le développement de cet ensemble de chambre, qui fait partie du cercle restreint des quatuors à cordes de très haut vol.

En 25 ans de bonheur musical, c’est comme si tout leur avait toujours réussi. Salzbourgeois de naissance, de culture, de formation, ils ont déjà une longueur d’avance lorsque se produisent les rencontres enrichissantes avec Nikolaus Harnoncourt et Gidon Kremer. En 1981, le tout jeune quatuor se voit décerner le prix du jury et le prix du public au Festival de musique de chambre de Lockenhaus. A peine un an plus tard, un premier prix au Concours international de quatuor à cordes de Portsmouth (Angleterre), leur apporte la consécration. A partir de là, rien ne vient plus entraver l’irrésistible ascension de ces musiciens, si attachants par la vérité de leur ancrage musical et par la perfection de leur style. Les victoires aux grands concours se succèdent (Evian, Bordeaux …), les tournées européennes, ou américaines, ou japonaises, se muent en véritables tours du monde et partout, de Salzbourg à Tokyo, de Rome à Buenos Aires, l’accueil est élogieux et enthousiaste.

En même temps que l’élargissement géographique, vient l’élargissement du répertoire. En témoigne la discographie du Quatuor Hagen, abondante, couronnée des prix les plus prestigieux : de très classiquement schubertien, haydnien, mozartien, le champ d’action du Quatuor Hagen en est arrivé à couvrir tout le répertoire du XVIIIe au XXe siècle, y compris nombre de raretés, telles Verdi et Puccini. Après l’élargissement, vient encore l’approfondissement, par la maturation des maîtres intemporels – en matière de quatuor à cordes, ils ont nom Beethoven, Bartok, Chostakovitch … – , et par l’apprivoisement, pas à pas, du répertoire contemporain : Ligeti, Lutoslawski, Schnittke …

Bruxelles a depuis longtemps la chance de figurer sur la carte du monde du Quatuor Hagen. La saison 2006-2007 offre l’occasion, ce 26 février 2007, de le retrouver, au Conservatoire, dans un programme Haydn – Beethoven – Szymanowski, qui devrait combler toutes les attentes.

Le Quatuor Hagen : dates clés d’une ascension fulgurante
1981: les débuts : leur participation au Festival de musique de chambre de Lockenhaus, couronnée d’un premier prix, lance le jeune quatuor.
1984: première apparition au Festival de Salzbourg
1985: la reconnaissance : signature d’un contrat d’exclusivité chez Deutsche Grammophon
1988: premier tour du monde
1996: la maturité : Veronika Hagen enseigne l’alto et la musique de chambre à Paris. Rainer Schmidt quant à lui enseigne le violon et la musique de chambre à Madrid.
2006: en marge du 250e anniversaire de la naissance de Wolfgang : tournée Mozart au Japon, en Chine et dans divers pays européens.

Programme
Joseph Haydn: Quatuor à cordes Op. 33/5 Hob. III.41
Ludwig van Beethoven: Quatuor à cordes n° 10 Op. 74 « Harfe »
Karol Szymanowski: Quatuor à cordes n° 2 Op. 56

Bruxelles. Conservatoire 
Lundi le 26 février 2007 à 20h

Crédit photographique
Hagen Quartett (Regina Recht / Deutsche Grammophon)

Février 2007: mois de l’opéra à la télé. Journée spéciale, samedi 17 février 2007

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Avis de profusion lyrique sur le petit écran

… vous ne rêvez pas: en février 2007, plusieurs chaînes jouent la carte de l’opéra. Certes Mezzo poursuit ses programmations habituelles, parfaitement recommandables d’ailleurs, en ce mois de février avec deux excellentes productions signées Saint-Saëns (Samson et Dalila, le « Tannhäuser français », dans une scénographie milanaise de 2005, avec Jean-Philippe Laffont, Olga Borodina et Placido Domingo, respectivement dans les rôles de Dagon, Dalila et de Samson. A partir du 24 février 2007), et Wagner (Tannhäuser, dans une lecture de 1995, plutôt réussie avec Waltraud Meier sous la baguette de Zubin Mehta à l’Opéra de Munich, du 3 au 23 février 2007. Consultez notre mag télé ou notre grille des programmes télé).

Mezzo en février. Arte et France 3, le 17 février 2007

Mais aux côtés de la seule chaîne thématisée « musique classique, danse et opéra » (et jazz), Arte et France 3 font leur entrée remarquée. Certes, le 17 février 2007 marque un point fort dans le calendrier des célébrations lyriques de l’année. Dans le cadre des Premières Journées Européennes de l’Opéra (du 16 au 18 février 2007), la journée du 17 février 2007 concentre les événements. Les théâtres d’opéra en France (et en Europe) ouvrent leurs portes, organisent visites des coulisses, rencontres, ateliers, animations dans leurs locaux… Arte et France 3 diffusent aussi, hélas au même moment (!), chacun leur documentaire sur un opéra. Même s’il est navrant que, les deux chaînes ne se soient pas concertées pour diffuser sur un créneau horaire différent, leur programme respectif (les deux émissions sont annoncées en « seconde partie de soirée »: soit dans la tranche 22h30/23h. Voir notre grille télé), chaque documentaire aborde de manière vivante et intelligente, une oeuvre, évoquant de l’intérieur (paroles données aux interprètes, chanteurs, chefs, metteurs en scène…), les enjeux de l’oeuvre et les clés de compréhension des partitions.

Deux cycles de documentaires inédits sur l’opéra

Ouvrages plutôt méconnus sur Arte (« Cardillac » de Paul Hindemith, à l’ocasion de la production présentée en 2006 sur la scène de l’Opéra Bastille), carrément populaires et même célébrissimes sur France 3 (« Le Barbier de Séville » de Rossini, dans une production de 2005, commentée, en provenance du Teatro Real de Madrid, avec Maria Bayo, Rosina (notre photo); Juan Diego Florez, Lindoro/Almaviva, Ruggiero Raimondi, Basilio…). Les deux programmes plutôt complémentaires auraient mérités d’être diffusés à quelques heures d’intervalles… Mais il ne s’agit pas d’une initiative isolée ou événementielle, et c’est là le plus important. Car Arte et France 3 se sont, chacune de leur côté, lancées dans un cycle de documentaires, comptant plusieurs chapitres. Arte annonce après Platée de Rameau (janvier), Cardillac d’Hindemith (février donc), un Poro de Haendel en mars 2007 (« Musica », le 10 mars 2007 à 22h30); France 3 pour sa part, veillera à expliquer de façon claire et vivante, après « Le Barbier » rossinien, Carmen, La Traviata, La Tosca…

Amis lyricophiles, voici donc de prochains rendez-vous à ne pas manquer. A défaut de les avoir enregistrés, surveillez leur sortie en dvd. Ce que nous ne manquerons pas de faire de notre côté… Chroniques à venir sur classiquenews.com (à suivre dans notre mag dvd)

Samedi 17 février 2007


Arte, France 3, seconde partie de soirée.
Dans le cadre des premières journées européennes de l’Opéra.
Arte, « Cardillac » de Paul Hindemith
France 3, « Le Barbier de Séville » de Rossini. Cycle « L’heure de l’Opéra » ou comment, en 1 heure, découvrir et comprendre une oeuvre du répertoire. Documentaires inédits.

Crédit photographique
Maria Bayo, soprano © E.Larrayadieu

Camille Saint-Saëns, Samson et DalilaBruxelles. Palais des Beaux-Arts, les 21, 23 et 25 mars 2007

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Camille Saint-Saëns,
Samson et Dalila
, 1877
Bruxelles, Palais des Beaux-Arts
Les 21, 23 et 25 mars 2007

Un opéra biblique créé à Weimar en allemand
« Je n’ai guère besoin de la foi, pour l’entendre murmurer« , disait Saint-Saëns, qui compose la partition d’un opéra intense, fiévreux même, voire mystique. Pour honorer un dieu qui le soutient aux pires moments, le héros qui a succombé à la séduction de la belle Dalila, offre tout ce qu’il a, jusqu’à sa vie pour éradiquer le pouvoir des Philistins. Le compositeur qui aime lire et se passionner pour de nombreux sujets, y compris ceux qui n’intéressent pas directement la musique, découvre en 1866, le Samson que Voltaire rédige pour Rameau en 1732. Le contexte biblique, ses horizons orientalisants, et la figure légendaire des personnages de l’Ancien Testament excitent l’imagination du musicien qui songe d’abord à un oratorio, genre en vogue dans les années 1860. Mais le librettiste Ferdinand Lemaire convainc Saint-Saëns d’envisager une forme profane, un opéra biblique. A l’époque où les satires et parodies d’Offenbach font ricaner l’audience des salles sous le Second-Empire, l’idée est originale. Elle paraît même risquée. Saint-Saëns préfère abandonner son projet. Mais en 1869, Liszt lui demande instamment de poursuivre et d’achever son oeuvre; d’ailleurs, il lui offre son théâtre de Weimar, où règne un climat esthétique et artistique plus ouvert et serein qu’à Paris. De fait, Samson et Dalila est créé à Weimar en 1877, en allemand. L’oeuvre applaudie partout en Europe ne sera représentée intégralement à l’Opéra de Paris qu’en … 1892. La création en français avait eu lieu dès 1878, à Bruxelles, sur la scène de La Monnaie, qui l’accueille en mars 2007.

Un maître de la construction dramatique
Saint-Saëns oeuvre pour un renouvellement de la musique française, selon ses propres valeurs: unité, mesure, clarté, équilibre. L’intrigue efficace permet à l’action musicale, donc à la dramaturgie, de s’accomplir sans temps mort ni redite. Avec Samson, il offre un équivalent français à l’opéra wagnérien. Mais en soulignant la construction et l’équilibre des tableaux: choeur des hébreux, bacchanale des Philistins; héroïsme tragique et noble de Samson, volupté languissante et irrésistible de Dalila; enfin, autocratie impériale du grand prêtre, maître des Philistins, Dagon. A la caractérisation limpide des protagonistes, au nombre desquels il ne faut pas omettre le corps des deux choeurs identifiés (Hébreux et Philistins), Saint-Saëns assure la continuité et la force cohérente de la partition grâce au continuum symphonique, ce liant puissant qui enveloppe l’arête des épisodes isolés, qui insuffle à l’ensemble de la reconstitution archéologique, sa netteté suggestive et son lyrisme convaincant. Parfaitement mesuré dans son utilisation du symphonisme wagnérien, Saint-Saëns sait assimiler Wagner et s’en détacher. La page de la Bacchanale donne la preuve de son inspiration personnelle: le sens de la coloration, l’orchestration sont nettement français. Chaque invention instrumentale assoit la progression du drame. Aucune option formelle n’a été retenue sans nécessité scénique.
La grande cohérence de sa construction impose l’oeuvre aujourd’hui. Que l’on veuille n’y voir qu’un « Tannhäuser français », certes. Mais la partition dévoile la maîtrise du Saint-Saëns, dramaturge, évocateur efficace de l’Histoire Sainte. A son époque et dans le contexte de la grande machine française léguée par Meyerbeer, oser un opéra biblique était visionnaire et courageux. Remercions Liszt de lui avoir permis de porter à son terme, l’opéra que l’on connaît aujourd’hui, que l’on commence d’évaluer à sa juste mesure.

Approfondir
Lire aussi notre dossier « Samson et Dalila » de Camille Saint-Saëns dans la production diffusée sur Mezzo en février 2007, avec Olga Borodina (Dalila, également à l’affiche de La Monnaie) et Placido Domingo (Samson).

Illustrations
Pierre Paul Rubens, Hercule et Omphale (Paris, musée du Louvre)
Portrait de Camille Saint-Saëns (DR)

Paris. Théâtre des Champs-Elysées, le jeudi 1er Février 2007. Concert Sibelius, Bartók, Chostakovitch. Orchestre National de France, Neeme Järvi, direction.


Le chef d’orchestre estonien était à Paris pour diriger l’Orchestre National de France dans un programme copieux. Le concert débutait par Finlandia de Sibelius, ouverture magistrale, dont Neeme Järvi a su rendre avec maestria la grandeur, la pompe, sans néanmoins de lourdeur pataude. Sa direction reste toujours fine et d’une belle souplesse. Les musiciens de l’Orchestre National sont galvanisés par le chef et sont admirables d’engagement physique. La Onzième Symphonie de Chostakovitch, interprétée en deuxième partie de soirée, nous le confirmera, d’autant que Järvi met en évidence avec bonheur tous les solos instrumentaux qui émaillent la partition, notamment dans les bois et les cuivres, tour à tour lumineux, flamboyants, éruptifs. De même, les cordes, dès le début, sont à la fois transparentes et chaleureuses, douces et d’une ineffable tendresse. L’impression de halo qui se dégage de ces mesures initiales est réellement inoubliable. Chaque pupitre de l’orchestre, en réalité, répond merveilleusement à la direction de Järvi, qui s’avère puissante, implacable, abrupte, très dramatique et contrastée, empreinte d’une pugnacité rythmique remarquable. L’auditeur suit avec grand plaisir cette évocation musicale de la Révolution russe de 1905 et la vision de Järvi demeure en fin de compte assez optimiste. On imagine que d’autres interprétations pourraient être plus sombres, plus ambiguës, mais on accepte volontiers ces petites lueurs d’espoir.  Le moment le plus beau de la soirée était cependant le Deuxième Concerto pour violon de Béla Bartók. Viktoria Mullova est impériale, miraculeuse par la simplicité de ses phrasés et son lyrisme ensoleillé. L’énoncé si humble, si émouvant du thème du deuxième mouvement est à cet égard tout simplement magique. Inutile d’ajouter par ailleurs que sous les doigts de la violoniste, tout coule de source ; elle ne semble connaître aucune difficulté technique. Un enchantement ! Neeme Järvi distille un accompagnement, qui, s’il peut manquer parfois un rien de frémissements, finit par passionner par son sarcasme, sa rugosité et ses élans moqueurs. Là, tout comme dans la Onzième de Chostakovitch, l’orchestre se révèle attentif, engagé et très coloré. Une soirée en tous points magnifiques, saluée par des tonnerres d’applaudissements !

Paris. Théâtre des Champs-Elysées, le jeudi 1er Février 2007. Jean Sibelius (1865-1957) : Finlandia, poème symphonique Op. 26.Béla Bartók(1881-1945) : Concerto pour violon et orchestre n° 2 Sz 112. Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 11 « L’Année 1905 ». Viktoria Mullova, violon. Orchestre National de France.Neeme Järvi, direction. Retransmission du concert sur France Musique, le 14 février 2007 à 20h.

Crédit photographique
Neeme Järvi (DR)

Alessandro Scarlatti, La Vergine dei DoloriBruxelles, La Monnaie. Du 29 mars au 5 avril 2007

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Alessandro Scarlatti,
La Vergine dei Dolori

Bruxelles, La Monnaie.
Du 29 mars au 5 avril 2007.

D’après La Vergine addolorata,
oratorio a 4 voci (1717)

Puisant dans le vocabulaire expressif de l’opéra dont il est l’un des maîtres essentiels à Naples, Alessandro Scarlatti s’empare du thème de la Vierge de douleur, confrontée au Calvaire de son Fils. Le musicien exprime une dramaturgie sacrée, individualisant chacun des personnages. La Vierge y tient une place privilégiée: elle se rebelle contre la peine et les souffrances infligées à son Fils par le Grand Prêtre Onia. Puis, sur la prière de Saint-Jean, doit se résigner à surmonter l’épreuve du Sacrifice. Mais, immédiatement, alors que le pauvre corps supplicié est déposé pour le repos éternel,au moment de la mise au tombeau, Nicodème annonce sa résurrection. Peines, larmes, compassion, espérance.

Une dramaturgie de la déploration
Scarlatti compose son oratorio à Naples en 1717. Le compositeur est au faîte de ses possibilités artistiques et poétiques. Agé de 57 ans, le musicien fait représenter son oeuvre qui connaît de multiples versions d’époque. Rinaldo Alessandrini a rigoureusement sélectionné les manuscrits disponibles pour sa version de l’oratorio qui a pour titre originel, « La Vergine addorata ». Il en résulte une oeuvre dense, habilement recomposée qui donne prétexte à la metteuse en scène Ingrid von Wantoch Rekowski de concevoir un dispositif vivant, à la façon d’un grand retable mouvant, composé d’acteurs et de danseurs.
Le rapprochement avec les retables peints de l’époque baroque est naturel: dans la Vierge, il faut reconnaître une figure éloquente de la maternité affligée, témoin bouleversant du supplice de son propre enfant. C’est la mère implorante et impuissante: elle offre le visage tendre de la souffrance et aussi de l’intercession. Le dispositif scénique imaginé par Ingrid von Wantoch Rekowski s’inspire des compositions picturales: l’ombre et la lumière délimitent l’espace du sacré, et celui des témoins marqués par la tragédie et la déploration.
Fidèle à l’esthétique doloriste et incarnée de la Contre-Réforme, l’oeuvre de Scarlatti propose un témoignage humanisé d’autant plus poignant sur le thème du Sacrifice.

Oratorio sacré adapté par Rinaldo Alessandrini. Maria Grazia Schiavo (San Giovanni), Sara Mingardo (Maria), Romina Basso (Nicodemo), Daniele Zanfardino (Onia), Les Agrémens, direction: Rinaldo Alessandrini. Mise en scène: Ingrid von Wantoch Rekowski.

Illustration
Girodet, Pietà (DR)

Vicente Martin y Soler (1754-1806),Compositeur pour la scène tragique (ballet et opéra)

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Vicente Martin y Soler
Compositeur
pour le ballet et l’opéra

Martin y Soler enchanta les scènes européennes grâce à ses talents de dramaturge lyrique. Plus de trente opéras, une vingtaine de ballets ont marqué l’histoire des théâtres des grandes villes européennes de l’Europe des Lumières et jusqu’au début du XIX ème siècle, à Naples, Vienne, Londres, Saint-Pétersbourg… Son style fut aussi diversifié que l’époque, agitée. Pour lui, les plus grands chanteurs voulurent participer à ses productions, réputées pour leur intensité scénique et la qualité des partitions. Né à Valence, le 2 mai 1754, mort à Saint-Pétersbourg, 52 années plus tard, le 30 janvier 1806, Vicente Martin y Soler sait susciter la faveur des puissants: Joseph II d’Autriche, Catherine de Russie puis son frère Paul Ier, mais aussi le Duc de Parme et le Roi de Naples, Ferdinand Ier.
Musicien accompli, il travaille avec les meilleures plumes de son époque, Da Ponte, Luigi Serio…
2006 marqua le Bicentenaire de sa mort. A peine quelques concerts, pas le moindre opéra…tout au moins en France, Martin y Soler reste bien oublié.
Que savons nous au juste de sa vie, de sa carrière? Brillant, séditieux, voire libre penseur, c’est assurément une personnalité affirmée et extravertie, un amateur de jupons, une sorte de Don Giovanni bien réel, qui fut le compagnon de Da Ponte et son collaborateur.

Premières oeuvres
Il se fait un nom dans le genre du ballet. Un genre qu’il aborde dès 1778. Espagnol de naissance, Martin y Soler connaît l’opéra italien comme sa poche. Il est capable d’en parodier tous les genres, les formes et les registres. D’ailleurs, la finesse de son goût, varié et sûr, lui permet de diversifier à loisir les cadres et sujets approchées. Sa diversité et la faculté de renouveler son inspiration restent ses caractères spécifiques. Dans le ballet, il expérimente la vitalité des rythmes, l’unité d’une action, l’esquisse des caractères. C’est une excellente préparation au métier lyrique.
Ses débuts sont fracassants. A 21 ans, il écrit  » Il tutore burlato », dramma giocoso d’après La Frascatana de Filippo Livigni, créé en 1775 au Teatro Real de la Granja de San Idelfonso devant la Cour de Charles III. A 23 ans, en 1777, il compose un nouveau ballet, commande du San Carlo de Naples. Un lieu qui comptera par la suite. L’orchestre est l’un des plus réputés d’Europe et même le plus important de l’heure. La réputation du jeune compositeur grandit encore. Pour les souverains de Naples, Ferdinand Ier et son épouse Caroline d’Autriche, Martin y Soler reçoit à partir de 1778, la commande de nombreux ballets, mais aussi d’opéra serias, contribuant ainsi de façon spectaculaire au rayonnement de la Cour des Bourbons italiens fixés à Naples.

Essor des ballets d’action à Naples
Le musicien travaille avec le chorégraphe, Charles Lepicq (1744-1806) pour quatre ballets: La Griselda (1779, d’après Zeno, I ratti sabini (1780), La bella Arsene (1781), Tamas Kouli-Kan (1781), et deux ballets de demi-caractère, La sposa persiana (1778) et Il barbiere di Siviglia (1781), référence à la pièce du français Beaumarchais. L’essor du ballet à la Cour de Naples est lié à l’engouement pour le genre, affiché par la Reine Caroline. C’est aussi un spectacle de divertissement particulièrement apprécié par les nombreuses loges maçonniques de Naples, et dont fait partie la Souveraine. Le compositeur qui utilise certains motifs et des formules musicales « maçonniques », bénéficie certainement des faveurs royales grâce à sa proximité avec l’esthétique maçonnique, alors en vogue. Avec le maître de ballet, Charles Lepicq, le compositeur qui jouit d’une liberté bien supérieure à son état lorsqu’il était à la Cour espagnole, perfectionne un genre dansé, d’une grande richesse formelle: à la fois, mime, danse, action sérieuse et digne. Au total plus de 10 ballets voient le jour, nés de leur collaboration, marquant un âge d’or du ballet d’action qui se souvient aussi du vocabulaire gestuel conçu par Noverre et Angiolini.

Les grands ballets tragiques
Les pièces maîtresses sont nées précisément entre 1792 et 1799, ce sont des ballets tragiques conçus avec Lepicq pour Saint-Pétersbourg: Didone abandonnata (1792), L’Oracle (1793), Amour et Psyché (1793), Tancrède (1799), Le retour de Poliorcte (1799). La force dramatique de créations où la danse prime comme discipline motrice de l’action et de l’expression, impose les deux créateurs. Leur collaboration a su imposer l’élément chorégraphique comme un art majeur, pas seulement comme un divertissement intercalaire entre deux actes d’un opéra. La pantomime puis la danse proprement dite sont équivalents au récitatif puis à l’air. Martin y Soler n’hésite pas non plus à intégrer des choeurs et d’amples préludes orchestraux. Les ballets tragiques créés au théâtre royal de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg sont d’une forme fixe: cinq actes précédés par une sinfonia introductive. La musique imprime son rythme, un enchaînement d’épisodes contrastés qui relancent toujours la tension de l’action, avec des éclairs exaltés dans le style « Sturm und Drang ».

Les opéras tragiques
Aujourd’hui les partitions les plus célèbres du compositeur appartiennent à sa veine comique. La plupart des productions présentées sur la scène, puis suivies par leurs enregistrements discographiques, ont surtout abordé les ouvrages comiques. La liste sommaire des oeuvres ainsi fixées par les chefs et les metteurs en scène est indicative de cette passion fragmentaire pour le Soler comique: Una cosa rara (1991, Savall/Montas), Il burbero di buon cuore (1995, Savall/Defl), L’Arbore di Diana (1996, Östman/Otero/Richter), Il Sogno (2000, Otero/ Martnez), La capricciosa corretta (2003, Rousset/de Letteriis). A tel point que la production en 2003, puis l’enregistrement au disque en 2006, d’Ifigenia, sous le direction du même Juan Bautista Otero, première pièce tragique ressuscitée, fait figure de totale nouveauté et même de révélation.
Car le corpus de ses opéras serias, à l’époque où Mozart redéfinit le genre lyrique en combinant les registres (n’oublions pas que Don Giovanni qui nous paraît tellement fantastique et sombre, est un dramma giocoso), indiquent une inspiration profonde dans la stricte écriture héroïque.
Voici une courte présentation de son oeuvre « sérieuse » qui devait aboutir dans l’évolution de la carrière, aux chefs-d’oeuvre comiques de la pleine maturité. Martin y Soler, éprouvait-il en vibration avec son époque, que le genre tragique était condamné à mourir? Quoiqu’il en soit son ultime ouvrage tragique semble dater de 1783.

Perfection de la scène tragique
Pour les Bourbons de Naples, Martin y Soler écrit quelques opéras serias, précisément entre 1779 et 1783. C’est un registre complémentaire aux ballets dont la trame est souvent sombre et héroïque. Le style se perfectionne ainsi de façon continu, préparant le genre dans lequel le maître va bientôt exceller: le dramma giocoso… comme Mozart. Au total six ouvrages lyriques liés au goût de la Cour napolitaine. Pour le mariage de Ferdinand Ier, il écrit deux opéras avec le poète officiel de la Cour, Luigi Serio : Ifigenia in Aulide, créé le 12 janvier 1779; puis, Ipermestra joué le 30 mai 1780, enfin, le componimento drammatico en deux actes, Partenope, d’après Métastase, pour la visite à Naples du Grand Duc de Russie, Paul Ier et de son épouse Marie Feodorevna, en février 1782. Amateur éclairé, passionné de théâtre et de musique, Philippe de Bourbon, Duc de Parme, lui demande aussi deux nouveau
x dramme per musica, pour le Teatro Regio de Turin.
Andromaca (1780), sur un livret d’Antonio Salvi, d’après Racine, surtout, trois ans après, en 1783, à l’époque où Mozart créé Idomeneo puis L’enlèvement au Sérail, Vologeso, réadaptation d’un livret de Zeno sur la vie de l’empereur Lucio Vero.

Tant de partitions officielles, toutes également applaudies (19 représentations pour Ipermestre par exemple), lui font obtenir une position enviable, celle de maître de chapelle (1780) au service du prince des Asturies, Charles, futur Charles IV d’Espagne.
Comme dramaturge inspiré et exigeant, Martin y Soler, réadapte les auteurs classiques français du XVII ème siècle pour renforcer la continuité et la force de ses livrets. Le compositeur n’hésite pas à supprimer des rôles importants pour l’unité de sa conception, ainsi le rôle de Clytemnestre dans Ifigenia par exemple.
Direct, efficace, il peint le coeur de l’action dès les premières scènes, sans préambules ni introduction/exposition des personnages secondaires. Andromaque, Iphignie et Hypermestre sont dès leurs premières scènes, au comble de la passion et de l’expression dramatique. Le déroulement des scènes qui suivent, suscitent leur long et progressif retrait, leur inexorable renoncement.
A la virtuosité des chanteurs employés, dont les stars de l’époque comme Luigi Marchesi (1755-1829) le plus célèbre castrat après Farinelli, qui lui doit ses plus grands succès au San Carlo, Martin y Soler affine le relief psychologique et dramatique des personnages. Charles Burney, voyageur mélomane de l’Europe des Lumières confirme le succès et la fascination exercée par les opéras tragiques de Martin y Soler.
Le compositeur sait varier les effets et l’équilibre des tableaux: duos, grands monologues, ensembles, favorisant les contrastes formels pour les airs des chanteurs principaux (rondo, cavatine, recitativo accompagnato…). Mais le musicien accorde une égale attention à la finesse et la poésie des rôles secondaires.
Les ressources de l’orchestre ne sont pas oubliées. Les instrumentistes du San Carlo, en grand effectif, lui assurent des effets uniques, parfaitement en phase avec sa conception dramatique. Souvent l’orchestre agit comme un acteur, véritable partenaire des voix, il résout la tension de la ligne vocale. Bois et cuivres, tremolos de cordes, participation des percussions brossent un paysage extrêmement élaboré de la peinture psychologique. Les phrases des seconds violons souvent martelées et rapides, ajoutent, indépendamment de la mélodie aux premiers violons et aux bois, à l’expressivité intense, aux nombreuses fulgurances de l’écriture du maître.
Les partitions tragiques de Martin y Soler ne doivent pas être occultées, à la faveur de son important corpus comique qui comprend près de treize ouvrages, la plupart pour la scène Viennoise, sans omettre sa Capricciosa Corretta, composée avec Da Ponte pour le public Londonien. Ses opéras serias restent à défricher: parfaitement écrits, ils recèlent de véritables trésors.

Approfondir
Lire notre critique de l’enregistrement discographique d’Ifigenia sous la direction de Juan Bautista Otero (K617)

Illustrations
Portrait de Vicente Martin y Soler (DR)
David, Brutus (Paris, musée du Louvre) (DR)
Girodet, Pietà (DR)