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Gioacchino Rossini, Le Barbier de Séville (1816)Rennes, Opéra. Du 13 au 20 mai 2007

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Gioacchino Rossini
Le Barbier de Séville

, 1816

Rennes, Opéra
Du 13 au 20 mai 2007

Jean-Claude Malgoire, direction

Le Barbier, joyau de l’opéra rossinien

Rossini reprend l’opéra là où l’avait laissé Cimarosa, qui meurt à Venise en 1801, éreinté après les tortures qui lui furent infligées dans les geôles napolitaine sur l’ordre de la Reine Caroline. La Cambiale di Matrimonio (Venise, 1810), puis surtout Tancrède, d’après Voltaire, créé en 1813, impose le nouveau Cimarosa: Rossini, maître de l’opéra italien. Stendhal applaudit aussi au génie!
Le nouveau champion des dilettanti, ces passionnés d’art lyrique, s’impose grâce à ses dons de mélodistes qu’il applique autant aux voix qu’aux instruments de l’orchestre. Un nouveau rapport voix/instruments, traités à égalité, renouvelle totalement les couleurs musicales du théâtre chanté.
A son aise, autant dans le buffa que le seria, Rossini émerveille les auditeurs avec la grâce, l’esprit, l’élégance qui le caractérisent désormais sur la scène. Elisabetta, regina d’Ingilterra (1815) précède le chef d’oeuvre absolu de l’opéra buffa, Le Barbier de Séville, créé en 1816. L’air de Rosine, « Una voce poco fa », démontre sa maestrià de la ligne vocale dont l’arabesque acrobatique dialogue avec un orchestre harmoniquement enrichi.
Il est vrai que sa rencontre en 1814 avec le castrat Velluti pour Aureliano in Palmira, a été décisive dans l’élaboration de son style ciselé de l’instrumentation vocale. Le compositeur a su immédiatement écrire toutes les ornementations plutôt que de laisser au soin du chanteur l’art de la variation. Plus tard, pour son épouse, la cantatrice Isabella Colbran, aux capacités moindres, Rossini perfectionne l’art des cascades de gorgheggi, ces effets de gosiers propres à mettre en valeur, mais de façon contrôlé, les performances limitées de la chanteuse. Le rondo de la Donna del lago (1819) illustre l’aboutissement de ces recherches stylistiques.

Ligne vocale, ligne instrumentale

Le génie du Barbier tient autant à l’agilité époustouflante de l’écriture vocale (et donc instrumentale) qu’à la profondeur et l’éclat de chacun des personnages. Aucun caractère n’est négligé: Rosine et Figaro, mais aussi Basile ( et son fameux air de la calomnie), et Bartolo (dont l’air buffa « un signor de la mia sorte » est une perle du genre), sont fouillé, vraisemblables, palpitants. Il est vrai que Rossini disposait d’un livret de première qualité, inspiré de la pièce éponyme de Beaumarchais, mais son talent reste d’avoir su composer la musique en rapport.
Et le fameux crescendo rossinien s’insinue en parfaite cohérence avec les besoins de l’action dramatique.
L’élégance de Rossini tient aussi à assouplir considérablement les passages alternés aria/récitatif: en usant avec mesure et intelligence du récitatif accompagnato, Rossini fluidifie son propos, produisant un flot ininterrompu de musique et de chant. Ainsi, l’air du saule de son Otello (1816) contemporain du Barbier, qui permit à la Malibran de triompher sur la scène, comme en témoigne Musset, dévoile l’art de la continuité musicale d’un Rossini, génie de la musique et de l’action.
A partir de 1824, compositeur officiel du régime monarchique français, Rossini, favorisé, comblé d’honneurs et de privilèges, oeuvre profondément pour le renouvellement du genre tragique, pour le « grand genre »: ainsi, Moïse et Pharaon (1827, reprise de son opéra italien créé en 1818, « Mosé in Egitto »). Enfin, c’est Guillaume Telln créé pour l’Opéra de Paris en 1829 qui incarne les dernières recherches du musicien. C’est aussi le dernier opéra d’un Rossini visionnaire qui prépare l’art du bel canto italien serti par Bellini, Donizetti puis Verdi, ou prélude au opéras historiques et spectaculaires de Meyerbeer (Robert le Diable, 1831) ou de Fromental Halévy (La Juive, 1835, recréé à l’Opéra de Paris en mars 2006 avec un grand succès).
Notons que dans le cas du Barbier, le rôle de Rosine fut créé par une contralto coloratoure, la Giorgi-Righetti (Rome, le 20 février 1816); plus tard, les sopranos et les mezzos s’emparèrent du personnage, l’un des plus intéressants du théâtre italien: indépendant, déterminé voire militant et déjà féministe.

Illustration

Gioacchino Rossini (DR)

Mozart, L’enlèvement au sérail (1782)Saint-Etienne, Opéra. Les 20, 22 et 24 avril 2007

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Wolfgang Amadeus Mozart
L’enlèvement au sérail

, 1782
(Die Entführung aus dem serail)

Opéra Théâtre de Saint-Etienne
Les 20, 22 et 24 avril 2007

L’année précédent le triomphe de L’enlèvement, 1781, Mozart s’était imposé véritablement sur la scène lyrique avec son ouvrage seria, Idomeneo, créé à Munich, le 29 janvier 1781. Déjà, le jeune génie de la dramaturgie musicale avait fait sensation dans la peinture psychologique des personnages, l’essor nouveau de l’orchestre (premier personnage aux côtés des figures évoluant sur la scène), celui non moins important voire essentiel du choeur, et l’écriture palpitante des récitatifs.

Aux côtés du costume et de la mise enjouée, apparemment légère et insouciante de l’Arlequin épris des femmes dont on a plus que de raison souligné la paillardise dans une correspondance il est vrai, exubérante et détaillée à l’envi, il y a ce Mozart tendre et sincère, caressant les coeurs comme personnes, d’une profondeur et d’une vérité, inédites avant lui. La musique se fait langage des émotions justes. Théâtre du sentiment, et non plus de la passion, au sens que lui a donné l’opéra, pourtant remarquable et pluriel, de l’âge baroque et préclassique.
Génie de la scène, de toute action sensible et sensée, Mozart a joué des registres et des genres, avant lui, maladroitement cloisonnés. Seria et buffa se mêlent, comique et tragique, sentimental et héroïque, féerique et historique. L’Enlèvement au Sérail créé à l’Opéra de Vienne, en janvier 1782, témoigne de cette emprise de la pulsion féministe, dont la « fureur » préfigure la Rosine du Barbier de Séville de Rossini. Le compositeur réserve même à son héroïne qui porte le prénom de sa jeune et récente épouse, Constanze, un air au développement jamais vu auparavant dans un opéra. Séducteur, Mozart est aussi novateur. Lui qui rêvait d’un opéra en langue allemande, l’équivalent de l’opéra de Monteverdi dans la langue de Goethe, renouvelle aussi avec son Enlèvement, le genre du Singspiel, drame spécifiquement germanique, dont il reprendra le fil, dans son ultime chef d’oeuvre: La Flûte Enchantée, conçue l’année de sa mort, 1791.

Illustration
Claude Gellée dit Le Lorrain, L’embarquement de Cléopâtre à Tarse (Paris, Musée du Louvre)

Gaetano Donizetti, Don Pasquale (1843)Arte, direct de Genève. Le 30 mai 2007 à 20h40

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Gaetano Donizetti
Don Pasquale
, 1843

Mercredi 30 mai 2007 à 20h40
En direct
du Grand Théâtre de Genève

En direct sur France Musique

Distribution

Simone Alaimo, Don Pasquale
Marzio Giossi, Malatesta
Juan José Lopera, Ernesto
Patrizia Ciofi, Norina

Choeur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande
Ching-Lien Wu
, direction

Opéra en trois actes. Livret du compositeur et de Giovanni Ruffini. Daniel Slater, mise en scène. Réalisation: Don Kent. 2007, 2h.

Une perle buffa…

Habile faiseur de comédie élégante et piquante, Donizetti renoue avec la verve et le génie d’un maître du genre buffa avant lui, Rossini.
Don Pasquale relit les ficelles du drame hérité de la comedia dell’arte. Guerre des sexes, mais aussi critique de l’ordre bourgeois et des rapports du pouvoir, de l’argent et de l’amour, l’intrigue est vieille comme le monde. Comme Rossini, Donizetti veille particulièrement au portrait psychologique de ses personnages. Il ne crée pas que des types mais des individus palpitants qui revendiquent une sensibilité propre sous le masque parfois caricatural de leur caractère. Don Pasquale est le barbon aux traits épais, épris d’une jeune beauté, mais dont les épreuves et les revers lui en apprennent sur le vie et sur sa propre personnalité: il approche souvent dans cette comédie douce amère, une étoffe tragicomique, plus nuancée qu’il n’y paraît. A la fin de l’opéra, le dindon de la farce prend conscience de sa grandeur dérisoire, de ses illusions amoureuses. Il s’en ouvre au public, ce qui le rend d’autant plus émouvant. Tout simplement humain.
Des héroïnes du drame napolitain, Norina concentre les traits, et de la jeune beauté astucieuse (Colombina), et ceux de la servante émancipée parfois insolente (Ruffina). Elle incarne avec Ernesto, le couple des jeunes amants portés par leur amour. Quant à Malatesta, comme son nom l’indique, il rase jusqu’à satiété son monde par son érudition omnisciente qui aiguise chacun des personnages, quitte à les forcer dans leurs derniers retranchements. C’est le catalyseur des passions et des situations inédites, inconnues, c’est un agent du destin par lequel l’action et son dénouement, s’accomplit.

… composée par un homme accablé par le destin

Rien ne semblait destiner Donizetti à relever le défi de ce chef-d’oeuvre comique, aussi affûté que subtil. Dès sa création au Théâtre Italien à Paris, le 3 janvier 1843, l’ouvrage convainc par sa justesse malgré un canevas tissé de ficelles usées. Aucune vulgarité ici mais la finesse d’une intuition musicale qui revisite le genre pourtant traditionnel du buffa napolitain! Après un précédent ouvrage, tout autant accompli, L’elisir d’amore, Don Pasquale est l’oeuvre d’un homme accablé et malade, âgé en 1843, de 46 ans, et qui s’éteindra en 1848, à 51 ans. Rien de plus contradictoire que la genèse de cette perle comique: Donizetti écrit son Don Pasquale, du côté de l’esprit et du sourire, insigne de délicatesse naturelle, or le destin l’a frappé sans réserve: il a perdu trois de ses enfants, ses parents, son épouse, victime du choléra. Lui-même, est déjà au bord de la tombe… en partie paralysé, il est hospitalisé à Ivry-sur-Seine en 1846, pour mourir à Bergame, sa ville natale, deux ans plus tard.

Synopsis
Acte I. Célibataire bourru et âgé, Don Pasquale avoue à son médecin, le Docteur Malatesta, qu’il souhaite déshériter son neveu Ernesto car il ne partage pas ses projets de fiançailles avec une jeune fille qui n’est pas de son goût. Ami d’Ernesto, Malatesta qui a compris que Don Pasquale entendait lui-même se marier, décide de présenter au vieil avare libidineux, la propre fiancée d’Ernesto, Norina et de dégoûter avec la complicité de la jeune femme, le vieillard du mariage.

Acte II. Devenue « Sofronia », Norina, « soeur de Malatesta », feint d’être timide et soumise pour épouser Don Pasquale lequel s’exécute mais constate après les noces que l’épousée cachait un tempérament éruptif, vorace qui réclame de surcroît son neveu Ernesto comme valet personnel.

Acte III. Ereinté par le tempérament de son épouse qui semble même le tromper avec son neveu Ernesto, Don Pasquale dégoûté, comprend la farce dont il est la dupe aveugle. Arrogant benêt devenu philosophe, il sait pardonner à la jeunesse, dote richement son neveu qui peut épouser « sa » Norina.

Illustration
Portrait de Gaetano Donizetti (DR)
Georges de La Tour, La diseuse de Bonne Aventure (DR)

Dietrich Buxtehude: Intégrale de l’oeuvre pour orgue par Bernard FoccroulleBruxelles, Cathédrale des Saints Michel et Gudule, du 4 au 6 mai 2007

Après sa récente parution en cd chez Ricercar, c’est live que Bernard Foccroulle vient, en ce début mai 2007, interpréter l’intégrale de l’oeuvre d’orgue du maître de Lübeck à la Cathédrale Saint-Michel de Bruxelles.

L’année 2007 est une année Dietrich Buxtehude, puisqu’on commémore le 370e anniversaire de sa naissance et le 300e anniversaire de son décès. C’est bien évidemment à Lübeck où Buxtehude occupa l’office d’organiste titulaire de l’église Sainte-Marie de 1668 à sa mort, que sont programmées les célébrations les plus ambitieuses, donnant lieu à un véritable Festjahr Buxtehude 2007 qui, de concerts en cours d’interprétations et de conférences en ateliers, s’est donné pour mission de mettre en lumière la vie et l’oeuvre de la personnalité musicale la plus célèbre de la ville hanséatique.

La France n’est pas en reste avec notamment les trois journées que l’Ensemble baroque de Nice, dirigé par Gilbert Bezzina, consacre à la musique vocale et à la musique de chambre de Buxtehude, les 20, 21 et 22 avril 2007.

Bruxelles, quant à elle, a choisi de présenter en ce début mai 2007, l’oeuvre d’orgue de Buxtehude et pour ce faire un interprète de choix s’est tout naturellement imposé, dans le prolongement de son récent enregistrement, engagé et inventif, paru en cd chez Ricercar: Bernard Foccroulle. Directeur général du Théatre de la Monnaie pour quelques mois encore avant de rejoindre Aix-en-Provence où il prendra les rennes du Festival d’Art Lyrique, Bernard Foccroulle est surtout un artiste curieux, découvreur, spécialiste de la musique ancienne, compositeur, pédagogue, mais également – et peut-être avant tout – organiste de grand talent.

Alors que l’intégrale parue en cd a été enregistrée sur divers instruments dispersés entre l’Allemagne du Nord (Norden), les Pays-Bas (Groningen), la Suède, le Danemark (Helsingborg) et la Belgique (Hoogstraten), c’est en un lieu unique (à tous les sens du terme), la Cathédrale des Saints Michel et Gudule, que Bernard Foccroulle concentrera sa présentation bruxelloise. La cathédrale de Bruxelles qui ne possède pas moins de trois orgues, peut s’enorgueillir d’être équipée d’un magnifique instrument neuf, construit en 2000 par le facteur catalan d’origine allemande Gerhard Grenzing, à la faveur de l’importante campagne de restauration de l’édifice. Cet instrument, imposant par sa grandeur et sa beauté plastique, est placé non pas au-dessus du portail d’entrée mais – comme souvent dans les cathédrales gothiques – dans la nef. Cette localisation « en nid d’hirondelle », que l’on retrouve à Chartres, à Strasbourg … se justifie par les contraintes acoustiques particulières aux vastes cathédrales de l’époque gothique.

Agenda et programme
Bruxelles, Cathédrale des Saints Michel et Gudule (organisation Bozar Music)
Le 4 mai 2007 à 20h
Le 5 mai 2007 à 20h
Le 6 mai 2007 à 16h et 20h

Dietrich Buxtehude: Intégrale de l’oeuvre pour orgue

Approfondir
Découvrez le programme des célébrations du tricentennaire de Buxtehude à Lübeck (en allemand): http://www.buxtehude2007.de
Découvrez le site du facteur d’orgue Gerhard Grenzing: http://www.grenzing.com

Crédit photographique
Bernard Foccroulle (DR)

Bruxelles. Eglise des Minimes, le 21 mars 2007. Cantates de Bach, La Petite Bande

A plusieurs reprises investie par des sans-papiers, l’église des Minimes est devenue un lieu emblématique de la défense des plus démunis. Cette église située dans un quartier typique de Bruxelles (Les Marolles) accueille chaque année le Festival Midi-Minimes en juillet/août. Celle-ci accueillait le 21 mars 2007, « La Petite Bande » dans trois cantates de Bach .

Le programme de ce soir fait partie du vaste projet de Sigiswald Kuijken d’enregistrer un cycle liturgique complet sur une période de plusieurs années pour le label Accent (quatre disques sont dorénavant disponibles).  Les cantates programmées ont été écrites pour la période du Carème et s’inscrivent dans l’approche de Sigiswald Kuijken qui attribue les parties vocales à un groupe de quatre voix solistes avec un effectif instrumental réduit, selon le voeu de Bach, et sans chef d’orchestre.

Parmi les musiciens, on retrouve l’instrument fétiche de Sigiswald Kuijken, le violoncello da spalla qui fait impression et intrigue les auditeurs. Même si on ressent parfois un peu de tension et de rigidité dans la voix de la soprano Siri Thornhill, la chanteuse laisse le public bouche bée de plénitude avec  le superbe duo de la Cantate BWV1: “Wie schön leuchtet der Morgenstern”  accompagné de main de maître par Patrick Beaugiraud au hautbois da caccia.

L’effectif réduit de l’orchestre contribue à la transparence de la musique et offre une souplesse au quatuor vocal qui peut s’épanouir musicalement et créer une ambiance pieuse et extatique. L’interprétation méditative et incarnée de « La Petite Bande » de ce soir répond plus à un souci d’authenticité qu’à la recherche de la perfection absolue.  Une belle démonstration que l’imperfection peut être belle.

Particularités de l’église:

L’orgue de l’église des Minimes est le seul orgue baroque du XVII ème siècle à Bruxelles et le plus ancien de la capitale (1681). Il a fait l’objet de plusieurs remises en état et transformations au cours des siècles.

Tableaux de Van Thulden. Bas relief d’Olivier de Marseille. Chaire de vérité à l’architecture exceptionnelle

Bruxelles. Eglise des Minimes, le 21 mars 2007. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Cantate « Gleichwie der Regen und Schnee von Himmel fällt », BWV 18, Cantate « Du wahrer Gott und Davids Sohn », BWV 23, Cantate « Wie schön leuchtet der Morgenstern », BWV 1.La Petite Bande. Sigiswald Kuijken, violon, violoncello da spalla, violon alto. Siri Thornhill, soprano. Petra Noskaiova, alto. Marcus Ullmann, ténor. Jan Van der Crabben, basse.

Concert Ravel, Stravinsky, Gilbert Amy Lyon, CNSM. Les 25 et 26 avril 2007

Concert
Ravel,
Stravinsky,
Gilbert Amy

Orchestre du CNSM de Lyon
Gilbert Amy, direction

Lyon, CNSM
Salle Varèse
Les 25 et 26 avril 2007 à 20h30
(soirée au profit de l’UNICEF)

Gilbert Amy a dirigé le Conservatoire Supérieur de Lyon pendant 14 ans. Il y revient pour conduire l’Orchestre des élèves dans un programme où figurent Rossignol de Stravinsky, La Valse de Ravel, et deux de ses œuvres récentes : le Concerto pour piano, et des Mélodies sur des poèmes de l’écrivain résistant lyonnais René Leynaud, assassiné par les Allemands en 1944.

Le temps de l’écriture pure et dure

« Je considère la musique, par son essence, impuissante à exprimer quoi que ce soit. Le phénomène de la musique nous est donné à la seule fin d’instituer un ordre dans les choses, y compris et surtout un ordre entre l’homme et le temps…La musique n’exprime pas les passions, elle les efface. » Les mises en garde de Stravinsky sonnent-elles toujours vrai et fort, pour des compositeurs comme Gilbert Amy, « venu au monde » dans l’écriture sérielle, qui d’ailleurs elle non plus ne faisait guère proliférer l’émotion comme vertu… ? Mais comme l’a reconnu en maintes circonstances le compositeur de l’opéra « Le premier cercle » (sur le texte de Soljenitsyne), l’être évolue, et pas seulement bien sûr en fonction des nécessités sociales du paraître. Ainsi, naguère, pas d’opéra, ce genre vieillot, bourré de conventions et de concessions. De l’écriture pure et dure, en quelque sorte. Puis à la fin des années 1990, un vrai opéra. Des quatuors, cadre-symbole du laboratoire classique : pas avant la soixantaine. Des concertos – pour les sériels, « horresco referens », je m’épouvante de la relation, auraient dit les Anciens ! – , jamais ! Et puis on finit par céder au charme du violoncelle ou du piano…

Une poésie contre la barbarie

Le concert que « compose » et dirige Gilbert Amy dans sa pas si ancienne Résidence directoriale – le CNSMD de Lyon où il a été « aux affaires », selon la gaulienne formule, de 1984 à 2000 – tient donc un peu de l’autoportrait masqué. C’est d’ailleurs justement en revenant sur son action d’une quinzaine d’années à la tête d’un établissement de pédagogie musicale supérieure que le compositeur revoit mieux comment on peut évoluer sans renier ses principes : au contact de la jeunesse « toujours recommencée » (à chaque génération d’élèves, bien plus courte que celle de la démographie !), mais aussi du réalisable instrumentalement et humainement parlant…S’il y a par ailleurs un domaine de l’écriture où Gilbert Amy n’a cessé de chercher le lien et la substance vivifiants, c’est bien celui de la poésie : en témoignent ses œuvres « sur » les textes de Rimbaud, Rilke ou Char. Mais le poète d’aujourd’hui n’est pas seulement un Lyonnais, et il ne s’agit pas d’un hommage convenu à la petite patrie d’adoption : « René Leynaud, mort en 1944, à l’âge de 34 ans, victime de la barbarie nazie, explique le compositeur. Sa poésie est un enchantement : Albert Camus, son ami, ne s’y était pas trompé. » En effet, comme on peut le lire dans le maître- livre de Pierre Seghers, « La Résistance et ses poètes », Albert Camus raconte que René Leynaud, l’un des responsables du mouvement Combat, fut arrêté par les miliciens en mai 1944, livré aux Allemands qui préparaient leur fuite, et le 13 juin emmené hors de la ville avec 18 autres résistants et fusillé : ainsi le raconta le seul survivant – rescapé par miracle – de cette tuerie. « Autant que cela est possible à un homme, il était tout entier dans ce qu’il faisait, dit Camus. Il n’a jamais rien marchandé et c’est pourquoi il a été assassiné. Solide comme les chênes courts et râblés de son Ardèche, il était rudement taillé au moral comme au physique. Rien ne pouvait l’entamer. »

Une lumière à écouter

Cet écrivain avait choisi dans la lutte clandestine « l’honneur des poètes », et de ne plus rien écrire tant que durerait l’occupation nazie. Il faisait de toute façon preuve d’une remarquable modestie, dont témoigne cette lettre à Camus : « Mes poèmes sont ce qu’ils sont et je pense qu’ils valent peu de chose. Je me suis souvent demandé si je ne m’exerçais pas à la poésie pour me démontrer à moi-même que je n’étais pas poète, ou encore pour tuer en moi le prestige des mots qui est grand. J’ai parfois le dégoût de la poésie, qui est ma passion profonde. » Qu’écoutera l’auditeur à travers les quatre courts poèmes (écrits par René Leynaud avant que ne tombe le grand silence) et choisis par Gilbert Amy ? Un ton, bien sûr, et un regard sur le spectacle du monde, comme le compositeur aime aussi en transposer le geste quand il « commente » dans sa musique la peinture du XXe. Une « lumière », dans « Matin » : « Au ciel la terre transparaît…le matin s’avance et décrit / l’espace en concentriques lignes / qu’un point subtil du cœur résout. » Et dans « Dit », ce sera « la transparence de nos cœurs attentifs »… Belle mission émue pour le sourcier des sons qui va puiser à travers le roc des mots. Composées de 2003 à 2006 d’abord pour voix et piano, ces Mélodies sont ici dans leur version d’orchestre, avec la soprano Nathalie Gaudefroy.

Concerto, Rossignol et Valse

Le concerto pour piano, terrain classique et romantique par excellence, Gilbert Amy lui redonne même la découpe en 3 mouvements (vif, lent,vif) et 3 cadences (« toutes les bonnes choses vont par trois », disait Berg à propos de l’amitié !), à la différence de son concerto pour violoncelle, en 7 épisodes liés. « Les rapports entre le soliste et l’orchestre sont constamment soumis à un souci de clarté, jamais l’orchestre ne dispute le premier rôle au soliste . » Dans ce dialogue sans subordination, le rôle soliste revient à la jeune pianiste russe Alexandra Roshchina, entre autres lauréate du Concours pétersbourgeois « Maria Yudina » à l’âge de 19 ans. Le toujours passionnant –et perpétuellement mouvant en sa composition…- Orchestre du CNSM, guidé par le compositeur, devra ouvrir sa voie dans l’œuvre de deux compositeurs dont on peut penser que Gilbert Amy les a retenus aussi pour leur anti-émotivité (de principe !). Avec Stravinsky, ce sera Rossignol, un « opéra abandonné » de 1909-1914, « chinoiserie sur un conte d’Andersen » : commencé dans la somptueuse leçon de Rimsky-Korsakov, l’œuvre reçoit ensuite l’influence ultra-moderne du Sacre : dans son habit d’Arlequin, la partition déploie tous ses charmes exotiques (la gamme pentatonique chinoise) et européens. Et avec Ravel, on quitte sans toujours s’en rendre compte l’impersonnalité de l’horloger qui se voulait le plus souvent impassible. A l’inverse absolu de l’exercice de style (l’impeccable Bolero), la Valse (1919) est Tombeau de l’univers autrichien – et européen ; « elle brille, dit G.Amy, de l’éclat un peu blafard d’un monde en décomposition. » Pacifiste convaincu, Ravel – au sortir des horreurs de la guerre – craint sans doute un retour de la tragédie, et jusqu’à son propre crépuscule mental, sera conscient de l’horreur des régimes totalitaires qui s’annoncent et s’installent en Europe. Voilà ce que dit en fin de concert cette partition dont Gilbert Amy saura sûrement faire partager à ses jeunes musiciens les pré-échos dramaturgiques de ce que les Mélodies chantent en bonheur pacifique et si menacé par le retour de l’horreur.

CNSMD de Lyon: tél.: 04 78 24 10 14 ou www.cnsmd-lyon.fr

Maurice Ravel (1875-1937): La Valse. Igor Stravinsky (1882-1971): Rossignol. Gilbert Amy (né en 1936): Concerto pour piano, Quatre Mélodies sur des poèmes de René Leynaud.

Crédit photographique
Gilbert Amy © B. Adilon

Téléchargement: vers une libéralisation dynamique du marché?

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EMI, éditeur visionnaire?

La décision de l’éditeur britannique EMI de lancer son catalogue digital sans DRM, a sonné comme un tremblement de terre. En mai prochain, EMI proposera l’ensemble de son catalogue sur iTunes (et bientôt les autres plateformes de téléchargement) en deux options: avec ou sans DRM. La décision qui pourrait s’avérer décisive, relance l’hypothèse d’une dynamisation du marché de la musique digitale. Analyse des enjeux.

L’offre « sans DRM »: principe et coût

Emi a confirmé le 2 avril 2007, le lancement de son catalogue en ligne sans DRM. Décision historique qui devrait bouleverser la donne du marché numérique et surtout dynamiser (enfin) à sa juste cadence, la croissance économique des plateformes de téléchargement, soumises aux contraintes des verrous électroniques anticopie, les DRM, qui contraignent plus qu’ils ne stimulent le marché de la musique enregistrée, audio et vidéo.
Tous les titres de la maison britannique seront ainsi téléchargeables sans DRM (sauf les Beatles): ils pourront donc être téléchargés au format MP3. Et ce, dans tous les pays, d’ici la mi mai 2007. Première plateforme partenaire, relayant cette offre nouvelle: iTunes d’Apple. La vision de Eric Nicoli, patron d’EMi, est d’offrir très vite une offre complète, avantageuse, facile d’utilisation, accessible et confortable aux internautes mélomanes, désireux d’enrichir leurs collections de musique, via le téléchargement. Après avoir diabolisé les pirates en ligne, et déclaré vouloir poursuivre les contrevenants, il s’agit à présent de « faire confiance aux consommateurs, et de les éduquer ». Stratégie de partenariat et non plus de répression.
Cependant, acheter un titre que l’on pourra transférer sur n’importe quel baladeur, et autant de fois que l’on voudra, coûtera plus cher qu’un titre avec DRM. La liberté d’usage aura donc un prix. Mais chaque titre sans DRM téléchargé sera aussi de meilleure qualité. Ainsi sur iTunes/Apple, le titre sans DRM est de 1,29 euros (encodé au format AAC 256Kbit/s), et celui avec DRM, de 0,99 euros (encodé en AAC à 128 Kbit/s).

Le revirement du patron d’Apple

Le patron d’Apple, Steve Jobs entend sensibiliser les autres éditeurs de disques, afin de proposer à ses clients le catalogue d’iTunes, avec ou sans DRM, à la carte. D’autant que les labels indépendants ont accepté depuis plusieurs mois, l’offre sans DRM. Quelle est donc la motivation de Steve Job qui hier encore, prônait les DRM comme seul rempart contre le piratage, rendant son modèle exclusif avec DRM c’est à dire complètement verrouillé, iTunes/iPod, comme une référence incontournable…? Hier, la sécurisation à outrance, contre le piratage. Le verrouillage technologique contre la liberté des consommateurs.
Aujourd’hui, Steve Job aurait-il pris en compte les nombreuses associations de consommateurs (comme UFC Que choisir en France) dénonçant le monopole abusif d’Apple, s’imposant aux mélomanes internautes ? Ces derniers mois, la critique des associations de consommateurs s’était durci, menaçant concrètement Apple de poursuites juridiques…
Confronté à un tollé grandissant des consommateurs piégés par le modèle de la marque à la pomme, Steve Jobs s’est ravisé pour un autre modèle économique plus souple, et plus respectueux de ses clients finaux. A quel titre en effet, Apple obligeait jusque là tout acheteur de fichiers musicaux sur iTunes, de n’écouter ce dont il est propriétaire que sur un iPod, le baladeur exclusif de la marque?
Un tel système fermé est bel et bien lettre morte, y compris le modèle rival présenté il y a peu par Microsoft avec sa plateforme et son balladeur, « Zune ». Avorté avant même de s’être développé.

Les enjeux

L’abolition des DRM va-t-elle doper l’industrie de la musique en ligne, en particulier va-t-elle favoriser le confort et la liberté des consommateurs en permettant l’interopérabilité?
La décision d’EMI confirme la volonté de la major de reprendre des parts de marché, elle qui était en perte sensible, accusant même après Noël 2006, une baisse record de ses ventes de disques. Aujourd’hui, la marque rouge annonce vouloir d’ici 2010, transférer le quart de ses ventes sur Internet via le téléchargement. Le but final reste évidemment le chiffre d’affaires. Il lui est donc primordial de perfectionner ce qui manque encore cruellement sur le net: une offre en ligne attractive, facile, riche, de qualité et concurrentielle.

L’offre d’EMi tout en cherchant la multiplication de ses ventes va aussi dans le sens du consommateur. Désormais, tout titre EMI acheté sur iTunes pourra être lu sur tout type de balladeur (avant seul l’iPod était compatible). En intégrant le principe de l’interopérabilité, EMI passe un cap historique.

Après le confort et la facilité de l’achat en ligne, la guerre sera commerciale et vise le prix du titre « sans DRM ». Pour EMI, l’offre sans DRM, plus coûteuse, s’apparente à une offre « Premium ».
Qualité d’encodage supérieure, transfert aisé, nombre de copies illimitées: à 1,29 euros, le titre qualitatif, c’est à dire sans DRM, est encore positionné « luxe ». Pourtant les labels indépendants vendent sans supplément de prix leur titre sans DRM, à 0,99 centimes d’euros. Le débat à venir concernera donc le prix des catalogues sans DRM, à l’unité comme en album.

Perspectives

Par ailleurs, l’autorité de régulation des DRM, qu’avait légalisé la loi DADVSI légiférant le droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information, est remise en cause. Si demain les DRM, si contraignants pour les consommateurs, donc contraignants pour l’essor de la musique en ligne ne sont plus d’actualité, c’est désormais toute la chaîne industrielle de la musique en ligne qui doit être repensée, y compris les instances européennes missionnées pour réguler et moraliser activité et conditions de la filière de la musique numérique.

Les majors que l’on pointait du doigt, il y a quelques semaines encore, pour leur manque de stratégie numérique, semblent bien avoir changé de cap. Plus que jamais, Internet prend figure d’eldorado du marché musical (audio comme vidéo). Reste une question: que vont faire les autres groupes, tel Universal ou Sony/Bmg? 2007 est bien l’année de la révolution numérique!

Beethoven, P. de Montaigne. OSLV, Laurent Pillot.Lyon, les 20 et 21 avril 2007

Ludwig van Beethoven,
Messe en ut
, 1807

Pascal de Montaigne,
Sarn VI


(création mondiale)

Orchestre Symphonique
Lyon-Villeurbanne
,
Chœur d’Oratorio,
Laurent Pillot, direction

Eglise de l’Annonciation
(Lyon, 9 ème ardt)
Vendredi 20 avril 2007 à 20h30
Samedi 21 avril 2007 à 19h

Du classique
et du contemporain


Selon un schéma identique à celui de la Trinité et dans la même semaine d’avril, une autre église de l’agglomération lyonnaise – l’Annonciation, style moderne-modéré, dans le quartier de Vaise – accueille un programme classique-et-contemporain, entre Beethoven et de Montaigne. Ici, c’est un ensemble d’origine moins régionalisée qui travaille à la réalisation des deux œuvres, dont l’actuelle est en création mondiale. L’Orchestre symphonique Lyon-Villeurbanne est formé de plus de 70 instrumentistes, et depuis plusieurs années mène une politique de diffusion pour larges publics des grandes œuvres du répertoire classique, romantique et moderne. Le chef, Laurent Pillot, fondateur de son ensemble, a une expérience internationale du symphonique et du lyrique, commencée à l’Opéra de Lyon entre 1991 à 1996, et entre autres affirmée, après Salzbourg, Vienne ou Aix-en-Provence, en occupant de 2003 à 2006 le poste de directeur musical associé à l’Opéra de Los Angeles, auprès de Kent Nagano. La fusion orchestrale-chorale est très affirmée avec les Chœurs de Lyon-Bernard Tétu, notamment pour la section Oratorio que dirige Catherine Molmerret. Quatre solistes se joignent à l’ensemble dans la partition beethovénienne, les sopranos Virginie Pochon et Florence Villevière, le ténor Jan-Marc Bruin et la basse Frédéric Caton.

Les grosses colères de Ludwig

Car c’est d’abord du Beethoven musicien sacré qu’il s’agit. Opéra-Beethoven : vous dites Fidélio, et c’est fini (ou presque : ouvertures, esquisses…) et vous avez raison. Messes-Beethoven : Missa Solemnis. Point final ? Ecrasé par le chef-d’œuvre de 1822, vous oubliez une « petite » Messe de 1807, sans surnom, et seulement dénommée par sa tonalité (ut majeur) ou son n° d’opus (86). Négligeable ? Point du tout. Commandée par le prince Estherazy et peu appréciée par lui – d’où une grosse colère de l’auteur à la création et un départ-spectacle du château d’Eisenstadt – , l’œuvre ressemble par sa structure et ses principes de rapport à la liturgie et au dogme, aux œuvres contemporaines de Haydn, mais affirme la primauté du texte resté très intelligible. « Il y a beaucoup de joie dans tout cela, car le catholique va, le dimanche dans son église, joyeusement paré. » Est-ce le croyant Beethoven qui s’exprime ainsi ? Surtout le compositeur, sans doute, qui mesure et crée des « résonances » dans le cœur et l’esprit de l’auditeur, convié à participer à une exultation plus unanime. Les expansions grandioses et savantes à la fois seront la marque ultérieure et géniale de la « Solemnis ». Avec l’ut majeur : une église plus qu’une cathédrale, en somme, un monument plus habitable que la surhumaine œuvre de 1822, et dont le Kyrie traduit d’emblée le climat de prière presque tendre.

Le monde obsédant de Sarn

Laurent Pillot est très attaché pour la structure de ses concerts, à l’idée de ne pas couper des écritures modernes, voire actuelles, le répertoire qui va de la fin du XVIII ème au XX ème. C’est ainsi qu’il inscrit une pièce en création, puisée dans la série des « Sarn » composée par Pascal de Montaigne. La compositrice – vous lisez dans le prénom une orthographe exacte, ajoutée au patronyme, lui-même non-pseudo…- est auteure d’une œuvre peu prolixe, ce qui s’explique aussi par une très longue interruption d’activité, pour raisons graves de santé, entre les années de formation musicale (violon, piano, orgue et composition) et la reprise d’écriture au cours des années 1980. Même si Pascal de Montaigne est actuellement dans le projet d’une tragédie lyrique et musicale, son œuvre est surtout consacrée au piano (un prix au Concours International de Rome est venu la récompenser en 1999) et aux formations chambristes, éventuellement « agrandie » par les orchestrations. Au cœur de cette inspiration, et donnant son titre un peu mystérieux à toute la série d’une « work in progress », les Sarn, dont le concert de Vaise révélera la VI ème étape. « Sarn, explique le compositrice : néologisme obsédant, réminiscence du passé, vision d’un très étrange et sauvage univers qu’on peut percevoir en se penchant au dessus de l’abîme, à mi-chemin entre vertige et volupté. » De Sarn I à Sarn IX, il y a l’expansion d’un solo initial (piano) à un groupement instrumental qui finira en « nonette » (pour employer le terme traditionnel, d’ailleurs un rien inharmonieux), selon une probable symbolique de progression spirituelle.

Sarn VI, selon l’organiste et compositeur Loïc Mallié, correspond à une étape « depuis un langage proche du dodécaphonisme et de l’atonalité jusqu’à une polymodalité et des nuages de gammes par tons mélangés ». Mais aussi –et surtout ?- , au-delà du « tour de force esthétique », vers « une sensation indescriptible d’adoucissement ». Car Sarn, « néologisme obsédant » est aussi le titre d’un roman de l’Anglaise Mary Webb, œuvre hantée du début XX ème dans la tradition du roman de solitude féminine qui a marqué depuis toujours la compositrice. Les paysages hallucinés (« l’eau qui clapote, partout où vous regardez ou écoutez, de l’eau, des grands arbres immobiles et pensifs, le lieu qui semble avoir été créé juste une heure auparavant et pas pour vous ») renvoient à un univers mémoriel d’enfance et à un microcosme qui reflète les tentions intérieures de l’être. Ce « grand œuvre » au centre de la création musicale n’est pas sans faire penser dans son principe, à l’obsession pour Jean Barraqué du roman tentaculaire d’Hermann Broch, La mort de Virgile, qui « organisa » l’écriture du compositeur français disparu en 1973. Avec Sarn VI, une partition et un univers sont à découvrir…

Tél.: 04 72 98 25 30 ou www.solisteslyontetu.com

Illustrations
Ludwig van Beethoven, portrait (DR)
Mary Webb, autoportrait photographique (DR)

Paris. Salle Pleyel, le 1er avril 2007. London Symphony Orchestra. Valery Gergiev, direction.

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Malgré le temps printanier ce 1er avril à Paris, la salle Pleyel était comble pour écouter un programme copieux et intelligent, associant 2 œuvres essentielles de Debussy à 2 œuvres majeures de Stravinsky. Il faut dire qu’un orchestre de très haut niveau, le London Symphony Orchestra, et l’un des grands chefs du moment, Valery Gergiev, nouveau directeur musical depuis janvier, étaient au rendez-vous. A l’issue du concert le public conquis était débout réservant un accueil triomphal aux musiciens pour leur interprétation exceptionnelle. On le sait, l’Orchestre Symphonique de Londres est un magnifique instrument doué de capacités d’adaptation hors normes. Et sous la direction de ce démiurge qu’est Gergiev et seulement quelques mois après sa prise de fonction, la magie opère et le résultat est littéralement inouï.
Tout commençait par une « Symphonies d’instruments à vents » de Stravinsky, œuvre de 1920 dédicacée à Debussy, décédé 2 ans plus tôt, construite plans par plans et menée progressivement, grâce à une mise en place impeccable, vers une fin comme suspendue, apaisée et d’une très grande beauté. « La Mer » de Debussy qui suivait était, elle, agitée, plutôt 40 ème rugissants que Méditerranée, jaillissante, enchaînant les thèmes, climats, rythmes et ruptures dans un continuum à la puissance maîtrisée, menant cette fois à un final sonnant et éclatant d’une grande luminosité. On peut ne pas aimer cette façon d’interpréter Debussy mais il faut y reconnaître un mélange de sensualité, de force et d’émotion, assez rarement porté à ce niveau d’incandescence.
Après l’entracte, le « Prélude à l’après midi d’un faune », pris dans un tempo assez lent, dégageait une sensualité certes un peu alanguie, tout en restant subtile, que la direction de Gergiev, à la gestique incessante et parfois brouillonne, ne parvenait pas à troubler. Et ce long, très long, silence qui suit immédiatement l’introduction de la flûte, faisait à l’évidence déjà partie de ces moments miraculeux et suspendus où chacun retient son souffle.
« Le Sacre du Printemps » donné ensuite a certainement surpris plus d’un auditeur notamment par certains tempi inhabituels, allant parfois jusqu’à mettre en danger les musiciens, notamment dans le solo initial de basson, et également par des partis pris sans doute contestables mais toujours défendus avec passion. L’interprétation d’une puissance phénoménale et l’assemblage là encore, par plans sonores, à l’évidence sollicité par la direction de Gergiev comme par ses regards à tous les musiciens, étaient stupéfiants d’énergie et de force. On a entendu des sacres plus cérébraux, plus droits, plus orthodoxes, mais un sacre violent, cru, tribal, ce qui est certainement dans l’esprit de l’œuvre, comme celui donné ce jour là, à Pleyel, rarement. Malgré d’innombrables prises de risques et leurs conséquences ponctuelles marginales par rapport à l’enjeu, l’orchestre symphonique de Londres s’est couvert de gloire dans cette interprétation exceptionnelle. On retiendra notamment un timbalier puissant et précis, des cuivres brillants et capables de sons bouchés à la limite de l’audible, des cordes aux harmoniques riches, des vents d’une grande souplesse, le tout sans jamais omettre le sens de l’ensemble et du collectif qui sont la marque des très grands orchestres. Ce 1er avril 2007, à Pleyel, la magie de la musique a opéré. Debussy aurait sans doute aimé cette interprétation du Sacre du printemps, lui qui écrivait à André Caplet le 29 mai 1913, le soir de la création : « C’est de la musique sauvage avec tout le confort moderne ».

Paris. Salle Pleyel, le 1er avril 2007. Igor Stravinsky
(1882-1971) : Symphonie d’instruments à vents, Le sacre du printemps.
Claude Debussy (1862-1918) : La Mer, Prélude à l’après-midi d’un faune.
London Symphony Orchestra. Valery Gergiev, direction.

Crédit photographique
Valery Gergiev © S. Gusov

Niccolo Piccinni, Iphigénie en Tauride (1781) Paris, Radio France le 21 avril 2007 à 20h

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Niccolo Piccinni,

Iphigénie en Tauride
(1781)
Paris, Radio France
Le 21 avril 2007 à 20h

Version de concert

Twyla Robinson, Iphigénie
Gregory Kunde,
Luca Pisaroni
Choeur de Radio France
Orchestre National de France
Enrique Mazzola
, direction

Rival à Paris, du Chevalier Gluck, sous le règne de Louis XVI, l’italien né à Bari, Niccolo Piccinni, composa son Iphigénie en 1781, deux années après celle de Gluck. Maître de la veine réaliste,précurseur du drame bourgeois, à mi chemin entre tragique et comique, le compositeur estimé de Mozart, renouvela le théâtre lyrique en sachant synthétiser les genres seria et buffa. Radio France lui réserve un « week end entrée libre » en avril pour (re)découvrir l’oeuvre capitale d’un maître italien à Paris, compositeur favori de Marie-Antoinette qui composa sur les textes de Marmontel.

Niccolo Piccinni (1728-1800)
Formé à Naples par Durante et Léo, Piccinni fait ses débuts lyriques en 1754 avec Les donne dispettose qui suivent son seria, Zenobia (Naples, San Carlo, 1756, d’après Métastase). La Buona Figlia, dramma giocoso, créé à Rome en 1760, impose le compositeur de 32 ans, devenu expert dans une forme médiane entre seria et buffa. Piccinni poursuit la veine tragique et noble avec Olimpiade (1761), Artaserse (1762), Didone abbandonata (Milan, 1769), Alessandro nelle India (Naples, 1774) mais il donne le meilleur de lui-même dans le genre « giocoso »: La Molinarella (1766), La Locandiera di spirito (1768) sont deux chefs d’oeuvre irrésistibles qui le place comme le rival de Paisiello et Anfossi au début des années 1770.
Cadet de Jommelli et de Traetta, Piccinni incarne à Naples, la voie de l’avenir, celle dont s’inspireront après lui, Paisiello et Cimarosa, et même Bellini.
A Paris, il est accueilli comme une personnalité musicale illustre, et sur l’invitation de Marmontel accepte de rivaliser directement avec Gluck qui renouvelle alors, la scène tragique à l’Académie Royale de musique. Avec Roland (1778), Piccinni triomphe de son adversaire Gluck qui avait décliné l’affrontement. Phaon (1778), Atys (1780), puis Iphigénie en Tauride (1781) tentent vainement de percer auprès d’un auditoire curieux autant que volage, et qui l’oublie déjà au profit d’un autre compositeur italien, Sacchini que l’on préfère, malgré sa Didon (1783, sur un livret de Marmontel).
Piccinni, compositeur pour la Monarchie, fuit la Révolution, gagne Naples, Venise; il revient à Paris en 1798, où malgré quelques titres glorieux, il meurt misérable.

Illustration

Jacques-Louis David, portrait de madame Verninac en costume romain (DR)

Entretien avec Philippe Cassard, piano

Pianiste sensible et subtil, Philippe Cassard est aussi producteur sur France Musique où chaque vendredi, de 15h à 16h, grâce à son écoute vivante des oeuvres, les partitions des grands maîtres nous sont dévoilées, révélées, élucidées. Avec verve, pertinence et un don d’orateur qui sait convaincre par images et correspondances, son magazine « notes du traducteur », est un modèle de traduction musicale appliquée. Comment parler musique à la radio? Comment communiquer sa passion des sons, comment partager la signification et l’enjeu d’une phrase musicale? Entretien avec un homme de culture, pédagogue radiophonique, qui rétablit l’explication juste des notes comme il aime, libre et inspiré, jouer de son clavier.

Comment préparez-vous chaque programme de « Notes du traducteur » ? Sur quels critères choisissez-vous les œuvres abordées ?
 
Je décide en fonction des œuvres que je connais bien pour les avoir travaillées et interprétées pendant de longues années, qui sont en quelque sorte intégrées à mes gênes. Prenez par exemple l’Humoresque de Schumann, la dernière sonate de Schubert, les Préludes de Debussy : je les joue depuis plus de 20 ans !
J’aime aussi choisir des œuvres qui sont nouvelles à mon répertoire. Les aborder ainsi, en public, à la radio, m’oblige à soigner particulièrement mon travail sur le texte musical, à débusquer encore plus de détails de l’écriture, et à m’interroger sur leur signification. C’est assez rafraîchissant, pour moi, de devoir justifier mes choix et mes questionnements à un stade où l’œuvre que j’étudie est loin de m’avoir livré tous ses secrets. Cela invite aussi à l’humilité, quand on sait que rien n’est jamais fixé pour l’éternité, que l’évolution d’une interprétation est lente, soumise au doute, et qu’une première intuition, qui semblait a priori lumineuse, peut révéler ses faiblesses et sa part d’immaturité des mois ou des années plus tard.
 
Le fait qu’il s’agisse d’émissions destinées à être diffusées à la radio, influence-t-il votre approche pédagogique ?

L’enregistrement en public, qui m’apporte son écoute, son soutien, et l’adrénaline dont j’ai besoin, mais également le fait d’être face au piano, de ne pas avoir à répondre aux questions d’un journaliste -donc à m’exprimer via le mode de pensée d’autrui-, cela a constitué les deux principes de base de l’émission. Un mercredi après-midi par mois, quatre ateliers sont enregistrés dans la foulée au Studio 106 de la Maison de Radio France. 50 à 80 personnes sont présentes, dont je reconnais désormais certains visages, comme celui de cette dame presque nonagénaire, autrefois élève de Cortot, et qui vient chaque mois de Bruxelles en Thalys ! A l’antenne, l’émission dure 39 minutes.  En général, j’enregistre dans les conditions du direct, et sur une durée d’environ 45 minutes. (à l’époque où nous avons interrogé Philippe Cassard, le temps de son émission était de 39 minutes, diffusée la vendredi de 14h20 à 15h, ndlr). Après quoi, ma réalisatrice, Céline Parfenoff, et moi-même procédons au montage. Il s’agit en réalité d’un élagage qui réduit les silences, gomme les répétitions de mots, assure une certaine fluidité à chaque atelier. Comme j’aime particulièrement l’outil radiophonique, j’attache une grande importance au choix des mots, au ton employé, au rythme des commentaires :  c’est une autre partition qui doit se greffer harmonieusement sur l’exemple musical donné au piano ou sur l’extrait d’enregistrement illustrant mon explication : tout doit « chanter » avec autant de naturel que possible.
 
Vous parlez souvent dans vos commentaires de littérature, de poésie, de dramaturgie, en développant les analogies avec le théâtre, la voix, le chant et l’opéra. Est-ce une constante dans votre lecture générale des œuvres ?
 
La nature des commentaires varie en fonction des compositeurs abordés. Si je parle de dramaturgie dans le cas de Mozart, c’est que cela me semble évident : la Fantaisie K.475 en ut mineur, c’est un opéra miniature, avec son lever de rideau, ses arias, ses tutti d’orchestre, ses récitatifs, ses duos de sopranos. Si je veux évoquer la texture et le galbe de la cantilène chopinienne, je me réfère à Bellini, je fais écouter Rosa Ponselle, ou Benjamino Gigli pour que l’on sache ce que timbre et legato signifient ! Hans Hotter, quant à lui, cet immense Wotan, a su mieux que quiconque trouver la couleur juste, poignante, profonde du Wanderer schubertien, et il est, pour nous pianistes, source infinie d’inspiration. Harmonie du Soir de Liszt me fera irrésistiblement penser aux vers sublimes et incantatoires de Lamartine qui ouvrent ses Méditations Poétiques : à ce point, la voix du poète rejoint celle des chanteurs. Je suis en effet très sensible à la voix, au timbre, à l’expression qui se niche entre deux notes. Redisons que notre instrument est, au départ, fait de marteaux qui frappent les cordes et que nous devons le faire oublier !
 
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots, les programmes à venir consacrés à Beethoven, Brahms et Fauré ?

 
Il me paraît essentiel de re-situer chaque œuvre dans son contexte artistique et historique. L’évolution du compositeur existe bel et bien, alors que je suis souvent frappé par la manière dont on compresse le style : on ne peut tout de même pas jouer la première sonate, la 17ème (« La Tempête ») et l’op.111 de Beethoven avec le même son, avec la même intensité, les mêmes idiômes ! Les indications « allegro », « fortissimo », « largo » ne signifient absolument pas la même chose pour lui en 1796 et en 1815 ! Ainsi, j’envisage son 3ème concerto pour piano comme le frère aîné des deux concertos précédents et non pas comme le cadet des op.58 et op.73. Je mets en avant l’énergie juvénile, le caractère « con brio » du premier mouvement. Le largo central, en revanche, peut être interprété comme l’expression musicale la plus proche du Testament d’Heiligenstadt, écrit au même moment, dans lequel Beethoven exprime sa souffrance due à la surdité, et son retrait du monde. L’andante espressivo de la sonate op.5 de Brahms est une extraordinaire métaphore de l’acte amoureux qui n’est pas sans préfigurer Tristan et Yseult de Richard Wagner. Quant à Fauré, j’aimerais briser l’image de compositeur décoratif qui est encore la sienne aujourd’hui, même en France. Les 4ème et 5ème Nocturnes, par leur souffle, leur expression passionnée, l’ampleur des lignes mélodiques, annoncent La Bonne Chanson et les grandes œuvres de musique de chambre, le 2ème Quatuor avec piano notamment.
 
Vous préparez un livre et un disque sur Schubert, en particulier les Impromptus. Pourquoi cette affection pour l’auteur du Wintereise ?
 
Comme je le dis familièrement, si vous tombez dans la marmite de Schubert, vous ne pouvez pas et vous ne voulez plus en sortir ! Sa musique me touche au plus profond, par son humanité, sa générosité, sa sincérité désarmante. Elle ne s’adresse qu’à moi, quand Beethoven délivre son message à l’Univers. Ecouter ou jouer Schubert, c’est apprendre à mieux se connaître, comme son Wanderer qui part à la recherche de son autre lui-même. A Vienne, quand j’étais étudiant, mon professeur pour l’accompagnement du lied, Erik Werba, m’a fait découvrir des centaines de Lieder de Schubert. J’ai aussi eu la chance d’écouter de nombreux récitals de Christa Ludwig, Margaret Price, Brigitte Fassbaender et Gundula Janowitz. Lorsque j’ai étudié la Sonate D960, à 19 ans, il est indéniable que je suis passé à côté de cette œuvre immense, je n’ai fait que la survoler. Mais comme ce premier travail a été utile, pour la suite, car le « filtre d’amour » pour Sc
hubert avait été inoculé au bon moment !
 

Agenda

 
Festivals de l’été 2007
Chopin à Bagatelle (28 juin), Estivales du Château à Chambéry (22 juillet), Briançon (6 août), La Roque d’Anthéron (9 août), Manchester (18 août), Lincoln (24-27 août), festival des Cathédrales en Picardie (7 septembre), Vaisseau Fantôme Romantique, Paris (16 septembre).
 
Mars 2008
Sortie d’un CD (Accord-Universal) avec les Impromptus op.90 et op.142 de Schubert, d’un essai sur Schubert (Editions Actes Sud-Classica), et récitals en France et à l’étranger (TCE, Paris, 31 mars 2008).

Crédit photographique
© Peter Knapp

Sergey Khachatryan, violon. Paris,Théâtre des Champs-Elysées. Le 27 avril 2007 à 20h

Sergey
Khachatryan
,
violon

Paris, Théâtre des Champs-Elysées
Le 27 avril 2007 à 20h

Bach, Franck, Chostakovitch
Lusine Khachatryan, piano

A 21 ans, le violoniste arménien Sergey Khachatryan poursuit un début de carrière particulièrement prometteur. Premiers Prix des Concours Sibelius d’Helsinki en 2000, de la Reine Elisabeth, à Bruxelles, en 2005, l’interprète a suscité l’attention lorsqu’est paru chez Naïve son premier album, en 2003 comprenant le Concerto de Sibelius. Ses lectures suivantes, des concertos de Chostakovitch et de Beethoven ont confirmé le talent exceptionnel dont Sergey Khachatryan fait montre: il associe à sa technicité fluide et intense, une musicalité riche et très habitée.
Pour ce premier concert parisien, le violoniste a choisi d’être accompagné par sa soeur, la pianiste Lusine Khachatryan.
Le programme est éclectique et redoutablement virtuose: Chaconne pour violon seul de Bach, Sonate de Franck, enfin Sonate de Chostakovitch

Renseignements et réservations: par téléphone au 01 49 52 50 50 ou sur internet: www.theatrechampselysees.fr. Tarifs : de 5 à 62 euros.

Crédit photographique
Sergey Khachatyran (DR)

Le Monde de la Musique n°319 – Avril 2007 – 5,50 euros

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En couverture, « né le 27 mars », Mstislav Rostropovitch souffle ses « 80 ans de passions ». Parce que « sa vie est devenue une tranche d’histoire, que le citoyen et le violoncelliste sont des modèles pour des générations d’artistes, Rostropovitch « est entré dans la mémoire collective ». Grand dossier de 10 pages: discographie des « indispensables » (comme violoncelliste, pianiste et chef…), et coffrets hommage, témoignages de Dutilleux, Tanguy, Etienne Vatelot, Xavier Philips… articles thématiques: « le créateur d’oeuvres », « dates clés », « les secrets d’une incroyable technique »…
Centenaire de la mort oblige, visite à Troldhaugen, la maison que Edvard Grieg a habité pendant les 20 dernières années de sa vie, « avec la meilleure des guides, la pianiste Shani Diluka ». Discographie, agenda des concerts Grieg 2007.
« Légende vivante de la direction », « ami de Chostakovitch » (dont il a créé bon nombre de symphonies), portrait du chef « croyant en plein stalinisme », Evgueni Mravinski. Dates clés, discographie.
Née la même année que Rostro, elle fête aussi ses 80 ans: entretien avec la soprano Régine Crespin, « la plus grande chanteuse française depuis Germaine Lubin », qui revient  » sur les joies et les drames de sa riche existence ». Dates clés, discographie.

Votre Monde de la Musique d’avril 2007, ce sont aussi: toute l’actualité des cd dont les 12 « chocs du mois », des dvd, des livres. Nouveautés Hi-Fi: « moisson d’avril » (lecteur de cd, ampli ou enceintes: six appareils sélectionnés). Instruments: « un piano numérique équipé d’une véritable mécanique de piano à queue »: « Bösendorfer l’a fait ». Spectacles à l’affiche: l’agenda des concerts et des opéras d’avril 2007. Radio-Télé: supplément des programmes. « Passion Musique »: l’invité du mois est « le grand écrivain espagnol de langue française »,Jorge Semprun qui rappelle entre autres, le sens et l’enjeu du jazz à Buchenwald…

Ce que nous avons aimé
– Pleins feux sur la « revanche » d’Annick Massis, soprano « oubliée » des scènes françaises qui a récolté un succès mérité en mars 2007, sur la scène de l’Opéra Bastille, dans le rôle d’Eudoxie dans La Juive d’Halévy (diffusion sur France Musique, le 21 avril 2007 à 19h. Lire notre mag radio, voir le « Top 5 radio » d’avril 2007).
– La pianiste roumaine Dana Ciocarlie rend hommage à son prédécesseur et compatriote, Dino Lipatti, à l’occasion des 90 ans de sa naissance. Portrait et témoignage, agenda des concerts de Dana Ciocarlie en avril et en mai 2007. 130 pages.

Christoph Prégardien (ténor) en récitalAnvers. deSingel, les 24 et 25 avril 2007

A peine sorti de la saison pascale qui le voit arpenter la Belgique (et le reste du monde) avec la Passion selon Saint-Jean de Bach, Christoph Prégardien est de retour à Anvers les 24 et 25 avril 2007, pour présenter à deSingel le Winterreise de Schubert et le Italienisches Liederbuch de Hugo Wolf. Deux soirées de plénitude et de ravissement en perspective, deux occasions de redécouvrir deux pages essentielles du lied allemand en compagnie d’un incontestable spécialiste du genre.

Lorsque Schubert (1797-1828) fit entendre à ses amis son Voyage d’hiver, ils furent déconcertés, presque déçus, par l’extrême mélancolie, le pessimisme aigu, jusque là inédit et inouï, de la symbiose musico-littéraire réalisée par Schubert au départ des poèmes de Wilhelm Müller, à la simplicité et la naïveté désarmantes. Et pourtant, les premières auditions publiques à Vienne en 1827, recueillirent d’emblée enthousiasme et admiration et menèrent rapidement l’incomparable cycle schubertien, entouré de la Schöne Müllerin (1823) et du Schwanengesang (publié à titre posthume en 1829), au firmament du répertoire. Christoph Prégardien et Andreas Staier ont une connaissance intime du Winterreise, pour l’avoir interprété ensemble à maintes reprises et pour en avoir réalisé un enregistrement mémorable (Teldec), loué unanimement par la presse musicale et qui présente l’originalité d’être interprété sur un Hammerflügel viennois contemporain de la composition.

Hugo Wolf (1860-1903), cet autre Wanderer du lied, a mis en musique plus de 300 poèmes. Puisant son inspiration notamment dans l’Espagne et l’Italie, il produisit d’abord un Spanisches Liederbuch (1890), puis un Italienisches Liederbuch (1890-1896), recueil considérable comprenant pas moins de 46 mélodies mises en musique sur des poèmes traditionnels ou populaires italiens, traduits et retravaillés par le poète allemand Paul Heyse. Tendresse, affection. Passion, enthousiasme. Dépit, jalousie, revanche … Wolf donne la parole tantôt au jeune homme, tantôt à la jeune fille, s’affirmant en digne héritier de Schumann, celui du Frauenliebe- und Leben, pour mettre à nu en une myriade de miniatures façonnées avec une sensibilité tout aussi hors du commun que celle de son prédécesseur rhénan, toutes les configurations de l’amour émotion, de l’amour sentiment, de l’amour pulsion. Plus de dix ans après l’avoir interprété en cette même Salle bleue du Singel avec Juliane Banse (1996), c’est cette fois en compagnie de la jeune Julia Kleiter (elle fut une Pamina remarquée dans la Flûte enchantée à l’Opéra Bastille lors de la saison 2003-2004, avant d’être une exquise Paganena dans la Flûte d’Abbado chez Deutsche Grammophon), que Christoph Prégardien nous convie à appréhender l’insaisissable, l’inépuisable éventail de nuances qui jaillit d’un coeur amoureux. Au piano, Hilko Dumno, accompagnateur privilégié des masterclasses de Christoph Prégardien.

Agenda et programme
Anvers, deSingel
mardi 24 avril 2007 à 20h
avec Andreas Staier (piano)
Franz Schubert: Winterreise D.911

mercredi 25 avril 2007 à 20h
Anvers, deSingel
avec Julia Kleiter (soprano), Hilko Dumno (piano)
Hugo Wolf: Italienisches Liederbuch

Approfondir
La présentation détaillée des programmes et les informations pratiques (en néerlandais, français et anglais) sur www.desingel.be

Découvrez les sites de Christoph Prégardien et Andreas Staier:
http://www.pregardien.com
http://www.andreas-staier.de

Crédit photographique
Christoph Prégardien (DR/Rosa-Frank.com)

Giuseppe Verdi, La TraviataFrance 3. Le 14 avril 2007 vers 22h30

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Giuseppe Verdi,
La Traviata
, 1853

France 3.
Le 14 avril 2007 vers 22h30

L’Heure de l’Opéra
Documentaire, 2006. 52 mn. Réalisation: Jérémy Rozen

Casting de rêve
Après un premier volet consacré au Barbier de Séville de Rossini, Alain Duault analyse et commente un nouvel ouvrage lyrique, La Traviata de Giuseppe Verdi. L’oeuvre créée à la Fenice de Venise, le 6 mars 1853, connut un échec retentissant, a contrario de son succès actuel.
Casting de rêve ce soir au programme du deuxième documentaire de la série « L’heure de l’opéra » proposée par France 3. Les meilleurs interprètes de l’heure répondent aux questions d’Alain Duault: les Violetta d’hier (Ileana Cotrubas qui fut une Violetta d’anthologie sous la direction de Carlos Kleiber!), et de demain (Natalie Dessay qui chantera le rôle en 2009), sans omettre celle d’aujourd’hui: rien de moins que la soprano qui monte, née russe, citoyenne autrichienne depuis peu, l’irrésistible Anna Netrebko. De nombreux extraits musicaux sont tirés de la production enregistrée au Festival de Salzbourg en 2005, avec la soprano, et Rolando Villazon, son partenaire de prédilection.
Autres témoins: June Anderson, Patrizia Ciofi, le chef Jean-Claude Casadesus et la metteuse en scène, Irina Brook. En complément, un hommage est rendu à Maria Callas qui sut en 1955, exprimer l’humanité émouvante de la comédie de moeurs.

Comédie de moeurs, sombre et sacrificielle
L’histoire des papillons d’un jour a toujours fasciné les imaginations ardentes et romantiques. La vie de la vraie « Traviata » fut un feu de paille, aussi flamboyant qu’éphémère. D’ailleurs, la production lyrique qui illustre le propos, dans la mise en scène de Willy Decker, met l’accent sur le sentiment d’un temps compté. L’héroïne a-t-elle conscience de vivre ses derniers instants au travers d’un amour miraculeux? C’est pourtant ce qui se passe et lui assure, d’une certaine façon, sa rédemption après une vie de débauche et de perdition morale.
De son véritable nom, Alphonsine Duplessis née en Normandie devint à Paris, Marie Duplessis, l’une des courtisanes les plus célèbres du Paris des années 1820. Elle devait mourir à 24 ans. L’un de ses admirateurs, Alexandre Dumas fils lui dédia son roman et une pièce de théâtre, « La Dame au camélias » où l’héroïne s’appelle Marguerite Gautier. Verdi remarque la pièce et décide de l’adapter en opéra: ainsi la Traviata (la dévoyée) allait naître sous le nom de Violetta Valéry.
La Traviata est un ouvrage sombre et sacrificiel, pourtant emprunt d’un certain mysticisme amoureux. Au moment de mourir, Violetta Valéry, courtisane parisienne, suscite un pur amour, celui d’Alfredo. Touchée par son innocence et sa pureté, la courtisane se laisse séduire, s’éveillant peu à peu à cette idylle sincère.
Sous la pression sociale, incarnée par le père du jeune homme, la femme renonce au désir naissant afin de ne pas ternir l’honneur de la famille de son jeune amant. Dure loi de l’opéra que d’opposer toujours, la liberté des coeurs à l’inflexible morale bien pensante. Le rôle est devenu incontournable pour toute soprano dramatique, soucieuse d’imposer en plus de sa vocalità, un jeu dramatique, intense et tragique.
Verdi traite ici pour la première fois, une intrigue dont le cadre est sa propre époque: le Paris du XIXème siècle. Le dramaturge qui a souvent traité le roman historique d’après Hugo ou Shakespeare, s’intéresse, en un huit clos à trois (Violetta, Alfredo, Germont qui est le père d’Alfredo), à un fait divers, une comédie de moeurs, intimiste, presque étouffante. Visions des interprètes sur chacun des personnages, commentaires sur la musique et le développement du drame qui trouve aussi dans la vie personnelle du compositeur de douloureuses résonances, la réalisation du documentaire s’avère instructive.
En 52 minutes, tous les aspects d’une oeuvre majeure de l’opéra romantique italien nous sont révélés.

Après le documentaire, la version intégrale
Le documentaire est suivi de la diffusion de l’opéra dans sa version intégral. Certes les versions de légende ne manquent pas : Maria Callas, Ileana Cotrubas, voire Montserrat Caballe, autant d’enregistrements aujourd’hui, heureusement gravés, dont le disque garde le souvenir… Mais côté vidéo? Depuis l’essor du dvd, les mises en scènes sont l’autre aspect qui pèse dans la balance d’une vérité dramatique souvent malmenée. Alain Duault a l’idée juste d’illustrer son documentaire par la version intégrale de la production produite au Festival de Salzbourg en 2005.
Pour beaucoup de mélomanes, le film fut un choc. Paru après l’album cd, le film en dvd édité aussi chez DG rétablissait la « vérité » des acteurs, la justesse de leur personnage, dans le dispositif à l’implacable froideur de Willy Decker.
On avait souligné la faiblesse vocale des chanteurs, on découvrait la cohérence du spectacle.
La palme de ce « miracle » visuel et filmique revient pour beaucoup à la caméra de Brian Large qui parvient, insigne de pertinence, à restituer, le souffle et l’urgence, l’émotion et la sensibilité du spectacle vivant.
Avec une volonté affirmée, récurrente de serrer les visages, piéger les plans rapprochés afin de mieux saisir la psychologie des protagonistes.
La netteté des contrastes entre le blanc et le noir où « crie » le rouge sang de la robe pourtant fleurie de Violetta, rose fatale, accable davantage le déroulement de cette « tragédie ». Avec ses airs d’Amfortas, Hampson (Germont) incarne un père et un homme loyal, blessé, digne, compassionnel. Villazon paraît hagard, en suspension, égaré, perdu comme un enfant démuni, et Netrebko, sur laquelle tout un milieu musical a fondé ses rêves (fantasmes), ses espoirs surtout, donne une dimension très humaine, presque terrassée de la courtisane, prise dans les rets de l’amour… Chacun est victime, en proie à des expressions propres au cinéma des années 1940: c’est décapant et grandiose. Pleinement investi, incarné. Théâtralement bouleversant car ici le chant n’est qu’un élément de la tension scénique, pas son aboutissement. Le sublime à l’opéra, comme on aime! Un très grand spectacle.

Giuseppe Verdi (1813-1901)
La Traviata

Violetta Valery : Anna Netrebko
Alfredo Germont : Rolando Villazon
Giorgio Germont : Thomas Hampson
Annina : Diane Pilcher
Dottore Grenvil : Luigi Roni
Wiener Philharmoniker
Carlo Rizzi, direction
Enregistrement en public, Festival de Salzbourg 2005
Mise en scène : Willy Decker. Réalisation : Brian Large
La production salzbourgeoise est l’objet d’un dvd incontournable, paru chez Deutsche Grammophon.

Illustrations

William Bouguereau, Vénus (DR)
Le duo désormais légendaire qui éblouit le festival de Salzbourg 2005 : Anna Netrebko et Rollando Villazon (DR)

Anna Netrebko, diva d’avril et de mai 2007Sur France 3, Mezzo, Arte: Anna Netrebko, la diva télégénique

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Anna Netrebko, soprano
Diva d’avril 2007

France 3

Le 14 avril 2007 à 22h30
Verdi, La Traviata.
« L’heure de l’Opéra »,
documentaire, inédit.


Mezzo

A partir du 21 avril 2007 à 20h45
Mozart, Les Noces de Figaro.
Production 2006.
Direction: Nikolaus Harnoncourt.


Arte

Le 9 mai 2007 à 20h15
Manon de Jules Massenet
avec Rolando Villazon.
Opéra
Unter der Linden de Berlin.
Direction: Daniel Barenboim

Le 13 mai 2007 à 19h:
Récital à Saint-Pétersbourg (2003)

De Susanna à Violetta, la diva télégénique

A l’affiche de France 3, le 14 avril en deuxième partie de soirée, dans un documentaire exceptionnel dédié à La Traviata de Verdi, puis sur Mezzo, dans les Noces de Figaro, à partir du 21 avril 2007 à 20h45, sous la direction de Nikolaus Harnoncourt, la diva de l’heure, Anna Netrebko n’en finit pas d’imposer l’éclat de sa voix lumineuse et la présence de son tempérament dramatique. En duo avec Rolando Villazon pour Verdi, aux côtés de Dorothea Röschmann et Christine Schäfer, chez Mozart, la cantatrice russe, née en 1971, depuis naturalisée autrichienne, éclaire différemment la sensibilité de chacun de ses rôles féminins. Portrait d’une chanteuse télégénique.

Premier prix du concours Glinka de Moscou, en 1993, à 22 ans, Anna Netrebko rejoint la troupe du théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg. Elle s’y impose dans le rôle de Suzanne des Noces de Figaro, dès 1994. C’est qu’en plus d’une voix de velours, au timbre chaud et opulent, elle affirme la vraisemblance d’un physique inoubliable, ténébreux et fatal mais aussi à l’innocence romantique. En 2002/2003, la soprano dramatique ajoute un nouveau rôle à son répertoire, celui de Violetta Valéry, l’héroïne de La Traviata de Giuseppe Verdi, qu’elle chante, suscitant un triomphe, sous la direction de Nikolaus Harnoncourt à l’Opéra d’état de Bavière. Elle signe alors un contrat d’exclusivité avec Deutsche Grammophon. Dès lors, la chanteuse, aujoud’hui âgée de 36 ans, poursuit une carrière exemplaire grâce au choix mesuré des rôles abordés et une discipline vocale qui rend chacune de ses incarnations, convaincante pour ne pas dire captivante. En 2005, elle a fait ses débuts dans Juliette pour Roméo et Juliette de Gounod, à Los Angeles.

Bellini, Verdi, Glinka, Tchaïkovski
La voix a évolué. Le timbre s’est étendu, quelques aigus sont perdus mais l’intensité et le feu dramatique sont intacts. Si elle chantait Gilda dans Rigoletto de Verdi, n’éprouvant aucune difficulté dans les aigus verdiens, Anna Netrebko avoue rechercher aujourd’hui, entre autres, le chant du bel canto romantique, celui précisément de Bellini qui « est idéal pour placer la voix, pour le contrôle du souffle, pour la longueur du phrasé« . A l’agilité du coloratoure, elle préfère le dramatisme et la clarté de la ligne. Ce qui la rapproche de Callas et de Renata Scotto plutôt que de Tebaldi et de Gruberova. Bellinienne racée, Anna Netrebko abordera à Paris, sur la scène de Bastille (en mai 2008), la rôle de Giuletta dans I Capuletti ed i Monteccchi (avec Joyce DiDonato comme partenaire, dans le rôle de Romeo). Mais, le personnage final qu’elle s’est choisi pour cible, demeure Norma. Car les grands défis dramatiques sont à venir. Et pour mieux les servir, il faut apprendre à s’économiser. Parce qu’elles ont su préserver dans la durée l’âme de leur voix, Renata Scotto qui est son « mentor » et qu’elle admire pour ses lectures des rôles de Gilda ou de Luisa Miller, ou Mirella Freni, restent des « modèles ».
Evidemment, Anna Netrebko pense aux héroïnes verdiennes, dans le sillon tracé par sa Violetta. Un rôle qui l’a révélé au Festival de Salzbourg 2005, édité au cd, puis enregistré au dvd (Deutsche Grammophon), et qui souligne la cohérence de son jeu dramatique, malgré l’amplitude de la scène du Grosses festpielhaus, restructurée alors dans la mise en scène, épurée, implacable, de Willy Decker.
Aux côtés de Verdi qu’elle admire parce que décidément l’italien est une langue qui lui va parfaitement (même si elle vient d’ajouter à son carnet de rôles, Manon de Massenet), l’opéra russe figure aussi en bonne place. La Ludmilla de Ruslan et Ludmilla de Glinka, chante à présent Yolanta de Tchaïkovski, un rôle qu’elle s’apprête à enregistrer sous la direction de Valéry Gergiev, aux côtés de René Pape et du ténor Rolando Villazon, son partenaire de prédilection.

Diva autrichienne et mozartienne
Aujourd’hui, Anna Netrebko, après son succès salzbourgeois a pris la nationalité autrichienne. Elle se félicite d’avoir enregistré Desdémone, dans Otello de Verdi, sous la baguette de Claudio Abbado (avec les instrumentistes du Mahler Chamber Orchestra, tous saisis par le charisme de leur rencontre). La diva, réservée et toujours très réfléchie quant à ses prochains rôles lyriques, précise qu’elle ne chantera pas La Comtesse des Noces car après Donna Anna dans Don Giovanni (Londres, Royal Opera House, en juin et juillet 2007), elle préfère se concentrer sur le personnage d’Elettra d’Idomeneo. Le rôle sombre et passionné, maudit et sanguin, convient parfaitement à son tempérament « lunaire » : il révélera une personnalité vocale autant que théâtrale qui aura su, en 2009 sur la scène du Châtelet à Paris, évoluer encore et gagner en instinct comme en musicalité.

Télé

France 3

Le 14 avril 2007 à 22h30. Verdi, La Traviata. « L’heure de l’opéra », documentaire d’Alain Duault (2007, 52mn). Réalisation: Jérémy Rozen.
Genèse, analyse et décryptage de l’opéra de Verdi avec comme illustration sonore et visuelle, la production de Salzbourg, réunissant le duo Anna Netrebko et Rolando Villazon, dans les rôles principaux de Violetta et Alfredo. Le documentaire est suivi de la diffusion de l’opéra dans sa version intégrale, dans la version du Festival de Salzbourg 2005.

Mezzo

Le samedi 21 avril 2007 à 20h45. Mozart, Les Noces de Figaro. Opéra (2006, 3h20). Réalisation: Brian Large.
Mise en scène par Claus Guth. Anna Netrebko (Susanna), Christine Schäfer, Dorothea Röschmann, Bo Skovhus et Ildebranco D’Arcangelo. Orchestre Philharmonique de Vienne, direction: Nikolaus Harnoncourt.

Arte

En mai 2007, Arte célèbre à son tour le talent de la diva de l’heure, Anna Netrebko.
Le 9 mai 2007 à 20h15: Manon de Jules Massenet avec Rolando Villazon. Production de l’Opéra Unter der Linden de Berlin. Direction: Daniel Barenboim. Enregistré en Avril 2007.
Le 13 mai 2007 à 19h: Récital avec le baryton Dmitri Hvorotovsky, enregistré à Saint-Pétersbourg en 2003. Avec le Philharmonque de Saint-Pétersbourg sous la direction de Yuri Temirkanov.

Sélection cd
Enregistré en décembre 2005 puis mai et juin 2006, le programme de cet album révèle le timbre corsé, ample, ardent de la soprano dans plusieurs airs russes, sa langue natale, accompagnée par Valery Gergiev qui fut le premier à remarquer son intensité voire son « feu » dramatique. Gergiev a oeuvré pour la reconnaissance de nombreux opéras russes, y compris en mettant l’accent sur certains ouvrages de Tchaïkovsky, comme Yolanta (1892), dont la présence à l’affiche des théâtres européens, reste encore exceptionnelle. De fait, l’empathie entre soliste et chef fonctionne à merveille dans ce répertoire marqué par la sombre et lyrique mélancolie russe.
Yolanta est une très belle entrée en matière et les Glinka qui suivent, dont Une vie pour le Tsar (1836), montre l’hypersensibilité fragile, blessée dont la cantatrice est capable, dans un cantabile à la vocalité, pure et tendue. L’air d’Antonida fait valoir la soie et le velours d’un chant fervent qui d’ailleurs se marie idéalement avec le timbre de la clarinette. Quant à l’aria de Marfa à l’acte IV de la Fiancée du Tsar (1899), la passion brûle et l’embrasement portée par la jeune soprano se déploie davantage encore, dans la scène de la lettre d’Eugène Onéguine où Tatiana exprime le violent sentiment d’amour qui la saisit après avoir rencontré Onéguine. Le programme met en avant l’irrésistible charme d’une voix naissante qui s’impose par sa passion déjà pleine, incandescente dans un répertoire de mélodies et d’airs russes qu’elle sert admirablement (1 cd Deutsche Grammophon 00289 477 6151).

Enregistré en août 2006, le récital donne à entendre un duo qui sur la scène s’est imposé peu à peu. En Rolando Villazon, Anna Netrebko a trouvé un partenaire privilégié, recherché, désormais complice. Un interprète fraternel dont elle partage la fraîcheur, l’ardeur, l’implication juvénile, et sur la scène, une présence souvent en adéquation avec les rôles traversés par le désir et la tragédie. Autant dire que la sélection des duos, extraits de l’opéra italien, russe (pour elle), français, de la Zarzuela (chanté en espagnol, donc pour lui), un répertoire dont on sait l’implication du ténor mexicain, permet d’écouter les sémillantes voix dans des rôles au dramatisme ardent et sensuel, taillés pour leurs qualités accordées. « La » Netrebko qui a derrière elle une sérieuse carrière en particulier salzbourgeoise où elle fut de 2002 à 2006, Donna Anna, Violetta, Susanna, des rôles qui l’ont imposée au firmament des grandes divas en devenir, fusionne totalement avec son partenaire, d’une élégance rare. Leur Bohême illustre le rêve suspendu de deux coeurs en extase, Lucia puis Rigoletto sont enchaînés avec un même état de grâce; jusqu’aux deux opéras français, Bizet (Les Pêcheurs de Perles, duo Leïla/Nadir), et Massenet (les retrouvailles de Des Grieux et de Manon à Saint-Sulpice…) où l’engagement des chanteurs fait oublier l’articulation un rien défaillante: en maîtresse repentante, Netrebko sait retrouver les arguments justes pour la reconquête de son ancien amant! S’il n’étaient les redoutables airs de pure colorature, sa Manon mériterait d’être prolongée sur la scène, tant dans ce tableau déchirant, la soprano est juste. Mais plus qu’une voix mise en avant, c’est bien le genre du duo qui est magnifiquement vécu, intensément défendu, avec une passion également partagée. Une excellente réalisation, d’autant que Nicola Luisotti à la tête de la Staatskapelle Dresden, cisèle, ne force jamais, trouve aussi l’intonation précise et nuancée. Plaisir et délectation garantis (1 cd Deutsche Grammophon 00289 477 6457).

Sélection dvd
Certes les versions de légende ne manquent pas : Maria Callas, Ileana
Cotrubas, voire Montserrat Caballe, autant d’enregistrements
aujourd’hui, heureusement gravés, dont le disque garde le souvenir…
Mais côté vidéo? Depuis l’essor du dvd, les mises en scènes sont
l’autre aspect qui pèse dans la balance d’une vérité dramatique souvent
malmenée. Alain Duault a l’idée juste d’illustrer son documentaire par
la version intégrale de la production produite au Festival de
Salzbourg en 2005.
Pour beaucoup de mélomanes, le film fut un choc.
Paru après l’album cd, le film en dvd édité aussi chez DG rétablissait
la « vérité » des acteurs, la justesse de leur personnage, dans le
dispositif à l’implacable froideur de Willy Decker.
On avait souligné la faiblesse vocale des chanteurs, on découvrait la cohérence du spectacle.
La
palme de ce « miracle » visuel et filmique revient pour beaucoup à la
caméra de Brian Large qui parvient, insigne de pertinence, à restituer,
le souffle et l’urgence, l’émotion et la sensibilité du spectacle
vivant.
Avec une volonté affirmée, récurrente de serrer les visages,
piéger les plans rapprochés afin de mieux saisir la psychologie des
protagonistes.
La netteté des contrastes entre le blanc et le noir
où « crie » le rouge sang de la robe pourtant fleurie de Violetta, rose
fatale, accable davantage le déroulement de cette « tragédie ». Avec ses
airs d’Amfortas, Hampson (Germont) incarne un père et un homme loyal,
blessé, digne, compassionnel. Villazon paraît hagard, en suspension,
égaré, perdu comme un enfant démuni, et Netrebko, sur laquelle tout un
milieu musical a fondé ses rêves (fantasmes), ses espoirs surtout,
donne une dimension très humaine, presque terrassée de la courtisane,
prise dans les rets de l’amour… Chacun est victime, en proie à des
expressions propres au cinéma des années 1940: c’est décapant et
grandiose. Pleinement investi, incarné. Théâtralement bouleversant car
ici le chant n’est qu’un élément de la tension scénique, pas son
aboutissement. Le sublime à l’opéra, comme on aime! Un très grand
spectacle.
Giuseppe Verdi (1813-1901): La Traviata. Violetta Valery : Anna Netrebko, Alfredo Germont : Rolando Villazon, Giorgio Germont : Thomas Hampson, Annina : Diane Pilcher, Dottore Grenvil : Luigi Roni. Wiener Philharmoniker, Carlo Rizzi, direction. Enregistrement en public, Festival de Salzbourg 2005. Mise en scène : Willy Decker. Réalisation : Brian Large (1 dvd Deutsche Grammophon 0440 0734 196).

Crédit Photographique
Anna Netrebko © Kassakara pour Deutsche Grammophon
Anna Netrebko dans le rôle de Violetta Valéry dans La Traviata de Giuseppe Verdi (DR)

Fromental Halévy, La Juive (1835)France Musique, le 21 avril 2007 à 19h

Fromental Halévy
La Juive
, 1835

France musique,
Le vendredi 21 avril 2007 à 19h

Production de l’Opéra national de Paris, présentée en mars 2007 sur la scène de l’Opéra Bastille. Enfin, l’un des chefs-d’oeuvre oubliés de l’opéra, nous est restitué. A défaut de revoir la mise en scène parisienne d’André Engel qui reste obsédé par une ossature métallique qui rappelle la Tour Eiffel, vous pourrez écoutez les chanteurs de cette reprise d’une oeuvre écartée de la scène parisienne… depuis 1934.
Dans la fosse, Daniel Oren sait mesurer le propos d’un orchestre lourd qui verserait facilement, écriture oblige et genre désigné, dans l’académisme rigide.
Côté vocal, seules les sopranos, Anna Caterina Antonacci en Rachel (La Juive) et Annick Massis (Eudoxie) tirent leur épingle du jeu: noblesse, inspiration, articulation, style. Rien ne leur résiste! La première avait déjà dévoilé son feu et son intensité racée dans Les Troyens de Berlioz (Cassandre hallucinée) sur la scène du Châtelet (heureusement filmé par Opus Arte); la seconde a vécu grâce à cette prise de rôle frappante pour ne pas dire historique, une reconnaissance à Paris autant méritée que tardive.
Saluons l’Opéra de Paris, donc Gérad Mortier, d’avoir reprogrammé cette oeuvre tant célébrée à son époque, dont la violence et la modernité inouïes de l’intrigue et du sujet ont gardé leur triste actualité.
L’oeuvre dénonce l’intolérance, stigmatise surtout l’échec du radicalisme et du fanatisme, La juive est une oeuvre bouleversante dont le genre, à la fois fresque et épopée collective, mais aussi galerie d’individualités, marque l’aboutissement du grand genre. Incontournable. A vos cassettes!

Lire notre grand dossier La Juive d’Halévy
Lire notre présentation de la production parisienne de 2007: La Juive d’Halévy à l’Opéra Bastille

Illustrations

William Bouguereau, portait de jeune fille (1849)
Visuel de Une: Paul Delaroche, Vierge et son enfant (DR)

Paris. Salle Pleyel, le 28 mars 2007. Concert Pablo, Stravinsky, Falla. Orchestre de Paris. Josep Pons, direction.

Ah la formidable épopée des Ballets Russes ! Josep Pons a dirigé en effet deux de leurs plus grands succès : Petrouchka (1911) et Le Tricorne (1919), deux partitions extrêmement complexes, virtuoses, qui fourmillent de couleurs crues, chamarrées, étincelantes, et de figures rythmiques très incisives. Pons a semblé privilégier l’aspect coloriste et harmonique des œuvres plutôt que leur rythmique implacable. De même, la texture ronde, chaleureuse et assez enveloppante de l’orchestre est favorisée, plus que les alliages abrupts ou sauvages. Parfois, Pons oublie aussi l’aspect chorégraphique de ces partitions, s’autorisant des tempos modérés dans Le Tricorne. Mais ce concert était irrésistible.
L’Orchestre de Paris est dans un jour de gloire. Le plaisir jouissif de jouer, de faire vibrer son public est palpable. Applaudissements en premier lieu aux vents, dont les solos dans Le Tricorne sont des modèles de phrasés, d’imagination, de délicatesse et de poésie : le basson (Danse de la meunière, Danse du meunier), la flûte (L’Après-midi) sont …inoubliables ! Tout ici parait limpide, d’une évidence totale. Les cordes chantent, respirent magnifiquement (Danse des voisins), les cuivres ont une netteté idéale dans leurs traits. Une interprétation enthousiasmante (la Danza final !) d’une œuvre très difficile.
Petrouchka était peut-être moins convaincante, faute d’architecture globale, de construction claire et précise ; dans l’instantané, le plaisir était pourtant indiscutable. Ce concert présentait aussi une création mondiale de Luis de Pablo: « Natura », « hommage à la ville accueillante, généreuse et même maternelle » de Paris (selon la présentation de De Pablo, dans le livret programme du concert). Luis de Pablo nous a donné des œuvres plus accomplies que cette œuvre aux lignes floues.


Paris. Salle Pleyel
, le 28 mars 2007. Luis de Pablo (1930) : Natura (création
mondiale)
. Igor Stravinsky (1882-1971) : Petrouchka (version 1947). Manuel de
Falla
(1876-1946) : Le Tricorne (ballet intégral). Itxaro Mentxaka, mezzo-soprano.
Orchestre de Paris. Josep Pons, direction.

Crédit photographique
Manuel de Falla (DR)

Orchestre des Pays de Savoie. Graziella Contratto, directionConcert Pergolèse/Tüür. Du 17 avril au 29 juin 2007

Orchestre
des Pays de Savoie.
Graziella Contratto
,
direction

Concert Pergolèse/Tüür.
Du 17 avril au 29 juin 2007

Tournée

Meythet (74) le mardi 17 avril 2007
Lyon, Chapelle de la Trinité (69), le jeudi 19 avril 2007 à 20h30
Thonon (74), le mardi 24 avril 2007
Sallanches, le vendredi 27 avril 2007
Montbrison (42) le 28 juin 2007
La Bénisson-Dieu (42), le 29 juin 2007

Giovanni-Battista Pergolesi (1710-1736) :
Stabat Mater, Missa Romana

Erkki-Sven Tüür (né en 1959):
Action, passion, illusion

En un haut-lieu du baroque bien tempéré

Au cœur de la presqu’île lyonnaise, la Chapelle classico-baroque de la Trinité est devenue le haut lieu des concerts de musique ancienne : « Concerts de la Chapelle »,selon une programmation à l’année, Festival de décembre. Sa ligne très pure au milieu de courbes plus « baroques », ses tribunes qui surplombent la nef et où l’on peut placer des spectateurs mais aussi des instrumentistes ou des chanteurs, sa décoration picturale ou sculpturale relativement retenue en font un espace qui a longtemps manqué à Lyon, et qui peut se permettre d’accueillir aussi des programmes contemporains, sonnant parfaitement dans un milieu stéréophonique. D’autres lieux de Rhône-Alpes en Haute-Savoie et en Loire sont également visités par ce concert, selon la mission régionale que remplit l’Orchestre basé à Chambéry.

L’opéra sacré de Pergolèse

Au milieu avril, c’est un dispositif doublement « mixte » qui est en place : orchestre (des Pays de Savoie, dirigé par son chef titulaire, Graziella Contratto) et chœur (Maîtrise de la Loire, conduite par Jacques Berthelon), œuvres du baroque et partition contemporaine. Côté XVIIIe, il s’agit d’un des musiciens les plus connus et aimés de cette époque : Giovanni Battista Pergolèse porte avec sa mémoire douloureuse l’injustice d’une mort terriblement précoce, à 26 ans. Mais nous n’admirons pas forcément les mêmes œuvres que naguère, sans d’ailleurs oublier que de son vivant le compositeur ne fut pas constamment célèbre en son Italie natale. A l’opéra, c’est sa Serva Padrona (la Servante Maîtresse) qui surclassa ses autres écritures lyriques, et servit après sa mort de totem pour la Querelle artistique franco-française dite des Bouffons. Mais en temps de baroquisme redevenu dominant, c’est la part religieuse de l’œuvre qui est au premier plan, et surtout le Stabat Mater probablement composé en 1736, l’année où le si jeune Pergolèse alla se réfugier au monastère de Pozzuoli pour attendre la mort, qui impose le génie nous semblant indiscutable. Ce qui n’exclut pas la comparaison avec les autres Stabat de l’époque : Leo, Durante, et surtout A.Scarlatti ou Vivaldi. Le palmarès rétrospectif serait absurde : chacun avait son « regard sur Jésus » pleuré par sa Mère. Et le reproche fait par certains contemporains de Pergolèse vise d’ailleurs plutôt ce que nous ne tenons plus pour une confusion des genres : trop de pathétisme, trop d’opéra, nous ne le ressentirions plus ainsi. En tout cas, un sentiment noblement exprimé, une sincérité directe, une émotion constante, même si elle emprunte aux « artifices » du théâtre sacré. Et si on cherche une relation picturale italienne antérieure, plutôt Tintoret que Véronèse… Une autre partition religieuse de Pergolèse nous permettra d’ailleurs d’enrichir la connaissance, une Missa Romana bien moins connue, peut-être moins napolitaine et un rien plus austère, où les chœurs polyphoniques très présents ajoutent à la solennité de la liturgie. Aux utiles propos d’avant-concert dont Graziella Contratto a instauré la coutume pour ses concerts de mettre en place style et sentiment. La directrice musicale et si musicienne directrice de l’O.P.S. présentera aussi la partition contemporaine qui figure au programme…

Un Estonien entre grégorien et rock progressif

Car qui en France peut se vanter de parcourir en familier l’œuvre de Errki-Sven Tüür, un Estonien de 47 ans qui comme nombre de ses artistes compatriotes des pays baltes pratique un mélange des écritures caractéristique de la fin des orthodoxies communistes et de l’un-peu-tout ultérieur ? E.S.Tüür a d’ailleurs commencé son parcours en étant « rocker (progressif)de chambre », avant de se soumettre aux disciplines plus traditionnelles de la composition dans les Conservatoires. Son œuvre est abondante, ne néglige pas le théâtre et le cinéma tout en honorant la musique d’inspiration spirituelle (oratorio, messes, un Requiem…) Son tryptique – Action, passion, illusion- semble trouver sa place dans le post-modernisme balte, comme l’explique un commentateur : « Cette musique sonne comme si elle s’était promenée à travers toute l’histoire de la musique et y avait trouvé des inspirations théoriques tout en se laissant « contaminer » par la pratique. Puis elle s’est enfermée dans un cocon, elle s’est immunisée. Elle développe enfin ses propres formes. Les réfractions constituent autant d’indices… » . Nouvel éloge de la stylistique « melting pot » (le mélange des origines dans l’Amérique moderne) qui se symbolise par l’expression internationalement très prisée en la personne d’Arvo Pärt ? On peut penser qu’au-delà du mixage néo-médiéval-mystico-minimaliste (en ajoutant ici culture rock), un langage véritablement personnel émerge. Et que cette « promenade en histoire de la musique européenne »,commencée en baroquie émotionnelle, nous amène devant un beau triptyque aux résonances spiritualistes.

Approfondir

Orchestre des Pays de Savoie, tél.: 04 79 33 42 71 et www.savoie-culture/ops
Concerts de la Chapelle, tél.: 04 78 38 09 09 et www.lachapelle-lyon.org

Crédit photographique
Graziella Contratto © U. Salgado
Giovanni Battista Pergolesi (DR)

Donizetti, Lucia di LammermoorLiège, Opéra Royal de Wallonie. Du 11 au 19 mai 2007

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Gaetano Donizetti,
Lucia di Lammermoor
, 1835

Liège,
Opéra Royal de Wallonie
11, 13 (m), 15, 17 et 19 mai 2007

Antonino Fogliani, direction
Mireille Larroche, mise en scène

Après Rossini (La Donna del lago), Donizetti s’intéresse à l’univers romantique et fantastique de l’écrivain britannique Walter Scott. Soeur sacrifiée, amoureuse accablée, Lucia est le prototype de l’héroïne romantique, solitaire et douloureuse. L’impossibilité d’accéder au bonheur, la lente descente aux enfers tragiques, en font une victime qui sombre dans la folie. Autant d’aspects contrastés qui offrent une matière riche et complexe pour le compositeur et son musicien. L’oeuvre, créée en 1835, la même année que La Juive d’Halévy, à Paris, est un ouvrage majeur de l’opéra romantique italien, quand Wagner n’a pas encore créé à Dresde le Vaisseau Fantôme (1843), et que Paris, présente ainsi, l’un des modèles du « grand opéra ». Lucia a révélé le génie lyrique de Gaetano Donizetti (qui l’aurait composé en six semaines!) et demeure l’une des partitions les plus jouées sur les scènes d’opéra depuis cinq ans.

Opéra en trois actes
Livret de Salvatore Cammaran
d’après le roman de Sir Walter Scott
Créé à Naples, Teatro San Carlo, le 26 septembre 1835

Illustration
Paul Delaroche, l’exécution de Jane Grey (DR)

Claudio Monteverdi, Il ritorno d’ulisse in patria Bruxelles. La Monnaie, les 11, 12 et 13 mai 2007

Claudio Monteverdi,
Il ritorno d’ulisse in patria

Bruxelles. La Monnaie,
les 11, 12 et 13 mai 2007

Philippe Pierlot, direction
Kentridge, mise en scène

Contrairement à Orfeo, opéra de jeunesse, créé en 1607, voilà 400 ans (!), qui jette les fondements de l’histoire de l’opéra, Le retour d’Ulysse dans sa patrie, est une partition de dernière maturité qui porte les derniers feux de l’inspiration du plus grand génie lyrique. Représenté à Venise en 1641, avant Le couronnement de Poppée (1642) dont la genèse et l’étude de la partition a relevé une oeuvre collective où le vieux maître de plus de 70 ans (!) compose entouré de ses disciples, Cesti, Cavalli, Ferrari, Ulysse offre déjà une vision désenchantée de la condition humaine: doutes, trahisons, épreuves, terreur aussi assaillent le pauvre héros, de retour de Troie. La route vers le foyer conjugal est dure et difficile à recouvrer, et l’homme pourtant méritant, reste le jeu du caprices des Dieux. Des dieux intransigeants et cruels, sauf peut-être Minerve qui assure tout au long de son périple, faveur et protection.
Heureux qui comme Ulysse… savent voyager, et s’éloigner, pour mieux apprécier la chaleur de l’âtre tant espéré…
Ensembles et solos, ariosos et duos, amples récitatifs, airs comiques et bouffons, sérieux, larmoyants, tendres ou tragiques, la partition recèle des trésors d’inventions qui affirment le talent du vieux maître. L’opéra vénitien connaît avec Monteverdi son âge d’or: libre et créatif, il associe comme la vie, l’amer et l’insouciant, le cynisme et la grâce, la pastorale et l’action héroïque… avant que plusieurs réformes lyriques sous le coup des Napolitains, ne viennent séparer genre seria et veine buffa.

Illustration

Ulysse et les argonautes, mosaïque tunisienne (DR)

Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni Gand. De Vlaamse Opéra, du 13 avril au 12 mai 2007

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Wolfgang Amadeus Mozart,
Don Giovanni

Gand. De Vlaamse Opéra,
du 13 avril au 12 mai 2007

Törzs, direction
Van Hove, mise en scène

Opéra libertaire dont la relecture à partir du XIX ème siècle, en fit « l’opéra des opéras »: un manifeste funèbre et tragique, Don Giovanni demeure cependant, selon le voeu de son auteur, un « dramma giocoso ». La vie traverse, palpitante et insolente, les personnages, les portant même à être la quintessence du souffle vital, l’incarnation du désir, de la pulsion sexuelle, l’énergie primaire… qui apporte les dérèglements sociaux ou l’excès d’ordre moral. Don Giovanni et son « double », Leporello, ne formeraient ainsi qu’une seule personne au double visage, une sorte de Janus moderne quand Donna Anna et Ottavio, les amoureux héroïques qui ne cessent de se lamenter, incarneraient plutôt les tenants d’un système moral, tout autant condamné. D’un côté, l’exaltation de l’action; de l’autre, l’inhibition stérile, répétitive, étouffante.
Entre les deux duos, seule Donna Elvira, sincère dans son amour pour Don Giovanni, exprimerait la voie de la tendresse la plus pure… comme la plus aveugle. Les lectures du Don Giovanni de Mozart sont multiples. Chacune n’épuise jamais la richesse et la complexité fascinante du mythe.

Illustration

Alexandre Evariste Fragonard, Vivant Denon replaçant les restes du Cid dans leur sépulture (DR)

Récital de Dorothea Röschmann accompagnée par Graham JohnsonBruxelles. Théâtre Royal de la Monnaie, le 20 avril 2007 à 20h.

Première étape d’une série de récitals en Europe, la soprano allemande Dorothea Röschmann est l’invitée du Théâtre Royal de la Monnaie, ce vendredi 20 avril 2007 à 20h accompagnée de Graham Johnson.

Au programme du récital, le cycle de lieder de Robert Schumann : Frauenliebe und –leben (L’amour et la vie d’une femme) composé en 1840, sur un recueil de poèmes de Chamisso. Des lieder de Ludwig van Beethoven, Johannes Brahms et Manuel de Falla viendront compléter le programme.

Les huit épisodes que comporte ce cycle évoquent les différents moments d’une idylle amoureuse, des fiançailles, du mariage, l’exaltation de la maternité et la rupture déchirante avec l’être tant aimé.

Elle est également l’invitée d’un récital à La Monnaie, le 4 mai 2008 en compagnie de la mezzo-soprano Kozená Magdalena et de Graham Johnson

Programme (sous réserve)
Ludwig von Beethoven: Die Trommel gerühret, op. 84 nr. 1 (‘Egmont’, op. 84), Freudvoll und Leidvoll, op. 84 nr. 4 (‘Egmont’), Mignon (‘Sechs Lieder’, op. 75 nr. 1) ‘Kennst du dass Land’, Wonne der Wehmut, op. 83 nr. 1 (‘Drei Lieder’, op. 83), Aus Goethes Faust, op. 75 nr. 3 (‘Sechs Lieder’, op. 75)
Robert Schumann: Frauenliebe und -leben, op. 42
Johannes Brahms: Unbewegte laue Luft, op. 57 nr. 8 (‘Acht Lieder und Gesänge’, op. 57)
Johannes Brahms: Sapphische Ode, op. 94 nr. 4 (‘Fünf Lieder’, op. 94)
Johannes Brahms: Therese, op. 86 nr. 1 (‘Sechs Lieder’, op. 86)
Johannes Brahms: Von waldbekräntzter Höhe, op. 57 nr. 1 (‘Acht Lieder und Gesänge’, op. 57)
Alban Berg: Sieben frühe Lieder

Autres dates
Wigmore Hall, Londres
23 avril 2007

Musikverein, Graz
25 avril 2007

Konzerthaus, Vienne
28 avril 2007

Amsterdam Concertgebouw
22 mai 2007

Crédit photographique
Dorothea Röschmann (DR)

Décines. Le Toboggan, le 23 mars 2007. Récital de piano: Evgeni Koroliov et Ljupka Hadzi-Georgieva

Evgeni Koroliov appartient à ces pianistes aux rares apparitions françaises, mais dont l’autorité internationale est grande. En récital à Décines, dans l’agglomération lyonnaise, il a pu donner sa mesure en duo dans J.S.Bach (quatre mains, avec L. Hadzi-Georgieva), puis en soliste dans la 32e sonate de Beethoven, la Sonatine de Ravel, Scarlatti et Prokofiev.

Ligeti nous parle de là-haut

Le pianiste russe avait eu l’année dernière un grave accident, et il n’avait pu honorer son engagement en 2006 : le voici, à l’invitation conjointe des Grands Interprètes et du Toboggan, dans une salle en gradins vaste mais d’acoustique peu flatteuse, « quelque part dans l’est lyonnais », où l’ambiance de centre polyculturel est accueillante, le public plutôt chaleureux et attentif, sans trop de « spécialistes » venus pour dresser le palmarès des écoutes comparatives, ou du moins regardés comme oracles vénérés du bon goût. Mais le public ne sait pas forcément qu’il a en face de lui l’un des importants solistes de notre époque, venu de son est natal vers l’Europe occidentale il y a 30 ans. Evgeni Koroliov est l’héritier d’une grande culture pianistique (Heinrich Neuhaus, Maria Yudina, Lev Oborine), lauréat de prix inattaquables (Clara Haskil, Van Cliburn), spécialiste de l’art de Bach (deux prix, à Leipzig et Toronto) dont il a laissé au disque des témoignages passionnants. Giorgy Ligeti a dit de son « Art de la Fugue » qu’il l’emporterait sur l’île déserte, et maintenant qu’il est plutôt là-haut que là-bas, on ne doute pas que dans ses Nouvelles Aventures il ne garde en mémoire de telles interprétations.

La dialectique de l’ombre et de la lumière

Et justement Bach, à son programme : mais en jeu de double, de miroirs et d’échos, puisque dans le domaine de Jean-Sébastien, il est avec sa partenaire (et épouse) Ljupka Hadzi-Georgieva, et qu’il travaille sur transcriptions, de lui-même ou « tout simplement » de Giorgy Kurtag. On comprend d’emblée, avec un extrait de l’Actus Tragicus, que le chemin sera mystérieux, qu’il ira vers l’intériorité, en ne haussant jamais le ton même si ensuite, avec la Passacaille BWV 582, la monumentalité s’imposera, mais dans la logique du discours et pas comme une démonstration de la force constructrice. On aime cette approche calme, résolue, sans emphase, et cette dialectique du quatre-mains dans la confiance d’une lumière sereine.
Et justement la lumière, l’ombre : c’est le leit-motiv d’une conférence introductrice que le musicologue Daniel Gaudet venait de donner pour préparer les auditeurs, références picturales aidant, à mieux pénétrer le sens des œuvres (une formule que les Concerts seraient bien inspirés de reprendre régulièrement). Sur la scène chichement éclairée, revient – démarche juvénile, comportement de très aimable simplicité – ce pianiste bientôt sexagénaire, cette fois pour la part soliste de son récital. C’est bien de lumière qu’il s’agit dans sa 32e Sonate de Beethoven, diptyque ultime où l’abrupt de l’attaque en falaise (allegro) permet la marche à travers les paysages les plus baignés d’une clarté automnale que jamais musicien ait pu écrire (arietta). E.Koriolov fait de cette arietta, par la grâce de son toucher (pourtant le piano n’a rien de convivial !), par la subtilité d’enchaînement des états musicaux, un temps suspendu. De grâce au sens spirituel du terme, au terme d’une progression initiatique dont la présence est si bienvenue là où certains interprètes ne font entendre que « la belle mélodie ».
Lumière autre, évidemment, pour quatre sonates de Scarlatti – dont la plus séduisante est encore celle qui murmure rêveusement -, et précieusement cristalline dans une Sonatine de Ravel encore tout empreinte, comme écrivait Vladimir Jankélévitch, « de la chaste ingénuité du Quatuor ». C’est boîte à musique, « badinage, sourire imperceptible, mélancolie », et l’art d’E.Koroliov s’y fait très français, dans l’esprit de « colloque sentimental » du menuet et sous la rythmique « animée » du final. Puis on rejaillira dans les juvénilités franches du jeune Prokofiev (3e Sonate), avant de revenir pour les bis, dans un moment plus ombre-et-murmure qui fait presque regretter que tout un grand cycle Bach n’ait pas été au programme. Voilà un pianiste nécessaire, qui devrait revenir dans toutes les dimensions poétiques de son art.

Décines. Le Toboggan,

le 23 mars 2007.
Jean Sébastien Bach (1685-1750)
: Transcriptions de cantates, sonate,
passacaille
. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : 32e sonate, Op.111.
Domenico Scarlatti (1685-1727) : Quatre sonates. Maurice Ravel
(1875-1937)
: Sonatine . Serge Prokofiev (1891-1953) : 3e sonate. Evgeni Koroliov, Ljupka Hadzi-Georgieva, piano.

Kurt Weil, Symphonie n°2France Musique, le 20 avril 2007 à 20h

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Kurt Weil,
Symphonie n°2

France Musique
Vendredi 20 avril 2007 à 20h

Programme du concert

Joseph Haydn: Symphonie n°64 « Tempora Mutantur »
Alfred Schnittke: Concerto pour piano
Kurt Weil: Symphonie n°2

Ferhan Önder (piano). Orchestre Symphonique de la Radio de Sarrebruck. Michael Sanderling, direction

Marches ironiques, ambiances mystérieuses voire mystiques, et selon le mot de Busoni qui surnommait Weil, « le Verdi du pauvre », une truculence populaire aux accents véristes: la Deuxième Symphonie de Kurt Weil, composée en 1933 est contemporaine des Sept péchés capitaux, en collaboration avec Bertold Brecht, complice de Weil dans l’élaboration d’un théâtre de dénonciation et engagé. Grandeur et décadence de la ville de Mahagony (1927-1930), reste leur principal chef-d’oeuvre… Désillusionné sur l’avenir du monde, contraint de fuir l’Allemagne nazie en 1933, Weil rejoint Paris, Londres et définitivement New York, à partir de 1935. Il sera néanmoins capable d’y renouveler totalement son style, dans un nouveau cycle d’oeuvres, inspirés entre autres par la comédie musicale américaine.
La Deuxième Symphonie semble recueillir les fruits de sa riche expérience européenne, avant de quitter l’Allemagne. Les figures de Mahler et de Chostakovitch, leur ironie cinglante, à la fois désespérée et lyrique, leur sens de la dérision aussi, trouvent dans la Symphonie de Weil, une résonance fraternelle. Et même le finale semble revisiter le souffle de Mendelssohn… L’oeuvre est mise au propre à Paris, puis créée le 11 octobre 1934 à Amsterdam, par l’Orchestre du Concertgebouw dirigé par Bruno Walter. Rien de moins. En trois mouvements, vif-lent-vif, Weil s’y montre à la hauteur des grands symphonistes germaniques qui l’ont précédé.
La Symphonie est un cycle mordant et vif, profond et personnel, à redécouvrir. Signalons enfin une version récente parue au disque chez Atma classique, par Yannick Nézet-Séguin et l’orchestre Métropolitain du Grand Montréal que nous avons signalé en février 2007. Lire notre critique de la Symphonie n°2 de Kurt Weil par Yannick Nézet-Séguin.

Crédit photographique
Kurt Weil (DR)

Fromental Halévy, La Juive (1835)France Musique, le 21 avril 2007 à 19h

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Fromental Halévy
La Juive
, 1835

France musique,
Le vendredi 21 avril 2007 à 19h

Production de l’Opéra national de Paris 2007. Enfin, l’un des chefs-d’oeuvre oubliés de l’opéra français romantique, post-rossinien, nous est restitué. Oeuvre dénonçant l’intolérance, qui stigmatise surtout l’échec du radicalisme et du fanatisme, La juive est une oeuvre bouleversante dont le genre, à la fois fresque et épopée collective, destin individuelle et tragédie familliale, marque l’aboutissement du grand genre.
Rachel, fille adoptive d’Eléazar, offre un exemple de vertu et de loyauté aveugle, immolée sur l’autel de l’intransigeance religieuse. Une redécouverte incontournable.

Lire notre grand dossier La Juive d’Halévy
Lire notre présentation de la production parisienne de 2007: La Juive d’Halévy à l’Opéra Bastille

Illustration
Titien, Salomé, (DR)

Gershwin, Porgy and Bess (1935)Radio Classique, le 29 avril 2007 à 21h

Georges Gershwin
Porgy and Bess
, 1935

Radio Classique
Le 29 avril 2007 à 21h

En Caroline du Sud, à Charleston, au coeur du quartier noir, le belle Bess est abandonnée par son amant Crown après que ce dernier, querelleur et ivrogne, ait tué son collègue Robbins. De son côté, sans illusions, l’infirme Porgy déclare sa flamme à Bess. Mais l’emprise qu’exerce le criminel Crown sur la jeune femme est plus fort que tout, et finit par soumettre la volonté de Bess. C’est compter sans la détermination amoureuse de Porgy qui tue Crown et part à la recherche de Bess… à New York.

Comédie musicale et opéra vériste, Porgy and Bess exalte la rage de vivre d’une communauté noire, où le racisme et la pauvreté conspirent contre la liberté des coeurs. C’est dans un style sans concession et direct, l’expression à nu d’une humanité défaite qui aspire pourtant légitimement à la liberté et à l’insouciance.
Gershwin mêle diverses musiques européennes, atonalité et polytonalité, tout en hissant le blues au rang de genre noble, moteur principal de l’action.
Au pupitre règne Simon Rattle. Avec Cynthia Haymon et Willard White. Une version de référence pour l’un des opéras les plus attachants du romantisme moderne.

Porgy and Bess
opéra en trois actes
Livret de Du Bose Heyward et Ira Gershwin
d’après Porgy de Du Bose et Dorothy Heyward
Créé à Boston, Colonial Theatre
Le 30 septembre 1935

Illustration
Portrait d’une femme noire, atelier de David? Vers 1800 (DR)

Mozart, L’enlèvement au sérail, ZaïdeRadio Classique, le 15 avril 2007 à 21h

Mozart
L’enlèvement au Sérail
Zaïde

, acte I

Radio Classique
Le 15 avril 2007 à 21h

Place à l’orientalisme d’un sérail tout d’abord, celui qu’imagina Mozart dès 1781, pour son opéra, L’enlèvement au sérail, créé à Vienne en 1782, où Constance est retenue contre son gré par le pacha Selim. Dans un air impérial, d’une ampleur jamais vue avant Mozart, la soprano (La Cavalieri, créatrice du rôle, était douée de moyens exceptionnels) exprime clairement qu’elle ne se laissera pas faire ni imposer aucune tyrannie: son air est « di bravoura », le cri d’une révolte irrépressible, le chant d’un esclave qui ne soumettra jamais!
Sous le masque de l’exotisme, le compositeur affirme un caractère neuf, ardent, vif, d’une énergie sans mesure à son époque. Mozart était d’autant plus agité et même survolté pendant sa composition (sa correspondance détaillée en témoigne) qu’il réalisait alors son idéal lyrique: un opéra chanté en allemand, bien que l’audience aima profondément l’opéra italien. Son Singspiel qui mêle ballets à la française et airs de pure virtuosité, reste l’un de ses opéras les plus applaudis à Vienne. La version retenue est celle de Colin Davis avec Christianne Eda-Pierre (Constance) et Stuart Burrows (Belmonte).

Après l’Enlèvement, Radio Classique diffuse l’acte I de Zaïde, récemment retrouvé et enregistré par Nikolaus Harnoncourt. Opérette en deux actes, Zaïde est musicalement et littérairement proche, comme une soeur aînée de l’Enlèvement. Antérieure sur le plan de la chronologie, la partition, également traitée en langue allemande en Singspiel, est aussi une turquerie à la mode: la belle Zaïde est aimée du Soltan Soliman, mais la jeune femme s’éprend de Gomas, l’un de ses esclaves chrétiens.
Esquisse avant les grands ouvrages scéniques à venir, Idoménée et bien sûr, L’enlèvement, Zaïde se précise de plus en plus comme une somptueuse ébauche musicale, qui même inachevée, car elle nous est parvenue non finita, annonce les grands desseins de Mozart sur la scène lyrique.

Illustration
Jean-Etienne Liotard, Femme turque et son esclave (DR)

L’Orchestre Philharmonique de BerlinRadio Classique, le 16 avril 2007 à 21h

Berliner Philharmoniker,
Saga d’un
orchestre mythique

Radio Classique
Le 16 avril 2007 à 21h

Quelques extraits des archives de la Philharmonie la plus populaire et la plus prisée dans le monde, évoquent l’histoire d’un orchestre à la sonorité somptueuse, dont chaque concert est un événement fêté, célébré, encensé à sa juste mesure. Et pour nous, le programme de la chaîne radio est aussi l’occasion de dresser un premier bilan d’une épopée fantastique.

Histoire d’un mythe orchestral

Née en 1882, la phalange berlinoise n’est pas adossée à un théâtre d’opéra, comme de nombreux orchestres déjà anciens, en Europe. Pourtant, la couleur spécifique du Berliner, qui joue à une course d’excellence avec le Wiener Philharmoniker, son homologue autrichien, a dès sa fondation exercé une vive attraction auprès des mélomanes comme des chefs qui l’ont dirigé. Six au total, qui de par leur position en tant que « chefdirigent », sont entrés eux aussi dans la légende :

Hans von Bülow (1830-1894)
Arthur Nikisch (1855-1922)
Wilhelm Furtwängler (1886-1954)
Herbert van Karajan (1908-1989)
Claudio Abbado (1933)
Simon Rattle (1955)

A l’origine de la constitution de l’Orchestre, la sécession d’une cinquantaine d’instrumentistes qui, exploités par leur employeur Benjamin Blise, refusent au printemps 1882 de signer leur engagement. Leurs conditions financières et matérielles leur sont devenues inacceptables. Les musiciens révoltés s’organisent en association et fondent une phalange nouvelle qui se donne comme idéal, l’exécution la plus parfaite possible de la musique symphonique, telle que la leur révéla le chef Hans von Bülow. En 1884, la société du Philharmonique de Berlin associe chacun à la gestion et à la ligne artistique, comme au choix du chef et des nouveaux membres.
Grâce à un succès croissant et au soutien de généreux donateurs dont Joseph Joachim, alors directeur de l’Ecole de musique de Berlin, l’association musicale progresse, convainc, trouve son rythme de croisière. L’impresario Hermann Wolff apporte aussi son regard visionnaire: il propose l’idée des abonnements et déniche le lieu de la Philharmonie, une ancienne patinoire qui est réaménagée en lieu de concert. Inauguré en 1889, le site restera l’écrin des concerts de plus en plus prestigieux, jusqu’à sa destruction en 1944.

Bülow

Dès 1887, Bülow insuffle un esprit conquérant, une exigence jamais démentie, l’idéal qui permet aujourd’hui à l’orchestre de rayonner à Berlin et dans le monde. Son dessein est d’élever l’orchestre symphonique à un même degré d’accomplissement qu’a atteint le théâtre lyrique avec Wagner. Mozart et Haydn, sans omettre Beethoven et Schubert, mais aussi encore Wagner, Schumann et Brahms, sont l’ordinaire d’une phalange hissée jusqu’à l’excellence. Richard Strauss, Brahms, Grieg et même Tchaïkovski dirigent leurs propres oeuvres. Le règne de Bülow s’achève en 1892. Il meurt au Caire en 1894.

Nikisch

Arthur Nikisch prend la relève en 1895, pendant 27 ans jusqu’en 1922. D’un charisme indiscutable, le nouveau chef assure le maintien de la ligne artistique, tout en assurant aussi la direction du Gewandhaus de Leipzig. Détesté par Bülow, Bruckner fait son entrée au répertoire de l’Orchestre. Saint-Saëns, Mahler et Busoni sont invités à diriger leurs oeuvres. Nikisch aime les tournées: sous son « règne », le Philharmonique donne de nombreux concerts, la Cinquième de Beethoven devenant même son « hymne », à Paris, Toulouse, Nice… L’association devient alors société en 1902 et la municipalité berlinoise, décide de financer une partie du fonctionnement. Son rayonnement grandit et de nombreux chefs extérieurs sont invités à diriger le Berliner: Fritz Busch, Otto Klemperer, Erich Kleiber, Hans Knappertsbusch, Bruno Walter…

Furtwängler

Le 9 octobre 1922 est le premier concert de Wilhelm Furtwängler comme chef dirigent. En lui s’accorderaient, l’analyse, le sens du rythme de Bülow, et la recherche d’élégance, de vision poétique et de sonorité de Nikisch. Aucun doute, c’est l’homme de la situation. Mais Furtwängler se détache tout autant de ses prédécesseurs: il s’affirme grâce à son sens inné du drame, sa couleur tragique, sa quête spirituelle. Beethoven, Wagner, Brahms, Strauss, Bruckner restent les piliers du répertoire. Mais le romantique, ouvre l’Orchestre sur le contemporain: Schoenberg (Variations opus 31, en 1928), ou le cycle symphonique « Mathis le Peintre » de Paul Hindemith (1934) montrent l’amplitude de sa curiosité. Assurant un continuité sans démordre, le Berliner version Furtwängler connaît une accélération terrifiante de l’Histoire: crise économique de 1923, chute de la République de Weimar, avènement du nazisme et d’Hitler, seconde guerre mondiale, puis division de l’Allemagne, auxquels succède un procès contre Furtwängler, sa dénazification n’étant pleinement établie qu’en 1946.

Sous contrôle nazi

Organe de prestige, incarnant avec autorité le génie musical allemand, le Philharmonique ne tarde pas à tomber sous la coupe de Joseph Goebbels qui contrôle désormais la ligne artistique, sélectionne les compositeurs joués et réserve aux membres du bureau hitlérien, les meilleures places, celle du premier rang. Des chefs zélés se pressent alors, heureux d’inscrire leur nom à l’une des périodes pourtant les plus décriées de l’histoire: Eugen Jochum, Leo Borchard, Karl Böhm, Hans Rosbaud, Karajan (le petit « k » comme l’appellera Furtwängler pendant son procès), Joseph Keilberth… Furtwängler ose refuser à plusieurs reprises de diriger l’Orchestre dépêché dans les pays conquis, comme arme de triomphe.

Sergiu Celibidache

Le renouveau s’appelle Celibidache, le Berlinois, d’origine roumaine depuis 1930, passionné autant que caractériel, offre un tempérament dont l’heure a besoin, conférant à l’effort de reconstruction après la guerre, sa gloire renouvelée. L’aura de Celibidache tire à nouveau la phalange vers le haut, reconstruit aussi l’esprit de groupe. Le dernier concert du chef avec la Philharmonie a lieu en 1954, l’année où s’éteint Furtwängler.

Karajan

Dès 1938, le jeune Karajan dirige le Berliner et séduit les instrumentistes. Furtwängler en avait pris ombrage, voyant dans la direction de son cadet, une autorité contraire à la sienne, une arrogance publicitaire et égotique, équivalente à celle de Toscanini lequel aurait pu dire: « l’orchestre, c’est moi! ». Le refus et l’intransigeance de Celibidache à l’égard du disque, le medium de l’avenir, impose Karajan dans l’esprit des musiciens. D’ailleurs, le chef salzbourgeois construira sa gloire et celle du Berliner, par l’enregistrement, abordant des oeuvres au disque et non au concert ou sur la scène. Redoutable, Karajan accepte sa nomination comme « chefdirigent » à condition qu’elle soit « à vie ».
Vigilant et jaloux, Karajan orchestre répertoire (dans la ligne de Furtwängler) et gestion selon ses conceptions. Le Berliner est devenu « son » orchestre. Il s’ouvre peu aux compositeurs contemporains, n’affichant par exemple Mahler qu’après que Bernstein l’ait abordé avec le charisme que l’on sait. D’ailleurs, Karajan, même nommé à vie, prend soin de n’autoriser qu’un seul concert avec Lenny, en 1979. L’autrichien n’accepte aucune ombre à son empire.
Sur la scène, en concert, vedette de la Philharmonie berlinoise, l’orchestre devient avec Karajan, un orchestre de fosse, au festival de Pâques de Salzbourg (qu’il crée en 1967). La sonorité est fondue, sensuelle, hédoniste, voluptueuse. Le son « Karajan » est né. Un nouvel écrin accueille désormais les concerts de l’orchestre : la Neue Philharmonie inaugurée en 1963.
La machine est lancée, terriblement efficace, intégrant dans son fonctionnement naturel les rouages du marketing adapté à la frénésie du marché du disque qui connaît alors ses années fastes. Pour le grand public, la figure du chef, du père charismatique, a trouvé figure: il s’appelle Karajan. Après les célébrations du centenaire, en 1982, dirigée surtout par Seiji Osawa, l’ère Karajan est marquée par une déchirure aussi violente que de courte durée, quand le chef impose pour la première fois dans l’histoire de l’orchestre, une femme, Sabine Meyer, comme première clarinette. Mais là encore, contre le désaveu de l’orchestre, c’est le chef qui gagne et soumet. Le chef ne verra pas la chute du mur, et meurt en 1989, l’année où il dirige pour la première fois, le Berliner à Salzbourg.

Claudio Abbado

Dirigeant dès 1966, l’illustre phalange, Abbado est désigné par les instrumentistes à la surprise de l’intéressé. Dès son premier concert, il programme Mahler. (18507 bytes)Sous sa direction, le Berliner renouvelle ses équipes. C’est toute une génération nouvelle, de nationalités diverses qui remplace les « anciens », ceux qui ont joués sous la direction de « Furt » et de Karajan. Après l’autocrate, investi par une autorité suprême, Abbado, humaniste, accepte de discuter pendant les répétitions. Le son évolue, gagne en transparence et en clarté. Il dirige autant Bruckner que Mahler, s’intéresse aux auteurs contemporains Nono, Ligeti, Rihm, et même au phénomène baroqueux, laissant pour la première fois, Harnoncourt, diriger sa « Rolls », en 1991. Cultivé mais pas pédant, accessible mais pertinent, Abbado inaugure les cycles et les thèmes transversaux, faisant dialoguer Schubert, Berg, Büchner, Bach et Hindemith, établissant de nouvelles perspectives entre les arts, entre la musique et la littérature. Abbado dirige des versions semi scéniques d’opéras tel Il Viaggio a Reims, Boris Godounov (une oeuvre emblématique de sa direction). Sa décision de ne pas renouveler son mandat en 1989 créée la surprise. Ainsi achèvera-t-il son mandat en 2002, affaibli par une longue maladie.

Rattle, le vent nouveau

Elu en juin 1999, Rattle a commencé à diriger l’orchestre dès 1987. Opiniâtre, le jeune chef d’origine britannique, obtient de changer le statut de l’orchestre qui devient une fondation, afin de maintenir son indépendance et d’améliorer le statut des musiciens. Le maestro donne son premier concert comme chefdirigent, le 7 septembre 2002. Le programme qui mêle Thomas Adès et Gustav Mahler, indique que l’institution a bel et bien franchi le seuil du nouveau millénaire. Jeunesse, audace, excellence: l’équation s’avère payante. Jamais l’orchestre n’a paru plus estimé au sein de l’aréopage des meilleurs orchestres internationaux. Et peut-être, symbolise-t-il pour le plus grand nombre, l’idée d’un grand orchestre… indiscutable, à la stature impressionnante.
Aux côtés des opéras en version de concert (Pelléas ou Fidelio), le Berliner version Rattle renouvelle l’expérience de Karajan, celle de l’orchestre de fosse, à Salzbourg ou à Aix-en-Provence, pour une nouvelle version du Ring (inaugurée à Aix en juillet 2006). L’activité du chef engage de nouveaux projets. Sa vision n’est pas sans susciter de sérieuses critiques qui regrettent la diluation de tant de fronts ouverts, et en définitive la perte d’une sonorité légendaire… C’est compter sans la vision affûtée du nouveau maestro.
D’autant que Rattle, pédagogue et vulgarisateur actif, entend faire de la musique non plus un luxe mais une nécessité en partage pour tout un chacun. Musique engagée sur la scène sociale, musique ouverte sur le monde. En somme, une perspective qui engage un nouveau cycle plein de promesses!

Crédits photographiques
Arthur Nikisch
Hans von Bülow
Sergiu Celebidache
Herbert von Karajan
Claudio Abbado
Simon Rattle

Paris. Salle Pleyel, le 22 mars 2007. Concert Saint-Saëns, Dutilleux, Ravel. Orchestre de Paris. Michel Plasson, direction

Sans aucun doute un beau concert, qui mêle plusieurs époques représentatives de la musique française : tout d’abord, le classicisme intense d’un Saint-Saëns, qui ne cesse d’enchanter chaque mélomane avec sa Troisième Symphonie. Il s’agit vraiment de l’une des œuvres les plus inspirées de la fin du XIXème siècle, de loin supérieure à la contemporaine Symphonie de Franck. Ensuite, en deuxième partie, la sensualité vertigineuse de The Shadows of time de Dutilleux précédait les fracas morbides de La Valse de Ravel.
Les interprétations que nous avons entendues respiraient la concentration, l’équilibre, le naturel ; l’attention aux couleurs, aux timbres ne s’est amoindrie à aucun moment. La Troisième Symphonie de Saint-Saëns nous est apparue comme naturellement belle, sans chichis, sans emportement excessifs non plus, très certainement à dix mille lieues de la sentimentalité que l’on peut entendre parfois. A noter la présence de Thierry Escaich qui colore avec beaucoup de style et d’à-propos sa partie, créant dans le deuxième mouvement un climat à la fois mystérieux et pourtant lumineux. L’orgue est en effet ici davantage une couleur qu’un soutien harmonique. Paradoxalement, la « mesure », le refus d’un romantisme débordant « modernisait » la musique de Saint-Saëns.
Quel contraste avec l’univers de Dutilleux, plus flou, plus vague naturellement mais tout aussi magique ! The Shadows of Time a été composée entre 1995 et 1997 pour l’Orchestre Symphonique de Boston qui en assura la création sous la baguette de Seiji Ozawa. Ces « ombres du temps », en cinq mouvements, traitent l’orchestre avec une légèreté de touche vraiment impressionnante. Michel Plasson, très investi, tout comme l’orchestre, en a donné une belle interprétation, bien qu’elle manquât légèrement de clarté structurelle, à mon sens. La Valse selon Plasson m’a franchement déçu par un manque général de souplesse. Assez étonnant de la part d’un chef qui a passé une grande partie de sa vie à explorer la musique française (devons-nous rappeler qu’il a été pendant plus de trente ans directeur musical de l’Orchestre du Capitole de Toulouse ?). Ici, avec l’Orchestre de Paris, tout semblait droit, carré, très strict. C’était beau, mais jamais mystérieux, angoissant ou terrifiant ; le crescendo, vraiment trop poli, ne pouvait suggérer le cataclysme, l’effondrement, ou la dislocation d’un genre triomphant. Où est passé le « tournoiement fantastique et fatal » que demandait Ravel ?

Paris. Salle Pleyel, le 22 mars 2007. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Symphonie n° 3 « avec orgue ». Henri Dutilleux (1916) : The Shadows of Time. Maurice Ravel (1875-1937) : La Valse. Thierry Escaich, orgue, Orchestre de Paris. Solistes de la Maîtrise de Paris. Michel Plasson, direction.

Crédit photographique
Camille Saint-Saëns (DR)

Martha Argerich, portraitRadio Classique, le 11 avril 2007 à 21h

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Carole Bouquet raconte…
Martha Argerich, piano
Portrait

Radio Classique,
le 11 avril 2007 à 21h

Légende vivante du piano, l’argentine aux doigts de fée, Martha Argerich ne cesse de fasciner pianistes et mélomanes. Disciple de Friedrich Gulda, Nikita Magaloff, l’interprète a obtenu nombre de récompenses, dont le prix du Concours de Genève, devant Maurizio Pollini. Lauréate du Concours Chopin de Varsovie, Martha Argerich a démontré ses affinités progressives avec les compositeurs romantiques en particulier Schumann… Epouse de Charles Dutoit puis de Stephen Kovacevich, elle a délaissé peu à peu, le concert en soliste, préférant la musique de chambre et la musique concertante. Insaisissable, insomniaque, frappée par le cancer, la pianiste dévoile une détermination de lionne qui se montre aussi généreuse, accompagnant et révélant le talent des musiciens de la jeune génération. Figure désormais incontournable des festivals de Beppu au Japon, ou de Lugano (en Suisse), Martha Argerich défend aujourd’hui les musiciens de demain. Fragile et mystérieuse, douée d’une concentration originale, l’artiste cultive une indépendance de style grâce à sa souveraine et indiscutable musicalité. Portrait.

Dvd
TDK en avril fait paraître en dvd, le concert de La Roque d’Anthéron de juillet 2005 où Martha Argerich joue Prokofiev puis Schumann et Beethoven (Triple concerto) avec les frères Capuçon.

Crédit Photographique
Martha Argerich (DR)

Bach, Passion selon Saint-Matthieu (1727)France Musique, en direct. Le 6 avril 2007 à 20h

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Jean-Sebastian Bach
Passion selon Saint Matthieu

Vendredi 6 avril 2007 à 20h

Jusqu’à 23h10
Prima la musica
Présentation: Anne Montaron
Concert en direct de la Philharmonie,
Essen (Allemagne)

en simultané avec l’Union européenne de Radios
Echanges franco-allemands

Matthieu Letizia Scherrer,
soprano
Marianne Beate Kielland,
mezzo-soprano
Topi Lehtipuu,
ténor
Maximilian Schmitt,
ténor
Andreas Wolf,
baryton
Thomas Bauer,
basse

Choeur de Chambre RIAS
Académie de Musique Ancienne de Berlin
Hans-Christoph Rademann
, direction

Comme au moment de sa première interprétation, à Leipzig pour le Vendredi Saint de l’année 1729 (15 avril), France Musique diffuse en direct d’Essen, la Passion selon Saint-Matthieu pour le Vendredi Saint 2007, le 6 avril.

Leipzig, de 1727 à 1744

Mendelssohn a dirigé l’oeuvre à Berlin pour son centenaire, le 11 mars 1829. Aujourd’hui, certains musicologues pensent que la partition serait antérieure à 1729, et plutôt composée dès 1727.
Bach met en musique le cycle de textes regroupés par Picander, d’après le récit de Saint-Matthieu, plus développé que celui de Saint-Jean. Au 28 pages madrigalesques, Bach ajoute 12 chorals, plusieurs cantiques et un grand choral qui conclue la première partie. Le compositeur a donc amplifié sensiblement la succession des passages littéraires, en leur réservant une remarquable extension poétique et musicale. Bach écrit pour un double choeur, chacun disposant de son orgue propre. Cette configuration à deux orgues est propre à l’église Saint-Thomas de Leipzig, c’est sous sa voûte que fut ainsi jouée la Passion, en 1727, 1729, 1736. En 1744, lors d’une nouvelle reprise, l’église avait déposé l’un de ses orgues. Bach écrivit donc une nouveau continuo… pour clavecin.

Passion selon Saint-Matthieu, BWV 244
En deux parties

Illustration

Memling, Ange de l’Annonciation (DR)

Yumiko Tanimura (soprano), Jonas Vitaud (piano)Lyon, Salle Molière, les 17 et 18 avril 2007

Lauréats du Concours International de Musique de Chambre lyonnais (2006), la soprano Yumiko Tanimura et le pianiste Jonas Vitaud donnent à la Salle Molière, les 17 et 18 avril 2007 un récital consacré aux chants de l’amour : Schumann, Wolf, Ravel et Messiaen y font écouter leur différence.

Yumiko Tanimura,
soprano
Jonas Vitaud ,
piano

Lyon. Salle Molière.
Mardi 17 avril 2007 à 19h30,
Mercredi 18 avril 2007 à 20h30.

Programme
Robert Schumann: L’amour et la vie d’une femme, op.42 . Hugo Wolf: extraits du Livre des chants italiens . Maurice Ravel: Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé, Sonatine. Olivier Messiaen: extraits de Harawi.

« Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n’y seront plus …ou y seront moins vaillants. » Telle pourrait être la devise pragmatique, sinon un rien cynique, de jeunes interprètes. Et pour corriger la donne du trop-bien-installé, il y a entre autres le principe des concours internationaux dont Lyon donne désormais l’exemple chaque début de printemps. Une des applications pratiques en est l’invitation par les institutions régionales ou nationales de concerts des lauréats : voici donc la Société de Musique de Chambre lyonnaise qui passe à l’acte, et propose en avant-dernier poste de sa programmation 2006-2007, un récital des deux gagnants de l’édition 2006 « cimcl », qui consacrait les meilleurs en duo voix-piano.

Un duo qui dialogue avec les contemporains

La soprano Yumiko Tanimura a commencé ses études musicales à l’Université des arts de Kyoto, puis a gagné la France et le Conservatoire Supérieur de Paris, base de départ française pour des prix significatifs de ses goûts : Académie Ravel de Saint-Jean-de-Luz, Concours Nadia-et-Lili-Boulanger. Des lignes de force apparaissent dans son parcours, qui joint l’opéra sacré et profane au récital de mélodies et de lieder. Debussy, où elle est soliste dans la création grecque du Martyre de Saint-Sébastien, et dont elle se fait l’écho dans un Tombeau écrit par Maurice Ohana, sous la direction de Jean-Claude Pennetier. Le travail dans les œuvres religieuses baroques et classiques avec Michel Corboz : Passion St Matthieu de Bach, Messie de Haendel, Messe en ut et Requiem de Mozart. L’Angleterre lyrique, de Purcell, Haendel (rôle-titre dans Deidamia) et Britten (Fairy Queen, Little sweep). Et d’une façon plus générale, un intérêt pour les partitions contemporaines qui se manifeste, entre autres, dans le dialogue avec Henri Dutilleux et Giorgy Kurtag.
Jonas Vitaud, le claviériste, a commencé le piano à un âge mozartien et l’orgue à 11 ans, il a fait, lui aussi, ses études au CNSM de Paris (chez Brigitte Engerer et Christian Ivaldi, notamment), a gagné des récompenses en concours (Beethoven, à Vienne), joue beaucoup en festivals (Orangerie de Sceaux, Ravel à Montfort-l’Amaury, Cordes sur Ciel, la Roque d’Anthéron…), et a pour partenaires, outre Y.Tanimura, Aldo Ciccolini, Augustin Dumay, Alexandre Tharaud. Lui aussi s’intéresse au contemporain : également H.Dutilleux et Giorgy Kurtag, Thierry Escaich, Philippe Hersant.

Amour conjugal et amour libre

Le programme choisi par les lauréats pour leur récital à la Salle Molière pourrait être « à thème », mais ce n’est pas trop le genre de la Société de Musique de Chambre de donner dans le « people-histoire musicale ». On pourrait en tout cas suggérer un « chant de l’amour en tous ses états », ou plus descriptif- juridique « amour conjugal et amour libre ». La soprano et le pianiste y parcourent en 4 étapes romantisme, post-romantisme et modernité, sous le regard de compositeurs ardents et complexes. Le texte le plus « ancien » (et le seul intégral d’un cycle) est au cœur battant du couple le plus méritant du romantisme allemand, passeur de sa passion à travers les épreuves initiatiques d’une nouvelle Flûte Enchantée. Ces deux-là auront su vaincre l’acharnement d’un père jaloux – le pédagogue Wieck – qui ne voulait pas que sa fille adorée, Clara, sacrifie sa vie (de femme, d’interprète, et pourquoi pas, de compositrice, on le saura plus tard !) au nerveusement fragile Robert (Schumann), hanté par les visites de l’ange du bizarre. En 1840, la justice donne raison aux « enfants », qui peuvent accéder aux « joies de mariage », et c’est la grande année de floraison des lieder. « L’amour et la vie d’une femme » : notre XXIe peut juger ces poésies de Chamisso bien traditionalistes, voire « popote », loin de l’amour fou en tout cas. Schumann y apporte le cri, le rêve circulaire, la sensation quasi-physique du désir et du bonheur, et y rejoint la prémonition de la mort mentale. Ce cycle de vision conjugale a son écho dans le Journal (à 4 mains et 2 voix) que les époux ont tenu à tour de rôle : le « Ce que Dieu a créé de plus touchant, c’est un bon mari », (signé Clara, par ailleurs de plus en plus empêchée d’exercer son métier de concertiste par les maternités et la confiscation du piano quand Monsieur compose). Mais en arrière-plan de ces adorations furieusement petites-bourgeoises, il y a tout un sur-réel d’union spirituelle et artistique : passionnant déchiffrage de niveaux pour l’auditeur attentif à la magie d’un recueil en miroir du tragique et ironique Dichterliebe, d’après Heine, écrit aussi en 1840.

De Wolf en Ravel et Messiaen

56 ans plus tard, Hugo Wolf compose – comme toujours en un brasier d’inspiration, et juste avant de sombrer dans la déraison – une cinquantaine de chants populaires italiens, recueillis et traduits en allemand par l’écrivain Paul Heyse. C’est une véritable retransposition poétique par les moyens d’une musique subtile, souvent brévissime, qui va au fond du bien et du mal d’amour. Le duo en a choisi seulement 6, tour à tour d’une extrême concentration qu’exacerbe le chromatisme, d’une moquerie puis d’une jalousie ardentes, et pour finir (c’est le dernier du recueil), un joli autoportrait de dona Juana de la Maremme italienne : regard de fille amoureuse et autonome, en somme une anti-Clara ! Puis on passe à l’écriture raffinée, précieuse d’un Maurice Ravel qui en 1905 saisit l’ellipse mallarméenne : impressionniste Soupir, modernistes Placet et Surgi de la croupe et du bond, 3 témoignages d’un érotisme quasi-abstrait…Encore 40 ans, et à nouveau des extraits (3), cette fois pris dans l’étrange recueil d’Olivier Messiaen, Harawi. Le titre est un mot du dialecte péruvien (quechua), chant d’amour et de mort en écho du médiéval européen Tristan et Yseult : Messiaen, en proie à ses tourments personnels d’amour et de séparation, y traduit aussi bien la danse pour la bien aimée – le répétitif obsédant Doudnou tchil – que l’immobilité mystique et onirique (1ère et dernière mélodies du recueil). Juste avant, Jonas Vitaud aura donné à voir et entendre les transparences ravéliennes de la Sonatine (1905).

Crédit photographique
Yumiko Tanimura (soprano) et Jonas Vitaud (piano), les deux lauréats du Concours International de musique de chambre 2006 (DR)

Récital Radu LupuBruxelles, Bozar, le 23 avril 2007 à 20h

Le fonds Nadia Boulanger conservé à la Bibliothèque nationale de France, contient toute une série de notes prises par la grande pédagogue lorsqu’elle siégeait comme membre du jury de l’un ou l’autre concours. C’est ainsi qu’en feuilletant ces notes, au ton forcément spontané puisque prises sur le vif, clichant de la sorte un moment, une impression, l’on peut lire, au sujet de Radu Lupu jouant Bach lors du concours Enesco en 1967: « Très beau la concentration, mais ne pas confondre pêcher dans les profondeurs ou dans l’eau trouble ! »

Hors contexte, la remarque pétillante de Nadia Boulanger vaut au titre de boutade. Et pourtant: quiconque a « vu » (et entendu) Radu Lupu « à l’oeuvre », sait que cette imperturbable concentration, cet ordonnancement de la pensée, implacable et olympien, observés avec justesse et non sans humour par « Mademoiselle », constituent, précisément, une des constantes dans le jeu du pianiste roumain. Absolue sincérité dans l’expression, pureté du style, limpidité du toucher: ce sont les marques de Radu Lupu, qui l’inscrivent immédiatement dans la toute grande tradition pianistique, celle d’artistes légendaires au premier rang desquels figurent ses illustres compatriotes Dinu Lipatti et Clara Haskil. Une même ferveur, un engagement identique caractérise les trois musiciens roumains, instaurant d’évidence une étroite et indiscutable filiation entre ceux d’hier, et celui d’aujourd’hui.

Radu Lupu est un artiste rare. Il ne fait pas partie de cette classe de musiciens omniprésents sur les affiches ou les pochettes de cd, se bousculant dans les salles de concerts ou les studios d’enregistrement. Artiste intègre et entier, sans concessions, il se refuse à tout culte de l’anecdotique. Discrétion, réserve, sont ici les maîtres-mots et font que chaque apparition de ce pianiste hors pair est guettée avec enthousiasme. Le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles accueillera Radu Lupu le 23 avril 2007, pour un récital réunissant les incontournables de son répertoire, Beethoven, Schubert, Brahms et Debussy. Un grand événement pianistique.

Radu Lupu: les dates clés d’un monstre sacré du clavier
1957:
le jeune Radu, né à Galati en Roumanie en 1945, donne son premier concert. Il a tout juste 12 ans.

1961: après avoir étudié avec plusieurs professeurs à Bucarest (dont Florica Musicescu, illustrissime professeur d’un autre prince du clavier, son compatriote Dinu Lipatti), il obtient une bourse pour poursuivre ses études à Moscou avec Heinrich Neuhaus. Son séjour au Conservatoire est couronné d’un premier prix.

1967: premier lauréat du concours Enesco à Bucarest. L’année précédente, il avait remporté le concours Van Cliburn. Deux ans plus tard, il empochera le premier prix au concours de Leeds.

1978: débuts au Festival de Salzbourg, avec le Philharmonique de Berlin sous la baguette de Karajan.

1995: les enregistrements de Radu Lupu sont salués unanimement avec un « Grammy » pour sa gravure des Sonates D.664 et D.960 de Schubert et le Prix Edison pour ses Scènes d’Enfants, Kreisleriana et Humoreske de Schumann. Deux disques pour l’île déserte (Decca).

2006: lors d’un récital au Teatro Grande de Brescia, Radu Lupu se voit décerner le prix international Arturo Benedetti Michelangeli. Cette distinction avait, antérieurement, distingués des artistes tels que Maurizio Pollini, Martha Argerich, Vladimir Ashkenazy, Mstislav Rostropovitch …

Programme
Franz Schubert:
Sonate en la majeur D.664
Claude Debussy: Extraits du Livre II des Préludes
Johannes Brahms: 4 Ballades Op.10
Ludwig van Beethoven: Sonate n°18 Op.31 n°3

Bruxelles, Palais des Beaux-Arts
Lundi 23 avril 2007 à 20h

Crédit photographique
Radu Lupu (DR)

Richard Strauss, Hélène d’Egypte (1928)France Musique, direct. Le 31 mars 2007 à 19h

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Richard Strauss,
Hélène d’Egypte

, 1928

France Musique
En direct du Metropolitan de New York
Samedi 31 mars 2007 à 19h

Soirée lyrique par Jérémie Rousseau
(jusqu’à 22h30),
En direct
du Metropolitan Opera de New York
Opéra en deux actes,
livret de Hugo von Hofmannsthal
Créé à Dresde, le 6 juin 1928

Deborah Voigt, Hélène
Diana Damrau, Aithra
Jill Grove, Omniscient
Seashell Torsten Kerl, Menelas
Garrett Sorenson, Da-Ud
Metropolitan Opera Orchestra
Fabio Luisi
, direction

Sur les traces de Goethe

L’Antiquité et la complexité symbolique de ses personnages, héros et divinités, fécondent l’imaginaire de Strauss et de son librettiste Hugo van Hofmannsthal. Après la décharge dyonisiaque d’Elektra (1909), les oeuvres solaires, -apolliniennes- que sont Ariadne auf Naxos et surtout Hélène d’Egypte, annoncent l’aboutissement que compose Daphné, composé après la mort d’Hofmannsthal. Strauss aimait citer Goethe et la noblesse néogrecque de son Iphigénie: l’idéal néoantique a toujours incarner une source intacte opposée aux réactionnaires conservateurs comme aux pseudo-défenseurs d’une modernité qui n’a de visionnaire que le nom.
L’immersion retrouvée dans la tragédie grecque permet aux auteurs d’affronter toujours plus loin les enjeux de la dramaturgie, d’autant que les personnages ici dépeints font surgir des schémas psychiques qui parlent encore à notre modernité.

L’oeuvre souffre comme La femme sans ombre d’une image négative. Sa complexité complote contre elle. En fait, le sujet sous l’épaisseur d’une narration où s’entremêlent symboles, destins, époques et rencontres diverses et successives, fait paraître un thème récurrent du théâtre Straussien, totalement fécondé par l’inspiration du poète Hofmannsthal: l’humanisme. La réputation d’ouvrage difficile et même hollywoodien, est d’autant plus condamnable que Strauss se félicitait d’avoir composé une oeuvre légère, davantage proche de l’opérette que du grand déballage.

Vérité d’un être à l’autre

Hofmannsthal s’inspire d’Euripide, du livre IV de l’Odyssée. On y apprend, aspect méconnu de la Guerre de Troie, que Paris enleva non pas Hélène mais son fantôme. La véritable Hélène, épouse de Ménélas, résida en Egypte, chez le roi Protée, où la rejoint son mari. Ainsi, prend forme Hélène d’Egypte: une femme fidèle, et loyale qui sait honorer les liens du mariage. Euripide façonne cette idée du fantôme pour souligner l’inutilité de la guerre, causée par un malentendu. Il réhabilite la dignité de la beauté célébrée et s’intéresse plutôt à la relation de la femme et de son époux.

Le couple à l’épreuve de la vérité

Hofmannsthal s’approprie à son tour le mythe. Il écarte finalement l’idée du fantôme. Son Hélène est véritablement celle qu’enleva Paris. En rétablissant malgré l’invention d’Euripide, l’identité d’Hélène infidèle, Hofmannsthal s’intéresse à la femme rongée par le remord et la faute. Elle souffre du poids de la culpabilité car elle a trompé Ménélas. Celui-ci de son côté, ne songe qu’à la tuer pour punir l’adultère, la trahison, la honte. Or c’est compter sans les ressources de l’héroïne qui veut assumer son erreur et susciter le pardon final de son époux. L’amour et la compassion, deux valeurs humanistes prônées aussi dans La femme sans ombre (1919), sont au coeur du processus dramatique de l’opéra. La métamorphose étant ce moteur souterrain aux oeuvres puissantes, le couple faussement uni au début, qui couve un secret caché, apprend peu à peu à voir l’autre tel qu’il est, par le prisme de ses actes commis. Au final, Ménélas regarde sa femme avec son coeur, il pardonne sa faute passée. Là encore, Strauss et Hofmansthal, fervent humaniste, recherchent la vérité d’un être à l’autre. Si La femme sans ombre était l’école de la compassion, Hélène d’Egypte plonge profondément dans le coeur des êtres. L’opéra offre l’apprentissage du réalisme le plus cru, sublimé par un amour non moins véritable qui en adoucit l’âpreté de l’enseignement.

CD
1979, Antal Dorati
Le chef obtient de somptueuses couleurs d’un orchestre qui n’a pas la réputation d’être straussien, surtout le plateau vocal reste indiscutable: Gwyneth Jones (Hélène), Matti Kastu (Ménélas), Barbara Hendricks (Aithra)… Sous le masque de la mythologie, le psychodrame des époux se précise, éruptif, convulsif et finalement, sublimé dans la lumière finale. La référence actuelle au disque (2 cd Decca).

Illustration
Nicolas Poussin, la muse (détail de l’Inspiration du poète. Paris, Musée du Louvre)

Andeas Scholl, contre-ténorRadio Classique, le 29 mars 2007 à 21h

Andreas Scholl, contre-ténor

Radio Classique,
Le 29 mars 2007 à 21h

Une soirée musicale en guise de portrait du plus célèbre contre-ténor allemand de la scène baroque: le programme est alléchant. Il met en relief l’évolution d’une voix qui a perdu l’éclat de son angélisme et de son innocence première, mais a gagné en profondeur et en nuances. Né en 1967, il a chanté d’abord sous la direction de René Jacobs, perfectionne son chant dans les cantates et les passions de Bach, les oratorios de Haendel, surtout les opéras du Saxon. Sur les traces du castrat favori du compositeur baroque, Senesino, Andreas Scholl a gravi les marches d’un tempérament dramatique (ce que d’aucun lui conteste encore), dans les rôles de Bertarido (Rodelinda) et surtout de Giulio Cesare. Deux caractères opposés: l’un est doux, se languit de sa bien-aimée (Rodelinda) et doit chercher en lui, sa noirceur agressive; le second, est un guerrier, un vainqueur qui apprend l’amour auprès de l’irrésistible Cléopâtre.

Andreas Scholl chante à Paris, au Châtelet, dans la Passion selon Saint-Jean de Bach, sous la direction d’Emmanuelle Haïm (30 mars au 6 avril 2007). Prochaine prise de rôle: Arsace dans Partenope de Haendel à l’Opéra de Copenhague pour la saison 2008/2009.

Crédit photographique
Andreas Scholl (DR)

Avril 2007: mois russe sur Mezzo

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Avril russe sur Mezzo
En avril 2007, Mezzo met à l’honneur la musique russe. Danse, opéra, musique symphonique, voici notre sélection.

Serge Prokofiev
Alexandre Nevski

Sergueï Eisenstein. Noir et blanc. 1h52mn, 1938.
Avec Nikolaï Tcherkassov, Nikolaï Okhlopov…

Diffusion

Le 2 avril 2007 à 20h45
Le 3 avril 2007 à 13h45
Le 16 avril 2007 à 3h45

En 1242, le peuple russe doit se solidariser face à une double menace: les monghols à l’est, surtout les chevaliers teutoniques à l’ouest. Rien de tel pour exalter l’âme russe et exciter l’élan nationaliste. En pleine ascension nazie, le cinéaste Eisentein souligne les vertus du nationalisme contre la barbarie du fascisme. Au service de l’idéal patriotique, le film diffuse sa force conquérante: en plans serrés, dans les tableaux collectifs où se joue le sort d’un peuple désireux de liberté et d’indépendance, le réalisateur transmet la passion et la fureur humaine: les scènes de bataille sont réalistes, violentes; à l’humanité des soldats de Russie est opposée la froideur des chevaliers casqués. La musique de Prokofiev, alors âgé de 47 ans, souligne la charge émotionnelle qui trouve dans l’ultime assaut, sur le lac gelé, son point d’orgue.
Depuis 1936, le compositeur qui s’est expatrié, a souhaité revenir en URSS. Au moment des années noires, celles des purges staliniennes, dont Chostakovitch subit de cuisantes humiliations, Prokofiev monte en grade, pour, à partir de 1938, devenir un compositeur officiel, au service des idéaux de l’appareil soviétique. Son ascension sera de courte durée: il goûtera lui aussi l’amertume de l’humiliation et de la mise à l’écart…
Quoiqu’il en soit, le musicien sait tirer partie de l’expressionnisme des images filmées par Eisenstein. Dans le tableau final, contemplant les cadavres et les ruines d’une terre dévastée, le vainqueur contemple froidement l’horizon plein d’espoir quand la soprano entonne son chant de compassion. Sublime.

Serge Rachmaninov

Concerto pour piano n°2 en ut mineur opus 18

Concert, 38 mn, 1974. Alexis Weissenberg (piano), Berliner Philharmoniker, direction: Herbert van Karajan.

Diffusion


Le 6 avril 2007 à 20h45
Le 7 avril 2007 à 13h45
Le 14 avril 2007 à 4h
Le 16 avril 2007 à 5h29
Le 25 avril 2007 à 16h45

Dès 1900, Rachmaninov présente ses deuxième et troisième mouvements (composés avant le premier). La création du concerto intégral a lieu en octobre 1901. L’oeuvre marque le retour du musicien sur la scène créative après que l’échec de sa première Symphonie l’ait laissé démuni et dépressif. Il se sortira de sa profonde mélancolie grâce au traitement par hypnose du médecin et psychothérapeute, Niels Dahl. Ce dernier lui suggéra l’idée d’un concerto pour piano. Ainsi naquit le Concerto n°2, dédié au médecin salvateur. La houle puissante de son harmonie, le souffle irrépressible de son romantisme ont imposé l’oeuvre auprès des virtuoses du piano, et suscité, depuis sa création, l’accueil enthousiaste du public.

Modeste Moussorgski

Boris Godounov

Opéra. Festival de Pâques de Sazlbourg. 1998, 3h15mn. Mise en scène: Herbert Wernicke. Direction musicale: Claudio Abbado. Versions de 1869, 1872 et 1874.

Diffusion

Le 7 avril 2007 à 20h45
Le 8 avril 2007 à 13h45
Le 17 avril 2007 à 15h45
Le 19 avril 2007 à 3h45
Le 27 avril 2007 à 15h45

Tableau désenchanté, tragédie d’un homme seul et dérive d’un peuple manipulé, Boris Godounov d’après Pouchkine, reste l’ouvrage le plus fascinant de l’opéra russe. Moussorsgki qui reprend l’oeuvre à plusieurs reprises, comme submergé par le souffle de la fresque convoquée, aborde de nombreux thèmes propres à l’histoire russe. Rapport du politique et de la vertu, rapport de l’église au pouvoir, psychologie acide et critique voire cynique sur les opportunistes politiciens et les ambitieux déclarés, l’oeuvre est d’une richesse captivante que la production diffusée par Mezzo, aborde avec engagement et lisibilité. Wernicke y signe l’une de ses meilleures mises en scène (soulignant le souffle historique du sujet) et Abbado, entouré d’une équipe qui a déjà chanté l’oeuvre à Salzbourg dès 1993, donne toute la mesure de la fresque universelle. Avec d’autant plus d’intérêt que le chef a assemblé avec pertinence, les différentes versions de l’opéra moussorsgkien. Lecture incontournable pour un chef-d’oeuvre lyrique.
Lire aussi notre dossier Boris Godounov par Claudio Abbado.

Marius Petipa

La fille de Pharaon, 1862

Ballet en trois actes. 1h45, 2003. Chorégraphie, mise en scène, adaptation: Pierre Lacotte d’après Marius Petipa. Musique: Cesare Pugni, adaptée par Alexandre Sotnikov. Solistes: Svetlana Zakharova (Aspicia), Sergueï Filin (Lord Wilson/Taor), Gennady Yanin (John Bull/Passiphonte), ballet et orchestre du Théâtre Bolshoï de Moscou, direction: Alexandre Sotnikov.

Diffusion

Le 22 avril 2007 à 20h45
Le 23 avril 2007 à 13h45
Le 2 mai 2007 à 4h15
Le 3 mai 2007 à 15h45
Le 12 mai 2007 à 15h45

Marius Petipa fit toute sa carrière en Russie, en particulier pour le théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg. La fille du Pharaon, chorégraphié en 1862, marque les débuts de sa carrière officielle à la Cour du Tsar. Pour le Bolshoï, l’ancien danseur de l’Opéra de Paris, Pierre Lacotte auquel on doit aussi une restitution fidèle de La Sylphide, s’est penché sur l’histoire et le style chorégraphique de La fille du Pharaon. Le travail s’est révélé difficile car les manuscrits parvenus comportaient de nombreuses lacunes. Lacotte s’est donc inspiré du style d’époque selon sa propre connaissance du ballet romantique tel que l’enseignait le père de la Ballerine, Marie Taglioni. Les amateurs de restitutions exotiques, comptant moult anachronismes (en filles de Diane, de sveltes danseuses à tutu, portant l’arc, gambadent parmi les gardiens de l’Egypte de Ramsès…).
Aux pieds des grandes pyramides de Guizeh, deux explorateurs anglais sont surpris par une tempête de sable: ils se refugient dans un temple et s’assoupissent. Toute l’action du ballet est le sujet du rêve de l’explorateur Lord Wilson (Sergueï Filin), lequel devient dans l’intrigue onirique, Taor. L’invention de Petipa mêle classicisme (solos, pas de deux, ballets, pas d’action, cortèges et marches solennelles dont Pharaon sur son char tiré par un vrai cheval…) et épisodes imprévus comme le séjour de la fille de Pharaon, Aspicia, au fond des mers, au royaume de Neptune (!). Le couple vedette de cette restitution associe à la très jeune et stylée Svetlana Zakharova (23 ans), la virilité agile et aérienne de Sergueï Filin. Une redécouverte servie avec scrupule.

Illustrations
Le Tsar Boris en 1607 (DR)
Affiche pour le film Alexandre Nevski (DR)
Serge Rachmaninov au piano (DR)
Chaliapine dans le rôle de Boris (DR)
La Ballerine Svetlana Khasarova (DR)

Martha Argerich, portrait

Magicienne Martha

Il y a de la félinité chez Martha Argerich. Une présence naturelle dont la simplicité et la grâce vous envoûtent sans que vous vous en rendiez compte. La femme d’ailleurs aimante ceux qui l’approchent et savent cultiver leur relation. Ainsi ses proches, Ivry Gitlis ou Nelson Freire. Et tous les jeunes instrumentistes, pianistes (Ivo Pogorelich à son époque, aujourd’hui Piotr Anderszewski…) ou non (les frères Capuçon) qui ont bénéficié de son protection stimulante, de son aura de fée.
Née à Buenos Aires en 1941, Martha Argerich aime brouiller les pistes. Elle se dérobe. « J‘aime le piano, mais je n’aime pas être pianiste« , dit-elle, non sans une malice qui caresse l’art ténu du paradoxe. Elle sait voir l’âme, sonder le coeur des musiciens, c’est son côté sorcier, sa nature de « gitane ».
A 24 ans, en 1965, la jeune pianiste décrochait le premier prix du 7 ème Concours International Frédéric Chopin de Varsovie. Aujourd’hui, l’artiste argentine a posé ses valises dans une nouvelle ville : Lugano. Là vécut le grand Wilhelm Backhaus; là, s’est éteint Arturo Benedetti Michelangeli (1995), son maître. C’est là enfin qu’a lieu un festival, en juin, conçu pour elle: le « Progetto Martha Argerich ».
Que peut réellement offrir l’interprète le temps d’un concert? Plutôt que sa confrontation à l’oeuvre abordée, ce qui tient du calcul, voire de la dérobade, la pianiste respire dans la musique, elle s’y glisse avec élégance et poésie, comme si de rien était. Pour elle, la musique est une seconde nature ou sa propre essence. Rubinstein lui a dit, admiratif, qu’elle lui faisait penser à Horowitz. Pour nous, Martha Argerich est elle-même, une flamme ardente et tendre, à nul autre semblable.
Celle à qui fut diagnostiqué un cancer foudroyant de la peau, qui gagna même les poumons, semble profiter d’une rémission miraculeuse. Elle n’a jamais tant parue plus sereine, comme à l’écart du monde, suspendue à son clavier magicien, le temps d’un concert.

DVD
TDK fait paraître un dvd en avril 2006, « A piano evening with Martha Argerich ». Prokofiev, Schumann, Beethoven : avec Renaud et Gautier Capuçon, Flanders Symphony orchestra, direction : Alexandre Rabinovitch-Barakovsky. Concert live enregistré à la Roque d’Anthéron, en juillet 2005.

Crédit photographique
Martha Argerich (DR)

Hector Berlioz, Messe Solennelle (1824)Paris, TCE. Les 14 et 15 avril 2007 à 20h

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Hector Berlioz
Messe solennelle
, 1824

Orchestre National de France
Riccardo Muti, direction
Les 14 et 15 avril 2007
Paris, Théâtre des Champs Elysées

Une oeuvre phénix

On pensa longtemps que seul le Resurrexit de la Messe Solennelle de Berlioz, première oeuvre sacrée ambitieuse, échappa aux foudres du créateur qui exigeant, avoue dans ses Mémoires avoir brûlé les pages indignes. Il s’y trouvait trop proche de ses modèles Lesueur et Cherubini. Oublieux, imprécis, ou mythomane, comme l’on voudra, Berlioz s’il brûla ses manuscrits, en donna cependant une autre version autographe à son ami, le violoniste Antoine Bessems, qui fut retrouvée en 1991 dans la tribune d’orgue de l’église Saint-Charles Borromée d’Anvers!
On sait que Berlioz reçut du maître de chapelle de l’église Saint-Roch à Paris, la commande de la Messe en 1824, année de la Révolution romantique qui vit s’opposer au Salon, La mort de Sardanapale du fougueux Delacroix et de l’Apothéose d’Homère de monsieur Ingres. Expression dynamique et plastique contre mesure et équilibre de la ligne. Car l’époque est aux extrêmismes. L’art provoque, exalte. Le jeune Berlioz se montre très tôt maître des formes épiques, des louanges architecturées, des masses vertigineuses.

Tout Berlioz est déjà là

Les premières répétitions sont houleuses, le compositeur manquant de moyens doit capituler. Heureusement, un mécène sensibilisé et convaincu par le tempérament du jeune musicien, finance ses besoins et l’oeuvre est créée sous la direction de Valentino, chef d’orchestre à l’Opéra de Paris. Succès immédiat qui vaut à notre jeune romantique, une gloire précoce. Berlioz pourra même diriger son oeuvre, à laquelle il a apporté quelques correctifs, à Saint-Eustache, en 1827. Mais insatisfait, il déclare donc avoir détruit son manuscrit, et seul le Resurrexit, un temps épargné, paraît encore à l’affiche de ses concerts de 1827 puis 1828, avant de s’enfoncer et disparaître dans l’ombre de l’oubli.

La redécouverte du manuscrit surprend: elle dévoile la maturité du jeune musicien qui déjà a composé la matrice musicale qui lui servira pour ses oeuvres d’importance, aujourd’hui célébrées comme le Requiem, la Symphonie Fantastique, Benvenuto Cellini. Tout Berlioz est déjà là. En particulier, le Te ergo de son Te Deum, qui est une reprise quasi inchangée de l’Agnus Dei originelle de sa Messe de 1824.

Distribution
Genia Kuehmeier, soprano
Pavol Breslik, ténor
Ildar Abradzakov, basse
Orchestre National de France
Riccardo Muti, direction

En première partie de programme:
Mozart: Concerto pour clarinette et orchestre K. 622
Patrick Messina (clarinettiste)

Illustration

Eugène Delacroix: Le Christ sur la croix, 1845 (esquisse, Rotterdam)

Moussorgski, Boris GodounovMezzo, du 7 au 27 avril 2007

Modeste Moussorsgki
Boris Godounov
(1869, 1872, 1874)

Le 7 avril 2007 à 20h45
Le 8 avril 2007 à 13h45
Le 17 avril à 15h45
Le 20 avril à 3h45
Le 27 avril 2007 à 15h45

Face à face avec l’histoire

Proche de Vladimir Stassov, riche érudit, historien et protecteur qui baptisa le groupe composé de Moussorgski, Balakirev, Borodine, Rimsky-Korsakov et Cui, de « Groupe des Cinq », Moussorgski aborde avec son Boris, un format ambitieux et noble: la fresque historique, l’équivalent en peinture, de la peinture d’histoire. Le souffle épique qui lui permet sur le monde collectif comme sur le registre individuel, d’exprimer les aspirations d’une nation soumise, et les ambitions d’individualités sans scrupules, porte la marque de son génie, universel, critique, synthétique.
Voilà qui explique pourquoi l’opéra jusqu’à aujourd’hui n’a rien perdu de son magnétisme mordant, de son acuité polémique, de sa vérité sur les politiques et le genre humain.
L’idée d’un opéra parfait et définitif se pose face à l’oeuvre moussorgskienne, apportant un nouvel éclairage qui ne fait qu’aiguiser son attraction. De la version primitive de 1869, à celle originale de 1874, sans omettre celle intermédiaire de 1872, le visage de Boris semble se dérober sans perdre de son expressivité.
Cette fragmentation polémiste quant à la genèse d’une oeuvre odyssée, montre combien Moussorgski pris dans les rets de son oeuvre, puise à diverses sources. Chez l’historien tsariste Nikolaï Karamzine (Histoire de l’Empire russe, 1826), surtout dans le roman éponyme de Pouchkine (1831). Dès l’origine, les scènes issues du drame de l’écrivain, se concentrent sur la crise psychique de Boris, tenaillé entre son ambition et le crime qu’il a dû commettre pour réaliser son ascension. La partie dévolue au peuple, en une relation d’attraction/répulsion pour celles et ceux qui incarnent le pouvoir et l’autorité, se précise au fur et à mesure de l’écriture du livret.

Opéra désenchanté

A ce titre, révélant l’acuité de la vision du compositeur sur les cycles de l’histoire russe, sur le rapport du tsar et de son peuple, les nombreux refus imposés par la direction des théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg contre l’opéra, donnent la mesure de sa pertinence dès l’origine. Boris Godounov règna de 1598 à 1605, à une époque particulièrement agitée où l’unité de la Russie était mise à mal par de nombreuses initiatives et contre-pouvoirs locaux.
La religion et ses extrêmismes cycliques ne sont pas omis. En faisant des deux moines mendiants, Varlam et Misaïl, deux dangereux agitateurs dont l’activité subversive est révélé quand ils aiguisent la haine du peuple contre leurs rivaux jésuites (dernier tableau conçu par le compositeur: l’émeute dans la forêt de Kromy), Moussorsgki ne laisse aucun doute sur sa vision désenchantée d’un monde qui a perdu le sens de la tolérance et du pacifisme. Eternelles questions, toujours actuelles.
Qu’il s’agisse de l’usurpateur Boris, du Faux-Dmitri (un autre usurpateur), Moussorsgki cible la manipulation des faux Messies, opportunistes et calculateurs, fourbes et immoraux dont la violence exalte l’espérance d’un peuple tenu en esclavage.
Dans cette lecture ténébriste, chacun, issu du peuple ou homme de pouvoir est soumis au délire hallucinatoire, aux dérives de la corruption et de la vénalité, à la folie… En ce sens, la figure du chroniqueur Pimène, qui serait l’observateur et le détenteur de la « vérité » historique, accable plus encore le tsar dans sa culpabilité. Il est lui aussi un agent du désordre et du chaos. Qui pourra changer notre monde, semble ressasser Moussorsgki?

La lecture de Claudio Abbado

Lors du Festival de Pâques de Salzbourg 1998, Claudio Abbado reprend une partition qu’il a déjà enregistrée en 1993 à la Philharmonie de Berlin (cd paru chez Sony classical à l’époque), dans la mise en scène époustouflante d’Herbert Wernicke, créée pour la première fois à Salzbourg en 1994. La folie embrase chacun des aspirants au pouvoir; le peuple souffre constamment, et la fresque devient un brûlot palpitant qui exprime les tourments sulfureux d’une humanité perdue. Abbado insuffle au drame son feu éruptif, sa lave âpre et sombre, dans une lecture désormais légendaire qui croise les versions primitives et intermédiaires, révélant la sonorité lugubre qu’avait remaquillée Rimsky-Korsakov en 1904. La texture sombre de l’orchestration brutale de Moussorgski est ici retrouvée selon les travaux du musicologue David Lloyd-Jones, publiés à Oxford en 1975. Le document visuel est incontournable.

Illustration

Alexandre Golovine: Fedor Chaliapine dans le role de Boris Godounov, 1912