vendredi 29 mars 2024

Moussorgski, Boris GodounovMezzo, du 7 au 27 avril 2007

A lire aussi

Modeste Moussorsgki
Boris Godounov
(1869, 1872, 1874)

Le 7 avril 2007 à 20h45
Le 8 avril 2007 à 13h45
Le 17 avril à 15h45
Le 20 avril à 3h45
Le 27 avril 2007 à 15h45

Face à face avec l’histoire

Proche de Vladimir Stassov, riche érudit, historien et protecteur qui baptisa le groupe composé de Moussorgski, Balakirev, Borodine, Rimsky-Korsakov et Cui, de « Groupe des Cinq », Moussorgski aborde avec son Boris, un format ambitieux et noble: la fresque historique, l’équivalent en peinture, de la peinture d’histoire. Le souffle épique qui lui permet sur le monde collectif comme sur le registre individuel, d’exprimer les aspirations d’une nation soumise, et les ambitions d’individualités sans scrupules, porte la marque de son génie, universel, critique, synthétique.
Voilà qui explique pourquoi l’opéra jusqu’à aujourd’hui n’a rien perdu de son magnétisme mordant, de son acuité polémique, de sa vérité sur les politiques et le genre humain.
L’idée d’un opéra parfait et définitif se pose face à l’oeuvre moussorgskienne, apportant un nouvel éclairage qui ne fait qu’aiguiser son attraction. De la version primitive de 1869, à celle originale de 1874, sans omettre celle intermédiaire de 1872, le visage de Boris semble se dérober sans perdre de son expressivité.
Cette fragmentation polémiste quant à la genèse d’une oeuvre odyssée, montre combien Moussorgski pris dans les rets de son oeuvre, puise à diverses sources. Chez l’historien tsariste Nikolaï Karamzine (Histoire de l’Empire russe, 1826), surtout dans le roman éponyme de Pouchkine (1831). Dès l’origine, les scènes issues du drame de l’écrivain, se concentrent sur la crise psychique de Boris, tenaillé entre son ambition et le crime qu’il a dû commettre pour réaliser son ascension. La partie dévolue au peuple, en une relation d’attraction/répulsion pour celles et ceux qui incarnent le pouvoir et l’autorité, se précise au fur et à mesure de l’écriture du livret.

Opéra désenchanté

A ce titre, révélant l’acuité de la vision du compositeur sur les cycles de l’histoire russe, sur le rapport du tsar et de son peuple, les nombreux refus imposés par la direction des théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg contre l’opéra, donnent la mesure de sa pertinence dès l’origine. Boris Godounov règna de 1598 à 1605, à une époque particulièrement agitée où l’unité de la Russie était mise à mal par de nombreuses initiatives et contre-pouvoirs locaux.
La religion et ses extrêmismes cycliques ne sont pas omis. En faisant des deux moines mendiants, Varlam et Misaïl, deux dangereux agitateurs dont l’activité subversive est révélé quand ils aiguisent la haine du peuple contre leurs rivaux jésuites (dernier tableau conçu par le compositeur: l’émeute dans la forêt de Kromy), Moussorsgki ne laisse aucun doute sur sa vision désenchantée d’un monde qui a perdu le sens de la tolérance et du pacifisme. Eternelles questions, toujours actuelles.
Qu’il s’agisse de l’usurpateur Boris, du Faux-Dmitri (un autre usurpateur), Moussorsgki cible la manipulation des faux Messies, opportunistes et calculateurs, fourbes et immoraux dont la violence exalte l’espérance d’un peuple tenu en esclavage.
Dans cette lecture ténébriste, chacun, issu du peuple ou homme de pouvoir est soumis au délire hallucinatoire, aux dérives de la corruption et de la vénalité, à la folie… En ce sens, la figure du chroniqueur Pimène, qui serait l’observateur et le détenteur de la « vérité » historique, accable plus encore le tsar dans sa culpabilité. Il est lui aussi un agent du désordre et du chaos. Qui pourra changer notre monde, semble ressasser Moussorsgki?

La lecture de Claudio Abbado

Lors du Festival de Pâques de Salzbourg 1998, Claudio Abbado reprend une partition qu’il a déjà enregistrée en 1993 à la Philharmonie de Berlin (cd paru chez Sony classical à l’époque), dans la mise en scène époustouflante d’Herbert Wernicke, créée pour la première fois à Salzbourg en 1994. La folie embrase chacun des aspirants au pouvoir; le peuple souffre constamment, et la fresque devient un brûlot palpitant qui exprime les tourments sulfureux d’une humanité perdue. Abbado insuffle au drame son feu éruptif, sa lave âpre et sombre, dans une lecture désormais légendaire qui croise les versions primitives et intermédiaires, révélant la sonorité lugubre qu’avait remaquillée Rimsky-Korsakov en 1904. La texture sombre de l’orchestration brutale de Moussorgski est ici retrouvée selon les travaux du musicologue David Lloyd-Jones, publiés à Oxford en 1975. Le document visuel est incontournable.

Illustration

Alexandre Golovine: Fedor Chaliapine dans le role de Boris Godounov, 1912

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