lundi 4 novembre 2024

CRITIQUE, streaming opéra . VERDI : Don Carlo. Netrebko, Meli, Garanca… Chailly / Pasqual (Milan, Scala, décembre 2023)

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Don Carlo de Verdi prolonge à la suite de Luisa Miller, le travail de Verdi inspiré par Schiller : on y retrouve propre au Romantique germanique, le fatalisme noir et tragique, où des Justes sont sacrifiés, détruits par la machine implacable du pouvoir. Chaque Saint-Ambroise – patron de Milan-, marque ainsi le lancement de la nouvelle saison lyrique de La Scala, scène historiquement liée aux opéras verdiens. En outre, après Macbeth (2021) et Boris Godounov (2022), Don Carlo en décembre 2023 jalonne ainsi une réflexion sur les enjeux de pouvoir.

 

 

 

 

 

Nouvelle saison 2024 de la Scala
Superbe production de Don Carlo
Bouleversante Elisabeth d’Anna Netrebko

Evidemment, la présence dans cette production des vedettes Anna Netrebko et Elīna Garanča sous la direction de Riccardo Chailly concentre toutes les attentes. Les deux stars ont déjà produit des étincelles en une confrontation aussi saisissante visuellement que musicalement chez DG … il y a 12 années déjà (Anna Bolena de Donizetti / Opéra de Vienne, avril 2011) : Lire ici notre critique du DVD Anna Bolena / mise en scène : Eric Genovèse).

A Milan, la mise en scène de Lluis Pasqual, plutôt dépouillée mais esthétique a le mérite de respecter l’action et le sens de la partition ; ce qui actuellement est plutôt méritant. Solitude noire et douloureuse des protagonistes, théocratie autoritaire voire terrifiante (le Grand Inquisiteur dont l’ordre et la loi soumettent jusqu’au Roi Philippe II), impuissance de Posa (qui malheureux défenseur des Flandres, est même assassiné), destruction lente, inexorable du prince Carlo dont la fiancée (Elisabeth de Valois) est épousée de force par son père (le même Philippe II). 

Comme dans Luisa Miller, Verdi fidèle à Schiller, illustre le sacrifice et la souffrance de deux cœurs amoureux, foudroyés par le cynisme et la manipulation. En ajoutant Eboli dans cette galerie de portraits plutôt sombres et douloureux, Verdi renforce les tensions, l’amertume et la frustration : le personnage aime en vain Carlo ; il est lui aussi dévoré de l’intérieur.

Et d’ailleurs la mise en scène enserre tous les personnages dans des espaces clos, étouffants ; elle les intègre chacun soit derrière des grilles ou dans un cadre contraint, comme le formidable et colossale retable d’or où le couple royal est bien calé, enchâssé comme pétrifié dans le bois, sous l’autorité terrifiante de l’Inquisiteur ; figures raides et soumises plutôt qu’êtres libres et épanouis.

 

 

 

Cette capacité à exprimer les sentiments les plus profonds sous l’apparence de la grandeur et du spectaculaire, – apanage du grand opéra français, fonde le génie de Verdi, remarquable dramaturge. De toute évidence, le drame lyrique est l’un des meilleurs de Verdi ; elle témoigne de sa compréhension du grand opéra français (avec des chœurs colossaux, dans la scène de l’autodafé).  

Las cette version de 1884, comme d’ordinaire, surtout en Italie, écarte l’acte I initial (version originelle de Paris, créé en 1867) ; acte de Fontainebleau qui dépeint la rencontre miraculeuse des deux âmes romantiques, Elisabeth et Carlos, lors d’une chasse royale… Toute l’action qui suit se déroule comme l’antithèse parfaite et la négation de cette scène primordiale : séparation, trahison, solitude, souffrance… A la fin, la mort (pour Posa), le renoncement (pour Elisabeth témoin de toute les vanités du monde, comme avant elle Charles Quint), l’exfiltration (pour Carlo qu’un deus ex machina libère de ce piège collectif)… 

 

 

Soulignons la direction vive et contrastée de Riccardo Chailly qui se montre grand verdien. La fosse commente, accompagne, exprime désir et désarroi de chaque protagoniste sur la scène, avec cette intensité qui s’allie à l’économie. 

Sur les traces de la Callas, qui chanta ici même en 1954 le rôle d’Elisabeth, Anna Netrebko réalise une performance mémorable ; après ses Leonora (Le Trouvère) puis Lady Macbeth (du même Verdi), son Elisabeth rayonne d’une profondeur sombre et féline, offrant aux auditeurs, la soie voluptueuse de son soprano aux aigus clairs et bien tenus : la scène du III où elle réclame justice au Roi, révélant sa douleur d’épouse contrainte et maltraitée, est bouleversante. Comme son grand air du IV, d’une ampleur tragique, au sépulcre de Charles Quint exprime la désolation d’un coeur détruit qui n’aspire qu’à l’enfouissement et au silence de la tombe.

 

 

 

 

 

 

 

Face à elle, Elīna Garanča s’affirme tout autant par sa nature rebelle et rivale, mais tout aussi grave et austère. Le poids des années ont fait évolué les deux voix ; et leur maîtrise technique, l’intelligence du jeu, enrichissent encore chaque incarnation, dans le sens de la sincérité et de la justesse psychologique. 

Leurs partenaires sont tout aussi convaincants : le Carlo, intense, doloriste (aux aigus parfois étouffés) de Francesco Meli ; comme le Rodrigo très classe, parfois raide mais lui aussi maîtrisé de Luca Salsi. Le Roi Philippe II (Michel Pertusi) a du mal au début à placer son personnage, mais se révèle fragile et lui aussi en souffrance, au pied d’une gigantesque croix, dans son grand solo qui ouvre l’acte III : « elle ne m’a jamais aimé » / « Ella giammai m’amò » (parlant d’Elisabeth). Ce roi dur et glaçant a la naïveté de vouloir pouvoir et amour : il dévoile ici sa nature jalouse quitte à manipuler Eboli (pour s’emparer du coffret de la Reine)… 

Le Grand Inquisiteur de Jongmin Park, inflige le pouvoir d’un dieu de terreur et volontiers homicide : qu’a à se tourmenter le Roi s’il doit sacrifier Carlo, son propre fils, pourvu de restaurer l’ordre et le devoir ? Dieu a bien sacrifié le sien. Vocalement puissant, la basse coréenne ne manque pas d’aplomb ni de persuasion manipulatrice. L’église pardonne tous les crimes s’ils servent ses intérêts. Soliste et orchestre composent alors un portrait redoutable d’un être façonné dans l’autorité auquel le roi doit soumission. 

Portés constamment par le chef et un orchestre subtilement dramatique, les solistes produisent une soirée de grande tenue. La Scala a réussi le premier opéra de sa nouvelle saison 2024 !

 

 

 

 

 

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STREAMING accessible (replay) sur ARTEconcert jusqu’au 27 juin 2024https://www.arte.tv/fr/videos/116911-000-A/giuseppe-verdi-don-carlo/

 

 

 

 

 

Précédente critique streaming opéra : TOSCA aux Arènes de Vérone, été 2023, avec Sonya Yoncheva et Roman Burdenko : https://www.classiquenews.com/critique-streaming-opera-verone-puccini-tosca-sonya-yoncheva-vittorio-grigolo-aout-2023-arteconcert/

 

 

 

 

approfondir

Donizetti: Anna Bolena (Anna Netrebko). 2 dvd Deutsche Grammophon, Opéra de Vienne avril 2011

 

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